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Document EESC-2019-00927-AC

Avis - Comité économique et social européen - Réconciliation des politiques climatique et énergétique: le point de vue du secteur de l'industrie (avis d'initiative)

EESC-2019-00927-AC

Comité économique et social européen

CCMI/167

Réconciliation des politiques climatique et énergétique:
le point de vue du secteur de l’industrie

AVIS

Comité économique et social européen


Réconciliation des politiques climatique et énergétique: le point de vue du secteur de l’industrie
(
Avis d’initiative)

Rapporteur: Aurel Laurenţiu PLOSCEANU

Corapporteur: Enrico GIBELLIERI

Décision de l’assemblée plénière

24/01/2019

Base juridique

Article 32, paragraphe 2, du règlement intérieur

Avis d’initiative

Compétence

Commission consultative des mutations industrielles (CCMI)

Adoption par la CCMI

03/06/2019

Adoption en session plénière

17/07/2019

Session plénière nº

545

Résultat du vote
(pour/contre/abstentions)

148/3/3



1.Conclusions et recommandations

1.1Les industries à forte intensité d’énergie et de ressources revêtent une importance stratégique pour les chaînes de valeur industrielles de l’Union européenne. La politique de l’UE en matière d’atténuation du changement climatique oblige ces industries à se transformer en profondeur et à réaliser des investissements massifs afin de parvenir à la neutralité climatique d’ici 2050.

1.2L’objectif de l’actuel système d’échange de quotas d’émission (SEQE) est d’encourager ces investissements en fixant, pour les émissions de gaz à effet de serre (GES), un prix soumis à des exigences contradictoires: (1) la réalisation des objectifs climatiques nécessite des prix plus élevés, mais (2) la compétitivité extérieure des industries à forte intensité de ressources et d’énergie leur impose de s’aligner sur le prix bas, voire inexistant, de leurs concurrents extérieurs.

1.3Le CESE est préoccupé par le risque de fuite de carbone ou des investissements dans les industries en question, c’est-à-dire une production ou des investissements réalisés là où le SEQE ne s’applique pas, et par les pertes d’emplois qui pourraient en résulter, dans une situation caractérisée, à l’heure actuelle, par une divergence des prix des émissions de gaz à effet de serre sur les marchés mondiaux.

1.4Dans un précédent avis 1 , le CESE plaidait en faveur d’un SEQE mondial pour créer des conditions de concurrence internationale équitables entre les industries fortes consommatrices de ressources et d’énergie. Cet espoir est jusqu’à présent resté vain.

1.5Le CESE considère qu’il est essentiel de réconcilier les politiques industrielle et énergétique avec la politique climatique afin de mobiliser les investissements colossaux nécessaires à la transition des industries à forte intensité d’énergie et de ressources vers un modèle économique décarboné, laquelle devrait être une «transition juste», grâce à une participation active des partenaires sociaux à sa définition et à sa mise en œuvre.

1.6Les investissements réalisés par l’Union et les États membres devraient avoir une incidence sur la recherche, le développement et l’innovation (RDI) et sur le déploiement de technologies à intensité de carbone faible ou nulle au sein des industries précitées, notamment concernant la production d’électricité supplémentaire dont elles ont besoin, ainsi que sur l’éducation et la formation de leur main-d’œuvre. Au titre du prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027), il conviendrait donc d’augmenter le financement prévu à cet effet dans la proposition de la Commission relative au programme InvestEU, tout comme celui des autres programmes d’investissement qui y seront liés.

1.7Le CESE entend contribuer à la réflexion sur la stratégie industrielle à long terme préconisée par le Conseil européen 2 , en examinant la faisabilité technique et juridique de l’une des nombreuses options stratégiques actuellement envisageables dans la sphère publique, à savoir la mise en œuvre de mesures d’ajustement aux frontières concernant le prix intérieur des émissions de gaz à effet de serre, sur la base des taux de GES émis par les métaux, produits chimiques et matériaux de base utilisés dans les produits industriels. Il rappelle que dès 2014, dans son avis d’initiative sur le thème «Instruments financiers destinés à favoriser le passage vers une économie à faibles émissions de carbone et efficace dans l’utilisation des ressources dans l’UE» 3 , il avait souligné la nécessité d’examiner et de mettre éventuellement en place un tel mécanisme, recommandation restée sans réponse adéquate de la part de la Commission ou du Conseil.

1.8Le CESE recommande à la Commission d’approfondir sa réflexion sur cette possibilité et sur d’autres options stratégiques, telles que la réforme du SEQE, l’ajustement des émissions de carbone aux frontières 4 ou un taux de TVA aligné sur l’intensité de carbone 5 , et de les comparer s’agissant:

·de l’incidence sur la fuite de carbone et des investissements, dans une situation future caractérisée par une hausse des prix et une moindre disponibilité des quotas du SEQE dans l’Union;

·de la sécurité juridique quant au respect des règles de l’OMC;

·de la disposition des partenaires commerciaux à accepter cette option;

·de la faisabilité technique, notamment eu égard à l’existence de normes de comptabilité et de mesure acceptées au niveau mondial ainsi que de bases de données reconnues et fiables.

1.9Le CESE conseille également à la Commission d’entamer rapidement des consultations avec les principaux partenaires commerciaux de l’UE afin de sonder leur opinion à l’égard des options envisagées.

2.Observations générales

2.1Le dilemme de la politique climatique appliquée aux industries à forte intensité de ressources et d’énergie

La politique climatique est confrontée à une difficulté intrinsèque.

2.1.1D’une part, cette politique vise à réduire de manière ambitieuse les émissions de gaz à effet de serre, provenant tant de la combustion de combustibles fossiles que des processus industriels. L’objectif pour l’Union est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, comme l’a encouragé la Commission dans sa communication intitulée «Une planète propre pour tous». Ces réductions devraient permettre de maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C, voire, espérons-le, en dessous de 1,5 °C, d’une manière qui soit compatible avec une agriculture capable de nourrir l’humanité. Dans une économie de marché, l’un des outils très efficaces consiste à fixer un prix pour les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, les acteurs économiques peuvent soit investir de manière rentable dans des équipements ou des processus de limitation des émissions (notamment le captage et le stockage et/ou l’utilisation du carbone), soit faire des économies financières en réduisant leur consommation de matériaux, par exemple en utilisant des produits plus durables, ou en achetant des matériaux qui produisent moins d’émissions de GES, comme les matériaux recyclés. Pour que cette méthode soit efficace, le prix des émissions de gaz à effet de serre doit être suffisamment élevé et prévisible pour susciter des investissements ou un changement de comportement.

2.1.2D’autre part, les coûts de l’énergie représentent une part importante des coûts totaux des industries à forte intensité d’énergie et de ressources: 25 % pour l’acier, entre 22 et 29 % pour l’aluminium 6 et de 25 à 32 % pour le verre 7 .

2.1.3Si le coût de l’énergie augmente en raison d’un prix élevé appliqué aux émissions de gaz à effet de serre dans l’UE par rapport aux prix pratiqués ailleurs, et du fait d’investissements précoces à grande échelle dans les technologies à émissions faibles ou nulles au sein des industries fortes consommatrices de ressources et d’énergie et dans les capacités de stockage, de transport et de production d’électricité nécessaires à leur fonctionnement 8 , entraînant des coûts d’amortissement élevés, la compétitivité extérieure desdites industries établies sur le territoire de l’Union est mise en péril. Malgré leurs efforts en matière d’efficacité énergétique, elles produisent en fin de compte à des prix plus élevés que leurs concurrents extérieurs. Sur ces marchés, où les produits sont très normalisés, un prix plus élevé entraîne une perte de parts de marché et des emplois qui y sont liés. Dans un tel scénario, les émissions de GES sont simplement transférées des producteurs de l’Union à d’autres producteurs établis ailleurs (souvent moins économes en énergie), ce qui, dans le meilleur des cas, n’a aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Ce phénomène est appelé la «fuite de carbone». Dans un environnement concurrentiel mondial où le prix des émissions de GES est nul, cela se traduit par la nécessité de fixer le prix du carbone le plus bas possible, voire à zéro.

Ce phénomène est par ailleurs aggravé par la «fuite des investissements». Même si le prix des émissions de gaz à effet de serre dans l’UE est bas, l’incertitude quant à son évolution entrave déjà les investissements dans la maintenance et la modernisation des sites industriels qui consomment beaucoup de ressources et d’énergie, ce qui entraîne une autre perte de compétitivité très préoccupante pour les producteurs européens. Si, en plus d’être volatiles, les prix des émissions de GES étaient élevés, la fuite des investissements augmenterait de manière spectaculaire pour lesdites industries établies dans l’UE.

2.1.4Le système d’échange de quotas d’émission est le mécanisme imaginé et actuellement utilisé par l’UE en vue de fixer un prix pour les émissions de gaz à effet de serre. Il s’est avéré en grande partie inefficace: si le prix des émissions de GES est très faible depuis des années (malgré sa récente hausse), il n’en est pas moins suffisamment instable pour provoquer des fuites d’investissements. En outre, ce système est complexe et comprend de nombreuses exemptions. L’une des raisons structurelles de cette inefficacité et de cette complexité réside peut-être dans le fait que le SEQE n’a pas été en mesure de remédier à la difficulté intrinsèque que constituent, comme exposé ci-dessus, les exigences contradictoires de prix bas et de prix élevés pour les émissions de gaz à effet de serre.

Il peut donc être nécessaire de résoudre ce dilemme et de réconcilier les objectifs stratégiques contradictoires visant à (1) atténuer le changement climatique et (2) préserver la compétitivité extérieure des industries européennes à forte intensité d’énergie et de ressources, tout en poursuivant tous les autres objectifs stratégiques, tels que le commerce libre et équitable, dans le cadre de la stratégie industrielle à long terme préconisée par le Conseil européen.

2.2Les mesures correctives aux frontières: une des solutions possibles

2.2.1L’option privilégiée par les institutions de l’Union européenne pour résoudre ce dilemme serait de fixer un prix des émissions de GES à l’échelle planétaire par l’intermédiaire d’un SEQE mondial unique. Cet espoir a cependant été déçu. Les évolutions géopolitiques récentes tendant vers l’unilatéralisme laissent peu d’espoir quant à la conclusion d’un tel accord mondial en temps voulu.

Les dispositions établies par la Commission européenne (recyclage des recettes du SEQE en faveur de l’industrie, soutien à l’innovation, quotas gratuits, autorisation pour les États membres de compenser les coûts indirects, etc.) pourraient ne pas fournir de garanties suffisantes contre les fuites de carbone ou d’investissements, dans un contexte de politiques climatiques asymétriques et d’ambitions accrues de l’UE en matière de climat. C’est pourquoi plusieurs voix se sont élevées en faveur d’approches de substitution, comme issue possible, dans le but de concilier les objectifs de politique climatique avec la compétitivité vis-à-vis de l’extérieur des industries fortes consommatrices de ressources et d’énergie. Ces approches portent sur la notion de mesures d’ajustement aux frontières telle que définie par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le présent avis a pour objet d’examiner la faisabilité technique et juridique d’une telle option, au moyen d’une proposition concrète.

2.3Selon les principes juridiques de l’OMC, les mesures d’ajustement aux frontières concernant les taxes intérieures de consommation ne doivent entraîner aucune discrimination à l’encontre des acteurs économiques externes.

2.3.1Le principe des mesures d’ajustement aux frontières est le suivant: lorsqu’une taxe intérieure de consommation est instaurée dans une juridiction, les producteurs locaux (qui sont soumis à cette taxe) risquent de subir un désavantage concurrentiel par rapport à leurs concurrents extérieurs (qui ne le sont pas), tant sur le marché intérieur – où règne une concurrence entre producteurs locaux et importateurs – que sur les marchés d’exportation. Les autorités de cette juridiction sont autorisées à rétablir une concurrence équitable par l’intermédiaire: (1) de l’imposition d’une taxe sur les marchandises importées et (2) du remboursement de la taxe sur les marchandises exportées.

2.3.2Sous réserve de respecter certaines conditions, les mesures d’ajustement aux frontières applicables aux produits étaient considérées comme légales par l’OMC, sans susciter aucune préoccupation quant au protectionnisme, conformément à un examen de ces ajustements datant de 1970 9 (rapport du groupe de travail des ajustements fiscaux à la frontière). Ces conditions stipulent que de telles mesures ne doivent entraîner aucune discrimination à l’encontre des acteurs économiques externes [article II, paragraphe 2, point a), article III, paragraphe 2, et article VI, paragraphe 4, de l’accord du GATT 10 ], ce qui signifie en l’espèce que la taxe sur les marchandises importées ne doit pas être supérieure à celle imposée aux producteurs locaux et que le remboursement relatif aux marchandises exportées ne doit pas excéder la taxe déjà payée sur le marché local.

2.4Les mécanismes envisagés: un système de comptabilité transparent pour les exportateurs; les importateurs ne paient que les émissions de gaz à effet de serre résultant des matériaux de base

2.4.1Les mécanismes envisagés pour adapter l’idée générale des mesures d’ajustement aux frontières au contexte des émissions de GES sont les suivants:

·afin de déterminer le montant à rembourser aux exportateurs, un système de comptabilité transparent répertorie les émissions de gaz à effet de serre générées par chaque produit industriel et en conserve une trace tout au long de la chaîne de valeur, comme ligne supplémentaire sur les factures;

·les importateurs paient les émissions de GES induites par les matériaux de base utilisés pour fabriquer le produit industriel, mais pas celles générées pour les transformer ou les façonner, ni celles liées à leurs mouvements logistiques. Il s’agit d’une très bonne approche, car plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre liées à un produit industriel proviennent des matériaux de base. L’autorité douanière dispose ainsi d’éléments tangibles permettant de déterminer la base d’imposition (nature et poids de chaque matériau). Cette approche confère également un léger avantage aux importateurs, de sorte qu’ils ne peuvent prétendre être victimes de discrimination.

Les mécanismes en question sont présentés et examinés plus en détail ci-après.

2.5Rembourser le prix des émissions de GES incorporées dans les marchandises exportées grâce à un système de comptabilité

2.5.1Le système serait le suivant: lorsqu’une industrie à forte intensité d’énergie et de ressources a dû payer ses émissions de gaz à effet de serre, soit sous la forme de quotas du SEQE achetés à un prix au kg variable d’équivalents CO2 sur un marché, soit sous la forme d’une taxe carbone à prix fixe, elle doit garder une trace de ce paiement (ainsi que du volume sous-jacent d’émissions de GES) dans son système de comptabilité et le facturer à ses clients, en y incluant l’amortissement des émissions de GES contenues dans ses équipements. L’on réutiliserait ainsi l’actuel système élaboré de comptabilisation des gaz à effet de serre, mis au point dans l’Union en vue de calculer les quotas à titre gratuit du SEQE, et qui constitue un atout évident. L’expérience acquise depuis plus de 50 ans en matière de TVA devrait démontrer la faisabilité technique d’un tel système de transfert des coûts.

2.5.2Il reste encore à déterminer à quel stade de la chaîne d’approvisionnement ce paiement devrait être ajouté aux factures. S’il était imputé au consommateur final, cela aurait les conséquences suivantes:

·le système proposé se rapprocherait davantage du modèle d’une taxe intérieure de consommation, telle que la TVA ou les accises, pour laquelle l’OMC a explicitement accepté la légitimité des mesures d’ajustement aux frontières; la sécurité juridique s’en verrait donc renforcée;

·les entreprises intermédiaires ne seraient pas pénalisées;

·les consommateurs seraient encouragés à faire des choix plus respectueux du climat.

2.5.3Lorsqu’une entreprise exporte une marchandise intégrant les dépenses liées aux émissions de GES, elle doit alors retirer de son système de comptabilité le taux d’émissions de gaz à effet de serre générées par le produit exporté et faire en sorte d’en obtenir le remboursement par l’État (soit en revendant les quotas du SEQE correspondants sur le marché, soit en se faisant rembourser la taxe carbone) en fonction du volume d’émissions de GES que représente le produit.

2.5.4Si l’on maintenait le système actuel, qui attribue gratuitement des quotas du SEQE aux producteurs les plus performants de l’Union européenne, ce remboursement serait effectué pour un coût moyen équivalant à un quota du SEQE à l’échelle de l’économie de l’Union, sur la base du prix du marché au comptant et de la proportion de quotas gratuits délivrés aux producteurs de l’Union.

2.5.5Ce système de comptabilité permet de démontrer que l’exportateur est remboursé du coût exact de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre induites par le produit tout au long de la chaîne d’approvisionnement. L’exportateur ne bénéficie pas d’un avantage indu et le système est donc conforme aux exigences de l’OMC. Cette équité est plus facile à prouver au cas par cas lorsque le prix des émissions de gaz à effet de serre est fixé (comme pour une taxe carbone). Elle ne s’exprime toutefois que de manière globale lorsque le prix des émissions de GES est variable (comme sur un marché du SEQE), sous forme de moyenne entre les opérations plus ou moins profitables réalisées par les spéculateurs sur les marchés d’échange de quotas d’émissions, et entre les producteurs très performants et moins performants de l’Union recevant différents quotas de droits d’émission gratuits.

2.6La mesure corrective relative aux marchandises importées peut être fondée sur le taux d’émissions de gaz à effet de serre des métaux, produits chimiques ou matériaux de base incorporés

2.6.1Le taux d’émissions de gaz à effet de serre d’un produit industriel provient essentiellement de ses matériaux.

Ce taux peut être divisé en trois composantes principales, correspondant chacune à une catégorie différente d’opérations à valeur ajoutée:

·le taux d’émissions de gaz à effet de serre des métaux, produits chimiques et matériaux de base qui composent le produit, de manière directe ou indirecte (acier, éthylène, benzène, ammoniac, acide chlorhydrique, verre, bois, etc.);

·le taux d’émissions de GES des opérations industrielles visant à transformer et façonner les métaux, produits chimiques ou matériaux de base (polymérisation, moulage, usinage, découpe, etc.);

·le taux d’émissions de GES de la logistique intra et inter-site entre les différentes étapes conférant une valeur ajoutée.

Le taux d’émissions de gaz à effet de serre d’un produit industriel dépend en grande partie de celui des métaux, produits chimiques et matériaux de base incorporés (en particulier lorsqu’ils ne sont pas recyclés). Citons l’exemple d’une pièce en acier usinée par machine: l’énergie utilisée dans ce processus est de 2,8 kWh 11 , tandis que l’énergie grise du matériau 12 s’élève à 117 kWh, soit 40 fois plus; cela illustre l’ordre de grandeur de la pondération de chacun de ces composants. Dans le cas des engrais, matières plastiques, élastomères, solvants, lubrifiants et fibres textiles, le taux de GES du produit final réside pour une très large part dans les produits chimiques de base à partir desquels celui-ci a été fabriqué et peut être déduit de leur formule. Cela signifie que le taux total d’émissions de gaz à effet de serre d’un produit industriel peut être estimé sur la base du taux d’émissions de GES des métaux, produits chimiques et matériaux de base incorporés 13 .

2.6.2Calcul des mesures correctives applicables aux marchandises importées

2.6.2.1Afin de permettre aux autorités douanières chargées de la gestion des mesures d’ajustement aux frontières de travailler efficacement et de manière sûre sur le plan juridique, aussi bien pour elles-mêmes que pour la société importatrice agissant de bonne foi, il convient de déterminer tant la base d’imposition que le taux d’imposition en réduisant au minimum la marge d’interprétation ou le risque de litige juridique.

S’agissant de la tarification des émissions de gaz à effet de serre, le taux d’imposition correspond soit à une obligation d’acheter des quotas du SEQE pour le volume d’émissions de GES générées par le produit importé, au même prix par quota du SEQE que le remboursement aux exportateurs (dans le cas d’un système fondé sur le marché), soit au taux de la taxe sur le carbone (dans le cas d’un régime à taux fixe).

2.6.2.2La base d’imposition doit être vérifiable par l’analyse du bien importé lui-même, qui constitue l’élément de preuve le moins contestable. En l’occurrence, la base d’imposition idéale serait le taux total d’émissions de gaz à effet de serre du produit importé.

Il est difficile de déterminer le taux total d’émissions de GES d’un produit industriel en raison de la complexité de l’ensemble des opérations à valeur ajoutée qui ont été réalisées tout au long de la chaîne de valeur, dont beaucoup ne laissent aucune trace sur le produit lui-même.

L’option proposée consiste à utiliser l’estimation simple mais applicable décrite ci-dessus: le taux total d’émissions de gaz à effet de serre du produit importé correspond approximativement au taux d’émissions de GES des métaux, produits chimiques ou matériaux de base incorporés, sous réserve qu’ils représentent, par exemple, plus de 1 % de la masse totale. Les composants microélectroniques, qui, malgré leur faible masse, génèrent d’importantes émissions de gaz à effet de serre, seraient toutefois pris en compte dans le calcul.

Le taux total d’émissions de gaz à effet de serre des matériaux présents dans le produit est calculé comme suit: la masse de chaque type de métal, produit chimique ou matériau de base présent dans le produit en proportion significative est multipliée par l’intensité des émissions de GES de ce métal, produit chimique ou matériau de base, c’est-à-dire les émissions de GES induites par chaque kilogramme de ce métal, produit chimique ou matériau de base. 

14 L’intensité moyenne des émissions de GES à l’échelle de chaque pays a été déterminée pour la plupart des métaux, produits chimiques et matériaux de base. Les chiffres sont disponibles dans une série de bases de données accessibles au public (répertoriées par exemple dans le protocole sur les gaz à effet de serre), sur la base de méthodes d’évaluation du cycle de vie bien établies, y compris concernant la Chine.

2.6.2.3Afin d’encourager et de récompenser la réduction de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre dans les différentes installations, ainsi que la divulgation de données, il est proposé le mécanisme de cercle vertueux suivant:

·si un producteur peut démontrer de manière fiable l’intensité réelle des émissions de GES qu’il génère, alors cette valeur s’applique à ses produits importés dans l’UE. Si, toutefois, aucune donnée fiable à cet égard n’est fournie, c’est l’intensité moyenne des émissions de GES du pays d’origine qui est utilisée – cette moyenne étant calculée sur la production et les émissions de gaz à effet de serre restantes après déduction de celles pour lesquelles des données fiables ont été fournies;

·ainsi, dans un pays donné, les producteurs les plus respectueux du climat seront les premiers à se lancer dans cet exercice comptable, afin de ne pas être pénalisés par l’application de leur moyenne nationale. De ce fait, une fois que ces producteurs «vertueux» auront été retirés du calcul, la moyenne nationale se dégradera au fil du temps, incitant les autres producteurs à fournir des données fiables.

2.6.2.4L’Union européenne pourrait, en outre, apporter un soutien technique aux entreprises étrangères pour la mise en place des systèmes fiables de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre nécessaires, et maintenir ainsi sa position favorable actuellement adoptée à l’égard de ses partenaires commerciaux.

2.6.2.5Afin d’empêcher des acteurs peu scrupuleux d’attribuer indûment la faible intensité des émissions de GES d’une installation à la production d’une autre, un système de traçabilité, fondé par exemple sur les chaînes de blocs, pourrait être conçu et utilisé.

Bruxelles, le 17 juillet 2019

Luca JAHIER
Président du Comité économique et social européen

_____________

(1)     JO C 71 du 24.2.2016, p. 57 , paragraphe 1.9.
(2)    Conclusions du Conseil européen du 22 mars 2019, EUCO 1/19.
(3)     JO C 226 du 16.7.2014, p. 1 .
(4)    Résolution du Parlement européen du 16 décembre 2015 sur le développement d’une industrie européenne durable des métaux de base [2014/2211(INI)].
(5)    Gerbeti, A., CO2 in goods and European industrial competitiveness [Le CO2 dans les biens industriels et la compétitivité européenne dans ce domaine], Editoriale Delfino, 2014, et Gerbeti, A., A Symphony for energy: CO2 in goods [Une symphonie pour l’énergie: le CO2 dans les biens industriels], Editoriale Delfino, 2015.
(6)    Marcu, A., Stoefs, W., Study on composition and drivers of energy prices and costs in selected energy-intensive industries [Étude sur la composition et les facteurs déterminants des prix et des coûts de l’énergie dans certaines industries à forte intensité énergétique].CEPS, 2016, disponible à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/DocsRoom/documents/20355?locale=fr (en anglais uniquement).
(7)    Egenhofer, C., Schrefler, L., Study on composition and drivers of energy prices and costs in energy-intensive industries. The case of the flat glass industry [Étude sur la composition et les facteurs déterminants des prix et des coûts de l’énergie dans les industries à forte intensité énergétique – le cas de l’industrie du verre plat], CEPS, 2014, disponible à l’adresse suivante: https://www.ceps.eu/system/files/Glass.pdf (en anglais uniquement).
(8)    Selon une étude de T. Wyns [Industrial Value Chain: A Bridge towards a Carbon Neutral Europe (La chaîne de valeur industrielle: une passerelle vers une Europe neutre en carbone), VUB-IES, 2018, disponible à l’adresse https://www.ies.be/node/4758 (en anglais uniquement)], qui répertorie 11 industries à forte intensité d’énergie et de ressources, le déploiement à grande échelle de méthodes technologiques à faible émission de CO2 nécessiterait entre 2 980 TWh et 4 430 TWh d’électricité supplémentaire par an.
(9)

     GATT, «Rapport du groupe de travail des ajustements fiscaux à la frontière», 1970, disponible à l’adresse suivante:  https://docs.wto.org/gattdocs/r/GG/L3799/3464.PDF , en particulier les paragraphes 4, 11 et 14.

(10)    Disponible à l’adresse suivante: https://www.wto.org/french/res_f/publications_f/ai17_f/ai17_f.htm .
(11)    Yohei Odaa, et al., Energy Consumption Reduction by Machining Process Improvement [Réduire la consommation d’énergie en améliorant les procédés d’usinage], 3e conférence du CIRP, 2012, disponible à l’adresse suivante: http://isiarticles.com/bundles/Article/pre/pdf/17172.pdf (en anglais uniquement).
(12)    Inventaire du carbone et de l’énergie (Inventory of Carbon and Energy – ICE), disponible à l’adresse suivante: http://www.circularecology.com/embodied-energy-and-carbon-footprint-database.html (en anglais uniquement).
(13)    Ces émissions sont généralement positives. Elles peuvent être négatives en cas de matériaux biosourcés résultant d’une exploitation durable, comme le bois.
(14)    La liste complète des bases de données relatives aux émissions de GES de différents matériaux et procédés est disponible à l’adresse suivante: http://www.ghgprotocol.org/life-cycle-databases (en anglais uniquement).
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