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Document 62017CO0540

Rješenje Suda (deseto vijeće) od 13. studenoga 2019.
Bundesrepublik Deutschland protiv Adela Hameda i Amara Omara.
Zahtjevi za prethodnu odluku koje je uputio Bundesverwaltungsgericht.
Zahtjev za prethodnu odluku – Članak 99. Poslovnika Suda – Područje slobode, sigurnosti i pravde – Zajednički postupci za priznavanje i oduzimanje međunarodne zaštite – Direktiva 2013/32/EU – Članak 33. stavak 2. točka (a) – Odbacivanje od strane tijela države članice zahtjeva za azil kao nedopuštenog zbog prethodnog priznavanja statusa izbjeglice u drugoj državi članici – Članak 4. Povelje Europske unije o temeljnim pravima – Stvarna i utvrđena opasnost od nečovječnog ili ponižavajućeg postupanja – Životni uvjeti osoba sa statusom izbjeglice u toj drugoj državi članici.
Spojeni predmeti C-540/17 i C-541/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:964

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

13 novembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 33, paragraphe 2, sous a) – Rejet par les autorités d’un État membre d’une demande d’asile comme irrecevable en raison de l’octroi préalable du statut de réfugié dans un autre État membre – Article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Risque réel et avéré de faire l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant – Conditions de vie des bénéficiaires du statut de réfugié dans cet autre État membre »

Dans les affaires jointes C‑540/17 et C‑541/17,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), par décisions du 2 août 2017, parvenues à la Cour le 15 septembre 2017, dans les procédures

Bundesrepublik Deutschland

contre

Adel Hamed (C‑540/17),

Amar Omar (C‑541/17),

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur) et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Omar, par Me M. Gajczyk, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement allemand, initialement par MM. T. Henze et R. Kanitz, puis par M. R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et C. Van Lul, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme A. Brabcová, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et E. Armoët, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Tornyai ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. C. Ladenburger et Mme M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 2, sous a), de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13), de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60, ci-après la directive procédures), et de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), d’une part, à M. Adel Hamed (affaire C‑540/17) et, d’autre part, à M. Amar Omar (affaire C‑541/17) au sujet de décisions du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) (ci-après l’« Office ») leur refusant le bénéfice du droit d’asile.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        Intitulé « Interdiction de la torture », l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), stipule :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 Le droit de l’Union 

 La Charte

4        Aux termes de l’article 1er de la Charte, intitulé « Dignité humaine » :

« La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »

5        L’article 4 de la Charte, intitulé « Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants », énonce :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 La directive qualification

6        La directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9, ci‑après la « directive qualification »), énonce, à son article 2 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire [...]

[...]

d)      “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

e)      “statut de réfugié”, la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ;

f)      “personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

g)      “statut conféré par la protection subsidiaire”, la reconnaissance, par un État membre, d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ;

h)      “demande de protection internationale”, la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la présente directive et pouvant faire l’objet d’une demande séparée ;

[...] »

7        Le chapitre III de la directive qualification fixe les conditions requises pour être considéré comme réfugié. Dans ce cadre, les articles 9 et 10 de cette directive, intitulés respectivement « Actes de persécution » et « Motifs de la persécution », énoncent les éléments devant être pris en compte pour évaluer si le demandeur d’une protection internationale a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions.

8        Le chapitre IV de la directive qualification, intitulé « Statut de réfugié », contient l’article 13 de celle-ci, lui-même intitulé « Octroi du statut de réfugié », qui énonce :

« Les États membres octroient le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III. »

9        Le chapitre VII de la directive qualification, qui contient les articles 20 à 35 de celle-ci, définit le contenu de la protection internationale.

 La directive 2005/85 et la directive procédures

10      Selon son article 1er, la directive 2005/85 avait pour objet d’établir des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié. L’article 2, sous b), de cette directive définissait la notion de « demande d’asile » comme étant la demande introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et pouvant être considérée comme une demande de protection internationale de la part d’un État membre en vertu de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)].

11      L’article 25 de ladite directive, intitulé « Demandes irrecevables », disposait :

« 1.      Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (CE) no 343/2003 [du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié [...], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.      Les États membres peuvent considérer une demande comme irrecevable en vertu du présent article lorsque :

a)      le statut de réfugié a été accordé par un autre État membre ;

[...] »

12      La directive procédures, qui a procédé à la refonte de la directive 2005/85, a pour objet, aux termes de son article 1er, d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive qualification.

13      L’article 2, sous b), de la directive procédures définit la notion de « demande de protection internationale » comme étant la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la directive qualification et pouvant faire l’objet d’une demande séparée.

14      L’article 33 de la directive procédures, intitulé « Demandes irrecevables », dispose :

« 1.      Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive [qualification], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.      Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

a)      une protection internationale a été accordée par un autre État membre ; 

[...] »

15      L’article 51, paragraphe 1, de la directive procédures énonce :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 1er à 30, à l’article 31, paragraphes 1, 2 et 6 à 9, et aux articles 32 à 46, aux articles 49 et 50 ainsi qu’à l’annexe I au plus tard le 20 juillet 2015. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »

16      Aux termes de l’article 52, premier alinéa, de cette directive :

« Les États membres appliquent les dispositions législatives, réglementaires et administratives visées à l’article 51, paragraphe 1, aux demandes de protection internationale introduites et aux procédures de retrait de la protection internationale entamées après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure. Les demandes introduites avant le 20 juillet 2015 ainsi que les procédures de retrait du statut de réfugié entamées avant cette date sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive [2005/85]. »

17      L’article 53, premier alinéa, de la directive procédures prévoit :

« La directive [2005/85] est abrogée, pour les États membres liés par la présente directive, avec effet au 21 juillet 2015, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne le délai de transposition en droit national de [cette] directive indiqué à l’annexe II, partie B. »

18      Conformément à l’article 54, premier alinéa, de la directive procédures, celle-ci est entrée en vigueur « le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne », laquelle est intervenue le 29 juin 2013.

 Le droit allemand

19      L’article 29 de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), tel que modifié, avec effet au 6 août 2016, par l’Integrationsgesetz (loi sur l’intégration), du 31 juillet 2016 (BGBl. 2016 I, p. 1939) (ci-après l’« AsylG »), est intitulé « Demandes irrecevables » et prévoit, à son paragraphe 1 :

« Une demande d’asile est irrecevable lorsque :

[...]

2.      un autre État membre de l’Union européenne a déjà accordé à l’étranger la protection internationale [...],

[...] »

20      L’article 77, paragraphe 1, de l’AsylG dispose :

« Dans les litiges régis par la présente loi, le tribunal se fonde sur la situation en fait et en droit existant au moment de la dernière audience ; s’il statue sans audience préalable, le moment déterminant est celui où la décision est rendue [...] »

21      L’article 60, paragraphe 1, du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi sur le séjour, le travail et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral, ci-après l’« Aufenthaltsgesetz »), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950), dans sa version applicable aux faits au principal, énonce :

« [U]n étranger ne peut être reconduit à la frontière d’un État dans lequel sa vie ou sa liberté est menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en va de même des bénéficiaires du droit d’asile et des étrangers qui, soit se sont vu reconnaître le statut de réfugié dans un acte non susceptible de recours, soit bénéficient, pour une autre raison, du statut de réfugiés étrangers sur le territoire fédéral, soit ont été reconnus hors du territoire fédéral comme réfugiés étrangers conformément à la convention relative au statut des réfugiés. Lorsque l’étranger invoque l’interdiction de reconduite à la frontière visée au présent paragraphe, l’[Office] détermine dans une procédure d’asile, sauf dans les cas prévus à la deuxième phrase, si les conditions de la première phrase sont réunies et si l’étranger doit se voir reconnaître le statut de réfugié. La décision de l’[Office] n’est susceptible de recours qu’au titre des dispositions de l’AsylG. »

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

22      Les défendeurs au principal sont deux ressortissants syriens qui, après avoir obtenu le statut de réfugié en Bulgarie, sont entrés en Allemagne au cours de l’année 2014 et y ont introduit une nouvelle demande d’asile.

23      Par des décisions des 24 novembre 2014 et 6 mai 2015, l’Office a rejeté ces demandes d’asile comme étant irrecevables au motif que les défendeurs au principal s’étaient déjà vu accorder le statut de réfugié, et a ordonné la reconduite de l’un d’entre eux à la frontière bulgare et averti l’autre qu’il s’exposait à une telle reconduite.

24      Par des jugements rendus respectivement le 21 juillet 2015 et le 9 février 2016, le Verwaltungsgericht Wiesbaden (tribunal administratif de Wiesbaden, Allemagne) et le Verwaltungsgericht Gießen (tribunal administratif de Giessen, Allemagne) ont rejeté les recours formés contre ces décisions.

25      Par des arrêts du 4 novembre 2016, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de Hesse, Allemagne) a annulé ces jugements et a enjoint l’Office d’ouvrir des procédures d’asile. Cette juridiction a, en effet, estimé que l’organisation de l’asile en Bulgarie présentait des défaillances systémiques pour les personnes dont le statut de réfugié a été reconnu et que, dans ces conditions, l’article 60, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz et l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG devaient faire l’objet d’une interprétation conforme au droit de l’Union et aux droits de l’homme. Or, selon ladite juridiction, il serait incohérent de refuser à un demandeur d’asile ne pouvant, en raison de telles défaillances, être renvoyé dans l’État membre qui lui a reconnu le statut de réfugié l’ouverture d’une nouvelle procédure d’asile dans un autre État membre et de l’exclure, de ce fait, des bénéfices liés à la reconnaissance du statut de réfugié.

26      La République fédérale d’Allemagne a formé des recours en Revision contre ces arrêts devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne). Elle soutient notamment que les arguments tirés des conditions de vie en Bulgarie des personnes auxquelles le statut de réfugié a été reconnu et du non-respect par cet État membre des normes minimales prévues à cet égard par le droit de l’Union doivent être pris en considération par les autorités allemandes uniquement dans le cadre de l’examen d’interdictions de reconduite à la frontière et ne justifient pas l’obligation d’accomplir de nouvelles procédures d’asile en Allemagne.

27      Le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) relève que, d’après les constatations de fait effectuées par la juridiction d’appel, le renvoi de réfugiés vers la Bulgarie est potentiellement contraire à l’article 4 de la Charte et à l’article 3 de la CEDH. En effet, les personnes auxquelles le statut de réfugié a été reconnu par cet État membre n’y auraient aucun droit à un hébergement dans un logement ni aucune chance réelle de se constituer un minimum vital. Ils ne rempliraient pas les conditions d’accès à un logement dans un logement municipal destiné aux personnes sans abri ou dans une habitation sociale. Or, dépourvus de lieu d’habitation, ils ne pourraient obtenir de certificat d’inscription, ce qui rendrait difficile l’établissement d’une pièce d’identité bulgare. En outre, ils n’auraient aucun accès aux prestations publiques ou médicales et ne pourraient exercer leurs droits. La juridiction d’appel n’ayant cependant pas porté d’appréciation en fait définitive sur l’atteinte qu’une reconduite des défendeurs au principal vers la Bulgarie porterait à l’article 4 de la Charte et à l’article 3 de la CEDH, l’affaire devrait être renvoyée devant celle-ci dans l’hypothèse où la recevabilité de la nouvelle demande d’asile devrait se déterminer à l’aune de ces dispositions.

28      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante dans chacune des affaires C-540/17 et C-541/17 :

« Le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce que, dans la mise en œuvre de l’habilitation conférée par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures] ou encore par la disposition devancière de l’article 25, paragraphe 2, sous a), de la directive [2005/85], un État membre (en l’espèce la République fédérale d’Allemagne) rejette une demande de protection internationale pour irrecevabilité en raison de la reconnaissance du statut de réfugié dans un autre État membre (en l’espèce la Bulgarie), lorsque la consistance de la protection internationale, et plus précisément les conditions d’existence des personnes qui obtiennent le statut de réfugié, ne satisfait pas, dans l’autre État membre qui a déjà accordé au demandeur une protection internationale (en l’espèce la Bulgarie), à l’article 4 de la [Charte] et à l’article 3 de la CEDH ? »

 La procédure devant la Cour

29      Par une décision du président de la Cour du 26 septembre 2017, les affaires C‑540/17 et C‑541/17 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt, les questions préjudicielles posées dans ces deux affaires étant identiques. Si, en outre, par cette même décision, ces affaires ont été, dans un premier temps, jointes à l’affaire C-517/17, Addis, provenant de la même juridiction de renvoi, cette dernière jonction a, par la suite, été levée par une décision du président de la Cour du 14 mai 2019 au motif que les questions ayant justifié ladite jonction avaient été retirées par celle-ci à la suite du prononcé de l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219), dans l’attente duquel les présentes affaires avaient été suspendues.

 Sur la question préjudicielle

30      À titre liminaire, il convient de constater qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle que, en application de l’article 77, paragraphe 1, première phrase, de l’AsylG, la juridiction de renvoi doit fonder sa décision, dans les litiges au principal, sur la situation en fait et en droit existant à la date de la dernière audience devant cette juridiction ou, en l’absence d’audience, à la date de sa décision, et, partant, sur l’article 29 de l’AsylG dans sa version en vigueur à cette date, à savoir celle ayant transposé en droit allemand l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures. Dans la mesure où la situation légale des demandeurs de protection internationale auxquels le statut de réfugié a déjà été octroyé par un autre État membre est, sous l’empire de cette dernière disposition, la même que celle qui était prévue par la disposition qu’elle a remplacée, à savoir l’article 25, paragraphe 2, sous a), de la directive 2005/85, rien ne s’oppose à son application dans les litiges au principal.

31      Dans ces conditions, il convient de comprendre la question posée dans le sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande si l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande de protection internationale comme étant irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder le statut de réfugié par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ce demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire dudit statut dans cet autre État membre l’exposeraient à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte.

32      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, décider à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

33      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans les présentes affaires.

34      Par l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 101), la Cour a jugé, notamment, que l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande d’octroi du statut de réfugié comme irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder une protection subsidiaire par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ledit demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire d’une protection subsidiaire dans cet autre État membre ne l’exposeraient pas à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte.

35      Il en résulte que, dans l’hypothèse inverse, où le demandeur serait exposé en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans l’État membre lui ayant accordé une telle protection à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, en raison des conditions de vie prévisibles qu’il y rencontrerait, l’État membre auprès duquel la nouvelle demande de protection internationale a été introduite ne saurait se fonder sur l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive « procédures » pour rejeter celle-ci comme irrecevable.

36      En effet, si, ainsi que la Cour l’a relevé aux points 83 à 94 de l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219), la seule circonstance que les conditions de vie dans l’État membre ayant accordé une protection internationale ne satisfont pas aux dispositions du chapitre VII de la directive qualification ne saurait, compte tenu de l’importance fondamentale du principe de confiance mutuelle, avoir pour conséquence de limiter l’exercice de la faculté offerte par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures lorsque n’est pas atteint le seuil de gravité de l’article 4 de la Charte, il en va autrement lorsque le système européen commun d’asile rencontre, en pratique, dans cet État membre, des difficultés majeures de fonctionnement qui seraient graves au point de dépasser ce seuil et d’exposer effectivement le demandeur à un risque sérieux d’y subir un traitement inhumain ou dégradant.

37      Dans ce contexte, il importe de rappeler que, eu égard au caractère général et absolu de l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte, qui est étroitement liée au respect de la dignité humaine et qui interdit, sans aucune possibilité de dérogation, les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes, il est indifférent, aux fins de l’application de cet article 4, que ce soit au moment même du transfert, au cours de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait un risque sérieux de subir un tel traitement (arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 87).

38      Ainsi, lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’État membre ayant déjà accordé une telle protection, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 88).

39      À cet égard, il importe également de rappeler que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances mentionnées au point précédent doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause et qui serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant (arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 89 à 91).

40      Au regard des interrogations de la juridiction de renvoi, il importe encore de préciser que la seule circonstance que le droit allemand semble prévoir une interdiction de reconduite à la frontière de l’État membre ayant reconnu la protection internationale pour le cas où le demandeur risquerait d’y subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte ainsi que la délivrance d’un permis de séjour humanitaire et l’octroi, à tout le moins partiel ou temporaire, de droits et d’avantages couvrant ses besoins élémentaires ne saurait justifier une interprétation inverse de celle retenue par l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219), et rappelée aux points 34 et 35 de la présente ordonnance.

41      En effet, la faculté offerte par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures constituant, dans le cadre de la procédure d’asile commune établie par cette directive, une expression du principe de confiance mutuelle, qui permet et impose aux États membres de présumer, dans le contexte du système européen commun d’asile, que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque État membre est conforme aux exigences de la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres, cette présomption et l’exercice de ladite faculté qui en découle ne sauraient se justifier lorsqu’il est établi que, en réalité, tel n’est pas le cas dans un État membre donné (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 83 à 86).

42      En outre, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, si le droit allemand permet une certaine protection d’un demandeur qui, en raison du risque sérieux de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte dans l’État membre lui ayant déjà reconnu le statut de réfugié, ne peut pas y être renvoyé, il ne prévoit cependant pas, en l’absence d’une nouvelle procédure d’asile, la reconnaissance de ce statut et le bénéfice des droits y afférant en Allemagne.

43      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande de protection internationale comme étant irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder le statut de réfugié par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ce demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire dudit statut dans cet autre État membre l’exposeraient à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande de protection internationale comme étant irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder le statut de réfugié par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ce demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire dudit statut dans cet autre État membre l’exposeraient à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.

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