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Document 61995TJ0165

    Judgment of the Court of First Instance (Second Chamber) of 14 May 1998.
    Arnaldo Lucaccioni v Commission of the European Communities.
    Officials - Action for damages - Occupational disease - Damage - Taking into account benefits received unter Article 73 of the Staff Regulations - Duration of the procedure for recognising an occupational disease - Fault.
    Case T-165/95.

    European Court Reports – Staff Cases 1998 I-A-00203; II-00627

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:1998:105

    ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

    14 mai 1998 ( *1 )

    «Fonctionnaires — Recours en indemnité — Maladie professionnelle — Préjudice — Prise en compte des prestations perçues au titre de l'article 73 du statut — Durée de la procédure de reconnaissance d'une maladie professionnelle — Faute»

    Dans l'affaire T-165/95,

    Arnaldo Lucaccioni, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Paris, représenté par Mes Georges Vandersanden, Laure Levi et Olivier Eben, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, me de Cessange,

    partie requérante,

    contre

    Commission des Communautés européennes, représentée par M. Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Jean-Luc Fagnart, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet la réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi paile requérant en raison de la maladie dont il est atteint et l'allocation d'intérêts compensatoires sur le capital versé au titre de l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes,

    LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

    composé de MM. A. Kalogeropoulos, président, C. W. Bellamy et J. Pirrung, juges,

    greffier: M. A. Mair, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 9 octobre 1997,

    rend le présent

    Arrêt

    Faits et procédure

    1

    Le requérant est né le 31 janvier 1941. En 1953 il a été traité médicalement pour une affection du lobe supérieur gauche du poumon et a séjourné en sanatorium pendant 10 mois.

    2

    Le requérant est entré au service de la Commission en 1962. De 1967 à 1969 il a travaillé dans l'aile nord du nouveau bâtiment du Berlaymont à Bruxelles, pendant la construction des autres ailes du bâtiment. Il a continué à travailler au Berlaymont jusqu'à son affectation au Japon, le 30 juin 1975. De retour du Japon le 17 septembre 1979, le requérant a de nouveau travaillé au Berlaymont jusqu'en 1987, aimée où il a été transféré dans un autre bâtiment à Bruxelles.

    3

    Le 15 janvier 1990, le requérant a été victime d'une hémoptysie. A la suite d'examens réalisés aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, les Drs Noël et Gérard ont conclu, le 5 février 1990, à la présence d'«amas de cellules anormales provenant d'un carcinome épidermoïde bien différencié». Ils ont également conclu que les hémoptysies du requérant étaient liées au «développement d'un carcinome épidermoïde dans la segmentaire antérieure de la culmen du lobe supérieur gauche, siège d'un ancien foyer de tuberculose». Le requérant a donc été reconnu comme étant atteint d'un cancer bronchique.

    4

    Le 12 mars 1990, le requérant a subi une lobectomie supérieure gauche du poumon à l'hôpital Erasme à Bruxelles. Le chirurgien, le Pr Rocmans, a exprimé l'avis qu'il présentait des séquelles de tuberculose du lobe supérieur gauche. En dépit du diagnostic initial de cancer, aucune tumeur n'a pu être décelée sur la pièce opératoire.

    5

    A la demande du Pr Rocmans, un échantillon du tissu de poumon enlevé a été analysé par le laboratoire de minéralogie de l'hôpital Erasme. Dans un rapport daté du 30 août 1990, signé par le Pr De Vuyst, un taux de 680 corps asbestosiques par gramme de tissu sec a été constaté.

    6

    Par la suite, le requérant aurait souffert de bronchites et d'une broncho-pneumonie, qui auraient entraîné trois hospitalisations. Il aurait également vécu dans une situation d'anxiété provoquant des crises dépressives profondes dues à la cancérophobie.

    7

    Le 26 novembre 1990, le requérant a adressé à l'administration et à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), une note dans laquelle il déclarait, conformément à l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») et à l'article 17 de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «réglementation de couverture»), avoir contracté un cancer du poumon sous forme de carcinome épidermoïde ayant entraîné une lobectomie supérieure gauche et une bronchite chronique asthmatiforme (asthme), et demandait qu'une décision de reconnaissance de maladie professionnelle et de fixation d'un taux d'invalidité permanente soit prise, conformément à l'article 19 de la réglementation de couverture. Le requérant faisait valoir qu'il avait été exposé à la poussière d'amiante, notamment durant la construction du Berlaymont, de 1967 à 1968, qui avait contaminé l'air ambiant extérieur et intérieur, ainsi que les conduites de conditionnement d'air. A cette note était jointe une attestation datée du 23 octobre 1990 du médecin traitant du requérant, le Dr Cognigni, qui faisait état d'un lien de causalité entre son cancer et l'exposition à l'amiante sur le lieu de travail.

    8

    Par lettre datée du 18 janvier 1991, le directeur de la direction DO «personnel -droits et obligations» de la direction générale Personnel et administration (DG IX) (ci-après «directeur du personnel») a informé le requérant que, vu son état de santé, son cas serait soumis à la commission d'invalidité prévue par l'article 78 du statut. Cette lettre ne faisait pas mention de la note du 26 novembre 1990, mais invitait le requérant à faire, le cas échéant, une déclaration de maladie professionnelle au sens de l'article 73 du statut. Elle indiquait que les procédures des articles 73 et 78 du statut étaient différentes et pouvaient donner lieu à des décisions distinctes, tout en ajoutant qu'il serait de bon augure qu'elles soient, sinon coordonnées, du moins appliquées parallèlement.

    9

    Par lettre au directeur du personnel du 27 février 1991, le requérant a désigné le Dr Cognigni comme membre de la commission d'invalidité et a fait observer qu'il avait déjà fait une déclaration de maladie professionnelle dans sa note du 26 novembre 1990. Il demandait que la décision résultant de la procédure entamée par l'AIPN et celle qu'il avait lui-même demandée dans ladite note soient non seulement parallèles, mais surtout coordonnées et qu'elles prennent effet conjointement.

    10

    Par lettre au requérant du 15 mars 1991, le directeur du personnel a précisé que les procédures au titre des articles 73 et 78 du statut étaient séparées et que la durée de la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle était beaucoup plus longue. Il a néanmoins ajouté que la reconnaissance de maladie professionnelle qui interviendrait après la mise en invalidité rétroagirait à partir de la date de cette dernière.

    11

    A la demande du requérant, le Laboratorio di Ultrastrutture de l'Istituto Superiore di Sanità, à Rome, a analysé un échantillon du tissu enlevé de son poumon le 12 mars 1990. Un rapport du P Donelli, daté du 22 avril 1991, a constaté la présence de 6000000 de chrysotile (amiante blanche) par gramme de tissu sec. Les fibres de chrysotile auraient eu un diamètre moyen d'environ 0,1 micron et une longueur moyenne d'environ 10 microns.

    12

    Par lettre au requérant du 21 mai 1991, le directeur du personnel a précisé que sa lettre du 15 mars 1991 avait pour but de le rassurer sur l'aspect financier d'une reconnaissance éventuellement tardive d'une maladie professionnelle par rapport au prononcé de la mise en invalidité. S'il pouvait être souhaitable que les deux procédures soient, sinon coordonnées, tout au moins poursuivies parallèlement, ceci n'impliquait pas nécessairement, selon lui, un aboutissement conjoint dans le temps.

    13

    Par lettre du 22 mai 1991, le chef de l'unité «assurance accidents et maladies professionnelles» de la direction DO de la DG IX a informé le requérant que, à la suite de sa demande du 26 novembre 1990, son unité avait ouvert un dossier et poursuivait une enquête visant à réunir tous les éléments permettant d'établir l'origine professionnelle éventuelle de sa maladie, le Pr De Vuyst ayant été désigné pour émettre l'avis médical requis.

    14

    Dans un rapport du 6 juin 1991, le laboratoire de minéralogie de l'hôpital Erasme a constaté la présence de 595 coips asbestosiques par gramme de tissu sec (ainsi, apparemment, que celle de 34600 fibres par gramme de tissu sec) et a conclu à la présence d'amosite (amiante brune) et de trémolite dans un échantillon du tissu enlevé du poumon du requérant.

    15

    La commission d'invalidité, composée du Dr Cognigni (nommé par le requérant), du Dr Mancini (nommé par la Commission) et du Pr Maltoni (nommé par les deux premiers), s'est réunie le 10 juin 1991. Elle a conclu que le requérant était atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et que, pour ce motif, il était tenu de suspendre son service à la Commission. Cet avis a été rendu sans préjudice de l'avis des instances compétentes quant à la reconnaissance d'une éventuelle maladie professionnelle. La commission d'invalidité a ajouté:

    «La Commission, dans le respect des procédures prévues, se permet de souligner à qui de droit que M. Lucaccioni a travaillé pendant environ 20 ans dans un environnement contaminé par de l'amiante et que les examens de laboratoire (examens au microscope électronique du tissu pulmonaire) ont permis de retrouver dans le parenchyme pulmonaire la présence de fibres de ce minerai (6 x 106 fibres par gramme de tissu sec).»

    16

    Le 16 juillet 1991, le directeur du personnel, agissant en qualité d'AIPN, a pris une décision portant mise à la retraite du requérant, conformément à l'article 53 du statut, et l'admettant au bénéfice d'une pension d'invalidité fixée conformément à l'article 78, troisième alinéa, du statut, avec effet au 1er août 1991. Il est constant que la pension octroyée est égale à 70 % du traitement de base du requérant.

    17

    Par lettre du 15 octobre 1991, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision de mise à la retraite du 16 juillet 1991.

    18

    Dans le cadre de la procédure alors en cours au titre de l'article 73 du statut, le requérant a demandé la récusation du Pr De Vuyst pour ce qui concerne l'avis médical prévu par l'article 19 de la réglementation de couverture, au motif que celui-ci s'était déjà prononcé dans un sens défavorable au requérant, dans un courrier du 6 décembre 1990. Le Pr De Vuyst a été remplacé par le Dr Dalem, de l'université de Liège. Le requérant a été informé, par lettre du chef de l'unité «assurance accidents et maladies professionnelles» du 25 juillet 1991, que le Dr Dalem avait demandé le concours du Pr Bartsch, spécialiste en pneumologie à l'institut provincial Ernest Malvoz à Liège.

    19

    Le 8 octobre 1991, le Pr Bartsch a examiné le requérant. Sur la base de cet examen, de son analyse des éléments du dossier et d'une correspondance supplémentaire échangée avec divers médecins, il a établi un rapport d'expertise, daté du 3 février 1992, dans lequel il concluait à l'absence de maladie professionnelle.

    20

    Dans son rapport du 3 février 1992, le Pr Bartsch a exprimé l'avis que le requérant n'était pas atteint d'un cancer bronchique et a fait un diagnostic d'hémoptysies sur bronchectasies très anciennes de nature post-tuberculeuse. Soit ces hémoptysies auraient été provoquées par une surinfection des lésions kystiques, soit une paroi bulleuse se serait rompue et aurait provoqué un saignement. Quant à l'existence d'une asbestose, le Pr Bartsch a relevé que, à deux reprises et sur deux fragments différents de la pièce d'exérèse du lobe supérieur du poumon du requérant, le laboratoire de minéralogie de l'hôpital Erasme, de réputation internationale, avait mesuré une valeur inférieure à 1000 corps asbestosiques par gramme, limite admise en France pour considérer que l'exposition à l'amiante a été significative. La divergence entre ces résultats et les valeurs extrêmement élevées décrites par le Pr Donelli, qui se référait d'ailleurs au chrysotile et non à l'amosite et au trémolite relevés par l'hôpital Erasme, ne pourrait pas être expliquée par de simples différences entre laboratoires. De plus, en Belgique il faudrait que l'organe cible montre la présence de lésions caractéristiques de la maladie. Or, en l'espèce, des plaques fibreuses simples calcifiées ou des lésions de fibrose interstitielle n'auraient pas été décrites, ni du point de vue anatomo-pathologique, ni du point de vue radiologique ou tomodensitométrique, dans la partie du lobe pulmonaire enlevé et non atteint de séquelles tuberculeuses. De même, l'examen microscopique des deux lames correspondant à la biopsie effectuée aux cliniques Saint Luc, réalisé par le Pr Boniver, n'aurait pas révélé l'existence de cellule néoplasique. Le Pr Bartsch en a conclu que la présence d'une asbestose restait à démontrer.

    21

    Sur la base du rapport du Pr Bartsch, le Dr Dalem a soumis son avis médical à la Commission le 14 février 1992. Il a conclu à l'absence de maladie professionnelle. En effet, le requérant n'était pas atteint d'un cancer bronchique et, bien que ses poumons renfermassent effectivement des fibres d'amiante, il n'y avait aucun signe de fibrose réactionnelle à l'amiante, de sorte que le requérant n'était pas non plus atteint d'une asbestose.

    22

    Par note du 17 février 1992, le chef de l'unité «assurance accidents et maladies professionnelles» a informé le requérant des conclusions du Dr Dalem et lui a notifié un projet de décision de rejet de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle, conformément à l'article 21 de la réglementation de couverture.

    23

    Par lettre du 3 mars 1992, la Commission a notifié au requérant le rejet de sa réclamation du 15 octobre 1991 contre la décision de mise à la retraite. Le requérant n'a pas introduit de recours devant le Tribunal contre cette décision de rejet.

    24

    Poursuivant la procédure prévue par l'article 73 du statut, le requérant a demandé la convocation de la commission médicale prévue par l'article 23 de la réglementation de couverture. Selon le requérant, cette demande a été faite par télécopie de son avocat datée du 17 mars 1992. La Commission fait valoir que cette demande a été introduite le 12 avril 1992.

    25

    Le requérant a nommé le Dr Cognigni à la commission médicale. Selon lui, cette nomination a été faite par lettre de son avocat datée du 13 mai 1992. La Commission fait valoir que la nomination est intervenue le 22 juin 1992.

    26

    La Commission a nommé le Dr Dalem à la commission médicale, mais, à la suite d'une demande de récusation formée par le requérant, elle a désigné à sa place le Pr Brochard en novembre 1992.

    27

    Le 29 janvier 1993, le Dr Cognigni et le Pr Brochard ont désigné le Pr Maltoni comme troisième membre de la commission médicale. Le Pr Maltoni a été saisi le 17 février 1993.

    28

    La première réunion de la commission médicale a eu lieu le 13 avril 1993. Celle-ci a conclu que le requérant était atteint d'un carcinome pulmonaire associé histologiquement à une fibrose des septas. La commission médicale n'étant pas unanime sur la relation de cause à effet entre l'exposition du requérant à l'amiante et son carcinome, elle a décidé de soumettre de nouveau un fragment de la pièce extraite du poumon du requérant aux laboratoires belge et italien qui avaient effectué les premières analyses et de commander en outre une troisième analyse, confiée au Pr Woitowitz de l'université de Giessen (Allemagne), et de se réunir dès que les résultats seraient disponibles.

    29

    A la suite d'une seconde réunion qui s'est tenue le 25 février 1994, la commission médicale a déposé son rapport le 1er mars 1994. Elle a adopté ses conclusions à la majorité, le Pr Brochard exprimant son désaccord.

    30

    Elle a conclu que «M. Lucaccioni est atteint d'un carcinome broncho-pulmonaire, diagnostiqué à l'examen hysto-pathologique des biopsies des bronches, exécutées le 30 [janvier] 1990. Conformément aux résultats des Drs Noël et Gérard du 5 [février] 1990. Au réexamen des sections, la diagnose a été confirmée, et en outre on a relevé une fibrose des septas».

    31

    Quant au rapport de cause à effet entre cette pathologie et l'exercice par le requérant de ses fonctions professionnelles, la commission médicale a commandé une analyse du tissu enlevé du poumon du requérant à trois laboratoires, à savoir ceux des Prs De Vuyst, Donelli et Woitowitz. Le Pr De Vuyst a trouvé 235000 fibres de crocidolite (amiante bleu), amosite, anthophyllite et chrysotile par gramme de tissu sec. Le Pr Donelli a confirmé la présence de chrysotile. Le Pr Woitowitz a trouvé 350000 fibres de crocidolite et d'amosite par gramme de tissu sec et 300000 fibres de chrysotile par gramme de tissu sec. La commission médicale a donc pris acte de ce qui suit:

    «1)

    l'amiante est notoire pour être capable de causer le carcinome pulmonaire;

    2)

    M. Lucaccioni a travaillé comme fonctionnaire dans un environnement contaminé par l'amiante;

    3)

    la maladie dont M. Lucaccioni est atteint est un carcinome pulmonaire;

    4)

    le carcinome pulmonaire dont M. Lucaccioni est atteint est associé à une fibrose, même des septas;

    5)

    le carcinome pulmonaire est survenu à un âge (49 ans) où l'incidence de cette neoplasie est très basse et non usuelle pour les non-fumeurs ou faibles fumeurs;

    6)

    les diverses analyses pour la détermination des fibres d'amiante dans le tissu pleuro-pulmonaire, bien qu'elles aient donné des résultats variables, indiquent une exposition survenue. Les résultats des analyses sont exposés dans le tableau 1. La majeure quantité de fibres d'amiante (chrysotile) dans la première détermination de Donelli s'explique par la majeure quantité de plèvre dans le tissu examiné: il est notoire en effet que le chrysotile se localise surtout aux bords pleuro-pulmonaires (Image 1).»

    32

    Sur ce fondement, la commission médicale a retenu le carcinome pulmonaire du requérant comme maladie professionnelle. Elle a précisé que l'invalidité totale permanente du requérant était de 100 % et qu'elle remontait au moment du diagnostic (janvier 1990). «En considération des signes permanents (cicatrices, déformation de la mamelle gauche, réduction de la force musculaire du bras gauche) et des graves perturbations psychologiques dont M. Lucaccioni est atteint», il lui a été accordé en outre une indemnité de 30 %, sur la base de l'article 14 de la réglementation de couverture.

    33

    Par lettre du 15 avril 1994, le directeur général de la DG IX a informé le requérant des conclusions de la commission médicale en ces termes: «Je suis en mesure de vous reconnaître le taux d'invalidité permanente totale de 130 %, en précisant qu'il s'agit à ce stade de l'arbitrage définitif des questions de caractère médical soulevées par la reconnaissance de votre maladie professionnelle.» Il a annoncé que, conformément à l'article 73 du statut, un capital de 25794194 BFR serait versé au requérant.

    34

    Le capital de 25794194 BFR a été versé au requérant le 28 avril 1994.

    35

    Le 15 mai 1994, le requérant a notamment demandé à la Commission: de communiquer les conclusions de la commission médicale à la commission d'invalidité afin que cette dernière modifie son avis et déclare que son invalidité résulte d'une maladie professionnelle, de lui fournir un décompte des 25794194 BFR, de lui payer des intérêts sur ce capital, ainsi que la différence entre son salaire et sa pension depuis août 1991, et de lui verser trois millions d'écus à titre de réparation du dommage moral. Il a, entre autres, fait état des fautes commises par la Commission en l'exposant aux poussières d'amiante et dans le traitement de son dossier.

    36

    Par lettre du 22 septembre 1994, le directeur de la direction B «droits et obligations» de la DG IX a fourni les chiffres demandés, mais a rejeté les autres demandes du requérant.

    37

    Le 15 décembre 1994, le requérant a introduit une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'encontre de la décision contenue dans la lettre du 22 septembre 1994. Par décision du 3 mai 1995, notifiée au requérant le 29 mai 1995, la Commission a rejeté la réclamation du requérant.

    38

    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 août 1995, le requérant a introduit le présent recours.

    39

    Par arrêt du 24 octobre 1996, Commission/Royale belge (C-76/95, Rec. p. I-5501), la Cour a condamné les assureurs de la Commission à rembourser à celle-ci la somme de 25794194 BFR versée au requérant, majorée des intérêts au taux de 8 % à compter du 6 mai 1994.

    40

    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a notamment invité les parties à se mettre d'accord sur le montant du capital nécessaire pour compenser la différence entre le traitement de base du requérant et sa pension pour la période allant de sa mise à la retraite jusqu'à l'âge de pension prévu par le statut.

    41

    Les parties s'étant mises partiellement d'accord sur ce point, elles ont présenté au Tribunal leurs calculs respectifs par lettres des 22 et 24 septembre 1997, tout en expliquant les différences de méthodologie qui subsistaient. L'audience s'est déroulée le 9 octobre 1997.

    Conclusions des parties

    42

    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

    condamner la Commission:

    au paiement de la différence entre son traitement de fonctionnaire et sa pension d'invalidité, depuis le 1er août 1991 jusqu'à l'âge de la pension prévu par le statut (soit le 31 janvier 2006) à titre de réparation du préjudice matériel subi par lui, cette différence étant évaluée à titre provisionnel à15000000 BFR + 12500000 BFR, et à procéder au calcul du premier montant;

    au paiement de 1000000 d'écus à titre de réparation du dommage moral subi:

    au paiement d'intérêts à 10 % ľan sur le capital de 25794194 BFR perçu par lui en application de l'article 73 du statut, ces intérêts étant à calculer à partir du 1er janvier 1990, ou au plus tard à partir du 10 juin 1991, jusqu'à parfait paiement de ce capital, et étant évalués à titre provisionnel à 15000000 BFR;

    pour autant que de besoin, annuler la décision de la Commission du 22 septembre 1994 de ne pas faire droit à la demande du requérant du 15 mai 1994;

    condamner la Commission à l'ensemble des dépens.

    43

    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

    surseoir à statuer en attendant le résultat des procédures menées par le requérant devant les juridictions belges;

    subsidiairement, déclarer non fondés le recours en indemnité et le recours en annulation formés par le requérant;

    condamner le requérant aux dépens.

    Sur la demande de sursis à statuer

    Arguments des parties

    44

    La Commission relève que le requérant a déposé plainte, auprès du procureur du roi de Bruxelles, contre l'État belge et contre elle-même, des chefs de coups et blessures involontaires et de non-assistance à personne en danger. Bien que ce recours soit, d'après elle, manifestement irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la Commission, une éventuelle condamnation de l'État belge par les juridictions nationales entraînerait la réparation intégrale du préjudice subi par le requérant.

    45

    Dans de telles circonstances, le Tribunal devrait surseoir à statuer aussi longtemps que lesdites juridictions n'auront pas définitivement statué sur la demande introduite auprès d'elles par le requérant. En effet, la jurisprudence de la Cour établirait une règle de l'épuisement préalable des voies de recours internes (arrêts de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, 346, du 17 mars 1976, Lesieur e.a./Commission, 67/75 à 85/75, Rec. p. 391, 412, et du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 28).

    46

    Le requérant relève que l'article 179 du traité attribue à la Cour compétence pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents dans les limites et conditions déterminées au statut ou résultant du régime applicable à ces derniers. En vertu de l'article 183 du traité, cette attribution explicite de compétence entraînerait l'incompétence des juridictions nationales pour connaître d'une action en responsabilité fondée, comme en l'espèce, sur la relation de travail entre le fonctionnaire et son institution.

    47

    Quant à la plainte déposée par le requérant auprès du procureur du roi contre l'État belge, la Commission et certains fonctionnaires de cette dernière, cette procédure reposerait sur la démonstration d'une négligence criminelle et donc sur la preuve d'une intention de nuire, alors que tout élément intentionnel serait exclu dans le cadre du présent recours. De plus, la condamnation du seul État belge, propriétaire du Berlaymont, par la juridiction nationale ne pourrait compenser le préjudice allégué par le requérant devant le Tribunal, lequel serait évalué en considération de la nature du lien de travail existant entre le requérant et la défenderesse. La Commission, quant à elle, jouirait de l'immunité de juridiction devant les juridictions nationales.

    48

    A l'audience, ie requérant a précisé que le juge d'instruction avait été dessaisi de sa plainte par ordonnance du 30 novembre 1995. A supposer que le procureur du roi poursuive la plainte en la renvoyant au parquet général de la Cour de cassation - celle-ci étant seule, d'après lui, compétente pour connaître du litige contre l'État belge -, il faudrait que le requérant se constitue à nouveau partie civile en cassation. Aucune juridiction belge ne serait donc actuellement saisie de la question de la responsabilité civile de l'État belge ou de la Commission.

    Appréciation du Tribunal

    49

    Le premier chef des conclusions du requérant vise à la réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi par suite d'une maladie professionnelle qui, selon lui, a été provoquée par une faute commise par la Commission dans le cadre du lien d'emploi statutaire. Aux termes des articles 179 et 183 du traité, le Tribunal est seul compétent pour statuer sur la responsabilité de la Commission, en tant qu'employeur, dans le cadre de ce litige. Il en va de même en ce qui concerne le second chef des conclusions, tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait des retards intervenus dans le traitement de son dossier.

    50

    Il s'ensuit que le recours introduit par le requérant contre l'État belge n'est pas de nature à assurer le respect des droits dont il se prévaut à ľ encontre de la Commission, en tant qu'employeur, dans le cadre du statut.

    51

    La demande de sursis à statuer doit, dès lors, être rejetée.

    Sur le fond

    52

    Le recours du requérant vise, en premier lieu, la réparation des préjudices matériels et moral résultant de sa maladie professionnelle et, en second lieu, l'allocation d'intérêts compensatoires sur le capital payé en vertu de l'article 73 du statut, pour les retards intervenus dans le traitement de son dossier.

    1. Sur la réparation des préjudices matériels et moral résultant de la maladie professionnelle du requérant

    53

    Le requérant soutient que sa maladie trouve son origine dans une faute de la Commission, qui l'aurait exposé à des fibres d'amiante alors qu'elle savait, ou aurait dû savoir, qu'une telle exposition était dangereuse pour sa santé. Cette exposition aurait eu lieu soit entre 1967 et 1969 lorsque le requérant travaillait dans le Berlaymont en construction, et notamment lors du flocage du bâtiment, soit entre 1969 et 1975, ou encore entre 1979 et 1987, lorsque le requérant y travaillait, soit pendant toutes ces périodes.

    54

    Le requérant prétend que cette faute de la Commission lui a causé trois préjudices, à savoir un préjudice matériel constitué par la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire, un préjudice moral consistant notamment en sa souffrance physique et psychique, et un préjudice matériel résultant de la vente précipitée de certains biens immobiliers.

    55

    La Commission, pour sa part, ne conteste pas l'existence ou le caractère professionnel de la maladie du requérant, mais nie toute faute de nature à engager sa responsabilité, et conteste l'existence d'un lien de causalité entre son comportement aux différentes époques en cause et le préjudice invoqué. La Commission soutient, en outre, que la pleine réparation des deux premiers préjudices a déjà été assurée par les prestations que le requérant a reçues au titre de l'article 73 du statut. Elle conteste, enfin, les arguments du requérant quant au préjudice matériel résultant de la vente des biens immobiliers en cause.

    56

    Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions concernant l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir par exemple l'arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 42, et l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T-36/93, RecFP p. II-497, point 130).

    57

    Il s'ensuit que, même dans l'hypothèse où une faute de la Commission serait établie, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant est parvenu à démontrer la réalité de son préjudice. Dans les circonstances de l'espèce, il convient donc d'examiner, tout d'abord, si tel est le cas, compte tenu des prestations que le requérant a reçues au titre de l'article 73 du statut, en ce qui concerne, d'une part, le préjudice matériel constitué par la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de base et, d'autre part, son préjudice moral. Il convient d'examiner, ensuite, si le requérant a établi la réalité du préjudice matériel résultant de la vente de certains biens immobiliers, ainsi qu'un lien de causalité entre ce prétendu préjudice et sa maladie professionnelle.

    Sur le préjudice matériel constitué par la différence entre la pension d'invalidité du requérant et son traitement de fonctionnaire

    Arguments des parties

    58

    Le requérant soutient qu'il a subi un préjudice matériel constitué par la différence entre, d'une part, la pension d'invalidité qu'il perçoit depuis le 1er août 1991 et qu'il percevra jusqu'au 31 janvier 2006, âge de sa mise à la retraite à 65 ans, et, d'autre part, la rémunération qu'il aurait reçue pendant cette période en sa qualité de fonctionnaire en activité. Il précise que cette rémunération comprend non seulement son traitement de base, mais également les allocations et indemnités qu'il aurait perçues en vertu de l'article 62 du statut. Dans ses mémoires, il évalue ce dommage à titre provisionnel à 15000000 BFR.

    59

    Dans sa réponse aux questions du Tribunal du 24 septembre 1997, le requérant soutient qu'il y a lieu, d'abord, de calculer le montant exact de la différence entre la pension d'invalidité et le traitement pour la période courant du 1er août 1991 jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt, présumée être le 31 décembre 1997. On devrait, ensuite, calculer la différence entre la pension d'invalidité et le traitement pendant la période courant de cette date jusqu'au 31 janvier 2006, date du 65e anniversaire du requérant, à laquelle il aurait été contraint par le statut de prendre sa retraite. Il y aurait lieu d'augmenter ce second total d'un pourcentage raisonnable, soit 8 %, afin de tenir compte de l'augmentation future des traitements des fonctionnaires, puis le réduire par un facteur actuariel de 0,806944 afin de tenir compte de la valeur de la disponibilité immédiate de l'ensemble de la somme en capital et des chances de survie d'un homme de l'âge du requérant jusqu'à son 65e anniversaire.

    60

    Sur cette base, le requérant évalue définitivement le capital nécessaire pour réparer ce dommage à la somme de 8399304 BFR, arrondie à 8400000 BFR.

    61

    Il fait valoir que les prestations qui lui ont déjà été versées en vertu de l'article 73 du statut ne sauraient être prises en considération dans l'appréciation du préjudice allégué, notamment parce qu'elles relèvent d'un mécanisme différent et indépendant de celui de la pension d'invalidité prévue à l'article 78 du statut. En toute hypothèse, le requérant serait en droit d'utiliser ces prestations comme bon lui semble. De plus, la pension d'invalidité du requérant aurait été sa seule source de revenus pendant les trois années courant d'août 1991 à fin avril 1994, date du versement du capital prévu par l'article 73 du statut.

    62

    A l'audience, le requérant n'a pas contesté la jurisprudence de la Cour selon laquelle, dans l'hypothèse où la Commission a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, le fonctionnaire a droit à une indemnisation complémentaire si les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi (arrêt de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink e.a./Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, points 13 et 14). Toutefois, il a fait valoir que le capital qu'il a reçu au titre de l'article 73 du statut ne vise pas à réparer le préjudice résultant de la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire, notamment parce que l'article 73 du statut ne viserait que l'atteinte à l'intégrité physique et psychique du fonctionnaire, et non pas son incapacité de travail (arrêt de la Cour du 2 octobre 1979, B./Commission, 152/77, Rec. p. 2819, point 14).

    63

    Selon la Commission, il y a lieu d'abord de calculer le montant exact de la différence entre la pension d'invalidité et le traitement du requérant pour la période courant du 1er août 1991 jusqu'au 30 septembre 1997, date approximative de ses calculs. On devrait alors calculer la différence entre la pension d'invalidité et le traitement pendant la période courant de cette dernière date jusqu'au 31 janvier 2001, date du 60e anniversaire du requérant, à laquelle il aurait très probablement pris sa retraite, comme le font la majorité des fonctionnaires dès qu'ils ont atteint le droit à une pleine pension. Il y aurait lieu de réduire ce second total par un facteur actuariel de 0,914806, pour tenir compte de la possibilité que le bénéficiaire décède avant la fin de la période prise en considération et de la disponibilité immédiate de la somme en question. Sur cette base, le montant total serait de 5780161 BFR, arrondi à 5780000 BFR.

    64

    Selon la Commission, si l'on devait étendre les calculs jusqu'au 65e anniversaire du requérant, le facteur actuariel pour la seconde période serait de 0,806944, et le montant total serait de 8047587 BFR, arrondi à 8050000 BFR.

    65

    La Commission soutient, toutefois, que, en vertu de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, la question qui se pose au Tribunal est celle de savoir si les prestations du régime statutaire suffisent ou non à assurer la pleine réparation du préjudice. Dans la mesure où le requérant invoque un dommage consistant en une perte périodique de revenus et dans la mesure où il a perçu un capital, il conviendrait de vérifier si le capital est suffisant ou non pour couvrir les prétendues pertes périodiques de revenus. La Commission estime que tel est le cas.

    Appréciation du Tribunal

    66

    L'article 73 du statut dispose que:

    «1.

    Dans les conditions fixées par une réglementation établie d'un commun accord des institutions des Communautés, après avis du comité du statut, le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d'accident. Il participe obligatoirement, dans la limite de 0,1 % de son traitement de base, à la couverture des risques de la vie privée.

    [...]

    2.

    Les prestations garanties sont les suivantes:

    [...]

    b)

    en cas d'invalidité permanente totale:

    paiement à l'intéressé d'un capital égal à huit fois son traitement de base annuel calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédant l'accident;

    [...]»

    67

    L'article 12, paragraphe 1, de la réglementation de couverture dispose:

    «En cas d'invalidité permanente totale du fonctionnaire résultant d'un accident ou d'une maladie professionnelle, le capital prévu à l'article 73, paragraphe 2, sous b), du statut lui est versé.»

    68

    L'article 14 de cette réglementation dispose:

    «Sur avis des médecins-conseils visés à l'article 19 ou de la commission médicale visée à l'article 23, une indemnité est accordée au fonctionnaire pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales.

    Cette indemnité est déterminée par analogie avec les taux prévus aux barèmes d'invalidité visés à l'article 12. Lorsque les dommages esthétiques sont inhérents à une lésion anatomo-fonctionnelle, une augmentation appropriée de ces taux est accordée.»

    69

    Il est constant, en l'espèce, qu'une somme de 25794194 BFR en capital, soit 25800000 BFR environ, a été versée au requérant en vertu de l'article 73 du statut et de la décision de l'AIPN du 15 avril 1994 qui a reconnu sa maladie professionnelle, conformément à l'avis de la commission médicale du 25 février 1994, et fixé un taux d'invalidité de 130 %. Ainsi qu'il ressort dudit avis, le taux d'invalidité de 130 % est constitué en ajoutant à son invalidité permanente totale (100 %) une indemnité à un taux de 30 %, sur la base de l'article 14 de la réglementation de couverture.

    70

    Il ressort du décompte fourni par la Commission au requérant le 22 septembre 1994, que la somme de 25794194 BFR se décompose comme suit:

    Traitement de base en BFR x 8

    2 480 211 x 8

    19 841 688 BFR

    Taux d'invalidité x 1,3 pour tenir compte du préjudice visé à l'article 14 de la réglementation de couverture

     

     

     

     

    5 952 506 BFR

     

     

    25 794 194 BFR

    71

    S'agissant de la question de savoir si ce capital versé au requérant au titre de l'article 73 du statut doit être pris en considération lors de l'appréciation du

    71

    S'agissant de la question de savoir si ce capital versé au requérant au titre de l'article 73 du statut doit être pris en considération lors de l'appréciation du préjudice matériel allégué, il y a lieu de rappeler que, aux points 13 à 14 de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, la Cour a jugé que le fait que l'AIPN a reconnu à l'intéressé une invalidité permanente à la suite d'un accident, et lui a donc versé une somme en capital au titre de l'article 73 du statut, n'exclut pas le droit du fonctionnaire de demander une indemnisation complémentaire lorsque l'institution est responsable de l'accident selon le droit commun et que les prestations statutaires ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi. La Cour a considéré, à cet égard, qu'il convenait d'examiner si et, le cas échéant, dans quelle mesure les prestations octroyées en vertu du régime statutaire constituaient une indemnisation appropriée (point 18). La Cour, en conséquence, a estimé équitable d'accorder au requérant une indemnité supplémentaire pour compenser son préjudice psychologique et immatériel, en sus de la somme déjà versée à ce titre en vertu de l'article 73 du statut et de l'article 14 de la réglementation de couverture (point 20).

    72

    Le principe qui se dégage de cet arrêt est que les prestations reçues au titre de l'article 73 du statut à la suite d'un accident ou d'une maladie professionnelle doivent être prises en compte par le Tribunal aux fins de l'évaluation du préjudice réparable, dans le cadre d'un recours en dommages-intérêts introduit par un fonctionnaire sur le fondement d'une faute de nature à engager la responsabilité de son institution employeur.

    73

    Même si l'arrêt Leussink e.a./Commission ne concerne que les conséquences physiques et psychologiques d'un accident, le Tribunal estime que le principe qu'il pose s'applique également aux conséquences financières d'un accident ou d'une maladie professionnelle.

    74

    Cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument avancé par le requérant à l'audience, selon lequel le capital reçu par lui au titre de l'article 73 du statut serait sans lien avec le préjudice matériel qu'il a subi à cause de son incapacité de travail, compte tenu du fait que le taux d'invalidité visé par l'article 73 doit être établi en tenant compte uniquement de l'atteinte à l'intégrité physique ou psychique du fonctionnaire (arrêt B./Commission, précité, point 14). Le Tribunal estime, en effet, que l'arrêt B./Commission, précité, concerne une question différente de celle de l'espèce et ne peut donc pas être invoqué pour limiter la portée de l'arrêt Leussink e.a./Commission. Le Tribunal ne voit aucune raison valable pour ne pas tenir compte des prestations reçues au titre de l'article 73 du starut lors de l'évaluation du préjudice matériel réparable dans un cas comme celui de l'espèce, tel que la perte de rémunération. En effet, le régime instauré par l'article 73 du starut a pour objectif de donner, de manière forfaitaire, une réparation à un fonctionnaire qui est victime d'un accident ou atteint d'une maladie professionnelle, sans que l'intéressé soit obligé d'établir une faute de nature à engager la responsabilité de l'institution concernée. Ceci étant, le Tribunal estime que ce n'est que dans les circonstances où il s'avère que le régime statutaire ne permet pas une indemnisation appropriée que le fonctionnaire est en droit de demander une compensation supplémentaire. S'il en était autrement, l'objectif statutaire de l'article 73 serait faussé et l'intéressé bénéficierait d'un enrichissement indu.

    75

    Il incombe donc au Tribunal de déterminer si le requérant doit être considéré comme étant déjà indemnisé pour le préjudice matériel constitué par la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire.

    76

    A supposer même qu'il soit établi que le préjudice matériel subi par le requérant à cause de la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire jusqu'à l'âge de sa retraite soit de 8400000 BFR, et non pas de 5780000 BFR (départ à 60 ans) ou de 8050000 BFR (départ à 65 ans), comme l'a fait valoir la Commission (points 64 et 65 ci-dessus), le Tribunal estime qu'il doit être considéré comme effectivement réparé par la somme en capital de 25800000 BFR déjà versée au requérant au titre de l'article 73 du statut.

    77

    Le Tribunal considère que cette conclusion s'impose même dans l'hypothèse où il y a lieu de tenir compte seulement du capital de 19841688 BFR (soit 19840000 BFR) qui a déjà été versé au requérant en vertu de l'article 73 du starut, mais pas de l'indemnité supplémentaire d'environ 5950000 BFR accordée au requérant au titre de l'article 14 de la réglementation de couverture.

    78

    Il en résulte que la demande du requérant visant à la réparation du préjudice résultant de la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire doit être rejetée.

    Sur le préjudice moral

    Arguments des parties

    79

    Le requérant demande 1000000 écus en réparation de son préjudice moral. II invoque la souffrance physique due au cancer du poumon et à l'opération d'ablation de son poumon gauche et son angoisse quotidienne quant à une atteinte éventuelle du second poumon et à un développement de la maladie. Le requérant soutient que, depuis la découverte de son cancer, il vit dans une situation d'anxiété provoquant des crises dépressives profondes (cancérophobie). Il produit deux attestations, respectivement datées des 22 et 24 août 1995, de ses médecins traitants, les Drs Cognigni et Joppart. Il souffrirait également d'un sentiment de déchéance physique et professionnelle. De plus, il fait grief à la Commission de n'avoir pas reconnu sa responsabilité, alors qu'il a accompli toute sa carrière à son service en faisant preuve d'un dévouement complet. Lors de l'audience, le requérant a évoqué, en outre, l'impossibilité de se livrer à certaines activités d'agrément telles que le sport et le jardinage, ainsi que certains troubles dans sa vie personnelle.

    80

    Ce dommage moral n'aurait pas été visé par le rapport de la commission médicale et n'entrerait d'ailleurs pas dans la définition du dommage au sens de l'article 14 de la réglementation de couverture, lequel tendrait à l'indemnisation de «toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales».

    81

    Selon la Commission, il ressort du rapport de la commission médicale que le préjudice psychologique dont le requérant fait état a été pris en considération lors de la fixation du taux d'invalidité et qu'il a donc déjà été réparé. Les «graves perturbations psychologiques» dont la commission médicale a tenu compte résulteraient exclusivement de ce que le requérant qualifie de «sentiment de déchéance physique et surtout professionnelle» et d'«angoisse liée à la maladie et à ses développements futurs». La Commission relève que le requérant n'a pas allégué être atteint de déséquilibre mental. Elle soutient également que «l'absence de reconnaissance par la défenderesse de sa responsabilité», invoquée par le requérant, ne constitue pas un préjudice mais relève plutôt de la question de la faute.

    Appréciation du Tribunal

    82

    Le préjudice moral du requérant résulte, notamment, de la souffrance physique que lui a causée sa maladie, des interventions médicales nécessaires à son diagnostic, ainsi que de l'opération chirurgicale subie en mars 1990, des conséquences physiques de cette opération et des hospitalisations ultérieures. Il résulte également des troubles psychologiques graves dont le requérant continue de souffrir, de son sentiment de déchéance physique et professionnelle et des atteintes qu'il a dû subir dans sa vie privée et dans ses relations personnelles. Toutefois, le requérant n'a pas fait valoir une réduction de son espérance de vie.

    83

    Il ressort de l'avis de la commission médicale du 25 février 1994 ainsi que du décompte du 22 septembre 1994 (point 70 ci-dessus) que le requérant a déjà reçu une indemnité supplémentaire de 5950000 BFR en vertu de l'article 14 de la réglementation de couverture. Selon la commission médicale, cette indemnité a été accordée «[e]n considération des signes permanents (cicatrices, déformation de la mamelle gauche, réduction de la force musculaire du bras gauche) et des graves perturbations psychologiques dont M. Lucaccioni est atteint».

    84

    Il s'ensuit que, en lui accordant une telle indemnité supplémentaire, la commission médicale a déjà tenu compte des conséquences physiques de l'intervention chirurgicale que le requérant a dû subir, ainsi que de ses «graves perturbations psychologiques». Bien que la nature de ces perturbations psychologiques ne soit pas précisée dans l'avis de la commission médicale, il est constant entre les parties que le requérant est atteint notamment d'une cancérophobie. Vu les éléments du dossier, le Tribunal en conclut que la commission médicale a pris en considération l'existence de cette condition, ainsi que les troubles psychologiques graves en découlant.

    85

    Dans ces circonstances, l'argument juridique du requérant, selon lequel le libellé de l'article 14 de la réglementation de couverture ne vise pas les troubles psychologiques, est dépourvu de pertinence. En effet, il n'est pas contesté en l'espèce que la décision de l'AIPN du 15 avril 1994 a accordé l'indemnité supplémentaire dont il est question sur la base dudit avis de la commission médicale, et que cette décision est devenue définitive. Quelle que puisse être l'interprétation de l'article 14 de la réglementation de couverture, force est donc de constater que le requérant a déjà reçu, par suite d'une décision de l'AIPN qui est devenue définitive, une somme d'environ 5950000 BFR qui vise spécifiquement à l'indemniser pour ses troubles psychologiques graves ainsi que pour certaines atteintes à son intégrité physique.

    86

    Il en résulte que, conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Leussink e. a./Commission, précité, le Tribunal doit tenir compte du fait que le requérant a déjà reçu cette somme dans son évaluation du préjudice moral réparable.

    87

    Évaluant le préjudice moral du requérant ex aequo et bono, le Tribunal ne considère pas qu'il puisse être fixé à un montant supérieur à 5950000 BFR, même en tenant compte de tous les éléments que le requérant fait valoir (point 79 ci-dessus).

    88

    Il convient de remarquer, à cet égard, que le requérant n'a fourni aucun élément établissant qu'un montant de cet ordre pourrait être accordé, à titre de réparation d'un préjudice moral comparable, par les tribunaux des États membres.

    89

    Il en résulte que le préjudice moral du requérant doit être considéré comme effectivement réparé par la somme de 5950000 BFR qui lui a déjà été versée.

    90

    Au surplus, il y a lieu de souligner que le capital total que le requérant a reçu au titre de l'article 73 du statut s'élève à 25800000 BFR. Si l'on déduit de cette somme le montant de 8400000 BFR demandé par le requérant au titre du préjudice matériel consistant en une perte de rémunération, le solde est de 17400000 BFR.

    91

    Le Tribunal estime que, en tout état de cause, cette somme de 17400000 BFR doit être considérée comme englobant une réparation adéquate du préjudice moral du requérant.

    92

    La demande du requérant visant à la réparation de son préjudice moral doit, dès lors, être rejetée.

    Sur le préjudice matériel consécutif à certaines ventes immobilières

    Arguments des parties

    93

    Le requérant fait valoir qu'il a également subi un préjudice matériel résultant de la vente de certains de ses biens immobiliers dans des conditions défavorables. Il expose que, afin de constituer une épargne pour sa retraite, il avait acheté quatre immeubles, financés entièrement par des prêts hypothécaires expirant à la date anniversaire de ses 65 ans. Les mensualités de ces prêts se seraient élevées à 184807 BFR en août 1991, soit un montant supérieur à la pension d'invalidité qui lui a été octroyée, laquelle ne représenterait qu'environ 50 % de ses revenus antérieurs. N'étant plus en mesure d'honorer ses mensualités, le requérant aurait été contraint de vendre ses biens dans la précipitation et à des conditions défavorables, afin de rembourser par anticipation les emprunts y afférents, indemnités de remploi comprises. Le requérant évalue ce dommage à titre provisionnel à 12500000 BFR.

    94

    Le requérant expose ainsi avoir mis en vente:

    1)

    en mars 1993, un premier immeuble, simé à Bruxelles, rue Franklin 95, acquis moyennant un emprunt de 1100000 BFR remboursable par mensualités s'élevant à 11079 BFR, et sur lequel il percevait un loyer mensuel de 25000 BFR en 1991;

    2)

    en mai 1994, une maison située à Overijse, Zilverbeekdreef 33, acquise moyennant un emprunt de 11800000 BFR remboursable par mensualités s'élevant, en août 1991, à 103290 BFR, et sur laquelle il a perçu, jusqu'en 1990, un loyer mensuel de 80000 BFR;

    3)

    en juin 1994, un immeuble situé à Bruxelles, chaussée de Waterloo 1228, acquis moyennant un emprunt de 2700000 BFR remboursable par mensualités s'élevant à 33000 BFR;

    4)

    en janvier 1995, un immeuble situé à Bruxelles, me Franklin 97, acquis moyennant un emprunt de 3100000 BFR remboursable par mensualités s'élevant à 37438 BFR.

    95

    Le requérant précise qu'il avait acheté la maison d'Overijse pour 12000000 BFR et qu'il l'a vendue pour 16500000 BFR. Il n'aurait cependant pas réalisé de profit, compte tenu des intérêts qu'il a dû payer sur l'emprunt d'un montant d'environ 11800000 BFR (lequel reposait sur le principe d'un remboursement dégressif des intérêts) et des indemnités de remploi payées suite au remboursement anticipé du prêt.

    96

    La Commission fait valoir que le requérant n'a pas apporté la preuve des pertes subies lors de la vente des biens immobiliers en question. S'agissant en particulier de la maison située à Overijse, Zilverbeekdreef 33, les chiffres avancés par le requérant permettraient de constater un bénéfice de 4500000 BFR, sans tenir compte des loyers que le requérant a perçus ou a pu percevoir. Quant à l'immeuble situé à Bruxelles, rue Franklin 95, la Commission constate que le requérant s'est privé d'un immeuble qui lui procure un revenu net de 14000 BFR par mois, compte tenu du montant des loyers perçus par rapport aux mensualités de l'emprunt y afférent.

    97

    Par ailleurs, la réparation des conséquences dommageables d'une faute ne serait accordée que si celles-ci figurent parmi les séquelles dont la Commission peut être tenue pour responsable en tant qu'employeur (arrêt Leussink e.a./Commission, précité, point 22). La Commission n'aurait pas à prendre en charge les résultats plus ou moins décevants des opérations immobilières et financières qu'un fonctionnaire entreprend à titre privé et pour son profit exclusif.

    Appréciation du Tribunal

    98

    Il y a lieu de relever, tout d'abord, que le requérant indique avoir acheté la maison située Zilverbeekdreef 33, à une date non précisée, pour 12000000 BFR, et l'avoir vendue en mai 1994 pour 16500000 BFR, soit avec un profit de 4500000 BFR. En l'absence de tout autre élément de preuve, le requérant n'a pas établi qu'il avait subi une perte en procédant à la vente de cette maison.

    99

    Le requérant n'a, par ailleurs, pas communiqué au Tribunal les prix de vente des trois autres immeubles. Le Tribunal n'est donc pas en mesure de vérifier que le requérant a effectivement subi des pertes en procédant à leur vente.

    100

    En tout état de cause, le requérant n'a pas fourni d'éléments de nature à établir que les quatre immeubles en question ont été vendus à des sommes inférieures à leurs valeurs respectives, ni que les conditions du marché étaient défavorables à l'époque. De même, le requérant n'a produit aucun élément de preuve ou même un calcul du bénéfice supplémentaire qu'il aurait pu obtenir s'il avait gardé ces immeubles jusqu'à sa retraite, en tenant compte, notamment, des mensualités qu'il devait payer et des loyers mensuels qu'il aurait pu percevoir.

    101

    Il y a lieu d'ajouter que la vente de la maison située à Overijse, Zilverbeekdreef 33, a eu lieu, selon le requérant, en mai 1994, soit presque trois ans après sa mise à la retraite le 1er août 1991, et après que le capital de 25800000 BFR accordé en vertu de l'article 73 du statut lui a été versé. Dans ces circonstances, le requérant n'a pas établi qu'il s'agissait d'une vente «précipitée». A supposer même que les mensualités de l'emprunt afférent à cette maison excédaient les loyers perçus de 23000 BFR par mois, le requérant n'a pas établi non plus qu'il était contraint de la vendre, en mai 1994, en raison des conséquences financières de sa maladie professionnelle.

    102

    Il en va de même, à plus forte raison, en ce qui concerne les ventes des immeubles situés rue Franklin 97 et Chaussée de Waterloo 1228 qui ont eu lieu respectivement en juin 1994 et en janvier 1995. De plus, le requérant n'a pas produit d'éléments permettant d'établir que les mensualités afférentes à ces deux immeubles étaient inférieures aux loyers qu'il aurait pu obtenir.

    103

    S'agissant de l'immeuble situé me Franklin 95, dont la vente a eu lieu en mars 1993, le Tribunal relève que, selon le requérant, les mensualités s'élevaient à 11079 BFR et les loyers mensuels à 25000 BFR en 1991. Le requérant n'a pas expliqué pourquoi il s'est ainsi privé d'un revenu net d'environ 14000 BFR par mois, ni démontré l'existence d'un lien de causalité entre la vente de cet immeuble et sa maladie professionnelle.

    104

    Il s'ensuit que la demande de réparation du préjudice matériel consécutif à la vente de certains immeubles du requérant doit être rejeté, au motif que ni le préjudice allégué ni le lien de causalité entre ce prétendu préjudice et sa maladie professionnelle ne sont prouvés à suffisance du droit, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la question de savoir si le préjudice en cause figure parmi les séquelles dont la Commission peut être tenue pour responsable en tant qu'employeur, conformément au point 22 de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

    105

    Il résulte de tout ce qui précède que le premier chef du recours du requérant, visant à la réparation des préjudices matériels et moral entraînés par sa maladie professionnelle, doit, en tout état de cause, être rejeté dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la Commission a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, soit entre 1967 et 1969, soit entre 1969 et 1975, soit encore entre 1979 et 1987.

    2. Sur l'allocation d'intérêts compensatoires sur le capital payé au requérant en vertu de l'article 73 du statut, en dédommagement du retard apporté au traitement de son dossier

    106

    Le requérant fait valoir que le traitement de son dossier par la défenderesse a été fautif sous trois aspects, à savoir les retards dans le traitement du dossier, plusieurs irrégularités entachant la procédure, et un détournement de pouvoir. Selon lui, tout retard fautif d'une institution est susceptible d'être réparé par l'allocation d'intérêts compensatoires, pour autant que soient démontrés la faute de l'institution, la réalité d'un préjudice certain et évaluable ainsi qu'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué (arrêt Commission/Brazzelli Lualdi e.a., précité).

    Sur les retards intervenus dans le traitement du dossier et les irrégularités entachant la procédure

    Arguments des parties

    107

    Selon le requérant, la décision du 15 avril 1994 reconnaissant sa maladie professionnelle et fixant le taux de son invalidité permanente totale n'est pas intervenue dans un délai raisonnable par rapport à sa demande du 26 novembre 1990 et est entachée d'irrégularités de procédure. Les griefs du requérant, par ordre chronologique des faits concernés, peuvent être résumés comme suit.

    108

    Premièrement, le Pr De Vuyst, médecin désigné par la Commission, aurait pris six mois pour analyser l'échantillon de poumon du requérant, à savoir du 12 mars 1990 au 30 août 1990.

    109

    Deuxièmement, pendant deux mois, la Commission n'aurait pas traité la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du requérant remise en mains propres au chef de l'unité «assurances accidents et maladies professionnelles». En effet, le 18 janvier 1991, le directeur du personnel aurait invité le requérant à faire une déclaration de maladie professionnelle, alors que celle-ci avait déjà été faite le 26 novembre 1990.

    110

    Troisièmement, la Commission aurait violé l'article 78, deuxième alinéa, du statut en ce qu'elle aurait subordonné l'instruction de la procédure visée par cette disposition à l'épuisement préalable de la procédure prévue à l'article 73, alors que, dans sa demande du 26 novembre 1990, le requérant avait demandé qu'il soit constaté, conformément à l'article 78, deuxième alinéa, du statut, que son invalidité trouvait son origine dans l'exercice de ses fonctions (arrêt du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, points 66 et 67). Le requérant précise que, dans sa note du 26 novembre 1990, il avait demandé «la fixation d'un degré d'invalidité totale permanente pour cause de service et de maladie professionnelle», répondant ainsi à l'objet poursuivi par l'article 78, deuxième alinéa, du statut. Une interprétation raisonnable de cette demande conduirait à la considérer comme visant également l'application de cette dernière disposition, et pas seulement la réglementation de couverture à laquelle elle se réfère explicitement.

    111

    Au lieu d'initier la procédure de mise en invalidité sur la base de l'article 78, deuxième alinéa, du statut, la Commission l'aurait fait sur la base de l'article 78, troisième alinéa, du statut, en dépit du fait que, dans sa décision, du 18 janvier 1991, de soumettre son cas à la commission d'invalidité, la Commission a elle-même reconnu son obligation de déterminer, dans le cadre de cette procédure, si l'invalidité éventuelle trouvait sa cause dans une maladie professionnelle et a mis en exergue la nécessité de mener en parallèle les procédures des articles 73 et 78. De plus, à cette date, la Commission aurait été en possession de tous les éléments utiles pour se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie du requérant. En toute hypothèse, l'existence de la demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie aurait fait obstacle à ce que la procédure initiée par la Commission le soit dans le cadre de l'article 78, troisième alinéa, du statut, plutôt que dans le cadre de l'article 78, deuxième alinéa, du statut.

    112

    Le requérant soutient que, dès lors que la commission d'invalidité avait remarqué, dans son rapport, qu'il avait travaillé pendant environ 20 ans dans un environnement contaminé par l'amiante, et que les examens de laboratoire avaient permis de retrouver dans le parenchyme pulmonaire une remarquable concentration de fibres de ce minerai, il est plus que vraisemblable que ladite commission aurait reconnu l'origine professionnelle de sa maladie si elle avait été saisie sur la base de l'article 78, deuxième alinéa, du statut, sans nouveau délai. Or, la notion de maladie professionnelle au sens de l'article 73 du statut devrait recevoir un contenu identique à celle visée à l'article 78, deuxième alinéa, du statut (arrêt de la Cour du 4 octobre 1991, Commission/Gill, C-185/90P, Rec. p. I-4779). Il s'ensuivrait que la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie du requérant par la commission d'invalidité aurait nécessairement conduit à la même conclusion dans le cadre de l'article 73 du statut. Dans ces circonstances, la Commission n'aurait pas pu notifier au requérant un projet de décision défavorable dans le cadre de l'article 21 de la réglementation de couverture, et la procédure aurait abouti plus rapidement.

    113

    Quatrièmement, la Commission aurait violé les articles 73 et 78 du statut en ce qu'elle n'a pas mené ces deux procédures de concert, alors que le requérant s'est efforcé de ne pas ralentir le déroulement de la procédure et a fait preuve de toute la diligence voulue (arrêt de la Cour du 15 janvier 1981, B./Parlement, 731/79, Rec. p. 107).

    114

    Cinquièmement, l'avis de la commission d'invalidité du 10 juin 1991 violerait l'annexe II du statut en ce qu'il serait entaché d'une insuffisance de motivation (arrêt Plug/Commission, précité, point 79). En effet, la commission d'invalidité n'aurait pas motivé la conclusion, contenue dans l'avis qu'elle a remis sur un formulaire type, selon laquelle l'invalidité du requérant ne résultait pas d'un accident survenu dans l'exercice de ses fonctions. Une telle motivation se serait imposée en particulier du fait que l'un des membres de la commission avait précédemment conclu à l'existence d'un rapport de causalité entre l'exposition du requérant dans son environnement de travail et la maladie contractée par lui (voir les avis du Dr Cognigni des 14 mai et 28 octobre 1990), et que la commission d'invalidité elle-même avait observé qu'il existait un rapport entre l'environnement de travail du requérant et sa maladie. Ce moyen serait recevable, même si les griefs tirés des irrégularités entachant la procédure de mise en invalidité, invoqués dans la réclamation introduite par le requérant le 15 octobre 1991, ont été rejetés par l'AIPN, sans que le requérant intente un recours devant le Tribunal (arrêt de la Cour du 6 juillet 1988, Agazzi Léonard/Commission, 181/87, Rec. p. 3823).

    115

    Sixièmement, le recours de la Commission à des experts externes (le Dr Dalem et le Pr Bartsch), dans le cadre de la procédure de l'article 73 du statut, n'aurait pas été nécessaire, compte tenu du fait que la Commission disposait déjà de tous les éléments nécessaires pour arriver à un projet de décision, y compris le rapport du Pr Rocmans, les rapports du Dr Cognigni (qui faisait état de l'exposition à l'amiante et donc de l'origine professionnelle du cancer), les analyses de l'échantillon de tissu pulmonaire du requérant, le rapport du Pr Donelli (qui faisait état de la présence de chrysotile) et le rapport de la commission d'invalidité. La Commission aurait donc violé l'article 18 de la réglementation de couverture en abusant du pouvoir discrétionnaire, que lui reconnaît cet article, de solliciter toute expertise médicale nécessaire (arrêts de la Cour du 29 novembre 1984, Suss/Commission, 265/83, Rec. p. 4029, et Plug/Commission, précité, point 88).

    116

    Septièmement, le Dr Dalem aurait manqué de la compétence nécessaire pour remplir la mission que lui avait confiée la Commission en vertu de l'article 18 de la réglementation de couverture, ce qu'il aurait lui-même reconnu en la déléguant au Pr Bartsch.

    117

    Huitièmement, les délais causés par le remplacement du Dr Dalem au sein de la commission médicale, établie conformément à l'article 23 de la réglementation de couverture, constitueraient une faute imputable à la Commission. Selon le requérant, le Dr Dalem n'aurait jamais dû être désigné, dans la mesure où, ayant déjà rendu un avis dans le cadre de la procédure préalable à la convocation de la commission médicale, il ne présentait pas toutes les garanties d'indépendance et d'objectivité.

    118

    Enfin, plus de deux ans se seraient écoulés entre la demande du requérant de convocation de la commission médicale et la décision finale de l'AIPN du 15 avril 1994.

    119

    S'agissant des six mois pris par le Pr De Vuyst pour analyser le lobe du poumon du requérant (du 12 mars 1990 au 30 août 1990), la Commission souligne que cette analyse n'a pas été faite à sa demande. Étant antérieure à la demande de reconnaissance de maladie professionnelle (le 26 novembre 1990), elle ne pourrait d'ailleurs avoir retardé son examen.

    120

    Quant à l'allégation du requérant, selon laquelle la Commission aurait violé l'article 78, deuxième alinéa, du statut, en subordonnant la procédure visée par cette disposition à l'épuisement préalable de la procédure prévue à l'article 73, la Commission fait valoir que, s'il est souhaitable que les procédures prévues aux articles 73 et 78 du statut soient menées de front, il ne s'agit nullement d'une règle qui conditionne la validité de l'une ou de l'autre procédure, la Commission disposant d'un pouvoir d'appréciation en la matière (arrêt B./Parlement, précité). En toute hypothèse, la Commission aurait effectivement mené les deux procédures de front. En outre, et contrairement à l'allégation du requérant, nul ne pourrait présumer de l'avis que la commission d'invalidité aurait rendu si elle avait été saisie de la question de l'origine professionnelle de la maladie du requérant.

    121

    Quant à la prétendue violation de l'annexe II du statut, en ce que l'avis de la commission d'invalidité n'aurait pas été suffisamment motivé, la Commission soutient que ce moyen est irrecevable. En effet, ce serait sur la base de cet avis que l'AIPN aurait admis le requérant au bénéfice d'une pension d'invalidité. Or, si le requérant a introduit une réclamation contre cette décision, il n'a pas introduit de recours contre la décision explicite de rejet de cette réclamation du 3 mars 1992. N'ayant pas attaqué en temps utile une décision de l'AIPN, le requérant ne saurait, selon la Commission, se prévaloir de l'illégalité prétendue de cette décision dans le cadre d'un recours en responsabilité (voir les conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt de la Cour du 19 novembre 1981, Fournier/Commission, 106/80, Rec. p. 2759, 2773, 2780). La jurisprudence à laquelle le requérant se réfère ne s'appliquerait pas en l'espèce.

    122

    Quant à l'allégation selon laquelle la Commission disposait de tous les éléments nécessaires pour adopter un projet de décision d'application de l'article 73 du statut à compter de la réception des conclusions de la commission d'invalidité du 10 juin 1991, la Commission fait valoir que ces conclusions relèvent d'une procédure distincte, à savoir celle de l'article 78 du statut. Ledit article viserait l'incapacité de travail et poursuivrait un but distinct de celui de la fixation du taux d'invalidité permanente, régie par l'article 73 du statut (arrêt Plug/Commission, précité, point 89). Étant donné qu'il est plus facile de conclure à l'invalidité que de déterminer son origine, comme le requiert l'article 73, les résultats de la procédure prévue à l'article 78 ne préjugeraient pas ceux de la procédure prévue à l'article 73.

    La Commission nie donc avoir violé l'article 18 de la réglementation de couverture en faisant appel aux experts externes.

    123

    Quant à l'allégation selon laquelle le Dr Dalem manquait de la compétence nécessaire pour remplir sa mission dans le cadre de l'article 19 de la réglementation de couverture, la Commission fait valoir qu'elle pouvait désigner tout médecin de son choix, en vue de l'application de la réglementation de couverture, sous réserve de l'interdiction du détournement de pouvoir (arrêt Plug/Commission, précité, p. 403, point 88).

    124

    Le fait que la procédure de l'article 73 a pris plus de temps que la simple constatation d'invalidité s'expliquerait par les difficultés de l'analyse. Ces difficultés ressortiraient du volumineux rapport du Pr Bartsch et de la documentation qu'il a dû examiner, y compris celle fournie par le requérant. Le médecin du requérant lui-même aurait reconnu la difficulté qu'il y a à déterminer l'origine d'un cancer. En outre, il y aurait eu désaccord entre les médecins quant aux types d'amiante présents dans le poumon du requérant et quant à l'existence même d'un cancer. Compte tenu de la nature de la maladie et du fait que le médecin désigné par la Commission estimait nécessaire de faire effectuer plusieurs examens par des médecins extérieurs, le délai d'un an et trois mois pris pour aboutir au projet de décision ne paraîtrait pas déraisonnable.

    125

    La procédure aurait été prolongée par la demande légitime du requérant de convocation de la commission médicale. Si la Commission n'a désigné le Pr Brochard qu'en novembre 1992, ceci résulterait du fait que le requérant avait contesté le premier médecin désigné par elle, à savoir le Dr Dalem. Ce dernier aurait été désigné en même temps que le requérant désignait son propre médecin à la commission médicale. La prolongation de la procédure s'expliquerait donc par l'attitude du requérant.

    126

    Quant au fonctionnement de la commission médicale, celle-ci serait un organe indépendant de l'administration, dont les travaux se déroulent en fonction de critères médicaux d'examen laissés à l'appréciation de ses membres et en fonction également de la disponibilité de ces derniers. La Commission aurait rempli son rôle de contrôle administratif en s'adressant à elle à six reprises, entre mai et septembre 1993, afin que le rapport final lui soit transmis. Elle ajoute que le requérant aurait pu s'adresser au membre de cette commission désigné par lui pour faire progresser ses travaux.

    Appréciation du Tribunal

    127

    Il convient de statuer d'abord sur le cinquième grief du requérant, qui met en cause la légalité du rapport de la commission d'invalidité du 10 juin 1991, avant de statuer sur les autres griefs, qui visent les retards accumulés au cours de la procédure administrative.

    a) Sur le cinquième grief du requérant, tiré d'un défaut de motivation de l'avis de la commission d'invalidité

    128

    Selon le cinquième grief du requérant, l'avis de la commission d'invalidité du 10 juin 1991 est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'elle n'aurait pas motivé sa conclusion selon laquelle son invalidité ne résultait pas d'un accident survenu dans l'exercice de ses fonctions (point 114 ci-dessus).

    129

    A cet égard, il y a lieu de rappeler que le requérant avait déjà introduit une réclamation contre la décision de mise à la retraite du 16 juillet 1991, laquelle est fondée sur ledit rapport de la commission d'invalidité du 10 juin 1991. Cette réclamation a été rejetée par décision de l'AIPN du 3 mars 1992, sans que le requérant ait introduit un recours contre cette décision. Par ailleurs, il ressort du dossier que, dans sa réclamation, le requérant n'a pas mis en cause la conclusion de la commission d'invalidité selon laquelle son invalidité ne résultait pas d'un accident survenu dans l'exercice de ses fonctions.

    130

    Le cinquième grief du requérant doit donc être rejeté comme tardif et, partant, irrecevable (voir par exemple les arrêts du Tribunal du 29 février 1996, Lopes/Cour de justice, T-547/93, RecFP p. II-185, point 174, et du 12 mars 1996, Weir/Commission, T-361/94, RecFP p. II-381, point 48). L'arrêt Agazzi-Léonard/Commission, précité, dans lequel la Cour a décidé (au point 16) que le fait qu'un fonctionnaire n'ait pas attaqué un avis de concours dans les délais ne l'empêchait pas de se prévaloir des irrégularités intervenues lors du déroulement du concours, concerne un cas de figure qui n'est pas celui de l'espèce.

    b) Sur les autres griefs du requérant tirés des retards accumulés au cours de la procédure administrative

    — Sur le grief tiré du retard entre le 12 mars et le 30 août 1990

    131

    Le Tribunal considère que le premier grief du requérant (point 108 ci-dessus), tiré du fait que le Pr De Vuyst a pris six mois pour analyser l'échantillon de son poumon, entre le 12 mars et le 30 août 1990, est dépourvu de pertinence. En effet, le requérant n'a pas contesté que cette analyse avait été demandée par son propre chirurgien, le Pr Rocmans. Par ailleurs, cette demande date du 12 mars 1990, soit bien avant que le requérant n'introduise sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle, le 26 novembre 1990.

    — Sur le grief tiré du retard entre le 26 novembre 1990 et le 18 janvier 1991

    132

    Quant au deuxième grief du requérant (point 109 ci-dessus), bien qu'il soit regrettable que la lettre du directeur du personnel du 18 janvier 1991 ait invité le requérant a introduire une demande de reconnaissance de maladie professionnelle alors que cette demande avait été remise en mains propres au chef de l'unité «assurances accidents et maladies professionnelles» le 26 novembre 1990, il ressort de la lettre du chef d'unité concerné adressée au requérant le 22 mai 1991 (point 13 ci-dessus) que, à la suite de sa demande du 26 novembre 1990, cette unité avait effectivement procédé à l'ouverture du dossier afin de réunir les éléments permettant d'établir l'origine de sa maladie. En tout état de cause, ce retard de moins de deux mois, comprenant en outre la période de Noël, ne saurait avoir porté préjudice au requérant, dans la mesure où, notamment, l'analyse du Dr Donelli n'a été disponible que le 22 avril 1991.

    c) Sur les griefs tirés de la violation de l'article 78, deuxième alinéa, du statut

    133

    Dans ses troisième et quatrième griefs (points 110 à 113 ci-dessus), le requérant fait valoir, en substance, que la Commission a violé l'article 78, deuxième alinéa, du statut en subordonnant l'ouverture de la procédure y prévue à l'achèvement préalable de la procédure prévue à l'article 73 du statut. En effet, si la commission d'invalidité avait été saisie de la question de l'origine professionnelle de sa maladie, conformément à l'article 78, deuxième alinéa, du statut, et pas seulement de la question de son incapacité de travail, conformément à l'article 78, troisième alinéa, du statut, l'origine professionnelle de sa maladie aurait vraisemblablement été reconnue par la commission d'invalidité dès 1991.

    134

    Le Tribunal rappelle, d'abord, que l'article 78, premier alinéa, du statut prévoit qu'un fonctionnaire a droit à une pension d'invalidité permanente considérée comme totale lorsqu'il est atteint d'une invalidité le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière. En vertu de l'article 78, deuxième alinéa, du statut, lorsque l'invalidité résulte d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, d'une maladie professionnelle ou d'un acte de dévouement accompli dans l'intérêt public ou du fait d'avoir exposé ses jours pour sauver une vie humaine, le taux de la pension d'invalidité est fixé à 70 % du traitement de base du fonctionnaire. En vertu de l'article 78, troisième alinéa, du statut, lorsque l'invalidité est due à une autre cause, le taux de la pension d'invalidité est égal au taux de la pension d'ancienneté à laquelle le fonctionnaire aurait eu droit à 65 ans s'il était resté en service jusqu'à cet âge. Il ressort des dispositions combinées des articles 7 à 9 de l'annexe II et de l'article 13 de l'annexe VIII du statut que la question de savoir si les conditions prévues par l'article 78 du statut sont réunies est soumise à la commission d'invalidité y prévue.

    135

    En revanche, les conditions d'octroi des prestations prévues dans le cadre de la couverture contre les risques d'accident et de maladie professionnelle visés par l'article 73 du statut, et les procédures y afférentes, sont régies par la réglementation de couverture adoptée conformément à l'article 73, premier alinéa, du statut. Ladite réglementation prévoit, notamment, que le fonctionnaire qui demande son application pour cause de maladie professionnelle doit introduire une déclaration conformément à son article 17, paragraphe 1. A la suite de cette déclaration, l'administration procède à l'enquête prévue par l'article 17, paragraphe 2, et peut solliciter toute expertise nécessaire conformément à l'article 18. Ensuite, selon l'article 19, les décisions de reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie en cause sont prises par l'AIPN, suivant la procédure prévue à l'article 21, soit sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par l'institution, soit, si le fonctionnaire le requiert, après consultation de la commission médicale prévue à l'article 23. Selon l'article 25, la reconnaissance d'une invalidité permanente totale ou partielle en application de l'article 73 du statut ne préjuge en aucune façon de l'application de l'article 78 du statut et réciproquement.

    136

    Il en résulte que, comme la Cour l'a souligné dans sa jurisprudence, les prestations prévues par les articles 73 et 78 sont différentes et indépendantes l'une de l'autre, bien qu'elles puissent être cumulées. De même, ces dispositions prévoient deux procédures différentes pouvant donner lieu à des décisions distinctes, indépendantes l'une de l'autre (arrêts de la Cour B./Parlement, précité, point 9, et du 12 janvier 1983, K./Conseil, 257/81, Rec. p. 1, point 10).

    137

    Par ailleurs, s'il est souhaitable que, le cas échéant, les deux procédures soient menées de concert et que les mêmes autorités médicales soient appelées à se prononcer sur les différents aspects de l'invalidité dont le fonctionnaire est atteint, il ne s'agit toutefois pas d'une circonstance conditionnant la légalité de l'une ou de l'autre procédure et l'AIPN jouit à cet égard, suivant les circonstances, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt B./Parlement, précité, point 10).

    138

    Il incombe donc au Tribunal de statuer sur la question de savoir si la Commission a fait un usage non critiquable de son pouvoir d'appréciation en l'espèce, eu égard notamment au fait qu'elle n'a pas demandé à la commission d'invalidité, constituée en 1991 sur la base de l'article 78 du statut, de se prononcer sur l'éventuelle origine professionnelle de la maladie du requérant.

    139

    A cet égard, le Tribunal relève, en premier lieu, que, selon son libellé même, la demande du requérant du 26 novembre 1990 avait pour objet:

    «a)

    déclaration de maladies professionnelles (art. 17 de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes);

    b)

    demande de décision relative à la reconnaissance de l'origine professionnelle des maladies (art. 19 de la même réglementation);

    c)

    demande de décision relative à la fixation d'un degré d'invalidité totale permanente, l'invalidité pour cause de service et maladie professionnelle (art. 19 de la même réglementation)».

    140

    Le Tribunal considère que cette lettre doit être inteiprétée comme englobant, d'une part, la déclaration de maladie professionnelle requise par l'article 17 de la réglementation de couverture et, d'autre part, une demande qu'une décision de reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie du requérant, avec une invalidité permanente totale, soit prise conformément à l'article 73 du statut et à la réglementation de couverture.

    141

    En deuxième lieu, il ressort de la lettre du chef de l'unité «assurances accidents et maladies professionnelles» du 22 mai 1991 (point 13 ci-dessus) que, à la suite de la demande du requérant du 26 novembre 1990, la Commission a ouvert un dossier et entamé une enquête, conformément à l'article 18 de la réglementation de couverture, afin d'établir l'origine professionnelle de la maladie du requérant. Dans ce cadre, et plus spécifiquement dans le cadre de la procédure visée à l'article 19 de la réglementation, la Commission a désigné le Dr De Vuyst pour émettre l'avis médical requis. A la suite d'une demande de récusation du Dr De Vuyst introduite par le requérant, celui-ci a été remplacé par le Dr Dalem, qui a demandé le concours du Pr Bartsch, comme indiqué dans la lettre du chef de l'unité «assurances accidents et maladies professionnelles» adressée au requérant le 25 juillet 1991.

    142

    Il en résulte que, dans le cas d'espèce, la Commission a entamé la procédure prévue par l'article 73 avant que la commission d'invalidité n'ait rendu son avis le 10 juin 1991 et a effectivement mené les deux procédures en parallèle, conformément aux lettres du directeur du personnel des 15 mars et 21 mai 1991 (points 10 et 12 ci-dessus), jusqu'à la décision du 16 juillet 1991 de mettre le requérant à la retraite et de lui accorder une pension d'invalidité conformément à l'article 73, troisième alinéa, du statut.

    143

    Il y a lieu d'ajouter, en troisième lieu, que la décision de la Commission de ne pas demander à la commission d'invalidité de se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie du requérant n'affectait en rien le montant de la pension de celui-ci, étant donné qu'il avait déjà droit à une pension égale à 70 % de son traitement de base, soit le taux maximal visé par l'article 78, deuxième alinéa, du statut.

    144

    Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission n'a pas fait un usage critiquable de son pouvoir d'appréciation en la matière en ne demandant pas à la commission d'invalidité de se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie du requérant pendant que la procédure prévue par l'article 73 du statut était en cours.

    145

    En effet, à la suite de la demande du requérant du 26 novembre 1990, la Commission était obligée, en tout état de cause, d'entamer la procédure prévue par l'article 73 du statut. Par contre, il n'y avait pas de motif impératif pour saisir la commission d'invalidité de cette même question dans le cadre de l'article 78, deuxième alinéa, du statut, dès lors que le taux de pension du requérant, à savoir 70 % de son traitement de base, était identique, qu'il soit calculé sur la base de l'article 78, deuxième alinéa, ou sur la base de l'article 78, troisième alinéa, du statut. Par ailleurs, la procédure suivie en l'espèce a permis à la commission d'invalidité de résoudre aussi rapidement que possible la question de savoir si le requérant était atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi dans sa carrière, afin qu'une pension d'invalidité lui soit accordée sans délai.

    146

    Les circonstances à l'origine de l'arrêt Plug/Commission, précité, invoqué par le requérant, sont très différentes de celles de l'espèce. En effet, à la différence de la présente affaire, le Tribunal a, notamment, constaté dans cet arrêt (points 62 à 67), que la demande du requérant visait l'article 78, deuxième alinéa, du statut. C'est en considération de ces circonstances spécifiques que le Tribunal a décidé que la Commission avait subordonné à tort l'instruction de la procédure prévue par l'article 78, deuxième alinéa, à l'épuisement de la procédure prévue par l'article 73 (voir point 67 ci-dessus).

    147

    A supposer même que, comme le prétend le requérant, sa demande du 26 novembre 1990 ait pu contenir à la fois une demande au titre de l'article 73 du statut et une demande au titre de l'article 78, deuxième alinéa, du statut, la Commission jouirait d'une marge d'appréciation quant à l'organisation des deux procédures en cause. Or, pour les raisons déjà exposées aux points 134 à 145 ci-dessus, la Commission n'a pas outrepassé cette marge d'appréciation en l'espèce. Le fait que, dans sa lettre initiale du 18 janvier 1991, le directeur du personnel a pu donner une impression erronée du mandat de la commission d'invalidité, impression corrigée ultérieurement par ses lettres des 15 mars et 21 mai 1991, n'est pas de nature à modifier cette conclusion.

    148

    Par ailleurs, l'argument du requérant, selon lequel la commission d'invalidité aurait conclu à l'origine professionnelle de sa maladie, de sorte que la Commission n'aurait pas pu lui notifier un projet de décision défavorable dans le cadre de l'article 21 de la réglementation de couverture, ne saurait être retenu.

    149

    En effet, en premier lieu, il ne saurait être présumé que la commission d'invalidité aurait conclu à l'origine professionnelle de la maladie du requérant si elle avait été saisie de cette question, compte tenu notamment du fait que, apparemment, elle ne disposait ni du rapport d'analyse du 6 juin 1991 du laboratoire de minéralogie de l'hôpital Erasme, dont le résultat était fortement divergent de celui constaté par le Pr Donelli dans son rapport du 22 avril 1991 (points 10 et 14 ci-dessus), ni des éléments supplémentaires que le Pr Bartsch a pu recueillir et dont il fait état aux pages 11 à 16 de son rapport du 3 février 1992.

    150

    En second lieu, quel que soit l'avis de la commission d'invalidité, la Commission aurait été en droit de poursuivre la procédure prévue par l'article 73 et par la réglementation de couverture, étant donné que, selon l'article 25 de ladite réglementation, l'application de l'article 78 du statut ne préjuge en aucune façon de l'application de l'article 73. Le fait que, selon l'arrêt Commission/Gill, précité (points 13 à 16), la notion de «maladie professionnelle» a le même contenu juridique qu'il s'agisse d'appliquer les articles 73 ou 78 du statut ne signifie pas que la commission médicale prévue par la réglementation de couverture est liée par les appréciations factuelles et médicales de la commission d'invalidité constituée conformément à l'article 78 et réciproquement.

    151

    Il en résulte que, en tout état de cause, le requérant n'a pas établi que la saisine de la commission d'invalidité en vertu de l'article 78, deuxième alinéa, du statut aurait évité la convocation de la commission médicale conformément aux articles 21, deuxième alinéa, et 23 de la réglementation de couverture.

    152

    Il en résulte que les griefs du requérant concernant la prétendue méconnaissance des procédures prévues par les articles 73 et 78 du statut doivent être rejetés.

    d) Sur le grief tiré du recours aux experts externes

    153

    Le sixième grief du requérant selon lequel, après le rapport de la commission d'invalidité du 10 juin 1991, il n'était pas nécessaire pour la Commission d'avoir recours aux experts externes, à savoir le Pr Bartsch et le Dr Dalem, pour établir l'origine professionnelle de sa maladie (voir point 115 ci-dessus), ne saurait être retenu. En effet, en premier lieu, la Commission était obligée dans le cadre de l'article 73 du statut et de la réglementation de couverture de désigner le ou les médecins appelés à rendre l'avis prévu par l'article 19 de ladite réglementation. En second lieu, le Tribunal estime que, s'agissant d'une appréciation médicale complexe, la Commission était fondée à faire appel aux experts externes. La nature complexe de l'appréciation médicale en cause ressort, notamment, du fait que le Pr Rocmans, chirurgien du requérant, n'avait pas trouvé de traces du cancer diagnostiqué dans la pièce opératoire, du fait que le Pr Bartsch, dans son avis détaillé du 3 février 1992, a conclu, à la lumière des éléments additionnels qu'il a pu recueillir, à l'absence d'une maladie professionnelle, notamment au motif que les hémoptysies du requérant n'étaient pas provoquées par un cancer bronchique et que les résultats des analyses du tissu du poumon du requérant étaient divergents et, en tout état de cause, insuffisants pour démontrer la présence d'une asbestose, du fait que la commission médicale a estimé nécessaire de demander de nouvelles analyses du tissu du poumon du requérant avant de se prononcer sur le rapport de cause à effet entre son exposition à l'amiante et son carcinome et du fait que le rapport de la commission médicale n'était pas unanime, le Pr Brochard exprimant son désaccord.

    154

    Il en résulte que le requérant n'a pas établi que la Commission disposait déjà de tous les éléments nécessaires pour constater l'origine professionnelle de sa maladie après qu'elle a reçu le rapport de la commission d'invalidité du 10 juin 1991.

    e) Sur les griefs relatifs à la nomination du Dr Dalem

    155

    Quant au septième grief du requérant, relatif à la nomination du Dr Dalem (point 116 ci-dessus), le seul fait que ce dernier ait demandé le concours du Pr Bartsch n'établit pas qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour remplir sa mission conformément à l'article 19 de la réglementation de couverture. En l'absence de tout autre élément de preuve, ce grief doit être rejeté.

    156

    Quant au huitième grief du requérant (point 117 ci-dessus), le Tribunal estime que le retard résultant du remplacement du Dr Dalem au sein de la commission médicale n'est pas imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté. En effet, la nomination du Dr Dalem n'était pas irreguliere du seul fait qu'il avait déjà rendu un avis dans la procédure préalable à la convocation de la commission médicale (arrêts de la Cour du 14 juillet 1981, Suss/Commission, 186/80, Rec. p. 2041, point 10, et du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, Rec. p. 143, point 11; arrêt du Tribunal du 18 février 1993, Tallarico/Parlement, T-1/92, Rec. p. II-107, point 32). Le requérant n'a pas produit d'autres éléments de nature à mettre en cause l'objectivité ou l'impartialité du Dr Dalem en tant que membre de la commission médicale.

    f) Sur le grief tiré des retards intervenus après la constitution de la commission médicale

    157

    S'agissant, enfin, de la longueur de la période écoulée entre la demande de constitution de la commission médicale, introduite, selon le requérant, le 17 mars 1992, et la décision finale de l'AIPN du 15 avril 1994, soit environ deux ans, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, qu'une part importante du délai initial est imputable à la demande de récusation du Dr Dalem introduite par le requérant. En effet, à la suite de cette demande, la Commission a désigné le Pr Brochard à la place du Dr Dalem en novembre 1992, et le Dr Cognigni et le Pr Brochard ont désigné le Dr Maltoni comme troisième membre de la commission médicale le 29 janvier 1993. Le Dr Maltoni a été saisi le 27 février 1993 (voir point 27 ci-dessus). La première réunion de la commission médicale s'est tenue le 13 avril 1993.

    158

    Il en résulte que le délai d'environ un an, entre la demande du requérant du 17 mars 1992 et la première réunion de la Commission le 13 avril 1993, est dû dans une large mesure aux difficultés rencontrées dans la constitution de la commission médicale.

    159

    Quant à la période écoulée après le 13 avril 1993, le retard est principalement dû au fait que, lors de sa première réunion, la commission médicale n'était pas unanime, compte tenu notamment des résultats divergents obtenus par les divers laboratoires en cause. La commission médicale a donc décidé de confier de nouvelles analyses aux Prs De Vuyst et Donelli, et de demander au Pr Woitomitz de faire une troisième analyse (point 28 ci-dessus). En dépit des rappels dont la Commission a fait état, sans être contredite par le requérant, il apparaît que la commission médicale n'a été en mesure de se réunir pour discuter de ces nouvelles analyses que le 25 février 1994. Le rapport de la commission médicale a été déposé le 1er mars 1994.

    160

    Dans ces circonstances, bien qu'il soit regrettable que deux ans se soient écoulés entre la demande du requérant de constituer la commission médicale et le rapport de cette commission, le Tribunal n'est pas en mesure de constater que le retard en cause est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

    161

    Il découle de l'ensemble de ce qui précède que le requérant n'a établi l'existence ni de retards fautifs dans le traitement de son dossier ni d'irrégularités de procédure, de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

    Sur l'allégation de détournement de pouvoir

    Arguments des parties

    162

    Le requérant considère que la Commission a commis un détournement de pouvoir en ce qu'elle aurait été principalement, sinon exclusivement, guidée par le souci de retarder la procédure et de le priver de ses droits. Le requérant avance les indices suivants à l'appui de son allégation:

    1)

    la Commission aurait systématiquement refusé de tirer les conséquences des avis médicaux reconnaissant l'existence d'une maladie professionnelle dans le chef du requérant;

    2)

    la Commission aurait subordonné l'application de l'article 78, deuxième alinéa, du statut à l'aboutissement de la procédure de l'article 73;

    3)

    la Commission a désigné le Pr Brochará à la commission méáicale. Or, le Pr Brochará serait membre áu comité permanent áe l'amiante, association áécrite áans la presse comme un lobby de défense des intérêts de l'industrie du fibrociment (amiante-ciment) en France. Par la suite, la Commission aurait d'ailleurs pris la áécision áe principe áe ne plus avoir recours à ses services;

    4)

    la Commission aurait systématiquement fait appel à áes médecins belges, à savoir les Prs De Vuyst et Bartsch et le Dr Dalem à deux reprises, et ce malgré les insistances répétées du requérant. Le royaume de Belgique serait l'un des seuls États membres dont la liste des maladies professionnelles ne reconnaît pas le cancer áu poumon, indépendamment d'une asbestose, à la suite d'inhalation d'amiante. En outre, le Pr De Vuyst serait l'expert consulté par le Fonds des maladies professionnelles pour les pathologies relatives à l'amiante, dans le cadre de la procédure belge de reconnaissance de maladies professionnelles qui ne figurent pas sur la liste de telles maladies. Dès le début, soit le 6 novembre 1990, il aurait eu une attitude négative à l'égard de la demande de reconnaissance introduite par le requérant. Quant à la nationalité française du Pr Brochard, ce dernier n'aurait été nommé à la commission médicale qu'après les protestations du requérant contre la désignation initiale du Dr Dalem. Le Dr Mancini, de nationalité italienne, n'aurait siégé qu'à la commission d'invalidité et n'aurait donc pas été appelé à se prononcer sur la nature professionnelle de la maladie du requérant.

    163

    Quant à la désignation du Pr Brochard à la commission médicale, la Commission considère qu'il est peu sérieux d'affirmer que tous les membres du comité permanent de l'amiante sont à la solde des industriels du fibrociment. La même revue citée par le requérant dans ce contexte mentionne que le Pr Bignon, également membre de ce comité, fut le premier à prévenir les plus hautes autorités des dangers de l'amiante. Les deux professeurs auraient exigé la création d'une commission interministérielle placée sous l'autorité du gouvernement français pour lutter contre les dangers de l'amiante et auraient écrit ensemble des études qui ont eu un retentissement important dans le monde scientifique. La Commission conteste également avoir pris la décision de principe de ne plus avoir recours aux services du Pr Brochard.

    164

    Quant à la nationalité des médecins désignés par la Commission, celle-ci fait observer que l'exclusion de tous les médecins de nationalité belge constituerait une discrimination prohibée par l'article 6 du traité. La Commission aurait le droit de désigner tout médecin auquel elle estime pouvoir accorder sa confiance, quelle que soit sa nationalité. En fait, la Commission aurait désigné le Dr Mancini, de nationalité italienne, et le Pr Brochard, de nationalité française. Pour ce qui concerne le Pr De Vuyst, la Commission fait valoir qu'il était rationnel qu'elle s'adresse à un tel spécialiste, et relève qu'il ressort du dossier du requérant lui-même que ce professeur est considéré en Belgique comme l'un des grands spécialistes de l'amiante et que son laboratoire est le seul reconnu par le Fonds des maladies professionnelles. Par ailleurs, la Commission n'aurait eu connaissance de la lettre du Pr De Vuyst au Dr Joppart du 6 décembre 1990 qu'en examinant les annexes à la requête. Pendant l'année 1990, elle ne se serait jamais adressée au Pr De Vuyst au sujet du requérant.

    165

    La Commission soutient qu'elle n'a pas davantage commis un détournement de pouvoir en procédant à la désignation du Dr Dalem. Ce dernier serait un médecin d'une grande réputation scientifique et morale, particulièrement spécialisé en expertises médicales. Sa désignation en l'espèce aurait été d'autant plus justifiée qu'il a eu la sagesse de se faire assister par le Pr Bartsch, lequel aurait fourni un travail considérable pour établir un rapport de qualité, déposé le 3 février 1992.

    Appréciation du Tribunal

    166

    Selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée précise et se réfère au fait, pour une autorité administrative, d'avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 12 juin 1997, Krämer/Commission, T-104/96, RecFP p. II-463, au point 67).

    167

    Les deux premiers griefs du requérant, selon lesquels la Commission aurait systématiquement refusé de tirer les conséquences des avis médicaux reconnaissant la nature professionnelle de sa maladie, d'une part, et aurait subordonné l'application de l'article 78, deuxième alinéa, du statut à l'aboutissement de la procédure de l'article 73, d'autre part, doivent être rejetés pour les raisons déjà exposées aux points 135 à 156 ci-dessus.

    168

    Quant aux troisième et quatrième griefs du requérant, relatifs au fait que la Commission a désigné le Pr Brochard à la commission médicale, et a fait appel aux Prs De Vuyst et Bartsch et au Dr Dalem dans le cadre de la procédure prévue par l'article 19 de la réglementation de couverture, il suffit de constater que le requérant n'a pas produit d'élément sérieux de nature à mettre en cause la bonne foi de la Commission ni l'intégrité ou l'impartialité des médecins concernés.

    169

    Il s'ensuit que l'allégation de détournement de pouvoir doit être également rejetée.

    170

    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

    Sur les dépens

    171

    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses conclusions, chaque partie supportera donc ses propres dépens.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

    déclare et arrête:

     

    1)

    Le recours est rejeté.

     

    2)

    Chaque partie supportera ses propres dépens.

     

    Kalogeropoulos

    Bellamy

    Pirrung

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

    Le greffier

    H. Jung

    Le président

    A. Kalogeropoulos


    ( *1 ) Langue de procédure: le français.

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