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Document 62015CO0446

Domstolens beslut (nionde avdelningen) av den 10 november 2016.
Signum Alfa Sped Kft. mot Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság.
Begäran om förhandsavgörande från Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság.
Begäran om förhandsavgörande – Artikel 99 i domstolens rättegångsregler – Beskattning – Mervärdesskatt – Direktiv 2006/112/EG – Avdragsrätt – Avslag – Utställaren av fakturan betraktas inte som den verklige tillhandahållaren av de tjänster som fakturerats – Skyldigheten att kontrollera åligger den skattskyldige.
Mål C-446/15.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:869

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

10 novembre 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction – Refus – Émetteur de la facture considéré comme n’ayant pas été le véritable fournisseur des services facturés – Obligations de vérification incombant à l’assujetti »

Dans l’affaire C‑446/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), par décision du 10 août 2015, parvenue à la Cour le 18 août 2015, dans la procédure

Signum Alfa Sped Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. C. Vajda (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Signum Alfa Sped Kft., par Me K. Szentmártony, ügyvéd,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme K. Kraavi-Käerdi, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Hornung et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Signum Alfa Sped Kft. à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság (administration nationale des impôts et des douanes, direction principale des impôts et des douanes pour les grands contribuables, ci-après l’« administration fiscale ») au sujet du refus de celle-ci d’admettre le droit de Signum Alfa Sped de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont, au titre de factures relatives à deux contrats de transport.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112 prévoit que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4        L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5        L’article 167 de ladite directive énonce :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

6        L’article 168 de cette même directive est libellé comme suit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

7        L’article 178 de la directive 2006/112 prévoit :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[...] »

8        Aux termes de l’article 220 de cette directive :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1)      pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

[...] »

9        L’article 226 de la directive 2006/112 énumère les seules mentions qui, sans préjudice des dispositions particulières prévues par celle-ci, doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 de cette directive.

 Le droit hongrois

10      L’article 32, paragraphe 1, sous a), de l’az általános forgalmi adóról szóló 1992. évi LXXIV. törvény (loi n° LXXIV de 1992 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, Magyar Közlöny 1992/128, ci-après la « loi relative à la TVA »), prévoit qu’un assujetti a le droit de déduire du montant de la taxe qu’il doit payer le montant de celle qu’un autre assujetti a mis à sa charge à l’occasion d’une livraison de biens ou d’une prestation de services.

11      Selon l’article 35, paragraphe 1, sous a), de cette loi, sauf disposition contraire de la loi relative aux impôts, le droit à déduction ne peut être exercé qu’à la condition de disposer de documents dignes de foi prouvant le montant de la taxe comptabilisée en amont. Sont considérés comme tels les factures, les factures simplifiées et les documents qui tiennent lieu de factures, établis au nom de l’assujetti.

12      L’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA dispose:

« L’émetteur de la facture ou de la facture simplifiée est responsable de l’authenticité des informations qui y figurent. Les droits liés à l’imposition de l’assujetti qui figure en tant qu’acheteur dans le justificatif ne sauraient être remis en cause dès lors que celui-ci, en ce qui concerne le fait générateur de l’impôt, a pris toutes les précautions nécessaires en tenant compte des circonstances de la livraison de biens ou de la prestation de services. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Dans sa déclaration fiscale, Signum Alfa Sped, dont l’activité principale consiste en des services de transport, a porté en déduction les montants de la TVA figurant sur 19 factures émises, entre le 28 février et le 31 décembre 2007, par Solidity Trade Kft. dans le cadre de l’exécution d’un contrat de transport conclu avec cette dernière ainsi que le montant de la TVA figurant sur une facture émise, le 31 août 2007, par Wimpex-hu Kft., également en exécution d’un contrat de transport conclu avec celle-ci (ci-après, ensemble, les « factures en cause »).

14      À l’appui de son droit à déduction, Signum Alfa Sped a fourni les factures en cause, les contrats de transport ainsi que les certificats d’exécution des prestations correspondant auxdites factures.

15      Saisie d’un recours contre la décision de l’administration fiscale du premier niveau de refuser la déduction desdits montants et de procéder à un redressement de TVA, assorti d’une amende et des intérêts de retard, l’administration fiscale a confirmé cette décision.

16      À l’appui de sa décision, l’administration fiscale a constaté qu’un contrôle de Solidity Trade avait révélé une série d’irrégularités. En particulier, au moment de ce contrôle, le représentant légal de celle-ci aurait été un ressortissant camerounais faisant l’objet d’une interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire hongrois. L’adresse du siège de cette société aurait été celle d’une maison privée. Ladite société n’aurait jamais fait de demande d’autorisation de fonctionnement et d’établissement ni figuré dans les registres. Aucun frais de fonctionnement ni aucun indice quant aux sous-traitants éventuels ne figureraient sur les extraits de compte bancaires de Solidity Trade. Selon la déclaration du représentant légal de cette société au moment de l’exécution des contrats pour Signum Alfa Sped, les prestations de transport de matériaux auraient été effectuées physiquement non pas par Solidity Trade, qui n’aurait pas disposé des ressources humaines et matérielles nécessaires, mais au moyen de camions loués. L’administration fiscale a également constaté que les factures émises avaient fait l’objet de corrections et que les certificats d’exécution des prestations ne portaient ni le tampon de Solidity Trade ni le nom de la personne agissant pour celle-ci. Les lettres des voitures ne feraient pas non plus apparaître cette société comme expéditeur.

17      De même, en ce qui concerne Wimpex-hu, il se serait avéré que cette dernière était une société « fantôme », sans siège social réel en Hongrie ni local propre. Elle ne se serait pas fait enregistrer aux fins de l’impôt professionnel local et, bien qu’elle ait déposé des déclarations de TVA, elle n’aurait jamais acquitté cette taxe. Au moment de l’exécution du contrat pour Signum Alfa Sped, Wimpex-hu aurait eu comme seul employé le gérant de celle-ci et n’aurait disposé que d’un camion non adapté aux prestations de transport facturées.

18      Tout en admettant que les opérations mentionnées sur les factures en cause s’étaient bien déroulées et que ces factures répondaient aux exigences de forme, l’administration fiscale a conclu que ces opérations n’avaient pas été effectuées par les émetteurs desdites factures et qu’elles devaient, par conséquent, être considérées comme des opérations fictives. Cette administration a également conclu que Signum Alfa Sped n’avait pas « pris les précautions nécessaires », au sens de la législation nationale, dès lors que, compte tenu des irrégularités constatées, elle aurait dû savoir que les opérations ne s’étaient pas déroulées entre elle, d’une part, et Solidity Trading ou Wimpex-hu, d’autre part.

19      Signum Alfa Sped a introduit un recours contre la décision de l’administration fiscale devant la juridiction de renvoi, le Fővárosi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), en faisant valoir qu’elle avait pris les précautions nécessaires lorsqu’elle a conclu les contrats avec lesdites sociétés, dès lors qu’elle a vérifié les éléments auxquels elle pouvait avoir accès, à savoir que ces dernières disposaient d’un numéro de TVA et d’une immatriculation fiscale actifs. Elle aurait en outre contracté avec le directeur-gérant de ces mêmes sociétés.

20      La juridiction de renvoi a annulé la décision de l’administration fiscale. Elle a souligné que, conformément à l’article 32, paragraphe 1, sous a), à l’article 35, paragraphe 1, sous a), et à l’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA, l’exercice du droit à déduction de la TVA supposait le respect des conditions de forme et de fond prévues par ces dispositions. En application, plus particulièrement, de l’article 44, paragraphe 5, de cette loi, les droits liés à l’imposition de l’assujetti qui figure en tant qu’acheteur sur la facture ne sauraient être remis en cause dès lors que celui-ci, en ce qui concerne le fait générateur de la TVA, a pris « toutes les précautions nécessaires », en tenant compte des circonstances de la prestation de services en question, même lorsque la facture n’est pas digne de foi en ce qui concerne son contenu. Eu égard à la jurisprudence de la Cour, il incomberait à l’administration fiscale de démontrer que la facture ne fait pas foi ou qu’elle a un caractère fictif et, lorsque cette preuve a été apportée, il conviendrait d’examiner si l’assujetti qui y figure en tant qu’acheteur a pris toutes les précautions nécessaires, au sens de de l’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA.

21      La juridiction de renvoi a également jugé que les éléments invoqués par l’administration fiscale ne suffisaient pas à renverser le caractère probant des documents mis à la disposition de cette administration, à savoir les contrats de transport, les factures en cause ainsi que les certificats d’exécution, et destinés à établir le déroulement exact des opérations entre les parties. La réalité de ces opérations ne saurait être mise en cause en invoquant des irrégularités, commises par les émetteurs de factures, qui ne sont pas directement liées avec la réalisation desdites opérations.

22      La Kúria (Cour suprême, Hongrie) a annulé le jugement de la juridiction de renvoi et a renvoyé l’affaire devant cette dernière. Elle a rappelé que la facture qui constate une opération qui s’est réellement déroulée mais qui mentionne comme fournisseur une personne autre que celle qui a fourni la prestation de services peut être considérée comme ne faisant pas foi du point de vue de son contenu. Elle a estimé que c’est à tort que la juridiction de renvoi s’est fondée sur la prémisse selon laquelle même une facture à laquelle il ne pouvait être accordé foi du point de vue de son contenu ouvrait le droit à déduction si son destinataire « a pris les précautions nécessaires ».

23      Dès lors, la Kúria (Cour suprême) a ordonné à la juridiction de renvoi de se prononcer sur la question de savoir s’il peut être conclu, en fait, que les factures en cause font foi du point de vue de leur contenu. Elle a considéré que, s’il s’avère que les opérations n’ont pas été réalisées entre les parties y mentionnées, il n’est pas pertinent de vérifier si Signum Alfa Sped a pris « toutes les précautions nécessaires en ce qui concerne le fait générateur de l’impôt », au sens de la législation nationale. Ce ne serait que si les opérations faisant l’objet même de certaines des factures en cause ont été effectuées entre les parties qui y sont mentionnées et que si seules d’autres irrégularités, notamment formelles, sont constatées que la question de savoir si cette société a bien pris de telles précautions pourrait être examinée. Selon la Kúria (Cour suprême), il n’incombe pas à l’administration fiscale d’identifier la personne qui a en réalité exécuté les contrats, le droit à déduction n’étant pas affecté par le fait que cette personne soit connue.

24      Ressaisie de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi est d’avis que la pratique de l’administration fiscale, conforme à cette jurisprudence de la Kúria (Cour suprême), vide de son contenu le droit à déduction de la TVA, tel qu’il découle des articles 168 et 178 de la directive 2006/112 ainsi que de la jurisprudence de la Cour, en particulier de l’arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373).

25      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, dans le cadre de cette pratique, l’administration fiscale entend pouvoir rejeter, dans certains cas, le droit à déduction au motif que la facture concernée n’est pas digne de foi, en se fondant, à cet effet, sur des éléments que la Cour n’admet pas comme éléments objectifs de nature à démontrer à suffisance de droit que l’assujetti avait ou aurait dû avoir connaissance des irrégularités. Ce faisant, cette administration imposerait à l’assujetti la vérification d’éléments dont l’examen ne saurait être exigé, selon les points 61 à 66 de l’arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373), de manière générale de l’assujetti afin qu’il puisse bénéficier du droit à déduction de la TVA. En outre, ladite administration entendrait étayer le caractère fictif des opérations en cause non pas au moyen de faits objectifs en relation raisonnable et directe avec ces opérations, mais avec des éléments qui caractérisent de manière générale le fonctionnement des émetteurs des factures.

26      Dans ces conditions, le Fővárosi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Peut-on interpréter les dispositions de la directive 2006/112 relatives à la déduction de la TVA en ce sens que l’administration fiscale peut, de façon générale, exiger de l’assujetti qui souhaite exercer son droit à déduction de la TVA, pour que ladite administration ne qualifie pas l’opération d’opération fictive, qu’il vérifie si l’émetteur de la facture relative aux prestations servant de fondement à l’exercice de ce droit remplit, au moment de la fourniture des prestations et de la vérification, les conditions personnelles et matérielles nécessaires à la fourniture des prestations en cause et s’il satisfait à ses obligations en matière de déclaration et de paiement de la TVA, ou que le même assujetti dispose, en dehors de la facture relative à l’opération, de documents exempts d’inexactitudes de forme, et peut-il en outre être escompté de l’activité économique de l’émetteur de la facture qu’elle aura été exercée de façon régulière non seulement au moment de l’opération qui ouvre le droit à la déduction de la TVA mais également au moment du contrôle ?

2)      Si l’administration fiscale, se fondant sur les circonstances évoquées dans la question précédente, devait constater que l’opération a bien eu lieu mais qu’il ne peut être accordé foi à la facture parce que l’opération en question ne s’est pas déroulée entre les parties mentionnées sur ladite facture, peut-on attendre de l’administration fiscale, en vertu de l’obligation en matière de preuve qui pèse sur elle en principe, qu’elle désigne, dans ce cas, quelles sont les parties entre lesquelles l’opération s’est déroulée et qui a émis la facture, ou bien l’administration fiscale peut-elle, sans aucune preuve de cet élément de fait qui exclut tout doute, et sans aucune donnée ou aucun élément relatifs au nom ou au rôle du tiers, refuser ce droit à un assujetti qui souhaite bénéficier de la déduction de la TVA en ne se fondant que sur une simple affirmation à cet égard ?

3)      Peut-on interpréter les dispositions de la directive 2006/112 relatives à la déduction de la TVA en ce sens que, même si l’administration fiscale ne conteste pas le fait que l’opération reprise sur la facture s’est effectivement déroulée et que la facture satisfait formellement aux prescriptions légales, ladite administration fiscale peut s’opposer à l’exercice du droit à la déduction de la TVA, sans devoir vérifier si les précautions nécessaires ont été prises, comme si le refus de la déduction était fondé sur une responsabilité objective, en invoquant le fait que, puisque l’opération ne s’est pas déroulée entre les parties mentionnées sur la facture, l’administration ne doit, par définition, pas vérifier si lesdites précautions nécessaires ont été prises lorsqu’il ne peut être accordé foi au contenu de la facture, ou bien l’administration fiscale, lorsqu’elle fait obstacle à l’exercice du droit à la déduction de la TVA, est-elle également tenue dans ces circonstances de prouver que l’assujetti qui veut exercer son droit à déduction avait connaissance du comportement irrégulier, et le cas échéant destiné à éluder l’imposition, de l’entreprise avec laquelle l’assujetti en cause était en relation contractuelle ou que ledit assujetti a lui-même prêté son concours à ce comportement ?

4)      S’il convient de donner une réponse affirmative à la question précédente, faut-il considérer comme compatible avec les dispositions de la directive 2006/112 relatives à la déduction de la TVA et avec les principes de neutralité fiscale, de sécurité juridique et de proportionnalité, tels que développés dans la jurisprudence de la Cour, une interprétation des règles de droit national selon laquelle il n’y a lieu d’examiner si le destinataire de la facture a pris les précautions nécessaires que s’il peut être démontré que l’opération a été effectuée entre les parties, et cela de la manière définie par le contenu de la facture, et qu’il n’existe que d’autres irrégularités, par exemple des irrégularités formelles, tenant compte en particulier de ce que la réglementation fiscale nationale contient des dispositions relatives aux factures formellement irrégulières ou émises en l’absence d’opération ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2006/112 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale selon laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis au motif qu’il ne peut être accordé foi aux factures relatives à ces services, dès lors que l’émetteur de ces factures ne pouvait pas être le véritable fournisseur desdits services.

28      Conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, après avoir entendu l’avocat général, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

29      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

30      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 est un principe fondamental du système commun de la TVA qui ne peut, en principe, être limité et qui s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).

31      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 27, ainsi que du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 27 et jurisprudence citée).

32      La question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 28 et jurisprudence citée).

33      En ce qui concerne les conditions matérielles requises pour la naissance du droit à déduction, il ressort du libellé de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un assujetti au sens de cette directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens ou ces services soient fournis par un autre assujetti. Si ces conditions sont remplies, le bénéfice de la déduction ne saurait donc, en principe, être refusé (arrêt du 13 février 2014, Maks Pen, C‑18/13, EU:C:2014:69, point 25 et jurisprudence citée).

34      S’agissant de l’affaire au principal, il est constant que les prestations mentionnées sur les factures en cause ont été fournies à Signum Alfa Sped. Il ne ressort pas de la décision de renvoi que la qualité d’assujetti, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112, de cette société ou l’utilisation des services fournis pour les besoins des opérations taxées de cette dernière aient été contestées. L’administration fiscale n’a pas non plus mis en cause la qualité d’assujetti des sociétés émettrices desdites factures dont il est précisé, dans ladite décision, que Signum Alfa Sped a vérifié qu’elles disposaient d’un numéro d’identification à la TVA. Cette administration a en outre admis que ces mêmes factures satisfaisaient aux exigences formelles.

35      L’administration fiscale a cependant conclu que les opérations faisant l’objet des factures en cause n’avaient pas été effectuées par les émetteurs de celles-ci. À cet effet, elle s’est fondée, notamment, sur des éléments de fait la menant à considérer que ni Solidity Trade ni Wimpex-hu ne disposaient des ressources humaines et matérielles nécessaires pour effectuer les services facturés au moment de leur exécution ainsi que sur une série d’irrégularités constatées dans le chef de ces sociétés.

36      À cet égard, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de procéder aux vérifications qui s’imposent, en effectuant, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, Tóth, C‑324/11, EU:C:2012:549, point 50, et du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 32, ainsi qu’ordonnance du 6 février 2014, Jagiełło, C‑33/13, EU:C:2014:184, point 31 et jurisprudence citée).

37      À ce titre, il convient de rappeler que, certes, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112 et les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, points 35 et 36, ainsi qu’ordonnance du 6 février 2014, Jagiełło, C‑33/13, EU:C:2014:184, point 34 et jurisprudence citée).

38      Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 37, ainsi qu’ordonnance du 6 février 2014, Jagiełło, C‑33/13, EU:C:2014:184, point 35 et jurisprudence citée).

39      Toutefois, si l’administration fiscale déduit de l’existence de fraudes ou d’irrégularités commises par les émetteurs des factures que les opérations facturées et invoquées pour fonder le droit à déduction n’ont pas été réalisées effectivement, cette administration doit, pour que le droit à déduction puisse être refusé, établir, au vu d’éléments objectifs et sans exiger du destinataire des factures des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que lesdites opérations étaient impliquées dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 45, ainsi qu’ordonnance du 6 février 2014, Jagiełło, C‑33/13, EU:C:2014:184, point 33 et jurisprudence citée).

40      En revanche, lorsque les conditions matérielles et formelles prévues par la directive 2006/112 pour la naissance et l’exercice du droit à déduction sont réunies, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par cette directive de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, points 44, 45 et 47, ainsi que du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 49 et jurisprudence citée).

41      À cet égard, ainsi que l’ont relevé les gouvernements hongrois et estonien dans leurs observations écrites, l’établissement, par l’administration fiscale, de l’identité du véritable fournisseur des services en cause au principal est en soi dépourvu de pertinence afin d’examiner si l’assujetti savait ou aurait dû savoir que les opérations étaient impliquées dans une fraude commise par les émetteurs des factures en cause.

42      N’est pas non plus déterminant, à cette fin, le point de savoir si ceux-ci exerçaient leur activité économique tant au moment de ces opérations qu’au moment du contrôle ultérieur par l’administration fiscale.

43      La détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances dudit cas d’espèce (voir arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 59, et du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 51).

44      Un tel assujetti peut se voir obligé, lorsqu’il dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, de prendre des renseignements sur l’opérateur auprès duquel il envisage d’acheter des biens ou des services afin de s’assurer de la fiabilité de celui‑ci. Toutefois, l’administration fiscale ne peut exiger de manière générale de cet assujetti, d’une part, de vérifier que l’émetteur de la facture afférente aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé disposait des ressources nécessaires à la fourniture de ces services et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d’autre part, de disposer, en sus de ladite facture, d’autres documents de nature à démontrer que ces circonstances sont réunies (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, points 60 et 61 ; du 6 septembre 2012, Tóth, C‑324/11, EU:C:2012:549, point 45, ainsi que du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 52).

45      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les dispositions de la directive 2006/112 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale selon laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis au motif qu’il ne peut être accordé foi aux factures relatives à ces services dès lors que l’émetteur de ces factures ne pouvait pas être le véritable fournisseur desdits services, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que lesdits services étaient impliqués dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:

Les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale selon laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis au motif qu’il ne peut être accordé foi aux factures relatives à ces services dès lors que l’émetteur de ces factures ne pouvait pas être le véritable fournisseur desdits services, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que lesdits services étaient impliqués dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: le hongrois.

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