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Dokument 62021CJ0827

Rozsudok Súdneho dvora (deviata komora) z 27. apríla 2023.
Banca A v. Agenţia Naţională de Administrare Fiscală (ANAF) a Preşedintele ANAF.
Návrh na začatie prejudiciálneho konania podaný/á/é Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie.
Návrh na začatie prejudiciálneho konania – Smernica 2009/133/ES – Článok 7 – Fúzia zlúčením – Čisto vnútorná operácia – Prednosť práva Únie mimo oblasť pôsobnosti práva Únie – Neexistencia – Výklad práva Únie mimo jeho oblasti pôsobnosti – Právomoc Súdneho dvora rozhodnúť v prejudiciálnom konaní – Podmienka – Právo Únie, ktoré sa stalo priamo a bezpodmienečné uplatniteľné na základe vnútroštátneho práva.
Vec C-827/21.

Identifikátor ECLI: ECLI:EU:C:2023:355

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

27 avril 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2009/133/CE – Article 7 – Fusion par absorption – Opération purement interne – Primauté du droit de l’Union hors du champ d’application du droit de l’Union – Absence – Interprétation du droit de l’Union hors de son champ d’application – Compétence de la Cour à titre préjudiciel – Condition – Droit de l’Union rendu applicable par le droit national de manière directe et inconditionnelle »

Dans l’affaire C‑827/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 12 octobre 2021, parvenue à la Cour le 30 décembre 2021, dans la procédure

Banca A

contre

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală (ANAF),

Preşedintele ANAF,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Banca A, par Mes C. Costaş et D. Dascălu, avocats,

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. W. Roels, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union et sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2009/133/CE du Conseil, du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre (JO 2009, L 310, p. 34).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Banca A à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală (ANAF) (agence nationale de l’administration fiscale, Roumanie) au sujet de l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés du profit inscrit par Banca A dans son compte de résultat de l’exercice 2015, résultant de l’acquisition par celle-ci, à des conditions avantageuses, de la totalité des actions d’une banque B qu’elle a ensuite absorbée.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2 de la directive 2009/133 dispose :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par :

a)      “fusion”, l’opération par laquelle :

i)      une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une autre société préexistante, moyennant l’attribution à leurs associés de titres représentatifs du capital social de l’autre société et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres ;

ii)      deux ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une société qu’elles constituent, moyennant l’attribution à leurs associés de titres représentatifs du capital social de la société nouvelle et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres ;

iii)      une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social ;

[...] »

4        L’article 4, paragraphe 1, de la même directive prévoit :

« La fusion, la scission ou la scission partielle n’entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par la différence entre la valeur réelle des éléments d’actif et de passif transférés et leur valeur fiscale. »

5        L’article 7 de la directive 2009/133 est ainsi libellé :

« 1.      Lorsque la société bénéficiaire détient une participation dans le capital de la société apporteuse, la plus-value obtenue par la société bénéficiaire à l’occasion de l’annulation de sa participation ne donne lieu à aucune imposition.

2.      Les États membres ont la faculté de déroger au paragraphe 1 lorsque la participation détenue par la société bénéficiaire dans le capital de la société apporteuse est inférieure à 15 %.

À partir du 1er janvier 2009, le pourcentage minimal de participation est de 10 %. »

 Le droit roumain

6        Aux termes de l’article 21, paragraphe 1, de la Legea contenciosului administrativ nr. 554/2004 (loi sur le contentieux administratif no 554/2004), du 2 décembre 2004 (Monitorul Oficial al României, no 1154 du 7 décembre 2004) :

« Constitue un motif de révision, qui s’ajoute à ceux prévus par le code de procédure civile, le prononcé d’une décision de justice définitive et irrévocable, en violation du principe de primauté du droit de l’Union prévu à l’article 148, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, de la Constitution roumaine, telle que republiée. »

7        L’article 27 de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003, portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code des impôts »), énonçait, à ses paragraphes 3 à 5 :

« 3.      Les dispositions du présent article s’appliquent aux opérations de réorganisation énumérées ci-après, si elles n’ont pas pour principal objectif la fraude et l’évasion fiscales :

a)      la fusion entre deux ou plusieurs personnes morales roumaines, lorsque les titulaires de parts dans toute personne morale qui fusionne reçoivent des titres de participation dans la personne morale qui succède ;

b)      la division d’une personne morale roumaine en deux ou plusieurs personnes morales roumaines, lorsque les titulaires de parts dans la personne morale initiale bénéficient d’une distribution proportionnelle des titres de participation dans les personnes morales qui succèdent ;

c)      l’acquisition par une personne morale roumaine de tous les actifs et passifs appartenant à une ou plusieurs activités économiques d’une autre personne morale roumaine, uniquement en échange de titres de participation ;

d)      l’acquisition par une personne morale roumaine d’au moins 50 % des titres de participation dans une autre personne morale roumaine, en échange de titres de participation dans la personne morale acquérante et, le cas échéant, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des titres de participation émis en échange.

4.      Dans le cas des opérations de réorganisation visées au paragraphe 3, les règles suivantes s’appliquent :

a)      le transfert d’actifs et de passifs n’est pas considéré comme un transfert imposable au sens du présent titre ; [...]

5.      Si une personne morale roumaine détient au moins 15 %, ou 10 % à partir de 2009, des titres de participation dans une autre personne morale roumaine qui transfère des actifs et passifs à la première personne morale dans le cadre d’une opération visée au paragraphe 3, l’annulation de ces titres de participation n’est pas considérée comme un transfert imposable. »

8        Les dispositions de l’article 7 de la directive 2009/133 ont été transposées par l’article 271 du code des impôts.

9        Les normes méthodologiques d’application du code des impôts adoptées par la Hotărârea Guvernului nr. 44/2004 (décision du gouvernement roumain no 44/2004), du 22 janvier 2004 (Monitorul Oficial al României, no 112 du 6 février 2004), dans sa version applicable au litige au principal, disposaient, à leur point 85 :

« Au sens de l’article 27, paragraphe 3, sous a) et b), du code des impôts, les opérations de fusion et scission sont régies par la [Legea nr. 31/1990 privind societăţile comerciale (loi no 31/1990, relative aux sociétés commerciales), du 16 novemvre 1990 (Monitorul Oficial al României, no 33 du 29 janvier 1998)], republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement. »

10      L’article 238, paragraphe 1, de la loi no 31/1990 prévoit :

« La fusion est l’opération par laquelle :

a)      une ou plusieurs sociétés transfèrent à une autre, par suite de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine moyennant l’attribution aux actionnaires de la ou des sociétés absorbées d’actions de la société absorbante et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions attribuées ; ou

b)      plusieurs sociétés transfèrent à une société qu’elles constituent, par suite de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine moyennant l’attribution à leurs actionnaires d’actions de la nouvelle société et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions attribuées. »

11      L’article 2434 de la loi no 31/1990 est ainsi libellé :

« Dans le cas d’une fusion par absorption, par laquelle une ou plusieurs sociétés se dissolvent sans liquidation et transfèrent l’ensemble de leur actif et passif à une autre société qui est titulaire de toutes leurs actions et des autres titres conférant un droit de vote aux assemblées générales, les articles suivants ne seront pas applicables : article 241, sous c) à e), article 2432, article 2433, article 244, paragraphe 1, sous b) et f), article 245 et article 250, paragraphe 1, sous b). L’article 242, paragraphe 3, reste applicable. »

12      Aux termes de l’article 250, paragraphe 1, de la loi no 31/1990 :

« La fusion ou la scission entraîne les effets suivants :

[...]

b)      les actionnaires ou associés de la société absorbée ou scindée deviennent actionnaires ou associés de la société absorbante ou, le cas échéant, des sociétés bénéficiaires, conformément aux règles de répartition prévues dans le projet de fusion/scission [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Par une ordonnance du 25 novembre 2015, le Tribunalul Specializat Cluj (tribunal spécialisé de Cluj, Roumanie) a autorisé la transcription au registre du commerce des mentions relatives à la fusion par absorption intervenue entre Banca A, société absorbante, et la banque B, société absorbée, alors que Banca A avait déjà acquis 100 % des actions de la banque absorbée. Les parties avaient négocié un prix des actions inférieur à leur valeur sur le marché et le profit résultant de l’acquisition de ces actions dans des conditions avantageuses avait été comptabilisé par Banca A dans ses états financiers à la date d’effet de la fusion, le 31 décembre 2015.

14      Banca A a adressé à l’ANAF une demande de rescrit fiscal concernant le traitement fiscal de ce profit, soutenant que celui-ci ne devrait pas être intégré au calcul de l’impôt sur les sociétés pour l’exercice fiscal au cours duquel la fusion est devenue effective, car la fusion est une opération fiscalement neutre, le transfert des actifs et des passifs n’étant pas, selon elle, imposable.

15      Le 1er novembre 2016, le président de l’ANAF a opposé un refus à cette demande aux motifs que ce profit n’entre pas dans les catégories de revenus exonérés d’impôt expressément mentionnées à l’article 20 du code des impôts et doit être, par suite, intégré au revenu imposable de la société absorbante. Banca A a introduit une réclamation qui a été rejetée par l’ANAF, le 12 novembre 2017.

16      Banca A a saisi la Curtea de Apel Cluj – Secția de contencios administrativ și fiscal (cour d’appel de Cluj, chambre du contentieux administratif et fiscal, Roumanie) d’un recours tendant à obtenir que le profit résultant de l’acquisition à des conditions avantageuses, comptabilisé à la date de la fusion, soit traité fiscalement comme un revenu exonéré d’impôt.

17      Par un arrêt du 9 novembre 2017, cette juridiction a fait droit au recours de Banca A, retenant que le profit litigieux entrait dans le champ d’application de l’article 27, paragraphe 5, du code des impôts, qui prévoit l’exonération de l’opération d’annulation des titres de participation détenus par la société absorbante dans la société absorbée. Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi de l’ANAF.

18      Par un arrêt du 23 juin 2020, l’Înalta Curte de Casație și Justiție – Secția de contencios administrativ și fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – chambre du contentieux administratif et fiscal, Roumanie) a annulé l’arrêt de la Curtea de Apel Cluj – Secția de contencios administrativ și fiscal (cour d’appel de Cluj, chambre du contentieux administratif et fiscal) et, statuant sur le fond, a rejeté le recours de Banca A comme étant non fondé.

19      L’Înalta Curte de Casație și Justiție – Secția de contencios administrativ și fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – chambre du contentieux administratif et fiscal) a jugé que le profit résultant de l’acquisition à des conditions avantageuses par Banca A des actions de la banque absorbée ne relevait d’aucune disposition du code des impôts prévoyant l’exonération d’impôt.

20      Selon cette juridiction, l’opération de fusion par absorption, dans laquelle la société absorbante détient tous les titres de participation de la société absorbée, ne fait pas partie des opérations mentionnées à l’article 27, paragraphe 3, du code des impôts. En conséquence, l’article 27, paragraphe 5, du code des impôts, dont le champ d’application est expressément limité aux opérations visées à l’article 27, paragraphe 3, de ce code, n’est pas applicable dans l’affaire dont elle est saisie.

21      Par ailleurs, elle estime que l’article 271 du code des impôts, qui transpose la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 1), n’est pas applicable dès lors qu’il vise les réorganisations transfrontalières, tandis que la fusion en cause en l’occurrence concerne deux sociétés ayant leur siège social en Roumanie.

22      Le 28 octobre 2010, Banca A a formé un recours en révision contre l’arrêt rendu par l’Înalta Curte de Casație și Justiție – Secția de contencios administrativ și fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – chambre du contentieux administratif et fiscal).

23      Ce recours en révision est fondé sur l’article 21 de la loi sur le contentieux administratif no 554/2004, selon lequel un tel recours extraordinaire peut être formé contre une décision définitive si celle-ci a été rendue « en violation de la primauté du droit communautaire ».

24      La juridiction de renvoi, l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), considère, dès lors, que l’arrêt rendu sur pourvoi ne peut être révisé que si le droit de l’Union s’applique au litige au principal et si, par suite, elle était tenue par l’obligation pour les juridictions nationales d’interpréter leur droit national conformément au droit de l’Union.

25      Toutefois, le champ d’application de la directive 2009/133 étant limité aux opérations transfrontalières, ainsi qu’il a été rappelé au point 21 du présent arrêt, la fusion de deux sociétés ayant leur siège dans le même État membre, comme c’est le cas en l’occurrence, n’est pas réglementée par le droit de l’Union.

26      La juridiction de renvoi rappelle, néanmoins, que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues dans le droit de l’Union, afin, notamment, d’éviter l’apparition de discriminations à l’égard des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer.

27      La juridiction de renvoi exprime cependant ses doutes sur la question de savoir si le droit national a rendu applicable la directive 2009/133 à l’opération de fusion en cause qui a eu lieu dans un contexte purement national.

28      Certes, il ressort de l’exposé des motifs du code des impôts que le législateur roumain a entendu harmoniser le cadre juridique fiscal national avec la directive 90/434, qui a, par la suite, été codifiée par la directive 2009/133.

29      Toutefois, en introduisant, par la Legea nr. 343/2006 (loi no 343/2006), du 17 juillet 2006 (Monitorul Oficial al României, no 662 du 1er août 2006), l’article 271 du code des impôts, destiné à régir les opérations transfrontalières et qui est une transposition fidèle des dispositions de la directive 90/434, le législateur national n’a pas, en revanche, modifié l’article 27 du code des impôts qui régit les opérations purement nationales pour le rendre identique audit article 271.

30      De même, la définition de la « fusion » en droit national ne correspond pas entièrement à celle de la directive 90/434, dès lors que la définition de la fusion donnée à l’article 238 de la loi no 31/1990, à laquelle renvoient les normes méthodologiques du code des impôts, ne prévoit pas l’opération par laquelle une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social, opération que vise en revanche explicitement la définition qui figure à l’article 2, sous a), iii), de la directive 90/434.

31      En conséquence, la juridiction de renvoi estime nécessaire, afin d’être en mesure d’apprécier si le recours en révision est recevable, de savoir, d’une part, si elle est tenue d’interpréter, conformément à la directive 2009/133, le régime fiscal national applicable à l’opération purement nationale de fusion par absorption en cause au principal et, d’autre part, comment il convient d’interpréter l’article 7 de cette directive.

32      Dans ces conditions, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La juridiction nationale est-elle tenue d’interpréter conformément à la directive 2009/133 [...], la disposition fiscale nationale applicable aux situations internes qui régit l’exonération des revenus provenant de l’annulation de la participation détenue par la société bénéficiaire dans le capital de la société apporteuse, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où :

–        le législateur national a régi par des dispositions distinctes et non identiques les opérations nationales et les opérations transfrontalières similaires,

–        la disposition nationale applicable aux opérations nationales utilise toutefois des notions figurant dans la directive [2009/133], à savoir la fusion, le transfert d’actifs et de passifs, l’annulation de la participation ;

–        l’exposé des motifs de la loi fiscale nationale peut être interprété en ce sens que le législateur a entendu établir la même solution fiscale pour les opérations nationales que pour les opérations transfrontalières, réglementées par la transposition de la directive, afin de respecter le principe de neutralité fiscale de la fusion d’une manière non discriminatoire et susceptible d’empêcher les distorsions de concurrence ?

2)      L’article 7 de la directive 2009/133 doit-il être interprété en ce sens que le bénéfice de l’exonération des revenus provenant d’une opération d’annulation de la participation qu’une société détient dans une autre société, par suite du transfert des actifs et passifs de cette dernière à la première, ne peut pas être refusé au motif que l’opération en question ne remplit pas toutes les conditions prévues par la disposition nationale pour être qualifiée de fusion ?

3)      L’article 7 de la directive 2009/133 doit-il être interprété en ce sens que le bénéfice de l’exonération s’applique au profit résultant d’une acquisition à des conditions avantageuses, comptabilisé dans le compte de résultat de la société absorbante ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

33      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union oblige une juridiction nationale à interpréter conformément à la directive 2009/133 une disposition de droit national applicable à une opération purement interne de deux sociétés ayant chacune leur siège social dans un même État membre, dès lors que cette opération ne relève pas du champ d’application de cette directive.

34      Il convient de rappeler que, afin de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, le principe de primauté impose, notamment, aux juridictions nationales d’interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union [arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C‑106/89, EU:C:1990:395, point 13 ; du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 57, et du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, point 35].

35      A contrario, le droit de l’Union n’impose pas une telle obligation en dehors de son champ d’application, dès lors que le principe de primauté ne trouve pas, dans cette hypothèse, à s’appliquer.

36      Certes, l’obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union en dehors de son champ d’application peut également résulter d’une disposition de droit national (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 41, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, points 21 et 22).

37      Toutefois, dans un tel cas, l’existence et la portée de cette obligation sont des questions d’interprétation du droit national qui échappent à la compétence de la Cour dans le cadre du renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 42, ainsi que du 20 mai 2010, Modehuis A. Zwijnenburg, C‑352/08, EU:C:2010:282, point 34 et jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, il est constant que la disposition de droit national mentionnée par la juridiction de renvoi régit une opération purement interne de fusion de deux entreprises ayant leur siège social en Roumanie qui ne relève pas du champ d’application de la directive 2009/133, laquelle définit un régime fiscal commun qui ne vise que les opérations transfrontalières.

39      Dans ces conditions, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’interpréter cette disposition de droit national conformément à la directive 2009/133.

40      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que le droit de l’Union n’oblige pas une juridiction nationale à interpréter, conformément à la directive 2009/133, une disposition de droit national applicable à une opération purement interne de fusion de deux entreprises ayant chacune leur siège social dans le même État membre, dès lors que cette opération ne relève pas du champ d’application de cette directive.

 Sur les deuxième et troisième questions 

41      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2009/133.

42      Conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée par cet article, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 44 et jurisprudence citée).

43      En application de cette jurisprudence, la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit de l’Union, mais dans lesquelles lesdites dispositions avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. Dans ces cas, même si les faits au principal ne relevaient pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 45 et jurisprudence citée).

44      En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues par le droit de l’Union, afin, par exemple, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer. Ainsi, une interprétation, par la Cour, des dispositions du droit de l’Union dans des situations purement internes se justifie au motif que celles-ci ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 46 et jurisprudence citée).

45      Lorsque la Cour est saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union, elle ne saurait, sans indication de la juridiction de renvoi autre que le fait que la réglementation nationale en cause est indistinctement applicable aux situations régies par les dispositions du droit de l’Union en cause et aux situations purement internes, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les dispositions de ce droit lui est nécessaire à la solution du litige pendant devant elle (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 47 et jurisprudence citée).

46      Les éléments concrets permettant d’établir que les dispositions du droit de l’Union ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union, doivent ressortir de la décision de renvoi (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 48 et jurisprudence citée).

47      À cette fin, il incombe à la juridiction de renvoi d’indiquer, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 49).

48      En l’occurrence, ainsi qu’il a été rappelé au point 39 du présent arrêt, l’opération de fusion des deux sociétés roumaines en cause au principal n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2009/133 qui définit le régime fiscal commun applicable notamment aux fusions de sociétés ayant leur siège dans des États membres différents.

49      Dans cette situation purement interne, une interprétation par la Cour des dispositions de la directive 2009/133 ne se justifie, ainsi qu’il a été rappelé au point 44 du présent arrêt, que si celles-ci ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle.

50      Or, non seulement la juridiction de renvoi n’a pas exposé, ainsi que les points 46 et 47 du présent arrêt en ont rappelé l’exigence, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige, mais elle a, au contraire, expressément indiqué, dans sa demande préjudicielle que l’applicabilité de la directive 2009/133 en vertu du droit national à la situation du litige au principal lui paraissait incertaine et partielle.

51      Elle a certes mentionné qu’il ressortait de l’exposé des motifs du code des impôts que le législateur roumain avait entendu harmoniser le cadre juridique fiscal national avec la directive 90/434, qui a été remplacée par la directive 2009/133.

52      Néanmoins, elle a relevé que, lorsqu’il a introduit, par la loi no 343/2006, l’article 271 du code des impôts, destiné à régir les opérations transfrontalières en transposant les dispositions de la directive 90/434, le législateur roumain n’a pas modifié l’article 27 du code des impôts qui régit les opérations purement nationales pour le rendre identique audit article 271.

53      La juridiction de renvoi a, en outre, souligné que la définition de la fusion en droit national ne correspond pas entièrement à celle de la directive 90/434. En effet, selon la juridiction de renvoi, la définition de la fusion donnée à l’article 238 de la loi no 31/1990, à laquelle renvoient les normes méthodologiques du code des impôts, ne prévoit pas la fusion par laquelle une société transfère, par suite et à la date de sa dissolution sans liquidation l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social, opération que vise en revanche explicitement la définition qui figure à l’article 2, sous a), iii), de la directive 90/434.

54      Dans ces conditions, il ne saurait être considéré, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 47 du présent arrêt, qu’il ressort de la décision de renvoi que les dispositions de la directive 2009/133 ont été rendues applicables à la situation purement interne du litige au principal par le droit national de manière directe et inconditionnelle.

55      Dès lors que, d’une part, les faits du litige au principal ne relèvent pas du champ d’application de la directive 2009/133 et que, d’autre part, le droit national n’a pas rendu cette directive applicable à ces faits de manière directe et inconditionnelle, la Cour est incompétente pour répondre aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de ladite directive.

56      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que la Cour est incompétente pour répondre aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de la directive 2009/133, dès lors que, d’une part, les faits du litige au principal ne relèvent pas du champ d’application de celle-ci et que, d’autre part, le droit national ne l’a pas rendue applicable à ces faits de manière directe et inconditionnelle.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1)      Le droit de l’Union n’oblige pas une juridiction nationale à interpréter, conformément à la directive 2009/133/CE du Conseil, du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre, une disposition de droit national applicable à une opération purement interne de fusion de deux entreprises ayant chacune leur siège social dans le même État membre, dès lors que cette opération ne relève pas du champ d’application de cette directive.

2)      La Cour est incompétente pour répondre aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de la directive 2009/133, dès lors que, d’une part, les faits du litige au principal ne relèvent pas du champ d’application de celle-ci et que, d’autre part, le droit national ne l’a pas rendue applicable à ces faits de manière directe et inconditionnelle.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.

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