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Document 62023CO0325

Order of the Court (Seventh Chamber) of 30 May 2024.
JF and OP v Deutsche Bank Polska S.A.
Request for a preliminary ruling from the Sąd Okręgowy w Warszawie.
Case C-325/23.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:453

ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

30 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Crédit hypothécaire libellé en devise étrangère comportant des clauses abusives concernant le risque de change et l’écart de change – Article 3, paragraphes 1 et 2 – Clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle – Article 4 – Appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles – Exigence de rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle – Article 6 – Conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause »

Dans l’affaire C‑325/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), par décision du 27 octobre 2022, parvenue à la Cour le 25 mai 2023, dans la procédure

JF,

OP

contre

Deutsche Bank Polska S.A.,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre, et M. J. Passer, juge,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant OP et JF à Deutsche Bank Polska S.A. (ci-après « Deutsche Bank ») au sujet du caractère prétendument abusif de clauses, figurant dans le contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère conclu entre ces parties, ayant trait à la détermination du montant et de la devise du prêt.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les quinzième, seizième, vingtième et vingt-et-unième considérants de la directive 93/13 énoncent :

« [C]onsidérant qu’il est nécessaire de fixer de façon générale les critères d’appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles ;

considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ;

[...]

considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles ; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses, et que, en cas de doute, doit prévaloir l’interprétation la plus favorable au consommateur ;

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives ».

4        L’article 3, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose :

« 1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2.      Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[...] »

5        L’article 4 de ladite directive prévoit :

« 1.      [...] [L]e caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.      L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

6        L’article 5 de la même directive est libellé comme suit :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »

7        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

 Le droit polonais

8        L’article 3581, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964 no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), dispose :

« Sauf dispositions spécifiques, lorsque l’obligation porte, depuis sa naissance, sur une somme d’argent, la prestation est exécutée par le paiement de la valeur nominale. »

9        L’article 3851 du code civil est libellé comme suit :

« § 1.            Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas le consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant gravement atteinte à ses intérêts (clauses illicites). La présente disposition n’affecte pas les clauses qui définissent les prestations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque.

§ 2.      Lorsqu’une clause du contrat ne lie pas le consommateur en application du paragraphe 1, les parties restent liées par les autres dispositions du contrat.

§ 3.      Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle sont des clauses contractuelles sur le contenu desquelles le consommateur n’a pu avoir d’influence concrète. Il s’agit en particulier des clauses reprises d’un modèle de contrat proposé au consommateur par le contractant.

§ 4.      Il appartient à quiconque allègue qu’une clause a été négociée individuellement d’apporter la preuve de cette allégation. »

10      L’article 405 du code civil prévoit :

« Toute personne qui, sans base juridique, a obtenu un avantage pécuniaire aux dépens d’une autre personne est tenue de fournir l’avantage en nature et, si cela n’est pas possible, d’en restituer la valeur. »

11      Aux termes de l’article 410 du code civil :

« § 1.            Les dispositions des articles précédents s’appliquent notamment en cas de prestation indue.

§ 2.      Une prestation est indue si la personne qui l’a fournie n’était absolument pas tenue de la fournir ou n’était pas tenue de la fournir à la personne à qui elle a été fournie, ou si le fondement de la prestation a disparu ou si le but visé par la prestation n’a pas été atteint, ou si l’acte juridique exigeant la prestation était nul et n’est pas devenu valable après que la prestation a été fournie. »

12      L’article 69 de l’ustawa – Prawo bankowe (loi bancaire), du 29 août 1997 (Dz. U. de 1997, no 140, position 939), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit :

« 1.      La banque s’engage, par le contrat de crédit, à mettre à la disposition de l’emprunteur, pour la durée indiquée dans le contrat, les fonds destinés à l’objectif établi et l’emprunteur s’engage à les utiliser selon les conditions fixées dans le contrat, à rembourser, dans les délais, le montant du prêt utilisé, avec les intérêts et à payer une commission sur le prêt alloué.

2.      Le contrat de prêt doit être établi par écrit et préciser notamment :

[...]

2)      le montant et la devise du prêt ;

[...]

4)      les modalités et le délai de remboursement du prêt ;

4a)      en cas de contrat de crédit libellé en, ou indexé sur, une devise autre que la monnaie polonaise, les règles détaillées fixant les modalités et les dates de la fixation du cours des devises sur la base duquel sont notamment calculés le montant du prêt, ses tranches et mensualités (capital et intérêts) ainsi que les règles de conversion en devise du déboursement ou du remboursement du prêt ;

[...]

8)      les délais et les modalités de la mise à disposition des fonds au profit de l’emprunteur ;

9)      le montant des commissions si le contrat en prévoit ;

[...]

3.      Dans le cas d’un contrat de crédit libellé en, ou indexé sur, une devise autre que la monnaie polonaise, l’emprunteur peut rembourser les échéances (capital et intérêts) et effectuer un remboursement anticipé de la totalité ou d’une partie du montant du crédit directement dans cette devise. Dans ce cas, le contrat de crédit fixe également les modalités d’ouverture et de tenue d’un compte pour la collecte des fonds destinés au remboursement du crédit ainsi que les règles de remboursement au moyen de ce compte. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Le 1er février 2007, JF et OP ont, en tant que consommateurs, conclu avec Deutsche Bank le contrat de prêt en cause en vue d’acquérir un terrain à bâtir, la conclusion de ce contrat faisant suite à leur demande de se voir octroyer un prêt d’un montant en francs suisses correspondant à 200 000 zlotys polonais (PLN) (environ 46 000 euros), remboursable sur une durée de quinze ans. Aux fins du contrat de prêt en cause, Deutsche Bank a déterminé le montant final du prêt en francs suisses en convertissant cette dernière somme sur la base de son propre cours d’achat de cette devise. Le montant final du prêt a ainsi été fixé à 85 010 francs suisses (CHF) (environ 87 022 euros) et n’était pas susceptible de faire l’objet de négociations ultérieures.

14      Lors de la signature du contrat de prêt en cause, les emprunteurs ont signé une déclaration selon laquelle ils étaient conscients du risque de change lié à la souscription d’un crédit libellé en devise étrangère.

15      Le 8 février 2007, JF et OP ont demandé le déboursement du prêt en zlotys polonais et ont reçu 197 960,76 PLN (environ 45 500 euros), soit le montant du prêt au cours d’achat de la banque à cette date.

16      JF et OP ont remboursé l’intégralité du prêt en zlotys polonais jusqu’au 4 novembre 2019 pour un montant de 323 240,87 PLN (environ 74 300 euros), le cours de vente de la banque en vigueur deux jours ouvrables avant la date de paiement de l’échéance ayant été appliqué aux échéances calculées en francs suisses.

17      Le 31 janvier 2020, JF et OP ont introduit devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, une action visant à obtenir la restitution de toutes les sommes qu’ils avaient versées à Deutsche Bank au titre du contrat de prêt en cause, en invoquant le caractère abusif des clauses de ce contrat relatives à la conversion en zlotys polonais des sommes en francs suisses et inversement ainsi que la nullité dudit contrat qui résulterait de la suppression de ces clauses.

18      Deutsche Bank demande le rejet de l’action, au motif que ces clauses contractuelles n’étaient pas abusives. En effet, celles-ci n’auraient pas été nécessaires à l’exécution du contrat, dès lors que le prêt pouvait être déboursé et remboursé directement en francs suisses.

19      La juridiction de renvoi, ayant précisé que la possibilité de déboursement et de remboursement du prêt en francs suisses existait certes mais était soumise à des conditions particulières, a informé les parties de ce qu’elle estimait d’emblée que la clause du contrat de prêt en cause prévoyant l’octroi d’un crédit libellé en francs suisses et l’obligation de le rembourser en fonction du taux de change ultérieur de cette devise présentait un caractère abusif. Selon cette juridiction, bien qu’une telle clause détermine les prestations essentielles des parties, de telle sorte que, conformément à la jurisprudence de la Cour, elle échappe, en principe, à l’examen de son caractère abusif, elle est néanmoins susceptible d’être déclarée abusive eu égard au fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence, également rappelée par la Cour dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703).

20      Une telle clause serait abusive, d’une part, parce qu’elle inclurait un écart de change au profit de la banque, non expressément prévu dans le contrat de prêt en cause, découlant de l’application, pour la conversion du montant du prêt, de son propre cours d’achat, et, d’autre part, parce qu’elle transférerait le risque de change associé à cette devise aux consommateurs.

21      Ladite juridiction estime cependant nécessaire d’interroger la Cour, premièrement, sur le point de savoir si une clause selon laquelle le montant du prêt est fixé en devise étrangère sur la base d’un taux de change déterminé exclusivement par la banque avant même la conclusion du contrat peut être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle. En effet, JF et OP n’auraient alors pu qu’accepter le montant final du prêt calculé par Deutsche Bank selon un mécanisme qui, de surcroît, aurait résulté non pas d’un accord contractuel entre les parties, mais de l’application de la réglementation interne de la banque, le contrat de prêt ayant en outre été basé sur un modèle contractuel standard de la banque.

22      Dans l’hypothèse où il faudrait considérer qu’une telle clause ne saurait être considérée comme ayant fait l’objet de négociations individuelles, la juridiction de renvoi se demande, deuxièmement, quelle est la portée de l’exigence selon laquelle une clause doit être rédigée dans un langage clair et compréhensible. Selon cette juridiction, dans le contexte d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, il est nécessaire de définir clairement la relation entre l’obligation exprimée en francs suisses et la prestation exprimée en zlotys polonais, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 18 novembre 2021, A. S.A. (C‑212/20, EU:C:2021:934), même si cet arrêt concernait une clause jugée comme ne portant pas sur les prestations essentielles des parties. Elle en déduit que, s’agissant d’une clause fixant le montant et la devise du prêt, il faudrait fournir aux emprunteurs les informations pertinentes en ce qui concerne tant l’inclusion d’un écart de change en faveur de la banque que le transfert du risque de change aux consommateurs, pour qu’une telle clause satisfasse à l’exigence de rédaction claire et compréhensible.

23      Or, à la lumière, notamment, de l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703), il semblerait qu’un avertissement erroné sur le risque de change suffise pour conclure qu’une clause telle que la clause contractuelle en question a été libellée de manière équivoque. Cette juridiction se demande ainsi si la simple absence d’informations sur l’écart de change pourrait également suffire à considérer comme étant non transparente une clause relative à la fixation du montant du prêt en devise étrangère.

24      Elle précise que, en l’occurrence, Deutsche Bank n’a, en effet, à aucun moment indiqué aux emprunteurs que le montant du prêt incluait une rémunération supplémentaire liée à l’écart de change.

25      Troisièmement, dans la mesure où la clause relative à la fixation du montant du prêt aurait entraîné tant l’inclusion, dans le montant du prêt, d’un écart de change que le transfert du risque de change au consommateur, la juridiction de renvoi s’interroge sur le fait de savoir s’il est proportionné de considérer que l’inclusion d’un tel écart suffit pour établir l’existence d’un déséquilibre significatif entre les parties au contrat et, par conséquent, le caractère abusif d’une telle clause, même si le risque de change a fait l’objet d’un avertissement adéquat et que cet écart de change n’implique pas, en l’occurrence, à la différence du risque de change, une augmentation significative de la charge financière pesant sur les emprunteurs.

26      Cette juridiction souligne que l’inclusion d’un écart de change, même relativement faible, constitue en réalité une sorte de commission cachée facturée par la banque, sans que cette commission soit accompagnée d’une quelconque prestation qui pourrait en constituer la contrepartie. Elle tend ainsi à considérer qu’un tel aménagement du contrat traite de manière inéquitable le consommateur.

27      Enfin, quatrièmement, la juridiction de renvoi nourrit des doutes en ce qui concerne la possibilité de déclarer nul dans son ensemble le contrat de prêt en cause en raison du caractère abusif de la clause relative à la fixation du montant du prêt, dans la mesure où l’annulation du contrat éliminerait également les conséquences financières liées au transfert du risque de change.

28      À cet égard, bien que la Cour ait, en substance, reconnu cette possibilité, notamment dans ses arrêts du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819), et du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance (C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470), lorsque le risque de change découle notamment des clauses de conversion relatives au remboursement du prêt en monnaie nationale, la juridiction de renvoi estime pourtant que l’imposition du risque de change à l’emprunteur trouve en l’occurrence précisément son origine dans la clause déterminant le montant du crédit, à l’instar d’un contrat de prêt en devise étrangère ne contenant pas de telles clauses de conversion.

29      Or, dans une situation où le contrat prévoirait, comme en l’occurrence, la possibilité de verser et de rembourser le prêt non pas uniquement en monnaie nationale, mais également en devise étrangère, la seule suppression de ces clauses de conversion, au motif que celles-ci opéreraient le transfert du risque de change aux emprunteurs et seraient dès lors abusives, ne ferait pas obstacle à ce que le contrat puisse toujours être exécuté, les emprunteurs étant alors tenus de rembourser le prêt en devise étrangère. Il en résulterait qu’une telle différence mineure dans la structure du contrat n’aurait que peu de conséquences en pratique pour le consommateur, tout en empêchant l’annulation du contrat dans son ensemble, ce qui irait à l’encontre de l’objectif tendant à une protection efficace des emprunteurs.

30      En revanche, le fait d’analyser les clauses déterminant le montant et la devise du prêt comme étant celles transférant, de manière abusive, le risque de change au consommateur permettrait de tirer les conséquences du caractère abusif d’un tel transfert de risque, même sans analyser le caractère éventuellement abusif des clauses relatives aux conversions de devises.

31      Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une clause portant sur le montant d’un prêt exprimé en devise étrangère qui, comme dans l’affaire au principal, a été créée en convertissant le montant du prêt demandé par le consommateur en monnaie nationale au moyen d’un taux de change établi unilatéralement par la banque avant même la conclusion du contrat, doit-elle être considérée comme une clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle au sens de l’article [3], paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 ?

Lorsqu’une clause portant sur le montant du prêt est considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle :

2)      L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens que l’absence d’information sur l’ajout d’une marge (spread) de change au montant d’un prêt en devise étrangère, faisant partie d’une clause contractuelle telle que celle en cause au principal, constitue une condition autonome empêchant de considérer cette clause comme étant exprimée en langage clair et compréhensible, ou est-il également nécessaire, pour apprécier cette clause, de tenir compte de l’avertissement relatif au risque de change conformément au point 2 [du dispositif] de l’[arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)] ?

3)      L’article 3, paragraphe 1, de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens que le fait d’inclure un écart (spread) de change librement formé, au montant d’un prêt en devise étrangère faisant partie d’une clause contractuelle telle que celle de l’affaire au principal, entraîne un déséquilibre significatif des droits et obligations contractuels au détriment du consommateur, en augmentant ainsi la base du taux d’intérêt et, par conséquent, le coût réel du crédit ?

4)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un contrat de crédit libellé en devise étrangère, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, soit déclaré nul au motif qu’une clause portant sur le montant du prêt est abusive, même si les clauses relatives au paiement et au remboursement du prêt en monnaie nationale ou étrangère ne sont pas abusives ? »

 Sur les questions préjudicielles

32      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque, notamment, la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

33      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur la première question

34      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de cette disposition, une clause faisant partie d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur en vertu de laquelle la banque peut fixer le montant définitif du prêt libellé dans cette devise en appliquant à la somme exprimée en monnaie nationale, correspondant à la demande de financement du consommateur, un taux de change qu’elle détermine unilatéralement.

35      Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

36      En outre, selon le paragraphe 2, premier alinéa, de cet article, une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

37      En l’occurrence, ainsi que l’a exposé la juridiction de renvoi, en vertu de la clause en cause au principal, Deutsche Bank a fixé le montant définitif du prêt libellé en devise étrangère en convertissant en francs suisses la somme de 200 000 PLN (environ 46 000 euros), demandée par OP et JF, sur la base du cours d’achat du franc suisse tel que la banque l’avait déterminé la veille de la signature du contrat de prêt en cause. Le montant du prêt ainsi fixé à 85 010 CHF (environ 87 022 euros) a ensuite été présenté à ces consommateurs pour approbation lors de la signature de ce contrat.

38      Or, s’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si cette clause a fait, ou non, l’objet d’une négociation individuelle au sens de l’article 3 de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado, C‑226/12, EU:C:2014:10, point 19), celle-ci a d’ores et déjà indiqué, dans sa demande de décision préjudicielle, que, bien que OP et JF aient demandé à se voir octroyer le prêt d’une somme exprimée en zlotys polonais et choisi le franc suisse comme « base de conversion » de cette somme, les modalités de fixation du montant définitif de celle-ci, libellé en francs suisses, résultaient, en revanche, uniquement de règles internes de Deutsche Bank et n’avaient pas fait l’objet d’un accord contractuel spécifique. Cette juridiction souligne également que le contrat de prêt en cause était basé sur un modèle standard de la banque, élaboré par cette dernière avant la conclusion de ce contrat.

39      Dans ces circonstances, qu’il appartient le cas échéant à la juridiction de renvoi de vérifier, il apparaît que la clause relative à la fixation du montant du prêt, déterminant les modalités de fixation du montant définitif du prêt libellé en devise étrangère et ainsi, in fine, l’importance de la dette assumée par les consommateurs, doit être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13, dans la mesure où ces modalités ont été définies exclusivement par Deutsche Bank avant la conclusion de ce contrat sans que les consommateurs aient, de ce fait, pu avoir d’influence sur la détermination desdites modalités.

40      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de cette disposition, une clause faisant partie d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur en vertu de laquelle la banque peut fixer le montant définitif du prêt libellé dans cette devise en appliquant à la somme exprimée en monnaie nationale, correspondant à la demande de financement du consommateur, un taux de change qu’elle détermine unilatéralement, lorsque les modalités de fixation de ce montant ont été définies exclusivement par la banque avant la conclusion du contrat sans que le consommateur ait, de ce fait, pu avoir d’influence sur la détermination de ces modalités.

 Sur les deuxième à quatrième questions

 Observations liminaires

41      Par ses deuxième à quatrième questions, auxquelles il y a lieu de répondre au vu de la réponse affirmative donnée à la première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’appréciation d’une clause relative à la fixation du montant du prêt, au regard des dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, en tant que cette clause, selon l’analyse que la juridiction de renvoi en fait, permet à la banque, en vue de la fixation du montant définitif du prêt en devise étrangère, d’une part, d’inclure, dans ce montant, à son profit et à la charge du consommateur, une marge correspondant à l’écart de change entre le cours d’achat de la devise concernée utilisé par celle-ci et le cours moyen de cette dernière (par exemple le cours moyen de la banque nationale de Pologne), et, d’autre part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale.

42      Il semble ressortir des explications fournies par la juridiction de renvoi que ses doutes à cet égard tiennent, en substance, au fait que, jusqu’à présent, les affaires ayant donné lieu à des décisions de la Cour relatives à l’interprétation de ces dispositions de la directive 93/13 concernaient des contrats de prêt libellé en devise étrangère faisant supporter au consommateur un écart de change ou un risque de change selon des modalités contractuelles différentes de celles qui sont prévues par le contrat de prêt en cause.

43      En particulier, ladite juridiction, s’agissant des deuxième et troisième questions, souligne le fait que, à la différence des situations qui prévalaient dans ces affaires, dans le contrat de prêt en cause, l’écart et le risque de change sont mis à charge du consommateur aux termes d’une seule et même clause contractuelle, à savoir celle relative à la fixation du montant du prêt, cette clause définissant du reste l’objet principal de ce contrat. Elle se demande dès lors si, nonobstant une telle circonstance, il lui est permis, aux fins de déterminer si ladite clause relative à la fixation du montant du prêt répond ou non à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, et revêt ou non un caractère abusif, de concentrer son analyse sur l’écart de change, en faisant ainsi abstraction du risque de change que la même clause transfère aux consommateurs.

44      S’agissant de la quatrième question, la juridiction de renvoi met en exergue que, dans les mêmes affaires, le transfert du risque de change au consommateur avait été rattaché aux clauses de conversion déterminant le remboursement du crédit par celui-ci, et non pas à la clause portant sur la fixation du montant définitif du prêt en devise étrangère. Elle s’interroge ainsi sur le fait de savoir s’il lui est néanmoins permis, en l’occurrence, de considérer la clause relative à la fixation du montant du prêt comme étant celle qui a pour effet de transférer ce risque aux consommateurs, au motif qu’une telle approche serait mieux à même d’assurer la protection de ces derniers. En effet, bien qu’il ne fasse aucun doute que la suppression de cette clause impliquerait l’annulation intégrale du contrat de prêt en cause et donc la libération de ces consommateurs du risque de change, celle des clauses de conversion n’entraînerait, en revanche, pas nécessairement une telle annulation, si bien que le risque de change continuerait alors à peser sur les consommateurs.

45      À cet égard, il convient cependant de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre cette dernière et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 44).

46      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en la matière, porte uniquement sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient à ce juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 45).

47      C’est en exerçant cette compétence, et en ayant égard à l’interprétation des clauses contractuelles retenue par les juridictions de renvoi dans ces autres affaires, que la Cour a opéré une distinction, aux fins de l’interprétation de la directive 93/13, entre, d’une part, les clauses relatives à l’écart de change contenues dans des contrats de prêt libellés en devise étrangère et, d’autre part, celles relatives au transfert du risque de change au consommateur, distinction reflétant l’objet ou l’effet distincts de telles clauses, les premières permettant à la banque de profiter d’une asymétrie existant entre les différents taux de change pouvant être utilisés aux fins de l’exécution du contrat, alors que les secondes font peser le risque d’une augmentation de la valeur de ladite devise uniquement sur le consommateur (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2019, Dunai, C‑118/17, EU:C:2019:207, points 36 et 46, ainsi que du 2 septembre 2021, OTP Jelzálogbank e.a., C‑932/19, EU:C:2021:673, points 34 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

48      Il s’ensuit qu’il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier la portée et l’articulation entre elles des différentes stipulations figurant dans le contrat de prêt en cause, cette juridiction ayant en l’occurrence constaté que ce contrat contient une stipulation portant sur la fixation du montant du prêt libellé en devise qui a pour effet tant de faire profiter la banque d’un écart de change que de transférer le risque de change au consommateur.

49      Enfin, la pertinence des éléments d’interprétation des dispositions de la directive 93/13 dégagés par une jurisprudence bien établie portant sur les clauses relatives à un écart de change ou au risque de change ne saurait être exclue au seul motif que les particularités du montage contractuel en cause au principal ne sont pas en tous points identiques à celles ayant caractérisé les contrats en cause dans les affaires ayant conduit à cette jurisprudence ou que les clauses concernées n’ont pas été rédigées de manière identique que celles en cause dans ces affaires (voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643, point 77).

50      C’est sous le bénéfice de ces précisions qu’il convient d’examiner les deuxième à quatrième questions.

 Sur la deuxième question

51      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque, à la charge du consommateur, un avantage tenant à l’écart existant entre le taux de change choisi par celle-ci aux fins de la fixation du montant définitif du prêt libellé dans ladite devise et d’autres taux qu’elle aurait pu utiliser à cette occasion, il suffit, pour considérer que cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, au sens de cette disposition, de constater que la banque n’a communiqué au consommateur aucune information concernant l’inclusion d’un tel écart, indépendamment de l’étendue des informations fournies au consommateur s’agissant du transfert du risque de change.

52      En premier lieu, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte notamment pas sur la définition de l’objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

53      En l’occurrence, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle la clause relative à la fixation du montant du prêt, par laquelle la banque s’est réservé l’avantage lié à l’écart de change, a trait à la définition de l’objet principal du contrat.

54      Si cette prémisse paraît justifiée en ce qu’une telle clause vise la fixation du montant définitif du prêt libellé en devise étrangère, montant qui détermine, comme la juridiction de renvoi l’a indiqué à juste titre, in fine l’étendue de l’obligation de remboursement du consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 67, ainsi que ordonnance du 22 février 2018, Lupean, C‑119/17, EU:C:2018:103, points 19 et 20), il y a néanmoins lieu de préciser, en ce qui concerne l’écart de change en tant que tel, que la possibilité pour la banque de profiter d’une asymétrie existant entre les différents taux de change pouvant être utilisés aux fins de l’exécution du contrat ne saurait automatiquement être considérée comme de nature à fixer les prestations essentielles du contrat de prêt qui, comme telles, caractérisent celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, points 49 à 51), compte tenu également de l’interprétation stricte dont l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit faire l’objet (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 28).

55      Il appartient toutefois, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 de la présente ordonnance, à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard, étant précisé que, même si la clause par laquelle la banque s’est réservé l’avantage lié à l’écart de change ne pouvait pas être considérée comme définissant l’objet principal du contrat, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, cette juridiction devrait alors, en tout état de cause, s’assurer de ce que cette clause répond à l’exigence de rédaction claire et compréhensible énoncée à l’article 5 de la directive 93/13, dont la portée est la même que celle découlant de la première disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, A. S.A., C‑212/20, EU:C:2021:934, point 38).

56      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante relative à l’exigence de transparence des clauses contractuelles, l’information, avant la conclusion d’un contrat, sur les conditions contractuelles et les conséquences de ladite conclusion est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de cette information que ce dernier décide s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en adhérant aux conditions rédigées préalablement par celui-ci (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 62 et jurisprudence citée).

57      Cette exigence relative au caractère clair et compréhensible et, partant, de transparence, des clauses contractuelles rédigées par le professionnel ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible de ces clauses sur les plans formel et grammatical, mais, au contraire, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité par rapport au professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, ladite exigence doit être entendue de manière extensive (ordonnance du 18 octobre 2023, Eurobank Bulgaria, C‑117/23, EU:C:2023:788, point 29 et jurisprudence citée).

58      La même exigence doit donc s’entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre de quelle manière ce taux est concrètement calculé et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 51).

59      S’agissant d’une clause relative à un avantage accordé à la banque tenant à l’écart de change, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une telle clause réponde à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 et rappelée à l’article 5 de celle-ci, il faut que soient mentionnés, dans les stipulations contractuelles ou dans le cadre des informations fournies par le professionnel lors de la négociation du contrat, les critères utilisés par la banque pour fixer les taux de change applicables aux différents stades de l’exécution du contrat de prêt, permettant ainsi au consommateur de déterminer à tout moment ces taux et, par là même, l’importance de cet avantage (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, A. S.A., C‑212/20, EU:C:2021:934, point 53).

60      En troisième lieu, l’appréciation du respect de cette exigence doit porter non seulement sur le caractère intelligible de la clause concernée, mais également sur la relation entre cette clause et d’autres clauses figurant dans le contrat, afin d’apprécier si le consommateur a été mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, Caixabank (Commission d’ouverture du prêt), C‑565/21, EU:C:2023:212, point 31].

61      Il ne saurait, pour autant, en être déduit que l’absence d’une information adéquate du consommateur en ce qui concerne le fonctionnement et les conséquences économiques de l’écart de change inséré dans un contrat de prêt pourrait, le cas échéant, être palliée par les informations portant sur le transfert du risque de change découlant du même contrat, compte tenu de l’objet et de l’effet différents des clauses, rappelés au point 47 de la présente ordonnance, et auxquelles correspond en l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, la stipulation contractuelle portant sur la fixation du montant du prêt libellé en devise.

62      Dès lors, lorsque le juge national a constaté que le consommateur n’a pas bénéficié d’une information adéquate au sujet d’une clause en particulier d’un contrat de prêt, que ce soit dans ce contrat lui-même ou lors de la négociation de ce dernier, il n’est pas tenu, aux fins de juger que cette clause ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, de vérifier le niveau d’information dont d’autres clauses du contrat ont fait l’objet, sans préjudice toutefois de l’examen éventuel de ces autres clauses à leur propre titre au regard de cette exigence.

63      En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que Deutsche Bank n’a pas indiqué, dans le libellé du contrat de prêt en cause ou lors de sa conclusion, que le montant du crédit indiqué incluait la rémunération supplémentaire de la banque sous la forme d’une marge facturée en raison des taux de change appliqués, ni que cette rémunération entraînait l’augmentation du montant servant de base au calcul des intérêts, commissions et frais prévus par ce contrat. Elle en tire la conclusion selon laquelle la clause relative à la fixation du montant du prêt, en ce que celle-ci porte sur l’écart de change, ne saurait être considérée comme transparente.

64      Dans ces circonstances, rien n’empêche cette juridiction de considérer que cette clause, pour autant qu’elle a trait à l’écart de change, ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, sans qu’elle ait à examiner, à cet effet, par ailleurs le caractère adéquat des informations fournies au consommateur s’agissant du transfert du risque de change.

65      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque, à la charge du consommateur, un avantage tenant à l’écart existant entre le taux de change choisi par celle-ci aux fins de la fixation du montant définitif du prêt libellé dans ladite devise et d’autres taux qu’elle aurait pu utiliser à cette occasion, il suffit, pour considérer que cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, au sens de cette disposition, de constater que la banque n’a communiqué au consommateur aucune information concernant l’inclusion d’un tel écart, indépendamment de l’étendue des informations fournies au consommateur s’agissant du transfert du risque de change.

 Sur la troisième question

66      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque un avantage lié à un écart de change, cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, peut être considérée comme étant à elle seule susceptible de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations découlant du contrat, indépendamment de l’examen du caractère éventuellement abusif, au sens de cette disposition, de ladite clause en ce qu’elle porte sur le transfert du risque de change.

67      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

68      Comme cela ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi, bien que l’application de la clause relative à la fixation du montant du prêt, en ce qu’elle procure un avantage à la banque lié à l’écart de change, induise une augmentation cachée du coût du prêt à la charge des consommateurs sans que leur soit fourni par la banque aucun service en contrepartie, cette augmentation est pourtant relativement modeste par rapport à l’ensemble des obligations financières leur incombant en vertu de ce contrat, le transfert du risque de change ayant, pour sa part, eu, sur ces obligations, une importance bien plus grande.

69      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’examen de l’existence d’un déséquilibre significatif au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait se limiter à une appréciation économique de nature quantitative, reposant sur une comparaison entre le montant total de l’opération ayant fait l’objet du contrat, d’une part, et les coûts mis à la charge du consommateur par cette clause, d’autre part. En effet, un déséquilibre significatif peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle le consommateur, en tant que partie au contrat en cause, est placé en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d’une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d’une entrave à l’exercice de ceux–ci ou encore de la mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

70      Il découle de cette jurisprudence que le juge national, lorsqu’il constate qu’une appréciation économique de nature quantitative ne fait pas apparaître un déséquilibre significatif entre le professionnel et le consommateur, ne peut limiter son examen à cette appréciation. Il lui incombe, dans un tel cas, d’examiner si un tel déséquilibre ne résulte pas d’un autre élément, tel qu’une restriction à un droit découlant du droit national ou une obligation supplémentaire non prévue par ce droit (arrêt du 23 novembre 2023, Provident Polska, C‑321/22, EU:C:2023:911, point 46).

71      En l’occurrence, la juridiction de renvoi a constaté que la clause relative à la fixation du montant du prêt, en ce qu’elle a procuré un avantage à la banque lié à l’écart de change, a eu pour effet de lui accorder, à la charge des consommateurs, une commission cachée et non assortie d’un quelconque service fourni en contrepartie de celle-ci. Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point précédent et comme la Cour l’a déjà jugé aux points 48 et 49 de l’ordonnance du 18 octobre 2023, Eurobank Bulgaria (C‑117/23, EU:C:2023:788), un tel constat est de nature à caractériser un déséquilibre significatif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, sans qu’il importe à cet égard que les conséquences financières provoquées par l’insertion de cet écart de change sont proportionnellement réduites par rapport aux obligations financières pesant sur les consommateurs en vertu dudit contrat et notamment à celles engendrées par le transfert du risque de change.

72      Dans ces conditions, rien n’empêche cette juridiction de constater le caractère abusif de la clause relative à la fixation du montant du prêt, en ce qu’elle prévoit un avantage au profit de la banque lié à l’écart de change, lorsque les autres conditions découlant à cet égard de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, et notamment celle tenant à l’exigence de la bonne foi, sont également remplies, comme ladite juridiction semble d’ailleurs le considérer.

73      Cela étant, il convient encore d’ajouter que la juridiction de renvoi se réfère, dans ce contexte, également à la vérification de la « proportionnalité de la sanction infligée au professionnel » pouvant résulter du constat du caractère abusif de la clause relative à la fixation du montant du prêt, en ce qu’elle prévoit un avantage au profit de la banque lié à l’écart de change. À cet égard, elle ne paraît pas exclure que, à l’instar de la possibilité évoquée au point 44 de l’arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819), la suppression d’une telle clause puisse conduire à l’annulation intégrale de ce contrat et, par là même, libérer les consommateurs des conséquences financières découlant du transfert du risque de change, alors même que ladite clause, en ce qu’elle opère ce transfert, ne présenterait pas un caractère abusif. Cette juridiction semble dès lors également se demander si une telle annulation serait proportionnée au vu, précisément, de l’incidence économique réduite de l’avantage lié à l’écart de change.

74      Or, tout d’abord, l’invalidation du contrat dont le caractère abusif de l’une des clauses a été constaté ne constitue pas une sanction prévue par la directive 93/13 (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C‑19/20, EU:C:2021:341, point 86).

75      Ensuite, il ne découle pas de la directive 93/13 que le constat du caractère abusif d’une clause relative à l’écart de change devrait également entraîner un tel constat s’agissant de la clause relative au transfert du risque de change, quelle que soit la manière dont elles sont concrètement rédigées ou articulées au sein du montage contractuel, d’autant que, compte tenu de l’objet et de l’effet différents de ces clauses tels que rappelés au point 47 de la présente ordonnance, ces deux clauses doivent être clairement distinguées (voir, par analogie, arrêt du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643, points 75 à 77).

76      Néanmoins, et enfin, si une juridiction nationale estime que, en application des dispositions pertinentes de son droit interne, le maintien d’un contrat sans la clause abusive qu’il comporte n’est pas possible, la directive 93/13 ne s’oppose en principe pas à ce qu’il soit invalidé (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 43). Ce constat est toutefois sans préjudice de l’hypothèse où le juge national disposerait d’une marge d’appréciation ou d’interprétation s’agissant de la détermination, selon une approche objective, des conséquences qu’il y a lieu de tirer, conformément au droit national, du constat du caractère abusif d’une clause en ce qui concerne la persistance ou non du contrat dans lequel elle s’insère, auquel cas celui-ci, dans le respect du principe de proportionnalité, ne saurait conclure à l’invalidation de ce contrat si la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause abusive peut être rétablie tout en laissant subsister ledit contrat (arrêt du 23 novembre 2023, Provident Polska, C‑321/22, EU:C:2023:911, points 85 et 86).

77      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque un avantage lié à un écart de change, cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, peut être considérée comme étant à elle seule susceptible de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations découlant du contrat, indépendamment de l’examen du caractère éventuellement abusif, au sens de cette disposition, de cette clause en ce qu’elle porte sur le transfert du risque de change.

 Sur la quatrième question

78      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur soit déclaré nul et que le consommateur soit ainsi libéré des conséquences financières découlant de la clause de celui-ci relative au transfert du risque de change, lorsque le juge national constate que la clause de ce contrat portant sur la fixation du montant définitif du prêt, en ce qu’elle a pour effet d’accorder à la banque un avantage lié à l’écart de change, revêt un caractère abusif, alors même que les clauses dudit contrat stipulant les modalités de conversion de la devise aux fins du remboursement du prêt ne sont pas abusives ou que leur suppression n’entraînerait pas l’annulation du même contrat.

79      À cet égard, il convient de souligner, comme cela résulte de ce qui a été relevé au point 47 de la présente ordonnance, qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le contrat de prêt en cause comporte des clauses relatives à l’écart de change et au risque de change, et, dans l’affirmative, de se prononcer, le cas échéant, sur la manière dont celles-ci s’insèrent dans la construction d’ensemble du contrat.

80      Cela étant précisé, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

81      Il est de jurisprudence constante que, conformément à cette disposition, il incombe aux juridictions nationales d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si le consommateur s’y oppose [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 58 ainsi que jurisprudence citée].

82      Ladite disposition, et notamment son second membre de phrase, a pour objectif non pas d’annuler tous les contrats contenant des clauses abusives, mais de substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers, étant précisé que le contrat en cause doit, en principe, subsister sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives. Pourvu que cette dernière condition soit satisfaite, le contrat en cause peut, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, être maintenu pour autant que, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat sans les clauses abusives est juridiquement possible, ce qu’il convient de vérifier selon une approche objective (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C‑19/20, EU:C:2021:341, point 83 et jurisprudence citée).

83      Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 1, second membre de phrase, de la directive 93/13 n’énonce pas lui-même les critères régissant la possibilité pour un contrat de subsister sans les clauses abusives, mais laisse à l’ordre juridique national le soin de les établir dans le respect du droit de l’Union. Ainsi, c’est en principe au regard des critères prévus par le droit national que, dans une situation concrète, la possibilité du maintien d’un contrat dont certaines clauses ont été invalidées doit être examinée (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 40).

84      Dès lors, si une juridiction nationale estime que, en application des dispositions pertinentes de son droit interne, le maintien d’un contrat sans les clauses abusives qu’il comporte n’est pas possible, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose en principe pas à ce qu’il soit invalidé (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 43).

85      Il en est d’autant plus ainsi que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle la clause abusive est celle portant sur la fixation du montant définitif du prêt en devise étrangère, qu’elle semble considérer comme définissant l’objet principal du contrat, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, et à laquelle elle estime du reste également devoir rattacher les conséquences financières tenant au transfert du risque de change.

86      Dans ces circonstances, sous réserve des vérifications supplémentaires éventuelles qu’il appartient le cas échéant à la juridiction de renvoi d’effectuer, le maintien du contrat de prêt en cause ne paraît pas juridiquement possible après la suppression de cette clause (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2019, GT, C‑38/17, EU:C:2019:461, point 43), et ce indépendamment du caractère abusif d’autres clauses comme celles stipulant les modalités de conversion de la devise aux fins du remboursement [arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, points 51 et 54].

87      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur soit déclaré nul et que le consommateur soit ainsi libéré des conséquences financières découlant de la clause de celui-ci relative au transfert du risque de change, lorsque le juge national constate que la clause de ce contrat portant sur la fixation du montant définitif du prêt, en ce qu’elle a pour effet d’accorder à la banque un avantage lié à l’écart de change, revêt un caractère abusif, alors même que les clauses dudit contrat stipulant les modalités de conversion de la devise aux fins du remboursement du prêt ne sont pas abusives ou que leur suppression n’entraînerait pas l’annulation du même contrat, si celui-ci considère, conformément aux règles de son droit interne et selon une approche objective, que le contrat de prêt ne peut pas subsister sans la clause abusive, notamment en ce que cette dernière définit l’objet principal du contrat.

 Sur les dépens

88      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

doit être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de cette disposition, une clause faisant partie d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur en vertu de laquelle la banque peut fixer le montant définitif du prêt libellé dans cette devise en appliquant à la somme exprimée en monnaie nationale, correspondant à la demande de financement du consommateur, un taux de change qu’elle détermine unilatéralement, lorsque les modalités de fixation de ce montant ont été définies exclusivement par la banque avant la conclusion du contrat sans que le consommateur ait, de ce fait, pu avoir d’influence sur la détermination de ces modalités.

2)      L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque, à la charge du consommateur, un avantage tenant à l’écart existant entre le taux de change choisi par celle-ci aux fins de la fixation du montant définitif du prêt libellé dans ladite devise et d’autres taux qu’elle aurait pu utiliser à cette occasion, il suffit, pour considérer que cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, au sens de cette disposition, de constater que la banque n’a communiqué au consommateur aucune information concernant l’inclusion d’un tel écart, indépendamment de l’étendue des informations fournies au consommateur s’agissant du transfert du risque de change.

3)      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

lorsque, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur, une clause de ce contrat a pour effet, d’une part, de transférer à ce consommateur le risque de change associé aux appréciations de cette devise face à la monnaie nationale et, d’autre part, d’accorder à la banque un avantage lié à un écart de change, cette clause, en ce qu’elle concerne l’écart de change, peut être considérée comme étant à elle seule susceptible de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations découlant du contrat, indépendamment de l’examen du caractère éventuellement abusif, au sens de cette disposition, de cette clause en ce qu’elle porte sur le transfert du risque de change.

4)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu avec un consommateur soit déclaré nul et que le consommateur soit ainsi libéré des conséquences financières découlant de la clause de celui-ci relative au transfert du risque de change, lorsque le juge national constate que la clause de ce contrat portant sur la fixation du montant définitif du prêt, en ce qu’elle a pour effet d’accorder à la banque un avantage lié à l’écart de change, revêt un caractère abusif, alors même que les clauses dudit contrat stipulant les modalités de conversion de la devise aux fins du remboursement du prêt ne sont pas abusives ou que leur suppression n’entraînerait pas l’annulation du même contrat, si celui-ci considère, conformément aux règles de son droit interne et selon une approche objective, que le contrat de prêt ne peut pas subsister sans la clause abusive, notamment en ce que cette dernière définit l’objet principal du contrat.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.

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