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Document 61963CC0079

Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 13 mai 1964.
Jean Reynier et Piero Erba contre Commission de la Communauté économique européenne.
Affaires jointes 79-63 et 82-63.

édition spéciale anglaise 1964 00511

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1964:29

Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

13 mai 1964

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

Page
 

Introduction (objet du litige, points de fait et de droit, conclusions)

 

Appréciation juridique

 

I — Conclusions dans les affaires 79 et 82-63

 

1. Quelle est, dans ces affaires, la partie défenderesse?

 

2. Demande d'annulation des décisions du 21 janvier 1963

 

3. Demande tendant à l'annulation du refus de la Commission de classer les requérants selon leurs fonctions

 

4. Conclusions subsidiaires.

 

II — Dépens des affaires 98 et 99-63

 

III — Résumé et conclusion

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Les deux affaires inscrites au rôle d'aujourd'hui, qu'une ordonnance du 23 avril 1964 a jointes aux fins de la procédure orale et donc également en vue des conclusions, concernent des problèmes de classement d'agents, après leur intégration en vertu du nouveau statut du personnel, problèmes que notre collègue Lagrange et la Cour ont eu l'occasion d'examiner en détail dans l'affaire «Maudet contre Commission de la Communauté économique européenne».

Dans les grandes lignes, les faits nous semblent être incontestables.

Le requérant no 1 (affaire 79-63) et le requérant no 2 (affaire 82-63) sont entrés au service de la Commission de la Communauté économique européenne sur la base de «contrats de Bruxelles» (contrat du 18 mars 1959 dans le cas du requérant no 1, du 9 décembre 1959 dans le cas du requérant no 2). Ils ont été affectés au service statistique et, au début, ont touché un traitement correspondant au grade A 6-1 (requérant no 1) ou A 5-2 (requérant no 2) de la grille des traitements du personnel de la C.E.C.A. Après plusieurs augmentations de traitement (par lettre de la Commission du 14 décembre 1960, le requérant no 1 a été classé en A 5-2, et le requérant no 2 en A 4-1 par une lettre de la Commission de même date), les deux requérants ont été nommés, au courant de l'année 1961, chefs de division à l'Office statistique, et cela, dans le cas du requérant no 1, par décision du 22 décembre 1961, avec classement en A 4-2 à compter du 1er décembre 1961, et, pour le requérant no 2, par décision du 3 mai 1961, en maintenant son classement antérieur.

Dans le cadre de la procédure d'intégration engagée après la mise en vigueur du nouveau statut du personnel des Communautés, en vue d'examiner l'opportunité d'une titularisation, les fonctions des requérants ont été définies dans les rapports d'intégration comme étant celles de chefs de division. Dans les deux cas, la, procédure d'intégration s'est terminée par la titularisation des intéressés, avec classement au grade A 4-2 (décisions de la Commission du 21 janvier 1963).

Se fondant sur l'article 90 du statut du personnel, les deux fonctionnaires ont protesté contre ce classement par une lettre à la Commission (lettre datée, dans le cas du requérant no 1, du 2 avril 1963, et, dans le cas du requérant no 2, du 4 avril 1963). Les requérants ont réclamé un classement en A 3 à compter du 1er janvier 1962, en invoquant le fait qu'avant la mise en vigueur du statut du personnel et les décisions d'intégration, comme par la suite, ils ont exercé sans aucun changement les fonctions de chefs de division, ce qui, d'après l'annexe 1 du statut du personnel, exige un classement au grade 2.

Dans les deux cas, par lettre du 21 mai 1963, le président de la Commission a répondu que la Commission «n'était pas en mesure de prendre position à l'égard de la demande, les problèmes soulevés par l'existence de l'article 102 et du tableau de correspondance entre emplois types et carrières, figurant à l'annexe I, devant être étudiés dans leur ensemble».

C'est alors que les requérants ont introduit leurs recours en présentant les conclusions suivantes :

annulation de la décision de titularisation, pour autant que les requérants ont été classés dans le grade A 4 ;

annulation de la décision portant refus des demandes de classement contenues dans les lettres du 21 mai 1963;

constatation de l'obligation pour la Commission de classer les requérants au grade A 3;

subsidiairement :

condamner la Communauté économique européenne ou, le cas échéant, la Commission de la Communauté économique européenne, au paiement de 1 franc belge à titre de dommages-intérêts, sous réserve de compléter cette demande en cours d'instance.

Ce sont essentiellement ces conclusions que nous devons examiner aujourd'hui.

En outre, la Cour doit statuer sur les dépens des affaires 98 et 99-63 et des affaires de référé 98 et 99-63. Les recours 98 et 99-63 ont été formés par les mêmes fonctionnaires, au moment où, au cours de la procédure écrite dans les affaires 79 et 82-63, la Commission a publié un avis de vacance en vue de la nomination d'un fonctionnaire de carrière A 3 à l'Office statistique des Communautés européennes (Bulletin d'information du personnel du 25 octobre 1963). Ces recours ont été motivés par l'argument, invoqué par la Commission dans les affaires 79 et 82-63, selon lequel elle ne pourrait donner suite à la demande des requérants tendant à être classés en A 3, parce que l'organigramme ne contenait aucun poste vacant dans cette carrière. Après que, dans les procédures ayant pour objet le sursis aux opérations de recrutement attaquées, intentées en même temps que les recours 98 et 99-63, la Commission eût déclaré qu'elle exécuterait dans tous les cas l'arrêt de la Cour de justice et que, si les requérants avaient gain de cause dans les affaires 79 et 82-63, elle les classerait dans la carrière A 3 à compter du 1er janvier 1962, les requérants ont retiré les recours en annulation 98 et 99-63. Conformément à des ordonnances de la Chambre en date du 12 mars 1964, qu'il y a lieu de considérer à cet égard comme des ordonnances de jonction, il convient de statuer sur les dépens de ces affaires et sur la demande tendant à la suspension des opérations de recrutement (voir ordonnance du président du 13 novembre 1963, concurremment avec les recours 79 et 82-63.

Appréciation juridique

I — LES CONCLUSIONS DANS LES AFFAIRES 79 ET 82-63

1. Quelle est, dans ces affaires, la partie défenderesse?

Malgré la jurisprudence des arrêts De Bruyn (affaire 25-60), Schmitz-Wollast (affaire 18-63) et Raponi (affaire 27-63), qui, en cela, suivent les conclusions des avocats généraux et qui correspondent d'ailleurs à une longue pratique judiciaire, les requérants dans les présentes affaires ont cru nécessaire d'examiner, une fois de plus, la question de savoir qui devrait être considéré comme partie défenderesse, la Communauté économique européenne, en tant que telle, ou la Commission de la C.E.E. Les requérants sont d'avis qu'il y a à cela un motif spécial, parce qu'ils désirent impliquer le Conseil de ministres comme partie au différend en vue de permettre, par ce biais, l'application de l'article 21, alinéa 1, du statut de la Cour de justice, qui prévoit que la Cour peut demander aux parties la production de tout document et de toute information qu'elle juge désirables, cela notamment en raison de l'argument de la Commission qui allègue qu'elle n'a pu régulariser la situation des requérants à cause du refus du Conseil de prévoir des postes de la carrière A 3 dans le budget de la Commission.

En effet, en examinant la présente affaire avec ses problèmes de droit budgétaire qui relèvent de la compétence du Conseil de ministres, on a l'impression qu'une participation du Conseil de ministres à la procédure ne serait pas sans utilité. Et l'on pourrait même être tenté de se demander s'il ne faudrait pas envisager d'adopter une procédure pour l'intervention forcée de certaines parties, procédure jusqu'ici inconnue du règlement de la Cour de justice.

Toutefois, nous devons nous demander si la voie choisie par les requérants, et cette voie seule, est susceptible de nous mener au but souhaité, qui est d'obtenir que le Conseil de ministres présente ses observations sur les problèmes soulevés. Après de nouvelles et sérieuses réflexions, nous croyons pouvoir affirmer que tel n'est pas le cas.

Rappelons tout d'abord qu'en cours de procédure il est possible de demander des informations au Conseil de ministres, sans qu'il soit pour autant partie au différend (cf. article 21, alinéa 2, du statut de la Cour de justice) ; or, c'est sans doute cela qui intéresse les requérants en tout premier lieu.

Ensuite, comme nous l'avons déjà relevé au cours de l'affaire Raponi, nous pensons que c'est précisément l'article 21 du statut qui fournit un argument essentiel pour la thèse selon laquelle, dans un recours formé contre elle, la Communauté ne peut pas être partie en même temps que toutes ses institutions. Comment expliquer autrement la formule utilisée par l'article 21 «institutions qui ne sont pas parties au procès» ? Si la thèse des requérants était exacte, cette formule serait dénuée de sens, tout comme le serait le droit des autres institutions communautaires d'intervenir au litige soumis à la Cour (article 37 du statut de la Cour). Enfin, il y aurait lieu de se demander quelle institution serait responsable, en dernière analyse, de la direction d'un procès, question particulièrement justifiée dans le cas d'institutions communes et dans le cas du défaut de comparution d'une institution.

Pour ces raisons, nous devons admettre que la qualité de partie au procès doit être réservée à certaines institutions déterminées, tout comme, du point de vue du fond, selon le traité (article 4), et du point de vue du droit du personnel, selon le statut du personnel (article 2), les différentes institutions ont la responsabilité de l'exercice de certaines compétences déterminées.

Dans le cas de recours en annulation dirigés contre certains actes d'une seule institution, on peut admettre, conformément au partage des compétences, que c'est l'institution à laquelle il appartient d'agir, à l'exclusion de toutes les autres, qui doit seule être considérée comme partie au procès. Dans le cas d'espèce, les demandes d'annulation visent exclusivement des actes de la Commission (titularisation; refus de demandes de reclassement). Il n'est donc même pas possible d'envisager l'application de l'article 18 du statut de la Cour de justice, qui contient une disposition dont le sens n'a d'ailleurs pas encore été entièrement clarifié et qui dispose que les actes de procédure doivent être communiqués non seulement aux parties au procès mais aussi aux institutions dont les décisions sont en cause.

Pour ces motifs, et pour ceux que nous avons exposés dans l'affaire Raponi, nous ne voyons pas la possibilité, en l'espèce, de reconnaître la qualité de partie au procès à d'autres institutions que la Commission de la Communauté économique européenne et d'admettre le Conseil à l'instance autrement qu'en empruntant la procédure de l'article 21, alinéa 2, du statut C.E.E.

Quant aux demandes de dommages-intérêts, fondées sur une prétendue faute de service de la Commission, cette question peut rester ouverte pour l'instant, puisque ces demandes n'ont été présentées que pour le cas où les requérants seraient déboutés au principal. Il est vrai qu'à cet égard aussi nous penchons pour la thèse qu'un recours contre la Communauté en tant que telle n'est pas recevable. Il nous semble que, dans ces cas aussi, le requérant est obligé de préciser dans sa requête quelle est l'institution qui lui aurait causé un dommage et de diriger son recours expressément contre elle.

2. Demande d'annulation des décisions du 21 janvier 1963

En ce qui concerne le fond, les requérants visent avant tout l'annulation des décisions de titularisation, dans la mesure où, en violation des dispositions de l'article 102 du statut du personnel, ces décisions ne les ont pas titularisés dans la carrière qui leur a été implicitement reconnue du fait qu'ils ont été chargés de certaines fonctions déterminées.

A cet égard, il nous semble que l'arrêt Maudet a dit tout ce qu'il y a à dire. La Cour a clairement relevé que l'article 102 du statut du personnel tend, avant tout, à maintenir des positions juridiques acquises au moment de la mise en vigueur du statut du personnel, et cela par une simple transposition du classement, attribué antérieurement, dans le tableau de l'article 66 du nouveau statut du personnel. D'après l'arrêt cité, il suffit seulement de constater le grade et l'échelon dans lesquels un agent se trouvait avant la mise en vigueur du statut du personnel, alors que, durant cette première phase de l'intégration, les fonctions exercées, visées à l'annexe I du statut du personnel, ne sont pas encore déterminantes.

Cela étant dit, la tentative des requérants d'attribuer un sens différent à la formule «grades et échelons implicitement attribués» ne peut avoir de succès. Les requérants estiment que, dans l'application de l'article 102 du statut du personnel, il ne faut pas tenir compte de la date de la mise en vigueur du statut, mais de celle de l'intégration d'un agent. A ce moment, par l'attribution de fonctions auxquelles doit correspondre! un certain grade selon l'annexe I du statut du personnel, un agent peut avoir obtenu un classement implicite qui diffère de celui dont il a bénéficié jusqu'à la mise en vigueur du statut, sous «contrat de Bruxelles». Or, cet argument ne nous semble pas pertinent. La teneur de l'article 102 ne laisse subsister aucun doute sur le fait que seule importe la position juridique qu'un agent avait obtenue «avant son admission au bénéfice du statut». Or, ce qui avait été reconnu implicitement ne peut être établi à la lumière de dispositions du nouveau statut, dont l'application ou la non-application à certains agents déterminés ne sera décidée qu'au moyen de la procédure d'intégration.

Il est possible de répondre sans aucune difficulté à la question de savoir quel était le classement des requérants jusqu'à leur intégration, parce que nous connaissons la teneur de leurs contrats de Bruxelles avec leurs différents amendements et la référence au régime du personnel de la C.E.C.A. Ainsi, l'article 102 du statut du personnel ne leur confère aucun droit au classement A 3. De même que dans l'affaire Maudet, leurs premières conclusions doivent être rejetées comme non fondées.

3.

En ce qui concerne le deuxième chef des conclusions, l'annulation du refus de la Commission de classer les requérants conformément à leurs fonctions, ainsi que le prescrit l'annexe I du statut du personnel, notons qu'au cours de la procédure orale la Commission a retiré les exceptions d'irrecevabilité soulevées à l'origine et qu'il n'y a pas lieu pour autant de les examiner d'office.

Quant au bien-fondé de ce chef des conclusions, ainsi que nous l'avons fait en ce qui concerne le chef no 1, nous pouvons nous référer tout d'abord à l'arrêt Maudet, dont les faits sont analogues à ceux de la présente affaire. A l'époque, la Cour a déclaré qu'un agent qui, après son intégration, a été laissé dans une position à laquelle, en vertu de ses fonctions d'après le nouveau statut du personnel, correspond un classement plus élevé qu'il n'en résulte de l'article 102 du statut du personnel, a droit à la régularisation de sa position, conformément à l'annexe I du statut du personnel.

La demande de M. Maudet, tendant à être classé en A 3 à compter du 1er janvier 1962, a été reconnue fondée parce que la Cour a constaté que, jusqu'à la mise en vigueur du nouveau statut, cet agent a exercé les fonctions de chef de division et que, pour cette raison, il avait été classé dans la carrière A 4, c'est-à-dire dans une carrière qui, d'après la grille des carrières du statut du personnel de la C.E.C.A., constituait le début de la carrière d'un administrateur principal. La Cour a déclaré en outre que, d'après le nouveau statut du personnel, seul un classement en A 3, tel qu'il est prévu par l'annexe I pour les chefs de division, correspondait à cette carrière. Étant donné que, même après son intégration, M. Maudet a continué à exercer ses fonctions d'origine, auxquelles correspond par ailleurs un classement dans le grade A 3 d'après la description des fonctions et attributions de la Commission, son droit à la rectification du classement était irréfutable.

Il n'en est pas autrement dans le cas d'espèce. Avant la mise en vigueur du statut et l'intégration des requérants, comme après, ceux-ci ont exercé et exercent les fonctions de chefs de division. La Commission a reconnu ce fait aussi bien dans les rapports d'intégration que dans les notations prévues par l'article 43 du statut du personnel, et à cet égard il est tout aussi vrai que les fonctions effectivement exercées correspondent à la description des attributions d'un chef de division, telles que la Commission elle-même les a définies. Enfin, il est établi que la Commission n'a pas fait de tentative pour modifier son organisation administrative, mais qu'elle s'est efforcée, au contraire, d'obtenir du Conseil de ministres les crédits budgétaires nécessaires pour le reclassement des postes des requérants.

Il ne reste plus qu'à examiner s'il y a lieu de statuer différemment dans le cas présent, vu les assurances expresses que la Commission a données, oralement et par écrit, et selon lesquelles, malgré ses demandes auprès du Conseil de ministres, elle ne dispose pas, dans son organigramme, de postes vacants du grade A 3, des raisons budgétaires l'empêchant ainsi de donner suite aux demandes des requérants, dont elle reconnaît par ailleurs le bien-fondé.

Or, cet argument avait été présenté également dans l'affaire Maudet; cela ressort des motifs de l'arrêt. A cette occasion, la Commission a fait valoir également qu'elle ne disposait d'aucun poste A 3 et que le Conseil avait refusé de faire droit à une demande de crédits budgétaires. Si la Cour de justice a néanmoins statué en faveur de M. Maudet, cela doit signifier que la Cour n'a pas attaché d'importance décisive à l'argument de là Commission.

Comment l'expliquer? Deux réponses sont possibles: ou bien la Cour de justice a estimé qu'il suffit que la Commission dispose dans son organigramme de postes du grade A 3 vacants, même si elle les a réservés à d'autres directions générales, de sorte qu'aucun obstacle budgétaire ne s'oppose à ce qu'il soit satisfait aux demandes des requérants, parce que la Commission est libre d'effectuer des transferts à l'intérieur de son organigramme. Ou alors, il faut admettre que la Cour de justice estime que l'attitude de fait qu'adopte le Conseil en matière de droit budgétaire ne présente aucune importance, parce qu'il existe des droits acquis de fonctionnaires qui se fondent sur le statut du personnel, adopté par le Conseil lui-même, et pour l'application duquel celui-ci doit de plein droit prendre toutes les mesures nécessaires relevant de sa compétence. Selon cette thèse, le Conseil n'a pas la possibilité, du moins en ce qui concerne le passé, d'empêcher, en refusant des crédits budgétaires, l'application de dispositions qu'il a adoptées lui-même dans le statut du personnel et ses annexes pour l'intégration des agents

Il ne nous semble pas qu'il y ait des raisons valables pour rejeter l'une ou l'autre de ces interprétations. Mais cela amène à constater que la présente affaire ne peut avoir d'autre solution que celle de l'affaire Maudet. Il nous semble notamment sans importance que les requérants actuels appartiennent à l'Office statistique commun des Communautés, alors que, selon les informations de la Commission, il n'existe de postes A 3 disponibles qu'en dehors du service statistique, car nous ne voyons pas comment l'on pourrait attribuer, budgétairement, une position spéciale au poste réservé à la Commission dans le cadre du service non autonome de l'Office statistique. S'il est nécessaire, le cas échéant, d'effectuer des transferts de postes libres dans l'ensemble de l'organigramme de la Commission, il nous semble que les mêmes considérations que dans l'affaire Maudet devraient s'appliquer ici.

Cela signifie qu'en l'espèce la Cour de justice devrait également déclarer fondée la demande des requérants d'être classés en A 3 à compter du 1er janvier 1962, et cela sans qu'il paraisse nécessaire de demander au Conseil ses observations au sujet des questions budgétaires qui ont été soulevées, parce que celles-ci touchent tout au plus les modalités d'exécution, mais non pas le bien-fondé des droits en cause.

Par conséquent, le deuxième et le troisième chef de conclusions sont fondés, l'un tendant à l'annulation du refus de la Commission de classer les requérants conformément à leur demande, l'autre tendant à la constatation de ce droit acquis.

4.

Il n'y a plus lieu, dès lors, de s'occuper des demandes de dommages-intérêts présentées à titre subsidiaire. Celles-ci devraient seulement être envisagées dans le cas où les requérants succomberaient dans leurs conclusions principales.

II — DÉPENS DES AFFAIRES 98 ET 99-63

Il faut dire un mot encore des dépens des affaires 98 et 99-63, question qui est restée ouverte, ainsi que sur les dépens des demandes de sursis introduites en même temps; étant donné l'étroite connexité personnelle et matérielle de la décision, la question a été réservée pour la présente affaire.

Vous vous souvenez, Messieurs, que les requérants ont fait valoir que la Commission devait supporter la totalité des dépens de l'affaire, la Commission soutenant de son côté qu'il y a lieu de compenser les dépens.

La disposition en matière de désistement est l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure qui dispose que : «La partie qui se désiste est condamnée aux dépens, sauf si ce désistement est justifié par l'attitude de l'autre partie.»

Elle soulève deux questions :

Quand le désistement est-il justifié par l'attitude de l'autre partie?

Dans ce cas, les dépens seront-ils compensés, ou bien la totalité des dépens peut-elle être mise à la charge d'une seule partie?

La réponse à la seconde de ces questions ne devrait pas donner lieu à des difficultés. La compensation des dépens, telle qu'elle découle du deuxième alinéa de l'article 69, paragraphe 4, est prévue pour le seul cas où la partie adverse ne présente pas de conclusions quant aux dépens. Un tel règlement de dépens serait dépourvu de sens, notamment dans les recours de fonctionnaires, puisque dans ce cas, et abstraction faite de la réglementation de l'article 69, paragraphe 3, alinéa 2 (cf. l'article 70), les institutions parties au différend doivent, en principe, supporter leurs propres dépens. Si donc l'article 69, paragraphe 4, doit avoir une portée autonome à l'égard du désistement dans les recours de fonctionnaires, il faut qu'il permette de condamner la partie adverse à supporter une proportion plus grande des dépens, et précisément la part qui a été occasionnée par son attitude, ce qui peut comporter, le cas échéant, la totalité des dépens de l'affaire.

En ce qui concerne la première question, la pratique judiciaire nationale pourra fournir certaines indications utiles. Là s'applique également la règle qu'en cas de désistement le requérant supporte les frais de l'instance ( 1 ). Rosenberg (Lehrbuch des deutschen Zivil prozessrechts, 1re édition, p. 621) parle précisément d'un principe général de droit. Koehler : Kommentare zur deutschen Verwallungsgerichtsordnung ( 2 ) relève qu'en pareil cas une décision discrétionnaire n'est pas concevable; les motifs du désistement ne doivent pas être pris en considération et, en règle générale, aucune importance n'est attachée aux fautes des parties. Ce n'est que dans des conditions très strictes que sont permises des dérogations à ce principe, comme par exemple lorsqu'une administration publique a suscité un recours par des informations inexactes sur les voies de droit (Koehler, loc. cit.), ou lorsque le recours a été formé sur la base d'indications erronées, fournies par l'administration (Conseil d'État, 1955, p. 778), ou encore lorsque le désistement est déclaré une fois que la partie adverse a accordé au requérant une certaine satisfaction (Conseil d'État, 1913, p. 601).

Nous devrions adopter une ligne de conduite semblable dans notre jurisprudence. Dans ce cas, l'article 69, paragraphe 4, ne s'appliquerait qu'à des situations exceptionnelles, dans lesquelles il est établi que la partie adverse porte une grande part de responsabilité dans les dépens de procédure, comme lorsque, par exemple, un recours, irrecevable en soi, a été provoqué par le comportement de la partie adverse, mais lorsque ultérieurement celle-ci, par des déclarations sans équivoque sur la nature juridique d'un acte attaqué, permet la rectification de l'erreur originaire.

Nous avons expliqué au début de nos conclusions comment, dans le cas d'espèce, les faits se présentent à cet égard. Les événements dont il est question se situent chronologiquement comme suit: argumentation de la Commission d'après laquelle elle ne disposait d'aucun poste libre permettant de satisfaire aux demandes des requérants, présentées dans le mémoire en défense des affaires 79 et 82-63 du 28 septembre 1963; publication d'un avis de vacance ouvrant les opérations de recrutement pour un poste du grade A 3 au service statistique le 25 octobre 1963; recours formé contre l'avis de vacance (affaires 98 et 99-63) le 29 octobre 1963; désistement par lettre du 23 décembre 1963, après déclaration orale de la Commission au cours de la procédure de sursis (audience du 11 novembre 1963) qu'elle reclasserait les requérants à compter du 1er janvier 1962 dans le grade A 3 dans le cas où leurs recours 79 et 82-63 aboutiraient. Cette suite chronologique des événements nous démontre que les recours 98 et 99-63 n'auraient pas été introduits si la Commission avait donné plus tôt l'assurance précitée relative à l'exécution des demandes qui font l'objet des recours actuels, assurance qui a amené le président de la Cour de justice à déclarer, au cours de la procédure de sursis, que les requérants n'avaient pas démontré l'existence d'un intérêt digne de protection juridique à la suspension des opérations d'engagement.

Voilà qui permet d'établir, en ce qui concerne l'introduction des recours 98 et 99-63, que la Commission a une part de responsabilité qu'il est possible de prendre en considération pour statuer sur les dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 4. Il nous paraît juste et conforme au sens de l'article 69, paragraphe 4, de condamner la Commission à supporter la part des dépens qui a été occasionnée aux requérants par les recours 98 et 99-83, c'est-à-dire leur totalité, puisque à l'égard de cette décision il n'importe pas de savoir si les recours étaient susceptibles d'aboutir.

Les mêmes considérations s'imposent en ce qui concerne les dépens de la demande de sursis. Or, étant donné que la Cour a rendu une décision sur ce point et, dans le cas d'espèce, une décision négative pour les requérants, cette question-là doit être résolue sur la base de l'article 69, paragraphe 3, et non pas sur la base de la disposition de l'article 69, paragraphe 4.

III — RÉSUMÉ ET CONCLUSION

Nous résumons: la première conclusion des requérants, tendant à l'annulation des décisions d'intégration, n'est pas fondée et doit être rejetée. En revanche, les autres conclusions au principal sont fondées. La Cour devra par conséquent annuler la décision de la Commission portant refus de reclasser les requérants, à compter du 1er janvier 1962, dans le grade A 3. Cela justifie aussi la demande de jugement déclaratif des requérants.

Comme dans l'affaire Maudet, il y a lieu de mettre les dépens de l'instance à la charge de la Commission, puisque, pour l'essentiel de leurs conclusions, les requérants ont eu gain de cause. Conformément à l'article 69, paragraphes 3 et 4, du règlement de procédure, la Commission doit supporter, en outre, la totalité des dépens des affaires 98 et 99-63 et des affaires de référé 98 et 99-63.


( 1 ) Gabolde, Traité pratique de la procédure administrative contentieuse, 1960, no 510; paragraphe 155 de la «Deutsche Verwaltungsgerichtsordnung» du 21 janvier 1960.

( 2 ) Koehler, 1960, note IV au paragraphe 155.

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