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Document 61969CC0012
Opinion of Mr Advocate General Roemer delivered on 12 November 1969. # Gustav Wonnerth v Commission of the European Communities. # Case 12-69.
Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 12 novembre 1969.
Gustav Wonnerth contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 12-69.
Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 12 novembre 1969.
Gustav Wonnerth contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 12-69.
Recueil de jurisprudence 1969 -00577
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1969:55
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,
PRÉSENTÉES LE 12 NOVEMBRE 1969 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Rappelons brièvement ce qu'il faut retenir des faits ayant donné naissance au procès sur lequel notre attention doit se porter en ce moment.
M. Wonnerth, Doktor-Ingenieur, qui y est partie requérante, est entré en fonctions à la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1958. Au sein de la direction générale «Charbon» de cette institution et avec la qualité de fonctionnaire, il était placé à la tête de la division «Recherche technique», qui dépendait de la direction «Production». Après avoir été classé initialement dans le grade A 5, il a accédé au grade A 4 en 1960, pour être finalement promu au grade A 3 en 1962. Au moment de la fusion des exécutifs, la division à la tête de laquelle M. Wonnerth était placé a été dissoute. Dans l'organigramme de la Commission unique, l'intéressé a alors été affecté à la direction «Charbon» relevant de la direction générale «Énergie» avec le titre de conseiller à la recherche dans le domaine du charbon et avec maintien de son classement. Dans le cadre de la rationalisation de ses services et de la réduction du nombre des emplois, la Commission a fait application au requérant des dispositions du chapitre II du règlement no 259/68 du Conseil, avec lequel d'autres procès nous ont déjà familiarisés et qui prévoit la possibilité d'appliquer des mesures particulières aux fonctionnaires de la Commission. Sans que M. Wonnerth ait fait l'objet d'une mesure de cessation définitive des fonctions, la Commission l'a invité, en application de l'article 8 dudit règlement, «à lui faire connaître… s'il accept[ait] d'être affecté à un emploi correspondant à la carrière immédiatement inférieure à celle à laquelle son grade appartient». L'intéressé ayant déclaré qu'il acceptait, il exerce depuis le 4 juin 1968 des fonctions correspondant au grade A 4, et cela en vertu d'une décision que la Commission a prise le 21 mai 1968. Toutefois, conformément à ce que prévoit l'article 8, paragraphe 2, du règlement 259, il conserve le bénéfice des émoluments attachés au grade A 3 et tous les avantages y afférents. Ultérieurement, en invoquant un autre droit consacré par ledit article 8, paragraphe 2, le «droit de priorité pour être muté dans tout emploi correspondant à son grade, qui deviendrait vacant ou viendrait à être créé», M. Wonnerth fit à plusieurs reprises acte de candidature à des emplois de grade A 3 dont la vacance avait été annoncée. Certaines de ces candidatures n'ont été honorées d'aucune réponse, pour les autres l'intéressé a été informé qu'elles n'avaient pas pu être retenues. Il semble qu'un acte de candidature déposé le 9 septembre 1968 était encore à l'instruction au moment de l'introduction du recours.
Ce qui nous intéresse dans le présent procès, c'est la candidature déposée le 25 octobre 1968 par M. Wonnerth pour l'emploi de chef de la division «Sécurité du travail» dont la vacance dans la direction générale des affaires sociales avait été annoncée sous les références COM/161. Son acte de candidature était accompagné d'une note détaillée dans laquelle il exposait les activités qu'il avait exercées et l'expérience professionnelle qu'il avait acquise en matière de sécurité du travail. Le 6 novembre, li a également adressé une lettre à l'appui de sa candidature au Commissaire dont relève la direction générale des affaires sociales. En outre il a appelé l'attention du président de la Commission sur sa candidature, au sujet de laquelle il lui a fourni certaines explications dans une autre lettre datée, elle aussi, du 6 novembre. A ces deux lettres était jointe la note que nous venons de mentionner.
Les démarches ainsi faites par M. Wonnerth sont cependant demeurées infructueuses. L'emploi qui l'intéressait a été attribué, par voie de promotion, à un fonctionnaire de grade A 4, aux termes d'une décision prise par la Commission le 18 décembre 1968. Dès le lendemain, M. Wonnerth a saisi le président de la Commission d'une réclamation contre cette nomination, au moyen d'une lettre dans laquelle il soutenait que la décision avait été prise au mépris du droit de priorité qu'il tient de l'article 8 du règlement no 259, raison pour laquelle il demandait à la Commission de «surseoir à annoncer officiellement la décision aux candidats tant que le problème ainsi soulevé n'aurait pas été élucidé». Là encore, il n'a pas eu gain de cause: en fait, la promotion incriminée a été publiée dans un document interne de la Commission, daté du 16 janvier 1969. Pour toute réponse, M. Wonnerth reçut, ultérieurement, une lettre de la direction générale du personnel et de l'administration, datée du 30 janvier 1969 et l'informant que sa candidature n'avait pas pu être retenue par l'autorité investie du pouvoir de nomination.
C'est a la suite de cette communication qu'il a saisi la Cour, le 5 mars 1969.
Dans sa requête, il a conclu à ce qu'il vous plaise :
— |
dire que le droit de priorité inscrit à l'article 8 du règlement no 259/68 confère à son bénéficiaire un droit absolu d'être préféré à d'autres candidats, à condition de justifier des aptitudes requises pour l'emploi considéré ; |
— |
dire que le requérant possède les aptitudes requises pour l'emploi faisant l'objet de l'avis de vacance COM/161 et que, par conséquent, il avait le droit d'être muté dans cet emploi. |
Il y concluait en outre à l'annulation de la décision par laquelle la Commission avait refusé de le muter dans l'emploi visé par ledit avis de vacance et y avait affecté un autre fonctionnaire.
Enfin, il vous demandait de dire que le fonctionnaire ainsi nommé est tenu d'intervenir à l'instance.
Dans sa réplique, le requérant a en outre formulé des conclusions supplémentaires tendant à faire dire que, lorsqu'un droit de priorité est invoqué pour l'attribution d'un emploi, le recrutement à ce poste doit se faire sur la base de règles exactes et définies, soit que la Cour détermine elle-même au moins la nature générale de ces règles, soit qu'elle ordonne à la Commission de les arrêter.
Quant à la défenderesse, elle vous demande de rejeter comme irrecevables les conclusions par lesquelles M. Wonnerth poursuit l'annulation de la décision refusant de le nommer, motif pris de ce qu'une telle décision est inexistante. Elle vous demande en outre de dire que les conclusions nouvelles formulées dans la réplique sont irrecevables, elles aussi. Pour le surplus, elle estime que le recours doit être rejeté en totalité comme non fondé.
Au moment d'aborder la discussion juridique de cette affaire, nous avons à examiner pour commencer certains problèmes de recevabilité.
I — Les problèmes de recevabilité
1) |
Comme nous l'avons déjà relevé, la Commission conteste «in limine litis» avoir adopté une décision ayant spécialement pour objet de rejeter la candidature du requérant. Elle fait valoir que, dès lors, il ne saurait être question d'annulation d'un tel rejet. Cette thèse semble effectivement être exacte. Il apparaît qu'il s'agissait pour la Commission de pourvoir à une vacance d'emploi en application de l'article 29, paragraphe 1, a, du statut des fonctionnaires, qu'en d'autres termes il s'agissait d'une procédure de nomination dans le cadre de laquelle la Commission était amenée à examiner les candidatures de plusieurs fonctionnaires. Il est indubitable qu'à une des phases de cette procédure il y a eu, de la part de la Commission et visant le requérant, un acte de volonté consistant à ne pas retenir sa candidature. Toutefois, et cette circonstance est déterminante, cette volonté n'a pas été manifestée dans une décision formelle spéciale: en fait de décision formelle, il n'y a eu (tout comme dans l'affaire 16-64 ( 2 ) qu'une décision de sens positif, celle d'affecter un autre candidat à l'emploi dont la vacance avait été annoncée. De même, la communication faite au requérant le 30 janvier 1969 pouvait tout au plus avoir trait à un des actes préparatoires de la procédure de nomination, et il était impossible qu'elle se rapporte à une décision ayant pour objet spécifique de rejeter sa candidature. Il est constant dès lors que les conclusions en annulation prises par M. Wonnerth ne peuvent se concevoir qu'à l'égard de la décision de sens positif dont nous avons parlé, c'est-à-dire de celle qui portait promotion d'un autre fonctionnaire. Pour le surplus, les conclusions en annulation qu'il a présentées doivent être rejetées comme irrecevables, à défaut d'objet. |
2) |
Tout aussi douteuse apparaît la recevabilité des deux chefs de conclusions par lesquels le requérant vous demande de dire, en premier lieu, qu'il possède les aptitudes requises pour le poste litigieux et, ensuite, qu'il peut prétendre l'occuper par voie de mutation. C'est à bon droit que la Commission a fait valoir au cours du procès que la question des aptitudes implique un jugement de valeur qu'elle est seule à pouvoir porter et auquel la Cour de justice ne peut pas substituer le sien. Mais dès lors qu'il en est ainsi, il est en principe exclu que la Cour puisse énoncer des affirmations du genre de celles que le requérant souhaite entendre en sa faveur. Il en va de même pour l'existence de son droit à l'attribution du poste vacant. Même s'il était incontestable que le requérant possède les aptitudes requises pour ce poste, la Cour ne saurait affirmer qu'il a le droit d'y être nommé. Le dossier nous apprend, en effet, qu'outre le requérant, deux autres fonctionnaires A 3 bénéficiaires d'un droit de priorité pour la mutation ont posé leur candidature à l'emploi en question. Nous ne savons rien de leurs aptitudes. Cela revient à dire que, même si la Commission n'avait à envisager que la mutation d'un fonctionnaire prioritaire, elle n'en devait pas moins pour autant se livrer à une appréciation comparative, que la Cour ne saurait préjuger. Rien ne permet, par conséquent d'affirmer que M. Wonnerth est en droit de prétendre être nommé à l'emploi litigieux, et nous ne pouvons dès lors faire autrement que de rejeter comme irrecevables, elles aussi, les conclusions par lesquelles il veut faire reconnaître ce droit. |
3) |
Nous n'aurons pas à nous étendre longuement sur ses conclusions tendant à faire dire que le fonctionnaire qui a obtenu le poste est tenu de prendre part à l'instance, autrement dit sur sa requête en intervention forcée. Quelle que soit l'opinion qu'on peut avoir sur le système de l'intervention forcée, et spécialement sur la question de savoir si cette institution pourrait trouver sa place dans notre droit judiciaire, la considération décisive, c'est qu'elle n'est pas prévue dans les dispositions en vigueur qui régissent la procédure devant la Cour de justice. La Cour ne peut donc pas ordonner l'intervention; elle doit au contraire laisser aux intéressés le soin de décider librement de prendre part ou non à l'instance. Il en résulte que ce chef de conclusions du requérant est dépourvu de base légale et qu'il ne saurait dès lors être accueilli, lui non plus. |
4) |
La Commission soutient enfin que les conclusions en constatation que le requérant a formulées dans sa réplique doivent être rejetées pour tardiveté. Sur ce point-là, toutefois, nous hésitons à la suivre. Sans doute est-il constant que ces conclusions ne figurent pas dans la requête, ne fût-ce que voilées sous les apparences d'un des éléments de la motivation du recours. Mais on nous permettra de faire observer que le requérant n'a été en mesure de les formuler que par l'effet et à la suite de la production du procès-verbal d'une réunion de la Commission, puisqu'il a fallu ce document pour connaître les détails de la procédure de nomination, et notamment pour se rendre compte que celle-ci a été menée sans qu'aucune disposition d'exécution ait été spécialement mise au point. Aussi paraît-il indiqué de faire appel à cet égard à l'article 42 du règlement de procédure, aux principes duquel il est arrivé à plusieurs reprises à la Cour de recourir par analogie, lorsqu'il y avait modification ou extension des conclusions prises dans la requêtes En outre, nous en voyons pas non plus qu'on puisse par principe élever d'objections contre l'idée de demander à la Cour d'adresser certaines injonctions à la Commission. Sur le terrain strictement juridique, c'est-à-dire du moment qu'il n'y a pas empiétement sur le domaine, soit du pouvoir discrétionnaire, soit à tout le moins de la liberté d'appréciation de la Commission, cette éventualité ne paraît pas devoir être exclue. Il appert dès lors que nous ne saurions refuser d'examiner le chef de conclusions qui a été formulé dans la réplique. Reste à savoir si le résultat de cet examen doit figurer dans le dispositif de votre décision ou si, au contraire, la demande du requérant constituant en réalité un moyen, il suffit que le problème qu'il a soulevé soit abordé dans les motifs de l'arrêt. Mais c'est là une question que nous pouvons laisser sans réponse en ce moment. |
II — Le fond
Sous le bénéfice de ces observations sur la recevabilité, nous allons examiner maintenant si les conclusions présentées par le requérant sont fondées. Notre regard doit se tourner essentiellement vers celles qui tendent à l'annulation de la décision du 18 décembre 1968, en d'autres termes vers celles par lesquelles M. Wonnerth demande que soit mise à néant la nomination d'un autre fonctionnaire à l'emploi dont la vacance avait été annoncée. Le principal argument qu'il invoque contre cette nomination, c'est qu'elle a été faite au mépris du droit de priorité pour la mutation que lui garantit l'article 8 du règlement no 259. A ce propos, il commence par exposer un ensemble de considérations de principe, dont nous croyons qu'il est impossible, pour l'essentiel, de mettre en doute le bien-fondé. Aussi faudra-t-il les relever expressément. C'est ainsi qu'effectivement, il paraît incontestable que (pour utiliser un raccourci éloquent) le «déclassement» prévu à l'article 8 du règlement 259, comme toutes les mesures particulières dont le chapitre II de ce règlement prévoit l'applicabilité, doit obéir à des principes particulièrement rigoureux, parce qu'il constitue une dérogation aux règles générales que le statut a établies pour la carrière des fonctionnaires. En application de ces principes, la Commission doit veiller (et cela implique qu'elle agisse dans ce sens dans le cadre de l'organisation de ses services) à ce que cette situation en principe contraire au statut subsiste le moins longtemps possible. Cette exigence est un corollaire de l'idée de base du chapitre II du règlement 259, où il est question de rationalisation et de réduction du nombre des emplois (objectifs qui coïncident largement avec celui d'économies financières). Il est bien vrai qu'il est difficilement conciliable avec ce souci de maintenir des fonctionnaires de grade A 3 dans des fonctions correspondant à un grade inférieur tout en affectant, par voie de promotion, à des emplois vacants correspondant au grade A 3 des fonctionnaires du grade inférieur. Mais une autre raison, et non des moindres, pour laquelle on peut exiger que l'administration agisse avec une circonspection toute particulière, c'est l'intérêt des fonctionnaires déclassés à qui a été reconnu un «droit de priorité» pour la mutation (ce terme, repris du texte même de la version française du règlement, étant plus éloquent que celui de «Vorrecht» figurant dans la version allemande). Ce droit de préférence est destiné à garantir que les fonctionnaires prioritaires soient rétablis le plus rapidement possible dans une situation qui soit en harmonie avec le principe fondamental du droit de la fonction publique sur lequel la Cour ( 3 ) a maintes fois mis l'accent et selon lequel il faut qu'il y ait concordance entre le grade et les fonctions exercées. Mais il est indubitable que, si on ne veut pas que ce droit de priorité reste lettre morte, il faut qu'il soit assorti d'une obligation stricte pour l'administration. A cet égard, plusieurs considérations entrent en ligne de compte. Nous allons les passer en revue à présent, en vue de déterminer si, dans l'espèce, la Commission a satisfait à tout ce qu'on peut raisonnablement exiger d'elle.
1) |
Tout d'abord, nous l'avons vu, le requérant argue de la nécessité de fixer, pour l'application de l'article 8 du règlement 259, des règles détaillées et des critères précis, pour qu'il soit possible de se rendre compte si la Commission a correctement apprécié les demandes de mutation introduites en application de ce texte. Toutefois, l'examen des conditions auxquelles le paragraphe 2 dudit article 88 subordonne le droit d'être muté par priorité, à savoir l'existence d'un emploi vacant et les aptitudes requises pour l'occuper, ne donne guère l'impression qu'il s'agit d'une règle nécessitant des dispositions d'exécution. Son application ne pose en somme que le problème de l'examen auquel il faut se livrer pour déterminer si le candidat a les aptitudes requises. Mais, compte tenu de la diversité des cas à régler et des différences de rang des candidats entrant en ligne de compte à cette occasion, nous ne voyons pas comment il serait possible de fixer des règles générales pour cet examen des aptitudes (règles imposant, par exemple, d'organiser un concours), ni même de déterminer d'une façon générale l'importance relative des différents points de vue dont il faudrait tenir compte lors de l'examen. Aussi estimons-nous que le contrôle juridictionnel peut s'exercer avec une pleine efficacité malgré l'absence de dispositions d'exécution de ce genre et que, d'ailleurs, la seule chose qu'il faille exiger, c'est que l'examen des aptitudes se fasse d'une manière particulièrement consciencieuse. La meilleure façon pour la Commission de satisfaire à cette exigence, c'est de procéder de la façon qu'Euler a préconisée dans son ouvrage «Europäisches Beamtenstatut» ( 4 ) pour l'hypothèse similaire prévue à l'article 41 du statut des fonctionnaires, c'est-à-dire en mettant l'accent sur l'orientation générale des aptitudes du fonctionnaire à muter, sans attribuer une importance excessive aux connaissances spéciales. Est-ce de cette manière que la Commission a agi dans l'espèce? C'est ce que nous verrons plus loin. Au stade actuel, il ne nous reste qu'à constater que l'absence de dispositions d'exécution de l'article 8 du règlement 259 ne justifie pas l'annulation de la décision attaquée. |
2) |
Le requérant soutient en outre que, lorsque des candidatures à un poste vacant sont présentées tant par des fonctionnaires bénéficiant du droit de priorité que par des fonctionnaires ayant vocation à la promotion (et tel était le cas dans l'espèce), la Commission n'est pas en droit de procéder à un examen comparatif commun des aptitudes et des mérites (tel que l'article 45 le prévoit en matière de promotion). Il estime que, dans cette hypothèse, il faut commencer par examiner séparément les candidatures des fonctionnaires ayant un droit de priorité, et il va jusqu'à dire qu'il faut une procédure distincte et que ce n'est qu'au cas où son accomplissement ne permet pas de pourvoir à la vacance que la Commission peut ensuite examiner le cas des fonctionnaires ayant vocation à la promotion. Nous pensons qu'en soutenant cette thèse le requérant a mis le doigt sur un point extrêmement important. Si, en effet, on réfléchit au fait que le droit de priorité pour la mutation est essentiellement tributaire de la question des aptitudes, ce qui revient à dire qu'il dépend d'un jugement de valeur ne laissant que peu de place au contrôle juridictionnel et si on admet, d'autre part, qu'il est nécessaire d'assortir ce droit de priorité de garanties authentiques, il faut reconnaître qu'abstraction faite de l'obligation de motiver, sur laquelle nous reviendrons plus loin, il ne reste comme moyen vraiment efficace que des garanties d'ordre procédural. Or, nul ne contestera que le meilleur moyen de mettre l'examen des aptitudes à l'abri d'influences indues, c'est de laisser totalement à l'écart, au moment d'y procéder, les possibilités de promotion qui pourraient exister. Par conséquent, bien que l'article 8 du règlement 259 n'impose pas expressément de séparer ainsi les candidatures au moment de les examiner, nous sommes d'accord avec le requérant quand il croit pouvoir déduire de l'essence même du droit de priorité consacré par l'article 8 qu'il est obligatoire de procéder de la sorte. Et nous ne voyons guère comment la Commission peut objecter que cette façon de procéder entraîne un retard excessif dans l'attribution des emplois vacants. C'est qu'en réalité il ne s'agit pas de publier les avis de vacance en deux phases distinctes, c'est-à-dire de n'inviter les fonctionnaires ayant vocation à la promotion à présenter leur candidature qu'après la clôture de l'examen du cas des fonctionnaires privilégiés. Tous les fonctionnaires que l'emploi à attribuer intéresse peuvent parfaitement manifester cet intérêt simultanément. La seule chose qu'il faille exiger, c'est qu'après cela l'examen des candidatures se fasse séparément, et cette simple exigence ne saurait retarder considérablement la procédure. Si nous adoptons ce raisonnement, il ne fait pas de doute que la décision attaquée doit être annulée, puisqu'elle a été prise à la suite d'un examen qui a porté dans le cadre d'une procédure unique sur les candidatures de fonctionnaires pouvant faire valoir un droit à être mutés et sur celles de fonctionnaires qui cherchaient à être promus. Si nous nous refusons à pousser si loin les exigences d'ordre procédural, il n'en reste pas moins que nous devrons à tout le moins admettre le principe qu'il n'est pas permis de comparer entre eux tous les candidats, c'est-à-dire de comparer les fonctionnaires prioritaires avec ceux qui ont vocation à la promotion. Si la Commission procédait de cette façon, il ne fait pas de doute qu'elle irait plus loin que l'examen des aptitudes, le seul que l'article 8 autorise, et que son procédé équivaudrait à l'examen comparatif des mérites, tel qu'il est prévu par les dispositions relatives aux promotions, qu'en d'autres termes elle en viendrait en fin de compte à porter atteinte au droit de priorité pour la mutation. La Commission semble d'ailleurs le reconnaître. Cependant, le procès-verbal de la réunion au cours de laquelle elle a pris la décision présentement attaquée et qu'elle a produit devant la Cour ne nous indique pas avec une parfaite clarté si elle a respecté le principe que nous venons d'énoncer. Ce procès-verbal commence, en effet, par des termes tout à fait généraux : «Les actes de candidature des intéressés ont été diffusés. M. Levi Sandri présente un exposé détaillé des qualifications des candidats… Il donne à la Commission les éléments de l'examen qu'il a fait de leurs mérites». Le procès-verbal poursuit en ces termes : «La Commission prend note que chacun de ses membres est en possession des notations des candidats et a procédé à l'examen desdites notations». Il est bien vrai que ces énonciations ont toutes les apparences de la description d'un examen, tel qu'il est effectué communément pour les promotions, et cela notamment parce que le procès-verbal parle des «mérites» et des «notations» de tous les candidats, c'est-à-dire d'appréciations qui sont sans rapport direct avec l'examen des aptitudes. Ce n'est qu'à la page 2 du procès-verbal que nous lisons ceci à propos des fonctionnaires prioritaires : «La Commission examine en premier lieu la possibilité pour ces fonctionnaires de bénéficier de cette disposition» (entendons: de l'article 8 du règlement 259). En ce qui concerne les candidats à la promotion, nous lisons enfin à l'avant-dernier alinéa du procès-verbal que «la Commission procède ensuite à un examen comparatif des mérites des autres candidats». Comme bien l'on pense, c'est sur cette page 2 du procès-verbal que la Commission met l'accent, pour démontrer qu'elle a procédé à l'examen en deux étapes distinctes, comme le statut l'exige. Mais si nous nous livrons à un examen objectif, le moins qu'on puisse dire c'est que nous ne pouvons pas manquer de relever certaines contradictions. En considérant le procès-verbal dans son ensemble, il n'est notamment pas possible d'exclure que, même si la Commission a respecté dans son examen l'ordre dont elle fait état, l'impression recueillie par les membres de la Commission sur la base de l'appréciation formulée pour tous les candidats à la fois ait joué un rôle dès le début. Et cela fait apparaître que l'examen n'a pas été aussi exempt d'influences et aussi distinct que les fonctionnaires prioritaires sont en droit de l'exiger. Nous estimons que cela aussi suffit à dire que la procédure était irrégulière et que la décision qui en est résultée doit être annulée. |
3) |
Une autre garantie du droit de priorité pour la mutation réside (nous y avons déjà fait allusion) dans l'obligation faite à la Commission, lorsque le résultat de l'examen ne permet pas d'attribuer l'emploi, de fournir une motivation détaillée permettant de déterminer quelles ont été les considérations ayant entraîné le rejet de la candidature et si elles ont été mûrement pesées. Examinons donc si la Commission a satisfait à cet impératif. Certes, nous ne devrons pas aller jusqu'à exiger que la Commission adopte une décision motivée pour chacun des intéressés et la lui notifie. Dans les procès en matière de nomination dont la Cour a été saisie, elle n'a jamais affirmé que l'administration était tenue de le faire à l'égard des candidats évincés; on ne saurait démontrer qu'une telle exigence doive davantage être respectée à l'égard de candidats bénéficiaires d'un droit de priorité. Notre examen doit dès lors uniquement porter sur le point de savoir quelle motivation de l'adoption de la décision attaquée a été reprise dans le procès-verbal de la réunion de la Commission et (conformément à la jurisprudence de l'arrêt Serio ( 5 ) du 15 décembre 1966) comment la Commission a entrepris de motiver sa décision devant la Cour. En ce qui concerne, tout d'abord, la motivation figurant au procès-verbal, nous pouvons suivre le requérant quand il affirme qu'elle se réduit à une formule dépourvue de tout élément concret. En effet, nous n'y découvrons que le membre de phrase suivant : «ayant pris en considération au vu de leur dossier, tant la formation universitaire que l'expérience professionnelle des intéressés, de même que l'ensemble de leur personnalité», ce qui revient à dire que nous nous trouvons en face d'une formule stéréotypée, dans laquelle il est impossible d'apercevoir les particularités du cas d'espèce (ne perdons pas de vue qu'il s'agissait d'apprécier le cas de trois candidats prioritaires). Dès lors, si nous ne devions avoir égard qu'à ces seules énonciations, la Commission devrait sans conteste s'incliner devant le reproche d'avoir insuffisamment motivé sa décision. Au début, la procédure écrite, elle non plus, ne nous en a pas appris davantage. Ce n'est que dans sa duplique que la Commission a fourni des précisions sur les raisons qui l'avaient amenée à penser que le requérant ne possédait pas les aptitudes requises pour l'emploi litigieux. Des considérations qu'elle a exposées à cette occasion il ressort essentiellement que les compétences du requérant en matière de sécurité du travail sont surtout de nature technique, tandis qu'il n'a jamais soutenu qu'il était familiarisé avec les aspects juridiques de ce secteur. Telle est, déclare la Commission, la raison pour laquelle il n'a pas pu être retenu pour un emploi qui exige, aux termes de l'avis de vacance, des connaissances approfondies de l'état du droit dans le domaine de la sécurité du travail. Voilà incontestablement un motif de fond se rapportant au cas précis de l'intéressé. Mais notre examen ne saurait s'arrêter là: il nous reste à nous demander si la motivation ainsi fournie apparaît comme parfaitement convaincante. Sans doute, en nous posant cette question, touchons-nous au jugement de valeur que la Commission a porté sur les aptitudes du requérant. Cependant, comme notre intention est, non pas de substituer notre appréciation à celle de la Commission, mais simplement de voir s'il n'y a pas d'indices graves d'inexactitude de celle-ci, rien ne paraît pouvoir s'opposer en principe à ce que nous vérifions les motifs allégués par la Commission, comme la Cour l'a admis dans l'hypothèse similaire de l'affaire 62-65 ( 6 ). Un premier point essentiel à cet égard, ce sont les explications que, sans être contredit par la Commission, M. Wonnerth a fournies lui-même sur son activité antérieure en matière de sécurité du travail. La note qu'il a rédigée le 24 octobre 1968 nous apprend qu'il a dirigé pendant plusieurs années le service central de la sécurité du travail dans une grande entreprise industrielle. En outre, il a fait partie de diverses commissions chargées de questions relatives à ce secteur. Il a assuré un enseignement de formation professionnelle dans ce domaine et il est l'auteur de publications sur ces matières. Relevons notamment à cet égard la thèse qu'il a fait paraître en 1958 sur la sécurité du travail et la prévention des accidents dans les mines de la Ruhr. Dans le cadre de son activité à la Haute Autorité, les questions de sécurité du travail ont également eu leur place. Nous avons appris qu'il a été secrétaire suppléant du groupe d'experts de la sécurité dans les mines et qu'en qualité de chef de la division «Recherche technique», il s'est occupé de plusieurs programmes de recherche en matière de sécurité et d'hygiène du travail. Pour plus de détails, nous nous permettons de renvoyer à la note déjà mentionnée. Il est bien exact que cette note est de nature à faire apparaître que, si le requérant a une expérience approfondie, c'est bien dans le domaine de la sécurité du travail. L'impression qu'on retire de cette note est en outre confirmée par le fait que le directeur général dont relève le poste litigieux, ce qui revient à dire une personne particulièrement compétente pour porter un jugement, a déclaré formellement en parlant de tous les candidats, y compris le requérant, qu'il s'agissait de «candidats valables». A ces considérations la Commission rétorque (et c'est en somme sa seule objection) que l'attribution de l'emploi était également subordonnée à l'étendue et à la qualité des connaissances juridiques. Mais cette objection lui permettait-elle de trancher nettement au désavantage du requérant la question des aptitudes? Voilà qui paraît douteux à maints égards. En effet, comment concevoir, tout d'abord, que le requérant se soit occupé pendant plusieurs années de sécurité du travail sans s'être du même coup familiarisé suffisamment avec les aspects juridiques de ces problèmes? Mais un second raisonnement peut être tenu, et il nous paraît intéressant, lui aussi. Aux termes de l'avis de vacance, c'est avant tout une «formation d'ingénieur» qui était exigée. Il est constant que le requérant possède cette formation. En va-t-il de même pour le candidat qui a obtenu le poste et qui a une formation de juriste? Voilà qui est à tout le moins douteux. Les documents qui sont à notre disposition nous apprennent en tout cas que ce n'est qu'à titre provisoire (en raison du manque de personnel) que l'examen de certaines questions techniques lui a été confié (c'est ce qui ressort du rapport de 1963) ou qu'il s'est aussi occupé, en cas de nécessité, des aspects techniques dans le domaine de la sécurité du travail (c'est ce que nous pouvons lire dans les rapports de 1964 et de 1965). Certes, loin de nous l'idée de conclure de ces éléments que le candidat qui a été nommé ne possède pas les aptitudes requises pour le poste qui lui a été confié (ce qui imposerait de mettre à néant sa nomination). Cependant, cette circonstance n'en démontre pas moins que, manifestement, la Commission n'a pas été rigoriste dans son interprétation des conditions exigées par l'avis de vacance. Mais, si elle a considéré qu'il lui était permis de se montrer aussi généreuse alors qu'il s'agissait de statuer sur la candidature d'un fonctionnaire qui n'avait qu'une vocation à la promotion, il est indubitable qu'elle se devait de nous expliquer spécialement pourquoi il ne convenait pas d'adopter une attitude aussi libérale, ou encore plus libérale (nous pensons ici aux connaissances juridiques du requérant), au moment d'apprécier son droit de priorité pour la mutation. Or, nous n'apercevons aucune trace de cette justification. Compte tenu du caractère rigoureux des conditions exigées par l'article 8 du règlement 259, nous ne pouvons, croyons-nous, faire autrement que de constater que le jugement négatif émis sur les aptitudes du requérant à occuper le poste vacant prête le flanc à la critique et qu'à tout le moins la Commission est en défaut d'avoir fourni une motivation convaincante du rejet de sa candidature. C'est là encore un motif d'annulation de la décision attaquée. |
4) |
Il est dès lors superflu que nous poussions plus loin nos investigations. C'est ainsi qu'il est inutile que nous nous étendions sur les conclusions tendant à faire définir le droit d'être muté par priorité. Nous croyons en avoir assez dit à son sujet dans les considérations qui précèdent. Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire que vous vous prononciez spécialement sur ce point dans le dispositif de votre arrêt. Il est également superflu d'aborder les conclusions par lesquelles le requérant demande (subsidiairement) l'annulation de la décision implicite de refus qui est censée avoir été prise à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour du dépôt de sa réclamation. Il en va de même, enfin, pour l'argument formulé subsidiairement et selon lequel la décision attaquée viole l'article 5, paragraphe 2, l'article 27, alinéa 1, et l'article 45, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires. En effet, il ne faudrait examiner cet argument que s'il fallait faire abstraction du droit de priorité pour la mutation, au sens que nous avons précisé ci-dessus. |
III — Récapitulation
Voici dès lors comment nous pouvons conclure :
Doivent être rejetées comme irrecevables: les conclusions par lesquelles le requérant demande l'annulation de la (prétendue) décision de rejet de sa candidature, celles par lesquelles il demande de dire qu'il possède les aptitudes requises pour l'emploi déclaré vacant et qu'il a le droit d'y être nommé, de même que celles qui tendent à faire dire que le fonctionnaire qui a obtenu le poste est tenu d'intervenir à l'instance.
Les conclusions par lesquelles le requérant veut entendre dire que la Commission est tenue d'arrêter des règles précises pour l'attribution d'un emploi auquel des fonctionnaires bénéficiant d'un droit de priorité posent leur candidature ne sont pas fondées.
En revanche, le recours apparaît comme fondé en tant qu'il vise à l'annulation de la décision ayant affecté un autre fonctionnaire à l'emploi vacant.
Quant aux dépens, nous croyons qu'il est justifié de les mettre en totalité à la charge de la Commission, le requérant ayant triomphé pour l'essentiel de ses prétentions.
( 1 ) Traduit de l'allemand
( 2 ) Arrêt du 31 mars 1965 (Rauch contre Commission), Recueil, XI-1965, p. 191, édit. française.
( 3 ) Arrêt du 15 décembre 1965 dan: l'affaire 15-65 (Klaer contre Haute Autorité), Recueil. XI-1965, p. 1308, édition française.
( 4 ) Volume I, page 324.
( 5 ) Affaire 62-65, Recueil, XII-1966, p. 826, édit française.
( 6 ) Arrêt Serio du 15 décembre 1966, Recueil, XII-1966, p. 826, édit. française.