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Document 62006CJ0341

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 1er juillet 2008.
Chronopost SA et La Poste contre Union française de l’express (UFEX) et autres.
Pourvoi - Régularité de la procédure suivie devant le Tribunal - Arrêt du Tribunal - Annulation - Renvoi - Second arrêt du Tribunal - Composition de la formation de jugement - Aides d’État - Domaine postal - Entreprise publique chargée d’un service d’intérêt économique général - Assistance logistique et commerciale à une filiale - Filiale n’opérant pas dans un secteur réservé - Transfert de l’activité du courrier express à cette filiale - Notion d’‘aides d’État’ - Décision de la Commission - Assistance et transfert non constitutifs d’aides d’État - Motivation.
Affaires jointes C-341/06 P et C-342/06 P.

Recueil de jurisprudence 2008 I-04777

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2008:375

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

1er juillet 2008 ( *1 )

«Pourvoi — Régularité de la procédure suivie devant le Tribunal — Arrêt du Tribunal — Annulation — Renvoi — Second arrêt du Tribunal — Composition de la formation de jugement — Aides d’État — Domaine postal — Entreprise publique chargée d’un service d’intérêt économique général — Assistance logistique et commerciale à une filiale — Filiale n’opérant pas dans un secteur réservé — Transfert de l’activité du courrier express à cette filiale — Notion d’‘aides d’État’ — Décision de la Commission — Assistance et transfert non constitutifs d’aides d’État — Motivation»

Dans les affaires jointes C-341/06 P et C-342/06 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits le 4 août 2006,

Chronopost SA, établie à Issy-les-Moulineaux (France), représentée par Me D. Berlin, avocat (C-341/06 P),

La Poste, établie à Paris (France), représentée par Me H. Lehman, avocat (C-342/06 P),

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Union française de l’express (UFEX), établie à Roissy-en-France (France),

DHL Express (France) SAS, anciennement DHL International SA, établie à Roissy-en-France,

Federal express international (France) SNC, établie à Gennevilliers (France),

CRIE SA, en liquidation judiciaire, établie à Asnières (France),

représentées par Mes E. Morgan de Rivery et J. Derenne, avocats,

parties requérantes en première instance,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. C. Giolito, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et F. Million, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, G. Arestis et U. Lõhmus, présidents de chambre, MM. P. Kūris, E. Juhász, A. Borg Barthet, J. Malenovský (rapporteur), E. Levits et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 décembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1

Par leurs pourvois, Chronopost SA (ci-après «Chronopost») (C-341/06 P) et La Poste (C-342/06 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission (T-613/97, Rec. p. II-1531, ci-après l’«arrêt attaqué»).

2

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé partiellement la décision 98/365/CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37, ci-après la «décision litigieuse»).

Les faits à l’origine du litige

3

Les faits à l’origine du litige sont exposés comme suit aux points 2 à 18 de l’arrêt attaqué:

«2

[La Poste], qui opère, sous monopole légal, dans le secteur du courrier ordinaire, faisait partie intégrante de l’administration française jusqu’à la fin de l’année 1990. À compter du 1er janvier 1991, elle a été organisée comme une personne morale de droit public, conformément aux dispositions de la loi 90-568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORFdu 8 juillet 1990, p. 8069, ci-après la ‘loi 90-568’). Cette loi l’autorise à exercer certaines activités ouvertes à la concurrence, notamment l’expédition de courrier express.

3

La Société française de messagerie internationale (ci-après la ‘SFMI’) est une société de droit privé qui s’est vu confier la gestion du service de courrier express de La Poste depuis la fin de l’année 1985. Cette entreprise a été constituée avec un capital social de 10 millions de francs français (FRF) (environ 1524490 euros), réparti entre Sofipost (66 %), société financière détenue à 100 % par La Poste, et TAT Express (34 %), filiale de la compagnie aérienne Transport aérien transrégional (ci-après ‘TAT’).

4

Les modalités d’exploitation et de commercialisation du service de courrier express que la SFMI assurait sous la dénomination EMS/Chronopost ont été définies par une instruction du ministère des Postes et Télécommunications français du 19 août 1986. Selon cette instruction, La Poste devait fournir à la SFMI une assistance logistique et commerciale. Les relations contractuelles entre La Poste et la SFMI étaient régies par des conventions, dont la première date de 1986.

5

En 1992, la structure de l’activité de courrier express réalisée par la SFMI a été modifiée. Sofipost et TAT ont créé une nouvelle société, [Chronopost], dont elles détenaient toujours respectivement 66 % et 34 % des actions. La société Chronopost, qui avait un accès exclusif au réseau de La Poste jusqu’au 1er janvier 1995, s’est recentrée sur le courrier express national. La SFMI a été rachetée par GD Express Worldwide France, filiale d’une entreprise commune internationale regroupant la société australienne TNT et les postes de cinq pays, concentration autorisée par décision de la Commission du 2 décembre 1991 (Affaire IV/M.102 — TNT/Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Poste et Sweden Post) (JO C 322, p. 19). La SFMI a conservé l’activité internationale de courrier express, utilisant Chronopost comme agent et prestataire de services dans le traitement en France de ses envois internationaux (ci-après la ‘SFMI-Chronopost’).

6

Le Syndicat français de l’express international (SFEI) […] est un syndicat professionnel de droit français regroupant la quasi-totalité des sociétés offrant des services de courrier express faisant concurrence à la SFMI-Chronopost.

7

Le 21 décembre 1990, le SFEI a déposé une plainte auprès de la Commission [des Communautés européennes] au motif, notamment, que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la [SFMI-Chronopost] comportait une aide d’État au sens de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE). Dans la plainte était principalement dénoncé le fait que la rémunération versée par la SFMI pour l’assistance fournie par La Poste ne correspondait pas aux conditions normales de marché. La différence entre le prix du marché pour l’acquisition de tels services et celui effectivement payé par la [SFMI-Chronopost] constituerait une aide d’État. Une étude économique, réalisée, à la demande du SFEI, par la société de conseil Braxton associés [ci-après ‘Braxton’], a été jointe à la plainte afin d’évaluer le montant de l’aide pendant la période 1986-1989.

8

Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a informé le SFEI du classement de sa plainte. Le 16 mai 1992, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit un recours en annulation devant la Cour à l’encontre de cette décision. La Cour a prononcé un non-lieu à statuer (ordonnance de la Cour du 18 novembre 1992, SFEI e.a./Commission, C-222/92, non publiée au Recueil) après la décision de la Commission du 9 juillet 1992 de retirer celle du 10 mars 1992.

9

À la demande de la Commission, la République française lui a transmis des informations par lettre du 21 janvier, par télécopie du 3 mai et par lettre du 18 juin 1993.

10

Le 16 juin 1993, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit devant le tribunal de commerce de Paris un recours contre la SFMI, Chronopost, La Poste et autres. Une deuxième étude de [Braxton] y était jointe actualisant les données de la première étude et étendant la période d’estimation de l’aide à la fin de l’année 1991. Par jugement du 5 janvier 1994, le tribunal de commerce de Paris a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 92 du traité et de l’article 93 du traité CE (devenu article 88 CE), dont l’une portait sur la notion d’aide d’État dans les circonstances de la présente affaire. Le gouvernement français a déposé devant la Cour, à l’annexe de ses observations du 10 mai 1994, une étude économique réalisée par la société Ernst & Young. Par arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C-39/94, Rec. p. I-3547 […]), la Cour a dit pour droit que ‘[l]a fourniture d’une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 92 du traité si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché’ (point 62).

11

Entre-temps, par lettre de la Commission du 20 mars 1996, la République française a été informée de l’ouverture de la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité. Le 30 mai 1996, elle a adressé à la Commission ses observations à cet égard.

[…]

13

Le 17 août 1996, le SFEI a soumis à la Commission ses observations en réponse à cette communication. Il a joint à ses observations une nouvelle étude économique, réalisée par le cabinet Bain & Co. En outre, le SFEI a élargi le champ de sa plainte du 21 décembre 1990 à certains éléments nouveaux, notamment à l’utilisation de l’image de marque de La Poste, à l’accès privilégié aux ondes de Radio France, à des privilèges douaniers et fiscaux et à des investissements de La Poste dans des plates-formes de messagerie.

14

La Commission a transmis à la République française les observations du SFEI en septembre 1996. La République française a, en réponse, envoyé une lettre à la Commission en y annexant une étude économique réalisée par la société de conseil Deloitte Touche Tohmatsu (ci-après le ‘rapport Deloitte’).

[…]

18

Le 1er octobre 1997, la Commission a adopté la décision [litigieuse] […]»

La décision litigieuse

4

Il ressort des points 19 à 23 de l’arrêt attaqué ce qui suit:

«19

Dans la décision [litigieuse], la Commission a constaté qu’il convenait de distinguer deux catégories de mesures. La première catégorie consiste en la fourniture par La Poste, d’une part, de l’assistance logistique consistant à mettre les infrastructures postales à la disposition de la SFMI-Chronopost pour la collecte, le tri, le transport et la distribution de ses envois et, d’autre part, de l’assistance commerciale, c’est-à-dire de l’accès de la SFMI-Chronopost à la clientèle de La Poste et de l’apport par cette dernière de son fonds de commerce en faveur de la SFMI-Chronopost. La seconde catégorie consiste en des mesures particulières, telles que l’accès privilégié à Radio France et les privilèges fiscaux et douaniers.

20

La Commission considérait que la question pertinente était celle de savoir ‘si les conditions de la transaction entre La Poste et la SFMI-Chronopost [étaient] comparables à celles d’une transaction équivalente entre une société mère privée, qui peut très bien être en situation de monopole (par exemple parce qu’elle détient des droits exclusifs), et sa filiale’. Selon la Commission, il n’y avait aucun avantage financier si les prix internes pour les produits et les services échangés entre les sociétés appartenant au même groupe étaient ‘calculés sur la base des coûts complets (c’est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres)’.

21

À cet égard, la Commission faisait remarquer que les paiements effectués par la SFMI-Chronopost ne couvraient pas les coûts totaux pendant les deux premières années d’exploitation, mais ils couvraient tous les coûts hors frais de siège et de directions régionales. Elle considérait, premièrement, qu’il n’était pas anormal que, pendant la période de démarrage, les paiements effectués par une nouvelle entreprise, à savoir par la SFMI-Chronopost, ne couvrent que les coûts variables. Deuxièmement, toujours selon la Commission, la République française a pu démontrer que, à partir de 1988, la rémunération payée par la SFMI-Chronopost couvrait tous les coûts supportés par La Poste, ainsi que la rémunération des capitaux propres investis par cette dernière. En outre, la Commission a calculé que le taux de rendement interne (ci-après le ‘TRI’) de l’investissement de La Poste en tant qu’actionnaire excédait largement le coût du capital de la société en 1986, c’est-à-dire le taux de rendement normal qu’un investisseur privé exigerait dans des circonstances similaires. En conséquence, La Poste aurait fourni une assistance logistique et commerciale à sa filiale dans des conditions normales de marché, et cette assistance ne constituerait donc pas une aide d’État.

22

S’agissant de la seconde catégorie, à savoir les diverses mesures particulières, la Commission estimait que la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d’aucun avantage concernant la procédure de dédouanement, le droit de timbre, la taxe sur les salaires ou les délais de paiement. L’utilisation des véhicules de La Poste comme support publicitaire devait être considérée, selon la Commission, comme une assistance commerciale normale entre une société mère et sa filiale et la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d’aucun traitement préférentiel pour la publicité sur Radio France. La Commission aurait pu également établir que les engagements pris par La Poste lors de l’autorisation de l’entreprise commune par la décision de la Commission du 2 décembre 1991 ne constituaient pas des aides d’État.

23

Dans l’article 1er de la décision [litigieuse], la Commission constate ce qui suit:

‘[L]’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale [la] SFMI-Chronopost, les autres transactions financières entre ces deux sociétés, la relation entre [la] SFMI-Chronopost et Radio France, le régime douanier applicable à La Poste et à [la] SFMI-Chronopost, le système de taxe sur les salaires et de droit de timbre applicables à La Poste et son investissement […] dans des plates-formes de messagerie ne constituent pas des aides d’État en faveur de [la] SFMI-Chronopost.’»

La première procédure devant le Tribunal

5

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 1997, le SFEI, devenu l’Union française de l’express (UFEX), ainsi que trois sociétés qui en sont membres, DHL International SA, Federal express international (France) SNC et CRIE SA (ci-après «UFEX e.a.»), ont introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse. Chronopost, La Poste et la République française sont intervenues au soutien de la Commission.

6

UFEX e.a. invoquaient quatre moyens d’annulation à l’appui de leur recours, tirés, respectivement, d’une violation des droits de la défense, notamment du droit d’accès au dossier, d’une insuffisance de motivation, d’erreurs de fait et d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation de la notion d’aide d’État.

7

Le quatrième moyen s’articulait en deux branches selon lesquelles la Commission aurait méconnu la notion d’aide d’État, d’une part, en ne tenant pas compte des conditions normales du marché dans l’analyse de la rémunération de l’assistance fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost et, d’autre part, en excluant de cette notion diverses mesures dont aurait bénéficié la SFMI-Chronopost.

8

Le Tribunal s’est prononcé sur ce recours par un arrêt du 14 décembre 2000, Ufex e.a./Commission (T-613/97, Rec. p. II-4055).

L’arrêt Ufex e.a./Commission

9

Par l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, le Tribunal a considéré que la première branche du quatrième moyen était fondée.

10

Au point 79 dudit arrêt, le Tribunal conclut:

«79

En conséquence, il y a lieu d’annuler l’article 1er de la décision [litigieuse] en ce qu’il constate que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ne constitue pas des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost, sans qu’il y ait besoin d’examiner la seconde branche de ce moyen ou les autres moyens dans la mesure où ces derniers concernent l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost. En particulier, il n’y a pas lieu d’examiner le deuxième moyen par lequel les requérantes allèguent, en substance, que la motivation de la décision [litigieuse] concernant l’assistance logistique et commerciale est insuffisante.»

11

Aux points suivants de l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, le Tribunal n’a, dès lors, examiné que le premier moyen, concernant la violation alléguée des droits de la défense d’Ufex e.a., et les arguments développés dans le cadre du troisième moyen, relatif aux erreurs de fait et aux erreurs manifestes d’appréciation, qui ne se confondaient pas avec ceux préalablement examinés dans le cadre du quatrième moyen. Dans les deux cas, les griefs formulés par Ufex e.a. ont été rejetés.

12

En conséquence, le Tribunal s’est limité à annuler l’article 1er de la décision litigieuse en ce qu’il constate que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ne constitue pas des aides d’État en faveur de cette dernière.

Les pourvois contre l’arrêt Ufex e.a./Commission

13

Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 19 et 23 février 2001, Chronopost, La Poste et la République française ont, en vertu de l’article 56 du statut CE de la Cour de justice, formé des pourvois contre l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité. Ces pourvois ont été joints.

14

Par son arrêt du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./Ufex e.a. (C-83/01 P, C-93/01 P et C-94/01 P, Rec. p. I-6993), la Cour a déclaré fondé le premier moyen des pourvois tiré d’une violation de l’article 92, paragraphe 1, du traité, découlant de l’interprétation erronée par le Tribunal de la notion de conditions normales du marché.

15

Il ressort des points 32 à 41 de l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, ce qui suite:

«32

[…] le Tribunal a indiqué, au point 75 de l’arrêt [Ufex e.a./Commission], que la Commission aurait au moins dû vérifier que la contrepartie reçue par La Poste était comparable à celle réclamée par une société financière privée ou un groupe privé d’entreprises, n’opérant pas dans un secteur réservé.

33

Cette appréciation, qui méconnaît qu’une entreprise telle que La Poste se trouve dans une situation très différente de celle d’une entreprise privée agissant dans des conditions normales de marché, est entachée d’une erreur de droit.

34

En effet, La Poste est chargée d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE [devenu article 86, paragraphe 2, CE] (voir arrêt du 19 mai 1993, Corbeau, C-320/91, Rec. p. I-2533, point 15). Un tel service consiste, en substance, dans l’obligation d’assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier, au profit de tous les usagers, sur l’ensemble du territoire de l’État membre concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires.

35

À cette fin, La Poste a dû se doter ou a été dotée d’infrastructures et de moyens importants (le ‘réseau postal’) lui permettant de fournir le service postal de base à tous les usagers, y compris dans les zones à faible densité de population, dans lesquelles les tarifs ne couvraient pas les coûts générés par la fourniture du service en cause.

36

En raison des caractéristiques du service que le réseau de La Poste doit permettre d’assurer, la constitution et le maintien de ce réseau ne répondent pas à une logique purement commerciale. Ainsi qu’il a été rappelé au point 22 du présent arrêt, Ufex e.a. ont d’ailleurs admis qu’un réseau tel que celui dont a pu bénéficier la SFMI-Chronopost n’est, à l’évidence, pas un réseau de marché. Partant, ce réseau n’aurait jamais été constitué par une entreprise privée.

37

Par ailleurs, la fourniture de l’assistance logistique et commerciale est indissociablement liée au réseau de La Poste, puisqu’elle consiste précisément dans la mise à disposition de ce réseau sans équivalent sur le marché.

38

Dans ces conditions, en l’absence de toute possibilité de comparer la situation de La Poste avec celle d’un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé, les ‘conditions normales de marché’, qui sont nécessairement hypothétiques, doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles.

39

En l’occurrence, les coûts supportés par La Poste pour la fourniture à sa filiale d’une assistance logistique et commerciale peuvent constituer de tels éléments objectifs et vérifiables.

40

Sur cette base, l’existence d’une aide d’État en faveur de la SFMI-Chronopost peut être exclue si, d’une part, il est établi que la contrepartie exigée couvre dûment tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal ainsi qu’une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, et si, d’autre part, aucun indice ne donne à penser que ces éléments ont été sous-estimés ou fixés de manière arbitraire.

41

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l’article 92, paragraphe 1, du traité en ce sens que la Commission ne pouvait pas apprécier l’existence d’une aide en faveur de la SFMI-Chronopost en se référant aux coûts supportés par La Poste, mais qu’elle aurait dû vérifier si la contrepartie reçue par La Poste ‘était comparable à celle réclamée par une société financière privée ou un groupe privé d’entreprises, n’opérant pas dans un secteur réservé, poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives à long terme’.»

16

En conséquence, et après avoir considéré qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres moyens des pourvois et que le litige n’était pas en état d’être jugé, la Cour a annulé l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

La seconde procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17

L’affaire a été attribuée à la quatrième chambre élargie du Tribunal. La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée par une décision de celui-ci du 13 septembre 2004 (JO C 251, p. 12), le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre élargie, à laquelle ladite affaire a été en conséquence attribuée (point 37 de l’arrêt attaqué).

18

La procédure orale a été d’abord close le 23 août 2005, puis le 19 décembre 2005, après réouverture de celle-ci.

19

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a statué sur les conclusions des parties dont il demeurait saisi après renvoi.

20

Au point 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en premier lieu, considéré que UFEX e.a. maintenaient en substance les deuxième à quatrième moyens soulevés au cours de l’instance ayant donné lieu à l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, à savoir les moyens tirés respectivement d’une violation de l’obligation de motivation, d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation dans l’analyse de la rémunération de l’assistance fournie par La Poste ainsi que d’une application erronée de la notion d’aide d’État.

21

Au point 51 de l’arrêt attaqué, après avoir considéré qu’il y avait lieu d’examiner, tout d’abord, le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation, le Tribunal a ajouté que «[l]es moyens tirés d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que de l’application erronée de la notion d’aide d’État, qui se confondent, seront examinés ensuite ensemble».

22

Après avoir rappelé, aux points 63 à 71 de l’arrêt attaqué, le contenu de la jurisprudence en matière de motivation, le Tribunal a, aux points 77 à 95 du même arrêt, fait droit au premier moyen au motif que la motivation de la décision litigieuse ne permettait pas d’apprécier les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, ni la contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, ni la rémunération appropriée des capitaux propres, ni la couverture des coûts en général.

23

Le Tribunal a, en outre, fait état, aux points 96 à 100 de l’arrêt attaqué, de circonstances qui justifiaient, en l’espèce, une motivation plus détaillée de la décision litigieuse.

24

Il a conclu, au point 101 dudit arrêt, «qu’il y a lieu d’annuler la décision [litigieuse] pour défaut de motivation dans la mesure où celle-ci conclut que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constitue pas une aide d’État».

25

Le Tribunal a, ensuite, examiné le moyen tiré d’une violation de la notion d’aide d’État.

26

Il a, en premier lieu, estimé, au point 102 de l’arrêt attaqué, que, compte tenu de l’insuffisante motivation de la décision litigieuse, il ne lui était pas possible d’examiner les arguments tirés du prétendu défaut de couverture des coûts de la SFMI-Chronopost, de la sous-estimation et du caractère arbitraire de certains éléments retenus par la Commission, des erreurs dans les ajustements comptables effectués dans l’annexe 4 du rapport Deloitte, du niveau anormalement élevé du TRI ou des causes de la rentabilité de la SFMI-Chronopost.

27

Le Tribunal a, en second lieu, rejeté, aux points 162 à 171 de l’arrêt attaqué, l’ensemble des autres arguments invoqués par UFEX e.a., à l’exception de celui tiré de ce que le transfert de la clientèle de Postadex constituait par lui-même une mesure distincte de l’assistance logistique et commerciale et donc également une aide d’État.

28

Sur ce dernier point, le Tribunal a estimé que, en considérant que ce transfert ne constituait pas une telle aide au motif qu’il ne comportait aucun avantage en numéraire, la Commission avait commis une erreur de droit.

29

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, par conséquent:

annulé la décision litigieuse en ce qu’elle constate que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost;

condamné la Commission à supporter ses propres dépens et 75 % des dépens d’UFEX e.a., à l’exception de ceux occasionnés par les interventions, devant le Tribunal et devant la Cour;

condamné UFEX e.a. à supporter le reste de leurs propres dépens devant le Tribunal ainsi que devant la Cour, et

condamné Chronopost, La Poste et la République française à supporter leurs propres dépens devant le Tribunal et devant la Cour.

La procédure devant la Cour dans les présents pourvois

30

Dans son pourvoi, Chronopost conclut à ce que la Cour:

annule l’arrêt attaqué en ce qu’il annule partiellement la décision litigieuse;

reprenne à son compte le reste de l’arrêt attaqué et statue définitivement sur le litige;

rejette la demande d’annulation de la décision litigieuse, et

condamne UFEX e.a. à supporter les dépens.

31

Dans son pourvoi, La Poste conclut à ce que la Cour:

annule l’arrêt attaqué en ce qu’il annule partiellement la décision litigieuse, et

condamne UFEX e.a. à supporter les dépens exposés par La Poste devant le Tribunal ainsi que devant la Cour.

32

UFEX e.a. concluent à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter les pourvois,et

condamner Chronopost ainsi que La Poste aux dépens.

33

Par une ordonnance du président de la Cour du 18 avril 2007, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

Sur les pourvois

34

Chronopost et La Poste, requérantes aux présents pourvois, soulèvent, en substance, quatre moyens tirés respectivement:

d’un vice de procédure tenant à la composition irrégulière de la formation du Tribunal qui a rendu l’arrêt attaqué;

d’un vice de procédure tenant à la réponse apportée au fond par le Tribunal à un moyen irrecevable;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de l’obligation de motivation de la décision litigieuse, en tant qu’elle concerne l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost, et

d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de la notion d’aide d’État en ce qui concerne le transfert de la clientèle de Postadex.

Sur le premier moyen tiré d’un vice de procédure tenant à la composition irrégulière de la formation du Tribunal qui a rendu l’arrêt attaqué

Argumentation des parties

35

Chronopost et La Poste soutiennent que l’arrêt attaqué a été rendu au terme d’une procédure irrégulière dès lors que le juge rapporteur, dans la formation de jugement qui a rendu cet arrêt, était le président et le juge rapporteur dans la formation de jugement qui a rendu l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité.

36

Or, le principe fondamental du droit au procès équitable consacré par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), qui exige que la cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, impliquerait que la composition de la formation saisie sur renvoi, après l’annulation de l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, ne puisse pas faire apparaître un doute sur l’impartialité de cette formation par la présence en son sein d’un juge qui a eu à connaître de cette affaire comme rapporteur dans la formation qui a rendu l’arrêt annulé. Il y aurait, par conséquent, violation de l’article 6 UE.

37

UFEX e. a. soutiennent, en premier lieu, que ce moyen est irrecevable. La composition de la formation de jugement qui a rendu l’arrêt attaqué et le nom du juge rapporteur étant connus dès avant la procédure orale suivie devant le Tribunal, Chronopost et La Poste pouvaient faire valoir leurs doutes sur l’impartialité de la formation au cours de cette procédure orale. Ayant renoncé à cette possibilité, leur moyen serait donc nouveau, et par suite irrecevable, comme l’aurait jugé la Cour dans son arrêt du 9 septembre 1999, Petrides/Commission (C-64/98 P, Rec. p. I-5187).

38

UFEX e. a. soutiennent, en second lieu, que ce moyen n’est pas fondé. La composition de la formation de jugement qui a rendu l’arrêt attaqué serait en effet conforme aux dispositions de l’article 118 du règlement de procédure du Tribunal régissant cette composition lorsque celui-ci est saisi sur renvoi par la Cour après annulation d’un premier arrêt.

39

Ces dispositions n’exigeraient pas l’attribution à une autre formation, ce qui d’ailleurs serait impossible lorsque le premier arrêt a été rendu en formation plénière. Aucune tradition constitutionnelle commune aux États membres ne saurait être opposée dans ce domaine. La collégialité serait réputée neutraliser le risque de partialité d’un membre de la formation.

40

Au regard de l’approche que ferait la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la «Cour des droits de l’homme») de la question de l’impartialité de la juridiction, il conviendrait de constater qu’aucun élément subjectif ou objectif de partialité n’a pu être relevé en l’espèce. Il serait, au contraire, de bonne administration de la justice de confier une affaire aussi complexe que celle en cause au même juge rapporteur que celui qui avait eu à en connaître avant le renvoi.

41

Dans leurs répliques, Chronopost et La Poste contestent l’irrecevabilité qui est opposée à leur moyen. UFEX e.a. ne pourraient, en effet, nullement se prévaloir du caractère nouveau d’un moyen tiré d’une violation d’un principe fondamental, qui serait, par conséquent, d’ordre public et auquel il ne pourrait être renoncé.

42

En outre, un tel moyen n’aurait pu être invoqué avant que l’arrêt du Tribunal ne fût rendu. De plus, il ne relèverait pas des incidents de procédure sur lesquels le Tribunal pourrait se prononcer en vertu de l’article 111 de son règlement de procédure. Ledit règlement ne contiendrait pas davantage de disposition relative à la possibilité de récuser un juge. Ledit moyen ayant été invoqué dans la requête devant la Cour, il ne s’agirait pas d’un moyen nouveau présenté «en cours d’instance» au sens de l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

43

Dans leurs dupliques, UFEX e.a. soutiennent que constitue un moyen nouveau, par conséquent irrecevable, l’argumentation, invoquée en réplique, selon laquelle la violation d’un principe fondamental serait un moyen d’ordre public. Par ailleurs, l’instance visée à l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour serait celle qui débute devant le Tribunal et se poursuit devant la Cour dans le cadre du pourvoi.

Appréciation de la Cour

44

Le droit à un procès équitable tel qu’il découle, notamment, de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE (arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, Rec. p. I-5305, point 29).

45

Ce droit au procès équitable implique que toute personne doit pouvoir être entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi. Un tel droit est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 21).

46

Les garanties d’accès à un tribunal indépendant et impartial, et notamment celles qui déterminent la notion tout comme la composition de celui-ci, représentent la pierre angulaire du droit au procès équitable. Celui-ci implique que toute juridiction a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tel tribunal indépendant et impartial lorsque surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux. Cette vérification est nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable (voir, à cet égard, Cour eur. D. H., arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 574, § 48). En ce sens, un tel contrôle constitue une formalité substantielle dont le respect relève de l’ordre public.

47

Il en découle que, si, dans le cadre d’un pourvoi, surgit sur ce point une contestation qui n’est, comme dans la présente affaire, pas manifestement dépourvue de sérieux, la Cour est tenue de vérifier la régularité de la composition de la formation du Tribunal qui a rendu l’arrêt contesté.

48

En d’autres termes, un tel moyen tiré de l’irrégularité de la composition du Tribunal, comme celui dont la Cour est saisie, doit être considéré comme constituant un moyen d’ordre public qui doit être examiné d’office (voir, sur le relevé d’office des moyens d’ordre public, notamment, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 67).

49

L’examen d’un tel moyen peut donc avoir lieu à tout stade de la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, Rec. p. I-983, point 25).

50

Dans ces conditions, la circonstance que la Commission, partie principale en première instance, s’est abstenue de soulever devant le Tribunal l’irrégularité dont se prévalent Chronopost et La Poste à l’appui de leur moyen devant la Cour, et que, en conséquence, les intéressées, intervenantes en première instance, ne seraient plus, en tout état de cause, recevables à le faire dans le cadre de leur pourvoi ne saurait être utilement invoquée pour s’opposer à l’examen, par la Cour, d’un tel moyen.

51

À cet égard, il ressort des pièces des dossiers soumis à la Cour, et il n’est pas contesté, que les fonctions de juge rapporteur dans la formation de jugement qui a rendu l’arrêt attaqué ont été confiées à l’un de ses membres à la fois président et juge rapporteur dans la formation de jugement qui avait rendu l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité.

52

Il n’est toutefois pas établi que, en procédant à une telle désignation du juge rapporteur, le Tribunal n’aurait pas respecté l’exigence d’impartialité à laquelle sont tenus ses membres et aurait ainsi méconnu le droit fondamental à un procès équitable.

53

En effet, il y a lieu d’observer, premièrement, que le fait que le même juge présent dans les deux formations successives se soit vu confier les fonctions de juge rapporteur est par lui-même sans incidence sur l’appréciation du respect de l’exigence d’impartialité dès lors que lesdites fonctions sont exercées dans une formation collégiale.

54

Deuxièmement, l’exigence d’impartialité recouvre deux aspects. D’une part, le tribunal doit être subjectivement impartial, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. D’autre part, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire qu’il doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir en ce sens, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A no 255-A, p. 12, § 28; Findlay c. Royaume-Uni du 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 281, § 73, ainsi que Forum Maritime SA c. Roumanie du 4 octobre 2007, nos 63610/00 et 38692/05, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions).

55

Or, il y a lieu de relever, d’une part, que, en l’espèce, Chronopost et La Poste n’invoquent pas la partialité personnelle de membres du Tribunal.

56

D’autre part, la circonstance qu’un même juge siège dans deux formations de jugement ayant eu successivement à connaître de la même affaire ne saurait, par elle-même, en dehors de tout autre élément objectif, faire naître un doute sur l’impartialité du Tribunal.

57

À cet égard, il n’apparaît pas que le renvoi de l’affaire devant une formation de jugement composée d’une manière totalement distincte de celle qui a eu à connaître du premier examen de l’affaire doive et puisse, dans le cadre du droit communautaire, être considéré comme une obligation à caractère général.

58

D’ailleurs, la Cour des droits de l’homme a considéré qu’il ne saurait être posé en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une juridiction annulant une décision administrative ou judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971, série A no 13, § 97, et Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A, no 325-A, § 37).

59

Par ailleurs, il convient d’observer que, en vertu de l’article 27, paragraphe 3, de la CEDH, quand une affaire est déférée devant la grande chambre de la Cour des droits de l’homme, sur renvoi contre un arrêt d’une chambre, aucun juge de la chambre qui a rendu l’arrêt ne peut siéger dans la grande chambre, à l’exception du président de la chambre et du juge ayant siégé au titre de l’État partie intéressé. La CEDH admet ainsi que des juges ayant eu à connaître une première fois de l’affaire siègent dans une autre formation ayant à connaître de nouveau de la même affaire et que cette circonstance n’apparaît pas comme étant en soi incompatible avec les exigences du procès équitable.

60

Dans ces conditions, il n’est pas établi, en l’espèce, que la formation qui a rendu l’arrêt attaqué aurait été composée irrégulièrement en raison de la seule présence en son sein d’un membre du Tribunal ayant déjà siégé dans la formation qui avait eu à connaître précédemment de l’affaire.

61

Le premier moyen doit donc être écarté.

Sur le deuxième moyen tiré d’un vice de procédure tenant à la réponse apportée au fond par le Tribunal à un moyen irrecevable

Argumentation des parties

62

La Poste soutient, dans une première branche, que le Tribunal a omis de statuer sur l’exception d’irrecevabilité qu’elle avait opposée à un moyen invoqué par UFEX e.a. et tiré de ce que le transfert de Postadex constituait une aide d’État, moyen qui n’avait pas été présenté dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, et qui serait donc nouveau dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt attaqué. Dans une seconde branche, elle soutient que, en statuant sur ce moyen qui était nouveau, le Tribunal a violé les dispositions de l’article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

63

UFEX e.a. contestent la recevabilité de la première branche de ce moyen en ce que celle-ci reposerait sur des arguments confus et contradictoires, et n’indiquerait pas quelle disposition du règlement de procédure du Tribunal est méconnue.

64

Par ailleurs, cette branche ne serait pas fondée puisque le Tribunal n’avait pas à répondre à une exception qui n’était elle-même pas recevable en ce qu’elle avait été soulevée seulement par un intervenant. En outre, en précisant que le Tribunal a requalifié ce moyen en l’examinant dans le cadre du moyen de la requête tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, La Poste admet que ledit moyen avait bien été invoqué et n’était donc pas nouveau. Ainsi, et alors que le Tribunal pouvait reclasser formellement l’argumentation présentée dans la requête, la seconde branche ne serait pas davantage fondée.

65

La Poste, dans sa réplique, conteste l’irrecevabilité opposée à la première branche de son deuxième moyen. Elle soutient que celle-ci est claire. Par ailleurs, même si l’exception d’irrecevabilité qu’elle a opposée devant le Tribunal avait été irrecevable, celui-ci devait le constater expressément. De plus, la jurisprudence de la Cour concernant l’irrecevabilité des exceptions soulevées par un intervenant serait plus nuancée que ne le prétendent UFEX e.a., et n’exclurait pas l’examen au cas par cas de ces exceptions. L’exception en l’espèce serait recevable puisque, selon La Poste, d’abord, ses moyens tendaient aux mêmes fins que ceux de la Commission, ensuite, le moyen nouveau soulevé par UFEX e.a. l’a été bien après l’intervention et, enfin, La Poste, accusée d’avoir violé les règles relatives aux aides d’État avait intérêt à soulever des exceptions que la Commission avait omises.

66

Dans leur duplique, UFEX e.a. confirment le caractère non recevable de l’exception soulevée par un intervenant et qui, concernant le caractère nouveau d’un moyen, n’était pas d’ordre public.

Appréciation de la Cour

— Sur la première branche du deuxième moyen

67

Une partie intervenante n’a pas qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité non formulée dans les conclusions de la partie défenderesse (voir arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, points 21 et 22; du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, points 11 et 12, ainsi que du 19 mars 2002, Commission/Irlande, C-13/00, Rec. p. I-2943, point 5).

68

Il est constant que, dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt attaqué, La Poste avait la qualité d’intervenante à l’appui des conclusions de la Commission et que celle-ci n’a pas soulevé l’exception d’irrecevabilité dont s’est prévalue La Poste devant le Tribunal, tirée de ce que le moyen invoqué par UFEX e.a. et concernant le transfert de Postadex était nouveau en ce qu’il n’avait pas été présenté dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité.

69

L’exception d’irrecevabilité soulevée ainsi par La Poste, et qui, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 65 de ses conclusions, n’intéressait pas l’ordre public, était dès lors elle-même irrecevable. Dans ces conditions, même si le Tribunal avait dû répondre à cette exception, il aurait dû également mais nécessairement conclure à l’irrecevabilité de cette dernière. Dès lors, son omission à statuer est restée sans conséquence sur les droits de La Poste, laquelle n’est, par suite, pas fondée à se prévaloir de cette omission pour contester la régularité de l’arrêt attaqué.

70

Dans ces conditions, à supposer même que la première branche du deuxième moyen soit recevable, elle n’est en tout état de cause pas fondée. Il y a lieu, par suite, de l’écarter.

— Sur la seconde branche du deuxième moyen

71

Il convient de rappeler que, selon l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, applicable en vertu de l’article 120 du même règlement lorsque ledit Tribunal est saisi, comme en l’espèce, par un arrêt de renvoi de la Cour, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Il en résulte que, après l’arrêt de renvoi de la Cour, les parties ne sont pas recevables, en principe, à invoquer des moyens qui n’auraient pas été soulevés au cours de la procédure qui a donné lieu à l’arrêt du Tribunal annulé par la Cour.

72

Il ressort de l’examen de la requête dont UFEX e.a. a saisi le Tribunal dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, que la demande d’annulation reposait sur quatre moyens que le Tribunal a analysés comme tirés d’une violation des droits de la défense, d’une insuffisance de motivation, d’erreurs de fait et d’erreurs manifestes d’appréciation, et, enfin, d’une violation de la notion d’aide d’État (arrêt Ufex e.a./Commission, précité, point 37).

73

Dans leurs observations déposées à la suite de l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, UFEX e.a. ont maintenu leurs trois derniers moyens que le Tribunal, au point 49 de l’arrêt attaqué, a analysés comme tirés d’une violation de l’obligation de motivation, d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une application erronée de la notion d’aide d’État.

74

De l’examen de ces observations, il ne ressort pas que UFEX e.a. aient entendu soulever un moyen nouveau. Il est constant, en outre, que l’argumentation qu’elles ont alors développée en ce qui concerne le transfert de Postadex à l’appui du moyen tiré d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation avait déjà été présentée dans leur requête déposée dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité. Un tel développement d’argumentation ne saurait être qualifié de moyen nouveau.

75

Par ailleurs, comme l’a précisé à juste titre le Tribunal au point 51 de l’arrêt attaqué, les moyens tirés d’inexactitudes matérielles et d’erreurs manifestes d’appréciation se confondent, en l’espèce, avec celui tiré d’une application erronée de la notion d’aide d’État. Dans ces conditions, le Tribunal a pu, à bon droit, requalifier l’argumentation d’UFEX e.a. concernant le transfert de Postadex comme venant à l’appui du moyen tiré d’une application erronée de la notion d’aide d’État (voir, sur la possibilité de procéder à une telle requalification, arrêt du 19 novembre 1998, Parlement/Gaspari, C-316/97 P, Rec. p. I-7597, point 21).

76

Dès lors, en répondant à cette argumentation dans l’analyse du moyen tiré d’une application erronée de la notion d’aide d’État, le Tribunal n’a nullement statué sur un moyen nouveau et n’a, par suite, pas violé les dispositions de l’article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

77

La seconde branche du deuxième moyen n’étant pas fondée, il y a également lieu de l’écarter.

78

Le deuxième moyen doit, en conséquence, être rejeté dans son ensemble.

Sur le troisième moyen tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de l’obligation de motivation de la décision litigieuse, en tant qu’elle concerne l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost

79

L’examen de ce moyen implique que, préalablement à l’exposé de l’argumentation des parties, soient rappelés les motifs retenus par le Tribunal pour conclure à la censure de la décision litigieuse à raison de son insuffisante motivation.

Les motifs d’annulation retenus par le Tribunal

80

Après avoir rappelé, aux points 63 à 71 de l’arrêt attaqué, les exigences du traité CE, telles que définies par la jurisprudence, quant à la motivation des actes des institutions communautaires, le Tribunal a procédé à l’examen de la motivation de la décision litigieuse en se fondant, en substance, sur deux catégories d’éléments selon lui déterminants.

81

En premier lieu, le Tribunal a considéré qu’il devait procéder à l’examen du respect par la Commission de son obligation de motivation, à la lumière des principes dégagés au point 40 de l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, tels que rappelés au point 15 du présent arrêt.

82

Le Tribunal en a conclu, au point 72 de l’arrêt attaqué, que «[…] cela implique notamment l’examen du caractère suffisant de la motivation de la décision [litigieuse] concernant, d’une part, la question de savoir si la contrepartie exigée de la SFMI-Chronopost couvre, premièrement, tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, deuxièmement, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal et, troisièmement, une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, et, d’autre part, la question de savoir s’il existe ou non des indices que ces éléments ont été sous-estimés ou fixés de manière arbitraire».

83

Sur chacun de ces points, le Tribunal a considéré que la décision litigieuse n’apportait pas de précisions suffisantes.

84

En second lieu, le Tribunal, rappelant que la portée de l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce qui, le cas échéant, sont susceptibles de justifier une motivation plus détaillée, a jugé que tel était le cas en l’occurrence.

85

À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 97 de l’arrêt attaqué, que «[…] les circonstances justifiant une motivation plus détaillée résident dans le fait que, premièrement, il s’agissait d’une des premières décisions abordant la question complexe, dans le cadre de l’application des dispositions en matière d’aides d’État, du calcul des coûts d’une société mère opérant dans un marché réservé et fournissant de l’assistance logistique et commerciale à sa filiale n’opérant pas dans un marché réservé. Deuxièmement, le retrait de la première décision de rejet de la Commission du 10 mars 1992 après l’introduction d’un recours en annulation et l’arrêt SFEI e.a., précité, auraient dû amener la Commission à motiver son approche avec d’autant plus de diligence et de précision quant aux points contestés. Enfin, le fait que les requérantes ont soumis plusieurs études économiques durant la procédure administrative aurait également dû conduire la Commission à préparer une motivation soigneuse tout en répondant aux arguments essentiels des requérantes, tels qu’étayés par ces études économiques».

Argumentation des parties

86

Chronopost et La Poste soutiennent que les exigences de motivation détaillée de la décision litigieuse retenues par le Tribunal pour la censurer vont au-delà de ce qu’exige le contrôle restreint d’une décision prise dans un domaine où la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Chronopost ajoute que, sous couvert du contrôle de motivation, le Tribunal, au terme d’un véritable détournement de pouvoir, opère un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, voire de l’opportunité de la décision litigieuse, en substituant son appréciation à celle de la Commission.

87

UFEX e.a. concluent au rejet de ce moyen, soutenant que la décision litigieuse n’était pas suffisamment motivée et se bornait à des considérations générales qui ne répondaient pas à l’argumentation détaillée de la plainte. Elles font valoir que l’argument tiré du détournement de pouvoir est inopérant à l’égard d’une décision du Tribunal.

Appréciation de la Cour

88

Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués ainsi que de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 63 et jurisprudence citée, ainsi que du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C-501/00, Rec. p. I-6717, point 73).

89

S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission qui conclut à l’inexistence d’une aide d’État dénoncée par un plaignant, il y a lieu de constater que la Commission est, en tout état de cause, tenue d’exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 64).

90

Il doit être rappelé encore que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (arrêt du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C-197/99 P, Rec. p. I-8461, point 86 et jurisprudence citée).

91

C’est au vu de ces considérations qu’il convient d’apprécier le bien-fondé des deux catégories d’exigences de motivation retenues en l’espèce par le Tribunal, telles que rappelées aux points 80 à 85 du présent arrêt.

92

À supposer, tout d’abord, que, dans sa réponse aux motifs de la plainte d’UFEX e.a. la Commission ait appliqué des critères d’appréciation de la notion de «condition normale du marché» qui pourraient être erronés par rapport à ceux que la Cour a retenus dans son arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, rendu postérieurement, cette circonstance serait susceptible d’avoir une incidence sur le bien-fondé même de la motivation de la décision litigieuse, mais non sur son caractère suffisant, en la forme.

93

S’agissant, ensuite, de l’exigence de motivation plus détaillée de la décision litigieuse compte tenu du contexte dans lequel elle est intervenue, l’analyse du Tribunal n’apparaît pas pertinente.

94

D’une part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 94 de ses conclusions, le fait que la décision litigieuse soit l’une des premières à aborder la question complexe, en matière d’aides d’État, du calcul des coûts de l’assistance fournie par une société mère opérant dans un marché réservé à sa filiale n’opérant pas dans un tel marché ne justifie pas en soi une motivation entrant nécessairement dans le détail du calcul de ces coûts si, comme en l’espèce, la Commission estimait que les motifs des plaignantes à cet égard étaient erronés dans leurs principes mêmes. À supposer que cette approche de la Commission fût elle-même erronée, cette circonstance serait susceptible d’avoir une incidence sur le bien-fondé de la décision litigieuse, mais non sur sa régularité en la forme.

95

D’autre part, s’il est vrai que la décision litigieuse a été adoptée après que la Commission a retiré une précédente décision du 10 mars 1992 classant la plainte d’UFEX e.a. et qui faisait l’objet d’un recours en annulation, ledit retrait n’impliquait aucune modification quant à l’étendue de l’obligation de motivation pesant sur la Commission. En effet, la notion d’aide d’État répond à une situation objective qui s’apprécie à la date à laquelle la Commission prend sa décision (arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C-182/03 et C-217/03, Rec. p. I-5479, point 137). Les raisons pour lesquelles la Commission avait fait une appréciation différente de la situation en cause dans une décision antérieure doivent dès lors rester sans incidence sur l’appréciation de la légalité de la décision litigieuse.

96

Enfin, la corrélation nécessaire entre les motifs invoqués par le plaignant et la motivation de la décision de la Commission ne saurait exiger que celle-ci soit tenue d’écarter chacun des arguments invoqués à l’appui de ces motifs. Il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêt du 11 janvier 2007, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C-404/04 P, point 30). En l’occurrence, et pourvu que les explications apportées justifient les raisons pour lesquelles lesdits motifs n’ont pas été considérés comme pertinents, ni le nombre ni l’importance des études économiques produites par le plaignant à l’appui de ces motifs ne peuvent à eux seuls modifier l’étendue de l’obligation de motivation qui incombe à la Commission.

97

Par ailleurs, il doit être rappelé également que l’analyse de la question de savoir si, comme le soutenaient UFEX e.a., l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost constituait une aide d’État s’inscrivait dans un contexte caractérisé, à la date de la décision litigieuse, par deux séries d’éléments.

98

D’une part, au point 62 de son arrêt SFEI e.a., précité, la Cour, ainsi qu’il a été rappelé au point 3 du présent arrêt, a considéré que la fourniture d’une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 92 du traité si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché.

99

D’autre part, il est constant que c’est sur le fondement de ces considérations que la plainte, dont UFEX e.a. ont saisi la Commission, visait, en substance, à justifier le caractère insuffisant de la rémunération de l’assistance logistique et commerciale (titre I, E, de la décision litigieuse).

100

En particulier, UFEX e.a. soutenaient que la rémunération de l’assistance logistique aurait dû être calculée à partir du prix qu’une entreprise agissant dans les conditions normales du marché devait demander pour les prestations en cause, sans prendre en compte les «économies d’échelle» dont bénéficiait La Poste du fait de son monopole et qui étaient précisément, selon les plaignantes, à l’origine de la distorsion de concurrence.

101

Pour considérer que la réponse apportée aux griefs soulevés par UFEX e.a. était insuffisante, le Tribunal a, aux points 75 à 95 de l’arrêt attaqué, estimé que les informations fournies par la Commission étaient trop générales et imprécises.

102

Ainsi que l’a relevé Mmel’avocat général au point 97 de ses conclusions, le Tribunal a particulièrement critiqué le manque de précision en ce qui concerne les notions économiques et comptables utilisées, le caractère des coûts examinés et les composantes des calculs financiers effectués. Il a constaté qu’il n’était pas à même de vérifier la présence ou l’absence d’éventuelles erreurs de fait ou d’appréciation et a estimé, en ce qui concerne les coûts variables, que la décision litigieuse aurait dû, à tout le moins, comprendre un sommaire général des calculs comptables analytiques relatifs aux prestations fournies.

103

Toutefois, il y a lieu de constater, en premier lieu, et comme l’a d’ailleurs relevé le Tribunal au point 73 de l’arrêt attaqué, que les «raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la méthode de calcul des coûts [de ces prestations, proposée par UFEX e.a.,] ressortent clairement des motifs exposés aux considérants 49 à 56 de la décision [litigieuse]».

104

En particulier, la Commission explique pourquoi, selon elle, les études économiques détaillées fournies par UFEX e.a. étaient fondées sur une conception du prix normal du marché, fondamentalement erronée. En effet, celles-ci définissaient ce prix comme étant celui auquel une société privée comparable fournirait les mêmes services à une société à laquelle elle n’est pas apparentée, alors qu’il faut tenir compte du fait que la transaction a lieu entre deux sociétés appartenant au même groupe et que, dans ces conditions, ne peuvent être ignorées les considérations stratégiques et les synergies qui découlent de l’appartenance de Chronopost et de La Poste à ce même groupe.

105

Dans ces circonstances, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 106 de ses conclusions, il serait hors de propos d’apporter une réponse détaillée aux suppositions et aux calculs sur lesquels se fondent lesdites études pour déterminer les montants globaux de l’aide d’État alléguée. Il ne saurait dès lors être reproché à la Commission de ne pas avoir apporté une réponse de cette nature.

106

Il convient de constater, en deuxième lieu, que le Tribunal ne précise pas quels aspects de la plainte formulée par UFEX e.a. auraient été traités, selon lui, de façon inadéquate dans la décision litigieuse.

107

En troisième lieu, il doit être encore constaté que le Tribunal ne justifie pas en quoi la décision litigieuse n’exposerait pas les motifs pour lesquels les arguments de fait et de droit présentés par UFEX e.a. n’ont pas permis à la Commission de conclure à l’existence d’une aide d’État. La motivation retenue, telle que rappelée au point 4 du présent arrêt, fait en effet apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement suivi par la Commission, et en permet le contrôle juridictionnel.

108

S’agissant des notions économiques et comptables utilisées par la Commission, du caractère des coûts examinés ainsi que des composantes des calculs financiers effectués, il ne saurait être contesté qu’ils relèvent d’appréciations techniques complexes. Dès lors que la décision litigieuse faisait ressortir clairement le raisonnement suivi par la Commission pour permettre d’en contester ultérieurement le bien-fondé devant la juridiction compétente, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques ou chacun des éléments chiffrés sur lesquels s’appuie ce raisonnement (voir, par analogie, pour les actes de portée générale, notamment, arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C-154/04 et C-155/04, Rec. p. I-6451, point 134).

109

D’ailleurs, il importe d’observer que, pour assurer le respect du secret des affaires auquel la Commission est tenue en application de l’article 214 du traité CE (devenu article 287 CE), certaines données portant notamment sur le prix de revient de prestations ne pourraient pas être communiquées dans un acte comme celui qui est en cause en l’espèce. Le caractère non exhaustif des données chiffrées figurant dans un tel acte ne permettrait pas pour autant de qualifier d’insuffisante sa motivation, ni n’empêcherait l’exercice d’un contrôle juridictionnel ultérieur.

110

Enfin, si, pour contester le bien-fondé des choix ainsi opérés et notamment leur adéquation aux critères retenus par la Cour dans l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, permettant de déterminer en l’espèce les conditions normales du marché, UFEX e.a. ont alors soulevé devant le Tribunal divers arguments mettant en cause les données sur lesquelles la Commission s’était fondée, il appartenait à celle-ci de se justifier devant le Tribunal dans le cadre de l’instruction contentieuse.

111

En revanche, la circonstance que toutes ces données ne figuraient pas dans le corps de la décision litigieuse elle-même ne permet pas de conclure, a fortiori si ces arguments ont été soulevés ou développés lors de la procédure juridictionnelle postérieure à l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, que ladite décision était insuffisamment motivée.

112

C’est pourquoi le Tribunal ne pouvait pas, sans commettre une erreur de droit, conclure, ainsi qu’il l’a fait au point 95 de l’arrêt attaqué, qu’il lui était impossible de contrôler si la méthode employée et les étapes d’analyse suivies par la Commission étaient exemptes d’erreur et compatibles avec les principes dégagés dans ledit arrêt pour déterminer l’existence ou l’absence d’une aide d’État.

113

Au vu des considérations qui précèdent, il ressort qu’aucun des motifs retenus par le Tribunal n’est de nature à justifier que la décision litigieuse devait être annulée pour défaut de motivation. En conséquence, le moyen invoqué par Chronopost et La Poste, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal quant à l’appréciation de l’obligation de motivation qui pesait sur la Commission, est fondé.

114

Il y a lieu, dès lors, d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il a prononcé, en raison de la violation de cette obligation, l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle conclut que l’assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI-Chronopost ne constitue pas une aide d’État.

Sur le quatrième moyen tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de la notion d’aide d’État en ce qui concerne le transfert de la clientèle de Postadex

Argumentation des parties

115

Chronopost et La Poste soutiennent que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la filialisation par un État membre d’une activité relevant du secteur concurrentiel constituait une aide d’État au motif que la clientèle, qui représenterait un actif incorporel financé sur ressources d’État, aurait alors été transférée sans contrepartie.

116

Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, contrairement à ce qu’a prescrit la Cour dans son arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, de la situation particulière de La Poste qui, en raison du fait que celle-ci opère dans le secteur réservé, n’est pas comparable à celle des entreprises privées. Le transfert de Postadex ne saurait être détaché artificiellement de l’opération de filialisation d’une activité par une administration, qui ne peut être appréciée de la même manière qu’un apport que ferait une société privée à sa filiale existante. En outre, l’apport de capitaux des pouvoirs publics dans Chronopost a été rémunéré, ainsi que l’a constaté la Commission, et ceux-ci n’auraient donc en rien aidé la filiale créée.

117

Par ailleurs, la filialisation en cause, d’ailleurs voulue par la Commission dans le cadre de la libéralisation de secteurs autrefois sous monopole, ne serait pas comparable aux relations entre sociétés et filiales existantes. Au moment de la filialisation, qui est comparable à une scission, il ne saurait y avoir aide d’État car il n’y aurait pas encore de bénéficiaire, et, en tout état de cause, il n’y aurait pas nécessairement avantage. D’ailleurs, la Commission aurait tenu compte de la valeur supposée des actifs incorporels transférés.

118

Enfin, la Cour aurait déjà jugé qu’une opération en capital en faveur d’une filiale du secteur public est exempte, a priori, de toute aide lorsqu’un investisseur privé participe également à l’opération, ce qui serait le cas en l’espèce puisque TAT, qui détenait 34 % du capital de la SFMI, a apporté à celle-ci ses propres actifs.

119

Pour UFEX e.a., il y a bien eu transfert gratuit de Postadex à la SFMI-Chronopost, sans contrepartie, laquelle ne saurait ressortir de la rémunération des capitaux propres investis, pour laquelle les chiffres retenus par la Commission ne sont pas pertinents. Les apports qui, en droit des sociétés, doivent toujours donner lieu à évaluation auraient bien favorisé Chronopost en lui procurant, en tant que nouvel entrant, un avantage dans la concurrence obtenu en dehors des conditions normales du marché. Il s’agirait bien d’un transfert gratuit de clientèle, d’ailleurs captive, du monopole à sa filiale.

120

Peu importe, pour l’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, qu’il s’agisse ou non d’une scission, la notion d’aide d’État se définissant non pas à partir des causes ou des moyens de l’opération, mais par ses effets sur le marché et le commerce intracommunautaires.

Appréciation de la Cour

121

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’«aide» au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies (voir arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit «Tubemeuse», C-142/87, Rec. p. I-959, point 25; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278/92 à C-280/92, Rec. p. I-4103, point 20; du 16 mai 2002, France/Commission, C-482/99, Rec. p. I-4397, point 68, ainsi que du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280/00, Rec. p. I-7747, point 74).

122

Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C-451/03, Rec. p. I-2941, point 56).

123

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que les avantages consentis peuvent ressortir non seulement des prestations positives telles que des subventions, des prêts ou des prises de participation au capital d’entreprises, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques. Dans le cadre des avantages indirects qui ont les mêmes effets que les subventions, il importe de relever que figure la fourniture de biens ou de services dans des conditions préférentielles (voir en ce sens, notamment, arrêt du 20 novembre 2003, GEMO, C-126/01, Rec. p. I-13769, points 28 et 29).

124

Pour constater, aux points 165 et 167 de l’arrêt attaqué, que le transfert de Postadex par La Poste, alors service de l’État, au profit de la SFMI-Chronopost constituait une aide d’État, le Tribunal a considéré que cette opération avait emporté transfert de clientèle, c’est-à-dire d’un élément de l’actif incorporel qui avait une valeur économique, et que l’avantage qui en était résulté pour la SFMI-Chronopost n’avait fait l’objet d’aucune contrepartie au profit de La Poste.

125

Un tel raisonnement laisse entendre que La Poste se serait séparée de Postadex sans aucune contrepartie comme si l’activité transférée avait été privatisée en dehors de toute rémunération.

126

Toutefois, une telle analyse part d’une prémisse erronée. Il est constant, en effet, que La Poste a procédé à ce transfert au moyen d’une filialisation et que, par l’intermédiaire de la holding qu’elle détient à 100 %, elle a acquis dans sa filiale Chronopost 66 % de son capital. Or, il ne saurait être exclu que cette participation prenne en compte, au moins pour partie, la valeur des actifs corporels et incorporels transférés, et notamment celle de la clientèle de Postadex.

127

Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 117 de ses conclusions, La Poste a conservé la valeur économique des activités transférées à Chronopost correspondant à sa participation de 66 % au capital de cette dernière.

128

Dans ces conditions, il doit être constaté que le Tribunal ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, fonder son analyse en faisant totalement abstraction des conditions juridiques et économiques d’un transfert de clientèle dans le cadre d’une filialisation, alors que celles-ci étaient, par elles-mêmes, susceptibles de faire naître une contrepartie à l’avantage procuré par ce transfert.

129

En outre, une telle qualification d’aide d’État ne pourrait être admise que si le transfert de clientèle de Postadex, en tant que tel, remplissait toutes les conditions visées à l’article 92, paragraphe 1, du traité, telles que rappelées au point 122 du présent arrêt, et qui sont cumulatives (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse, C-237/04, Rec. p. I-2843, point 50).

130

Or, il n’est pas allégué que toutes ces conditions seraient remplies. En tout état de cause, s’agissant de la question de savoir si, comme il ressort de la quatrième de ces conditions, un tel transfert fausserait ou menacerait de fausser la concurrence, il ne pourrait en être ainsi que si, notamment, celui-ci modifiait la structure du marché concerné et affectait la situation des entreprises concurrentes déjà présentes sur ce marché.

131

À cet égard, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 120 de ses conclusions, l’activité de courrier express étant déjà exploitée directement par La Poste sous la dénomination Postadex jusqu’à la date de la création de la SFMI-Chronopost, le transfert de la clientèle de Postadex au profit de cette dernière n’apparaît pas comme ayant eu pour effet, par lui-même, de modifier les conditions de la concurrence sur le marché du courrier express.

132

Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit au quatrième moyen invoqué par Chronopost et La Poste ainsi que d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il a prononcé l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle constate que le transfert de Postadex ne constitue pas une aide d’État.

133

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué, d’une part, en tant qu’il annule la décision litigieuse en ce qu’elle constate que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, à savoir la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost et, d’autre part, en tant que, en conséquence, il fixe la charge des dépens.

Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

134

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel étant le cas en l’espèce, il convient pour la Cour, dans la limite du litige dont elle reste saisie, de statuer au fond sur la demande d’annulation de la décision litigieuse, en tenant compte du fait que tous les éléments d’appréciation de la légalité de celle-ci ont pu être présentés par les parties tout au long d’une procédure qui a connu plusieurs étapes.

Sur l’étendue du litige

135

Il doit, tout d’abord, être rappelé que l’arrêt attaqué a annulé la décision litigieuse seulement en ce qu’elle constate que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost, alors que, ainsi qu’il est rappelé au point 4 du présent arrêt, l’article 1er de la décision litigieuse visait d’autres éléments que la Commission a considérés comme ne constituant pas des aides d’État.

136

Le Tribunal a écarté les arguments d’UFEX e.a. se rapportant à ces autres éléments, soit dans l’arrêt Ufex e.a./Commission, précité, ainsi qu’il a été rappelé au point 180 de l’arrêt attaqué, soit aux points 189 à 191 de ce dernier.

137

Par ailleurs, dans le cadre de l’examen du moyen tiré d’une violation de la notion d’aide d’État, le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, écarté les arguments invoqués par UFEX e.a. à l’appui de ce moyen et relatifs, d’une part, au recours à la méthode dite de «rétropolation» ainsi que, d’autre part, à l’utilisation de l’image de marque de La Poste.

138

Dans ces conditions, et dès lors qu’UFEX e.a., défenderesses aux présents pourvois, n’ont pas présenté de conclusions incidentes, l’annulation partielle de l’arrêt attaqué, prononcée par la Cour, ne remet pas en cause ce dernier en tant que le Tribunal a rejeté ces arguments.

139

En conséquence, l’objet du litige dont la Cour reste saisie après l’annulation qui ressort du point 132 du présent arrêt est désormais limité à la contestation de la décision litigieuse en tant, seulement, qu’elle constate que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constitue pas une aide d’État.

140

Dans la limite de cet objet, il reste dès lors à statuer sur les arguments invoqués à l’appui du moyen tiré d’une violation de la notion d’aide d’État, tels que maintenus par UFEX e.a. devant le Tribunal postérieurement à l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, à savoir le défaut de couverture des coûts supportés par La Poste, la sous-estimation et le caractère arbitraire de certains éléments retenus par la Commission, les erreurs dans les ajustements effectués à l’annexe 4 du rapport Deloitte ainsi que le niveau anormalement élevé du taux de rendement interne de l’investissement de La Poste.

Sur le bien-fondé de la demande d’annulation de la décision litigieuse

141

À titre liminaire, il doit être rappelé que la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge communautaire doit, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité (arrêt du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C-83/98 P, Rec. p. I-3271, point 25).

142

Il en résulte qu’il incombe à la Cour de vérifier si les faits invoqués par la Commission sont matériellement exacts et s’ils sont de nature à établir que toutes les conditions, rappelées au point 122 du présent arrêt, permettant la qualification d’«aide» au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité sont remplies.

143

S’agissant là d’une appréciation économique complexe, il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel d’un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, point 11, ainsi que du 8 mai 2003, Italie et SIM 2 Multimedia/Commission, C-328/99 et C-399/00, Rec. p. I-4035, point 39).

144

En outre, dès lors que, comme il a été dit au point 95 du présent arrêt, la notion d’aide d’État répond à une situation objective qui s’apprécie à la date à laquelle la Commission prend sa décision, ce sont les appréciations portées à cette date qui doivent être prises en compte pour opérer le contrôle juridictionnel susmentionné.

145

C’est au vu de ces considérations que doivent être examinés les arguments invoqués par UFEX e.a., lesquels visent à établir le caractère erroné des appréciations qui ont conduit la Commission à considérer que la rémunération de l’assistance logistique et commerciale de La Poste au bénéfice de la SFMI-Chronopost, pour la période allant de 1986 à 1995, était suffisante et ne faisait donc pas apparaître une aide d’État au profit de cette dernière.

146

En particulier, UFEX e.a. soutiennent que la Commission se contente d’affirmer que les coûts complets supportés par La Poste étaient couverts, sans préciser les chiffres retenus ni les calculs opérés, et que d’ailleurs le rapport Deloitte sur lequel elle se fonde reconnaît son incapacité à justifier ses conclusions sur les coûts variables en l’absence de comptabilité analytique de La Poste avant 1992.

147

À cet égard, et ainsi que l’a déjà relevé le Tribunal aux points 134 à 136 de l’arrêt attaqué, au sujet du recours à la méthode de rétropolation, il est constant que ce n’est qu’à partir de 1992 que La Poste, jusqu’alors partie intégrante de l’administration française, a tenu une comptabilité analytique, en l’absence de laquelle il était impossible, pour la période antérieure, de procéder à un calcul exact des coûts des prestations effectuées par La Poste pour la SFMI-Chronopost.

148

En outre, ainsi que l’a déjà fait observer la Cour au point 38 de l’arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a., précité, en l’absence de toute possibilité de comparer la situation de La Poste avec celle d’un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé, les «conditions normales de marché», qui sont nécessairement hypothétiques, doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables disponibles.

149

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu, de prime abord, de reprocher à la Commission d’avoir fondé la décision litigieuse sur des données, alors seules disponibles, ressortant notamment du rapport Deloitte, telles que remises par le gouvernement français, et qui ont permis de reconstituer les coûts supportés par La Poste. Le recours à ces données ne saurait être critiquable que s’il était établi qu’elles reposaient sur des considérations manifestement erronées.

150

Or, l’examen des pièces des dossiers soumis à la Cour ne permet pas de conclure à un tel constat.

151

En premier lieu, rien ne permettait à la Commission de remettre en cause la véracité des données qui lui étaient fournies à partir de la comptabilité analytique de La Poste mise en place à compter de 1992 et qui était, ce qui n’est pas contesté, certifiée par les commissaires aux comptes et par un contrôleur d’État. La circonstance que la Cour des comptes française, dans un rapport de 2003, aurait souligné les «faiblesses» de certains éléments de cette comptabilité, ne saurait établir que les choix opérés par la Commission à la date de la décision litigieuse étaient manifestement erronés.

152

Il convient, à cet égard, de relever, en outre, que UFEX e.a. ont joint à la plainte dont elles ont saisi la Commission une analyse économique réalisée par Braxton ainsi qu’une autre étude de cette même société à l’appui du recours dont elles ont saisi le tribunal de commerce de Paris en 1993. Il ressort des énonciations de la décision litigieuse, qui n’ont pas été contestées, qu’UFEX e.a. ont joint à leurs observations présentées à la Commission, au mois d’août de l’année 1996, une nouvelle étude économique réalisée par la société de conseil Bain & Co. (ci-après l’«étude Bain») dont les chiffres, selon UFEX e.a., étaient plus fiables que ceux des deux études précédentes de Braxton.

153

Or, outre que cette succession d’études reflète la difficulté d’apprécier les coûts réels de l’assistance fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost, il apparaît, selon les énonciations non contestées de la décision litigieuse, que le rapport Deloitte analyse les conclusions de l’étude Bain et y répond. Dans ces conditions, les données retenues par la Commission après le dépôt de ce rapport et sur le fondement de l’ensemble des considérations que comportait celui-ci doivent être regardées comme ayant été établies non pas de manière arbitraire, mais en fonction des informations alors disponibles.

154

En deuxième lieu, s’agissant de la méthodologie retenue par ledit rapport Deloitte puis par la Commission pour déterminer les coûts supportés par La Poste pour l’activité de courrier express de la SFMI-Chronopost, UFEX e.a. la contestent en ce qu’elle reviendrait à ignorer le caractère directement imputable de certains coûts fixes à la seule activité de courrier express. Toutefois, la pertinence d’une telle critique supposerait que soit établie l’existence, pour La Poste, de coûts spécifiquement attribuables à l’activité de courrier express, ce qui n’a nullement été démontré par UFEX e.a., lesquelles, à cet égard, sans identifier aucun de ces coûts de manière précise, se sont bornées à renvoyer à des documents contenant des indications générales non autrement étayées.

155

En tout état de cause, il n’apparaît pas que le recours à cette méthode, qui relève de la marge d’appréciation dont doit disposer la Commission dans les choix à caractère technique qu’elle doit opérer, résulterait d’une erreur manifeste d’appréciation alors qu’il n’est pas a priori incohérent d’imputer, comme en l’espèce, la part des coûts fixes à telle ou telle activité en fonction du volume des différentes activités.

156

En troisième lieu, il est constant que, ainsi qu’il a été dit au point 147 du présent arrêt, il était impossible, en l’absence de comptabilité analytique de La Poste pour la période allant de 1986 à 1992, de procéder à un calcul exact des coûts des prestations effectuées au bénéfice de la SFMI-Chronopost.

157

C’est précisément pour pallier cette carence qu’a été confié à la société de conseil Deloitte Touche Tohmatsu le soin de procéder à un retraitement des données comptables disponibles afin de pouvoir déterminer avec la meilleure approximation possible les coûts complets inhérents à l’assistance logistique et commerciale ainsi fournie à la SFMI-Chronopost.

158

Dans un tel contexte, il n’apparaît pas manifestement inapproprié que ce retraitement ait comporté divers ajustements, dont les motifs et l’ampleur ont été explicités dans la réponse du 27 mai 2005, de la Commission aux questions écrites posées aux parties par le Tribunal. L’existence de tels ajustements ne permet pas, en elle-même, de conclure à l’incohérence des données utilisées par la Commission à partir de cette étude.

159

En quatrième lieu, s’agissant de la question de savoir si le comportement de La Poste en tant qu’actionnaire de la SFMI-Chronopost se justifiait commercialement au regard du principe de l’investisseur en économie de marché, et ne cachait donc pas des subventions susceptibles de constituer des aides d’État, la Commission, ainsi qu’il ressort de la décision litigieuse, a vérifié que le TRI de l’investissement de La Poste en tant qu’actionnaire excédait le coût total du capital de la SFMI-Chronopost, c’est-à-dire le taux de rendement normal qu’un investisseur privé exigerait dans des circonstances similaires.

160

Il est constant, et il n’est d’ailleurs pas contesté que le calcul opéré, tel qu’il est exposé dans la décision litigieuse et tel qu’il ressort du tableau 1 figurant dans le mémoire en réponse de la Commission du 27 mai 2005, c’est-à-dire sans tenir compte de l’aide que constituerait l’accès au réseau et à des éléments du fonds de commerce de La Poste (premier scénario), a conduit à constater que le TRI excédait largement le coût du capital. Quant au TRI calculé en tenant compte de l’aide que constituerait l’accès au réseau et à des éléments dudit fonds de commerce (second scénario), UFEX e.a. soutiennent que le tableau 2 dudit mémoire serait entaché d’une erreur de calcul.

161

Toutefois, il doit être constaté que l’allégation d’UFEX e.a., qui ne remet pas en cause le constat résultant du premier scénario, ne saurait avoir d’incidence. En effet, d’une part, il ressort de la décision litigieuse que la Commission n’a eu recours au second scénario que sur la base de données avancées par UFEX e.a., dont elle contestait la teneur, et seulement pour conforter les résultats de son premier scénario.

162

Or, d’autre part, parmi ces données figurait la somme correspondant selon UFEX e.a. à l’aide résultant des conditions d’accès privilégiées aux guichets de La Poste, alors que ni UFEX e.a. ni l’étude Bain, comme le précise la décision litigieuse, n’expliquent comment elle a été calculée. Dans ces conditions, l’allégation en cause ne permet pas d’établir le caractère manifestement erroné de l’appréciation de la Commission quant à la rémunération appropriée des capitaux propres affectés à l’activité concurrentielle.

163

Enfin, il convient de rappeler que la détermination du TRI n’avait d’autre but, en l’espèce, que de vérifier si le comportement de La Poste en tant qu’actionnaire de la SFMI-Chronopost se justifiait commercialement au regard du principe de l’investisseur en économie de marché. Au regard de cet objectif, ce qui importait pour la Commission était de savoir si le TRI excédait le taux de rendement normal qu’un investisseur privé exigerait dans des circonstances similaires. Dès lors, la circonstance que ce dépassement soit plus ou moins important n’a pas d’incidence sur le point de savoir si les transactions financières qui ont eu lieu entre La Poste et sa filiale comportaient un élément d’aide. L’argument d’UFEX e.a. tiré du caractère anormalement élevé du TRI est, par suite, inopérant en l’espèce.

164

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen tiré de la violation de la notion d’aide d’État n’est pas fondé et, dès lors, le recours d’UFEX e.a. tendant à l’annulation de la décision litigieuse ne peut qu’être rejeté.

Sur les dépens

165

L’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure prévoit que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 69, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement prévoit, toutefois, que la Cour peut décider que chaque partie supporte ses propres dépens pour des motifs exceptionnels. Quant au paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, il énonce que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

166

Au vu des antécédents de l’espèce, il y a lieu de condamner chacune des parties ainsi que la République française à supporter leurs propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

 

1)

L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission (T-613/97), est annulé, d’une part, en tant qu’il annule la décision 98/365/CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France auraient accordées à SFMI-Chronopost, en ce qu’elle constate que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, à savoir la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost et, d’autre part, en tant qu’il fixe en conséquence la charge des dépens.

 

2)

Le recours introduit sous le no T-613/97 devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes est rejeté.

 

3)

Chacune des parties ainsi que la République française supportent leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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