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Document 62022CJ0007

Rozsudok Súdneho dvora (prvá komora) zo 6. júla 2023.
RQ v. Rada Európskej únie a Európska komisia.
Odvolanie – Žaloba o náhradu škody – Hospodárska a menová politika – Reštrukturalizácia gréckeho dlhu verejných financií – Zapojenie súkromného sektora – Ujma vyplývajúca zo zníženia nominálnej hodnoty novovydaných štátnych dlhopisov v porovnaní so zrušenými dlhopismi – Vyhlásenia hláv štátov alebo predsedov vlád eurozóny a inštitúcií Európskej únie – Rozhodnutia Euroskupiny – Neformálna a medzivládna povaha Euroskupiny – Mimozmluvná zodpovednosť Únie – Pripísateľnosť ujmy.
Vec C-7/22 P.

ECLI-code: ECLI:EU:C:2023:541

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 juillet 2023 (*)

« Pourvoi – Recours en indemnité – Politique économique et monétaire – Restructuration de la dette publique grecque – Participation du secteur privé – Préjudice tenant à la réduction de la valeur nominale des obligations d’État nouvellement émises par rapport à celle des obligations annulées – Déclarations des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne – Décisions de l’Eurogroupe – Caractère informel et intergouvernemental de l’Eurogroupe – Responsabilité non contractuelle de l’Union – Imputabilité du dommage »

Dans l’affaire C‑7/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 4 janvier 2022,

RQ, demeurant à Kifisia (Grèce), représentée par Mes M. Meng-Papantoni et H. Tagaras, dikigoroi,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Bauerschmidt, Mmes K. Pavlaki et A. Westerhof Löfflerová, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par M. T. Adamopoulos et Mme S. Delaude, en qualité d’agents,

parties défenderesses en première instance,



LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, RQ demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 novembre 2021, Anastassopoulos e.a./Conseil et Commission (T‑147/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:790), par lequel celui-ci a rejeté le recours introduit par RQ et quatre autres requérants, fondé sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice qu’ils auraient subi à la suite de la mise en œuvre d’un échange obligatoire de titres de créance étatiques dans le cadre de la restructuration de la dette publique grecque en 2012, au titre d’une participation des investisseurs privés impliquant l’application de clauses d’action collective, en raison de comportements ou d’actes de l’Eurogroupe, de son président, des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et de la Commission européenne qui y sont afférents.

I.      Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige, tels qu’ils figurent aux points 1 à 29 de l’arrêt attaqué, peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

3        Le 21 octobre 2009, la République hellénique a notifié à l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) un déficit public revu à la hausse de 12,5 % du produit intérieur brut (PIB) – en réalité un déficit public de 15,7 % du PIB selon les statistiques officiellement révisées de 2013 – contre un taux de 3,7 % du PIB notifié au printemps 2009. Cette révision des données économiques de la République hellénique a suscité des doutes quant à sa solvabilité et, partant, a entraîné une baisse de la notation de la dette publique grecque par les agences de notation de crédit ainsi qu’une augmentation des taux d’intérêt des titres de créance grecs au cours des premiers mois de l’année 2010.

4        Lors du sommet du Conseil européen du 25 mars 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro se sont accordés pour mettre en place, avec la participation du Fonds monétaire international (FMI), un mécanisme intergouvernemental d’assistance à la République hellénique consistant en des prêts bilatéraux coordonnés à taux d’intérêts non concessionnels. Le 23 avril 2010, la République hellénique a demandé l’activation de ce mécanisme. Le 2 mai 2010, les États membres de la zone euro ont donné leur accord pour fournir, en vertu dudit mécanisme d’assistance, 80 milliards d’euros à la République hellénique dans le cadre d’une enveloppe financière de 110 milliards d’euros allouée en commun avec le FMI.

5        Dès le mois de mai 2011, la République hellénique, les États membres de la zone euro et plusieurs créanciers de l’État grec ont entamé des discussions en vue de l’introduction d’un nouveau programme d’aide financière. Un des éléments envisagés dans lesdites discussions était une restructuration de la dette publique grecque, dans le cadre de laquelle les créanciers privés de la République hellénique contribueraient à réduire la charge de cette dette. Dans un premier temps, ces discussions portaient, notamment, sur une éventuelle prorogation volontaire des échéances des titres de créance grecs détenus par des créanciers privés.

6        Le 6 juin 2011, le ministre des Finances allemand a adressé une lettre à la Banque centrale européenne (BCE), au FMI et aux autres ministres des Finances des États membres de la zone euro, dans laquelle il préconisait un échange de titres qui prolongerait de sept ans les échéances des titres de créance grecs détenus par des créanciers privés.

7        Le 20 juin 2011, à la suite d’une réunion portant sur la situation financière de la République hellénique, l’Eurogroupe a adopté une déclaration, aux termes de laquelle, notamment :

« [...] au vu de la situation financière difficile, il apparaît peu probable que la [République hellénique] retrouve un accès au marché privé d’ici au début de 2012. Les ministres sont convenus que, pour le financement supplémentaire nécessaire, il sera fait appel à des sources tant publiques que privées, et se félicitent de l’approche visant à obtenir une participation volontaire du secteur privé, sous la forme de reconductions informelles et volontaires de la dette existante de la [République hellénique] arrivant à échéance, en vue de réduire d’une façon substantielle le financement nécessaire année après année dans le cadre du programme, tout en évitant un défaut de paiement partiel. »

8        Lors de sa réunion des 23 et 24 juin 2011, le Conseil européen a abordé la situation financière de la République hellénique. Le point 15 du document établi à la suite de cette réunion mentionne notamment ce qui suit à ce sujet :

« Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres de la zone euro sont convenus que, pour le financement supplémentaire nécessaire, il sera fait appel à des sources tant publiques que privées. Ils se rallient à l’approche retenue par l’Eurogroupe, le 20 juin [2011], visant à obtenir une participation volontaire du secteur privé, sous la forme de renouvellements informels et volontaires de la dette [publique] grecque actuelle arrivant à échéance, en vue de réduire d’une façon substantielle le financement nécessaire année après année dans le cadre du programme, tout en évitant un défaut de paiement partiel. »

9        Le 21 juillet 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne se sont réunis pour délibérer sur des mesures à prendre afin de surmonter les difficultés auxquelles la zone euro faisait face. Dans leur déclaration conjointe du même jour, il est exposé, notamment, ce qui suit :

« 2.      Nous convenons de soutenir un nouveau programme pour la [République hellénique] et, avec le FMI et la contribution volontaire du secteur privé, de couvrir intégralement le déficit de financement. Le financement public total s’élèvera à un montant estimé à 109 milliards d’euros. Ce programme visera, notamment grâce à une réduction des taux d’intérêt et à un allongement des délais de remboursement, à ramener l’endettement à un niveau bien plus supportable et à améliorer le profil de refinancement de la [République hellénique] [...] Nous suivrons avec beaucoup d’attention la mise en œuvre rigoureuse du programme sur la base d’une évaluation régulière effectuée par la Commission en liaison avec la BCE et le FMI.

[...]

5.      Le secteur financier a indiqué qu’il était prêt à soutenir la [République hellénique] sur une base volontaire en recourant à différentes possibilités permettant de renforcer encore la viabilité globale. La contribution nette du secteur privé est estimée à 37 milliards d’euros [...] »

10      S’agissant de la participation du secteur privé, le point 6 de cette déclaration conjointe mentionne ce qui suit :

« Pour ce qui est de notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous tenons à préciser que la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique. »

11      Eu égard à l’importance de la dette publique grecque qui, à la fin de l’année 2011, était estimée à environ 355 milliards d’euros, dont 206 milliards d’euros détenus par des créanciers privés, les tentatives de restructuration de ladite dette fondées sur un renouvellement des échéances des titres de créance grecs n’ont pas abouti. Ainsi, dès le mois d’octobre 2011, les créanciers de la République hellénique et notamment le FMI ont entamé des discussions visant à intensifier la participation du secteur privé.

12      Le point 12 de la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, établie à l’issue de leur sommet du 26 octobre 2011, mentionne, notamment, ce qui suit :

« La participation du secteur privé joue un rôle vital pour ramener l’endettement de la [République hellénique] à un niveau supportable. C’est pourquoi nous nous félicitons des discussions en cours entre la [République hellénique] et ses investisseurs privés visant à trouver une solution permettant d’approfondir la participation du secteur privé. Parallèlement à un programme de réforme ambitieux pour l’économie grecque, la participation du secteur privé devrait garantir la diminution du ratio de la dette grecque au PIB, l’objectif étant de parvenir à un taux de 120 % d’ici à 2020. À cette fin, nous invitons la [République hellénique], les investisseurs privés et toutes les parties concernées à mettre en place un échange volontaire d[e titres de créance] avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés. Les États membres de la zone euro contribueront à l’ensemble des mesures relatives à la participation du secteur privé à hauteur de 30 milliards d’euros. Sur cette base, le secteur public est disposé à fournir un financement supplémentaire au titre du programme pour un montant allant jusqu’à 100 milliards d’euros jusqu’en 2014, y compris la recapitalisation requise des banques grecques. [...] »

13      Selon un communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 17 novembre 2011, celui-ci avait entamé des négociations avec les détenteurs privés de titres de créance grecs en vue de préparer une transaction d’échange volontaire de tels titres avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés, telle que prévue au point 12 de la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro du 26 octobre 2011. Ces négociations ont été menées avec un comité représentant les créanciers privés de l’État grec issus du secteur bancaire, des assurances et de la gestion d’actifs, nommé « Comité directeur de la commission créanciers-investisseurs privés pour la Grèce » [Steering Committee of the Private Creditor-Investor Committee for Greece (Steering Committee PCIC for Greece), ci-après le « comité directeur PCIC »] et coprésidé par le directeur général de l’Institut de la finance internationale (IFI) et par un directeur de la banque BNP Paribas.

14      Dans un communiqué de presse du 21 février 2012, après la conclusion de ces négociations, le ministère des Finances hellénique, d’une part, a divulgué les caractéristiques essentielles de la transaction envisagée d’échange volontaire de titres de créance grecs, dénommée « Participation des investisseurs privés » (Private Sector Involvement, ci-après le « PSI »), et, d’autre part, a annoncé la préparation et l’adoption d’une loi à cet effet. Cette transaction devait comporter une demande d’accord et une invitation adressées aux détenteurs privés de certains titres de créance grecs dans le but d’échanger ces derniers contre des titres nouveaux d’une valeur nominale égale à 31,5 % de celle de la dette échangée ainsi que contre des titres émis par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) venant à échéance après 24 mois et ayant une valeur nominale de 15 % de celle de la dette échangée, ces différents titres devant être fournis par la République hellénique lors de la clôture de l’accord. En outre, tout investisseur privé participant à cette transaction devait recevoir des sûretés détachables de la République hellénique liées au PIB avec une valeur notionnelle égale à celle des nouveaux titres de créance.

15      La déclaration de l’Eurogroupe du même jour expose, notamment, ce qui suit :

« L’Eurogroupe prend acte du fait que les autorités helléniques et le secteur privé sont parvenus à un accord sur les conditions générales de l’offre d’échange au titre du PSI qui concerne tous les détenteurs de titres du secteur privé. Cet accord garantit un taux de décote de 53,5 %. L’Eurogroupe estime que cet accord constitue une base appropriée pour le lancement de l’invitation à l’échange faite aux détenteurs de titres d’État grecs (PSI). La réussite de l’opération de PSI constitue une condition préalable nécessaire à un programme destiné à succéder au programme actuel. L’Eurogroupe compte sur une importante participation des créanciers privés à l’échange de la dette, ce qui contribuerait de manière substantielle à la soutenabilité de la dette de la [République hellénique].

[...]

Les contributions respectives des secteurs privé et public doivent garantir que le ratio de la dette publique de la [République hellénique] sera mis sur une trajectoire descendante pour atteindre 120,5 % du PIB en 2020. Sur cette base, et si la conditionnalité politique définie dans le cadre du programme est remplie sur une base continue, l’Eurogroupe confirme que les États membres de la zone euro sont prêts à fournir, par l’intermédiaire du FESF et avec l’espoir que le FMI apportera une contribution significative, un programme public additionnel d’un montant pouvant atteindre jusqu’à 130 milliards d’euros d’ici [à] 2014. »

16      Le 23 février 2012, le Parlement hellénique a adopté la nomos 4050/2012 – Kanones tropopoiiseos titlon, ekdoseos i engyiseos tou Ellinikou Dimosiou me symfonia ton Omologiouchon (loi 4050/2012 relative à la modification des titres émis ou garantis par l’État grec avec l’accord de leurs détenteurs et introduisant le mécanisme des clauses d’action collective, FEK A’ 36, ci-après la « loi 4050/2012 »). En vertu du mécanisme des clauses d’action collective (ci-après les « CAC »), les amendements proposés étaient destinés à devenir juridiquement contraignants pour tout détenteur de titres de créance régis par le droit hellénique et émis avant le 31 décembre 2011, tels qu’identifiés dans l’acte du Conseil des ministres grec approuvant les invitations au PSI, si lesdits amendements étaient approuvés, de manière collective et sans distinction de séries, par un quorum de détenteurs de titres représentant au moins deux tiers de la valeur nominale desdits titres.

17      Dans un communiqué de presse du 24 février 2012, le ministère des Finances hellénique a précisé les conditions régissant la transaction d’échange volontaire de titres de créance impliquant les investisseurs privés d’une valeur nominale d’environ 206 milliards d’euros en faisant référence à la loi 4050/2012. Le même jour, le Conseil des ministres grec a adopté l’acte prévu dans la loi 4050/2012, à savoir la décision 5/24.2.2012 (FEK A’ 37), qui comportait un tableau énumérant l’ensemble des titres de créance grecs éligibles à l’échange. L’offre de transaction d’échange volontaire de titres de créance a été clôturée le 8 mars 2012.

18      Dans un communiqué de presse du 9 mars 2012, le ministère des Finances hellénique a déclaré que, en principe, il était satisfait aux conditions fixées par la loi 4050/2012 et a annoncé les proportions dans lesquelles les créanciers privés avaient accepté l’offre d’échange. À cet égard, il y était indiqué, notamment, ce qui suit :

« [...] les détenteurs de titres de créance émis ou garantis par la République [hellénique] pour un montant d’environ 172 milliards d’euros ont présenté leurs titres de créance à l’échange ou consenti aux amendements proposés en réponse aux invitations et aux demandes d’accord faites par la République [hellénique] le 24 février 2012.

Sur les quelque 177 milliards d’euros de titres de créance régis par le droit grec émis par la République [hellénique] et ayant fait l’objet d’invitations, la République [hellénique] a reçu des offres d’échange et des accords de la part de détenteurs de titres de créance d’une valeur nominale d’environ 152 milliards d’euros, ce qui représente 85,8 % du montant nominal non encore réglé de ces titres. Les détenteurs de 5,3 % du montant nominal non encore réglé de ces titres ont participé à la demande d’accord et ont refusé les amendements proposés. La République [hellénique] a informé ses créanciers du secteur public que, dès leur confirmation et leur certification par la Banque [centrale hellénique], en sa qualité de gestionnaire de la procédure en vertu de la loi 4050/2012 [...], elle a[vait] l’intention d’accepter les accords reçus et de modifier les conditions de tous ses titres de créance régis par le droit grec, y compris ceux qui n’ont pas été présentés à l’échange à la suite des invitations, suivant les termes de la loi susmentionnée. En conséquence, la République [hellénique] ne prolongera pas la période d’invitation pour ses titres de créance régis par le droit grec.

[...] Si les accords concernant les amendements proposés des titres de créance régis par le droit grec sont acceptés, la valeur nominale totale desdits titres destinés à être échangés et d’autres titres [régis par un droit autre que le droit grec] ayant fait l’objet des invitations et pour lesquels la République hellénique a reçu des offres d’échange et des accords concernant les amendements proposés atteindrait 197 milliards d’euros, soit 95,7 % de la valeur nominale totale des titres de créance visés par les invitations. »

19      Le même jour, le Conseil des ministres grec a approuvé, par sa décision 10/9.3.2012 (FEK A’ 50), le résultat de la procédure d’offre de transaction d’échange volontaire de titres ainsi que la mise en œuvre des CAC. En outre, par la décision 2/20964/0023A (FEK B’ 682), le ministre adjoint des Finances hellénique a fait remplacer les titres soumis au PSI par de nouveaux titres, conformément aux dispositions pertinentes de la loi 4050/2012.

20      Le 14 mars 2012, le nouveau programme d’assistance financière en faveur de la République hellénique a été approuvé. Il prévoyait un montant total d’assistance financière de 164,5 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année 2014, dont 144,7 milliards seraient mis à disposition par le FESF et 19,8 milliards par le FMI dans le cadre d’un accord sur quatre ans portant sur un montant de 28 milliards d’euros au titre du mécanisme élargi de crédit pour la République hellénique, approuvé par le FMI au mois de mars 2012.

21      RQ, en tant que détentrice de titres de créance grecs, a participé à la restructuration de la dette publique grecque, en vertu du PSI et des CAC mis en œuvre conformément à la loi 4050/2012 après avoir refusé l’offre d’échange de ses titres.

II.    Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 mars 2017, RQ et quatre autres requérants ont introduit un recours en indemnité contre « la Commission européenne à titre individuel et en tant que représentante de l’Union européenne pour les agissements de l’Eurogroupe et/ou de son [p]résident ». En réponse à une question écrite du président du Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, les requérants en première instance ont précisé que leur recours était également dirigé contre le Conseil de l’Union européenne, au motif, notamment, que « l’Eurogroupe [était] beaucoup plus proche [du] Conseil [que de] la Commission ».

23      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 26 septembre 2018.

25      Par une ordonnance du 25 octobre 2018, sur demande des requérants en première instance, le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure.

26      Par une décision du 7 novembre 2018, les parties entendues, le président de la troisième chambre a, conformément à l’article 69, sous c) et d), du règlement de procédure du Tribunal, décidé de suspendre l’affaire jusqu’au prononcé des décisions de la Cour statuant sur les pourvois formés contre les arrêts du 13 juillet 2018, K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (T‑680/13, EU:T:2018:486), ainsi que du 13 juillet 2018, Bourdouvali e.a./Conseil e.a. (T‑786/14, non publié, EU:T:2018:487).

27      Par l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), la Cour a annulé les arrêts du Tribunal visés au point précédent et rejeté les recours comme étant irrecevables en tant qu’ils étaient dirigés contre l’Eurogroupe.

28      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à se prononcer sur les conséquences qu’elles comptaient tirer de l’ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE (C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208), ainsi que de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), s’agissant de la solution du litige pendant devant lui. Les parties ont soumis leurs observations dans le délai imparti.

29      Les requérants en première instance ont conclu, notamment, à ce que le Tribunal fasse droit à leurs demandes en indemnité.

30      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité et a condamné les requérants en première instance aux dépens.

III. Les conclusions des parties au pourvoi

31      Par son pourvoi, RQ demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de « décider de la suite de la procédure comme de droit », et

–        de condamner le Conseil et la Commission aux dépens.

32      Le Conseil demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme étant non fondé, et

–        en tout état de cause, de condamner RQ aux dépens de la présente procédure.

33      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable ou, à tout le moins, comme étant non fondé et

–        de condamner RQ aux dépens de la présente procédure.

IV.    Sur le pourvoi

34      Au soutien de son pourvoi, RQ soulève cinq moyens. Les premier et deuxième moyens sont tirés d’une dénaturation de son argumentation et d’erreurs de droit dans l’application des principes de la responsabilité extracontractuelle de l’Union. Le troisième moyen est tiré d’une erreur dans l’appréciation d’une violation suffisamment caractérisée du droit à l’égalité de traitement. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’application du principe de la responsabilité sans faute. Enfin, le cinquième moyen est pris d’une erreur de droit dans la taxation des dépens par le Tribunal.

A.      Sur la recevabilité du pourvoi

1.      Argumentation des parties

35      Le Conseil soutient que le pourvoi est irrecevable, en ce que ce dernier se borne à reprendre textuellement des moyens et des arguments qui ont été soulevés devant le Tribunal par les parties requérantes en première instance, sans critiquer les motifs de l’arrêt attaqué qui ont conduit à leur rejet.

36      Ainsi, aux points 10, 12, 13 et 16 du pourvoi, RQ chercherait à imputer à l’Union un prétendu « ordre donné par l’Eurogroupe et/ou son [p]résident », sans en établir la matérialité, sur la base des mêmes arguments présentés en première instance. S’agissant des parties du pourvoi relatives, respectivement, au principe de l’égalité de traitement et à la responsabilité sans faute de l'Union, elles seraient fondées sur des faits qui ont été écartés par le Tribunal aux points 94 à 101 de l’arrêt attaqué. Le pourvoi constituerait, dès lors, en réalité, une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête en première instance, ce qui échapperait à la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Ce dernier serait, partant, manifestement irrecevable.

37      RQ rétorque que, par son pourvoi, elle ne se limite pas à une reprise des arguments présentés devant le Tribunal, mais soulève des erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal.

2.      Appréciation de la Cour

38      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence établie, dès lors qu’une partie conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent à nouveau être discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si une partie ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 37 et jurisprudence citée).

39      En l’occurrence, l’argumentation à l’appui du pourvoi de RQ vise, de manière explicite, une dénaturation de son argumentation ainsi qu’une erreur de droit prétendument commise par le Tribunal dans son appréciation de l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit à l’égalité de traitement et fait, à cet égard, référence de façon claire et précise aux points de l’arrêt attaqué qu’elle entend critiquer ainsi qu’aux arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique ces moyens.

40      Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.

B.      Sur le fond

1.      Sur les premier et deuxième moyens, tirés dune dénaturation des arguments soulevés par RQ en première instance et derreurs de droit dans lapplication de la responsabilité extracontractuelle de lUnion

a)      Sur la recevabilité

1)      Argumentation des parties

41      La Commission excipe de l’irrecevabilité des premier et deuxième moyens, au motif que leur rédaction manquerait de clarté et de structure. Le pourvoi n’indiquerait pas de façon précise les éléments de l’arrêt attaqué que RQ critique par ces deux moyens ni les arguments juridiques qui soutiennent ceux-ci de manière spécifique.

2)      Appréciation de la Cour

42      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il ressort de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné. Ne répond notamment pas à ces exigences et doit être déclaré irrecevable un moyen dont l’argumentation n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de la légalité, notamment parce que les éléments essentiels sur lesquels le moyen s’appuie ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard. La Cour a également jugé que devait être rejeté comme étant manifestement irrecevable un pourvoi dépourvu de structure cohérente, se limitant à des affirmations générales et ne comportant pas d’indications précises relatives aux points de la décision attaquée qui seraient éventuellement entachés d’une erreur de droit (arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C-366/21 P, EU:C:2022:984, points 52 et 53 ainsi que jurisprudence citée).

43      En l’espèce, il convient de constater que, s’agissant des premier et deuxième moyens, le pourvoi mentionne les points de motifs critiqués de l’arrêt attaqué et fait état, de manière suffisamment précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle, des arguments juridiques par lesquels la requérante entend remettre en cause ces points.

44      Il s’ensuit que les deux premiers moyens du pourvoi sont recevables.

b)      Sur le fond

1)      Argumentation des parties

45      Par les premier et deuxième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, RQ soutient, en premier lieu, que le Tribunal a, aux points 57 à 69 de l’arrêt attaqué, dénaturé son argumentation, dans la mesure où elle a fait valoir, dans ses écrits de procédure de première instance, que le fait générateur du dommage était un ordre de l’Eurogroupe et/ou de son président, donné aux alentours du 10 ou du 11 mars 2012, par lequel le gouvernement hellénique aurait été sommé de revenir sur sa décision visant à exempter de la décote ou à octroyer une compensation aux personnes physiques concernées par le PSI (ci-après l’« ordre allégué »), et non pas le PSI en tant que tel, ou les déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012, la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union du 21 juillet 2011 ou la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro du 26 octobre 2011 (ci‑après, ensemble, les « déclarations en cause »).

46      Ainsi, alors que la légalité du PSI ou des déclarations en cause n’aurait jamais été contestée devant lui, le Tribunal aurait conclu, aux points 66 et 69 de cet arrêt, que ces déclarations ne sauraient être imputées à l’Union. Dès lors, à l’exception des points 70 à 75 de l’arrêt attaqué, qui portent sur le devoir de surveillance incombant à la Commission en sa qualité de gardienne des traités, tel qu’il a été mis en exergue dans les arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 59), ainsi que du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 96), et que RQ indique expressément ne pas contester, le Tribunal aurait procédé à une dénaturation de ses arguments et aurait omis de se prononcer sur l’acte réellement mis en cause.

47      RQ précise, dans son mémoire en réplique, que le fait générateur du dommage invoqué consiste en un acte matériel, à savoir l’ordre allégué. Or, contrairement à ce que le Conseil ferait valoir, le Tribunal aurait omis d’examiner et d’établir la réalité de cet ordre et aurait ainsi conclu à l’absence d’illégalité de celui-ci en ayant examiné des actes autres que ledit ordre, seul visé par la requête en première instance.

48      En second lieu, RQ fait valoir que les points 63 à 66 de l’arrêt attaqué sont entachés de plusieurs erreurs de droit. Les points 63 et 65 seraient contradictoires. En effet, tout en admettant que « le seul manque de caractère juridiquement obligatoire, notamment, des déclarations de l’Eurogroupe ne suffit pas à faire échapper d’emblée l’Union à sa responsabilité non contractuelle », le Tribunal nierait, au point 65 de cet arrêt, une telle responsabilité, du fait notamment de la « nature informelle » de l’Eurogroupe et du fait qu’il « ne dispose d’aucune compétence propre ». Or, ces deux dernières caractéristiques ne seraient que le corollaire du « manque de caractère obligatoire » des actes de l’Eurogroupe, visé au point 63 dudit arrêt. En toute hypothèse, il serait incompatible avec la notion même de l’État de droit et avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») qu’une « émanation quelconque de l’Union », telle que l’Eurogroupe, jouisse par principe d’une immunité juridictionnelle de fait et échappe au contrôle du juge de l’Union.

49      Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en concluant, au point 66 de l’arrêt attaqué, et indépendamment du contenu et des effets des actes dont RQ conteste la légalité, que l’Eurogroupe ne peut en aucun cas engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

50      Dans son mémoire en réplique, RQ fait valoir que les mémoires en défense du Conseil et de la Commission ne répondent pas à son argument visant à savoir si l’Union peut être tenue pour responsable du fait d’actes de l’Eurogroupe ou si ces derniers échappent d’office à tout contrôle juridictionnel. La Commission se limiterait à soutenir que l’Eurogroupe ne peut être attrait en justice sur le fondement de l’article 340 TFUE, ce qui n’exclurait pas qu’une action en responsabilité, du fait d’un acte de l’Eurogroupe, puisse être introduite contre un autre défendeur.

51      En outre, le Tribunal se méprendrait sur la portée de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028), qui aurait uniquement écarté la légitimation passive de l’Eurogroupe au titre de l’article 340 TFUE, sans pour autant exclure que la responsabilité extracontractuelle de l’Union puisse être engagée du fait des actes et des omissions de l’Eurogroupe.

52      À titre surabondant, RQ fait valoir que la présente affaire se différencie de celle ayant donné lieu à cet arrêt, en ce que l’acte dommageable, à savoir l’ordre allégué, consiste en un acte matériel qui n’a donc pas pu être « concrétisé », au sens du point 93 dudit arrêt, par des actes subséquents d’institutions de l’Union, que les intéressés avaient la possibilité de contester par la suite au moyen de recours indemnitaires devant le juge de l’Union.

53      Le Conseil et la Commission soutiennent que ces moyens sont non fondés ou inopérants.

2)      Appréciation de la Cour

54      Par ses premier et deuxième moyens, RQ vise à contester les points 57 à 69 et 76 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal y a considéré, en substance, que les requérants en première instance n’avaient identifié aucun comportement à l’origine de l’illégalité alléguée qui soit serait imputable à l’Union, soit serait susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle, de sorte que leur demande indemnitaire devait être rejetée.

55      Il convient de constater que, après avoir rappelé, aux points 40 à 44 de l’arrêt attaqué, les termes de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE et les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, le Tribunal a, au point 45 de cet arrêt, relevé que, à l’appui de leurs demandes indemnitaires, les requérants en première instance invoquaient un moyen d’illégalité unique, tiré d’une violation suffisamment caractérisée de leur droit à l’égalité de traitement garanti par l’article 20 de la Charte et de l’interdiction de toute discrimination prévue à l’article 21, paragraphe 1, de celle-ci, par des comportements de l’Eurogroupe, de son président, des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, ainsi que de la Commission, au motif que, notamment, en tant que personnes physiques agissant à titre privé, à la différence des personnes morales exerçant une activité professionnelle, ils n’auraient pas dû être contraints à participer à la restructuration de la dette publique grecque.

56      Ainsi, s’agissant de l’imputabilité à l’Union de la décision d’inclure les personnes physiques dans la restructuration de la dette publique grecque en vertu du PSI et des CAC et de leur refuser toute compensation ultérieure, le Tribunal a, au point 58 de l’arrêt attaqué, rappelé l’argumentation des requérants en première instance par laquelle ils invoquaient, dans les termes suivants, une violation suffisamment caractérisée de leur droit à l’égalité de traitement et de l’interdiction de toute discrimination, qui serait imputable à l’Union :

« [i]ls estiment que la décision d’inclure les personnes physiques dans la restructuration de la dette publique grecque en vertu du PSI et des CAC et de leur refuser toute compensation ultérieure [...] a été prise par le président de l’Eurogroupe seul ou par ce dernier en tant que tel et, partant, engagerait la responsabilité non contractuelle de l’Union au sens de l’article 268, lu conjointement avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, qui impose à l’Union de réparer les dommages causés “par ses institutions ou par ses agents”. En effet, il s’agirait d’un “ordre” donné en ce sens par l’Eurogroupe ou par son président à la suite de l’adoption de la loi 4050/2012 et, plus précisément, à l’issue du vote au titre du PSI qui s’est déroulé jusqu’au 8 mars 2012. [...] En réalité, ce faisant, le gouvernement hellénique n’aurait fait qu’accepter l’“ordre de l’Eurogroupe et/ou de son président” doté d’un “caractère en fait contraignant” ».

57      Dès lors que RQ fait valoir, en premier lieu, que le Tribunal a omis d’examiner l’existence effective de l’ordre allégué, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant et, d’autre part, que le moyen tiré d’un défaut de réponse du Tribunal à des arguments invoqués en première instance revient, en substance, à invoquer une violation de l’obligation de motivation qui découle de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 117 du règlement de procédure du Tribunal (arrêt du 29 septembre 2022, ABLV Bank/CRU, C‑202/21 P, EU:C:2022:734, point 106 et jurisprudence citée).

58      L’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 29 septembre 2022, ABLV Bank/CRU, C‑202/21 P, EU:C:2022:734, point 107 et jurisprudence citée).

59      Or, il ressort, d’une part, du point 58 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a correctement décrit les allégations en la matière des requérants en première instance et relevé, conformément à ce qui figurait dans leurs écrits de procédure, que leur dommage trouvait son origine, selon eux, dans l’ordre allégué.

60      D’autre part, le Tribunal a répondu à ces allégations en cherchant à identifier un acte ou une inaction précise qui aurait été imputable à une institution de l’Union et en examinant si les actes de l’Eurogroupe, mentionnés dans ces écrits de procédure, étaient susceptibles d’être à l’origine du dommage invoqué par les requérants en première instance.

61      Plus précisément, les requérants en première instance étant demeurés en défaut de fournir des indications précises et concrètes concernant l’existence effective de l’ordre allégué, prétendument à l’origine de leur préjudice, le Tribunal a examiné, aux points 64 à 68 de l’arrêt attaqué, les déclarations en cause, mentionnées par les requérants en première instance dans leurs écrits de procédure, aux fins de déterminer, d’une part, s’il était possible de déduire de ces déclarations l’existence d’un tel ordre et, d’autre part, si lesdites déclarations étaient susceptibles d’être qualifiées d’actes émanant d’une « institution » de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

62      Ainsi, le Tribunal a, tout d’abord, examiné, aux points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, si les déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012 pouvaient être imputables à l’Union, pour conclure, au point 66 de cet arrêt, que tel ne saurait être le cas. Ensuite, il a, au point 67 de cet arrêt, appliqué un raisonnement analogue à la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro lors du 26 octobre 2011. Enfin, il a analysé, au point 68 dudit arrêt, le contenu de la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union du 21 juillet 2011 afin de déterminer si cette déclaration était susceptible de donner lieu à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, dès lors que cette déclaration conjointe avait dépassé le cadre purement intergouvernemental des déclarations susmentionnées. C’est dans ce contexte que le Tribunal a examiné le contenu de ladite déclaration conjointe pour en déduire, d’une part, que celle-ci n’avait en aucun cas une portée contraignante à l’égard de la République hellénique et, d’autre part, qu’elle ne contenait aucune indication relative à une éventuelle participation « forcée » de détenteurs privés de titres de créance grecs à la restructuration de la dette publique grecque ainsi qu’à un prétendu ordre donné à cet État membre, à l’instigation de l’Eurogroupe ou de son président, d’inclure les personnes physiques dans la restructuration de la dette publique grecque en vertu du PSI et des CAC et de leur refuser toute compensation ultérieure.

63      Il s’ensuit que l’argument tiré d’une dénaturation des écrits de procédure de première instance doit être écarté comme étant non fondé.

64      En second lieu, dans la mesure où RQ fait valoir que les points 63 à 66 de l’arrêt attaqué sont entachés de plusieurs erreurs de droit, il y a lieu de constater que, au point 63 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé, d’emblée, que, conformément à une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts (C‑234/02 P, EU:C:2004:174), tout acte, fût-il juridiquement non contraignant, d’une institution ou d’un organe de l’Union à l’origine d’un dommage est susceptible d’entraîner la responsabilité non contractuelle de celle-ci.

65      Dans la mesure où, ainsi qu’il a été rappelé aux points 45 à 47 du présent arrêt, l’ordre allégué émanait prétendument, ainsi qu’il ressort des écritures de première instance, de l’Eurogroupe ou de son président, c’est à juste titre et conformément à la jurisprudence qu’il a mentionnée aux points 40 à 44 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a, aux points 64 à 66 de cet arrêt, examiné si le comportement incriminé était celui d’une « institution », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

66      C’est dans cette mesure que le Tribunal a rappelé à juste titre, au point 64 de l’arrêt attaqué, que l’Eurogroupe, bien qu’ayant été formellement institué par la résolution du Conseil européen, du 13 décembre 1997, sur la coordination des politiques économiques au cours de la troisième phase de l’union économique et monétaire et sur les articles 109 et 109 B du traité CE (JO 1998, C 35, p. 1), a été conçu comme un organe intergouvernemental, extérieur au cadre institutionnel de l’Union, visant à permettre aux ministres des États membres dont la monnaie est l’euro d’échanger et de coordonner, de manière informelle, leurs points de vue sur des questions relatives à leurs responsabilités communes en matière de monnaie unique, la Commission et, le cas échéant, la BCE étant invitées à participer à ces réunions informelles.

67      Poursuivant son analyse, le Tribunal a rappelé, au point 65 de l’arrêt attaqué, que l’Eurogroupe ne peut être assimilé à une formation du Conseil ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union, en se référant notamment aux points 87 à 89 de l’arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028). Dès lors, un recours visant à mettre en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union, sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, au titre d’un acte ou d’un comportement attribuable à cet organe intergouvernemental, devrait être déclaré irrecevable.

68      Partant, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a décidé, aux points 66 et 67 de l’arrêt attaqué, que les déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012 ne sauraient être imputées à l’Union, de sorte qu’il n’était pas compétent pour contrôler la légalité tant de ces déclarations que de la déclaration conjointe des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro du 26 octobre 2011, y compris dans le cadre d’un recours indemnitaire, aux fins de l’appréciation d’un engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

69      De surcroît, force est de constater que RQ n’identifie pas, dans son pourvoi, l’acte qui serait à l’origine de son préjudice, mais se borne à faire valoir que l’ordre allégué ne figurait pas dans les déclarations de l’Eurogroupe des 20 juin 2011 et 21 février 2012.

70      Eu égard aux considérations qui précèdent, il ne saurait être reproché au Tribunal, d’une part, de s’être prononcé sur l’imputabilité à l’Union des actes que les requérants en première instance n’auraient pas mis en cause, et d’autre part, d’avoir omis de se prononcer sur l’acte qu’ils auraient mis en cause.

71      S’agissant, enfin, de l’argument de RQ selon lequel l’impossibilité d’introduire, sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union contre l’Eurogroupe serait incompatible avec le respect du principe de protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte, il convient de relever, d’une part, que la Cour a déjà jugé que les accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe se concrétisent et sont mis en œuvre au moyen, notamment, d’actes et d’agissements d’institutions de l’Union. Les justiciables peuvent ainsi introduire, devant les juridictions de l’Union, un éventuel recours en responsabilité non contractuelle de l’Union non pas contre l’Eurogroupe en tant que tel, ainsi qu’il ressort du point 67 du présent arrêt, mais contre le Conseil, la Commission et la BCE, au titre des actes ou des comportements que ces institutions de l’Union adoptent à la suite de tels accords politiques (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 93).

72      D’autre part, ainsi qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE, la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union » et « surveille l’application du droit de l’Union ». Cette institution conserve donc, dans le cadre de sa participation aux activités de l’Eurogroupe, son rôle de gardienne des traités. Il en découle que son éventuelle inaction dans le contrôle de la conformité au droit de l’Union des accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe est susceptible de conduire à une mise en cause de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 96 et jurisprudence citée).

73      Par conséquent, il y a lieu d’écarter les premier et deuxième moyens comme étant non fondés.

2.      Sur le troisième moyen, tiré dune erreur de droit dans lappréciation dune violation suffisamment caractérisée du droit à légalité de traitement

a)      Argumentation des parties

74      RQ soutient que le Tribunal a, aux points 78 à 92 de l’arrêt attaqué, commis des erreurs de droit en écartant le moyen du recours tiré d’une violation suffisamment caractérisée du droit à l’égalité de traitement. RQ considère qu’elle n’avait ni à être assimilée de fait aux grandes banques et aux fonds d’investissement ni à se voir attribuer des buts spéculatifs en lui niant la qualité d’« épargnant », alors que le montant de 195 000 euros qu’elle avait placé dans les obligations d’État décotées provenait, en majeure partie, du produit de la vente, l’année précédente, de la maison héritée de ses parents, dans sa ville natale.

75      Selon RQ, les critères de différenciation entre les investisseurs agissant en tant que personnes physiques ou en tant que personnes morales sont évidents. En effet, dans la plupart des cas, les personnes physiques agissent à titre privé et non à titre professionnel, et disposent de beaucoup moins d’expertise et de connaissances en matière financière. En outre, les montants de leurs placements seraient de loin inférieurs à ceux des personnes morales. Par ailleurs, les modalités du PSI auraient été négociées et décidées d’un commun accord entre le gouvernement hellénique et les représentants des « grandes » personnes morales, les personnes physiques en étant exclues. Ainsi, considérer que la situation de toutes les personnes visées par le PSI était « identique » ou « comparable », au sens de la jurisprudence relative au principe de l’égalité de traitement, viderait de son sens ce principe et le priverait de l’essentiel de son effet utile.

76      Le Conseil considère que le troisième moyen doit être jugé non fondé. La Commission soutient que ce moyen est inopérant ou, à tout le moins, non fondé.

b)      Appréciation de la Cour

77      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que des griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (arrêt du 23 mars 2023, PV/Commission, C‑640/20 P, EU:C:2023:232, point 191 et jurisprudence citée).

78      En l’espèce, au point 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal conclut son analyse portant notamment sur la prétendue imputabilité à l’Union de la décision d’inclure les personnes physiques dans la restructuration de la dette publique grecque en vertu du PSI et des CAC et de leur refuser toute compensation ultérieure en jugeant que les requérants en première instance n’ont identifié aucun comportement à l’origine de l’illégalité alléguée qui soit serait imputable à l’Union, soit serait susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle, de sorte que leur demande indemnitaire doit être rejetée, ne serait-ce que pour cette raison. Ainsi qu’il ressort des points 76 et 77 de l’arrêt attaqué, la motivation figurant aux points 78 à 92 de l’arrêt attaqué est surabondante par rapport à celle figurant aux points 57 à 75 du même arrêt.

79      Or, il résulte de la réponse apportée aux premier et deuxième moyens que RQ a critiqué vainement, par ces moyens, les motifs figurant aux points 57 à 69 de l’arrêt attaqué. En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 46 du présent arrêt, RQ a expressément indiqué ne pas contester les points 70 à 75 de l’arrêt attaqué. Partant, le troisième moyen, dirigé contre les motifs figurant aux points 78 à 92 de cet arrêt attaqué, ne saurait entraîner l’annulation dudit arrêt, de telle sorte qu’il y a lieu de rejeter ce moyen comme étant inopérant.

3.      Sur le quatrième moyen, tiré derreurs de droit dans lapplication du principe de la responsabilité sans faute

a)      Argumentation des parties

80      RQ soutient que, au point 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, dénaturé le contenu de la requête en première instance, dans la mesure où, contrairement à ce qu’aurait indiqué le Tribunal, il ressortait de cette requête que les requérants en première instance mettaient en cause non pas un acte normatif, mais un acte matériel imputable à l’Union, à savoir l’ordre allégué. Il s’ensuivrait que le renvoi par le Tribunal à l’arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE (T-79/13, EU:T:2015:756), qui portait sur des activités relevant de la sphère normative, serait dénué de pertinence.

81      D’autre part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que, en l’état actuel du droit de l’Union, l’examen comparatif des ordres juridiques des États membres ne permet pas de consacrer l’existence d’un régime de responsabilité non contractuelle de l’Union du fait de l’exercice licite par celle‑ci de ses activités relevant de la sphère normative. En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’application des conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’Union.

82      Le Conseil soutient que ce moyen est non fondé. La Commission considère qu’il y a lieu de le rejeter comme étant irrecevable ou, à tout le moins, comme étant non fondé.

b)      Appréciation de la Cour

83      Par ce moyen, RQ reproche au Tribunal d’avoir, au point 97 de l’arrêt attaqué, méconnu les principes applicables à l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Union.

84      Il suffit à cet égard de constater que, ainsi qu’il découle des points 60 à 70 du présent arrêt, RQ n’a fourni aucun élément de nature à établir que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en constatant qu’elle n’a identifié aucun comportement qui serait imputable à l’Union.

85      Il convient, partant, de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.

4.      Sur le cinquième moyen, pris dune erreur de droit dans la taxation des dépens par le Tribunal

a)      Argumentation des parties

86      RQ soutient que le point 105 de l’arrêt attaqué, relatif à la taxation des dépens de première instance, est entaché d’une erreur de droit, au motif, en substance, que le Tribunal ne motive pas sa décision selon laquelle les requérants en première instance ne sauraient prétendre à l’existence d’un préjudice exceptionnel, susceptible, selon eux, de leur permettre de se faire rembourser une partie de leurs dépens.

b)      Appréciation de la Cour

87      Outre le fait que, par ce moyen, RQ ne vise pas, dans son pourvoi, une violation, par le Tribunal, de l’article 135 de son règlement de procédure, il suffit de constater que l’existence d’une situation exceptionnelle, au sens de cette disposition, justifiant que, en équité, une partie qui succombe supportera, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne devra pas être condamnée à ce titre, relève en tout état de cause d’une appréciation souveraine en fait qui, sous réserve d’une dénaturation des éléments de fait et de preuve par le Tribunal, échappe au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

88      Il y a donc lieu de rejeter ce moyen comme étant irrecevable.

89      Aucun des moyens soulevés par la requérante à l’appui de son pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.

 Sur les dépens

90      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

91      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

92      Le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de RQ aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil et par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      RQ supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et par la Commission européenne.

Arabadjiev

Xuereb

von Danwitz

Kumin

 

Ziemele

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2023.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

A. Arabadjiev


*      Langue de procédure : le français.

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