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Dokument 62020CJ0011

Presuda Suda (šesto vijeće) od 12. svibnja 2021.
Europska komisija protiv Helenske Republike.
Povreda obveze države članice – Državne potpore – Potpora koja je proglašena nezakonitom i nespojivom s unutarnjim tržištem – Članak 108. stavak 2. drugi podstavak UFEU-a – Nepovoljni vremenski uvjeti – Gubici koje su pretrpjeli poljoprivrednici – Potpore u obliku kompenzacija – Obveza povrata – Obveza obavještavanja – Neprovedba.
Predmet C-11/20.

Oznaka ECLI: ECLI:EU:C:2021:380

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 mai 2021 (*)

« Manquement d’État – Aides d’État – Aide déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur – Article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE – Mauvaises conditions climatiques – Pertes subies par des agriculteurs – Aides de compensation – Obligation de récupération – Obligation d’information – Inexécution »

Dans l’affaire C‑11/20,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, introduit le 10 janvier 2020,

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar et T. Ramopoulos, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par Mmes E. Tsaousi, E. Leftheriotou et A. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente de la Cour, et M. N. Jääskinen, juge,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris dans les délais prescrits toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision 2012/157/UE de la Commission, du 7 décembre 2011, relative à des aides de compensation versées par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) pendant les années 2008 et 2009 (JO 2012, L 78, p. 21), et, en tout état de cause, en n’ayant pas suffisamment informé la Commission des mesures prises conformément à l’article 4 de cette décision, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 à 4 de ladite décision ainsi que du traité FUE.

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), a été abrogé par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). Toutefois, compte tenu de la date des faits, le règlement no 659/1999 demeure applicable au présent litige.

3        Le considérant 13 du règlement no 659/1999 énonçait :

« considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie ; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai ; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national ; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission ».

4        L’article 14, paragraphe 3, du règlement no 659/1999 disposait :

« Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice [de l’Union européenne] prise en application de l’article [278 TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit [de l’Union]. »

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

5        À la suite de protestations soulevées au cours du mois de janvier 2009 par un grand nombre de producteurs agricoles grecs en raison de la perte qu’ils avaient subie sur leur revenu pendant l’année 2008 résultant de mauvaises conditions climatiques, la République hellénique avait prévu le versement par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) d’aides de compensation portant sur un montant de 425 millions d’euros.

6        Le 7 décembre 2011, la Commission a adopté la décision 2012/157, notifiée à la République hellénique le 8 décembre 2011.

7        Le dispositif de la décision 2012/157 est ainsi libellé :

« Article premier

1.      Les indemnisations versées par l’[ELGA] aux producteurs de produits agricoles pendant les années 2008 et 2009 constituent des aides d’État.

2.      Les aides de compensation accordées en 2008 au titre du régime d’assurance spéciale obligatoire sont compatibles avec le marché intérieur pour ce qui concerne des aides à hauteur de 349 493 652,03 [euros] que l’ELGA a accordées aux producteurs pour réparer des pertes à leur production végétale ainsi que pour ce qui concerne des aides relatives à des pertes à la production végétale à cause de l’ours à hauteur de 91 500 [euros] et à des actions correctives prises dans le cadre des aides susmentionnées. Les aides de compensation qui correspondent au montant restant et sont versées en 2008 au titre du régime d’assurance spéciale sont incompatibles avec le marché intérieur.

3.      Les aides de compensation à hauteur de 27 614 905 [euros] qui sont accordées en 2009 au titre de la décision interministérielle no 262037 des ministres de l’Économie et du Développement rural du 30 janvier 2009 sont compatibles avec le marché intérieur.

Les aides de compensation, à hauteur de 387 404 547 [euros], qui sont accordées aux producteurs à des dates antérieures à la date du 28 octobre 2009 sont incompatibles avec le marché intérieur. Cette conclusion est sans préjudice des aides qui, au moment de leur octroi, remplissaient toutes les conditions fixées dans le règlement (CE) no 1535/2007 [de la Commission, du 20 décembre 2007, concernant l’application des articles [107 et 108 TFUE] aux aides de minimis dans le secteur de la production de produits agricoles (JO 2007, L 337, p. 35)].

Article 2

1.      La [République hellénique] prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer, auprès de ses bénéficiaires, les aides incompatibles visées à l’article 1er et déjà illégalement mises à leur disposition.

[...]

4.      La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures prévues par le droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision.

Article 3

La récupération de l’aide visée à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, est immédiate et effective. La [République hellénique] veille à ce que la présente décision soit mise en œuvre dans un délai de quatre mois à compter de la date de sa notification.

Article 4

1.      Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, la [République hellénique] soumet à la Commission les informations suivantes :

a)      le montant total (principal plus intérêts de récupération) à récupérer auprès des bénéficiaires ;

b)      une description détaillée des mesures déjà prises ou prévues pour se conformer à la présente décision ;

c)      des documents démontrant que les bénéficiaires ont été mis en demeure de rembourser l’aide.

2.      La [République hellénique] informe la Commission des progrès faits suite aux mesures nationales adoptées pour mettre en œuvre la présente décision, et cela jusqu’à ce que la récupération de l’aide visée à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, soit achevée.

3.      Après la période de deux mois visée au paragraphe 1, la [République hellénique] soumet, sur simple demande de la Commission, un rapport concernant les mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision. Ce rapport fournit également des informations détaillées sur les montants d’aide et les intérêts de récupération déjà récupérés auprès des bénéficiaires. 

[...] »

8        Par un recours formé le 8 février 2012 devant le Tribunal de l’Union européenne, la République hellénique a demandé l’annulation de la décision 2012/157. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a introduit, en vertu des articles 278 et 279 TFUE, une demande en référé tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de cette décision.

9        Le 7 mars 2012, en réponse à une demande des autorités helléniques, la Commission a accepté que la récupération de l’aide soit retardée de deux mois.

10      Le 18 juin 2012, le président du Tribunal a ordonné, en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le sursis à l’exécution de la décision 2012/157, dans la mesure où celle-ci imposait à la République hellénique de récupérer les aides incompatibles, afin de maintenir le statu quo lors de l’examen approfondi de la demande de sursis. Par l’ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012, Grèce/Commission (T‑52/12 R, EU:T:2012:447), il a été sursis à l’exécution de la décision 2012/157, dans la mesure où celle-ci obligeait la République hellénique à récupérer les montants versés auprès des bénéficiaires de ces aides.

11      Le 6 juin 2013, la République hellénique a fourni à la Commission une liste complète desdits bénéficiaires et des différents montants d’aide illégale.

12      Par l’arrêt du 16 juillet 2014, Grèce/Commission (T‑52/12, non publié, EU:T:2014:677), le Tribunal a rejeté le recours en annulation dans son ensemble. Le 19 septembre 2014, la République hellénique a formé un pourvoi devant la Cour contre cet arrêt.

13      Par l’ordonnance du 3 décembre 2014, Grèce/Commission (C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418), le vice-président de la Cour a rejeté la demande en référé formée par la République hellénique. La Cour a également rejeté ledit pourvoi par un arrêt du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C‑431/14 P, EU:C:2016:145).

14      La République hellénique a demandé, par lettre du 8 janvier 2015, à être dispensée de récupérer les aides octroyées aux agriculteurs désormais décédés, étant donné qu’il s’agissait d’exploitants individuels et que leur exploitation ne faisait pas l’objet d’une succession. Le 24 février 2015, la Commission a accédé à cette demande. Toutefois, elle a insisté sur la récupération immédiate et effective des aides incompatibles auprès des autres agriculteurs.

15      Lors de la réunion du 22 juin 2015 avec les services de la Commission, les autorités helléniques ont annoncé leur intention d’engager une réforme législative afin de modifier le cadre juridique national applicable en matière de récupération d’aides d’État. Par lettre enregistrée le 6 octobre 2015, la République hellénique a présenté un plan pour la récupération des aides incompatibles.

16      Le 1er décembre 2015, les autorités helléniques ont fait part à la Commission de leur intention de faire bénéficier une partie des aides incompatibles de la règle de minimis, conformément au règlement (UE) no 1408/2013 de la Commission, du 18 décembre 2013, relatif à l’application des articles 107 et 108 [TFUE] aux aides de minimis dans le secteur de l’agriculture (JO 2013, L 352, p. 9). Elles ont également informé la Commission qu’un amendement avait été déposé dans le cadre d’un projet de loi, selon lequel une décision ministérielle commune du ministre de l’Économie et du ministre du Développement rural et des Denrées alimentaires serait publiée concernant la récupération des aides incompatibles.

17      Le 1er avril 2016, la République hellénique a communiqué un projet de décision ministérielle commune prévue par cet amendement. Le 27 avril 2016, la Commission a présenté ses observations à cet égard en précisant que cette communication n’a pas d’effet suspensif sur l’obligation de récupérer immédiatement et effectivement toutes les aides incompatibles qui relèvent du champ d’application de la décision 2012/157.

18      La Commission a envoyé un nouveau courrier à la République hellénique le 9 août 2016 par lequel elle demandait si ladite décision ministérielle commune avait désormais été adoptée et réclamait un calendrier précis concernant l’achèvement immédiat et effectif de la récupération en cause, à défaut de quoi elle envisagerait d’éventuelles mesures au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE. La République hellénique n’a pas répondu, malgré plusieurs lettres de rappel envoyées par la Commission.

19      Au cours d’une réunion qui s’est tenue le 7 novembre 2019, la République hellénique a indiqué qu’elle n’avait pas encore mis en place le cadre réglementaire sur le fondement duquel serait effectuée la récupération des aides incompatibles en cause.

20      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

21      À l’appui de son recours, la Commission invoque deux griefs tirés, respectivement, du non-respect de l’obligation, prévue aux articles 2 et 3 de la décision 2012/157, de récupérer les aides incompatibles dans le délai imparti, et d’une violation de l’obligation d’informer la Commission, conformément aux prescriptions de l’article 4 de cette décision, des mesures prises en application de celle-ci.

22      La République hellénique conclut au rejet de l’intégralité dudit recours comme étant non fondé.

 Sur le premier grief, tiré d’un défaut de récupération des aides incompatibles

 Argumentation des parties

23      Par son premier grief, la Commission fait valoir que, à la date de l’expiration du délai prévu à l’article 3 de la décision 2012/157, à savoir le 9 avril 2012, la République hellénique n’a pas procédé à l’exécution de cette décision. Concernant la lettre du 7 mars 2012, par laquelle la Commission a accédé à la demande des autorités helléniques de retarder de deux mois la récupération des aides, elle considère que, en l’absence d’une décision officielle de modification de la décision 2012/157, une telle lettre ne pouvait pas accorder une prolongation officielle du délai de récupération visé audit article 3. À supposer même que, par ladite lettre, elle aurait accordé une prolongation de deux mois pour l’exécution de cette décision, ce délai aurait expiré le 11 juin 2012.

24      La Commission estime qu’aucune des difficultés invoquées par la République hellénique ne peut être considérée comme constituant une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision 2012/157 dans la mesure où, selon une jurisprudence constante de la Cour, les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides d’État ne permettent pas de considérer la récupération de ces aides comme étant techniquement impossible à réaliser.

25      La Commission relève que, pour faire face aux difficultés pratiques, elle a fourni à la République hellénique des orientations en ce qui concerne les questions pratiques soulevées dans le cadre de la procédure de récupération. Pourtant, plus de huit ans après l’adoption de la décision 2012/157, les autorités helléniques n’auraient pas même envoyé les injonctions de payer nationales aux bénéficiaires des aides en question. De plus, la République hellénique n’aurait pas ouvert de procédure d’insolvabilité contre les bénéficiaires des aides insolvables ou qui connaissent des difficultés financières et n’aurait pas non plus inscrit de créance relative à la récupération au tableau des créanciers.

26      La Commission soutient que, si la République hellénique a instauré au cours de l’année 2015 un système de recouvrement plus simple, ce système n’a pas été mis en œuvre. Par ailleurs, quant à l’argument de la République hellénique relatif à l’applicabilité du règlement (UE) 2019/316 de la Commission, du 21 février 2019, modifiant le règlement no 1408/2013 (JO 2019, L 51 I, p. 1), la Commission considère qu’un État membre ne peut pas rester inactif pendant des années en attendant un règlement futur qui relèverait peut-être les plafonds des aides de minimis. En tout état de cause, les autorités helléniques n’auraient pas expliqué la raison pour laquelle, depuis tant d’années, elles n’avaient pas récupéré ne serait-ce que les aides d’un montant très élevé octroyées à certains bénéficiaires, dès lors qu’il était établi que ces montants ne remplissaient aucune des conditions concernant les aides de minimis.

27      La République hellénique  allègue, en premier lieu, qu’aussi bien à la date du dépôt de la demande de sursis à exécution qu’antérieurement à ce dépôt, elle se trouvait dans l’impossibilité totale d’exécuter la décision 2012/157, que ce soit le 9 avril 2012 ou le 11 juin 2012, dès lors qu’une telle exécution aurait pu causer un dommage irréparable. Cette constatation ressortirait clairement des points 43 à 54 de l’ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012 (Grèce/Commission, T‑52/12 R, EU:T:2012:447).

28      À cet égard, elle relève que, pour procéder à l’exécution de la décision 2012/157, il aurait été nécessaire de mobiliser sur une longue période l’ensemble du personnel de l’administration fiscale du pays. Cette mobilisation aurait impliqué des coûts administratifs importants qui auraient pesé sur le budget de l’État et qui auraient retardé la perception de recettes publiques du fait de la sollicitation excessive des fonctionnaires, dont le nombre avait déjà connu une forte diminution à la suite des réductions de personnel au cours des cinq années précédentes.

29      La République hellénique souligne que, dans les circonstances particulièrement difficiles découlant du contexte économique du pays, la récupération du montant de 424 724 942,97 euros, auprès d’environ 725 541 agriculteurs, aurait généré des oppositions farouches de la part de cette population agricole déjà affectée par la crise. Elle estime qu’il ressort du courrier du 24 septembre 2014 de la Panellinia Synomospondia Enoseon Georgikon Synetairismon (Confédération panhellénique des unions de coopératives agricoles) de même que de l’ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012, Grèce/Commission (T‑52/12 R, EU:T:2012:447), que ce risque de réaction chez les agriculteurs n’était ni purement hypothétique ni théorique. En outre, l’exécution de la décision 2012/157 aurait également eu, pendant cette période de crise, des conséquences financières très sévères pour cet État membre et aurait encore davantage compliqué le redressement de la société et de l’économie dudit État membre.

30      En deuxième lieu, la République hellénique met en exergue qu’un amendement législatif a été adopté dans le cadre d’une réglementation nationale ayant prévu une procédure spécifique afin d’atténuer les difficultés qu’engendrait la récupération des aides incompatibles. Cet amendement aurait instauré un système de recouvrement plus simple en prévoyant des étapes procédurales moins nombreuses, des procédures électroniques et la possibilité de déduire les montants à récupérer d’autres dettes de l’État envers les bénéficiaires des aides.

31      Cependant, par son document du 27 avril 2016, la Commission aurait refusé d’approuver un projet d’arrêté interministériel relatif à la récupération des montants supérieurs à 5 000 euros. Ainsi, l’opposition totale qu’elle aurait exprimée, aussi bien en ce qui concerne les détails prévus de la procédure de récupération qu’en ce qui concerne la proposition nouvelle consistant à opérer une distinction en fonction du montant à récupérer, aurait empêché l’adoption de la réglementation nécessaire.

32      En troisième lieu, la République hellénique soutient que, dès le début de l’année 2018, au regard du processus de modification du règlement no 1408/2013, il est clairement apparu que le relèvement imminent du plafond des aides de minimis serait crucial pour résoudre les difficultés dans la présente affaire dans la mesure où elle pourrait couvrir les dettes d’un montant allant de 20 000 à 25 000 euros par bénéficiaire. Par conséquent, les autorités helléniques seraient tenues de procéder, avant l’élaboration des arrêtés interministériels, à des analyses sectorielles des aides octroyées.

 Appréciation de la Cour

33      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales déclarées incompatibles avec le marché intérieur est tenu, en vertu de l’article 288 TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision. Il doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues afin d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par ces aides (arrêt du 17 janvier 2018, Commission/Grèce, C‑363/16, EU:C:2018:12, point 34 et jurisprudence citée).

34      Il résulte de l’article 14, paragraphe 3, première phrase, du règlement no 659/1999, lu à la lumière du considérant 13 de ce règlement, que la récupération d’une aide illégale déclarée incompatible avec le marché intérieur s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, les États membres concernés sont tenus de prendre toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit de l’Union (arrêt du 17 janvier 2018, Commission/Grèce, C‑363/16, EU:C:2018:12, point 35 et jurisprudence citée).

35      À titre liminaire, afin de pouvoir apprécier, en l’occurrence, l’existence d’une infraction au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, il importe de déterminer la date pertinente pour l’appréciation du manquement.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la date de référence pour l’application de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE est celle prévue dans la décision dont l’inexécution est contestée ou, le cas échéant, celle que la Commission a fixée par la suite (arrêt du 12 février 2015, Commission/France, C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90, point 56 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, concernant l’argumentation de la Commission selon laquelle, en l’absence d’une décision officielle modifiant la décision 2012/157, la lettre du 7 mars 2012, par laquelle la Commission a accédé à la demande de la République hellénique de retarder de deux mois la récupération des aides, ne pouvait pas accorder une prolongation officielle du délai de récupération visé à l’article 3 de cette décision, il suffit de relever que la Cour a déjà reconnu la possibilité d’une prolongation du délai fixé pour la récupération des aides par lettre adressée à l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France, C‑232/05, EU:C:2006:651, points 33 et 34).

38      Dans ces conditions, la décision 2012/157 ayant été notifiée le 8 décembre 2011, le délai de quatre mois fixé pour son exécution aurait expiré le 9 avril 2012, le 8 avril 2012 étant un dimanche. Toutefois, compte tenu de la prolongation de deux mois découlant de la lettre du 7 mars 2012 de la Commission, le délai imparti à la République hellénique pour récupérer les aides illégales expirait le 11 juin 2012, le 9 juin 2012 étant un samedi.

39      Il n’est pas contesté que, au terme de ce dernier délai, la République hellénique n’a récupéré aucun montant versé au titre des aides illégales en cause. Si, conformément aux ordonnances du président du Tribunal prévoyant des mesures provisoires, mentionnées au point 10 du présent arrêt, la suspension de l’exécution de la décision 2012/157 a perduré du 18 juin 2012 au 16 juillet 2014, il n’en demeure pas moins que l’obligation de récupération des aides est restée exécutoire pendant toute la période allant au-delà du 16 juillet 2014. Néanmoins, il est constant que plus de huit ans après l’adoption de ladite décision, les autorités helléniques n’ont toujours pas procédé à son exécution.

40      Dans ce contexte, il y a lieu de relever que le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision de cette institution ordonnant la récupération de l’aide en question (arrêt du 9 novembre 2017, Commission/Grèce, C‑481/16, non publié, EU:C:2017:845, point 28 et jurisprudence citée).

41      La République hellénique fait valoir, à cet égard, qu’elle se trouvait dans l’impossibilité totale d’exécuter la décision 2012/157, que ce soit le 9 avril 2012 ou le 11 juin 2012, dès lors qu’une telle exécution aurait pu causer un dommage irréparable.

42      Cependant, aucune des difficultés alléguées par la République hellénique n’est susceptible de constituer une impossibilité absolue.

43      En effet, la Cour a clairement indiqué que, d’une part, la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue n’est pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne à invoquer des difficultés juridiques, politiques ou pratiques auxquelles il s’est trouvé confronté pour mettre en œuvre la décision concernée, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de cette décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés, et que, d’autre part, de prétendus problèmes internes rencontrés lors de l’exécution de la décision de la Commission ne sauraient justifier le non-respect par cet État membre des obligations qui lui incombent au titre du droit de l’Union (arrêt du 9 novembre 2017, Commission/Grèce, C‑481/16, non publié, EU:C:2017:845, point 29 et jurisprudence citée).

44      S’agissant, dans ce contexte, des difficultés relatives à la nécessité de mobiliser l’ensemble du personnel de l’administration fiscale de l’État membre, il ressort de l’argumentation de la République hellénique que ces difficultés administratives ou techniques sont liées au nombre élevé de bénéficiaires. Néanmoins, la Cour a déjà précisé que les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides ne permettent pas de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser (arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, EU:C:1999:311, point 90 et jurisprudence citée).

45      Ces considérations impliquent également le rejet de l’allégation de la République hellénique selon laquelle elle doit procéder à des analyses sectorielles des aides octroyées au regard du relèvement du plafond des aides de minimis établi par le règlement 2019/316, d’autant plus que de telles difficultés sont dénuées de pertinence en ce qui concerne la récupération des aides d’un montant très élevé accordées à certains bénéficiaires.

46      En outre, si la République hellénique soutient que les règles en vigueur en droit national n’étaient pas adaptées à l’ampleur de la récupération des aides en cause, ce n’est que lors de la réunion du 22 juin 2015 que les autorités helléniques ont indiqué avoir l’intention de légiférer afin de résoudre la difficulté relative à ladite récupération auprès d’un nombre élevé de bénéficiaires, à savoir trois ans après l’expiration du délai imparti à cet État membre pour exécuter la décision 2012/157, et presqu’un an après le rejet de son recours en annulation par le Tribunal qui avait fait renaître l’obligation de récupérer les aides illégales.

47      En ce qui concerne l’argumentation de la République hellénique selon laquelle celle-ci n’a pas adopté d’arrêté interministériel aux fins de la récupération des aides illégales en raison de l’opposition de la Commission, il y a lieu de préciser que, dans la lettre du 27 avril 2016, la Commission avait exprimé des préoccupations concernant une quelconque limite arbitraire en dessous de laquelle la récupération ne serait pas opérée. Une telle observation ne saurait aucunement être considérée comme constituant un obstacle empêchant la République hellénique de poursuivre la modification de son cadre juridique destinée à garantir l’exécution de la décision 2012/157.

48      S’agissant de l’argument de la République hellénique selon lequel une lecture de l’ordonnance de référé du président du Tribunal du 19 septembre 2012 (Grèce/Commission, T‑52/12 R, EU:T:2012:447), démontre l’impossibilité absolue pour elle d’exécuter la décision 2012/157 avant le 18 juin 2012, à savoir même avant la date où le sursis à l’exécution de la décision 2012/157 a pris effet, il convient de relever que le dispositif de ladite ordonnance impose le sursis à l’exécution ex nunc  et ne fait pas état d’un effet rétroactif.

49      Quant à l’invocation des troubles sociaux qu’aurait entraînés la récupération des aides en cause, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’État membre concerné ne saurait se soustraire à l’obligation de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union que s’il établit concrètement qu’une action de sa part aurait sur l’ordre public des conséquences auxquelles il ne pourrait faire face grâce aux moyens dont il dispose [arrêt du 25 mars 2021, Commission/Hongrie (Taux d’accise sur les cigarettes), C‑856/19, non publié, EU:C:2021:253, point 52 et jurisprudence citée].

50      Or, en l’espèce, les autorités helléniques se bornent à supposer que la récupération des aides provoquerait une forte opposition des agriculteurs et à produire une lettre d’une organisation représentative faisant état de la situation difficile des opérateurs concernés, de tels éléments ne pouvant établir à suffisance la réalité du risque dont ces autorités se prévalent.

51      Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, il convient de constater que la République hellénique n’a pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision 2012/157. Partant, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la Commission, tiré de la violation des articles 2 et 3 de cette décision.

 Sur le second grief, tiré d’un défaut d’information de la Commission

 Argumentation des parties

52      Par son second grief, la Commission fait valoir que la République hellénique ne l’a pas suffisamment informée des mesures prises aux fins de l’exécution de la décision 2012/157.

53      En premier lieu, concernant l’obligation d’informer sur le montant total des aides à récupérer auprès de chaque bénéficiaire et les mesures prises afin de se conformer à ladite décision, la Commission précise que le délai de deux mois a expiré le 8 février 2012 sans que la République hellénique lui ait fourni ces renseignements.

54      La demande des autorités helléniques de retarder de deux mois la récupération des aides ayant été transmise à la Commission le 17 février 2012, à savoir après l’expiration dudit délai de deux mois, la République hellénique aurait déjà manqué à l’obligation d’information visée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/157. Par conséquent, cette demande et la tolérance du retard de deux mois qui s’en est ensuivie de la part de la Commission pouvaient couvrir non pas l’obligation d’information visée à l’article 4, paragraphe 1, de cette décision, mais seulement l’obligation d’information constante concernant l’avancée de la procédure de récupération conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ladite décision.

55      La Commission estime que, à supposer que le délai de deux mois prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/157 ait suivi pour une raison quelconque la prolongation du délai prescrit à son article 3, à savoir jusqu’au 11 juin 2012, il est clair que, à cette date, les autorités helléniques n’avaient toujours pas fourni à la Commission les renseignements en cause.

56      En second lieu, la Commission soutient que les autorités helléniques ne l’ont pas tenue constamment informée, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la décision 2012/157, des progrès opérés à la suite des mesures nationales qui devaient être adoptées aux fins de la récupération complète des aides. À titre indicatif, la lettre du 9 août 2016, par laquelle la Commission demandait à être informée de l’avancée de cette récupération, ainsi que les lettres de rappel des 20 décembre 2017, 13 mars 2018, 14 juin 2018, 11 septembre 2018, 18 décembre 2018 et 26 mars 2019 seraient restées sans réponse.

57      La République hellénique  s’oppose à ces allégations en soutenant qu’elle a toujours tenu la Commission informée des développements de l’affaire, au moyen d’une correspondance régulière. La Commission aurait disposé de tableaux comportant toutes les données relatives aux aides qui avaient été octroyées.

 Appréciation de la Cour

58      L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/157 impose à la République hellénique de fournir certains renseignements relatifs à la récupération de l’aide dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de cette décision.

59      Les paragraphes 2 et 3 de cet article 4 prévoient l’obligation pour cet État membre, d’une part, de tenir la Commission informée des progrès réalisés à la suite des mesures nationales adoptées pour mettre en œuvre cette même décision jusqu’à ce que la récupération de l’aide soit achevée, et, d’autre part, après la période de deux mois visée au paragraphe 1 dudit article, de soumettre à la Commission un rapport concernant les mesures déjà prises et celles prévues pour se conformer à cette décision, y compris des informations détaillées sur les montants d’aide déjà récupérés auprès des bénéficiaires. 

60      La décision 2012/157 ayant été notifiée le 8 décembre 2011, le délai de deux mois susvisé a expiré le 8 février 2012.

61      Il convient de constater que, ainsi qu’il ressort des pièces du dossier, la République hellénique s’est adressée à la Commission pour la première fois le 17 février 2012 en demandant que la récupération soit retardée de deux mois.

62      À supposer même que le délai de deux mois prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/157 ait été prolongé de deux mois en raison de l’acceptation de ladite demande par la Commission, voire qu’il ait suivi la prolongation du délai prescrit à l’article 3 de cette décision, il n’en demeure pas moins que les autorités helléniques n’avaient toujours pas fourni à la Commission les renseignements visés à l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision dans le délai imparti, que ce soit le 9 avril 2012 ou le 11 juin suivant.

63      Au demeurant, il n’est pas contesté que, à la date de la clôture de la procédure écrite dans la présente affaire, la République hellénique n’a pas encore communiqué à la Commission les documents démontrant que les bénéficiaires avaient été mis en demeure de rembourser l’aide.

64      En outre, les autorités helléniques n’ont pas tenu la Commission constamment informée, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la décision 2012/157, des progrès réalisés à la suite des mesures nationales qui devaient être adoptées aux fins de la récupération complète des aides.

65      En effet, il ressort des pièces du dossier que la correspondance entre la Commission et la République hellénique sur l’état d’avancement de la récupération commençait le 6 juin 2013, date à laquelle cet État membre a fourni à la Commission une liste complète des bénéficiaires et des différents montants d’aides incompatibles. Par la suite, lors de la réunion du 22 juin 2015, les autorités helléniques ont informé la Commission de leur intention d’engager une réforme législative.

66      Par lettre du 6 octobre 2015, elles ont présenté un plan pour la récupération des aides incompatibles et, par lettre du 1er décembre 2015, elles ont informé la Commission de leur intention de faire bénéficier de la règle de minimis une partie des aides incompatibles. Dans la lettre du 1er avril 2016, la République hellénique a communiqué un projet de la décision ministérielle commune concernant la récupération des aides incompatibles.

67      Il importe, néanmoins, de souligner que, depuis leur lettre du 24 juin 2016, faisant savoir que la décision ministérielle commune, mentionnée au point 17 du présent arrêt, n’avait pas encore été adoptée, les autorités helléniques n’ont fourni aucune autre information. La lettre du 9 août 2016, par laquelle la Commission demandait à être informée de l’avancée de la récupération, ainsi que les lettres de rappel des 20 décembre 2017, 13 mars 2018, 14 juin 2018, 11 septembre 2018, 18 décembre 2018 et 26 mars 2019 sont restées sans réaction de la part de la République hellénique.

68      Dans ces conditions, il convient de considérer que le manquement à l’obligation d’informer la Commission des mesures prises en application de la décision 2012/157 est constitué.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision 2012/157 et en n’ayant pas suffisamment informé la Commission des mesures prises en application de cette décision, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 à 4 de ladite décision ainsi qu’en vertu du traité.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      En n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision 2012/157/UE de la Commission, du 7 décembre 2011, relative à des aides de compensation versées par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) pendant les années 2008 et 2009, et en n’ayant pas suffisamment informé la Commission européenne des mesures prises en application de cette décision, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 à 4 de ladite décision ainsi qu’en vertu du traité FUE.

2)      La République hellénique est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le grec.

Vrh