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Document 61973CC0152

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 5 décembre 1973.
Giovanni Maria Sotgiu contre Deutsche Bundespost.
Demande de décision préjudicielle: Bundesarbeitsgericht - Allemagne.
Égalité de traitement des travailleurs ressortissants des États membres.
Affaire 152-73.

Recueil de jurisprudence 1974 -00153

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1973:148

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 5 DÉCEMBRE 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

L'article 48 du traité instituant la Communauté économique européenne affirme le principe de la libre circulation des travailleurs à l'intérieur du marché commun; il en tire la conséquence que toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres doit être abolie en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

Toutefois, une exception est apportée par le paragraphe 4 de cet article dont les dispositions «ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique».

L'examen des questions préjudicielles dont vous êtes saisis, conformément à l'article 177 du traité, par le Bundesarbeitsgericht (tribunal fédéral du travail) de Kassel vous conduira — pour la première fois, à notre connaissance — à délimiter la portée de cette exception en vous prononçant sur le sens de l'expression «emplois dans l'administration publique».

Les faits qui ont donné lieu au litige porté devant le tribunal fédéral du travail sont simples.

Un ressortissant italien, M. Sotgiu, est employé comme travailleur qualifié par la Deutsche Bundespost à Stuttgart depuis 1955, tandis que sa famille continue de résider en Italie.

La rémunération de M. Sotgiu comprend, conformément à la convention collective applicable aux travailleurs des postes fédérales, une indemnité de séparation au taux journalier initialement unique de 7,50 DM.

Une circulaire du ministre de l'intérieur a fixé, à compter du 1er avril 1965, le taux de l'indemnité de séparation à 10 DM par jour au bénéfice des travailleurs affectés dans un lieu autre que leur domicile familial, lorsque ce domicile est situé sur le territoire de la République fédérale.

En revanche, les travailleurs dont le domicile habituel est situé à l'étranger ne peuvent prétendre qu'à une indemnité journalière de 7,50 DM. C'est le cas de M. Sotgiu qui, voyant dans cette disparité de taux une discrimination contraire à l'article 48 du traité et au règlement du Conseil du 15 octobre 1968 (no 1612/68) relatif à la libre circulation des travailleurs, a engagé une action judiciaire contre son employeur. Débouté en première instance puis en appel, le requérant au principal a formé un recours en révision devant le tribunal fédéral du travail qui vous demande, en premier lieu, si l'article 48, paragraphe 4, du traité doit être interprété comme excluant l'application de l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement du Conseil aux travailleurs migrants employés par les postes fédérales dans le cadre d'un contrat de travail de droit privé.

1 — Notion d'emploi dans l'administration publique au sens du droit communautaire

Ainsi qu'il ressort des motifs de l'ordonnance de renvoi, le juge allemand, après avoir relevé que le service des postes fait partie de l'administration fédérale soumise au droit de la fonction publique et dont l'activité a un caractère juridique souverain — en d'autres termes, exerce des prérogatives de puissance publique —, estime toutefois que seuls les agents de ce service qui ont la qualité de fonctionnaires publics occuperaient, au sens de l'article 48, paragraphe 4, du traité, des «emplois dans l'administration publique».

En revanche, les travailleurs des postes dont la situation est régie non par un statut de droit public, mais par un contrat de droit privé échapperaient à l'exception que comporte le paragraphe 4.

Le critère d'interprétation de cette disposition du traité ne résiderait donc ni dans la qualification juridique de l'employeur en tant qu'administration publique, ni dans la nature de la fonction exercée, mais dans la nature juridique du lien existant entre le préposé et le service employeur. S'il s'agit d'un lien de droit public, l'exception serait applicable; dans le cas contraire, si l'on se trouve en présence d'un contrat de droit privé, les dispositions du paragraphe 4 ne feraient pas obstacle à ce que le travailleur ressortissant d'un État membre bénéficie des droits que garantit aux migrants le règlement no 1612/68.

En vérité, il faut aborder la question de plus haut et rechercher quels peuvent être les systèmes d'interprétation de la disposition en cause au regard de l'esprit et des finalités du traité en matière de libre circulation des travailleurs.

Une première orientation, que retient le gouvernement de la République fédérale, est fondée sur le fait que la Communauté n'est pas elle-méme une organisation étatique mais repose sur les organisations étatiques des pays membres. La notion d'administration publique à laquelle se réfère, sans la définir autrement, l'article 48, paragraphe 4, ne pourrait être interprétée dès lors qu'en fonction de chacune des conceptions nationales. Il appartient à chaque État membre, d'une part, d'ériger en service public telle activité qu'il estime nécessaire à la satisfaction d'un besoin d'intérêt général, donc d'organiser comme il l'entend la structure de son administration; d'autre part, d'exiger, s'il l'estime nécessaire, que les emplois de cette administration soient réservés à ses nationaux, quelle que soit la nature des activités effectuées dans le cadre de tels emplois.

Cette conception éminemment respectueuse de la souveraineté de l'État ne se heurte à aucune objection particulière dans les rapports classiques du droit international interétatique. C'est ainsi que, selon l'article 13 de la Convention européenne d'établissement du 13 décembre 1955: «toute partie contractante peut réserver à ses nationaux les fonctions publiques et les activités concernant la sécurité ou la défense nationales ou en subordonner l'exercice par des ressortissants étrangers à des conditions spéciales».

L'appréciation de cette faculté — et, par voie de conséquence, la définition de ce qu'il convient d'entendre par «fonction publique» — est faite aux termes de la section I du protocole annexé à la convention «selon des critères nationaux».

Mais, outre que l'article 48, paragraphe 4, ne renvoie pas à de tels critères nationaux pour la définition de la notion d'administration publique, il existe de sérieuses raisons de douter qu'eu égard aux objectifs et à l'esprit de la Communauté économique européenne une telle interprétation, fondée sur la prééminence de la souveraineté des États, puisse être retenue.

Sans méconnaître le fait que chacun des États membres demeure — en principe — maître d'organiser son administration ou celle de ses collectivités décentralisées, il faut relever que, dans les domaines où des compétences propres ont été transférées aux organes communautaires, la primauté, l'effet direct et la nécessité d'une application uniforme des règles édictées par ces organes ne peuvent s'accommoder de critères d'interprétation qui permettraient à chacun des États membres de façonner à son gré, c'est-à-dire d'étendre ou de restreindre, la portée de ces normes communautaires.

Vous avez, à cet égard, trop souvent et trop constamment fait prévaloir ces principes pour qu'il soit utile de s'y étendre.

C'est là ce qui différencie substantiellement le traité de Rome, instrument d'intégration sur le plan économique et social, et les conventions du droit international classique.

D'une part, la mise en œuvre du principe de la libre circulation des travailleurs ressortit indubitablement au domaine des compétences communautaires, ainsi que le montre d'ailleurs le pouvoir conféré par l'article 49 au Conseil d'arrêter, par voie de directives ou de règlements, les mesures nécessaires en vue de réaliser l'application effective de ce principe.

D'autre part, la libre circulation devant être regardée comme une des libertés fondamentales garanties par le traité aux travailleurs des États membres, l'exception qui résulte du paragraphe 4 de l'article 48 nous paraît devoir être interprétée à la fois strictement et d'une manière uniforme dans chacun de ces États, ce qui exclut qu'on puisse, à cette fin, se référer à des critères nationaux.

Quel serait en effet le contenu de la liberté de circulation s'il dépendait d'un État de déclencher, en quelque sorte automatiquement, l'exception du paragraphe 4 en confiant à une administration publique, au sens de son droit interne, le soin d'assurer telle activité qui lui paraîtrait répondre à une mission d'intérêt général?

Tout État a certes le pouvoir de délimiter le champ d'action de son administration, de prendre en charge soit directement, soit par l'intermédiaire d'organismes décentralisés de droit public des activités qui, ailleurs, sont laissées à l'initiative privée. En cela, il fait prévaloir sa propre conception de l'intervention de la puissance publique dans la vie de la nation. Mais, comme membre de la Communauté, il ne peut dépendre de lui de restreindre, de ce fait, la portée réelle du principe de libre circulation des travailleurs.

Nous rejoignons dès lors, l'opinion de la Commission, selon laquelle la notion d'emploi dans l'administration publique doit recevoir une définition communautaire, autonome, indifférente à des critères nationaux variables qui dépendent de la conception que chaque État a de ses missions et de la structure des organes chargés de les assumer.

C'est à votre Cour qu'il revient de dégager, s'il est possible, une telle définition.

Le texte même étant de peu de secours, c'est d'abord dans les intentions des auteurs du traité qu'il faut en rechercher la «ratio». Nul doute qu'ils aient entendu, par l'exception du paragraphe 4, permettre aux États de réserver à leurs ressortissants ceux des emplois publics qui mettent leurs titulaires en situation de participer directement à l'exercice de l'autorité publique ou de faire usage de prérogatives de puissance publique à l'égard des administrés. C'est en ce sens que l'on peut dire que l'expression «administration publique» implique un pouvoir directement exercé pas l'État. La seule participation à un service public ne suffirait pas pour exclure un emploi du champ d'application de l'article 48 (Mégret, Le droit de la Communauté européenne, Vol. 3, p. 6). Cette interprétation restrictive est également retenue par la plupart des commentateurs du traité.

Certes, dans une résolution adoptée le 17 janvier 1972, le Parlament européen constate, tout d'abord, que «l'article 48, paragraphe 4, peut être appliqué à tout emploi considéré par un État membre comme relevant de son administration, quel que soit le contenu des activités effectuées dans le cadre de cet emploi». A elle seule, cette constatation semble faire prévaloir une interprétation fondée sur la volonté des États.

Mais le Parlement ajoute que «le but présumé du paragraphe 4 est essentiellement de permettre aux États de réserver à leurs nationaux l'exercice effectif de l'autorité publique …» et émet le vœu que l'application de l'exception soit limitée aux seuls emplois qui comportent l'exercice de cette autorité. Son avis rejoint donc, en définitive, la thèse soutenue par la majorité de la doctrine.

Aussi bien, dans un domaine voisin de celui qui nous occupe, celui du droit d'établissement qui comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, l'article 55 réserve-t-il expressément les activités indépendantes ou libérales qui «participent, dans un État, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique».

Sans aller jusqu'à assimiler cette disposition à celle de l'article 48, paragraphe 4, qui ne vise que les emplois de l'administration publique, il reste que les deux clauses d'exception procèdent de motifs analogues.

Nous serions donc porté à vous suggérer une interprétation fondée sur l'idée de participation à l'autorité publique.

Toutefois, à vouloir étroitement limiter le sens de la notion d'administration publique en la liant ainsi exclusivement à celle d'autorité de l'État, on méconnaîtrait le fait que, dans tout État moderne, nombre de fonctions ne comportant pas l'usage direct de prérogatives exorbitantes du droit commun ne doivent pas moins, pour des motifs de sécurité intérieure ou de défense par exemple, être réservées aux nationaux.

C'est dire les difficultés qui surgissent lorsqu'on tente de construire une définition précise et limitative de la notion. Il faut se résigner à cheminer par approches successives et éviter, croyons-nous, de retenir une fois pour toutes une interprétation trop rigide.

Ne constatons-nous pas d'ailleurs combien, d'un État à l'autre, les modes d'exercice de l'autorité publique diffèrent, selon que l'administration est ou non soumise à un régime de droit public, exorbitant du droit commun, selon également le degré et les formes de l'intervention de l'État?

Il faut donc tout à la fois échapper aux divergences et aux contradictions que recèlerait une interprétation fondeé sur des critères tirés du droit interne, mais aussi s'efforcer de ne point figer la notion dans une définition trop étroite qui se révèlerait d'application malaisée à es situations fort diverses.

On pourrait certes faire appel à l'idée d'administration classique, inhérente à l'«État — puissance publique», en retenant que, dans toute organisation étatique, les missions de justice, de police, de défense, celle aussi qui consiste à déterminer et à recouvrer les impôts, par exemple, relèvent, au premier chef, de la notion d'administration publique, par opposition aux attributions des services publics industriels et commerciaux, chargés de fournir des prestations à la population, gérés le plus souvent, dans les conditions du droit privé et qui, ainsi, échapperaient à la définition.

Mais qui n'aperçoit qu'il existe, entre ces deux extrêmes, nombre de situations intermédiaires?

Le service postal en offre précisément un exemple. S'il est, dans la plupart des pays, assuré par une administration étatique, s'il est soumis aux règles de la gestion publique, s'il est dominé par le principe du secret des correspondances, il n'en recèle pas moins d'importants aspects de service commercial et de gestion privée et dispose souvent, comme c'est le cas en République fédérale, de l'autonomie financière.

Que son personnel comprenne des fonctionnaires au sens stria du terme n'empêche pas qu'il emploie, au niveau des tâches techniques ou de pure exécution, nombre d'ouvriers et d'employés dont les attributions ne permettent pas de les distinguer de leurs homologues des entreprises privées. Ils occupent en effet des emplois qui, tout en appartenant à une administration publique, ne mettent pas en cause les intérêts nationaux à raison desquels l'exception de l'article 48, paragraphe 4, a été prévue.

Les conditions juridiques dans lesquelles est géré le service en cause ne sont donc pas, à elles seules, déterminantes.

Quant à la nature du lien juridique existant entre l'agent et l'administration qui l'emploie, elle ne nous paraît, en aucune manière, fournir la base d'un critère décisif pour l'application du droit communautaire.

Dans les États comme la republique fédérale d'Allemagne et la France existe un droit administratif autonome caractérisé notamment par le pouvoir de l'administration de prendre des décisions exécutoires et de faire usage de prérogatives de puissance publique. La distinction entre, d'une part, les fonctionnaires soumis à un statut et placés, vis-à-vis de l'administration, dans une situation légale et réglementaire et, d'autre part, les agents des services publics à caractère industriel ou commercial dont les relations avec leur employeur sont régies par des contrats de travail de droit privé a un sens en ce que la nature juridique du lien de travail détermine l'ordre de juridiction compétent pour connaître des litiges qui les concernent et entraîne d'ailleurs d'importantes conséquences sur le fond du droit.

En revanche, cette distinction nous paraît sans portée réelle au regard de l'article 48 du traité de Rome. En effet, s'il est possible de présumer que l'exception prévue à l'article 4 de ce texte devrait, en principe, s'appliquer aux fonctionnaires parce que ceux-ci sont habituellement chargés de tâches oui relèvent, plus ou moins directement, des intérêts nationaux, il arrive que des agents recrutés sous contrat de droit privé se voient confier des attributions qui touchent à l'exercice même de l'autorité publique. Ainsi a-t-il été précisé que le délégué fédéral allemand à l'industrie charbonnière est un agent contractuel de droit privé, bien qu'il dispose de pouvoirs de décision qui procèdent manifestement de l'autorité de l'État.

En sens inverse, dira-t-on qu'un agent d'entretien ou un conducteur d'automobile occupant un poste de fonctionnaire titulaire dans une administration centrale accomplit, du seul fait qu'il est régi par un statut, des tâches mettant en cause les intérêts de l'Eut ou les prérogatives de la puissance publique?

On voit donc que, pour l'interprétation de l'article 48, paragraphe 4, la notion d'emplois dans l'administration publique ne peut être définie en fonction de la situation juridique du titulaire de l'emploi.

Une interprétation communautaire de nature à permettre une application uniforme de l'exception prévue par cette disposition exige donc de recourir à des critères matériels tirés des attributions que comporte l'emploi occupé dans l'administration et des activités réellement exercées par le titulaire de cet emploi.

L'exception ne sera alors opposable que si celui-ci détient un pouvoir de décision à l'égard des particuliers ou si son activité met en cause des intérêts nationaux et, au premier chef, ceux qui touchent à la sécurité intérieure ou extérieure de l'État.

Mais c'est au juge national qu'il appartient, dès lors, de faire application de ces critères aux cas d'espèce qui lui sont soumis.

II — Nature de l'indemnité de séparation

La deuxième question posée par le tribunal fédéral du travail a trait à l'interprétation de l'article 7 du règlement 1612/68. Le juge allemand vous demande si l'indemnité de séparation payée complémentairement au salaire fait partie des conditions de travail visées par ce texte et, en particulier, par son paragraphe Ier.

Cette disposition tend, vous le savez, à assurer l'égalité de traitement entre travailleurs communautaires et travailleurs nationaux en ce qui concerne tant l'accès aux emplois offerts que les conditions de travail, notamment en matière de rémunération, mais aussi, d'une manière plus générale, quant à l'ensemble des éléments qui caractérisent la condition du travailleur sur le plan social.

Nous n'aurions guère d'hésitation, Messieurs, à admettre que l'indemnité de séparation prévue par la convention collective du 6 janvier 1955 applicable aux travailleurs des postes fédérales, à laquelle se réfère le contrat de travail écrit, passé entre le requérant au principal et l'administration des postes, constitue un complément forfaitaire de rémunération destiné à compenser les frais de toute nature qu'entraîne l'existence d'une double résidence, familiale et professionnelle.

Toutefois, ne serait-ce pas empiéter sur la compétence du juge national de retenir ainsi une qualification juridique de cette indemnité instituée par la loi fédérale du 8 avril 1964 sur les frais de déménagement et adaptée par la convention collective à la situation des employés des postes?

Quoi qu'il en soit, les directives jurisprudentielles qui se dégagent de vos arrêts du 15 octobre 1969 (affaire 15-69, Ugliola, Recueil, 1969, p. 369) et du 13 décembre 1972 (affaire 44-72, Marsman, Recueil, 1972, p. 1248) permettent de considérer que le versement d'une indemnité de séparation fait, à coup sur, partie des «conditions de travail», au sens le plus large de cette expression.

La réponse à la deuxième question doit donc être affirmative.

III — Discrimination en fonction du domicile

Tant l'article 48, paragraphe 2, du traité que l'article 7 du règlement du Conseil no 1612/68 interdisent, dans le domaine des conditions d'emploi et de travail, toute discrimination fondée sur la nationalité. Ces prescriptions sont aisément applicables lorsque la disparité de traitement procède expressément et directement d'une clause de nationalité.

Mais, la discrimination peut être dissimulée ou déguiseé. C'est le cas notamment lorsque, sans viser la nationalité, la loi ou la réglementation interne subordonne le bénéfice de prestations ou d'avantages liés à l'emploi à des critères tenant, par exemple, à l'origine, au lieu de naissance ou à la résidence habituelle sur le territoire national, de telle manière qu'en fait le bénéfice de ces avantages soit réservé aux nationaux et ne puisse, sauf exception, profiter aux travailleurs ressortissants des autres États membres.

Ne doit-on pas, en de tels cas, allant au-delà des apparences, sanctionner une violation de l'égalité de traitement qui peut être comparée à un véritable détournement de pouvoir au sens du droit communautaire?

C'est ce que prescrit, dans le domaine de l'accès à l'emploi et de son exercice, l'article 3 du règlement no 1612/68 en déclarant inapplicables les dispositions ou pratiques nationales qui, «bien qu'applicables sans acception de nationalité, ont pour but ou effet exclusif ou principal d'écarter les ressortissants des autres États membres de l'emploi offert» et son article 7, paragraphe 4, en déclarant nulle de plein droit toute clause de convention collective ou individuelle «dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres».

Car telle est bien la portée de la troisième et dernière question que vous soumet le tribunal fédéral du travail. Il vous demande en effet si l'article 7, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1612/68 doit être interprété dans ce sens qu'il interdit non seulement de traiter différemment un travailleur du fait qu'il est ressortissant d'un autre État membre, mais encore interdit de le traiter différemment du fait que son domicile est situé sur le territoire d'un autre État membre.

Dans l'abstrait, une réponse positive s'impose, à la condition que le critère de distinction dont dépend l'octroi de l'avantage envisagé ait pour conséquence effective de défavoriser les travailleurs communautaires par rapport aux nationaux.

A cet égard, l'exigence de la résidence sur le territoire du pays d'accueil peut être un facteur de discrimination, ainsi que vous l'avez jugé par votre arrêt du 13 décembre 1972 (affaire 44-72, Marsman, déjà cité) à propos du bénéfice de conditions spéciales de licenciement prévues par la législation allemande et dont un travailleur néerlandais handicapé n'avait pu bénéficier parce que, bien que travaillant en République fédérale, il n'y résidait pas.

Mais, dans cette affaire, la condition de résidence n'était exigée que pour les étrangers.

La question que nous examinons aujourd'hui se présente dans des conditions différentes.

Aux termes de la circulaire du 31 mars 1965, émanant du ministre de l'intérieur:

paragraphe 1er:

«les fonctionnaires qui ont été nommés à un autre endroit que celui de leur domicile habituel de leur pays - c'est-à-dire en Allemagne fédérale — perçoivent une indemnité de séparation identique, quant aux conditions de son octroi et quant à son taux, à celle que perçoivent les fonctionnaires déplacés pour raison de service»;

paragraphe 2:

«le fonctionnaire dont le domicile habituel se trouve à l'étranger peut, dans des circonstances particulières et avec l'accord de l'autorité supérieure, se voir octroyer une indemnité de séparation au titre du paragraphe 1 er lorsque l'octroi de cette indemnité présente un intérêt pour le service».

A la même date, le ministre a fixé le taux de l'indemnité de séparation, dans le premier cas à 10 DM par jour; dans le second cas, le montant de l'indemnité journalière versée au travailleur dont le domicile était situé à l'étranger demeure fixé à 7,50 DM.

La convention collective des travailleurs des postes fédérales, à laquelle se réfère le contrat de travail conclu entre le requérant au principal et l'administration des postes, a repris ces dispositions.

Il ressort, d'autre part, des motifs de l'ordonnance de renvoi du tribunal fédéral du travail que le régime de l'indemnité de séparation, prévu pour les travailleurs ayant, lors de leur recrutement, leur domicile habituel à l'étranger et qui ont conservé ce domicile, s'applique indifféremment aux ressortissants allemands et aux ressortissants étrangers.

Enfin, les travailleurs affectés, lors de leur nomination, dans un lieu autre que celui de leur domicile habituel en Allemagne ont, comme les travailleurs mutés d'office dans l'intérêt du service, l'obligation de rechercher un nouveau domicile à proximité du lieu de travail; en conséquence, ils cessent de percevoir l'indemnité de séparation dès qu'ils ont satisfait à cette obligation de déménager et, au plus tard, deux ans après leur recrutement.

Au contraire, ceux qui ont été recrutés alors que leur domicile habituel était fixé à l'étranger ne sont pas soumis à cette obligation de déménagement et peuvent continuer à percevoir l'indemnité de séparation pendant toute la durée de leur engagement.

Comme on le voit, il s'agit là de deux régimes distincts correspondant à des situations différentes. Or, le traitement différent de situations non comparables ne permet pas de conclure nécessairement à l'existence d'une discrimination (arrêt du 17 juillet 1963, affaire 13-63, Gouvernement italien contre Commission, Recueil 1963, p. 360).

Ainsi que le disait l'avocat général Lagrange à propos de cette dernière affaire: «la conception de relativité qui imprègne le principe de non-discrimination a un caractère général; on la retrouve, par exemple, dans le domaine social …» (cf. également arrêt du 13 juin 1972, affaires jointes 9 et 11-71, Cie d'Approvisionnement contre Commission, Recueil, 1972, p. 392).

Bien que, dans la généralité des cas, le régime indemnitaire fondé sur l'existence d'un domicile habituel à l'étranger ne s'applique, en fait, qu'aux ressortissants étrangers, cette circonstance ne suffit pas à démontrer l'existence d'une discrimination interdite par le droit communautaire.

Dans la mesure où ce régime assure à certains migrants le bénéfice de l'indemnité de séparation de manière quasi permanente, sans obligation de transférer leur domicile familial au lieu de travail, il leur confère au contraire un certain avantage par rapport aux travailleurs allemands ou étrangers dont le domicile, lors de leur recrutement, était fixé en territoire allemand.

Nous ne serions donc pas éloigné de penser que ce régime, qui apporte une solution équitable à la situation des travailleurs migrants qui, pour des motifs familiaux, n'ont pas transféré leur domicile habituel en Allemagne, ne recouvre aucune discrimination de droit ou de fait.

Toutefois, il ne vous sera pas nécessaire de prendre parti sur ce point.

A la question posée, il vous suffira de répondre que, si une violation de l'égalité de traitement prévue par l'article 48, paragraphe 2, et par l'article 7, paragraphe 1, du règlement no 1612/68 peut résulter d'une réglementation nationale qui opérerait, en ce qui concerne les conditions de travail, une distinction fondée, non sur la nationalité, mais sur le lieu du domicile du travailleur lors de son engagement, à la condition qu'en fait il résulte d'une telle réglementation que les travailleurs ressortissants des autres États membres soient défavorisés par rapport aux travailleurs nationaux, il appartient, toutefois, au juge national d'apprécier si la réglementation en cause entraîne une telle discrimination ou si, au contraire, la différence de traitement est objectivement justifiée par des considérations de nature non discriminatoire.

Nous concluons à ce que vous répondiez aux questions posées par le tribunal fédéral du travail dans le sens que nous avons indiqué.

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