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Document 62022CJ0360

Απόφαση του Δικαστηρίου (έκτο τμήμα) της 16ης Νοεμβρίου 2023.
Ευρωπαϊκή Επιτροπή κατά Βασίλειο των Κάτω Χωρών.
Υπόθεση C-360/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:875

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

16 novembre 2023 (*)

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Libre prestation de services – Libre circulation des capitaux – Articles 45, 56 et 63 TFUE – Articles 28, 36 et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen – Transfert de la valeur des droits à pension – Retraite complémentaire constituée par l’intermédiaire de l’employeur – Situation transfrontalière »

Dans l’affaire C‑360/22,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 3 juin 2022,

Commission européenne, représentée par M. W. Roels, en qualité d’agent,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et P. P. Huurnink, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. P. G. Xuereb (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 85, paragraphe 1, sous b), et l’article 87, paragraphe 2, sous f), de la Pensioenwet (loi sur les pensions), lus en combinaison avec l’article 19b, paragraphe 2, de la Wet op de loonbelasting 1964 (loi de 1964 relative à l’impôt sur les rémunérations), dans sa version applicable au présent recours (ci-après la « loi relative à l’impôt sur les rémunérations »), le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45, 56 et 63 TFUE ainsi que des articles 28, 36 et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

 Le cadre juridique

2        L’article 1er, troisième tiret, de la loi sur les pensions définit le « rachat » comme « tout acte par lequel les droits à pension [...] perdent leur finalité de pension ».

3        L’article 65, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Le rachat n’est possible que dans les situations visées aux articles 66 à 69 ou en vertu de ceux-ci. »

4        L’article 70, paragraphe 3, de ladite loi dispose :

« Le transfert de valeur n’est possible que dans les situations visées aux articles 70a à 92a. »

5        L’article 85, paragraphe 1, sous b), de la même loi énonce :

« À la suite d’une demande de transfert de fonds de l’ancien affilié, l’organisme d’assurance est tenu de transférer la valeur de ses droits à pension à une institution de retraite d’un autre État membre ou à un assureur [...] à condition que :

[...]

b.      les possibilités de rachat de la valeur des droits à pension transférés après le transfert de valeur ne soient pas plus étendues que celles prévues par la présente loi. »

6        Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, sous f), de la loi sur les pensions :

« Un transfert de valeur à un établissement étranger n’est possible que s’il est démontré à la satisfaction de l’autorité de surveillance que :

[...]

f.      les possibilités de rachat des droits à pension transférés après le transfert de valeur ne sont pas plus étendues que celles prévues par la présente loi [...] »

7        L’article 19b, paragraphe 2, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations prévoit :

« En cas de transfert total ou partiel d’une obligation au titre d’un régime de pension à un autre assureur, le droit au titre de ce régime est considéré comme racheté. [...] »

8        L’article 19b, paragraphe 6, de cette loi dispose :

« Notre ministre peut, si nécessaire, dans les conditions qu’il fixe, prévoir que le paragraphe 2, première phrase, ne s’applique pas lorsque l’obligation au titre d’un régime de pension est transférée à un fonds de pension ou à un organisme exerçant l’activité d’assurance qui n’est pas établi aux Pays-Bas [...] en vue d’acquérir des droits au titre d’un régime de pension dans le cadre de l’acceptation d’un emploi en dehors des Pays-Bas. [...] »

9        La section 3.3.1 du Besluit Loonheffingen, inkomstenbelasting, internationale aspecten van pensioenen en stamrechten (arrêté sur les prélèvements sur les salaires, l’impôt sur les revenus, les aspects internationaux des pensions et des droits à des versements périodiques), du 9 octobre 2015 (Stcrt. 2015, no 36798, ci-après l’« arrêté »), prévoit que le transfert de la valeur d’un droit à pension vers un organisme d’assurance étranger peut intervenir sans prélèvement sur le salaire si les conditions énoncées à l’annexe IV de l’arrêté sont remplies.

10      Aux termes de l’annexe IV de l’arrêté :

« Dans le cas d’un transfert visé à la section 3.3.1 de l’arrêté, les conditions suivantes s’appliquent :

[...]

c.      Exigences applicables à l’organisme d’assurance retraite acquérant et à l’organisme d’assurance transférant :

[...]

2.      Si le transfert est effectué au titre de l’article 85 de la loi sur les pensions, l’organisme d’assurance transférant [...] démontre que les conditions dudit article sont remplies.

3.      Si le transfert a lieu au titre de l’article 87 de la loi sur les pensions, l’organisme d’assurance transférant fournit une déclaration de la [Banque centrale des Pays-Bas] attestant que les conditions énoncées audit article sont remplies.

4.      Si l’organisme d’assurance transférant ne relève pas de la loi sur les pensions, il le justifie. Dans ce cas, l’organisme d’assurance [...] démontre que les conditions énoncées à l’article 87 de la loi sur les pensions sont remplies lors du transfert.

[...] »

 La procédure précontentieuse

11      Le 22 novembre 2012, la Commission a adressé au Royaume des Pays-Bas une lettre de mise en demeure dans laquelle elle a estimé que certaines dispositions nationales relatives à l’imposition des transferts de la valeur des droits à pension effectués par les travailleurs migrants étaient incompatibles avec les articles 45, 56 et 63 TFUE ainsi qu’avec les articles 28, 36 et 40 de l’accord EEE.

12      Le 21 mars 2013, le Royaume des Pays-Bas a répondu à ladite lettre de mise en demeure, en faisant valoir que les dispositions nationales en cause n’étaient pas incompatibles avec les articles 45, 56 et 63 TFUE ni avec les articles 28, 36 et 40 de l’accord EEE.

13      Le 20 juillet 2018, la Commission a adressé au Royaume des Pays-Bas un avis motivé, auquel cet État membre a répondu par lettre du 19 septembre 2018 indiquant qu’il ne partageait pas l’avis de la Commission et que la réglementation nationale demeurait inchangée.

14      Le 3 juin 2022, n’étant pas convaincue par les observations formulées par le Royaume des Pays-Bas, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur les libertés en cause

15      Par son recours, la Commission estime que le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 45, 56 et 63 TFUE ainsi que des articles 28, 36 et 40 de l’accord EEE en ce que, en vertu de l’article 85, paragraphe 1, sous b), et de l’article 87, paragraphe 2, sous f), de la loi sur les pensions, lus en combinaison avec l’article 19b, paragraphe 2, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations, un transfert de la valeur des droits à pension vers un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas n’est pas soumis à l’impôt uniquement si les possibilités de rachat de ces droits sous la forme d’un capital sont identiques à celles prévues par le droit néerlandais, ou plus strictes que ces dernières.

16      Il convient donc d’examiner si, comme le fait valoir la Commission, la réglementation nationale en cause se rapporte à la libre prestation de services ainsi qu’à la libre circulation des travailleurs et des capitaux ou si ledit grief de la Commission doit, comme l’estime le Royaume des Pays-Bas, être examiné uniquement au regard de la libre circulation des travailleurs.

17      En effet, selon cet État membre, le présent recours porte sur les mesures néerlandaises qui régissent une situation transfrontalière dans laquelle des travailleurs se déplacent dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et y acceptent un nouvel emploi. L’objectif de ces mesures serait de protéger la pension des travailleurs migrants qui souhaiteraient transférer la valeur de leurs droits à pension acquis aux Pays-Bas à un organisme d’assurance retraite établi dans cet autre État membre. Lesdites mesures seraient donc liées à la libre circulation des travailleurs, les autres libertés invoquées par la Commission étant accessoires.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à plusieurs des libertés de circulation garanties par les traités, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces libertés s’il s’avère, au regard de l’objet de cette mesure, que les autres sont tout à fait secondaires par rapport à celle-ci et peuvent lui être rattachées [arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale), C‑788/19, EU:C:2022:55, point 11 et jurisprudence citée].

19      En vertu de la réglementation nationale en cause dans la présente affaire, les travailleurs qui ont constitué auprès d’un organisme d’assurance retraite lié à leur employeur aux Pays-Bas un capital retraite et qui souhaitent transférer la valeur de leurs droits à pension dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas lorsqu’ils y acceptent un nouvel emploi pourraient être assujettis à l’impôt dès lors que les possibilités de rachat de ces droits dans cet autre État sont plus étendues qu’aux Pays-Bas.

20      Une telle réglementation, qui vise, de manière générale, le transfert de la valeur des droits à pension acquis par des travailleurs qui se déplacent dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, relève du champ d’application de la liberté de circulation des travailleurs. Bien qu’elle soit également susceptible d’affecter la libre prestation de services et la liberté de circulation des capitaux, ces libertés apparaissent, toutefois, secondaires par rapport à la liberté de circulation des travailleurs, à laquelle elles peuvent être rattachées. En effet, c’est précisément l’exercice de cette dernière liberté qui entraîne, pour le travailleur, la nécessité de choisir un organisme d’assurance retraite et de transférer, le cas échéant, la valeur de ses droits à pension.

21      Il résulte de ce qui précède que le grief soulevé par la Commission, tel que mentionné au point 15 du présent arrêt, doit être examiné au regard de la liberté de circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE ainsi que par l’article 28 de l’accord EEE, dont la portée juridique est, en substance, la même [voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Commission/Belgique (Déduction des rentes alimentaires), C‑60/21, EU:C:2022:172, point 35 et jurisprudence citée].

 Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des travailleurs

 Argumentation des parties

22      Selon la Commission, les conditions fixées par la réglementation nationale en cause, liées aux possibilités de rachat des droits à pension, constituent une restriction à la libre circulation des travailleurs, dans la mesure où il est moins attrayant pour les travailleurs employés aux Pays-Bas d’accepter un nouvel emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas si ces possibilités de rachat y sont plus étendues dès lors que, en cas de transfert de droits à pension, le capital transféré sera moins élevé que s’il était transféré vers le régime de retraite lié à un autre employeur néerlandais. Il serait également plus difficile pour les employeurs des autres États membres que le Royaume des Pays-Bas de recruter des travailleurs qui ont déjà constitué un capital de retraite aux Pays-Bas. Bien qu’applicables lors d’un transfert de la valeur de droits à pension tant vers un organisme d’assurance retraite situé aux Pays-Bas que vers un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, de telles conditions auraient pour effet de défavoriser les travailleurs migrants et constitueraient ainsi une discrimination indirecte. En effet, selon cette institution, les travailleurs qui demandent le transfert de la valeur de leurs droits à pension entre deux organismes d’assurance retraite situés aux Pays-Bas ne sont pas soumis à des prélèvements sur les salaires, tandis que les travailleurs qui acceptent un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et qui demandent le transfert de cette valeur à un organisme d’assurance retraite établi dans cet autre État y sont soumis, si les possibilités de rachat desdits droits sont plus étendues qu’aux Pays-Bas.

23      Le Royaume des Pays-Bas estime, de son côté, que la réglementation nationale en cause n’établit pas de différence de traitement fiscal entre les travailleurs situés aux Pays-Bas qui souhaitent transférer la valeur de leurs droits à pension à un autre organisme d’assurance retraite situé sur le territoire du Royaume des Pays-Bas et ceux qui souhaitent transférer une telle valeur à un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre dès lors qu’ils acceptent un emploi dans ce dernier État. Or, selon le Royaume des Pays-Bas, seule une mesure discriminatoire peut être qualifiée de restriction à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE.

24      En outre, le désavantage subi par les travailleurs migrants ne résulterait que d’une disparité entre la réglementation nationale en cause et l’exercice des compétences fiscales par les autorités d’États membres différents, liée à l’absence d’harmonisation, en droit de l’Union, en matière de pensions et de fiscalité, de telle sorte que les États membres sont libres de mettre en place et de maintenir un système de retraite et de fiscalité qui leur est propre, différent de celui mis en place dans les autres États membres. Ainsi, ce désavantage disparaîtrait si ces autres États membres prévoyaient les mêmes possibilités de rachat des droits à pension que celles prévues par le Royaume des Pays-Bas. Par conséquent, le régime néerlandais en cause ne constituerait pas une entrave à la libre circulation.

 Appréciation de la Cour

25      Il importe de rappeler, d’emblée, qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, bien que la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union (arrêt du 24 octobre 2019, État belge, C‑35/19, EU:C:2019:894, point 31).

26      Il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’ensemble des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre [arrêts du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 37, et du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 23 ainsi que jurisprudence citée].

27      En conséquence, l’article 45 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté fondamentale garantie par cet article [arrêt du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 24 et jurisprudence citée].

28      L’article 45 TFUE s’oppose, notamment, aux mesures qui, tout en étant indistinctement applicables selon la nationalité, sont susceptibles, par leur nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et risquent, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (arrêt du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 39 et jurisprudence citée).

29      Il convient donc d’examiner si un travailleur qui accepte un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et qui souhaite transférer la valeur de ses droits à pension dans cet autre État est défavorisé par rapport à un travailleur qui travaillerait aux Pays-Bas, qui y changerait d’emploi et qui transfèrerait la valeur de ses droits à pension à un autre organisme d’assurance retraite établi aux Pays-Bas, toutes choses étant égales par ailleurs.

30      Ainsi que le gouvernement néerlandais l’admet, lorsqu’un droit à pension est transféré à une institution de retraite néerlandaise au moyen d’un transfert de valeur, ce transfert n’est pas imposé, pour autant que les conditions fixées par la loi sur les pensions, y compris celles concernant le rachat, sont remplies. Dans le cas de transfert d’un droit à pension vers une institution de retraite étrangère, aucun impôt n’est dû si les conditions prévues par la loi sur les pensions, notamment celle qui exige que les possibilités de rachat des droits à pension dans l’autre État membre ne soient pas plus étendues que celles autorisées par cette loi sur les pensions, sont remplies.

31      Or, ainsi que le gouvernement néerlandais l’admet également, le rachat des droits à pension n’est possible aux Pays-Bas que dans un nombre limité de situations.

32      Par conséquent, s’agissant des travailleurs qui demandent le transfert de la valeur de leurs droits à pension entre deux organismes d’assurance retraite situés aux Pays-Bas, ceux-ci ne sont, en pratique, pas soumis à des prélèvements d’impôt sur leurs salaires du fait de ce transfert, tandis que les travailleurs migrants qui demandent un tel transfert entre un organisme d’assurance retraite néerlandais et un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas y sont soumis, si les possibilités de rachat des droits à pension sont plus étendues qu’aux Pays-Bas.

33      La réglementation nationale en cause, bien qu’indistinctement applicable aux transferts de la valeur des droits à pension à un organisme d’assurance retraite situé sur le territoire du Royaume des Pays-Bas ou dans un autre État membre, à la condition que les possibilités de rachat de ces droits ne soient pas plus étendues qu’aux Pays-Bas, est de nature à dissuader le travailleur, d’une part, à occuper un nouvel emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et, d’autre part, de transférer la valeur de ses droits à pension à un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas.

34      Partant, une telle réglementation, qui rend moins attrayant l’accès des travailleurs au marché du travail dans les États membres autres que le Royaume des Pays-Bas, est susceptible de constituer une restriction à la libre circulation des travailleurs, prohibée, en principe, par l’article 45 TFUE.

35      Dans la mesure où les dispositions de l’article 28 de l’accord EEE revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 45 TFUE, l’ensemble des considérations qui précèdent, relatives à l’existence d’une restriction à la libre circulation des travailleurs, au sens de l’article 45 TFUE, sont, dans les circonstances du présent recours, transposables mutatis mutandis audit article 28 [arrêt du 10 mars 2022, Commission/Belgique (Déduction des rentes alimentaires), C‑60/21, EU:C:2022:172, point 35 et jurisprudence citée].

36      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Royaume des Pays-Bas selon lequel le désavantage subi par les travailleurs migrants ne résulterait que des inévitables disparités entre la réglementation nationale en cause et l’exercice des compétences fiscales par les autorités d’États membres différents.

37      Certes, le droit primaire ne saurait garantir à un assuré qu’un déplacement dans un État membre autre que son État membre d’origine soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de pensions de vieillesse. En effet, le déplacement d’un travailleur dans un autre État membre pourrait, selon le cas et en raison des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, être plus ou moins avantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale (arrêt du 12 mai 2021, CAF, C‑27/20, EU:C:2021:383, point 39). 

38      Or, en l’espèce, le traitement fiscal défavorable des travailleurs migrants découle directement de l’application de la réglementation néerlandaise et non pas d’une disparité inévitable entre cette réglementation et la réglementation des autres États membres. En effet, un travailleur qui souhaiterait transférer la valeur de ses droits à pension dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas devrait se conformer à la réglementation néerlandaise pour que ce transfert ne soit pas soumis à l’impôt.

39      Par conséquent, dans la mesure où ce traitement fiscal défavorable ne découle pas de disparités entre les législations des États membres, il y a lieu de considérer que la réglementation néerlandaise en cause constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs consacrée à l’article 45 TFUE.

40      Une telle restriction ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci [arrêt du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 33 et jurisprudence citée].

 Sur la justification de la restriction à la libre circulation des travailleurs

 Argumentation des parties

41      Dans l’hypothèse où la réglementation nationale en cause serait considérée comme une restriction à la libre circulation des travailleurs, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que celle-ci pourrait être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général que constitue la protection sociale des travailleurs.

42      Selon cet État membre, d’une part, l’objectif de cette réglementation est d’assurer aux travailleurs des prestations de retraite à vie en veillant à ce que les retraites conservent leur finalité. D’autre part, afin d’éviter les discriminations entre les travailleurs, ladite réglementation s’appliquerait indistinctement aux travailleurs qui transfèrent la valeur de leurs droits à pension entre des organismes d’assurance retraite situés aux Pays-Bas et aux travailleurs qui transfèrent une telle valeur dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas.

43      En outre, le Royaume des Pays-Bas rappelle, d’une part, que le travailleur a la possibilité, lorsqu’il accepte un emploi dans un État membre autre que le Royaume des Pays-Bas, de ne pas y transférer la valeur de ses droits à pension s’il estime qu’il en va de son intérêt. D’autre part, le travailleur est libre, lorsque les possibilités de rachat des droits à pension sont plus étendues dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, de conclure, sur le fondement du régime néerlandais, des accords complémentaires avec l’organisme d’assurance retraite situé dans cet autre État membre, de sorte que les possibilités de rachat soient limitées à celles autorisées par la réglementation nationale en cause.

44      Enfin, le Royaume des Pays-Bas estime que la réglementation nationale en cause est nécessaire afin, d’une part, d’assurer une pension à vie et d’éviter que cette pension, si elle devait être versée en une seule fois, ne soit dilapidée, et, d’autre part, de maîtriser les dépenses publiques de manière raisonnable.

45      La Commission soutient, toutefois, que les divergences de position entre les États membres quant au point de savoir ce que constitue une « bonne pension » sont inévitables et ne justifient pas de faire obstacle au respect des libertés garanties par le traité.

46      Cette institution soutient également que le Royaume des Pays-Bas n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles la suppression de l’imposition des transferts de la valeur des droits à pension vers un autre État membre mettrait en péril l’équilibre du système néerlandais de sécurité sociale.

47      À cet égard, la Commission rappelle que le risque évoqué par le Royaume des Pays-Bas que les travailleurs, qui perçoivent une somme forfaitaire pour leur pension, la dilapident, soient confrontés à des difficultés financières et, partant, reviennent aux Pays-Bas et soient à la charge du Royaume des Pays-Bas est très faible. Elle ajoute que le présent recours ne vise que la pension professionnelle complémentaire. Ainsi, si le travailleur perçoit cette pension sous la forme d’une somme forfaitaire et que cette somme est par la suite perdue ou dilapidée, il ne serait pas pour autant réduit à la mendicité. En effet, il continuerait à avoir accès à la pension légale sur le fondement des droits à pension acquis aux Pays-Bas ainsi que de ceux acquis dans l’autre État membre que le Royaume des Pays-Bas. En cas de retour aux Pays-Bas, ce travailleur pourrait donc encore percevoir une pension minimale légale et ne serait donc pas à la charge du Royaume des Pays-Bas.

48      En outre, la Commission rappelle que, dès lors qu’une personne se rend dans un autre État membre, elle relève du champ d’application des règles en matière de pension applicables dans cet État. Les éventuelles différences entre les États membres dans la fixation d’un régime de pension et la possibilité correspondante de versements forfaitaires partiels ou complets ne pourraient donc justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs.

 Appréciation de la Cour

49      Il y a lieu de rappeler que la protection sociale des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité (arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 28).

50      Par conséquent, la nécessité de garantir des prestations de retraite à vie peut être invoquée afin de justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs.

51      Toutefois, pour satisfaire aux exigences posées par le droit de l’Union, la réglementation nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et ne saurait aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

52      En subordonnant l’absence d’imposition du transfert des droits à pension à la condition que les possibilités de rachat de ces droits soient limitées, la réglementation nationale en cause ne permet pas en soi de prévenir le risque que le travailleur choisisse de recevoir sa pension en une seule fois et de garantir que le travailleur perçoive sa pension complémentaire de retraite de manière régulière au cours de sa retraite. En effet, une telle réglementation a seulement pour effet de dissuader le transfert de la valeur des droits à pension vers un État membre qui autorise le rachat desdits droits selon des conditions plus étendues que celles prévues par le droit néerlandais, indépendamment des modalités de perception de la pension.

53      En outre, il y a lieu de constater que cette réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. En effet, dès lors que les travailleurs quittent le territoire du Royaume des Pays-Bas afin d’occuper un emploi dans un autre État membre et d’y transférer la valeur de leurs droits à pension, il appartient à cet autre État d’autoriser ou non le versement total ou partiel de la pension à ces travailleurs sous la forme d’une somme forfaitaire. En cas de perte ou de dilapidation de cette somme, il appartiendrait à cet État de supporter, le cas échéant, la charge financière liée à cette perte. Ainsi, dans un tel cas, la valeur des droits à pension serait, après transfert, constitutive non plus d’un revenu de source néerlandaise mais d’un revenu prenant sa source dans le nouvel État membre de résidence.

54      Quant à l’argument du Royaume des Pays-Bas selon lequel dans le cas où les possibilités de rachat des droits à pension dans un autre État membre sont plus étendues qu’aux Pays-Bas, des accords complémentaires peuvent être passés entre le travailleur et le nouvel organisme d’assurance retraite de sorte que les possibilités de rachat de ces droits sont limitées à celles autorisées par la réglementation nationale en cause, il y a lieu de relever qu’une telle possibilité de passer des accords complémentaires, qui, au demeurant, ne semble pas expressément prévue par cette réglementation, n’est pas de nature à justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs en cause.

55      En outre, la Commission relève que le Royaume des Pays-Bas n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles la suppression de l’imposition des transferts de la valeur des droits à pension vers un autre État membre pourrait mettre en péril l’équilibre du système néerlandais de sécurité sociale.

56      À cet égard, il convient de rappeler que, si des motifs de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité, une réglementation nationale peut toutefois constituer une entrave justifiée à une liberté fondamentale lorsqu’elle est dictée par des motifs d’ordre économique poursuivant un objectif d’intérêt général. Ainsi, il ne saurait être exclu qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier qu’il soit porté atteinte aux dispositions du traité relatives au droit à la libre circulation des travailleurs (arrêt du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 53).

57      Cependant, selon une jurisprudence constante, il appartient aux autorités nationales compétentes, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe consacré par le droit de l’Union, de prouver, dans chaque cas d’espèce, que ladite mesure est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées des preuves appropriées ou d’une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation. Il importe qu’une telle analyse objective, circonstanciée et chiffrée soit en mesure de démontrer, à l’aide de données sérieuses, convergentes et de nature probante, qu’il existe effectivement des risques pour l’équilibre du système de sécurité sociale (arrêt du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 54 et jurisprudence citée).

58      Or, force est de constater que, en l’espèce, une telle démonstration fait défaut. En effet, le Royaume des Pays-Bas se borne à faire allusion à un risque de perte annuelle considérable de recettes fiscales de l’État qui ne serait justifiée que si le capital retraite accumulé aux Pays-Bas ou dans un autre État membre est utilisé aux fins auxquelles il est destiné, à savoir une pension à vie, et à affirmer que la réglementation nationale en cause est indistinctement applicable aux travailleurs qui changent d’emploi aux Pays-Bas et à ceux qui acceptent un emploi dans un autre État membre.

59      Par conséquent, la restriction à la libre circulation des travailleurs en cause n’est pas justifiée.

60      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 85, paragraphe 1, sous b), et l’article 87, paragraphe 2, sous f), de la loi sur les pensions, lus en combinaison avec l’article 19b, paragraphe 2, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations, en vertu desquels un transfert de la valeur des droits à pension vers un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas n’est pas soumis à l’impôt uniquement si les possibilités de rachat de ces droits sous la forme d’un capital sont identiques à celles prévues par le droit néerlandais, ou plus strictes que ces dernières, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE et de l’article 28 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cet État membre aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      En adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 85, paragraphe 1, sous b), et l’article 87, paragraphe 2, sous f), de la Pensioenwet (loi sur les pensions), lus en combinaison avec l’article 19b, paragraphe 2, de la Wet op de loonbelasting 1964 (loi de 1964 relative à l’impôt sur les rémunérations), dans sa version applicable au présent recours, en vertu desquels un transfert de la valeur des droits à pension vers un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas n’est pas soumis à l’impôt uniquement si les possibilités de rachat de ces droits sous la forme d’un capital sont identiques à celles prévues par le droit néerlandais, ou plus strictes que ces dernières, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE et de l’article 28 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2)      Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.

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