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Document 62023CO0287

Order of the Court (Sixth Chamber) of 16 May 2024.
„Entain Services (Bulgaria)“ EOOD v Direktor na Direktsia „Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika“ Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalna agentsia za prihodite.
Request for a preliminary ruling from the Varhoven administrativen sad.
Case C-287/23.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:418

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

16 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Liberté d’établissement – Restrictions – Impôt sur les sociétés – Imposition des dividendes – Sociétés enregistrées à Gibraltar »

Dans l’affaire C‑287/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), par décision du 2 mai 2023, parvenue à la Cour le 4 mai 2023, dans la procédure

« Entain Services (Bulgaria) » EOOD

contre

Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalna agentsia za prihodite,

en présence de :

Varhovna administrativna prokuratura,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. P. G. Xuereb et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 63 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Entain Services (Bulgaria) » EOOD, établie en Bulgarie (ci-après « Entain »), au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » de Sofia auprès de l’Agence nationale des recettes publiques, Bulgarie) (ci-après le « directeur ») au sujet d’un avis de redressement fiscal constatant des dettes d’impôt sur les dividendes distribués et versés par Entain à sa société mère, PGB Limited  Gibraltar, établie à Gibraltar, pour la période allant de 2012 à 2016 (ci-après la « période pertinente pour le litige au principal »).

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        Le chapitre XI de la charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, intitulé « Déclaration relative aux territoires non autonomes », comprend l’article 73 qui prévoit :

« Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte et, à cette fin :

[...]

e.      de communiquer régulièrement au Secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les Chapitres XII et XIII. »

4        Gibraltar figure sur la liste des territoires non autonomes au sens de l’article 73 de la charte des Nations unies.

 Le droit de l’Union

 Le statut de Gibraltar

5        À titre liminaire, il y a lieu de relever que, le litige pendant devant la juridiction de renvoi concernant des dettes d’impôt dues pour une période antérieure au 1er février 2020, il n’y a pas lieu de tenir compte, dans le cadre de la présente affaire, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).

6        Pendant la période pertinente pour le litige au principal, Gibraltar était un territoire européen dont un État membre, à savoir le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, assumait les relations extérieures au sens de l’article 355, point 3, TFUE et auquel les dispositions des traités s’appliquaient.

7        L’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités (JO 1972, L 73, p. 14, ci-après l’« acte d’adhésion de 1972 ») prévoyait toutefois que certains actes des institutions de l’Union européenne et certaines parties de ce qui est devenu le traité FUE ne s’appliquent pas à Gibraltar.

8        Conformément à l’article 28 de l’acte d’adhésion de 1972 :

« Les actes des institutions de [l’Union européenne] visant les produits de l’annexe [I] du traité [FUE] et les produits soumis à l’importation dans [l’Union] à une réglementation spécifique comme conséquence de la mise en œuvre de la politique agricole commune, ainsi que les actes en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne sont pas applicables à Gibraltar, à moins que le [Conseil de l’Union européenne] statuant à l’unanimité sur proposition de la [Commission européenne] n’en dispose autrement. »

9        En vertu de l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, combiné avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, Gibraltar était exclu du territoire douanier de l’Union.

 La directive 2011/96/UE

10      La directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 2011, L 345, p. 8), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1:

« Chaque État membre applique la présente directive :

a)      aux distributions de bénéfices reçus par des sociétés de cet État membre et provenant de leurs filiales d’autres États membres ;

b)      aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État membre à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales ;

[...] »

11      L’article 2, sous a), de cette directive dispose :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par :

a)      “société d’un État membre” : toute société :

i)      qui revêt une des formes énumérées à l’annexe I, partie A ;

ii)      qui, selon la législation fiscale d’un État membre, est considérée comme ayant dans cet État membre son domicile fiscal et qui, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, n’est pas considérée comme ayant son domicile fiscal hors de l’Union ;

iii)      qui, en outre, est assujettie, sans possibilité d’option et sans en être exonérée, à l’un des impôts énumérés à l’annexe I, partie B, ou à tout autre impôt qui viendrait se substituer à l’un de ces impôts. »

12      L’article 5 de ladite directive prévoit que « [l]es bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ».

13      La partie A de l’annexe I de la directive 2011/96 établit la liste des sociétés visées à l’article 2, sous a), i), de cette directive et mentionne, à son point ab), les « sociétés constituées conformément au droit du Royaume-Uni ».

14      Dans la partie B de cette annexe I figure la liste des impôts visés à l’article 2, sous a), iii), de ladite directive. Cette partie B vise, à son dernier tiret, la « corporation tax au Royaume-Uni ».

 Le droit bulgare

15      Aux termes de l’article 194 du zakon za korporativno podohodno oblagane (loi relative à l’impôt sur les sociétés, DV no 105, du 22 décembre 2006) :

« (1)      Sont soumis à un impôt prélevé à la source, les dividendes et les bonis de liquidation distribués (versés) par des personnes morales résidentes :

1.      à des personnes morales étrangères, sauf lorsque les dividendes sont perçus par une personne morale étrangère par l’intermédiaire d’un établissement stable établi dans le pays ;

2.      à des personnes morales résidentes qui ne sont pas des commerçants, y compris des municipalités.

(2)      L’impôt visé au paragraphe 1 est définitif et est prélevé auprès des personnes morales résidentes distribuant des dividendes ou des bonis de liquidation.

(3)      Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque les dividendes et les bonis de liquidation sont distribués :

1.      à une personne morale résidente qui participe au capital de la société en tant que représentant de l’État ;

2.      à un fonds contractuel ;

3.      [...] à une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État qui est partie à l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’“accord EEE”)], sauf lorsqu’il y a distribution occulte de bénéfices. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      Entain, anciennement dénommée « Bwin.party Services (Bulgaria) » puis « GVC Services (Bulgaria) », fournit des services informatiques. Elle est intégralement détenue par PGB Limited – Gibraltar, sa société mère.

17      Durant la période pertinente pour le litige au principal, Entain a distribué des dividendes à sa société mère et lui a versé ces dividendes sans retenir ni acquitter d’impôt sur ceux-ci en Bulgarie, estimant que cette société mère pouvait être qualifiée de personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union, au sens de l’article 194, paragraphe 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés.

18      Considérant, au contraire, que les dividendes versés à la société mère établie à Gibraltar ne pouvaient pas être exonérés du prélèvement à la source, dès lors que la directive 2011/96 ne s’applique ni à Gibraltar ni aux sociétés constituées à Gibraltar, l’administration fiscale a émis un avis de redressement fiscal visant le recouvrement de l’impôt sur les dividendes et les bonis de liquidation versés à PGB Limited – Gibraltar pendant la période pertinente pour le litige au principal.

19      Entain a introduit un recours contre cet avis de redressement devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), qui a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 2011/96.

20      Par l’arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266), la Cour a dit pour droit que l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96, lu en combinaison avec l’annexe I, partie A, sous ab), et partie B, dernier tiret, de cette directive, doit être interprété en ce sens que les notions de « sociétés constituées conformément au droit du Royaume-Uni » et de « corporation tax au Royaume-Uni », figurant à ces dispositions, ne visent pas les sociétés constituées à Gibraltar et qui y sont assujetties à l’impôt sur les sociétés.

21      La procédure s’est poursuivie devant les juridictions bulgares. Par l’arrêt du 14 juin 2022, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) a considéré, d’une part, que, en vertu de l’article 194, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, les dividendes distribués par une personne morale résidente à une personne qui est résidente de Gibraltar étaient imposables et que la condition permettant d’être exonéré du prélèvement à la source, prévue à l’article 194, paragraphe 3, point 3, de cette loi n’était pas remplie, dès lors que le bénéficiaire des dividendes, à savoir la société mère établie à Gibraltar, n’était pas une personne morale ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union ou dans un autre État partie à l’accord EEE. D’autre part, l’article 194, paragraphe 3, point 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne constituerait pas une règle discriminatoire à l’égard des sociétés constituées à Gibraltar et ne serait pas non plus appliqué de manière disproportionnée par les juridictions et les autorités fiscales bulgares.

22      Estimant que l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) a statué sans se conformer aux éléments d’interprétation du droit de l’Union fournis par la Cour, Entain a introduit un pourvoi en cassation devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.

23      Devant cette dernière juridiction, Entain indique que la Cour a jugé, au point 41 de l’arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266), que les considérations relatives à l’inapplicabilité de la directive 2011/96 aux sociétés constituées à Gibraltar étaient sans préjudice de l’obligation de respecter, à la date des faits du litige au principal, les articles 49 et 63 TFUE et de vérifier, éventuellement, si l’imposition des bénéfices distribués par une filiale bulgare à sa société mère établie à Gibraltar constitue, au regard du droit d’établissement ou de la libre circulation des capitaux dont jouissent les sociétés constituées à Gibraltar, une restriction et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée.

24      La juridiction de renvoi relève que l’article 194, paragraphe 3, point 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés aurait été introduit à la suite d’une procédure en manquement engagée par la Commission à l’égard de la République de Bulgarie pour violation des articles 43 et 56 CE, en raison du traitement différent des dividendes distribués aux sociétés nationales et aux sociétés européennes. Il découlerait des motifs du projet de la loi que l’intention du législateur aurait été d’introduire un régime fiscal unique d’exonération des dividendes pour les sociétés résidentes et les sociétés établies dans un autre État membre portant sur toutes les entreprises de l’Union, sans qu’aucun intérêt général spécifique soit invoqué pour justifier la nécessité d’exclure certaines de ces entreprises, telles que les entreprises établies à Gibraltar, du bénéfice de cette exonération.

25      Dans ces conditions, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une disposition et une jurisprudence nationales prévoyant le prélèvement à la source de l’impôt sur les dividendes distribués aux sociétés établies à Gibraltar, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidant en Bulgarie et aux sociétés établies dans les autres États membres sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition, représentent-elles une restriction discriminatoire à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE et à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, une telle restriction discriminatoire est-elle conforme au droit de l’Union, eu égard au fait que, lors de l’adoption de ladite disposition nationale, le législateur national n’a pas justifié la nécessité d’imposer cette restriction aux sociétés établies à Gibraltar par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ? »

 Sur les questions préjudicielles

26      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

27      Il convient également de rappeler que la coopération judiciaire instaurée par l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. D’une part, la Cour est habilitée non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, conformément au point 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), il revient aux juridictions nationales de tirer dans le litige pendant devant elles les conséquences concrètes des éléments d’interprétation fournis par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, point 43).

28      En l’occurrence, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi peut être clairement déduite de la jurisprudence existante et, notamment, des arrêts du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha (C‑303/07, EU:C:2009:377), du 5 juillet 2012, SIAT (C‑318/10, EU:C:2012:415), du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka (C‑6/16, EU:C:2017:641), du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266), du 11 juin 2020, KOB (C‑206/19, EU:C:2020:463), du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels) (C‑342/20, EU:C:2022:276), ainsi que du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a. (C‑391/20, EU:C:2022:638). Il y a donc lieu de faire application de l’article 99 du règlement de procédure dans la présente affaire.

29      Ainsi qu’il ressort du point 27 de cette ordonnance, il reviendra à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences concrètes, dans le litige au principal, des éléments d’interprétation découlant de cette jurisprudence de la Cour.

30      Il importe, en outre, de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de l’ordre juridique national, la Cour est en principe tenue de se fonder sur les qualifications résultant de la décision de renvoi. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit interne d’un État membre (arrêt du 5 décembre 2023, Deutsche Wohnen, C‑807/21, EU:C:2023:950, point 36 et jurisprudence citée).

31      Or, il ressort de la formulation de la première question préjudicielle que les dividendes distribués par une filiale bulgare à sa société mère sont exonérés de la retenue à la source, pour autant que cette dernière soit établie en Bulgarie ou dans un autre État membre, et que l’exonération est accordée sans que la société mère soit tenue de remplir une quelconque condition.

32      En partant de cette prémisse, il y a lieu de considérer que, par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent aux dispositions du droit national et à la jurisprudence d’un État membre prévoyant le prélèvement à la source de l’impôt sur les dividendes distribués par les sociétés résidentes aux sociétés établies à Gibraltar, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidentes et aux sociétés établies dans les autres États membres sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition, et sans que le législateur national ait justifié le traitement fiscal différent des sociétés établies à Gibraltar par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

 Sur l’applicabilité des articles 49 et 63 TFUE

33      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le refus de l’exonération de la retenue à la source sur les dividendes versés aux sociétés établies à Gibraltar découle du fait que les autorités bulgares interprètent et appliquent l’article 194, paragraphe 3, point 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés en ce sens qu’une société établie à Gibraltar ne constitue pas « une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne » au sens de cette disposition.

34      La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre du même litige au principal que celui ayant donné lieu à l’arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266).

35      Dans cet arrêt la Cour a, d’une part, dit pour droit que l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96, lu en combinaison avec l’annexe I, partie A, sous ab), et partie B, dernier tiret, de cette directive, doit être interprété en ce sens que les notions de « sociétés constituées conformément au droit du Royaume-Uni » et de « corporation tax au Royaume-Uni », figurant à ces dispositions, ne visent pas les sociétés constituées à Gibraltar et qui y sont assujetties à l’impôt sur les sociétés. [arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria), C‑458/18, EU:C:2020:266, point 42].

36      D’autre part, la Cour a relevé que les considérations relatives à l’inapplicabilité de la directive 2011/96 aux sociétés constituées à Gibraltar étaient sans préjudice de l’obligation de respecter, à la date des faits du litige au principal, les articles 49 et 63 TFUE et de vérifier, éventuellement, si l’imposition des bénéfices distribués par une filiale bulgare à sa société mère établie à Gibraltar constitue, au regard du droit d’établissement ou de la libre circulation des capitaux dont jouissent les sociétés constituées à Gibraltar, une restriction et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée [arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria), C‑458/18, EU:C:2020:266, point 41].

37      Il ressort ainsi clairement de l’arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266, point 41), premièrement, que les articles 49 et 63 TFUE sont applicables à Gibraltar et que les sociétés établies sur ce territoire bénéficient du droit à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux.

38      Il découle, en effet, de la jurisprudence, d’une part, que, dans la mesure où, au cours de la période pertinente pour le litige au principal, Gibraltar constituait un territoire européen dont un État membre, à savoir le Royaume-Uni, assumait les relations extérieures, le droit de l’Union s’appliquait, en principe, sur ce territoire en vertu de l’article 355, point 3, TFUE, sous réserve des exclusions expressément prévues par l’acte d’adhésion de 1972 [arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria), C‑458/18, EU:C:2020:266, point 30 et jurisprudence citée].

39      D’autre part, la Cour a déjà précisé que les articles 49 et 63 TFUE sont applicables, à l’instar de l’article 56 TFUE, en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juin 2017, The Gibraltar Betting and Gaming Association (C‑591/15, EU:C:2017:449), sur le territoire de Gibraltar en vertu de l’article 355, point 3, TFUE. En effet, les exclusions du territoire de Gibraltar de l’applicabilité des actes de l’Union dans certains domaines de droit, prévues par l’acte d’adhésion de 1972, ne visent ni la liberté d’établissement ni la libre circulation des capitaux, consacrées par ces articles 49 et 63 TFUE (ordonnance du 12 octobre 2017, Fisher, C‑192/16, EU:C:2017:762, point 26).

40      Deuxièmement, il ressort tout aussi clairement de l’arrêt du 2 avril 2020, GVC Services (Bulgaria) (C‑458/18, EU:C:2020:266, point 41), que la circonstance que la directive 2011/96 ne vise pas les sociétés établies à Gibraltar, est sans préjudice de l’obligation de respecter, à la date des faits du litige au principal, les articles 49 et 63 TFUE et de vérifier, éventuellement, si l’imposition des bénéfices distribués par une filiale bulgare à sa société mère établie à Gibraltar constitue, au regard du droit d’établissement ou de la libre circulation des capitaux dont jouissent les sociétés constituées à Gibraltar, une restriction et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée.

41      En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour des participations ne relevant pas de la directive 2011/96, il appartient aux États membres de déterminer si et dans quelle mesure la double imposition économique ou l’imposition en chaîne des bénéfices distribués doit être évitée et d’introduire à cet effet, unilatéralement ou au moyen de conventions conclues avec d’autres États membres, des mécanismes destinés à atténuer ou à prévenir cette double imposition économique ou cette imposition en chaîne, sans que cela les autorise pour autant à prendre des mesures contraires aux libertés de circulation (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 28, et du 16 juin 2022, ACC Silicones, C‑572/20, EU:C:2022:469, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

 Sur la liberté de circulation pertinente

42      Il résulte de la jurisprudence de la Cour que le traitement fiscal de dividendes est susceptible de relever de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, et de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux. S’agissant de la question de savoir si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause [arrêts du 20 septembre 2018,  EV, C‑685/16, EU:C:2018:743, point 33, et du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C‑342/20, EU:C:2022:276, points 35 et 44 ainsi que jurisprudence citée].

43      À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci relève du champ d’application de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement. En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier, sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise, doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C‑342/20, EU:C:2022:276, point 45 et jurisprudence citée].

44      S’agissant de la législation bulgare en cause, il apparaît que celle-ci s’applique à toute distribution de dividendes par une société établie en Bulgarie.

45      Par conséquent, l’objet de la législation nationale en cause au principal ne permet pas de déterminer à lui seul si la situation en cause au principal relève de manière prépondérante de l’article 49 TFUE ou de l’article 63 TFUE.

46      Dans de telles circonstances, la Cour tient compte des éléments factuels du cas d’espèce afin de déterminer si la situation visée par le litige au principal relève de l’une ou de l’autre de ces dispositions (arrêt du 11 juin 2020, KOB, C‑206/19, EU:C:2020:463, point 25 et jurisprudence citée).

47      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la société distribuant les dividendes est intégralement détenue par la société bénéficiaire des dividendes. Or, une telle participation est de nature à conférer à son titulaire la possibilité d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et d’en déterminer les activités (arrêt du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 46).

48      Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être regardée comme se rapportant à l’interprétation des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement.

 Sur l’existence d’une restriction

49      Conformément à une jurisprudence constante, la liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union, comporte pour ces derniers l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants. Elle comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence [arrêts du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 37, et du 14 mai 2020, B e.a. (Intégration fiscale verticale et horizontale), C‑749/18, EU:C:2020:370, point 21 ainsi que jurisprudence citée].

50      S’agissant de sociétés, leur siège, au sens de l’article 54 TFUE, sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre. Admettre que l’État membre de résidence puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu. La liberté d’établissement vise en effet à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, en interdisant toute discrimination fondée sur le siège des sociétés [arrêts du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 38, et du 14 mai 2020, B e.a. (Intégration fiscale verticale et horizontale), C‑749/18, EU:C:2020:370, point 22 ainsi que jurisprudence citée].

51      La Cour a déjà jugé qu’une différence de traitement fiscal des dividendes entre sociétés mères en fonction du lieu de leur siège, lorsque les dividendes distribués aux sociétés résidentes sont exonérés d’une retenue à la source et ne subissent pas une imposition en chaîne, tandis que les dividendes versés aux sociétés dont le siège se trouve dans un autre État membre sont soumis à une retenue à la source et subissent de ce fait une imposition en chaîne, est susceptible de constituer une restriction à la liberté d’établissement, en principe interdite par le traité FUE en ce qu’elle rend moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par des sociétés établies dans d’autres États membres, lesquelles pourraient en conséquence renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une filiale dans l’État membre qui met en œuvre une telle différence de traitement (arrêt du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, points 39 à 41).

52      En l’occurrence, si, conformément aux dispositions de droit bulgare en cause, les dividendes distribués par une société établie en Bulgarie aux sociétés établies dans cet État membre sont exonérés d’une retenue à la source, ainsi que le sont également les dividendes distribués à des sociétés établies dans les autres États membres, cette exonération ne s’applique pas, en revanche, aux dividendes distribués aux sociétés établies à Gibraltar. Il en résulte une différence de traitement en fonction du siège des sociétés bénéficiaires des dividendes.

53      Certes, à l’égard des mesures prévues par un État membre afin de prévenir ou d’atténuer l’imposition en chaîne ou la double imposition économique de bénéfices distribués par une société résidente, les actionnaires bénéficiaires résidents ne se trouvent pas nécessairement dans une situation comparable à celle d’actionnaires bénéficiaires résidents d’un autre État membre (arrêt du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 42 et jurisprudence citée).

54      Toutefois, à partir du moment où un État membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l’impôt sur le revenu non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation desdits actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents (arrêt du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 43 et jurisprudence citée).

55      Par conséquent, dès lors qu’un État membre a choisi de préserver les sociétés mères résidentes d’une imposition en chaîne sur les bénéfices distribués par une filiale résidente, il doit étendre cette mesure aux sociétés mères non-résidentes se trouvant dans une situation comparable, en raison du fait qu’une imposition analogue frappant ces sociétés non-résidentes résulte de l’exercice de sa compétence fiscale sur ces dernières (arrêt du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 44 et jurisprudence citée).

56      La Cour a également jugé que la circonstance, à la supposer établie, relative à l’absence d’imposition des revenus de la société bénéficiaire des dividendes non-résidente n’instaure pas une différence entre celle-ci et une société bénéficiaire des dividendes résidente, lorsque les dividendes perçus par cette dernière ne sont pas non plus soumis à l’impôt, ni au moyen d’une retenue à la source ni en tant qu’ils font partie de ses revenus (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, points 51 et 52).

57      Par conséquent, dès lors que les dispositions du droit bulgare ne subordonnent pas le bénéfice de l’exonération de la retenue à la source à la condition que les dividendes soient imposés au niveau de la société bénéficiaire, ce qui semble résulter des indications de la juridiction de renvoi et ce qu’il appartient à celle-ci de vérifier, l’absence d’imposition de ces dividendes à Gibraltar, à la supposer établie, ne saurait rendre la situation d’une société bénéficiaire établie à Gibraltar différente de celle d’une société établie en Bulgarie. Les arguments relatifs aux particularités du système fiscal de Gibraltar seraient également dépourvus de pertinence.

58      Il s’ensuit qu’une pratique prévoyant le prélèvement à la source de l’impôt sur les dividendes distribués aux sociétés établies à Gibraltar, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidant en Bulgarie sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition, constitue une restriction à la liberté d’établissement interdite, en principe, par l’article 49 TFUE.

 Sur l’existence d’une justification

59      Dans ses observations écrites, le gouvernement bulgare a fait valoir qu’une éventuelle restriction serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général tenant à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

60      Selon une jurisprudence bien établie, une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 65).

61      S’agissant du caractère nécessaire de la mesure nationale, il convient de rappeler que les mesures restrictives d’une liberté fondamentale ne peuvent être justifiées que si l’objectif visé ne peut être atteint par des mesures moins restrictives (arrêts du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 81, ainsi que du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, point 83).

62      Il y a lieu de relever que la Cour a déjà jugé que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2012, SIAT, C‑318/10, EU:C:2012:415, point 36, ainsi que du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 63).

63      En particulier, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une mesure nationale restreignant une liberté fondamentale soit considérée comme visant à éviter l’évasion fiscale, les fraudes et les abus, son but spécifique doit être de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont l’objectif est d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités sur le territoire national ou de bénéficier indûment d’un avantage fiscal (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2012, SIAT, C‑318/10, EU:C:2012:415, point 40 ; du 21 décembre 2016, Masco Denmark et Damixa, C‑593/14, EU:C:2016:984, point 44, et du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

64      Ainsi, une présomption générale d’évasion fiscale, de fraude et d’abus ne saurait justifier une mesure fiscale portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2017, Euro Park Service, C‑14/16, EU:C:2017:177, point 69, et du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

65      Pour vérifier si une opération poursuit un objectif d’évasion fiscale, de fraude et d’abus, les autorités nationales compétentes ne sauraient se contenter d’appliquer des critères généraux prédéterminés, mais doivent procéder à un examen individuel de l’ensemble de l’opération concernée. L’institution d’une mesure fiscale revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories de contribuables de l’avantage fiscal, sans que l’administration fiscale soit tenue de fournir ne serait-ce qu’un commencement de preuve ou d’indice d’évasion, de fraude et d’abus, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter les évasions fiscales, les fraudes et les abus (arrêts du 8 mars 2017, Euro Park Service, C‑14/16, EU:C:2017:177, points 55 et 56, ainsi que du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 32).

66      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 33 de la présente ordonnance, le refus de l’exonération de la retenue à la source des dividendes versés aux sociétés établies à Gibraltar semble découler de l’application de l’article 194, paragraphe 3, point 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés par les autorités administratives et judiciaires bulgares et du fait que, selon leur interprétation, une société établie à Gibraltar ne constitue pas « une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne » au sens de cette disposition.

67      Une telle pratique semble ainsi exclure, pendant la période pertinente pour le litige au principal, de manière automatique les sociétés établies à Gibraltar du bénéfice de l’exonération de la retenue à la source et ne semble pas satisfaire aux exigences énoncées dans la jurisprudence citée aux points 61 à 65 de la présente ordonnance.

68      En ce qui concerne l’absence d’informations sur le paiement de l’impôt sur les dividendes à Gibraltar, invoquée par le gouvernement bulgare, il suffit de relever que les dividendes distribués aux sociétés résidant en Bulgarie sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition.

69      Il appartient cependant, en dernier lieu, au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter le droit national, de déterminer s’il est, en l’occurrence, satisfait à ces exigences (voir, en ce sens, arrêts du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 72, ainsi que du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, point 71).

70      Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux dispositions du droit national et à la jurisprudence d’un État membre prévoyant le prélèvement à la source de l’impôt sur les dividendes distribués par les sociétés résidentes aux sociétés établies à Gibraltar, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidentes et aux sociétés établies dans les autres États membres sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition, lorsqu’un tel traitement fiscal différent des sociétés établies à Gibraltar n’est pas justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et ne respecte pas le principe de proportionnalité.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux dispositions du droit national et à la jurisprudence d’un État membre prévoyant le prélèvement à la source de l’impôt sur les dividendes distribués par les sociétés résidentes aux sociétés établies à Gibraltar, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidentes et aux sociétés établies dans les autres États membres sont exonérés de cet impôt sans que ces sociétés soient tenues de remplir une quelconque condition, lorsqu’un tel traitement fiscal différent des sociétés établies à Gibraltar n’est pas justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et ne respecte pas le principe de proportionnalité.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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