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Document 62008CC0451
Opinion of Mr Advocate General Mengozzi delivered on 17 November 2009. # Helmut Müller GmbH v Bundesanstalt für Immobilienaufgaben. # Reference for a preliminary ruling: Oberlandesgericht Düsseldorf - Germany. # Procedures for the award of public works contracts - Public works contracts - Concept - Sale by a public body of land on which the purchaser intends subsequently to carry out works - Works corresponding to a municipal authority’s urban-planning objectives. # Case C-451/08.
Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 17 novembre 2009.
Helmut Müller GmbH contre Bundesanstalt für Immobilienaufgaben.
Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
Procédures de passation des marchés publics de travaux - Marchés publics de travaux - Notion - Vente par un organisme public d’un terrain sur lequel l’acquéreur envisage d’exécuter ultérieurement des travaux - Travaux répondant à des objectifs de développement urbanistique définis par une collectivité territoriale.
Affaire C-451/08.
Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 17 novembre 2009.
Helmut Müller GmbH contre Bundesanstalt für Immobilienaufgaben.
Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
Procédures de passation des marchés publics de travaux - Marchés publics de travaux - Notion - Vente par un organisme public d’un terrain sur lequel l’acquéreur envisage d’exécuter ultérieurement des travaux - Travaux répondant à des objectifs de développement urbanistique définis par une collectivité territoriale.
Affaire C-451/08.
Recueil de jurisprudence 2010 I-02673
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:710
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 17 novembre 2009 ( 1 )
Affaire C-451/08
Helmut Müller GmbH
contre
Bundesanstalt für Immobilienaufgaben
«Procédures de passation des marchés publics de travaux — Marchés publics de travaux — Notion — Vente par un organisme public d’un terrain sur lequel l’acquéreur envisage d’exécuter ultérieurement des travaux — Travaux répondant à des objectifs de développement urbanistique définis par une collectivité territoriale»
1. |
La présente affaire, qui a pour origine plusieurs questions préjudicielles soulevées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne), permet à la Cour de revenir encore une fois sur le problème de la distinction entre les marchés publics de travaux et les activités de réglementation d’urbanisme exercées par les pouvoirs publics. |
2. |
Plus précisément, c’est la vente d’un terrain par une administration publique à une personne privée qui est au centre de l’affaire sur laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer. De manière typique, cette situation peut amener à réfléchir sur l’existence d’une possible aide d’État ( 2 ). En l’occurrence, de telles préoccupations ne semblent cependant pas intervenir. La particularité de la présente affaire réside, en revanche, dans le fait que l’administration publique a décidé de céder le terrain au soumissionnaire qui a démontré qu’il avait, pour ledit terrain, les projets d’utilisation et de construction jugés les plus intéressants et méritants par les autorités communales, détentrices des pouvoirs en matière d’aménagement urbanistique du territoire. La juridiction de renvoi se demande si, dans ce contexte, les règles régissant les marchés publics, et plus particulièrement celles en matière de concessions de travaux publics, doivent trouver application. |
I — Cadre juridique
3. |
Les dispositions sur lesquelles la Cour est appelée à se prononcer figurent dans la directive 2004/18/CE ( 3 ). |
4. |
L’article 1er de la directive dispose: «1. Aux fins de la présente directive, les définitions figurant aux paragraphes 2 à 15 s’appliquent.
[…] 3. La ‘concession de travaux publics’ est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de travaux, à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix. […]» |
II — Faits, litige au principal et questions préjudicielles
5. |
En octobre 2006, la Bundesanstalt für Immobilienaufgaben (agence fédérale pour la gestion du patrimoine immobilier public, ci-après la «Bundesanstalt») a fait savoir, par voie d’annonces diffusées dans la presse et sur Internet, qu’elle avait l’intention de vendre un terrain d’environ 24 hectares, sis sur la commune de Wildeshausen. Le terrain était occupé, en particulier, par une caserne qui a été désaffectée dans les premiers mois de 2007. |
6. |
L’avis publié par la Bundesanstalt précisait que les utilisations admises pour le terrain étaient à convenir avec la Ville de Wildeshausen. |
7. |
Au mois de mai 2007, une expertise commandée par la Bundesanstalt a évalué la valeur du terrain à 2,33 millions d’euros. |
8. |
La société Helmut Müller GmbH (ci-après «Helmut Müller») avait présenté, dès novembre 2006, une offre d’achat du terrain au prix de 4 millions d’euros, en subordonnant toutefois cette offre à l’établissement d’un plan d’urbanisme pour la zone considérée qui soit conforme à ses projets. Cette proposition est restée sans suite. |
9. |
En janvier 2007, la Bundesanstalt a invité les éventuels intéressés à soumettre une offre pour le terrain sans plan d’urbanisme préétabli. Dans ces conditions, Helmut Müller a soumis une offre d’un million d’euros. Une autre société, à savoir Gut Spascher Sand Immobilien GmbH (ci-après «GSSI») a en revanche soumis une offre de 2,5 millions d’euros. |
10. |
Par la suite, la Ville de Wildeshausen a invité les soumissionnaires à présenter leurs projets d’utilisation de la zone en question. Ces projets ont été discutés avec la Ville, en présence notamment de la Bundesanstalt. Le 24 mai 2007, le conseil municipal de Wildeshausen a marqué sa préférence pour le projet de GSSI, en se déclarant disposé à engager une procédure en vue de définir le plan d’occupation des sols sur la base de ce projet. Toutefois, la décision du conseil municipal indiquait expressément ne pas considérer cette préférence comme contraignante relativement aux compétences de la Ville en matière d’urbanisme, que le conseil municipal se réservait d’exercer librement. |
11. |
Le 6 juin 2007, la Bundesanstalt a vendu le terrain à GSSI. Le contrat de vente ne comporte aucune référence à l’utilisation future du terrain cédé. |
12. |
Helmut Müller a attaqué la vente du terrain devant les juridictions nationales, en soutenant notamment que cette vente aurait dû avoir lieu sur la base des règles de passation des marchés publics. |
13. |
Saisie du litige, la juridiction de renvoi a posé les questions préjudicielles suivantes:
|
III — Observations liminaires
A — La jurisprudence de la juridiction de renvoi
14. |
Une mise au point préalable s’impose pour une meilleure compréhension des questions préjudicielles soulevées par le juge de renvoi. Il convient notamment de noter, ainsi que la juridiction nationale le met en évidence dans son ordonnance, que la jurisprudence actuelle du juge de renvoi (à savoir l’Oberlandesgericht Düsseldorf) présente certaines particularités qui l’opposent à la majeure partie de la jurisprudence et de la doctrine en matière de droit des marchés publics. |
15. |
En particulier, la position du juge de renvoi part de l’idée que la nature essentiellement urbanistique d’une procédure n’exclut pas, en principe, l’applicabilité des dispositions communautaires en matière de passation des marchés publics. À cet égard, le juge national cite la jurisprudence de la Cour dans les affaires Ordine degli Architetti e.a. ( 4 ) ainsi que Commission/France ( 5 ). |
16. |
En second lieu, le juge de renvoi tire de la jurisprudence Auroux e.a. ( 6 ) le principe selon lequel l’applicabilité des règles communautaires en matière de marchés publics est tout à fait indépendante du fait que le pouvoir adjudicateur entend acquérir la propriété des ouvrages à construire, voire seulement les détenir et les utiliser. En d’autres termes, la réglementation communautaire en matière de marchés publics pourrait trouver application indépendamment de l’existence d’un élément d’obtention matérielle d’un bien par le pouvoir adjudicateur. En particulier, l’utilité poursuivie par le pouvoir adjudicateur pourrait également être d’ordre immatériel, consistant par exemple, comme en l’espèce, à atteindre certains objectifs de développement urbanistique du territoire communal ( 7 ). |
17. |
Sur le fondement de cette jurisprudence, la situation en cause au principal est interprétée par le juge de renvoi dans les termes suivants. GSSI se serait vu attribuer une concession de travaux publics ( 8 ), pour laquelle les dispositions pertinentes du droit communautaire auraient dû être appliquées ( 9 ). Le fait que GSSI acquiert un droit de propriété sur les biens concernés ne s’opposerait pas à cette interprétation, puisque la notion de «concession» telle que définie par la directive n’exclurait ni la durée indéterminée de la concession ni la reconnaissance, en faveur du concessionnaire, d’un droit de propriété sur les biens faisant l’objet de la concession. |
18. |
La circonstance que la Ville de Wildeshausen, tout en ayant marqué sa préférence pour l’aménagement urbanistique envisagé par GSSI, ne se soit pas formellement engagée à autoriser cet aménagement ne constituerait pas, selon le juge de renvoi, un élément susceptible d’infirmer son interprétation des événements. En particulier, ce juge se réfère à l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire Commission/Autriche (arrêt dit «Mödling») ( 10 ) pour soutenir que même un événement chronologiquement ultérieur à l’attribution, s’il est concrètement déterminant aux fins de celle-ci, peut devoir être pris en considération aux fins d’une appréciation juridique du cas d’espèce. Sinon, l’effet utile des dispositions du droit communautaire pourrait être facilement compromis. |
19. |
Toutefois, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, ce même juge reconnaît que son interprétation du droit communautaire, dans les parties applicables dans la présente affaire, est bien loin d’être unanimement partagée. Par conséquent, par ses questions préjudicielles, l’Oberlandesgericht Düsseldorf demande, en substance, à la Cour si cette interprétation est ou non correcte. |
B — Les différences entre les versions linguistiques de l’article 1er de la directive
20. |
L’article 1er de la directive distingue, dans la plupart des versions linguistiques ( 11 ), trois catégories différentes de «marché public de travaux». Il s’agit, en particulier, des hypothèses suivantes:
|
21. |
La directive précise immédiatement après qu’un «ouvrage» ( 15 ) est le «résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique». |
22. |
Force est de constater d’emblée que les versions linguistiques de la directive présentent quelques différences d’une certaine importance. |
23. |
Il y a, tout d’abord, les différences qui résultent de l’utilisation de terminologies qui ne sont pas toujours cohérentes dans le cadre des trois variantes susmentionnées: cela est évident, notamment, si l’on observe les termes auxquels ont recours certaines versions linguistiques, comme il a été indiqué dans les notes afférentes aux variantes en question. |
24. |
En outre, la version en langue allemande présente deux autres différences significatives. Premièrement, la troisième variante précise que la réalisation de l’activité qui y est prévue doit être faite «par des tiers» («durch Dritte»): cette précision ne figure pas dans les autres versions linguistiques ( 16 ). Deuxièmement, l’activité visée par la troisième variante est indiquée non comme un «ouvrage» («Bauwerk»), mais comme une «activité de construction» («Bauleistung»): en conséquence, la définition subséquente d’un «ouvrage» semble applicable, dans le texte allemand, à la seule deuxième variante, et non à la troisième ( 17 ). |
25. |
L’existence des problèmes textuels que nous venons d’évoquer dissuade fortement de rechercher l’interprétation «correcte» des dispositions en s’en tenant à une analyse strictement littérale de celles-ci, de surcroît limitée à une seule version linguistique. En réalité, seules les interprétations systématique et téléologique peuvent, avec une certaine dose de bon sens interprétatif, guider la recherche de la signification qu’il convient d’attribuer aux dispositions en cause. |
IV — Analyse juridique
A — Prémisse: la notion de marché de travaux publics
26. |
Afin de pouvoir donner une réponse aussi complète que possible aux questions soulevées par la juridiction de renvoi, il convient, à titre liminaire, de définir les caractéristiques essentielles d’un marché de travaux. |
27. |
Il s’agit, disons-le d’emblée, d’une notion qui relève exclusivement du droit communautaire, de sorte que la qualification d’une situation sur le fondement du droit national d’un État membre n’est pas pertinente en l’espèce ( 18 ). |
28. |
En ce qui concerne l’objet du marché, la directive 2004/18 définit, comme nous l’avons vu plus haut, trois catégories principales. Toutefois, en résumé, on peut cependant dire que, en vertu de l’article 1er de ladite directive, relèvent de la notion de marché de travaux publics, d’une part, l’accomplissement de travaux spécifiques, relevant des types énumérés à l’annexe I de la directive, et, d’autre part, la réalisation d’ouvrages. En d’autres termes, la notion comprend soit des activités de construction, indépendamment du fait que le résultat des travaux constitue un bien d’une nature définie et/ou achevée, soit des activités de réalisation, éventuellement aussi par des parties tierces, de biens spécifiques «achevés». Ces biens, dont le caractère «achevé» est déterminé par la directive en indiquant qu’ils remplissent une «fonction économique ou technique» sont normalement définis comme des «ouvrages». |
29. |
S’agissant des différentes situations particulières qui doivent être appréciées, il convient naturellement d’examiner au cas par cas si elles s’inscrivent ou non dans le champ d’application de la directive 2004/18. Il nous semble cependant que, d’une manière générale, une approche flexible, fondée non sur la tripartition figurant dans la plupart des versions linguistiques de l’article 1er, mais plutôt sur la bipartition travaux/ouvrages, telle qu’exposée au point précédent, permet dans une grande majorité de cas de résoudre le problème relatif à l’existence des conditions objectives pour l’application de la directive. |
30. |
Quelle que soit l’approche retenue, il convient toutefois de ne pas oublier que la présence de l’élément de la construction est un aspect qui caractérise tous les marchés de travaux publics. En d’autres termes, les activités exercées doivent comporter une réalisation de biens. La simple vente de biens déjà existants est en effet expressément exclue du champ d’application de la directive ( 19 ). |
31. |
L’article 1er de la directive définit expressément d’autres caractères essentiels d’un marché de travaux. Il dispose, en effet, que le marché de travaux est un contrat, conclu par écrit et à titre onéreux. Cette dernière caractéristique implique, dès lors, qu’une contre-prestation de l’administration qui n’est pas nécessairement en argent, mais assurément économiquement évaluable, correspond à la prestation de l’adjudicataire ( 20 ). |
32. |
La directive elle-même prévoit cependant, comme on le sait, une alternative au modèle «typique» dans lequel l’administration publique paie (dans un sens large, comme nous l’avons vu) le constructeur d’un ouvrage. Dans ce modèle alternatif, qui est celui de la concession de travaux publics, «la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix». Selon la juridiction de renvoi, en l’espèce, c’est le régime de la concession de travaux publics qui devrait trouver application, puisque l’administration publique se borne à permettre à la personne qui entend effectuer certains travaux de bâtiment de profiter pleinement, conformément aux règles du droit de propriété, des résultats de son activité de construction. Ce problème sera examiné en détail ci-après, notamment dans le cadre de l’analyse de la septième question préjudicielle. |
33. |
Une autre remarque qui s’impose concerne la finalité que les pouvoirs publics poursuivent moyennant les ouvrages et/ou les travaux qu’ils entendent réaliser. Or, ainsi que la jurisprudence de la Cour l’a précisé, aux fins de l’applicabilité des dispositions de la directive, la finalité poursuivie est sans pertinence ( 21 ). Ce qui importe, par conséquent, c’est exclusivement l’existence des conditions objectives fixées par le texte. |
34. |
Cette indifférence de la réglementation communautaire à l’égard des fins poursuivies dans chaque cas concret par les pouvoirs publics s’explique par le fait que, comme le suggèrent les considérants de la directive, la réglementation communautaire des marchés publics a pour objectif principal d’éliminer les restrictions aux libertés fondamentales et de favoriser une concurrence effective ( 22 ). Par conséquent, la perspective est celle des personnes qui pourraient être intéressées à exécuter les travaux: pour ces personnes, évidemment, l’objectif que l’administration publique entend poursuivre est indifférent. |
35. |
L’objet large et ambitieux de la directive, s’il convient d’en tenir compte dans l’interprétation de celle-ci, ne doit cependant pas faire croire que, en se fondant sur le but de ce texte, son champ d’application puisse être étendu sans limites. En particulier, on observera que certains secteurs spécifiques dans lesquels la directive ne s’applique pas sont d’ores et déjà indiqués dans le texte de la directive: nous renvoyons, notamment, aux articles 10 à 16. Par conséquent, une interprétation exclusivement «fonctionnelle» de la directive, menée uniquement à la lumière des objectifs de base fixés par celle-ci, n’est pas admissible. |
36. |
En effet, si l’on se place dans une optique d’interprétation «fonctionnelle», telle qu’elle semble être prônée notamment par la Commission des Communautés européennes, le problème crucial se pose de déterminer quel est le critère en fonction duquel la directive doit trouver application. Or, la Commission elle-même indique que sa préoccupation principale est que certaines personnes puissent acquérir un avantage sans avoir été d’abord placées dans une situation d’égalité avec les autres personnes potentiellement intéressées à obtenir un tel avantage. Dans des cas tels que celui de l’espèce, l’avantage serait constitué par l’augmentation de valeur d’un terrain liée au fait que l’administration publique autorise la réalisation de certaines activités de construction sur ce terrain. Par conséquent, selon l’interprétation de la Commission, toute «augmentation de valeur» d’un bien immobilier, lorsqu’elle est due à une activité des pouvoirs publics, devrait être soumise aux dispositions de la directive. Il est cependant évident que, en admettant cette position, on s’expose au risque de devoir accepter l’hypothèse, aussi absurde qu’elle soit, d’une soumission aux règles de la directive de toute activité de réglementation urbanistique: en effet, par définition, les mesures régissant la possibilité de réaliser des bâtiments modifient, parfois de manière substantielle, la valeur des terrains auxquels elles s’appliquent. |
37. |
En réalité, nul ne soutient cette thèse extrême. Elle constitue toutefois, soulignons-le, la conséquence logique d’une lecture exclusivement fonctionnelle de la directive. |
38. |
Certes, comme on le sait, dans certains domaines, la jurisprudence de la Cour a suivi une interprétation expressément «fonctionnelle» des dispositions du droit communautaire. Tel a été notamment le cas, dans le cadre du droit des marchés publics, en ce qui concerne les notions de «pouvoir adjudicateur» et d’«organisme de droit public» ( 23 ). À cet égard, force est cependant de relever tout d’abord que, à ces occasions, l’interprétation fonctionnelle a été utilisée en vue de préciser la portée d’une notion spécifique, et non pour définir de manière générale le champ d’application de l’ensemble du corpus réglementaire en matière de marchés publics. En outre, dans les cas cités, le recours à l’interprétation fonctionnelle a eu essentiellement pour but de prévenir la formation de lacunes considérables qui auraient ouvert de vastes possibilités d’abus: nous songeons, par exemple, au cas dans lequel la fonction typique d’un organisme de droit public a été assumée à un moment ultérieur à la constitution d’une société, sans adaptation de son statut ( 24 ), ou au cas dans lequel le financement public (en l’occurrence, le financement d’un organisme de radiodiffusion) a eu lieu en imposant le paiement d’une redevance à tous les détenteurs d’un poste récepteur et non par le versement direct de ressources publiques ( 25 ). |
39. |
Il nous semble dès lors clair que, au contraire, le champ d’application de la directive doit être déterminé par référence, en premier lieu, aux conditions objectives qui sont définies par la directive elle-même. Naturellement, cela ne signifie pas que l’interprète doive éviter toute considération d’ordre «fonctionnel». En réalité, les objectifs poursuivis par la directive forment, à l’évidence, l’un des principaux repères aux fins de l’interprétation ( 26 ): ils ne sauraient cependant constituer le seul critère de référence ni contourner la volonté du législateur de définir le champ d’application de la norme. |
40. |
Venons-en maintenant à l’examen des questions préjudicielles. Pour des raisons de lien logique entre les questions, nous aborderons d’abord les première, deuxième, cinquième et sixième questions. |
B — Les première et deuxième questions
41. |
Par les deux premières questions préjudicielles, qui peuvent être examinées conjointement, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si, en règle générale, un marché public de travaux au sens de la directive 2004/18 implique que l’objet du marché constitue un bien matériellement obtenu par l’administration publique pour laquelle il présente une utilité économique directe. Dans l’affirmative, c’est-à-dire si, pour reprendre les termes du juge de renvoi, il n’est pas possible «de faire abstraction de l’élément d’obtention [de quelque chose]», la Cour est invitée à dire si la simple poursuite, de manière générale, d’un objectif public, par exemple un certain aménagement urbanistique de la commune, peut ou non constituer un tel élément. |
1. Positions des parties
42. |
Les positions défendues par les intéressés qui ont présenté des observations dans la présente procédure couvrent un éventail très large. |
43. |
D’une part, le gouvernement allemand, soutenu sur ce point par la Bundesanstalt et, dans une large mesure, par le gouvernement autrichien, affirme avec force la nécessité que l’élément d’obtention existe pour que l’on puisse parler d’un marché de travaux publics. En réalité, ce gouvernement soutient qu’il ne doit pas s’agir nécessairement d’une obtention d’ordre matériel, et que même un simple intérêt économique pour l’administration publique peut être suffisant. En revanche, ce qui n’est pas suffisant selon le gouvernement allemand, c’est la simple poursuite, de manière générale, d’un objectif public, comme en l’occurrence. Quant à l’arrêt Auroux e.a., qui constitue l’un des pivots de la position vers laquelle incline le juge national, le gouvernement allemand relève que, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à cette décision, l’existence d’une utilité économique directe pour l’administration publique allait de soi, de sorte que la Cour n’a pas jugé nécessaire de concentrer son attention sur ce point. Cela ne devrait cependant en aucune façon être interprété dans le sens d’une exclusion de la nécessité d’une condition d’utilité économique: cette condition, même si elle n’est pas expressément mentionnée dans la directive, serait implicite dans l’économie générale de celle-ci. S’agissant des arguments fondés sur la nécessité de garantir l’effet utile de la directive et de prévenir le risque d’abus, il ne saurait, selon le gouvernement allemand, permettre d’appliquer subrepticement la directive en dehors de son champ d’application naturel. Les besoins éventuels de prévention d’abus en dehors du domaine des marchés publics devraient être satisfaits en ayant recours à d’autres instruments, différents de la directive 2004/18. |
44. |
La position défendue par la Commission est en revanche diamétralement opposée à celle du gouvernement allemand. En particulier, selon la Commission, le seul élément déterminant en vue de fournir une réponse à la juridiction de renvoi réside dans le fait que le texte de la directive n’exige pas, pour qu’il existe un marché de travaux publics, que l’administration publique obtienne quelque chose de tiers. Exiger l’existence d’un élément d’obtention équivaudrait, dès lors, à introduire une condition non requise par le texte. |
45. |
Enfin, le gouvernement néerlandais adopte une position intermédiaire. Selon ce gouvernement, en particulier, bien que l’acquisition de l’ouvrage par l’administration publique ne soit pas nécessaire, et ce notamment au regard de la jurisprudence de la Cour, la notion de marché public de travaux suppose cependant l’existence d’un intérêt économique direct de l’administration publique. Cet intérêt économique direct peut notamment consister, selon les cas, soit en un avantage économique pour l’administration publique, soit dans ce que le gouvernement néerlandais qualifie de «risque de perte» supporté par cette administration. Or, selon le gouvernement néerlandais, dans les faits de l’espèce au principal, cet intérêt économique n’existe pas, ou du moins n’apparaît pas sur la base des éléments fournis par la juridiction de renvoi. |
2. Appréciation
46. |
L’interprétation correcte de la directive 2004/18 se situe, selon nous, à mi-chemin entre les deux positions «extrêmes» du gouvernement allemand et de la Commission. Par ailleurs, nous ne partageons pas entièrement la position du gouvernement néerlandais qui nous semble trop axée sur un élément d’ordre économique pour définir la notion de marché public de travaux. |
47. |
Pour pouvoir donner une réponse à la question soumise à la Cour, il nous semble important de partir de l’interprétation qu’il convient de donner à l’arrêt Auroux e.a. ( 27 ). Dans les circonstances de l’espèce à l’origine de cet arrêt, comme on le sait, une administration communale avait confié, sans mise en concurrence, à un second pouvoir adjudicateur la réalisation d’une opération d’aménagement urbain. Dans ce contexte, le second pouvoir adjudicateur aurait dû, en utilisant en partie les fonds alloués par la commune, réaliser différents ouvrages, destinés en partie à être vendus à des tiers et en partie à être remis à l’administration communale. La Cour a considéré cette situation comme un marché public de travaux, en jugeant sans importance à cet égard qu’il soit prévu ou non que le premier pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire la commune, devienne propriétaire de tout ou partie de l’ouvrage à réaliser ( 28 ). |
48. |
Il est vrai que, ainsi que le fait observer le gouvernement allemand, dans les circonstances de l’espèce il n’était pas douteux que, au moins en partie, certains des ouvrages à réaliser auraient directement bénéficié à l’administration communale. Toutefois, il est tout aussi vrai que la formulation très large retenue par la Cour exclut, selon nous, la nécessité de considérer l’obtention directe en faveur d’une administration publique comme une condition d’un marché de travaux publics. |
49. |
D’autre part, il convient cependant de mettre en évidence une autre caractéristique du cas d’espèce examiné dans l’arrêt Auroux e.a.: à cette occasion, l’administration communale avait versé une importante somme d’argent et était intervenue directement auprès du second pouvoir adjudicateur en vue d’obtenir la réalisation des ouvrages voulus. |
50. |
La notion de marché public de travaux, si elle doit être interprétée de manière large afin d’éviter d’éventuels abus, ne saurait, comme nous l’avons déjà observé plus haut, être étendue indéfiniment ( 29 ). Une telle lecture «fonctionnaliste» ne peut pas ignorer complètement les limites du champ d’application de la directive. En effet, s’il est assurément vrai que les directives en matière de marchés publics ont pour objectif principal de favoriser la concurrence entre les entreprises et d’ouvrir les marchés, il est également vrai que, en dehors du champ d’application de la directive, cet objectif devra être poursuivi en utilisant d’autres instruments législatifs appropriés, sans étendre outre mesure le domaine d’application des dispositions en matière de marchés publics. |
51. |
Il est donc nécessaire de déterminer avec une certaine précision les contours de ce champ d’application, qui doivent représenter des limites infranchissables pour l’applicabilité des dispositions de la directive. |
52. |
Or, il nous semble qu’une considération d’ensemble du texte, tenant également compte de l’interprétation que la Cour en a donnée jusqu’à présent, permet de dégager le principe de base selon lequel, pour pouvoir faire entrer une activité donnée dans le domaine du droit des marchés publics de travaux, il faut qu’il existe un solide lien direct entre l’administration publique et les travaux ou les ouvrages à réaliser. Ce lien découle, normalement, du fait que les travaux ou les ouvrages sont réalisés à la suite d’une initiative de l’administration publique. |
53. |
Une utilité d’ordre purement immatériel et indirect n’est dès lors pas suffisante, contrairement à ce qu’estime la juridiction de renvoi. La seule circonstance que l’activité à apprécier répond, globalement, à l’intérêt public ne saurait non plus suffire. En effet, force est de constater que, dans les cas où l’activité requiert une autorisation préalable d’une administration publique (ce qui est normalement le cas de toutes les activités de construction), pour pouvoir être autorisée, l’activité en cause doit évidemment être conforme à l’intérêt public, qui constitue le critère de référence de l’activité d’autorisation exercée par les pouvoirs publics. L’existence générale d’un intérêt public, qui justifie l’autorisation de l’activité, ne saurait donc, sous peine d’une extension incontrôlée du champ d’application de la directive, constituer le critère déterminant pour identifier les situations qui relèvent de ce domaine. Il faut notamment tenir compte du fait qu’un permis de construire, c’est-à-dire l’expression typique des pouvoirs de l’administration dans le domaine objectivement urbanistique, se borne, en règle générale, à lever une barrière pour le développement d’une initiative émanant d’un particulier et non pas de l’administration publique. |
54. |
Nous estimons que le fait d’exiger l’existence d’un lien direct entre l’administration publique et les ouvrages ou les travaux à réaliser permet de concilier les impératifs, généralement antagoniques, consistant, d’une part, à prévenir les abus et, d’autre part, à éviter une extension incontrôlée du champ d’application de la directive. Cette solution permet en particulier de respecter pleinement ce que la Cour a énoncé dans l’arrêt Auroux e.a., précité, selon lequel l’acquisition de la propriété des ouvrages par l’administration n’est pas une condition nécessaire pour appliquer la réglementation relative à la passation des marchés publics. Toutefois, cet arrêt ne peut pas servir pour justifier une approche qui fait complètement abstraction d’une relation étroite entre les pouvoirs publics et les ouvrages à réaliser: précisément, le critère du lien direct peut constituer, selon nous, une expression appropriée de cette nécessaire relation. |
55. |
Ce lien direct peut évidemment être constaté, en premier lieu, dans les situations dans lesquelles l’administration publique obtient directement la propriété du bien à réaliser. Il s’agit, à l’évidence, du cas de figure le plus typique, et la majorité des cas dans lesquels la directive doit trouver application relèvent de ce modèle de référence. À cette situation typique sont également associées des situations dans lesquelles les biens à réaliser, bien que l’administration publique n’en acquière pas la propriété, constituent en tout état de cause, pour cette administration, un avantage économique direct. Il peut s’agir, par exemple, des cas dans lesquels les pouvoirs publics obtiennent sur les biens construits un droit qui, tout en étant distinct du droit de propriété, permet cependant, du moins dans une certaine mesure, la jouissance du bien en question. |
56. |
Une deuxième hypothèse de lien direct entre l’administration publique et les ouvrages ou les travaux à réaliser peut être identifiée, selon nous, dans les cas où l’administration publique utilise, pour la réalisation des travaux et/ou des ouvrages, des fonds publics. Il s’agira évidemment, la plupart du temps, de situations qui relèvent également de la première hypothèse évoquée au point précédent, étant donné que, dans le modèle plus classique d’une utilisation de fonds publics pour la réalisation de travaux ou d’ouvrages, c’est-à-dire celui du marché public, les pouvoirs publics paient afin d’acquérir la propriété des biens qui seront réalisés. Du reste, comme nous l’avons vu, même dans le modèle de la concession, il peut y avoir une utilisation de ressources publiques, sans que celles-ci puissent toutefois couvrir la totalité de la valeur des ouvrages ou des travaux à réaliser. |
57. |
Cette deuxième hypothèse embrasse cependant aussi des situations dans lesquelles, en regard d’une dépense d’argent ou d’autres ressources publiques, l’administration publique n’acquiert pas la propriété des biens à réaliser. Ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt Auroux e.a., l’acquisition de la propriété n’est, en effet, pas un élément indispensable. Au demeurant, il semble pleinement conforme à des raisons d’équité et de respect des principes de base de la directive que, lorsque les pouvoirs publics entendent utiliser des ressources publiques, la sélection des personnes qui recevront ces ressources se fasse sous couvert des garanties offertes par la directive. |
58. |
Il va de soi que relèvent également de cette hypothèse les situations dans lesquelles les ressources publiques utilisées ne sont pas de nature pécuniaire: nous songeons, par exemple, au cas dans lequel, pour réaliser les ouvrages ou les travaux, l’adjudicataire ou le concessionnaire bénéficie de la mise à disposition de terrains publics à titre gratuit, ou à un prix inférieur à celui du marché. |
59. |
Une troisième hypothèse de lien direct entre l’administration publique et les travaux ou les ouvrages à réaliser revêt un caractère résiduel et concerne les cas dans lesquels ces ouvrages et/ou ces travaux, au-delà de l’existence de la première ou de la deuxième hypothèse, sont en tout état de cause le résultat d’une initiative prise par l’administration publique elle-même. Il en est ainsi, notamment, quand les pouvoirs publics lancent, de leur propre initiative, une procédure qui conduit à la réalisation des ouvrages ou des travaux. C’est une situation de ce type que la Cour a examinée dans l’arrêt Auroux e.a. ( 30 ). |
60. |
La troisième et dernière hypothèse appelle cependant une précision importante. L’activité qui est exercée dans ce contexte par l’administration publique doit aller au-delà de la simple utilisation des pouvoirs qui sont en règle générale reconnus à cette administration en matière d’urbanisme. En effet, ce n’est que de cette manière qu’il est possible de tracer une ligne de démarcation claire entre l’activité relevant du champ d’application de la directive et l’activité «normale» de réglementation de l’urbanisme, qui est en revanche soustraite, en tant que telle, à cette application. Concrètement, l’appréciation concernant le type d’activité exercée par l’administration publique dans chaque cas concret devra être faite par la juridiction nationale, au cas par cas. |
61. |
Dans ce contexte, il n’est pas à exclure que même la réalisation d’un certain aménagement du territoire puisse faire l’objet d’un contrat relevant du champ d’application de la directive. Cela suppose toutefois qu’il existe, entre l’administration publique et les travaux ou les ouvrages à réaliser, un lien direct dans le sens indiqué aux points précédents. La simple poursuite de l’intérêt général au moyen du recours aux pouvoirs ordinaires en matière d’urbanisme n’est pas suffisante pour conduire à l’application des règles communautaires en matière de marchés et de concessions. |
62. |
En l’espèce, il appartient naturellement à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence ou non d’un tel lien direct. Nous observons cependant que, eu égard aux éléments que la juridiction nationale a fournis à la Cour, il nous paraît difficile que ce lien puisse être considéré comme établi. En effet, d’une part, il est constant que l’administration publique n’acquerra en l’occurrence aucun bien et n’obtiendra aucun avantage économique direct. Il ne semble pas non plus que les autres situations éventuelles dans lesquelles un lien direct peut être constaté entrent en ligne de compte, puisque la Ville de Wildeshausen n’a pris aucune initiative particulière pour la réalisation des ouvrages, se bornant au contraire à apprécier les différents projets qui lui ont été soumis, et elle n’a même pas dû faire face à une dépense aux fins de la construction. De même, ces éléments de rattachement semblent également faire défaut en ce qui concerne la Bundesanstalt. |
C — Les cinquième et sixième questions
63. |
Les cinquième et sixième questions préjudicielles portent sur la seule troisième «variante» de la notion de marché public de travaux ( 31 ) et constituent dans une certaine mesure la reproduction, en ce qui concerne cette hypothèse, des problèmes qui ont été soulevés dans le cadre des deux premières questions et, notamment, dans la deuxième. |
64. |
Plus précisément, par la cinquième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les «besoins précisés par le pouvoir adjudicateur» dont il est question dans ladite variante peuvent simplement consister dans le fait que l’administration publique a le pouvoir de s’assurer que les ouvrages à réaliser répondent à un intérêt général. |
65. |
En revanche, par la sixième question, la Cour est invitée à dire si lesdits «besoins précisés par le pouvoir adjudicateur» peuvent consister, en fait, dans le pouvoir qui est reconnu à l’administration publique de vérifier et d’approuver les projets de construction. |
1. Arguments des parties
66. |
Tous les intéressés qui ont présenté des observations, à l’exception bien entendu de Helmut Müller, sont en principe d’accord sur le fait que, dans des circonstances telles que celle de l’espèce au principal, les conditions requises pour constituer un marché de travaux publics au sens de la troisième variante ne sont pas remplies. |
67. |
Plus précisément, la Commission, le gouvernement néerlandais et le gouvernement français insistent sur la nécessité de distinguer entre un rôle «actif» de l’administration publique, dans lequel celle-ci prend l’initiative pour l’exécution des ouvrages, ou en tout état de cause exerce une influence déterminante, et un rôle purement «passif», dans lequel les pouvoirs publics se limitent à des fonctions d’approbation et de contrôle à l’égard de projets émanant de particuliers. Dans ce second cas de figure, on ne serait pas en présence d’un marché public, mais il s’agirait tout au plus de l’exercice, par les administrations publiques, de leurs fonctions ordinaires de planification, d’approbation, de contrôle, etc. |
68. |
Pour sa part, le gouvernement allemand fonde sa position sur la considération qu’il faut, également pour la troisième variante de la notion de marché public de travaux, que soient réunies les conditions que ce gouvernement juge nécessaires aux fins de l’existence de l’une des deux premières variantes, dont notamment la condition d’une utilité économique directe pour l’administration publique. |
2. Appréciation
69. |
Le choix du juge de renvoi de séparer, dans l’articulation de ses questions posées à la Cour, la problématique relative aux deux premières variantes de la notion de marché public de travaux, formant l’objet notamment de la deuxième question, de celle relative à la troisième variante, qui est au cœur des cinquième et sixième questions, procède, nous semble-t-il, de sa volonté de tirer du libellé de la troisième variante un élargissement considérable du champ d’application de la directive. |
70. |
Or, il est incontestable, ainsi que la Commission l’a bien mis en évidence dans ses observations, que la troisième variante de la notion de marché public de travaux a été effectivement conçue afin d’éviter que la réglementation ne soit contournée, en permettant qu’elle recouvre différents types de situations qu’il aurait été impossible de définir à l’avance de manière exhaustive. |
71. |
Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, il n’est cependant pas possible de se servir de la lettre du texte pour en étendre la portée de manière tout à fait incontrôlée. En particulier, si les «besoins précisés par le pouvoir adjudicateur» pouvaient englober toutes les fonctions d’approbation et de planification urbanistique des pouvoirs publics, le champ d’application de la directive se développerait outre mesure. |
72. |
En réalité, également en ce qui concerne la troisième variante, il convient d’appliquer les considérations que nous avons exposées plus haut à propos des deux premières questions préjudicielles. Il n’y a aucune raison de supposer que, s’agissant de la troisième variante, il soit possible de faire abstraction de la nécessité, pour pouvoir appliquer la directive 2004/18, d’un lien direct entre l’administration publique et les ouvrages à réaliser. |
D — Conclusions partielles
73. |
Aux termes de notre analyse des première, deuxième, cinquième et sixième questions préjudicielles, nous proposons donc à la Cour de répondre à ces questions en disant pour droit qu’un marché public de travaux ou une concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 suppose l’existence d’un lien direct entre le pouvoir adjudicateur et les travaux ou les ouvrages à réaliser. Ce lien direct peut consister, notamment, dans le fait que l’ouvrage a vocation à être acquis par l’administration publique, ou qu’il fournit à celle-ci un avantage économique direct, ou bien encore dans le fait que le pouvoir adjudicateur a pris l’initiative de la réalisation ou supporte au moins en partie les coûts y afférents. |
E — Les troisième et quatrième questions
74. |
Par les troisième et quatrième questions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf souhaite en substance savoir s’il est essentiel, dans la notion de marché public de travaux, que l’adjudicataire s’engage à réaliser les ouvrages ou les travaux. Ces questions, apparemment singulières, s’expliquent compte tenu du fait que, dans les circonstances de l’espèce au principal, il est constant que l’acheteur du terrain n’a assumé, lors de l’achat de ce terrain, aucune obligation de construire. |
75. |
Presque tous les intéressés qui ont présenté des observations s’accordent en général sur la nécessité d’apporter une réponse affirmative aux questions, sans qu’aucune différence notable n’apparaisse entre leurs positions. Seule la société Helmut Müller, partie demanderesse au principal, suggère à la Cour, pour des raisons évidentes, de retenir au contraire l’approche de la juridiction de renvoi, selon laquelle cette obligation n’est pas nécessaire. |
76. |
Il nous semble cependant clair qu’il y a lieu de répondre aux questions par l’affirmative, et que l’obligation de réaliser les travaux et/ou les ouvrages constitue un élément indispensable pour qu’un marché public de travaux ou une concession de travaux publics puisse exister. |
77. |
Cela résulte, premièrement et fondamentalement, des dispositions de la directive 2004/18 elle-même, qui, comme nous l’avons vu, définit le marché public de travaux comme un contrat à titre onéreux. Il existe donc, à la base même de la notion, l’idée d’un échange de prestations entre le pouvoir adjudicateur, qui paie un prix (ou, à titre subsidiaire, concède un droit d’utilisation) et l’adjudicataire, appelé à réaliser des travaux ou des ouvrages. Le caractère synallagmatique du marché public est par conséquent évident. Il serait manifestement contraire à ce caractère d’admettre que, après avoir obtenu l’attribution du marché, un adjudicataire peut simplement décider, de manière unilatérale et sans conséquence, de ne pas réaliser ce qui était prévu. Cela reviendrait à reconnaître à un adjudicataire un pouvoir discrétionnaire par rapport aux exigences et aux besoins du pouvoir adjudicateur. |
78. |
Une question différente et conceptuellement distincte, qui est également posée par la juridiction de renvoi, concerne la nécessité ou non, pour qu’il y ait un marché de travaux publics, que l’éventuelle obligation assumée par l’adjudicataire à l’égard de l’administration publique soit une obligation dont l’exécution puisse être réclamée en justice. Autrement dit, le juge national demande si la possibilité doit être prévue, pour le pouvoir adjudicateur, en cas de non-exécution, d’agir en justice pour contraindre l’adjudicataire à la réalisation. |
79. |
Si, par cette formulation, la juridiction de renvoi entend interroger la Cour sur le point de savoir si, en matière de marchés de travaux au sens de la directive 2004/18, le droit national doit nécessairement prévoir des dispositifs grâce auxquels un adjudicataire peut être obligé à réaliser l’ouvrage ou les travaux stipulés dans le contrat, une réponse négative nous semble s’imposer, étant donné qu’aucune indication en ce sens ne peut être décelée dans la directive. |
80. |
Cela ne signifie cependant pas que le manquement éventuel de l’adjudicataire puisse être dénué de pertinence. En effet, il ne faut pas oublier que, comme nous l’avons indiqué plus haut, un marché de travaux publics est, à tous égards, un contrat, c’est-à-dire un acte juridique qui, dans la diversité des ordres juridiques nationaux, se caractérise toujours par sa nature contraignante. Ainsi que le gouvernement allemand le note à bon escient dans ses observations, pour que l’on puisse parler d’un marché de travaux publics, il faut que l’adjudicataire soit contractuellement tenu d’effectuer la prestation prévue. Les conséquences d’un éventuel manquement sont en revanche laissées au droit national: rien ne s’oppose à ce que, par exemple, en cas d’inexécution d’un adjudicataire, le droit national d’un État membre prévoie la résiliation du contrat, l’attribution à un autre adjudicataire et le droit, pour l’administration publique, de réclamer au premier adjudicataire tout simplement des dommages-intérêts. |
81. |
Nous proposons, par conséquent, à la Cour de répondre aux troisième et quatrième questions préjudicielles en disant pour droit que la notion de marché public de travaux et celle de concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 supposent que l’adjudicataire soit contractuellement obligé, envers l’administration publique, à la prestation convenue. Il appartient au droit national de déterminer les conséquences d’un éventuel manquement de l’adjudicataire. |
F — La septième question
82. |
Par la septième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir s’il peut y avoir une concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 lorsque le «concessionnaire» est titulaire d’un droit de propriété qui, déjà en tant que tel, lui confère le droit d’utiliser le bien faisant l’objet de la concession ( 32 ). De manière plus générale, la question concerne l’admissibilité, au regard du droit communautaire, d’une concession de durée illimitée. |
1. Positions des parties
83. |
La position la plus nette sur ce problème est celle du gouvernement allemand, qui exclut en règle générale la compatibilité de la concession avec l’existence d’un droit de propriété. En effet, par définition, la concession suppose que le concédant soit titulaire des droits qui sont transférés au concessionnaire. |
84. |
Pour leur part, les gouvernements néerlandais et autrichien, tout en n’excluant pas de manière absolue la compatibilité de la concession avec le droit de propriété, considèrent que, en l’espèce, le rôle de l’administration publique a été trop limité pour qu’il puisse y avoir une concession. En effet, pour cela, il aurait fallu, selon ces gouvernements, que les pouvoirs publics donnent au concessionnaire au moins des instructions précises concernant les travaux et/ou les ouvrages à réaliser. |
85. |
Seule la Commission adopte au contraire une position plus ouverte. En particulier, s’appuyant sur le fait que la concession de travaux a pour caractéristique que le concessionnaire supporte le risque économique lié à la réalisation des travaux ou des ouvrages, la Commission estime que, en l’espèce, ce risque économique peut être vu dans l’incertitude, pour le «concessionnaire», quant à l’acceptation, par l’administration publique, de ses projets de construction en vue de la réalisation desquels il a fallu procéder d’abord à l’acquisition onéreuse du terrain. |
2. Appréciation
86. |
La septième question est, d’un certain point de vue, la plus problématique, à tout le moins en principe. Le problème de la compatibilité entre concession de marchés publics et droit de propriété a en effet des implications significatives tant en théorie qu’en pratique. |
87. |
Le choix d’une administration publique de recourir à une concession de marchés publics peut résulter de différentes raisons. Dans certains cas, ce peut être la volonté de bénéficier d’expériences spécifiques existant dans le secteur privé, ou encore la volonté de construire des ouvrages avec une efficacité accrue. Il n’est cependant pas douteux que, dans la plupart des cas, la décision de retenir la concession répond à des exigences d’ordre financier. En effet, en ayant recours à cet instrument, il est possible de réaliser des ouvrages d’intérêt général sans grever les budgets publics ( 33 ). |
88. |
Selon l’étymologie même du terme, une concession est la possibilité, qui est reconnue à une personne, de jouir d’un bien sur lequel, autrement, elle ne pourrait revendiquer aucun droit. |
89. |
La directive 2004/18, quant à elle, parle simplement, dans la définition de la concession de travaux publics, d’un «droit d’exploiter l’ouvrage» accordé en compensation à la personne qui construit cet ouvrage. |
90. |
Or, bien que ce «droit d’exploiter» puisse être interprété largement, il nous semble qu’il faille exclure, compte tenu du sens et de l’économie générale de la réglementation en cause, la possibilité d’une concession de travaux publics dans laquelle un droit de propriété sur les ouvrages réalisés est reconnu au concessionnaire. |
91. |
En effet, premièrement, comme le gouvernement allemand l’a notamment indiqué, le fait que la directive parle d’un droit d’exploitation octroyé au concessionnaire semble impliquer, en toute logique, que le concessionnaire ne puisse pas avoir sur le bien en question un droit plus large, tel que le droit de propriété. |
92. |
De plus, cette situation, outre le fait qu’elle se concilie mal avec le libellé de la disposition concernée, priverait les pouvoirs publics de ce qui nous semble être l’un des caractères essentiels de la concession de travaux publics, à savoir la possibilité pour l’administration publique d’entrer un jour en possession des ouvrages construits, ne serait-ce, le cas échéant, que pour réattribuer le droit d’exploiter ces ouvrages. |
93. |
En d’autres termes, le problème se pose, plus que pour les caractéristiques objectives du droit de propriété relatives à la possibilité de jouir du bien, en raison de la nature en général illimitée dans le temps de ce droit. L’exploitation confiée au concessionnaire ne pourra donc en aucun cas être accordée pour une durée illimitée, quel que soit le titre juridique sur la base duquel elle peut être exercée. |
94. |
Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier que, dans le modèle typique de concession selon le droit communautaire, l’élément distinctif crucial, qui sert notamment à distinguer la concession du marché public, consiste en l’existence, dans la concession, d’un risque économique supporté par le concessionnaire, risque qui est en revanche inexistant dans le cas des marchés publics ( 34 ). Dans le cas qui nous occupe, pour conclure à l’existence d’un risque de ce type, la Commission doit le ramener au fait que, dans l’exercice de leurs fonctions en matière d’urbanisme, les pouvoirs publics pourraient, après l’achat du terrain par l’intéressé, refuser les permis de construire concernant les ouvrages projetés. Toutefois, plus qu’un risque lié à l’exploitation économique des ouvrages, cet «aléa» semble constituer l’incertitude normale dans laquelle se trouve tout particulier qui a besoin de solliciter une mesure discrétionnaire de l’administration publique. |
95. |
Du reste, le risque économique qui caractérise la concession de travaux publics visée par la directive est, à vrai dire, une conséquence directe également du caractère limité dans le temps de cette concession. En revanche, un droit de durée illimitée sur les biens à construire permet en principe d’exclure en tout état de cause l’existence d’un risque économique, puisque, au fil du temps, il est toujours possible de remédier à d’éventuelles phases difficiles rencontrées dans l’exploitation des biens. |
96. |
Il y a, enfin, un autre élément qui milite en faveur d’une limitation dans le temps, en règle générale, des concessions dans le cadre du droit communautaire. Nous avons déjà relevé à plusieurs reprises dans les présentes conclusions que l’objectif de base de la réglementation communautaire en matière de marchés publics est, généralement, de favoriser autant que possible la concurrence, en éliminant toutes les restrictions aux libertés fondamentales. Dans cette optique, admettre la possibilité de concessions illimitées dans le temps reviendrait à exclure, au détriment de la concurrence et de l’efficacité, que, dans le futur, l’exploitation des ouvrages puisse être assurée éventuellement par d’autres personnes, selon des modalités et des critères plus efficaces. |
97. |
Les conséquences découlant de ce qui précède sont de deux ordres. D’une part, en règle générale, des concessions de durée illimitée ne peuvent pas être octroyées ( 35 ). D’autre part, on ne saurait attribuer à une personne une concession sur un bien dont elle est déjà propriétaire, à moins que, en vertu du droit national, après un certain temps l’administration publique acquière sur le bien un droit de propriété ou un droit analogue. |
98. |
En conclusion, nous proposons à la Cour de répondre à la septième question préjudicielle en disant pour droit qu’une concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 ne peut, en aucun cas, prévoir la reconnaissance au concessionnaire d’un droit illimité dans le temps sur le bien faisant l’objet de la concession. |
G — Les huitième et neuvième questions
99. |
Compte tenu de leur objet, les huitième et neuvième questions préjudicielles peuvent, elles aussi, être examinées conjointement. Par la huitième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les dispositions de la directive 2004/18 s’appliquent dès l’instant où une administration publique, bien qu’elle n’ait pas encore formellement décidé de procéder à l’attribution d’un marché public, cède un terrain avec l’intention de passer ensuite un marché concernant ce terrain. Pour sa part, la neuvième question concerne en revanche la possibilité de considérer comme un tout, du point de vue juridique, la cession du terrain et l’attribution ultérieure d’un marché. |
100. |
Les deux questions, comme on le constate, concernent la possibilité de frapper d’éventuels abus de droit tendant à éviter l’application des dispositions communautaires en matière de marchés publics, grâce à une application de ces règles qui fasse abstraction de l’ordre chronologique typique visé également dans la directive. |
101. |
Force est de noter que, compte tenu des réponses que nous proposons d’apporter aux précédentes questions préjudicielles et, notamment, à la septième, il est probablement superflu de fournir également à la juridiction de renvoi une solution pour les huitième et neuvième questions, puisqu’il y a lieu d’exclure qu’un marché ou une concession de travaux publics au sens du droit communautaire puisse être compatible avec un droit de propriété du prétendu adjudicataire/concessionnaire sur les biens concernés. Cependant, pour être complet et dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas notre approche concernant les précédentes questions, nous exposerons quelques brèves considérations sur ce point. |
102. |
Parmi les intéressés qui ont présenté des observations dans le cadre de la présente affaire, seule la Commission se montre ouverte en ce qui concerne l’approche privilégiée par le juge de renvoi. En effet, tout en observant qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier chaque cas particulier, la Commission admet que, en principe, dans une situation telle que celle au principal, il peut y avoir lieu d’appliquer la directive 2004/18 déjà à partir du moment où l’administration décide de céder le terrain. En revanche, toutes les autres parties estiment, avec diverses nuances, que la simple intention de l’administration publique est dépourvue de pertinence. |
103. |
Il n’est pas douteux que, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, la réponse aux huitième et neuvième questions ne peut pas faire abstraction des énonciations de la Cour dans l’arrêt Mödling ( 36 ). Dans cette affaire, la Cour était confrontée à une situation dans laquelle une commune autrichienne avait procédé à l’attribution directe du service de collecte des déchets à une société entièrement contrôlée par ladite commune, quitte à céder ensuite, quelques jours plus tard, 49% de ladite société à une personne privée. La Cour a par conséquent jugé que, face à une «construction artificielle» ( 37 ) évidente, ayant en substance pour résultat de faire échec à l’effet utile des directives en matière de passation des marchés, l’appréciation juridique du cas d’espèce peut être faite «en tenant compte de l’ensemble de ces phases ainsi que de leur finalité et non pas en fonction du déroulement strictement chronologique de celles-ci» ( 38 ). |
104. |
Il nous paraît évident que le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Mödling repose sur deux piliers. Le premier, qui est indiqué expressément, consiste en la nécessité de préserver l’effet utile de la directive ( 39 ). Le second, implicite, mais représentant au fond l’autre face de la même médaille, consiste en la volonté de frapper les abus de droit. |
105. |
Ce que la Cour a énoncé dans l’arrêt Mödling peut assurément être généralisé et permet, dès lors, d’affirmer que, en vue d’éviter des abus de droit et d’assurer l’effet utile de la réglementation communautaire en matière de marchés publics, deux actes formellement distincts, notamment du point de vue chronologique, peuvent être considérés comme simultanés, voire comme constitutifs d’un acte juridique unique. |
106. |
Cette appréciation relève bien entendu du juge national, qui est le seul à disposer de tous les éléments de fait et de droit nécessaires à cet effet. Il faut cependant que, pour des raisons évidentes tenant à la nécessité d’assurer la sécurité juridique, certaines conditions strictes soient remplies. En particulier, un laps de temps non excessif doit s’écouler entre la cession du terrain et l’attribution du marché et il doit exister des éléments convaincants pour démontrer que l’intention de l’administration concernant le marché existait déjà lors de la cession du terrain. Sauf cas d’abus manifeste, dans lesquels la volonté d’éluder les règles est tout à fait évidente dès le début, seule une appréciation ex post pourra dûment tenir compte de tous les éléments indiqués. |
107. |
Nous proposons, par conséquent, de répondre, le cas échéant, aux huitième et neuvième questions préjudicielles que, en présence d’indices clairs de la volonté d’éluder les dispositions communautaires en matière de marchés publics et de concessions, l’appréciation juridique d’un cas d’espèce peut considérer comme constitutifs d’un acte juridique unique les deux actes formellement distincts, notamment du point de vue chronologique, de la cession du terrain et de l’attribution d’un marché ou d’une concession sur ce terrain. Il appartient au juge national, au regard de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, de vérifier l’existence d’une telle intention de contournement. |
V — Conclusions
108. |
En conclusion, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf: «Un marché public de travaux ou une concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, suppose l’existence d’un lien direct entre le pouvoir adjudicateur et les travaux ou les ouvrages à réaliser. Ce lien direct peut consister, notamment, dans le fait que l’ouvrage a vocation à être acquis par l’administration publique, ou qu’il fournit à celle-ci un avantage économique direct, ou bien encore dans le fait que le pouvoir adjudicateur a pris l’initiative de la réalisation ou supporte au moins en partie les coûts y afférents. La notion de marché public de travaux et celle de concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 supposent que l’adjudicataire soit contractuellement obligé, envers l’administration publique, à la prestation convenue. Il appartient au droit national de déterminer les conséquences d’un éventuel manquement de l’adjudicataire. Une concession de travaux publics au sens de la directive 2004/18 ne peut, en aucun cas, prévoir la reconnaissance au concessionnaire d’un droit illimité dans le temps sur le bien faisant l’objet de la concession. En présence d’indices clairs de la volonté d’éluder les dispositions communautaires en matière de marchés publics et de concessions, l’appréciation juridique d’un cas d’espèce peut considérer comme constitutifs d’un acte juridique unique les deux actes formellement distincts, notamment du point de vue chronologique, de la cession du terrain et de l’attribution d’un marché ou d’une concession sur ce terrain. Il appartient au juge national, au regard de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, de vérifier l’existence d’une telle intention de contournement.» |
( 1 ) Langue originale: l’italien.
( 2 ) Une telle aide d’État existe, à l’évidence, lorsque la vente d’un bien public a lieu à un prix inférieur à celui du marché. Voir à cet égard, notamment, la communication de la Commission concernant les éléments d’aide d’État contenus dans des ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics (JO 1997, C 209, p. 3).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114, ci-après la «directive 2004/18» ou la «directive»).
( 4 ) Arrêt du 12 juillet 2001 (C-399/98, Rec. p. I-5409).
( 5 ) Arrêt du 20 octobre 2005 (C-264/03, Rec. p. I-8831).
( 6 ) Arrêt du 18 janvier 2007 (C-220/05, Rec. p. I-385).
( 7 ) Du reste, postérieurement à la décision de renvoi, la législation allemande a été modifiée par la loi du 20 avril 2009 relative à la modernisation du droit des marchés publics (Gesetz zur Modernisierung des Vergaberechts, BGBl. I, p. 790), laquelle a amendé l’article 99 de la loi contre les restrictions de concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, ou «GWB»), en précisant entre autres que, dans le cas faisant l’objet de la troisième variante visée dans la définition d’un marché public de travaux, il est nécessaire que le pouvoir adjudicateur obtienne un avantage économique direct. Voir, également, note 35 ci-après.
( 8 ) Cependant, on ne sait pas très clairement quelle est la personne qui aurait attribué cette concession. La Commission elle-même, qui s’est montrée à cet égard plutôt ouverte aux thèses de la juridiction de renvoi, a dû admettre, à l’audience, que tant la Bundesanstalt que la Ville de Wildeshausen présentent, en l’espèce, certaines caractéristiques typiques de ce rôle, sans qu’il soit possible de reconnaître la prééminence, sur ce point, de l’une ou de l’autre.
( 9 ) Selon la décision de renvoi, il ne fait aucun doute que les seuils prévus pour l’application de la directive sont, en l’occurrence, largement dépassés. En réalité, étant donné que, par elle-même, la valeur du terrain ne dépasse pas lesdits seuils, le raisonnement de la juridiction nationale comporte d’indéniables éléments hypothétiques. D’autre part, eu égard à la jurisprudence constante selon laquelle il appartient en principe au juge national d’apprécier la pertinence des questions aux fins de se prononcer sur le litige, nous estimons que la Cour devrait, en l’occurrence, fournir une réponse aux questions posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf. Voir à cet égard, par exemple, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 61); du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf (C-355/97, Rec. p. I-4977, point 22); du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C-222/05 à C-225/05, Rec. p. I-4233, point 22), et du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética (C-500/06, Rec. p. I-5785, point 23).
( 10 ) Arrêt du 10 novembre 2005 (C-29/04, Rec. p. I-9705).
( 11 ) Mais pas dans toutes: par exemple, la deuxième variante indiquée n’a pas d’équivalent dans la version portugaise.
( 12 ) Allemand: «von Bauvorhaben»; anglais: «of works»; italien: «lavori»; espagnol: «de obras»; néerlandais: «van werken»; portugais: «de trabalhos»; grec: «εργαστών».
( 13 ) Allemand: «eines Bauwerks»; anglais: «a work»; italien: «di un’opera»; espagnol: «de una obra»; néerlandais: «van een werk»; grec: «ενός έργου».
( 14 ) Allemand: «einer Bauleistung»; anglais: «of a work»; italien: «di un’opera»; espagnol: «de una obra»; néerlandais: «van een werk»; portugais: «de uma obra»; grec: «ενός έργου».
( 15 ) Allemand: «Bauwerk»; anglais: «work»; italien: «opera»; espagnol: «obra»; néerlandais: «werk»; portugais: «obra»; grec: «έργο».
( 16 ) Notons cependant que, comme le gouvernement autrichien l’a notamment fait observer lors de l’audience, la précision contenue dans le texte en langue allemande, concrètement, rend celui-ci non pas divergent, mais peut-être simplement «plus spécifique» par rapport aux autres versions linguistiques. En effet, compte tenu de la structure de la disposition en cause, il semble difficile, même en faisant référence aux autres versions linguistiques, de discerner un cas de figure relevant de la troisième variante dans lequel les ouvrages ne seraient pas réalisés par un «tiers». Quoi qu’il en soit, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la nature divergente d’une version linguistique spécifique d’une disposition communautaire ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition et la version en question ne saurait non plus se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Voir, à cet égard, arrêts du 27 mars 1990, Cricket St. Thomas (C-372/88, Rec. p. I-1345, point 18), et du 19 avril 2007, Velvet & Steel Immobilien (C-455/05, Rec. p. I-3225, point 19).
( 17 ) Ces spécificités de la version allemande remontent déjà à la directive 89/440/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, modifiant la directive 71/305/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 210, p. 1). La directive 89/440 a introduit pour la première fois dans l’ordre juridique communautaire l’actuelle définition «tripartite» du marché public de travaux.
( 18 ) Voir arrêt Auroux e.a., précité à la note 6, point 40.
( 19 ) Voir article 16 de la directive.
( 20 ) Par exemple, au lieu de payer une somme d’argent, l’administration publique peut exonérer une personne du paiement de certaines contributions (voir arrêt Ordine degli Architetti e.a., précité à la note 4, points 76 à 86).
( 21 ) Arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (C-44/96, Rec. p. I-73, point 32). Voir, également, arrêts du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne (C-126/03, Rec. p. I-11197, point 18), et du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C-26/03, Rec. p. I-1, point 26).
( 22 ) Voir, notamment, deuxième considérant de la directive 2004/18 ainsi que, précédemment, deuxième et dixième considérants de la directive abrogée 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54). Voir également, à cet égard, arrêts Ordine degli Architetti e.a. (précité à la note 4, point 52), et du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a. (C-470/99, Rec. p. I-11617, point 51 et jurisprudence citée).
( 23 ) Voir, par exemple, arrêts Universale-Bau e.a. (précité à la note 22, point 53); du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a. (C-337/06, Rec. p. I-11173, point 37), et du 10 avril 2008, Ing. Aigner (C-393/06, Rec. p. I-2339, point 37).
( 24 ) Arrêt Universale-Bau e.a., précité à la note 22.
( 25 ) Arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité à la note 23. Voir également, pour une situation analogue, arrêt du 11 juin 2009, Hans & Christophorus Oymanns (C-300/07, Rec. p. I-4779, point 57).
( 26 ) Voir, par exemple, arrêts du 17 novembre 1983, Merck (292/82, Rec. p. 3781, point 12); du 14 octobre 1999, Adidas (C-223/98, Rec. p. I-7081, point 23), et du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C-17/03, Rec. p. I-4983, point 41).
( 27 ) Arrêt précité à la note 6, ci-dessus.
( 28 ) Ibidem, point 47.
( 29 ) Voir ci-dessus, points 35 et suiv.
( 30 ) Arrêt précité à la note 6, point 42.
( 31 ) Voir point 20, ci-dessus.
( 32 ) Pour être précis, il convient de noter que, dans la formulation de la question, la juridiction de renvoi fait référence à la propriété du terrain sur lequel les travaux ou les ouvrages doivent être réalisés. Ainsi que cette juridiction l’observe cependant dans les motifs de l’ordonnance de renvoi, en droit allemand, le droit de jouissance d’un bâtiment découle directement du droit de propriété concernant le terrain sur lequel l’édifice est construit. Par conséquent, le véritable problème se trouvant à la base de la question est, justement, celui du rapport entre concession et droit de propriété.
( 33 ) Voir, à propos de cette ratio legis, la communication interprétative de la Commission sur les concessions en droit communautaire (JO 2000, C 121, p. 2, points 1 et 2), et la plus récente communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions concernant les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions, du 15 novembre 2005 [COM(2005) 569 final, point 1].
( 34 ) Voir arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen (C-458/03, Rec. p. I-8585, point 40), et du 13 novembre 2008, Commission/Italie (C-437/07, points 29 à 31). Ce risque ne doit pas être nécessairement élevé, puisqu’il y a des activités dans lesquelles il est intrinsèquement réduit: il doit cependant représenter l’intégralité ou, en tout état de cause, une part significative du risque que l’administration publique encourrait si elle exerçait directement cette activité (arrêt du 10 septembre 2009, Eurawasser, C-206/08, Rec. p. I-8377, points 69 à 77).
( 35 ) Aussi tenons-nous pour correcte et conforme au droit communautaire la nouvelle loi allemande, précitée à la note 7, qui a notamment introduit une définition de la concession de travaux publics qui indique expressément le caractère limité dans le temps du droit qui est reconnu au concessionnaire.
( 36 ) Précité à la note 10.
( 37 ) Ibidem, point 40.
( 38 ) Ibidem, point 41.
( 39 ) Ibidem, point 42.