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Document 61972CC0051

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 14 mars 1973.
Marie Noé-Dannwerth contre Parlement européen.
Affaire 51-72.

Recueil de jurisprudence 1973 -00433

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1973:29

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 14 MARS 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Les faits

Mme Maria Noé-Dannwerth, entrée au service du Parlement européen en février 1963 comme agent auxiliaire, fut titularisée quelques mois plus tard, dans les fonctions de secrétaire sténo-dactylographe, au grade C 3. Elle les exerça effectivement et de manière, semble-t-il, satisfaisante pendant trois années environ. Elle fut d'ailleurs promue au grade C 2 le 17 novembre 1966.

Mais, à partir de 1967, elle interrompit de plus en plus fréquemment son service pour cause de maladie. En fait, elle se révéla, pendant plus de trente mois, hors d'état d'assurer normalement ses fonctions.

C'est pourquoi, le 4 août 1969, le secrétaire général du Parlement décida de saisir de son cas la commission d'invalidité en vue d'être éclairé sur l'état de santé de ce fonctionnaire et de faire apprécier si elle était ou non capable d'exercer son activité.

Cette commission estima que l'affection ostéoarriculaire dont elle reconnut Mme Noé atteinte ne pouvait, en l'absence d'autres affections organiques, justifier une proposition de retraite anticipée; elle émit le 29 décembre 1969 à l'unanimité de ses membres, parmi lesquels le médecin désigné par la requérante, l'avis que Mme Noé n'était atteinte d'aucune invalidité permanente de nature à l'empêcher d'exercer ses fonctions de secrétaire sténo-dactylographe.

En présence de telles conclusions, l'administration invita, par lettre du 26 janvier 1970, Mme Noé à reprendre son travail. Celle-ci s'y refusa en contestant le rapport de la commission d'invalidité; elle demanda un nouvel examen par une clinique universitaire allemande.

Le Parlement rejeta cette demande et confirma sa décision en donnant à Mme Noé un délai, expirant le 2 février 1970, pour reprendre ses fonctions, faute de quoi elle serait déclarée en état d'absence irrégulière et se verrait appliquer les dispositions de l'article 60 du statut des fonctionnaires qui prévoit en pareil cas la perte du droit à rémunération.

Cet avertissement resta sans effet.

L'intéressée, persistant à affirmer qu'elle se trouvait dans l'incapacité totale de travailler, adressa le 2 février au Parlement un certificat de son médecin, le Dr Marx-Molitor, attestant qu'elle n'était toujours pas en état de reprendre son activité.

L'administration, tenant pour acquis l'avis de la commission d'invalidité, refusa de prendre en considération ce document et précisa qu'elle n'accepterait plus, désormais, de nouveau certificat médical faisant état de la même affection. Enfin, elle confirma son intention de suspendre la rémunération de M me Noé si, le 26 février, celle-ci n'avait pas rejoint son poste.

Mais à cette date, la requérante, qui s'était rendue à Cologne, fit parvenir au Parlement un certificat, délivré par un Dr Remmlinger, faisant état d'une incapacité de service de 15 jours pour cause de grippe. Elle demandait, par ce motif, l'autorisation de rester à Cologne jusqu'à la fin de cette maladie. Cette autorisation lui fut refusée; elle fut, au contraire, invitée à rentrer à Luxembourg; toutefois, l'administration admit que, pour la durée de l'affection passagère dont elle était atteinte, la suspension de traitement annoncée ne serait pas appliquée.

Le 16 mars, soit après le terme de l'incapacité temporaire prévue par le Dr Remmlinger, Mme Noé protesta de sa bonne volonté et se déclara décidée à reprendre son activité, dès qu'elle serait en état de le faire.

Il n'en fut rien.

Le Dr Dennewald, médecin-conseil du Parlement européen, ayant prié le directeur du service de santé de la ville de Cologne de faire examiner la requérante, on apprit alors que celle-ci était rentrée à Luxembourg avant que cet examen ait pu avoir lieu. Mais elle n'avait pas pour autant rejoint son poste.

Elle se soumit cependant à un examen de contrôle du médecin-conseil du Parlement qui constata, le 16 avril 1970, qu'elle n'était pas encore complètement rétablie mais émit l'avis qu'à partir du 1er mai son état de santé serait compatible avec un travail léger, non fatigant.

La requérante se présenta effectivement à son service au premier jour ouvrable suivant cette date, soit le 4 mai; sa reprise de service fut de bien courte durée puisque, dès le lendemain, elle ne réapparut point, sans prendre la peine de justifier sa nouvelle absence.

C'est en vain que, le 15 mai, l'administration lui demanda de s'en expliquer.

Il fallut attendre le 7 juin pour que Mme Noé, répondant à une nouvelle mise en demeure de reprendre son service, se déclarât incapable d'effectuer même un travail de bureau léger. Elle demandait, au surplus, un congé de quatre jours en vue de se rendre à Cologne pour y consulter un médecin spécialiste.

C'est alors que, par lettre du 18 juin 1970, le directeur général de l'administration du Parlement européen, lui notifiant le rejet de cette demande, lui fit savoir que les quatre journées du 8 au 12 juin seraient imputées d'office sur son congé annuel qui serait ainsi épuisé à la date du 13 juin; qu'en conséquence, à partir du lundi 15 juin, et pour la durée de son absence, elle perdrait le bénéfice de sa rémunération.

En fait, dès avant réception de cette lettre, la requérante avait quitté Luxembourg, non pour Cologne, comme elle avait déclaré en avoir l'intention, mais pour l'Espagne. Elle avait trouvé accueil auprès de sa famille aux environs de Madrid et c'est de Madrid que, le 16 juin, sa belle-sœur informa le Parlement que Mme Noé, à nouveau malade, mais cette fois atteinte de troubles dépressifs, continuerait à séjourner chez ses parents jusqu'à son rétablissement.

Dès qu'elle reçut cette information, l'administration du Parlement invita par télégramme, le 22 juin, la requérante à se présenter au contrôle médical à Luxembourg.

Celle-ci ne déféra pas à cette instruction. Elle fit proposer un examen de contrôle par les soins des médecins-conseils de l'ambassade d'Allemagne à Madrid. Dès lors, le Parlement confirma, le 9 juillet, qu'il considérait Mme Noé en état d'absence irrégulière, conformément aux dispositions de l'article 60 du statut et que, par suite, son traitement demeurait suspendu aussi longtemps qu'elle n'aurait pas régularisé sa situation, ainsi qu'elle en avait déjà été informée par le directeur général de l'administration.

Dès ce moment, l'administration s'en tint à cette position. Ni les protestations de Mme Noé, ni ses demandes de paiement de traitement, ni les certificats médicaux qu'elle lui adressa ne l'en firent changer.

C'est seulement à l'automne suivant que Mme Noé, de retour à Luxembourg, accepta de se soumettre au contrôle médical dont avait été chargé le Dr Dennewald. Après avoir appelé en consultation un autre praticien, le médecin-conseil conclut que l'intéressée était atteinte d'une invalidité partielle au taux de 30 % et qu'elle pouvait exécuter des travaux légers de bureau. Ce nouvel examen confirmait donc, en substance, l'appréciation qu'il avait portée, six mois plus tôt, sur l'état de santé et la capacité de travail de la requérante qui fut, de ce fait, informée, le 18 novembre, par l'administration que sa situation ne serait régularisée qu'à la condition qu'elle reprenne son travail.

Ce à quoi elle se refusa, persistant, de son côté, à nier qu'elle fût capable d'aucune activité professionnelle. Elle étaya ses dires en adressant, le 3 février 1971, au Parlement deux certificats médicaux: l'un du 12 décembre 1970, émanant du Dr Collier, la déclarant totalement inapte pour une durée indéterminée; le second, signé par le Dr Schumacher le 6 janvier 1971, attestant une incapacité partielle de 60 %.

Plus d'un an s'était ainsi écoulé depuis l'avis émis par la commission d'invalidité réunie en 1969. L'administration et Mme Noé, bloquées sur leurs positions respectives irréductiblement opposées, étaient engagées dans un conflit apparemment sans issue. Il fallait trouver le moyen de sortir de cette situation.

Le directeur général de l'administration du Parlement se résolut à proposer de soumettre pour la deuxième fois le cas de la requérante à la commission d'invalidité, sur la base des deux derniers certificats médicaux que celle-ci avait produits.

La procédure fut engagée le 11 février 1971. Après des difficultés survenues au sujet du choix de l'un de ses membres, cette commission, enfin régulièrement constituée, conclut, le 6 septembre 1971, après un examen clinique et au vu des documents médicaux versés au dossier, à l'invalidité totale et permanente de Mme Noé-Dannwerth.

Par décision du 17 septembre suivant, prise sur la base de cette constatation, le secrétaire général du Parlement admit la requérante au bénéfice d'une pension d'invalidité avec effet du 1er octobre 1971, soit, conformément à l'article 14 de l'annexe VIII du statut, du premier jour du mois civil suivant la constatation de l'invalidité.

Cette décision fut notifiée le 11 octobre à la requérante. L'administration lui précisa, à cette occasion, qu'elle lui reconnaissait droit à traitement à compter du 6 septembre 1971, date à laquelle la commission d'invalidité s'était prononcée, jusqu'au 1er octobre suivant, date de sa mise à la retraite pour invalidité.

Elle lui fit savoir en second lieu qu'elle devrait supporter, conformément à l'article 8 de l'annexe II du statut, la partie des honoraires dûs au Dr Schumacher (médecin de Cologne désigné par Mme Noé pour siéger à la commission d'invalidité) excédant le montant des honoraires fixés pour les deux autres médecins luxembourgeois, membres de cette commission.

Enfin, par lettre du 22 octobre 1971, l'administration admit qu'en ce qui concerne le droit au traitement la situation de la requérante devait être considérée comme régularisée rétroactivement à compter du 12 décembre 1970, date du certificat par elle produit du Dr Collier la déclarant totalement inapte au travail, puisque ce certificat n'avait pas été contesté par l'Administration.

Ainsi, Mme Noé n'a-t-elle en définitive été privée de sa rémunération que pendant la période du 15 juin au 12 décembre 1970.

Elle ne s'en estima pas moins lésée et réclama, le 7 décembre 1971, au directeur général de l'administration :

d'une part, la restitution de la rémunération afférente à cette période de suspension,

d'autre part, le remboursement des frais médicaux exposés au cours de cette même période,

enfin, la prise en charge par l'administration de la totalité des honoraires dus au Dr Schumacher.

Ces trois demandes ont été rejetées le 7 janvier 1972 par le directeur général de l'Administration.

Le 23 mars, soit moins de trois mois plus tard, le conseil de Mme Noé adressa au directeur général une lettre par laquelle, reprenant les deux premières demandes de sa cliente, il lui demandait expressément de revenir sur sa décision, tant en ce qui concerne le paiement de la rémunération qu'il affirmait légalement due à sa cliente depuis le 15 juin 1970 qu'en ce qui touche le droit au remboursement des frais de maladie.

Il ajoutait qu'en vertu de l'article 76 du statut Mme Noé aurait dû bénéficier d'une aide de l'administration, les dépenses occasionnées par sa maladie ayant notablement excédé ses facultés financières.

Le directeur général de l'administration a répondu, le 19 mai 1972, n'avoir trouvé dans cette intervention aucun élément nouveau qui lui permît de revenir sur sa lettre du 7 janvier. Il attirait au surplus l'attention sur le fait que la décision portant suspension de traitement de la requérante avait été prise dès le 18 juin 1970.

II — Discussion

Tels sont, Messieurs, les faits sur la base desquels la Cour a été saisie, le 17 juillet 1972, d'une requête dans laquelle on peut distinguer quatre ordres de conclusions :

les premières tendent à ce que vous décidiez que la requérante avait légalement droit à sa rémunération entre le 15 juin et le 12 décembre 1970 ;

la seconde catégorie de conclusions tend à l'admission du droit à remboursement des frais médicaux exposés par Mme Noé pendant la même période ;

en troisième lieu, la requérante vous demande de juger que l'administration a failli au devoir légal d'assistance que lui imposerait l'article 76 du statut à l'égard de tout fonctionnaire se trouvant dans une situation particulièrement difficile, notamment par suite d'une maladie grave ou prolongée ;

quant aux conclusions tendant à ce que le Parlement européen prenne en charge la totalité des honoraires du médecin désigné par la requérante comme membre de la commission d'invalidité, elles ont été expressément abandonnées en cours d'instance. Vous n'aurez donc pas à y statuer.

1. Droit à traitement pour la période du 15 juin au 12 décembre 1970

Les premières de ces conclusions posent essentiellement une question de recevabilité.

Pour la requérante, la lettre du directeur général de l'administration, en date du 18 juin 1970, aurait le caractère d'une simple information; elle ne constituerait pas un acte faisant grief au sens du statut. Cette lettre n'indiquerait pas les motifs de la suspension de traitement; aussi bien, elle émanerait d'une autorité incompétente, le règlement intérieur du Parlement n'ayant conféré au directeur général de l'administration qu'une délégation de pouvoirs d'ordre purement administratif qui ne couvrirait pas un acte aussi grave, par sa nature et par ses conséquences, que la mesure qui consiste à priver un fonctionnaire de sa rémunération. Enfin, cette prétendue décision aurait fait l'objet d'une notification irrégulière, par simple lettre non recommandée et sans accusé de réception.

A cette argumentation, l'institution défenderesse rétorque que la lettre du 18 juin 1970 contenait une véritable décision, motivée par le rappel des circonstances de fait dans lesquelles la requérante a perdu son droit rémunération; que, d'ailleurs, cette conséquence résultait, en vertu de l'article 60 du statut, de la seule constatation de l'état d'absence irrégulière dans lequel elle s'était elle-même placée; que, dès lors, le directeur général s'étant borné à opérer cette constatation, sa compétence ne pourrait être contestée; qu'au surplus, la notification d'une décision prise en application de l'article 60 n'est soumise à aucun formalisme particulier.

Il est nécessaire, Messieurs, de clarifier ce débat dans lequel la requérante invoque tout à la fois des arguments touchant à la recevabilité et des moyens de légalité :

La question déterminante est celle de la nature réelle de la lettre du 18 juin 1970. Constitue-t-elle une décision faisant grief? Auquel cas, faute d'avoir été attaquée en temps utile, elle est devenue définitive et les conclusions dirigées contre cette décision sont irrecevables. Ne serait-elle en revanche qu'une simple information, qu'une mesure préparatoire? Si cela est exact, elle n'a pu faire courir le délai du recours contentieux; il convient alors de se demander quel est l'acte par lequel la requérante a été privée de son traitement: serait-ce la lettre du directeur général en date du 22 octobre 1971 qui, en rétablissant Mme Noé dans son droit à rémunération à compter du 12 décembre 1970 seulement, a laissé subsister les effets de la suspension de traitement du 15 juin jusqu'à cette dernière date, ou bien seulement le refus opposé à sa demande du 7 décembre 1971 ?

Une seconde question porte également sur la recevabilité des conclusions: elle concerne les conditions dans lesquelles la décision litigieuse a été notifiée.

Au contraire, les questions de savoir, d'une part, si le directeur général avait ou non compétence pour prendre une telle décision, d'autre part, si cette décision était motivée seraient seulement de nature à en affecter la légalité; elles ne devraient être examinées que si les conclusions étaient recevables.

Il convient donc d'analyser la teneur de la lettre du directeur général de l'administration en vue de rechercher si elle contient un élément décisoire susceptible de faire grief à la requérante, comme l'exige votre jurisprudence.

La forme extérieure d'un acte est, à cet égard, sans importance. Seuls son contenu objectif et ses effets réels peuvent permettre de le qualifier. Ainsi que l'a jugé tout récemment votre deuxième chambre par un arrêt du 8 février 1973 (affaire 56-72, Goeth), «une note émanant du chef de la division du personnel (de la Commission) constatant qu'un fonctionnaire ne remplit plus les conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement, suivie de la suppression de cette indemnité, constitue un acte faisant grief». Il ne s'agit pas d'une simple information, mais d'une décision affectant la situation juridique individuelle du fonctionnaire en cause.

En l'espèce, les termes dans lesquels s'est exprimé le directeur général de l'administration sont explicites :

Après avoir rappelé que Mme Noé n'avait pas déféré à l'invitation que lui avait faite l'administration de reprendre son service le 8 juin 1970, il déclare que les journées du 8 au 12 juin, pour lesquelles la requérante avait demandé un congé, seront imputées d'office sur son congé annuel qui est ainsi épuisé à la date du 13 juin. Il se réfère ainsi aux dispositions de l'article 60 du statut aux termes duquel «toute absence irrégulière dûment constatée est imputée sur la durée du congé annuel de l'intéressé».

Puis il en tire la conséquence que prévoit la phrase suivante du même article, ainsi rédigée : «En cas d'épuisement de ce congé, le fonctionnaire perd le bénéfice de sa rémunération pour le période correspondante», c'est-à-dire pour la période d'absence irrégulière excédant la durée du congé annuel.

«Par conséquent (écrit le directeur général) à partir du lundi 15 juin et pour la durée de votre absence vous perdrez le bénéfice de votre rémunération».

Il ne s'agit plus ici d'un avertissement ni même d'une mise en demeure, mais d'une décision affectant la situation juridique de la requérante dans son droit à traitement.

Aussi bien cette décision avait-elle été précédée d'avertissements puisque, par deux fois, la requérante avait été expressément invitée à reprendre son service le 2 puis le 26 février 1970, sous peine de voir suspendre sa rémunération si elle ne rejoignait pas son poste. La lettre du 18 juin, au contraire, contient un élément décisoire. Le fait que le directeur général n'ait pas expressément visé l'article 60 du statut est, à notre avis, négligeable dès lors que le contenu de la lettre montrait à l'évidence qu'il entendait en faire application.

En second lieu, il n'est pas contesté que la décision ait été suivie d'effet; la rémunération de la requérante a été effectivement suspendue à compter de la date indiquée.

Ajoutons que l'administration a pris soin de confirmer, par une lettre du 9 juillet, que Mme Noé était considérée comme étant en absence irrégulière, conformément aux dispositions de l'article 60 du statut, et qu'aussi longtemps qu'elle n'aurait pas régularisé sa situation son traitement resterait suspendu, comme il lui avait déjà été indiqué le 18 juin.

Mais, pour que le délai de recours ait couru, encore faut-il que la décision litigieuse ait été notifiée à la requérante dans des conditions régulières. Celle-ci ne conteste pas avoir effectivement reçu la lettre du directeur général, contre laquelle d'ailleurs elle a fait adresser de Madrid diverses protestations. Les termes de cette lettre étaient suffisamment clairs pour qu'elle n'ait pu se méprendre sur la portée de la décision qui y était contenue. Enfin, en disposant seulement que «toute décision individuelle doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé», l'article 25 du statut n'exige aucune condition de forme spéciale pour la notification; il n'impose nullement l'emploi d'une lettre recommandée avec accusé de réception.

Force est donc de constater que la requérante, qui a eu régulièrement connaissance de la décision litigieuse au plus tard au début de juillet 1970, ne s'est pourvue devant la cour que le 17 juillet 1972, soit près de deux ans après l'expiration du délai de recours contentieux.

Ni sa lettre au directeur général de l'administration en date du 7 décembre 1971, ni, à plus forte raison, celle que son conseil a adressée le 23 mars 1972 à la même autorité ne pouvaient, à les regarder même comme des réclamations au sens de l'article 90 du statut alors en vigueur, avoir pour effet de faire revivre ce délai.

Dans ces conditions, les conclusions de la requête, relatives à la reconnaissance du droit à traitement, sont manifestement tardives et, par suite, irrecevable.

2. Droit au remboursement des frais médicaux

Il n'en est pas de même, à notre avis, des conclusions tendant à ce que vous reconnaissiez à Mme Noé droit au remboursement des frais médicaux qu'elle a supportés pendant la période au cours de laquelle sa rémunération a été suspendue.

Pour le Parlement, le droit aux prestations maladie est lié au droit au traitement en raison même du caractère contributif du régime de protection contre les risques de maladie. En effet, aux termes de l'article 72 du statut, «le tiers de la contribution nécessaire pour assurer cette couverture est mis à la charge de l'affilié, sans que cette participation puisse dépasser 2 % de son traitement de base».

Dès lors qu'en vertu de l'article 60 du statut un fonctionnaire, en état d'absence irrégulière, est privé de son traitement, il ne serait plus possible de prélever la cotisation qui lui incombe; par voie de conséquence, il cesserait d'être affilié et perdrait, pour la durée de suspension du traitement, tout droit au remboursement de ses frais médicaux.

La recevabilité est ici liée au fond.

Si l'on accepte la thèse de l'administration, la décision du 18 juin 1970, portant suspension du traitement, impliquerait nécessairement la perte de la qualité d'affilié au régime maladie et, par suite, celle du droit au remboursement des frais. Or, cette décision étant devenue définitive pour n'avoir par fait l'objet d'un recours contentieux en temps utile, la requérante ne serait plus recevable à en contester les effets en ce qui concerne les prestations maladie.

Mais cette argumentation nous paraît devoir être écartée.

L'article 60 du statut ne contient, en lui-même, aucune disposition excluant, pour les fonctionnaires en état d'absence irrégulière, le bénéfice des avantages sociaux prévus par le statut, et notamment de la garantie du risque maladie. L'article 72, relatif à cette garantie, se borne à en poser le principe et prévoit la participation du fonctionnaire au financement du régime; il est muet sur les conséquences d'une suspension de traitement pour quelque cause que ce soit. C'est dans la réglementation relative à la couverture des risques maladie des fonctionnaires des Communautés européennes, établie d'un commun accord par les institutions après avis du comité du statut et à laquelle l'article 72 renvoit expressément, qu'il faut rechercher la solution.

Or, l'article 3 de cette réglementation maintient le droit aux prestations maladie dans plusieurs cas où le fonctionnaire vient à cesser de percevoir sa rémunération :

s'il est en disponibilité (article 41 du statut) jusqu'à sa démission d'office ;

s'il effectue son service militaire légal (article 42, deuxième alinéa, du statut), pour les personnes à sa charge ;

s'il vient à être placé en position de détachement sans rémunération (article 39, alinéa d), du statut) jusqu'à sa démission d'office.

Il en est de même lorsqu'un fonctionnaire est suspendu avant poursuite disciplinaire en cas de faute grave alléguée à son encontre. Il est vrai que, dans cette hypothèse, le fonctionnaire conserve, au moins partiellement, le bénéfice de son traitement.

Certes, dans ces diverses situations, la cotisation personnelle continue d'être exigible, sauf dans l'hypothèse du service militaire.

La seule exception concerne le fonctionnaire en congé pour convenance personnelle (article 40 du statut) pour lequel l'affiliation ainsi que la couverture des risques correspondants sont suspendues en vertu de l'article 3, a), de la réglementation.

En revanche, cette réglementation n'a aucunement prévu la situation visée à l'article 60 du statut.

Faudrait-il l'assimiler au cas de congé pour convenance personnelle, comme le soutient le Parlement européen ?

Nous ne le pensons pas. Une mesure dont les effets sont aussi graves que la perte de toute protection contre les risques de maladie ne peut, à notre avis, se présumer en l'absence de toute disposition expresse l'ayant édictée.

L'état d'absence irrégulière ne peut, à lui seul, la justifier. Il s'agit d'ailleurs d'une situation provisoire dont l'issue se trouve, ou dans la reprise du service, ou dans l'éviction définitive par mesure disciplinaire, ou encore par démission acceptée par l'administration. Cette situation ne fait pas perdre la qualité de fonctionnaire et ce serait ajouter à l'article 60 du statut une conséquence qu'il n'a pas prévue que de décider que la privation de la rémunération entraîne celle de la couverture du risque maladie.

Ce régime repose, certes, sur la contribution financière des fonctionnaires, mais l'argument tiré de l'impossibilité, en cas de suspension du traitement, de retenir à la source leur cotisation ne suffit pas, nous semble-t-fl, à anéantir le droit aux prestations. Le prélèvement d'office de la cotisation n'est qu'un moyen de recouvrement; il ne peut être regardé comme la condition nécessaire de l'exercice du droit.

Dans une telle hypothèse, il appartient à l'administration soit de mettre le fonctionnaire en demeure de payer directement ses cotisations pendant la durée de son absence, soit de les prélever sur le traitement rétabli après la reprise de service, soit enfin, en dernière analyse, de les recouvrer par les voies de droit adéquates.

A tout le moins, le fonctionnaire tombant sous le coup de l'article 60 du statut doit-il être clairement informé qu'il doit acquitter sa cotisation afin de continuer à bénéficier de la prise en charge de ses frais de maladie.

Nous ne méconnaissons pas que cette interprétation est très libérale, mais elle nous paraît s'imposer d'autant plus que, comme nous le savons, l'invalidité permanente de la requérante ayant été, en définitive, admise, celle-ci continue de bénéficier, en tant que titulaire d'une pension à ce titre, de la garantie contre le risque maladie, conformément au paragraphe 2, de l'article 72, du statut.

Si vous partagez notre opinion, vous la reconnaîtrez donc à la fois recevable et fondée à réclamer le remboursement des frais médicaux qu'elle a exposés pendant la période du 15 juin au 12 décembre 1970.

Quelle est en effet la décision par laquelle la requérante a été privée du remboursement de ses frais de maladie?

Ce n'est pas la lettre du 18 juin 1970, contrairement à ce que soutient l'administration.

Ce n'est pas même la lettre du directeur général de l'administration du 22 octobre 1971 qui rétablit Mme Noé dans son droit à rémunération à compter du 12 décembre 1970 mais ne souffle mot des frais de maladie.

C'est seulement dans la lettre du 7 janvier 1972 que le directeur général de l'administration, après avoir déclaré qu'il s'en tient, en ce qui concerne le versement du traitement, aux termes de sa lettre du 22 octobre 1971, décide que les frais de maladie exposés par la requérante après le 12 décembre 1970 lui seront «naturellement» remboursés à la suite du rétablissement de son traitement, d'où l'on peut déduire a contrario et tout aussi «naturellement» qu'ils ne le lui seront pas pour la période antérieure. C'est là qu'apparaît explicitement la liaison qu'établit l'administration entre le versement du traitement et le bénéfice des prestations de maladie.

Pour l'administration, ceci ne serait que la confirmation de ce oui était implicitement, mais nécessairement contenu dans sa lettre du 18 juin 1970 relative au traitement.

Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Certes, le 18 juin 1971, dans une lettre recommandée, personnelle et confidentielle, adressée au président du Parlement européen, la requérante se plaignit de la situation qui lui était faite et demanda à cette haute autorité d'user de son intervention pour que l'administration du Parlement reconnaisse la décision de l'Office fédéral allemand d'assurances des employés du 1er octobre 1969, et du 1er mars 1971 la déclarant invalide, pour que lui soit payé son traitement échu depuis le 15 juin 1970 et que lui soient remboursés le plus tôt possible les frais de maladie exposés par elle depuis cette époque, afin qu'elle puisse faire face à des échéances urgentes. A cette lettre, produite par la requérante en annexe V à sa réplique, étaient jointes neuf annexes (qui ne sont en réalité pas jointes) dont une lettre du 25 janvier 1971 de la Caisse de maladie refusant le remboursement des frais médicaux.

Le résultat de cette démarche ne se fit pas attendre, comme nous l'avons vu: dès le 6 septembre 1971, la deuxième commission d'invalidité conclut à l'unanimité à l'invalidité totale et permanente de Mme Noé.

Mais alors, faudrait-il considérer qu'à défaut de la décision du 18 juin 1970 ou de la lettre du 22 octobre 1971, c'est cette décision de la Caisse du 25 janvier 1971 qui a privé la requérante du remboursement de ses frais de maladie ?

Nous hésitons à vous le proposer. Toute réflexion faite, nous pensons qu'il n'est pas nécessaire de demander la production de cette lettre, car elle ne constitue certainement pas une décision au sens de l'article 15 de la réglementation relative à la couverture des risques de maladie, passible d'un recours, mais une simple application, par un organe d'exécution, du principe: pas de cotisation, pas de prestation. Mais nous nous retrouvons ainsi devant le problème de fond.

En réalité, la situation de la requérante à cet égard n'a été définitivement fixée que par la lettre du directeur général de l'administration du 7 janvier 1972.

Or, le 23 mars suivant, le conseil de Mme Noé a sollicité de la même autorité qu'elle reconsidérât sa décision. Encore qu'il eût lui-même prétendu ne pas attacher à son intervention le caractère d'une réclamation au sens de l'article 90 du statut, nous pensons qu'il est conforme à votre jurisprudence de la considérer comme telle: elle tendait sans conteste au retrait de la décision litigieuse; elle était adressée à son auteur.

Nous ne voyons pas, au reste, pour quelle raison un fonctionnaire ne pourrait charger son conseil d'adresser en son nom une réclamation qui s'analyse en un recours administratif préalable au recours contentieux. Dès lors, la requête de Mme Noé, introduite moins de trois mois après le rejet de cette réclamation par le directeur général, est, sur ce point, recevable et, comme nous l'avons dit, fondée.

Le troisième chef de conclusions est basé sur la violation de l'article 76 du statut en vertu duquel des dons, prêts ou avances peuvent être accordés au fonctionnaire qui se trouve dans une situation particulièrement difficile, notamment par suite d'une maladie grave ou prolongée. Cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de garantir au fonctionnaire un droit statutaire. Elle n'impose, comme vous l'avez jugé par un arrêt du 16 juin 1971 (affaires jointes 63-65-70, Bode, Recueil, 1971, p. 555), aucune obligation déterminée aux autorités communautaires, mais vise seulement à leur donner la faculté de venir en aide aux fonctionnaires se trouvant en difficulté. Plus encore que d'un pouvoir purement discrétionnaire, elle procède d'une certaine conception de l'assistance; elle ne lie en aucune manière l'administration à laquelle il appartient d'apprécier les circonstances individuelles chaque fois que la mise en œuvre de cette faculté lui est demandée avant de pouvoir admettre l'existence d'une situation particulièrement difficile.

Ainsi, la Cour a-t-elle décidé que cette disposition s'oppose à une application automatique dès que certains événements, tels qu'une maladie grave ou prolongée, se réalisent.

Cette interprétation de l'article 76 suffit, Messieurs, à écarter les prétentions de la requérante sur ce terrain.

Quant à l'article 24 du statut, dont elle invoque également le bénéfice, il concerne l'aide que les Communautés doivent apporter à leurs fonctionnaires, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats dont ils sont l'objet en raison de leur qualité ou de leurs fonctions. Ces dispositions, étrangères au débat, sont manifestement sans application en l'espèce.

Nous concluons, en définitive:

à ce que vous décidiez que la requérante a droit au remboursement des frais médicaux par elle exposés entre le 15 juin et le 12 décembre 1970;

au rejet des autres conclusions de la requête ;

enfin, à ce que les dépens soient supportés par le Parlement européen.

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