EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62022TJ0209

Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 17 juillet 2024.
Shahla Makhlouf contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Responsabilité non contractuelle.
Affaire T-209/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2024:498

Affaire T209/22

Shahla Makhlouf

contre

Conseil de l’Union européenne

 Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 17 juillet 2024

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Responsabilité non contractuelle »

1.      Procédure juridictionnelle – Décision ou règlement remplaçant en cours d’instance l’acte attaqué – Demande d’adaptation de la requête – Conditions

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 86, § 1)

(voir points 25, 29)

2.      Union européenne – Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Portée du contrôle – Preuve du bien-fondé de la mesure – Obligation de l’autorité compétente de l’Union d’établir, en cas de contestation, le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre des personnes ou des entités concernées

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par les décisions (PESC) 2022/242 et (PESC) 2023/1035, annexe ; règlements du Conseil no 36/2012, 2022/237 et 2023/1027]

(voir points 36-42)

3.      Union européenne – Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Portée du contrôle – Inscription du requérant sur la liste annexée à la décision attaquée du fait de son appartenance aux familles Assad ou Makhlouf – Documents accessibles au public – Valeur probante

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par les décisions (PESC) 2022/242 et (PESC) 2023/1035, annexe ; règlements du Conseil no 36/2012, 2022/237 et 2023/1027]

(voir points 43, 46, 47)

4.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Syrie – Décision 2013/255/PESC et règlement no 36/2012 – Présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie et des membres des familles Assad ou Makhlouf – Admissibilité – Conditions

[Décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836, art. 27, § 1 et § 2, a) et b), et 28, § 1 et § 2 ; règlements du Conseil no 36/2012 et 2015/1828, art. 15, § 1, a), et 1 bis, b)]

(voir points 49-52, 54)

5.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Syrie – Décision 2013/255/PESC et règlement no 36/2012 – Présomption de soutien au régime syrien à l’encontre des membres des familles Assad ou Makhlouf – Admissibilité – Conditions – Présomption réfragable – Preuve contraire – Erreur d’appréciation

[Décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836, art. 27, § 1 à 3, et 28, § 1 à 3 ; règlements du Conseil no 36/2012 et 2015/1828, art. 15, § 1, a), 1 bis, b), et 1 ter]

(voir points 53, 55-58, 60, 63, 67, 69, 72, 73, 76, 77)

6.      Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illicéité – Préjudice – Lien de causalité – Conditions cumulatives

(Art. 340, 2e al., TFUE)

(voir point 87)

7.      Responsabilité non contractuelle – Conditions – Violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union – Marge d’appréciation de l’institution lors de l’adoption de l’acte – Appréciation de l’illégalité de l’acte ou du comportement de l’institution – Nécessité de prise en compte d’éléments contextuels et temporels – Existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union – Absence

[Art. 340, 2e al., TFUE ; décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par les décisions (PESC) 2022/242 et (PESC) 2023/1035, annexe ; règlements du Conseil no 36/2012, 2022/237 et 2023/1027]

(voir points 90-93, 99-102)

8.      Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illégalité – Violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union – Exigence d’une méconnaissance manifeste et grave par les institutions des limites de leur pouvoir d’appréciation – Mesures de gel des fonds – Appréciation de la légalité du comportement des institutions – Preuve – Sources d’information de caractère public – Violation suffisamment caractérisée des conditions matérielles d’inscription sur les listes – Absence

[Art. 340, 2e al., TFUE ; décision du Conseil 2013/255/PESC, telle que modifiée par les décisions (PESC) 2022/242 et (PESC) 2023/1035, annexe ; règlements du Conseil no 36/2012, 2022/237 et 2023/1027]

(voir points 96, 97)

Résumé

Par son arrêt, le Tribunal annule les mesures restrictives adoptées par le Conseil de l’Union européenne contre Mme Shahla Makhlouf en précisant, notamment, la portée du critère de l’appartenance familiale établi par la décision 2013/255 (1) concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et les règles relatives à la charge de la preuve et au renversement de la présomption établie par cette décision.

Mme Shahla Makhlouf est l’une des filles de M. Mohammed Makhlouf, un homme d’affaires de nationalité syrienne, décédé le 12 septembre 2020, dont le nom avait été inscrit sur les listes des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie par le Conseil en 2011 (2).

Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes en cause le 21 février 2022 (3), au motif suivant : « [f]ille de Mohammed Makhlouf et membre de la famille Makhlouf ». Cette inscription était fondée sur le critère de l’appartenance aux familles Assad et Makhlouf établi par l’article 27, paragraphe 2, sous b), et par l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi que par l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012 (4), tel que modifié par le règlement 2015/1828. À cette fin, le Conseil s’était appuyé sur la décision d’ouverture de la succession de M. Mohammed Makhlouf émanant d’un juge syrien en date du 27 septembre 2020, laquelle n’était pas contestée par la requérante, héritière du défunt. L’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses a été maintenue, notamment, le 25 mai 2023 (5).

Appréciation du Tribunal

Selon la requérante, le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf ne devrait pas justifier l’adoption de mesures restrictives à son encontre. À cet égard, le Tribunal relève, tout d’abord, que les critères d’inscription spécifiques à l’égard des différentes catégories de personnes visées par la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836 (6), sont autonomes par rapport au critère général d’association avec le régime syrien défini par cette décision (7). Ainsi, le simple fait d’appartenir à l’une des catégories de personnes en cause suffit pour permettre de prendre les mesures restrictives en question, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du soutien que les personnes concernées apporteraient au régime syrien en place ou du bénéfice qu’elles en tireraient. Le Tribunal en a déduit que le critère de l’appartenance familiale pose un critère objectif, autonome et suffisant pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des « membres de [la] famille […] Makhlouf ». Cependant, les personnes en cause ne doivent pas être inscrites sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas associées au régime syrien, qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas liées à un risque réel de contournement des mesures restrictives (8). Le Tribunal rappelle à cet égard que c’est à la requérante qu’il incombait, dans le cadre d’une contestation des actes attaqués, d’apporter des preuves afin de renverser la présomption réfragable de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

La requérante indique, en l’espèce, qu’étant issue d’un mariage qui n’a duré que quelques mois entre sa mère et M. Mohammed Makhlouf, et que n’ayant jamais vécu en Syrie et ayant passé son enfance avec sa mère au Liban, elle n’a que très peu fréquenté son père. Elle précise également qu’elle a acquis la nationalité américaine après avoir émigré aux États-Unis en 1990, où elle a suivi un cursus d’enseignement supérieur, et qu’elle y réside désormais avec son époux et ses enfants. Elle produit un ensemble de documents à l’appui de ses déclarations qui, selon le Tribunal, corroborent ces dernières, le centre des intérêts de la requérante se trouvant désormais aux États-Unis. Le Tribunal constate également que l’avis de décès de M. Mohammed Makhlouf, qui mentionne les noms des cinq fils et de deux filles du défunt, ne mentionne, ainsi qu’il est d’usage, ni celui de la requérante ni celui de sa mère comme ancienne épouse du défunt. Il juge dès lors que les éléments produits par la requérante revêtent un caractère concordant et crédible et que, pris dans leur ensemble, ils étayent à suffisance de droit ses affirmations quant à son éloignement de la famille Makhlouf. Ainsi, lesdits éléments constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants de l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, de l’absence d’influence sur ledit régime ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives. Il en découle que la requérante doit, à cet égard, être considérée comme ayant valablement renversé la présomption de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

Le Tribunal conclut, en conséquence, que les actes attaqués sont entachés d’une erreur d’appréciation et prononce leur annulation en tant que


1      Décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75).


2      Voir décision d’exécution 2011/488/PESC du Conseil, du 1er août 2011, mettant en œuvre la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 199, p. 74) et par le règlement d’exécution (UE) no 755/2011 du Conseil, du 1er août 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) no 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 199, p. 33). Le nom de M. Mohammed Makhlouf a été retiré desdites listes par la décision d’exécution (PESC) 2022/306 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC (JO 2022, L 46, p. 95) et par le règlement d’exécution (UE) 2022/299 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 (JO 2022, L 46, p. 1).


3      Décision d’exécution (PESC) 2022/242 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2022, L 40, p. 26) et règlement d’exécution (UE) 2022/237 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 40, p. 6).


4      Règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).


5      Décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255 (JO 2023, L 139, p. 49) et règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139, p. 1).


6      Voir article 27, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.


7      Voir article 27, paragraphe 1, et article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.


8      Voir article 27, paragraphe 3, et article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

Top