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Document 62020CO0088
Order of the Court (Seventh Chamber) of 20 May 2021.#Criminal proceedings against ENR Grenelle Habitat SARL and Others.#Request for a preliminary ruling from the Tribunal correctionnel de Bordeaux.#Reference for a preliminary ruling – Article 53(2) and Article 94 of the Rules of Procedure of the Court of Justice – Fundamental rights – Ne bis in idem principle – Joint imposition of administrative and criminal penalties for identical facts – Cold calling – Misleading commercial practice – Insufficient justification for a reference for a preliminary ruling – Manifest inadmissibility.#Case C-88/20.
Despacho do Tribunal de Justiça (Sétima Secção) de 20 de maio de 2021.
Processo penal contra ENR Grenelle Habitat SARL e o.
Pedido de decisão prejudicial apresentado pelo tribunal correctionnel de Bordeaux.
Reenvio prejudicial — Artigo 53.°, n.° 2, e artigo 94.° do Regulamento de Processo do Tribunal de Justiça — Direitos fundamentais — Princípio ne bis in idem — Cúmulo de sanções administrativas e penais por factos idênticos — Venda por telefone — Prática comercial enganosa — Fundamentação insuficiente do reenvio prejudicial — Inadmissibilidade manifesta.
Processo C-88/20.
Despacho do Tribunal de Justiça (Sétima Secção) de 20 de maio de 2021.
Processo penal contra ENR Grenelle Habitat SARL e o.
Pedido de decisão prejudicial apresentado pelo tribunal correctionnel de Bordeaux.
Reenvio prejudicial — Artigo 53.°, n.° 2, e artigo 94.° do Regulamento de Processo do Tribunal de Justiça — Direitos fundamentais — Princípio ne bis in idem — Cúmulo de sanções administrativas e penais por factos idênticos — Venda por telefone — Prática comercial enganosa — Fundamentação insuficiente do reenvio prejudicial — Inadmissibilidade manifesta.
Processo C-88/20.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:407
ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)
20 mai 2021 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Droits fondamentaux – Principe ne bis in idem – Cumul de sanctions administratives et pénales pour des faits identiques – Démarchage téléphonique – Pratique commerciale trompeuse – Justification insuffisante du renvoi préjudiciel – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑88/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal correctionnel de Bordeaux (France), par décision du 12 décembre 2019, parvenue à la Cour le 20 février 2020, dans la procédure pénale contre
ENR Grenelle Habitat SARL,
EP,
FQ,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. A. Kumin, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur) et P. G. Xuereb, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour FQ, EP et ENR Grenelle Habitat SARL, par Me A. Teani, avocate,
– pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier et A. Daniel, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. C. Giolito, N. Ruiz García et P. Van Nuffel, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de poursuites pénales engagées contre ENR Grenelle Habitat SARL (ci-après « ENR ») ainsi que contre EP et FQ, personnes physiques, pour des faits qualifiés de « pratique commerciale trompeuse ».
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2005/29/CE
3 L’article 6 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2005, L 149, p. 22), intitulé « Actions trompeuses », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement :
a) l’existence ou la nature du produit ;
b) les caractéristiques principales du produit [...]
c) l’étendue des engagements du professionnel, la motivation de la pratique commerciale et la nature du processus de vente, ainsi que toute affirmation ou tout symbole faisant croire que le professionnel ou le produit bénéficie d’un parrainage ou d’un appui direct ou indirect ;
d) le prix ou le mode de calcul du prix, ou l’existence d’un avantage spécifique quant au prix ;
[...]
f) la nature, les qualités et les droits du professionnel ou de son représentant [...]
[...] »
4 L’article 7, paragraphe 2, de cette directive dispose qu’une pratique commerciale est considérée comme une omission trompeuse « lorsqu’un professionnel [...] n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l’un ou l’autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d’être amené à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ».
5 En vertu de l’article 13 de ladite directive, intitulé « Sanctions », les États membres « déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».
La directive 2011/83/UE
6 L’article 8 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64), intitulé « Obligations formelles concernant les contrats à distance », dispose, à son paragraphe 6 :
« Lorsqu’un contrat à distance est conclu par téléphone, les États membres peuvent disposer que le professionnel doit confirmer l’offre auprès du consommateur et que le consommateur n’est lié par l’offre qu’après l’avoir signée ou l’avoir acceptée par écrit. Les États membres peuvent également prévoir que de telles confirmations doivent avoir lieu sur un support durable. »
7 L’article 24 de cette directive, intitulé « Sanctions », prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres « déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».
Le droit français
8 Le chapitre Ier, intitulé « Pratiques commerciales interdites », du titre II, intitulé « Pratiques commerciales », du livre Ier du code de la consommation est divisé en sections et sous-sections. Les dispositions de ce chapitre transposent notamment les articles 6, 7 et 13 de la directive 2005/29 en droit interne. L’article L.121-2 de ce code fait partie de la sous-section 1, intitulée « Pratiques commerciales trompeuses », de la section 1 dudit chapitre, elle-même intitulée « Pratiques commerciales déloyales ». Cet article dispose :
« Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
[...]
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service [...]
[...]
e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
[...]
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable. »
9 Aux termes de l’article L.121-3 de ce code, qui relève de la même sous-section 1, « une pratique commerciale est également trompeuse si [...] elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».
10 L’article L.132-2 dudit code prévoit que « les pratiques commerciales trompeuses mentionnées aux articles L.121-2 à L.121-4 sont punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros ».
11 L’article L.221-16 du code de la consommation fait partie du chapitre Ier du titre II du livre II de ce code. Cet article, qui transpose l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/83 en droit interne, énonce, à ses deuxième et troisième alinéas :
« À la suite d’un démarchage par téléphone, le professionnel adresse au consommateur, sur papier ou sur support durable, une confirmation de l’offre qu’il a faite et reprenant toutes les informations prévues à l’article L. 221-5.
Le consommateur n’est engagé par cette offre qu’après l’avoir signée et acceptée par écrit ou avoir donné son consentement par voie électronique. »
12 En vertu de l’article L.242-12 dudit code, « tout manquement aux obligations prévues à l’article L.221-16 en matière de démarchage téléphonique et de prospection commerciale est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale ».
13 L’article L.511-5 du même code dispose :
« Les agents sont habilités à rechercher et à constater les infractions ou les manquements aux dispositions suivantes :
1° Les sections 1, 2, 5, 10 et 11 du chapitre Ier du titre II du livre Ier ;
[...]
3° Les chapitres Ier, II et III du titre II du livre II ; [...] »
14 Aux termes de l’article L.522-1 du code de la consommation :
« L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l’autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L.511-5, L.511-6 et L.511-7 et l’inexécution des mesures d’injonction relatives à des manquements constatés avec les pouvoirs mentionnés aux mêmes articles. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 ENR est une entreprise qui commercialise et installe des équipements énergétiques. Dans ce contexte, ENR démarche les consommateurs par téléphone, dans le but de leur faire souscrire un contrat de location d’un boîtier électronique, présenté comme un économiseur d’énergie, à brancher sur une prise électrique de leur habitation.
16 À la suite de dix plaintes adressées par des consommateurs à l’autorité administrative en charge de la concurrence et de la consommation (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, France), ENR a fait l’objet, successivement, d’une procédure administrative et d’une procédure pénale.
17 Sur le plan administratif, ENR s’est vu infliger une amende administrative d’un montant de 3 000 euros par plainte déposée, soit un total de 30 000 euros, par décision rendue le 22 décembre 2017, au titre de l’article L.522-1 du code de la consommation, en raison de faits de « démarchage téléphonique », commis entre les mois de septembre 2016 et de décembre 2017. À l’issue d’un recours gracieux, cette sanction administrative a été confirmée par le directeur départemental de la protection des populations (France) en date du 7 février 2018. La demande de décision préjudicielle ne précise pas si cette décision fait ou non l’objet d’un recours devant une juridiction administrative, ni si elle revêt un caractère définitif.
18 Sur le plan pénal, ENR est poursuivie devant la juridiction de renvoi, le tribunal correctionnel de Bordeaux (France), à l’instar de ses représentants légaux, sur le fondement des articles L.121-2, L.121-3 et L.132-2 du code de la consommation, pour des faits qualifiés de « pratique commerciale trompeuse », commis entre les mois de septembre 2016 et de décembre 2017. La pratique mise en cause consistait notamment en des allégations, des indications ou des présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant entre autres sur les qualités substantielles, les propriétés et résultats attendus de l’utilisation du bien ou du service, les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou service, dans la mesure où le boîtier commercialisé par ENR devait prétendument permettre une économie d’énergie d’au moins 20 %, économie qui n’a pas été vérifiée. En outre, cette pratique commerciale aurait été mise en œuvre sans que la personne pour le compte de laquelle ENR prétendait agir soit clairement identifiable car ses représentants auraient faussement annoncé par téléphone qu’ils intervenaient à la demande ou pour le compte de la société Électricité de France (EDF), un fournisseur d’électricité.
19 La juridiction de renvoi estime que l’amende administrative susmentionnée frappe les mêmes faits de « démarchage téléphonique » que ceux dont elle est elle-même saisie sur le plan pénal. Il y aurait, d’après ladite juridiction, une « identité de faits de démarchage », qui l’a amenée à transmettre à la Cour de cassation (France) une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le supposé cumul de sanctions administratives et pénales à raison des mêmes faits, qui résulterait de l’application combinée des articles L.132-2 et L.522-1 du code de la consommation.
20 La Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel (France) la question de la conformité de ces dispositions au titre des principes constitutionnels de légalité, de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la question qui lui était posée, car celle-ci ne mentionnait pas les dispositions aboutissant au cumul allégué de poursuites et de sanctions.
21 La juridiction de renvoi considère que c’est à tort que le Conseil constitutionnel a refusé de statuer et que sa position revient à admettre l’existence de deux régimes répressifs concurrents, frappant un même fait. Selon la juridiction de renvoi, une telle position est contraire au principe ne bis in idem, tel que consacré à l’article 50 de la Charte et tel qu’interprété par la Cour. En particulier, la juridiction de renvoi estime que, sur le plan administratif, ENR a déjà subi une sanction à caractère punitif et qu’elle est à présent poursuivie pénalement pour des faits qui, en substance, sont identiques.
22 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge également quant à l’interprétation de l’article 49 de la Charte, relatif aux principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines.
23 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 50 de la [Charte], interprété au regard de l’article 4 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950,] et de la jurisprudence y afférente de la Cour européenne des droits de l’homme, s’oppose-t-il à un cumul des poursuites pénales et administratives à caractère pénal ayant pour objet un fait matériel unique (de démarchage téléphonique) poursuivi sous deux qualifications différentes ?
2) [En cas de réponse affirmative], ce qui implique une voie unique de poursuites pour un même fait, l’article 49 de la [Charte], qui consacre les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, interprété au regard des droits et libertés de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence y afférente de la Cour européenne des droits de l’homme, n’exige-t-il pas que les conditions et critères de poursuites par une voie unique soient préalablement définis, en tenant compte notamment de la gravité du manquement ?
3) En cas de réponse négative, ce qui implique un cumul de poursuites, l’article 49 de la [Charte], qui consacre les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, interprété au regard des droits et libertés de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence y afférente de la Cour européenne des droits de l’homme, n’exige-t-il pas que ce cumul de poursuites pénales et administratives à caractère pénal pour un fait matériel unique (de démarchage téléphonique) soit limité aux cas les plus graves et, dans ce cas, que les critères de gravité ne soient préalablement définis ? »
Sur la demande d’application de la procédure accélérée
24 Par sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a requis l’application de la procédure accélérée, conformément à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.
25 Par décision du 26 mars 2020, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, le président de la Cour a rejeté cette demande, celle-ci n’étant aucunement motivée ni justifiée par les circonstances du litige au principal.
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
26 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
27 Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
28 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a., C‑686/18, EU:C:2020:567, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
29 Les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement, ainsi qu’au point 15 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1). Selon celles-ci, toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige, ainsi que des faits pertinents tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi, ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions préjudicielles sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, et le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal » (ordonnance du 28 octobre 2020, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos, C‑716/19, non publiée, EU:C:2020:870, point 14 et jurisprudence citée).
30 Or, en l’occurrence, il convient de constater, premièrement, que la présentation du cadre factuel et réglementaire du litige au principal est insuffisante, s’agissant de la sanction administrative et des faits à l’origine de celle-ci.
31 La juridiction de renvoi se réfère de manière générique à une pratique de démarchage téléphonique, sans autre précision quant aux faits répréhensibles qui ont été commis dans ce contexte et qui ont pu justifier l’engagement de la procédure administrative. Il convient de relever, à cet égard, que la juridiction de renvoi n’établit pas la base factuelle permettant de conclure à l’existence d’une identité de faits.
32 En outre, la disposition du code de la consommation mentionnée par la juridiction de renvoi, à savoir l’article L.522-1, ne permet pas, en tant que telle, de déterminer les éléments constitutifs de l’incrimination. À cet égard, la présentation du cadre juridique du litige au principal est également insuffisante. Ainsi, les informations fournies ne permettent pas à la Cour de s’assurer de l’existence du cumul allégué, ni en fait ni en droit.
33 Deuxièmement, la juridiction de renvoi ne précise pas davantage si la sanction déjà infligée sur le plan administratif présente un caractère définitif. À cet égard, il convient de rappeler que l’applicabilité du principe ne bis in idem présuppose le prononcé d’une décision définitive, portant condamnation ou acquittement pour une même infraction. Selon la jurisprudence de la Cour, le principe ne bis in idem vise à prévenir qu’une entreprise soit « condamnée ou poursuivie une nouvelle fois », ce qui présuppose que cette entreprise ait été condamnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. L’article 50 de la Charte vise ainsi spécifiquement la répétition d’une procédure ayant abouti à une décision définitive concernant le même élément matériel (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2019:283, points 29 et 32).
34 En l’occurrence, si la décision administrative ne revêtait pas un caractère définitif, comme le gouvernement français l’affirme dans ses observations écrites, qui font état d’un recours en annulation pendant devant une juridiction administrative, les questions de la juridiction de renvoi se révéleraient hypothétiques. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 9 septembre 2020, Friends of the Irish Environment, C‑254/19, EU:C:2020:680, point 62 et jurisprudence citée).
35 Enfin, troisièmement, la juridiction de renvoi ne présente pas le lien qu’elle établit entre l’article 50 de la Charte et la disposition du code de la consommation qu’elle met en cause, à savoir l’article L.522-1 de ce code. À cet égard, elle ne fournit pas de précisions quant à la raison pour laquelle elle estime que la sanction administrative infligée à ENR revêt une nature pénale, ni sur l’articulation éventuelle entre les procédures administrative et pénale dont cette société fait l’objet. L’exposé de cette articulation aurait dû permettre à la Cour d’examiner, en particulier, l’existence de règles de coordination visant à réduire au strict nécessaire la charge supplémentaire qui peut résulter d’un tel cumul de poursuites pour la personne concernée. Il convient par ailleurs de noter que la juridiction de renvoi ne fournit aucune information quant à la faculté, pour le juge administratif, de tenir compte de la sanction qui serait éventuellement prononcée sur le plan pénal, et inversement. Or, de tels éléments sont essentiels aux fins de permettre à la Cour d’examiner la compatibilité desdites procédures par rapport à l’article 50 de la Charte.
36 Dans un tel contexte, force est de constater que la juridiction de renvoi ne justifie pas davantage la nécessité d’une interprétation de l’article 49 de la Charte aux fins de la solution du litige au principal et qu’elle n’a aucunement exposé le lien qu’elle établit entre ledit article et les dispositions de droit national en cause au principal.
37 Il ressort de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 94 du règlement de procédure et qu’elle ne permet pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi.
38 Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle lorsqu’elle sera en mesure de fournir à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (ordonnance du 28 octobre 2020, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos, C‑716/19, non publiée, EU:C:2020:870, point 30 et jurisprudence citée).
39 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :
La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal correctionnel de Bordeaux (France), par décision du 12 décembre 2019, est manifestement irrecevable.
Signatures
* Langue de procédure : le français.