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Document 62021CO0609

Tiesas (astotā palāta) rīkojums, 2022. gada 25. marts.
IP u.c. pret Spetsializirana prokuratura.
Spetsializiran nakazatelen sad lūgums sniegt prejudiciālu nolēmumu.
Lūgums sniegt prejudiciālu nolēmumu – Tiesas Reglamenta 99. pants – LES 4. panta 3. punkts – LESD 267. pants – Eiropas Savienības Pamattiesību harta – 47. panta otrā daļa – Tiesas Reglamenta 94. pants – Lūguma sniegt prejudiciālu nolēmumu saturs – Valsts tiesību norma, kurā ir paredzēts, ka valsts krimināllietu tiesai ir jāatsakās no lietas izskatīšanas, ja lūgumā sniegt prejudiciālu nolēmumu ir pausta nostāja par lietas faktiskajiem apstākļiem, pretējā gadījumā nosakot, ka pēc būtības pieņemtais vēlākais nolēmums ir jāatceļ – LESD 18. pants – Hartas 21. panta 2. punkts – Eiropas Savienības Tiesas statūtu 23. pants – Valsts tiesu pienākums informēt dalībvalsti, kuras tiesu sistēmā tās ietilpst, par visiem Tiesai iesniegtajiem lūgumiem sniegt prejudiciālu nolēmumu.
Lieta C-609/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:232

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

25 mars 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 4, paragraphe 3, TUE – Article 267 TFUE – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Article 94 du règlement de procédure de la Cour – Contenu d’une demande de décision préjudicielle – Règle nationale prévoyant le dessaisissement de la juridiction nationale pénale pour avoir pris position sur le cadre factuel de l’affaire dans la demande de décision préjudicielle sous peine d’annulation de la décision à intervenir sur le fond – Article 18 TFUE – Article 21, paragraphe 2, de la Charte – Article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Obligation des juridictions nationales d’informer l’État membre dont elles relèvent de toute demande de décision préjudicielle adressée à la Cour »

Dans l’affaire C‑609/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 28 septembre 2021, parvenue à la Cour le 28 septembre 2021, dans la procédure pénale contre

IP,

DD,

ZI,

SS,

HYA,

en présence de :

Spetsializirana prokuratura,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, des articles 18 et 267 TFUE, de l’article 21, paragraphe 2, et de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de l’article 94, sous a), du règlement de procédure de la Cour ainsi que du point 13 des recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre IP, DD, ZI, SS et HYA pour leur participation à une bande criminelle organisée de délinquants.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne dispose :

« Dans les cas visés à l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour de justice est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale. Cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’à l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée.

Dans un délai de deux mois à compter de cette dernière notification, les parties, les États membres, la Commission et, le cas échéant, l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou des observations écrites.

[...] »

4        En vertu de l’article 94 du règlement de procédure, intitulé « Contenu de la demande de décision préjudicielle » :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit bulgare

5        L’article 29, paragraphe 2, du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale, DV no 86 , du 28 octobre 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « NPK »), dispose :

« Ne peut participer à une formation de jugement, le juge ou le juré qui, pour d’autres raisons, peut être considéré comme partial ou comme ayant un intérêt direct ou indirect à l’issue du litige.

[...] »

6        L’article 486, paragraphe 5, du NPK prévoit :

« En cas de renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi transmet une copie de la décision de renvoi à l’unité chargée de la représentation procédurale de la République de Bulgarie devant la Cour de justice de l’Union européenne. »

7        L’article 487, paragraphe 1, point 1, du NPK énonce :

« La demande de décision préjudicielle contient :

1.      les faits et circonstances pertinents de l’affaire et l’objet du litige ;

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        Le 19 juin 2020, le Spetzializirana prokuratura (parquet spécialisé) a accusé IP, DD, ZI, SS et HYA d’avoir participé à une bande criminelle organisée de délinquants visant, dans un but d’enrichissement, à transporter à travers les frontières bulgares des ressortissants d’États tiers et à les aider illégalement à traverser le pays ainsi qu’à recevoir ou à donner des pots-de-vin en relation avec cette activité. Parmi les accusés, figurent trois agents de la police aux frontières de l’aéroport de Sofia.

9        Le parquet spécialisé affirme que les ressortissants d’États tiers concernés séjournaient en République de Chypre munis de visas d’étudiant et voyageaient par avion de Chypre à destination de la Bulgarie. Selon lui, les trois agents de la police aux frontières procédaient aux contrôles lors de l’arrivée desdits ressortissants à l’aéroport de Sofia et autorisaient leur entrée en violation de leurs obligations professionnelles et, notamment, des obligations découlant du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1).

10      La juridiction de renvoi explique qu’elle n’a pas encore établi si les affirmations du parquet spécialisé sont étayées par les pièces du dossier. Même s’il existe un certain degré de probabilité que ces affirmations soient fondées, cette juridiction estime devoir, après avoir recueilli les éléments de preuve, entendre les parties et établir le cadre factuel pour pouvoir déterminer si, ainsi que le parquet spécialisé l’allègue, le règlement 2016/399 est applicable et susceptible ainsi d’avoir été violé. Dans l’hypothèse où elle conclurait, à l’issue de cet examen, à l’applicabilité de ce règlement, la juridiction de renvoi estime utile, dès à présent, d’interroger la Cour sur l’interprétation des dispositions dudit règlement et du traité FUE.

11      La juridiction de renvoi s’inquiète cependant du fait que, dans le cas où elle adresserait une demande de décision préjudicielle à la Cour après avoir déterminé le cadre factuel de la manière décrite au point précédent, elle devrait, en raison de l’interprétation retenue par le droit bulgare de l’article 487 du NPK, lu en combinaison avec l’article 29, paragraphe 2, du NPK, se dessaisir de l’affaire sous peine d’annulation de sa décision à intervenir sur le fond. À cet égard, selon la jurisprudence du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), l’expression par le juge d’un avis provisoire sur le fond d’une affaire avant de rendre une décision finale constitue un cas particulier de partialité.

12      En effet, selon la juridiction de renvoi, ces dispositions du NPK sont interprétées en ce sens qu’une juridiction pénale, en établissant les faits dans un acte autre que le jugement sur le fond, commet une irrégularité procédurale qui impose à ladite juridiction de se dessaisir de l’affaire. À défaut, le jugement sur le fond encourt l’annulation. Ainsi, le droit bulgare rendrait impossible l’introduction d’une demande de décision préjudicielle dans laquelle la juridiction de renvoi établirait les faits avant d’avoir statué sur le fond.

13      La juridiction de renvoi redoute que, faute de présenter le cadre factuel de l’affaire et, partant, de démontrer que le règlement 2016/399 est applicable au litige au principal, sa demande de décision préjudicielle soit déclarée irrecevable par la Cour. Elle précise que, bien que la Cour se soit déjà prononcée, dans son arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514), sur la problématique engendrée par les dispositions précitées du NPK, une autre juridiction bulgare a vu sa décision sur le fond annulée au motif que sa demande de décision préjudicielle, bien que postérieure à cet arrêt de la Cour, contenait une appréciation définitive des faits. La juridiction de renvoi craint que le même sort ne soit réservé à sa future décision sur le fond dans le cas où sa demande de décision préjudicielle contiendrait une présentation du cadre factuel de l’affaire. Dès lors, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le droit de l’Union s’oppose aux dispositions précitées du NPK.

14      Par ailleurs, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le droit de l’Union s’oppose à une disposition, telle que celle prévue à l’article 486, paragraphe 5, du NPK, en vertu de laquelle une juridiction qui adresse une demande de décision préjudicielle à la Cour est tenue d’en informer les autorités nationales. La juridiction de renvoi se demande si cette disposition confère un avantage à l’État membre dont elle relève par rapport aux autres parties pouvant participer à la procédure préjudicielle. Cet État membre disposerait en effet d’un délai plus long pour déposer ses observations écrites, alors que l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne prévoit qu’il appartient à cette dernière de notifier la demande de décision préjudicielle aux différents États membres.

15      Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La transposition de l’article 267 TFUE dans la loi nationale est-elle conforme au droit de l’Union, y compris à l’article 4, paragraphe 3, TUE ?

2)      L’article 267 TFUE, l’article 94, sous a), du règlement de procédure de la Cour [...] et le point 13 des recommandations [...] à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles, permettent-ils que, dans le cadre d’une procédure pénale, la juridiction de renvoi formule une demande de décision préjudicielle dans laquelle elle considère que certains faits se sont produits, s’agissant des actes des prévenus, dès lors qu’elle a préalablement recueilli toutes les preuves pertinentes et a entendu les parties ?

3)      Dans l’affirmative, une jurisprudence nationale selon laquelle, dans de telles circonstances, la juridiction de renvoi prend préalablement position et doit donc se dessaisir est-elle compatible avec l’article 267 TFUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte [...] ?

4)      Une réglementation nationale (l’article 486, paragraphe 5, du NPK) disposant que la juridiction de renvoi transmet une copie de la demande de décision préjudicielle à l’unité assurant la représentation procédurale de la République de Bulgarie devant la Cour de justice de l’Union européenne est-elle conforme à l’article 23 du statut de la Cour [...], à l’article 18 TFUE et à l’article 21, paragraphe 2, de la Charte [...] ? »

 Sur les questions préjudicielles

16      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

17      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

 Sur les première à troisième questions

18      Par ses première à troisième questions qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE et l’article 94, premier alinéa, sous a), du règlement de procédure, lus à la lumière de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle nationale qui impose aux juridictions statuant en matière pénale, lorsqu’elles se prononcent sur les faits dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour, de se dessaisir de l’affaire, sous peine d’annulation de la décision à intervenir sur le fond.

19      À cet égard, il importe, en premier lieu, de rappeler que la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, disposition qui, en instaurant un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 67 et jurisprudence citée].

20      Il résulte d’une jurisprudence constante que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE instaure une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles, et constitue un instrument grâce auquel la Cour fournit aux juridictions nationales les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 59 et jurisprudence citée].

21      Les juridictions nationales sont libres d’interroger la Cour à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié et il appartient à elles seules d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. Le besoin de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour ces juridictions exige néanmoins que celles-ci définissent le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elles posent ou que, à tout le moins, elles expliquent les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées [voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, points 17 et 18 ainsi que jurisprudence citée, et du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 60 ainsi que jurisprudence citée].

22      Les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 19 et jurisprudence citée). Elles sont également rappelées dans les recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction des procédures préjudicielles.

23      Par ailleurs, les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et qu’il incombe à cette dernière de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cet article, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 20 et jurisprudence citée).

24      Certes, compte tenu de la séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il ne saurait être exigé que, avant de saisir celle-ci, la juridiction de renvoi procède à la totalité des constatations factuelles et des appréciations de droit qui lui incombent dans le cadre de sa mission juridictionnelle. Il est en effet suffisant que l’objet du litige au principal ainsi que ses enjeux principaux pour l’ordre juridique de l’Union ressortent de la décision de renvoi (arrêt du 26 novembre 2020, Sögård Fastigheter, C‑787/18, EU:C:2020:964, point 78 et jurisprudence citée).

25      Toutefois, l’absence d’indication du cadre factuel et juridique pertinent peut constituer une cause d’irrecevabilité manifeste de la demande de décision préjudicielle. Il ressort à cet égard d’une jurisprudence constante de la Cour que le rejet par cette dernière d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 21 et jurisprudence citée, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 61 et jurisprudence citée].

26      En particulier, la Cour a jugé comme étant hypothétique et, partant, irrecevable une question portant sur l’interprétation d’une directive de l’Union au motif que la juridiction de renvoi n’avait pas déterminé, au stade du renvoi préjudiciel, si les dispositions de droit national ayant fait l’objet d’une interprétation conforme à cette directive étaient applicables au regard des circonstances du litige au principal. La Cour a d’ailleurs expressément déclaré à cet égard que le fait que cette question pourrait être pertinente si la juridiction nationale jugeait que les dispositions nationales en cause devaient être appliquées dans la situation en cause au principal était sans incidence sur l’appréciation de la recevabilité de ladite question (arrêt du 26 novembre 2020, Sögård Fastigheter, C‑787/18, EU:C:2020:964, points 24 et 79 à 82 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 janvier 1997, USSL no 47 di Biella, C‑134/95, EU:C:1997:16, point 16). Cette jurisprudence s’applique par analogie dans le cas où la juridiction concernée ne détermine pas, au stade du renvoi préjudiciel, si un règlement de l’Union dont elle demande l’interprétation a vocation à régir le litige dont elle est saisie.

27      En l’occurrence, il ressort des explications fournies dans la demande de décision préjudicielle que, afin de déterminer si le droit de l’Union, en particulier le règlement 2016/399, est applicable au litige au principal et, dès lors, si une demande d’interprétation de ce règlement est nécessaire, la juridiction de renvoi doit établir la matérialité des faits au principal après avoir recueilli les preuves et entendu les parties.

28      Dans ces conditions, c’est à juste titre que la juridiction de renvoi considère qu’une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour aux fins de l’interprétation du règlement 2016/399 risquerait, sur la base de la jurisprudence rappelée aux points 25 et 26 de la présente ordonnance, d’être déclarée irrecevable s’il n’était pas établi, au regard des faits au principal, que ce règlement est applicable au litige dont elle est saisie.

29      La juridiction de renvoi expose néanmoins que, si elle procédait à l’établissement des faits de manière à pouvoir adresser à la Cour une demande de décision préjudicielle satisfaisant aux exigences visées à l’article 94 du règlement de procédure, elle se verrait contrainte, après avoir adressé une telle demande, de se dessaisir immédiatement de l’affaire sur le fondement de la réglementation nationale en cause au principal, sous peine d’annulation de sa décision à intervenir sur le fond, privant ainsi d’utilité la réponse de la Cour.

30      Or, il convient, en second lieu, de rappeler que, en exposant, dans leur demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique de l’affaire au principal, les juridictions de renvoi ne font que se conformer aux exigences découlant des articles 267 TFUE et 94 du règlement de procédure et répondre ainsi à l’exigence de coopération inhérente au mécanisme de renvoi préjudiciel, sans qu’il puisse être considéré à cet égard qu’est enfreint le droit à accéder à un tribunal impartial consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, points 22 et 23).

31      Dès lors, une règle nationale qui risque d’avoir pour conséquence qu’un juge national préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour pour éviter de se dessaisir ou de voir sa future décision sur le fond annulée et qui a ainsi pour effet d’empêcher la Cour de se prononcer sur de telles questions porte atteinte aux prérogatives reconnues aux juridictions nationales par l’article 267 TFUE, lu à la lumière de l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, et, par conséquent, à l’efficacité de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par le mécanisme du renvoi préjudiciel [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 93 à 95 ainsi que jurisprudence citée].

32      Par ailleurs, une juridiction nationale, saisie d’une affaire, lorsqu’elle considère que, dans le cadre de celle-ci, est soulevée une question portant sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union, a la faculté ou l’obligation, selon le cas, de s’adresser à la Cour à titre préjudiciel, sans que cette faculté ou cette obligation puissent être entravées par des règles nationales de nature législative ou jurisprudentielle. En particulier, l’efficacité du droit de l’Union se trouverait compromise si les règles nationales visant à mettre en œuvre l’article 267 TFUE ont pour effet de dissuader le juge national, saisi d’un litige régi par le droit de l’Union, d’user de la faculté qui lui est attribuée par l’article 267 TFUE de soumettre à la Cour les questions portant sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union, afin de lui permettre de juger si une règle nationale est ou non compatible avec celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, points 70 et 73 ainsi que jurisprudence citée].

33      Il importe en outre de rappeler, d’une part, que le principe de primauté du droit de l’Union, qui consacre la prééminence du droit de l’Union sur le droit des États membres, impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États, et, d’autre part, qu’une disposition de droit national empêchant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE doit être écartée sans que la juridiction concernée ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, points 78 et 80 ainsi que jurisprudence citée].

34      Il ressort ainsi de la jurisprudence mentionnée aux trois points précédents qu’une juridiction telle que le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) est tenue d’écarter toute disposition nationale qui lui impose, lorsqu’elle se prononce sur les faits dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, de se dessaisir de l’affaire sous peine d’annulation de la décision à intervenir sur le fond.

35      Pour les mêmes considérations, tout organe appelé à contrôler la décision qu’une juridiction a adoptée après avoir obtenu une réponse de la Cour dans le cadre de la procédure de l’article 267 TFUE est lui-même tenu d’écarter des dispositions telles que celles mentionnées au point précédent et, partant, de s’abstenir d’annuler cette décision au seul motif que la juridiction concernée a adressé une demande de décision préjudicielle à la Cour en violation desdites dispositions.

36      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux trois premières questions que l’article 267 TFUE et l’article 94, premier alinéa, sous a), du règlement de procédure, lus à la lumière de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle nationale qui impose aux juridictions statuant en matière pénale, lorsqu’elles se prononcent sur les faits dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour, de se dessaisir de l’affaire sous peine d’annulation de la décision à intervenir sur le fond. Une telle règle doit être écartée par ces juridictions ainsi que par tout organe habilité à l’appliquer.

 Sur la quatrième question

37      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18 TFUE, l’article 21, paragraphe 2, de la Charte ainsi que l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre imposant à une juridiction qui saisit la Cour d’une demande de décision préjudicielle de transmettre une copie de cette demande à l’autorité chargée d’assurer la représentation de cet État membre devant la Cour.

38      À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui prévoit que la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale et que cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour, entre autres, et selon le cas, aux parties en cause, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’à d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ne comporte aucune indication relative à d’autres mesures d’information susceptibles d’être prises par la juridiction nationale dans le cadre de sa décision de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel (arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 27).

39      En outre, il y a lieu de constater que l’obligation faite aux juridictions de l’État membre concerné de transmettre une copie des demandes de décision préjudicielles adressées à la Cour à l’autorité chargée d’assurer la représentation de cet État membre devant la Cour ne constitue pas une condition d’un tel renvoi. Ainsi, cette obligation ne saurait avoir d’incidence sur le droit des juridictions de l’État membre concerné d’introduire une demande de décision préjudicielle ni porter atteinte aux prérogatives qui sont conférées à celles-ci en vertu de l’article 267 TFUE. Il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour qu’une éventuelle violation de cette obligation d’information emporterait des conséquences juridiques susceptibles d’empiéter sur la procédure prévue à l’article 267 TFUE ou risquerait de dissuader les juridictions nationales de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel. Dès lors, il n’apparaît pas qu’une telle obligation puisse être considérée comme une ingérence dans le mécanisme de dialogue juridictionnel instauré à l’article 267 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, points 31 à 34).

40      En second lieu, il importe de rappeler que l’article 267 TFUE institue une procédure non contentieuse, qui revêt le caractère d’un incident soulevé au cours d’un litige pendant devant la juridiction nationale, les parties au principal, de même que les États membres et les institutions, organes et organismes de l’Union visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, étant seulement invités à se faire entendre dans le cadre juridique tracé par ladite juridiction. Dans ce contexte, la Cour a relevé que, par les expressions « parties en cause » et « parties », l’article 23, paragraphes 1 et 2, de ce statut vise celles qui ont cette qualité dans le litige pendant devant la juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 31 et jurisprudence citée).

41      Dans ces conditions, il convient de relever que les mémoires ou observations écrites soumis à la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle ne relèvent pas d’une procédure contradictoire dans laquelle les différents participants seraient amenés à répondre aux arguments des uns et des autres. Au contraire, ces mémoires et observations, qui ne lient aucunement la Cour, ont pour seule fonction de faire connaître la position de leur auteur en vue d’éclairer la Cour et de soumettre à celle-ci des indications sur la base desquelles elle pourra fournir au juge national des réponses utiles de nature à permettre à ce dernier de statuer dans le litige concret dont il est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2021, Szpital Kliniczny im. dra J. Babińskiego Samodzielny Publiczny Zakład Opieki Zdrowotnej w Krakowie, C‑16/19, EU:C:2021:64, point 38 et jurisprudence citée).

42      La coopération, inhérente à la procédure préjudicielle, n’est pas limitée, ainsi qu’il a été rappelé au point 20 de la présente ordonnance, aux rapports entre la juridiction nationale et la Cour, mais s’étend également aux rapports entre la Cour et les personnes physiques et morales habilitées à déposer des mémoires ou des observations écrites en vertu de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Dès lors, il ne saurait être considéré que le prétendu avantage temporel qui pourrait résulter, pour l’État membre dont relève la juridiction à l’origine d’une demande de décision préjudicielle, d’une obligation telle que celle visée au point 37 de la présente ordonnance puisse constituer une atteinte au principe de non-discrimination fondé sur la nationalité.

43      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 18 TFUE, l’article 21, paragraphe 2, de la Charte ainsi que l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre imposant à une juridiction qui saisit la Cour d’une demande de décision préjudicielle, de transmettre une copie de cette demande à l’autorité chargée d’assurer la représentation de cet État membre devant la Cour.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 267 TFUE et l’article 94, premier alinéa, sous a), du règlement de procédure de la Cour, lus à la lumière de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle nationale qui impose aux juridictions statuant en matière pénale, lorsqu’elles se prononcent sur les faits dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour, de se dessaisir de l’affaire sous peine d’annulation de la décision à intervenir sur le fond. Une telle règle doit être écartée par ces juridictions ainsi que par tout organe habilité à l’appliquer.

2)      L’article 18 TFUE, l’article 21, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux ainsi que l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre imposant à une juridiction qui saisit la Cour d’une demande de décision préjudicielle, de transmettre une copie de cette demande à l’autorité chargée d’assurer la représentation de cet État membre devant la Cour.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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