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Document 61973CC0189

    Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 25 février 1975.
    Gijsbertus van Reenen contre Commission des Communautés européennes.
    Affaire 189-73.

    Recueil de jurisprudence 1975 -00445

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1975:28

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

    PRÉSENTÉES LE 25 FÉVRIER 1975

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    Les faits

    Recruté par la Commission de l'Euratom le 1er mars 1961 au grade B 2, M. Van Reenen accéda au grade B 1 le 1er novembre 1963.

    En octobre de l'année suivante, il fut chargé, à l'établissement de Petten, des fonctions de chef du bureau des affaires locales. A partir du 1er juillet 1969, il devint le chef du bureau «Administration interne et affaires personnelles», qui relève du service «Administration et personnel».

    Le chef de ce service — à l'époque M. Van Westen — était lui-même titulaire du grade A 4.

    Quelques mois plus tard, en février 1970, ce dernier fut promu chef de la division «Administration, finances et services techniques généraux». Il n'a pas été remplacé dans ses fonctions antérieures par un autre fonctionnaire de catégorie A.

    Il en résulta qu'une partie de ses anciennes attributions ont été, dès cette époque, assumées, en fait, par M. Van Reenen, d'ailleurs avec son accord.

    En dépit de ce fait, celui-ci n'a pas été chargé officiellement de l'intérim de son ancien chef de service, l'article 7 du statut s'opposant à ce qu'un fonctionnaire puisse occuper par intérim un emploi relevant d'une catégorie supérieure à celle dans laquelle il est lui-même classé.

    Tel était bien le cas en l'espèce: le requérant appartenait à la catégorie B; il ne pouvait légalement se voir confier l'intérim d'un emploi de catégorie A.

    Mais, cette situation se prolongeant — elle a duré, en tout cas, jusqu'à l'ouverture de la présente procédure — le requérant estima avoir droit à être nommé en catégorie A, compte tenu, disait-il, à la fois du niveau des fonctions qu'en réalité il exerçait et de ses titres universitaires.

    Dès 1962 et à nouveau en 1963, il sollicita en ce sens le directeur général de l'administration et du personnel. Ses demandes furent écartées.

    Le requérant réitéra, en avril 1966, auprès du chef de l'établissement de Petten, sa demande de nomination en catégorie A. Il se déclarait prêt, s'il le fallait absolument, à subir les épreuves d'un concours interne.

    Il est constant, en effet, que l'accès d'un fonctionnaire à une carrière relevant d'une catégorie supérieure ne peut, en l'état de l'article 45, paragraphe 2, du statut, résulter que du succès à un concours ouvert en vue de pourvoir des emplois de cette catégorie.

    Le requérant, qui continuait donc à remplir des tâches de catégorie A, attendit plusieurs années encore avant de se porter candidat à deux concours internes organisés pour l'accès à des emplois de catégorie A.

    C'est ainsi qu'il se présenta au concours COM/A/264, ouvert en novembre 1971, puis au concours COM/576/70, ouvrant accès à un emploi d'administrateur du grade A 7/A 6 au Centre commun de recherches d'Ispra.

    Malheureusement, M. Van Reenen ne fut même pas déclaré admissible à subir les épreuves orales du premier concours. Le jury du deuxième concours refusa, par ailleurs, de l'inscrire sur la liste d'aptitude, le niveau de ses connaissances ayant été jugé insuffisant.

    En dépit de ses échecs, le requérant ne se tint pas pour battu; il demanda à nouveau, le 4 octobre 1972, sa nomination en catégorie A.

    Il ne fut d'abord fait aucune réponse à cette demande, et c'est seulement après une réclamation administrative, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure, que, près d'une année plus tard, enfin, une décision explicite de rejet lui fut opposée, au nom de la Commission, le 10 septembre 1973.

    Le 14 décembre suivant, M. Van Reenen saisit la Cour de justice d'un recours contentieux, qui contient deux ordres de conclusions, tendant :

    d'une part, à l'annulation de la décision de rejet et, par voie de conséquence, à ce que la Cour décide qu'il a droit à accéder à la catégorie A ;

    d'autre part, à la condamnation de la Commission à réparer le préjudice matériel et moral résultant du fait que la défenderesse aurait négligé d'assurer son classement en catégorie A depuis, à tout le moins, le 1er février 1970.

    Il invoque, sur ce terrain, la faute de service. Il se place donc sur le plan de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté, découlant d'une action ou d'une abstention illégale. Sans évaluer le montant du préjudice subi, il se borne, en l'état de ses premières conclusions, à demander l'octroi d'une indemnité provisionnelle de 200000 francs belges.

    Recevabilité

    A ce recours, la Commission a, tout d'abord, opposé une exception d'irrecevabilité, fondée sur les dispositions des articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires, introduites par le règlement no 1473/72 et applicables aux demandes et réclamations présentées après le 30 juin de cette même année.

    Pour la défenderesse, la demande initiale du requérant, formulée le 4 octobre 1972, a été rejetée par décision implicite, résultant du silence de l'administration et acquise à l'expiration d'un délai de quatre mois suivant la date de la demande.

    Ce délai a donc expiré le 5 février 1973 à minuit.

    Contre cette décision implicite de rejet, le requérant aurait dû, conformément à l'article 90 nouveau du statut, former auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination une réclamation dans un délai de trois mois, qui a commencé à courir le 6 février 1973.

    C'est donc le 6 mai, au plus tard, que la réclamation aurait dû être introduite.

    Or, si le requérant a bien formé une réclamation, celle-ci n'a été, selon ses propres affirmations, remise à son chef de service direct que le 9 mai 1973, donc trois jours après l'expiration du délai imparti par l'article 90.

    Passons sur la discussion qui s'est élevée entre les parties au sujet de la réalité, ou même de la probabilité de cette remise à cette date précise.

    A notre opinion, le système complique et formaliste des réclamations administratives préalables qu'organise l'article 90 du statut et la sanction d'irrecevabilité du recours contentieux qui s'attache, selon l'article 91, à la non-observation de cette procédure pré-contentieuse n'ont, en définitive, d'autre résultat que de retarder le règlement des litiges relatifs à la fonction publique communautaire.

    Que l'on retienne, ainsi d'ailleurs que l'a clairement montré l'agent de la Commission, la méthode de computation des délais fondés sur la date de remise de la réclamation par le fonctionnaire, ou la méthode qui tend à ne retenir que la date de réception de la demande, puis de la réclamation, par l'autorité compétente, il n'y a pas de doute qu'en l'espèce le requérant devrait être regardé comme forclos et que son recours devrait, en strict droit procédural, être rejeté comme non recevable.

    Ce n'est toutefois pas la solution que nous vous proposons de retenir. Nous avons estimé plus conforme à une bonne administration de la justice d'examiner l'affaire au fond.

    Cet examen nous ayant convaincu que le recours n'est pas fondé, nous vous suggérons de ne pas vous arrêter à la question de recevabilité et de vider définitivement le litige.

    Au reste, la Commission ne vous y invite-t-elle pas puisqu'elle a déclaré à la barre, par la voix de son représentant, s'en remettre à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la recevabilité ?

    Discussion au fond

    Il nous paraît superflu de retenir votre attention, Messieurs, sur le premier moyen invoqué dans le recours. Ce moyen est tiré d'un prétendu défaut de motivation de la décision attaquée.

    Deux interprétations seraient, à la rigueur, admissibles :

    Si le requérant entend s'en prendre à la décision implicite résultant du silence que l'administration a, tout d'abord, opposé à sa demande initiale, il est évident qu'un tel moyen est sans aucune portée. Le propre d'une décision implicite de rejet est de ne point comporter de motif. Mais, notons immédiatement que la requête ne comporte aucune conclusion tendant à l'annulation de cette décision implicite.

    Si, comme il faut, croyons-nous, le comprendre, le requérant fait grief à la décision expresse de la Commission, en date du 10 septembre 1973, il nous suffirait de relire cette décision pour démontrer qu'elle est motivée puisque, en rappelant au requérant que son échec au concours ne permet pas de le nommer dans la catégorie A, la Commission lui a manifestement opposé les dispositions, non équivoques, de l'article 45, paragraphe 2, du statut.

    Aussi bien le reconnaît-il lui-même dans son mémoire en réplique puisqu'il admet qu'il n'ignorait pas qu'il ne pouvait être nommé à l'issue du concours COM/576/70, car il ne possédait pas les connaissances de la législation italienne requises pour occuper un emploi d'administrateur à Ispra.

    Ainsi, d'une part, est-il patent que la décision attaquée n'était pas dépourvue de motivation; nous ajouterons même que cette motivation était légalement correcte. Ainsi, d'autre part, peut-on inférer de l'aveu du requérant qu'il a renoncé au moyen par lui invoqué dans se requête introductive d'instance.

    Mais, dans sa réplique, il invoque, pour la première fois, ce que l'on peut à peine appeler un moyen de droit; il soutient en effet que la décision du 10 septembre 1973 serait «inexistante» parce que la Commission n'aurait point fait réponse à certaines considérations ou arguments qu'il avait exposés dans sa demande initiale de 1972.

    Mais, Messieurs, il est à peine besoin de rappeler que la notion d'inexistence d'une décision administrative, à supposer d'ailleurs cette notion encore aujourd'hui acceptable, ne peut — à la limite — concerner que des actes entachés d'une illégalité manifeste et radicale, par exemple d'une incompétence absolue.

    Elle ne saurait, en tout cas, être utilement invoquée à l'encontre d'une décision dont la légalité est certes contestée, mais par des moyens qui ne sauraient mettre en cause son existence en tant qu'acte juridique.

    En second lieu, si le requérant fait grief à la Commission de n'avoir pas, dans sa réponse du 10 septembre 1973, répondu minutieusement et dans le détail à toutes les considérations qu'il avait développées dans sa demande, nous pensons que son argumentation est dépourvue de pertinence.

    Il est constant que l'objet de sa demande était sa nomination en catégorie A. A cela l'administration a répondu, par un refus certes, mais elle y a répondu.

    Elle a, comme on l'a vu, motivé ce refus. Mais elle n'était certes pas dans l'obligation de répondre point par point aux allégations et aux arguments du requérant. A lui seul, le rejet de la demande constitue une décision. Que le requérant en conteste la légalité, c'est son droit. Mais qu'il en soutienne l'inexistence ne nous paraît pas sérieux.

    Il convient d'ailleurs de rappeler que, précisément en ce qui concerne le statut des fonctionnaires, une décision implicite résultant du silence de l'administration sur une demande à elle adressée constitue bien une décision susceptible de recours, éventuellement annulable, mais certainement pas inexistante.

    Ajoutons d'ailleurs que le requérant n'a saisi la Cour d'aucune conclusion aux fins d'annulation de la décision implicite de rejet résultant du défaut de réponse à sa demande de 1972. La décision implicite est donc devenue définitive et, par suite, inattaquable.

    En définitive, la seule question en litige, Messieurs, est de savoir si M. Van Reenen peut invoquer un droit à une nomination directe et sans concours dans la catégorie A.

    Or, vous avez déjà tranche des questions de cette nature à plusieurs reprises. Votre jurisprudence est, sur ce point, solidement établie.

    Ainsi que nous avons eu l'occasion de l'exposer dans l'affaire 28-72, Tontodonati (arrêt du 12 juillet 1973, Recueil 1973-6, p. 779), il convient de distinguer deux problèmes :

    D'une part, chaque institution dispose du pouvoir d'organiser ses propres services, de les adapter aux besoins nouveaux, aux modifications susceptibles de survenir dans ses propres compétences, et de tenir compte également de l'évolution des techniques et de la gestion administrative. L'une des conséquences de ce pouvoir d'organisation interne est celle de modifier, selon la procédure prévue à cette fin, le classement de certains emplois lorsque les fonctions afférentes à ces emplois se trouvent, elles-mêmes, affectées par les modifications apportées à l'organisation du service ;

    D'autre part, se pose le problème des droits individuels que les fonctionnaires tiennent du statut par lequel ils sont régis.

    Ce statut confère incontestablement à tout fonctionnaire le droit d'exiger que les fonctions qui lui sont confiées correspondent à l'emploi qu'il occupe légalement aussi bien qu'au grade qu'il détient dans la hiérarchie (Labeyrie, affaire 16-67, arrêt du 11 juillet 1968, Recueil 1968, p. 445).

    Donc, le principe de la correspondance entre l'emploi et le grade a pour but essentiel d'assurer l'égalité de traitement entre les fonctionnaires (Boursin, affaire 102-63, arrêt du 17 décembre 1964, Recueil 1964, p. 1379).

    Mais, la circonstance qu'un fonctionnaire se trouve dans le cas d'assumer, même pour une durée prolongée, des fonctions relevant d'un emploi d'une catégorie supérieure ne lui confère aucun droit inconditionnel à être nommé dans cette catégorie.

    L'article 45, paragraphe 2, du statut subordonne, en effet, expressément l'accès à une catégorie supérieure à un concours.

    C'est d'ailleurs ce qu'a parfaitement admis le requérant puisqu'il a tenté, par deux fois, d'employer la voie du concours interne pour obtenir sa nomination dans un grade de la catégorie A. Il est certes très regrettable qu'il n'ait pu y réussir. Mais, le procédé du concours, quelques inconvénients et quelque part de chance qu'il comporte, constitue, dans beaucoup d'administrations nationales et en tout cas, nous le constatons, dans l'administration communautaire, le moyen de sélection sans doute le moins douteux et, en définitive, le plus impartial.

    Comme vous l'avez dit dans l'arrêt du 13 juillet 1973 : «Si l'administration ne peut exiger d'un fonctionnaire qu'il remplisse des tâches d'un niveau supérieur à son grade, le fait que le fonctionnaire accepte d'exercer des fonctions supérieures ne donne pas à l'intéressé le droit d'être reclassé».

    Nous vous engageons donc à confirmer cette solution qui fait une exacte et d'ailleurs nécessaire application du statut en vigueur.

    Il nous faut encore cependant, Messieurs, écarter des conclusions présentées — d'ailleurs à titre subsidiaire — dans le mémoire en réplique.

    Le requérant vous demande, en effet, d'enjoindre à la Commission d'organiser, dans son intérêt, un concours particulier, ainsi qu'elle s'y serait en quelque sorte engagée en publiant un avis de vacance COM 534/73.

    Il s'agit là non pas d'un moyen nouveau, mais véritablement d'une demande nouvelle, manifestement tardive et, par suite, certainement non recevable.

    Mais elle serait de toute manière vouée à l'échec sur la base de la jurisprudence qui ressort de l'arrêt rendu dans l'affaire Morina (affaire 11-65, Recueil 1965, p. 1260) aux termes duquel : «L'appréciation de l'opportunité ou de la nécessité d'organiser un concours est du ressort exclusif de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Dans ces conditions, la Cour ne saurait ordonner l'ouverture ou la réouverture d'un concours sans empiéter sur les prérogatives de l'autorité administrative».

    Enfin, sur les conclusions à fin d'indemnité présentées dans la requête introductive d'instance, nous pourrons être très bref.

    Elles sont, on l'a vu, fondées sur la faute de service qu'aurait commise la Commission en refusant ou en négligeant d'opérer le reclassement du requérant en catégorie A, et ce depuis le 1er février 1970.

    Cette demande d'indemnité, présentée pour la première fois dans le recours contentieux, n'a été précédée d'aucune demande ou réclamation administrative préalable. Elle serait, selon la Commission, irrecevable en vertu des articles 90 et 91 du statut. Nous serions porté à le penser également. Mais, pour notre part, nous ne retiendrons pas cette irrecevabilité.

    Car la faute de service invoquée résiderait, selon le requérant, dans l'abstention illégale de la Commission à laquelle celui-ci fait grief de n'avoir pas décidé son reclassement direct sans concours. Or, nous l'avons rappelé, un tel reclassement ne peut être légalement prononcé, en l'état de l'article 45, paragraphe 2, du statut, qu'après concours.

    Il en découle non seulement que l'administration n'avait nulle obligation d'opérer un reclassement direct et sans concours du requérant, mais que, si elle l'avait accepté, elle eût alors commis une illégalité et pris une décision susceptible d'être contestée par d'autres fonctionnaires, et particulièrement par ceux qui auraient vocation à occuper l'emploi de catégorie A dans lequel eût été nommé M. Van Reenen.

    C'est dire que le refus opposé à ce dernier ne peut engager la responsabilité de la Commission.

    Il en serait de même si le requérant entendait se fonder aussi sur le fait que la Commission n'a pas organisé de concours particulier puisque, sur ce terrain encore, nous avons dit que, selon votre propre jurisprudence, aucune obligation n'incombe à l'administration, seule juge de l'opportunité d'ouvrir un tel concours.

    Il nous paraît, dans ces conditions, inutile de discuter la réalité du préjudice allégué puisque le fondement même de toute responsabilité fait défaut.

    Nous concluons donc :

    au rejet de la requête ;

    à ce que, en vertu de l'article 70 du règlement de procédure, chacune des parties supporte ses propres dépens.

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