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Document 62022CJ0459
Judgment of the Court (Sixth Chamber) of 16 November 2023.#European Commission v Kingdom of the Netherlands.#Failure of a Member State to fulfil obligations – Article 258 TFEU – Free movement of workers – Freedom to provide services – Free movement of capital – Articles 45, 56 and 63 TFEU – Conditions for transfer of the value of pension rights – Supplementary pension accumulated via the employer – National pension insurance organisations and foreign pension insurance organisations – Discrimination.#Case C-459/22.
A Bíróság ítélete (hatodik tanács), 2023. november 16.
Európai Bizottság kontra Holland Királyság.
C-459/22. sz. ügy.
A Bíróság ítélete (hatodik tanács), 2023. november 16.
Európai Bizottság kontra Holland Királyság.
C-459/22. sz. ügy.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:878
ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
16 novembre 2023 (*)
« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Libre prestation de services – Libre circulation des capitaux – Articles 45, 56 et 63 TFUE – Conditions de transfert de la valeur des droits à pension – Retraite complémentaire constituée par l’intermédiaire de l’employeur – Organismes d’assurance retraite nationaux et organismes d’assurance retraite étrangers – Discrimination »
Dans l’affaire C‑459/22,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 8 juillet 2022,
Commission européenne, représentée par M. W. Roels, en qualité d’agent,
partie requérante,
contre
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et P. P. Huurnink, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. P. G. Xuereb (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 19a, paragraphe 1, sous d), et à l’article 19b, paragraphes 1 et 2, de la Wet op de loonbelasting 1964 (loi de 1964 relative à l’impôt sur les rémunérations), dans sa version applicable au présent recours (ci-après la « loi relative à l’impôt sur les rémunérations »), (ci-après la « loi relative à l’impôt sur les rémunérations »), à l’article 40c de l’Uitvoeringsregeling invorderingswet (arrêté d’exécution de la loi sur le recouvrement des impôts), à l’article 10d, paragraphe 3, de l’Uitvoeringsbesluit Loonbelasting 1965 (arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations de 1965) ainsi qu’à l’annexe IV du Besluit Loonheffingen, inkomstenbelasting, internationale aspecten van pensioenen en stamrechten (arrêté sur les prélèvements sur les salaires, l’impôt sur les revenus, les aspects internationaux des pensions et des droits à des versements périodiques), du 9 octobre 2015 (Stcrt. 2015, no 36798, ci-après l’« arrêté »), le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45, 56 et 63 TFUE.
Le cadre juridique
2 L’article 19a de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations prévoit :
« 1. Peut agir en qualité d’assureur d’une pension [...] :
[...]
d. un fonds de pension ou un organisme habilité à exercer l’activité d’assurance [...] et qui s’est engagé à l’égard de notre ministre ;
[...]
2° de constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt dû [...] ou que le travailleur ou l’ancien travailleur s’est engagé à constituer cette garantie. »
3 L’article 19b, paragraphe 1, sous b), de cette loi dispose :
« Dans le cas où, à tout moment :
[...]
b. un droit au titre d’un régime de pension est racheté [...]
[...]
le droit est considéré, à la date qui précède immédiatement, comme une rémunération résultant d’un emploi antérieur du travailleur ou de l’ancien travailleur ou, si celui-ci est décédé, de l’ayant droit. »
4 L’article 19b, paragraphe 2, de ladite loi énonce :
« En cas de transfert total ou partiel d’une obligation au titre d’un régime de pension à un autre assureur, le droit au titre de ce régime est considéré comme racheté. La première phrase ne s’applique pas lorsque l’obligation découlant d’un régime de pension est transférée en tout ou en partie à un assureur visé à l’article 19a, paragraphe 1, sous a), b) ou d), à condition que ce transfert ne soit pas contraire aux dispositions des articles 70 à 91 de la loi sur les pensions ou en vertu de celles-ci. »
5 L’article 19b, paragraphe 6, de la même loi dispose :
« Notre ministre peut, si nécessaire, dans les conditions qu’il fixe, prévoir que le paragraphe 2, première phrase, ne s’applique pas lorsque l’obligation au titre d’un régime de pension est transférée à un fonds de pension ou à un organisme exerçant l’activité d’assurance qui n’est pas établi aux Pays-Bas [...] en vue d’acquérir des droits au titre d’un régime de pension dans le cadre de l’acceptation d’un emploi en dehors des Pays-Bas. [...] »
6 La section 3.3.1 de l’arrêté énonce :
« En vertu de l’article 19b, paragraphe 6, de la [loi relative à l’impôt sur les rémunérations], j’ai le pouvoir [...] de consentir à ce qu’un transfert de valeur à un organisme d’assurance étranger soit effectué sans prélèvement sur salaire. Les conditions et modalités figurant à l’annexe IV du présent arrêté s’appliquent. »
7 Aux termes de l’annexe IV de cet arrêté :
« Dans le cas d’un transfert visé à la section 3.3.1 de l’arrêté, les conditions suivantes s’appliquent :
[...]
h. Prise en charge de responsabilité [Voir] article 44b, cinquième alinéa, de la Invorderingswet 1990 (loi de 1990 sur le recouvrement des impôts)
L’organisme d’assurance retraite acquérant conclut un accord avec le receveur. Dans cet accord, l’organisme accepte de prendre en charge l’impôt et les intérêts de régularisation dus par le travailleur bénéficiaire au titre des faits générateurs visés à l’article 44b, paragraphe 1, de la loi de 1990 sur le recouvrement des impôts. Voir l’article 44b, cinquième alinéa, de la loi de 1990 sur le recouvrement des impôts [...]
La condition précédente cesse de s’appliquer si l’une des situations suivantes se présente :
1. L’organisme d’assurance retraite transférant déclare par écrit au receveur qu’il assume la responsabilité au titre de l’article 44b de la loi de 1990 sur le recouvrement des impôts après le transfert de valeur.
2. Le travailleur a constitué une garantie suffisante. »
8 L’article 40c de l’arrêté d’exécution de la loi sur le recouvrement des impôts dispose :
« 1. En cas de transfert [...] d’une obligation au titre d’un régime de retraite à un fonds de pension ou à un organisme qui exerce l’activité d’assurance qui n’est pas établi aux Pays-Bas, le receveur peut, dans les conditions qu’il détermine, adresser à l’assureur assujetti en vertu de l’article 44b, paragraphe 1, de la loi [de 1990 sur le recouvrement des impôts] une déclaration écrite indiquant de manière irrévocable que la responsabilité ne s’applique plus à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les rémunérations visés à cet article ainsi qu’aux intérêts de régularisation.
2. Le receveur délivre la déclaration visée au paragraphe 1 à la demande écrite de l’assureur assujetti [...], à condition que le fonds de pension ou l’organisme non établi aux Pays-Bas, auquel l’obligation de pension a été transférée, se porte garant, par contrat, du paiement de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les rémunérations et les revenus visés [...] ainsi que des intérêts de régularisation.
3. Les paragraphes précédents s’appliquent mutatis mutandis si le preneur d’assurance ou l’ayant droit a constitué une garantie suffisante. »
9 L’article 10d de l’arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations de 1965 énonce :
« 1. Notre ministre peut désigner comme assureur d’une pension au sens de l’article 19a, paragraphe 1, sous d), de la [loi relative à l’impôt sur les rémunérations] un assureur qui, en vertu de la loi sur le contrôle financier, est autorisé à fournir des services aux Pays-Bas.
2. Notre ministre peut désigner comme fonds de pension au sens de l’article 19a, paragraphe 1, sous d), de la [loi relative à l’impôt sur les rémunérations], un organisme qui, en vertu de la législation de l’État dans lequel il a son siège, est autorisé à administrer des fonds aux fins d’assurer des droits au titre d’un régime de pension pour au moins 100 travailleurs ou anciens travailleurs et qui conclut des accords relatifs à ces droits à partir d’un établissement situé en dehors des Pays-Bas.
3. Avant qu’il ne soit procédé à une désignation, l’assureur ou le fonds de pension doit s’engager, à l’égard de notre ministre, dans les conditions qu’il détermine, à fournir des informations sur l’exécution des régimes de pension, en ce qui concerne les créances assurées ou à assurer auprès de cet assureur ou de ce fonds au titre d’un régime de pension visé à l’article 18 de la [loi relative à l’impôt sur les rémunérations], et à constituer à l’égard du receveur une garantie exécutoire aux Pays-Bas aux fins du recouvrement de l’impôt qui pourrait être dû en application de l’article 19b de la [loi relative à l’impôt sur les rémunérations]. Par dérogation à la première phrase, un assureur ou un fonds de pension établi dans l’un des États membres de l’Union européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen [, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)], désigné par arrêté ministériel, n’est pas tenu de constituer une garantie exécutoire aux Pays-Bas si cet assureur ou ce fonds de pension, dans les conditions fixées par notre ministre, accepte, en vertu d’un accord conclu avec le receveur, la responsabilité de l’impôt visé dans cette phrase.
[...] »
La procédure précontentieuse
10 Le 28 février 2008, la Commission a adressé au Royaume des Pays-Bas une lettre de mise en demeure dans laquelle elle a estimé que certaines dispositions nationales relatives aux conditions auxquelles doivent répondre les transferts sortants de capital de retraite effectués par les travailleurs migrants étaient incompatibles avec les articles 21, 45, 49, 56 et 63 TFUE.
11 Le 25 avril 2008, le Royaume des Pays-Bas a répondu à ladite lettre de mise en demeure, en faisant valoir que la réglementation nationale en cause n’est pas incompatible avec les libertés garanties par le traité FUE.
12 Le 22 novembre 2012, la Commission a adressé au Royaume des Pays-Bas un avis motivé, auquel cet État membre a répondu, par lettre du 18 février 2013, qu’il ne partageait pas l’avis de la Commission et que la réglementation nationale demeurait inchangée.
13 Le 28 novembre 2019, la Commission a adressé au Royaume des Pays-Bas un avis motivé complémentaire, auquel cet État membre a répondu le 27 janvier 2020 en maintenant sa position.
14 Le 8 juillet 2022, n’étant pas convaincue par les observations formulées par le Royaume des Pays-Bas, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur les libertés en cause
15 Par son recours, la Commission estime que le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45, 56 et 63 TFUE en adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 19a, paragraphe 1, sous d), et à l’article 19b, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations, à l’article 40c de l’arrêté d’exécution de la loi sur le recouvrement des impôts, à l’article 10d, paragraphe 3, de l’arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations de 1965 ainsi qu’à l’annexe IV de l’arrêté, en vertu desquels l’organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas doit constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à pension éventuellement dû par les travailleurs qui acceptent un travail dans cet autre État membre et qui souhaitent y transférer la valeur de leurs droits à pension ou, à défaut, doit répondre de cet impôt éventuellement dû ou offrir la possibilité à ces travailleurs de constituer une garantie suffisante.
16 Il convient donc d’examiner si, comme le fait valoir la Commission, la réglementation nationale en cause se rapporte à la libre prestation de services ainsi qu’à la libre circulation des travailleurs et des capitaux ou si ledit grief de la Commission doit, comme l’estime le Royaume des Pays-Bas, être examiné uniquement au regard de la libre circulation des travailleurs.
17 En effet, selon cet État membre, le présent recours porte sur les mesures néerlandaises qui régissent une situation transfrontalière dans laquelle des travailleurs se déplacent dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et y acceptent un nouvel emploi. L’objectif de ces mesures serait de protéger la pension des travailleurs migrants qui souhaiteraient transférer la valeur de leurs droits à pension acquis aux Pays-Bas à un organisme d’assurance retraite établi dans cet autre État membre. Lesdites mesures seraient donc liées à la libre circulation des travailleurs, les autres libertés invoquées par la Commission étant accessoires.
18 À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à plusieurs des libertés de circulation garanties par les traités, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces libertés s’il s’avère, au regard de l’objet de cette mesure, que les autres sont tout à fait secondaires par rapport à celle-ci et peuvent lui être rattachées [arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale), C‑788/19, EU:C:2022:55, point 11 et jurisprudence citée].
19 La réglementation nationale en cause dans la présente affaire porte sur les situations dans lesquelles les travailleurs qui ont constitué auprès d’un organisme d’assurance retraite aux Pays-Bas un capital retraite souhaitent transférer la valeur de leurs droits à pension dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas lorsqu’ils y acceptent un nouvel emploi, et sur les conditions que doivent remplir les organismes d’assurance retraite auprès desquels est transférée la valeur desdits droits à pension ou les travailleurs en question afin qu’un tel transfert ne soit pas imposé.
20 Une telle réglementation, qui vise, de manière générale, le transfert de la valeur des droits à pension acquis par des travailleurs qui se déplacent dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, relève du champ d’application de la liberté de circulation des travailleurs. Bien qu’elle soit également susceptible d’affecter la libre prestation de services et la liberté de circulation des capitaux, ces libertés apparaissent, toutefois, secondaires par rapport à la liberté de circulation des travailleurs, à laquelle elles peuvent être rattachées. En effet, c’est précisément l’exercice de cette dernière liberté qui entraîne, pour le travailleur, la nécessité de choisir un organisme d’assurance retraite et de transférer, le cas échéant, la valeur de ses droits à pension.
21 Il s’ensuit que le grief soulevé par la Commission, mentionné au point 15 du présent arrêt, doit être examiné au regard de la liberté de circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE.
Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des travailleurs
Argumentation des parties
22 La Commission fait valoir que les conditions fixées par la réglementation nationale en cause, selon lesquelles le transfert de la valeur des droits à pension d’un organisme d’assurance retraite à un autre organisme d’assurance retraite n’est possible que si le nouvel organisme fournit une garantie pour le recouvrement de l’impôt néerlandais sur ce transfert éventuellement dû ou, à défaut, accepte d’endosser la responsabilité d’un tel impôt, à défaut de quoi ce transfert est imposé, constituent une entrave à la libre circulation des travailleurs. De telles conditions, bien qu’applicables lors d’un transfert de la valeur de droits à pension tant vers un organisme d’assurance retraite néerlandais que vers un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, ont pour effet de défavoriser les travailleurs migrants. En effet, lorsque les travailleurs acceptent un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et décident d’y transférer la valeur de leurs droits à pension, l’organisme d’assurance retraite établi dans cet autre État membre n’a pas, dans une telle situation, pour objectif d’être actif sur le marché néerlandais de la constitution des retraites complémentaires par l’intermédiaire de l’employeur, de sorte que cet organisme ne sera donc pas, a priori, familiarisé avec la réglementation fiscale néerlandaise applicable dans ce domaine et sera peu enclin à constituer une garantie ou à endosser la responsabilité de l’impôt dû.
23 En outre, la Commission indique que la possibilité offerte aux travailleurs migrants de constituer une garantie auprès de l’administration fiscale néerlandaise aux fins du recouvrement de l’impôt dû en cas de transfert de la valeur des droits à pension à un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas n’a pas pour effet d’exclure l’obligation de faire assumer la responsabilité de l’impôt dû aux organismes d’assurance retraite établis dans cet autre État membre. À cet égard, la Commission rappelle que les travailleurs demeurant sur le territoire du Royaume des Pays-Bas ne sont jamais confrontés à une situation où les organismes d’assurance retraite situés dans cet État membre refusent de constituer une garantie ou de prendre en charge la responsabilité de l’impôt éventuellement dû, la possibilité pour les travailleurs de constituer une garantie ne se présentant donc que lorsque ceux-ci acceptent un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et décident d’y transférer la valeur de leurs droits à pension.
24 Le Royaume des Pays-Bas estime, tout d’abord, que la réglementation nationale en cause ne prévoit pas d’obligation pour un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas de constituer une garantie pour l’impôt, portant sur le transfert de la valeur des droits à pension, éventuellement dû par le travailleur lorsque celui-ci accepte un emploi dans cet autre État membre et y transfère la valeur de ses droits à pension. En effet, l’obligation pour un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas de constituer une garantie auprès de l’administration fiscale néerlandaise pour le recouvrement de l’impôt néerlandais n’est prévue par la réglementation néerlandaise que lorsque cet organisme souhaite offrir ses services sur le marché néerlandais. Ainsi, la responsabilité que l’organisme d’assurance retraite étranger doit endosser est moins contraignante que la garantie que cette institution devrait constituer. Cette responsabilité confère, le cas échéant, à l’administration fiscale néerlandaise le droit, à l’égard de l’organisme d’assurance retraite, au paiement de la dette fiscale si le travailleur reste en défaut de l’acquitter. Cet organisme conserve donc le pouvoir de disposer à son gré de ce patrimoine contrairement à la situation dans laquelle une garantie serait constituée.
25 Ensuite, la réglementation nationale en cause n’établirait pas de différence de traitement fiscal entre les travailleurs demeurant sur le territoire du Royaume des Pays-Bas qui souhaitent transférer la valeur de leurs droits à pension à un autre organisme d’assurance retraite situé dans cet État membre et ceux qui souhaitent transférer une telle valeur à un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas dès lors qu’ils acceptent un emploi dans cet autre État. Or, selon le Royaume des Pays-Bas, seule une mesure discriminatoire peut être qualifiée de restriction à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE.
26 Enfin, cet État membre soutient que la situation interne et la situation transfrontalière sont comparables dans la présente affaire. En effet, l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause est de garantir que les conditions applicables lors d’un transfert de la valeur des droits à pension soient respectées. Ainsi, les organismes d’assurance retraite situés dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et les organismes d’assurance retraite néerlandais se trouveraient dans la même situation.
Appréciation de la Cour
27 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, concernant l’argument du Royaume des Pays-Bas selon lequel il n’existe pas d’obligation pour l’organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas de constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à pension, éventuellement dû par un travailleur qui accepte un emploi dans cet autre État membre et y transfère la valeur de ses droits à pension, rien dans la réglementation nationale en cause ne laisse accroire qu’une telle obligation n’est pas prévue et que la seule obligation pesant sur cet organisme est de répondre de l’impôt éventuellement dû. Partant, il convient de considérer que le présent recours porte également sur la constitution d’une telle garantie.
28 Il importe de rappeler, d’emblée, qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, bien que la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union (arrêt du 24 octobre 2019, État belge, C‑35/19, EU:C:2019:894, point 31).
29 Il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’ensemble des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre [arrêts du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 37, et du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 23 ainsi que jurisprudence citée].
30 En conséquence, l’article 45 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté fondamentale garantie par cet article [arrêt du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 24 et jurisprudence citée].
31 L’article 45 TFUE s’oppose, notamment, aux mesures qui, tout en étant indistinctement applicables selon la nationalité, sont susceptibles, par leur nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et risquent, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (arrêt du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 39 et jurisprudence citée).
32 Il convient donc d’examiner si un travailleur qui accepte un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et qui souhaite transférer la valeur de ses droits à pension dans cet autre État est défavorisé par rapport à un travailleur qui travaillerait aux Pays-Bas, qui y changerait d’emploi et qui transfèrerait la valeur de ses droits à pension à un autre organisme d’assurance retraite établi aux Pays-Bas, toutes choses étant égales par ailleurs.
33 À cet égard, il convient de relever que les travailleurs ayant exercé une activité professionnelle dans un État membre et qui, par la suite, occupent un emploi dans un autre État membre ont, en principe, souscrit leur plan de retraite complémentaire constitué par l’intermédiaire de l’employeur auprès d’organismes d’assurance retraite établis dans le premier État. Or, dans une telle situation, l’application des dispositions nationales en cause porte préjudice à ces travailleurs.
34 En effet, la réglementation nationale en cause, bien qu’indistinctement applicable aux transferts de la valeur des droits à pension à un organisme d’assurance retraite situé sur le territoire du Royaume des Pays-Bas ou dans un autre État membre est de nature à dissuader le travailleur d’occuper un nouvel emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas.
35 Plus spécifiquement, ainsi que le soutient la Commission, la condition que l’organisme concerné fournisse une garantie pour le recouvrement de l’impôt néerlandais éventuellement dû ou, à défaut, endosse la responsabilité d’un tel impôt, impose aux organismes d’assurance retraite établis dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, qui n’opèrent pas sur le marché néerlandais mais qui se contentent d’offrir des services aux travailleurs migrants qui font usage de leur liberté de circulation afin d’accepter un emploi dans cet autre État membre, une connaissance approfondie du système fiscal néerlandais, sans quoi il leur sera difficile d’accepter de constituer une garantie ou d’assumer la responsabilité de l’éventuel impôt dû par ces travailleurs. Or, il ne saurait être attendu des organismes d’assurance retraite établis dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et qui n’opèrent pas sur le marché néerlandais qu’ils connaissent les règles néerlandaises en matière fiscale ou de retraite ou qu’ils assument une telle responsabilité.
36 Si l’organisme d’assurance retraite choisi par le travailleur n’assume aucune responsabilité, la constitution d’une telle garantie est exigée auprès du travailleur migrant. Or, le Royaume des Pays-Bas confirme, dans le cadre du présent recours, qu’un travailleur employé aux Pays-Bas ne se trouvera jamais dans une situation où l’organisme d’assurance retraite situé dans cet État refuse d’endosser la responsabilité de l’impôt dû. Ainsi, il y a lieu de constater que seul le travailleur migrant qui souhaite transférer la valeur de ses droits à pension à un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas est susceptible de se trouver dans la situation où il devra fournir une garantie.
37 Il y a également lieu de préciser, s’agissant de la constitution de garanties par un organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas ou par le travailleur migrant, que la Cour a déjà jugé que ces garanties comportent en elles-mêmes un effet restrictif, dans la mesure où elles privent le garant de la jouissance du patrimoine donné en garantie (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C‑9/02, EU:C:2004:138, point 47). Partant, une telle exigence de constitution de garantie ne saurait être requise par principe sans une évaluation préalable du risque de non-recouvrement de l’impôt dû (arrêt du 23 janvier 2014, DMC, C‑164/12, EU:C:2014:20, point 67). Or, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour qu’un tel risque ait été évalué.
38 Il ressort de ce qui précède que les travailleurs qui demandent le transfert de la valeur de leurs droits à pension entre deux organismes d’assurance retraite néerlandais ne sont, en pratique, pas confrontés au refus de constituer une garantie ou de prendre en charge la responsabilité pour l’impôt dû et, par conséquent, ne sont pas soumis à une imposition, tandis que les travailleurs migrants qui demandent un tel transfert entre un organisme d’assurance retraite néerlandais et un organisme d’assurance retraite établi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas peuvent y être confrontés et, par conséquent, être soumis à l’imposition.
39 Par conséquent, un travailleur qui décide d’accepter un emploi dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas et d’y transférer la valeur de ses droits à pension sera soumis, en pratique, à un traitement fiscal désavantageux par rapport à celui dont bénéficie un travailleur qui maintient sa résidence et qui procède à un transfert d’une telle valeur aux Pays-Bas. Cette différence de traitement est, par conséquent, susceptible d’empêcher ou de dissuader les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour accepter un emploi dans un autre État membre et y transférer la valeur de leurs droits à pension.
40 Partant, la réglementation nationale en cause, qui subordonne l’accès des travailleurs au marché du travail dans les États membres autres que le Royaume des Pays-Bas, est susceptible de constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs, prohibée, en principe, par l’article 45 TFUE.
41 Une telle restriction ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci [arrêt du 15 juillet 2021, État belge (Perte d’avantages fiscaux dans l’État membre de résidence), C‑241/20, EU:C:2021:605, point 33 et jurisprudence citée].
Sur la justification de la restriction à la libre circulation des travailleurs
Argumentation des parties
42 Dans l’hypothèse où la réglementation nationale en cause serait considérée comme une restriction à la libre circulation des travailleurs, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que celle-ci pourrait être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général que constitue la protection sociale des travailleurs.
43 Selon cet État membre, l’objectif de cette réglementation est d’assurer aux travailleurs des prestations de retraite à vie en veillant à ce que les retraites conservent leur finalité. À cet égard, le Royaume des Pays-Bas estime que les mesures prévues par ladite réglementation sont nécessaires au regard du risque que certains travailleurs migrants, après avoir transféré la valeur de leurs droits à pension dans un État membre autre que le Royaume des Pays-Bas, émigrent finalement dans un pays tiers où ils pourraient, par exemple, racheter leurs droits à pension en une seule fois et reviennent dans l’Union, voire aux Pays-Bas.
44 En outre, le Royaume des Pays-Bas soutient que la réglementation nationale en cause est proportionnée au but poursuivi dans la mesure où, contrairement à ce qu’avance la Commission, dans le cas d’une migration ultérieure du travailleur dans un pays tiers, ni la directive 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (JO 2010, L 84, p. 1), ni aucune disposition spécifique de lutte contre la fraude permettrait de garantir le recouvrement de l’impôt dû.
45 La Commission soutient, toutefois, que les divergences de position entre les États membres quant au point de savoir ce que constitue une « bonne pension » sont inévitables et ne justifient pas de faire obstacle au respect des libertés garanties par le traité.
46 En outre, la Commission estime que la réglementation nationale en cause prévoit une règle générale applicable à tous les travailleurs migrants sans distinction alors qu’elle n’est justifiée que dans des cas exceptionnels. En effet, cette institution rappelle que le risque évoqué par le Royaume des Pays-Bas, que ces travailleurs émigrent vers un pays tiers où ils seraient susceptibles de racheter leurs droits à pension et reviennent par la suite aux Pays-Bas pour être à la charge de cet État membre, est très faible.
Appréciation de la Cour
47 Il y a lieu de rappeler que la protection sociale des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité (arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 28).
48 Par conséquent, la nécessité de garantir des prestations de retraite à vie peut être invoquée afin de justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs.
49 Toutefois, pour satisfaire aux exigences posées par le droit de l’Union, la réglementation nationale doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et ne saurait aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.
50 En imposant certaines obligations à l’organisme de retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas, auquel un travailleur qui accepte un travail dans cet autre État membre souhaite transférer la valeur de ses droits à pension, la réglementation nationale en cause ne permet pas en soi de prévenir le risque que le travailleur choisisse de recevoir sa pension en une seule fois et de garantir que le travailleur perçoive sa pension complémentaire de retraite de manière régulière au cours de sa retraite.
51 En outre, il y a lieu de constater que cette réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. En effet, dès lors que les travailleurs quittent le territoire du Royaume des Pays-Bas afin d’occuper un emploi dans un autre État membre et d’y transférer la valeur de leurs droits à pension, il appartient à cet autre État d’autoriser ou non le versement total ou partiel de la pension à ces travailleurs sous la forme d’une somme forfaitaire. En cas de perte ou de dilapidation de cette somme, il appartiendrait à cet État de supporter, le cas échéant, la charge financière liée à cette perte. Ainsi, dans un tel cas, la valeur des droits à pension serait, après transfert, constitutive non plus d’un revenu de source néerlandaise mais d’un revenu prenant sa source dans le nouvel État membre de résidence. De même, si les travailleurs migrants étaient amenés, après avoir transféré la valeur de leurs droits à pension dans un État membre autre que le Royaume des Pays-Bas, à émigrer dans un pays tiers, la question liée au transfert transfrontalier relèverait de l’État membre dans lequel cette valeur a été transférée et du pays tiers.
52 Par ailleurs, il y a lieu de relever qu’il est peu probable que de telles situations se produisent. Ainsi, la réglementation nationale en cause qui vise, de manière générale, toute situation dans laquelle un travailleur déciderait de quitter le territoire du Royaume des Pays-Bas afin de trouver un emploi dans un autre État membre et d’y transférer ses droits à pension excède largement ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection sociale des travailleurs.
53 Par conséquent, la restriction à la libre circulation des travailleurs en cause n’est pas justifiée.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 19a, paragraphe 1, sous d), et à l’article 19b, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations, à l’article 40c de l’arrêté d’exécution de la loi sur le recouvrement des impôts, à l’article 10d, paragraphe 3, de l’arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations de 1965 ainsi qu’à l’annexe IV de l’arrêté, en vertu desquels l’organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas doit constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à pension éventuellement dû par les travailleurs qui acceptent un travail dans cet autre État membre et qui souhaitent y transférer la valeur de leurs droits à pension ou, à défaut, doit répondre de cet impôt éventuellement dû ou offrir la possibilité à ces travailleurs de constituer une garantie suffisante, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE.
Sur les dépens
55 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cet État membre aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :
1) En adoptant et en maintenant en vigueur les exigences en matière de transfert de capital de retraite prévues à l’article 19a, paragraphe 1, sous d), et à l’article 19b, paragraphes 1 et 2, de la Wet op de loonbelasting 1964 (loi de 1964 relative à l’impôt sur les rémunérations), dans sa version applicable au présent recours, à l’article 40c de l’Uitvoeringsregeling invorderingswet (arrêté d’exécution de la loi sur le recouvrement des impôts), à l’article 10d, paragraphe 3, de l’Uitvoeringsbesluit Loonbelasting 1965 (arrêté d’exécution de la loi relative à l’impôt sur les rémunérations de 1965) ainsi qu’à l’annexe IV du Besluit Loonheffingen, inkomstenbelasting, internationale aspecten van pensioenen en stamrechten (arrêté sur les prélèvements sur les salaires, l’impôt sur les revenus, les aspects internationaux des pensions et des droits à des versements périodiques), du 9 octobre 2015, en vertu desquels l’organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas doit constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à pension éventuellement dû par les travailleurs qui acceptent un travail dans cet autre État membre et qui souhaitent y transférer la valeur de leurs droits à pension ou, à défaut, doit répondre de cet impôt éventuellement dû ou offrir la possibilité à ces travailleurs de constituer une garantie suffisante, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE.
2) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le néerlandais.