Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62003CJ0208

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 juillet 2005.
Jean-Marie Le Pen contre Parlement européen.
Pourvoi - Élections des membres du Parlement européen - Absence de procédure électorale uniforme - Application du droit national - Déchéance du mandat de membre du Parlement européen à la suite d'une condamnation pénale - Acte par lequel ce dernier 'prend acte' de cette déchéance - Recours en annulation - Acte non susceptible de recours - Irrecevabilité.
Affaire C-208/03 P.

Recueil de jurisprudence 2005 I-06051

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2005:429

Affaire C-208/03 P

Jean-Marie Le Pen

contre

Parlement européen

«Pourvoi — Élections des membres du Parlement européen — Absence de procédure électorale uniforme — Application du droit national — Déchéance du mandat de membre du Parlement européen à la suite d'une condamnation pénale — Acte par lequel ce dernier 'prend acte' de cette déchéance — Recours en annulation — Acte non susceptible de recours — Irrecevabilité»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 27 janvier 2005 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 juillet 2005. 

Sommaire de l'arrêt

1.     Pourvoi — Moyens — Simple répétition des moyens et arguments présentés devant le Tribunal — Irrecevabilité — Contestation de l'interprétation ou de l'application du droit communautaire faite par le Tribunal — Recevabilité

(Art. 225 CE; statut de la Cour de justice, art. 58, al. 1; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))

2.     Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Notion — Actes produisant des effets juridiques obligatoires — Déclaration du président du Parlement européen prenant acte de la vacance d'un siège à la suite de l'application de dispositions nationales par les autorités nationales — Exclusion

(Art. 230 CE; acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct, art. 12, § 2)

1.     En vertu des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de cette dernière, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l'erreur de droit dont serait entaché l'arrêt attaqué, se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal. Dès lors qu'un requérant conteste en revanche l'interprétation ou l'application du droit communautaire faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant le Tribunal, ladite procédure serait privée d'une partie de son sens.

(cf. points 39-40)

2.     Pour déterminer si des actes peuvent faire l'objet d'un recours en annulation en vertu de l'article 230 CE, il convient de s'attacher à la substance même de ceux-ci ainsi qu'à l'intention de leur auteur, la forme dans laquelle un acte ou une décision est pris, étant, en principe, indifférente. Il ne saurait dès lors être exclu qu'une communication écrite, voire une simple déclaration orale, soit soumise au contrôle de la Cour au titre de l'article 230 CE.

Toutefois, l'appréciation d'une déclaration faite par le président du Parlement lors d'une séance plénière relative à la vacance du siège d'un membre ne saurait se faire en méconnaissance des règles et des procédures afférentes à l'élection des membres du Parlement. Aucune procédure électorale uniforme pour l'élection des membres de cette institution n'ayant été adoptée à la date des faits du litige, cette procédure restait régie, conformément à l'article 7, paragraphe 2, de l'acte de 1976, portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct, par les dispositions en vigueur dans chaque État membre. Dès lors que, en vertu des dispositions de la législation d'un État membre, l'inéligibilité entraîne la déchéance du mandat de membre du Parlement, ce dernier n'avait d'autre choix que celui de prendre acte sans délai de la constatation de la vacance du siège, faite par les autorités nationales, laquelle constatation portait sur une situation juridique préexistante et résultait exclusivement d'une décision de ces autorités.

Il résulte en effet du libellé même de l'article 12, paragraphe 2, de l'acte de 1976, en vertu duquel il appartient au Parlement de «prendre acte» d'une vacance de siège résultant de l'application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre, que le Parlement ne dispose d'aucune marge d'appréciation en la matière. Dans cette hypothèse particulière, le rôle du Parlement ne consiste pas à constater la vacance du siège, mais à prendre simplement acte de la vacance de siège déjà constatée par les autorités nationales, alors que, dans les autres hypothèses relatives, notamment, à la démission ou au décès de l'un de ses membres, cette institution a un rôle plus actif puisqu'elle constate elle-même la vacance du siège et informe l'État membre concerné de cette vacance. Par ailleurs, il n'appartient pas non plus au Parlement - mais aux juridictions nationales compétentes ou, le cas échéant, à la Cour européenne des droits de l'homme - de vérifier le respect de la procédure prévue par le droit national applicable ou des droits fondamentaux de l'intéressé.

(cf. points 46-50, 56)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 juillet 2005 (*)

«Pourvoi – Élections des membres du Parlement européen – Absence de procédure électorale uniforme – Application du droit national – Déchéance du mandat de membre du Parlement européen à la suite d’une condamnation pénale – Acte par lequel ce dernier ‘prend acte’ de cette déchéance – Recours en annulation – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité»

Dans l’affaire C-208/03 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 10 mai 2003,

Jean-Marie Le Pen, demeurant à Saint-Cloud (France), représenté par Me F. Wagner, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Parlement européen, représenté par MM. H. Krück et C. Karamarcos, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par MM. R. Abraham et G. de Bergues, ainsi que par Mme L. Bernheim, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. Makarczyk, P. Kūris et G. Arestis, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 janvier 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par son pourvoi, M. Le Pen demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 avril 2003, Le Pen/Parlement (T-353/00, Rec. p. II‑1729, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté comme irrecevable le recours qu’il avait introduit aux fins d’obtenir l’annulation de la décision prise en la forme d’une déclaration de Mme la présidente du Parlement européen, du 23 octobre 2000, relative à la déchéance de son mandat de membre du Parlement (ci-après l’«acte litigieux»).

2       Par acte séparé, enregistré au greffe de la Cour le 10 juin 2003, M. Le Pen a également introduit, en vertu des articles 242 CE et 243 CE, une demande visant à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte litigieux. Cette dernière demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 31 juillet 2003, Le Pen/Parlement (C‑208/03 P‑R, Rec. p. I-7939).

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

 Le traité CE

3       L’article 190, paragraphe 4, CE prévoit que le Parlement élaborera un projet en vue de permettre l’élection de ses membres au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres, ou conformément à des principes communs à ces derniers, et que le Conseil de l’Union européenne, statuant à l’unanimité, après avis conforme du Parlement, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent, arrêtera les dispositions dont il recommandera l’adoption par lesdits États, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

 L’acte de 1976

4       Le 20 septembre 1976, le Conseil a adopté la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom, relative à l’acte portant élection des représentants à l’Assemblée au suffrage universel direct (JO L 278, p. 1), acte qui figure en annexe de ladite décision (ci-après, dans sa version originelle, l’«acte de 1976»).

5       En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de l’acte de 1976, les membres du Parlement «sont élus pour une période de cinq ans».

6       L’article 6 de l’acte de 1976 énumère, à son paragraphe 1, les fonctions avec lesquelles la qualité de membre du Parlement est incompatible et prévoit, à son paragraphe 2, que «chaque État membre peut fixer les incompatibilités applicables sur le plan national, dans les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2». Aux termes du paragraphe 3 du même article, les membres du Parlement auxquels sont applicables, en cours de mandat, les dispositions desdits paragraphes 1 et 2 «sont remplacés conformément aux dispositions de l’article 12».

7       L’article 7, paragraphe 1, de l’acte de 1976 précise que l’élaboration du projet de procédure électorale uniforme relève de la compétence du Parlement, mais, à la date des faits du litige, aucune procédure de ce type n’avait encore été adoptée.

8       Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de l’acte de 1976:

«Jusqu’à l’entrée en vigueur d’une procédure électorale uniforme, et sous réserve des autres dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales.»

9       L’article 11 de l’acte de 1976 est libellé comme suit:

«Jusqu’à l’entrée en vigueur de la procédure uniforme prévue à l’article 7, paragraphe 1, [le Parlement] vérifie les pouvoirs des représentants. À cet effet, [il] prend acte des résultats proclamés officiellement par les États membres et statue sur les contestations qui pourraient être éventuellement soulevées sur la base des dispositions du présent acte, à l’exclusion des dispositions nationales auxquelles celui-ci renvoie.»

10     L’article 12 de l’acte de 1976 dispose:

«1.      Jusqu’à l’entrée en vigueur de la procédure uniforme prévue à l’article 7, paragraphe 1, et sous réserve des autres dispositions du présent acte, chaque État membre établit les procédures appropriées pour que, au cas où un siège devient vacant au cours de la période quinquennale visée à l’article 3, ce siège soit pourvu pour le reste de cette période.

2.      Lorsque la vacance résulte de l’application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre, celui-ci en informe [le Parlement] qui en prend acte.

Dans tous les autres cas, [le Parlement] constate la vacance et en informe l’État membre.»

 Le règlement du Parlement

11     Intitulé «Vérification des pouvoirs», l’article 7 du règlement du Parlement, dans sa version en vigueur à la date des faits du litige (JO 1999, L 202, p. 1), prévoyait:

«1.      Sur la base d’un rapport de sa commission compétente, le Parlement procède sans délai à la vérification des pouvoirs et statue sur la validité du mandat de chacun de ses membres nouvellement élus, ainsi que sur les contestations éventuelles présentées conformément aux dispositions de l’[acte de 1976], à l’exclusion de celles fondées sur les lois électorales nationales.

[…]

4.      La commission compétente veille à ce que toute information pouvant affecter l’exercice du mandat d’un député au Parlement européen ou l’ordre de classement des remplaçants soit communiquée sans délai au Parlement par les autorités des États membres ou de l’Union avec mention de la prise d’effet lorsqu’il s’agit d’une nomination.

Lorsque les autorités compétentes des États membres entament une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat d’un député, le Président leur demande à être régulièrement informé de l’état de la procédure. Il en saisit la commission compétente sur proposition de laquelle le Parlement peut se prononcer.

5.      Tant que ses pouvoirs n’ont pas été vérifiés ou qu’il n’a pas été statué sur une contestation éventuelle, tout député siège au Parlement et dans ses organes en pleine jouissance de ses droits.

[…]»

12     L’article 8 du même règlement, relatif à la «[d]urée du mandat parlementaire», énonçait par ailleurs:

«1.      Le mandat commence et expire conformément aux dispositions de l’[acte de 1976]. En outre, le mandat prend fin en cas de décès ou de démission.

[…]

6.      Est à considérer comme date de fin de mandat et de prise d’effet d’une vacance:

–       en cas de démission: la date à laquelle le Parlement a constaté la vacance, conformément au procès-verbal de démission;

–       en cas de nomination à des fonctions incompatibles avec le mandat de député au Parlement européen soit au regard de la loi électorale nationale, soit au regard de l’article 6 de l’[acte de 1976]: la date notifiée par les autorités compétentes des États membres ou de l’Union.

[…]

8.      Toute contestation relative à la validité du mandat d’un député dont les pouvoirs ont été vérifiés est renvoyée à la commission compétente à charge pour celle-ci de faire rapport sans délai au Parlement au plus tard au début de la période de session suivante.

9.      Le Parlement se réserve, dans le cas où l’acceptation du mandat ou sa résiliation paraissent entachées soit d’inexactitude matérielle, soit de vice du consentement, de déclarer non valable le mandat examiné ou de refuser de constater la vacance du siège.»

 Le droit national

13     Aux termes de l’article 5 de la loi n° 77-729, du 7 juillet 1977, relative à l’élection des représentants à l’Assemblée des Communautés européennes (JORF du 8 juillet 1977, p. 3579), dans sa version applicable au litige (ci-après la «loi de 1977»):

«Les articles LO 127 à LO 130-1 du code électoral sont applicables à l’élection [des membres du Parlement européen]. [...]

L’inéligibilité, lorsqu’elle survient en cours de mandat, met fin à celui-ci. La constatation en est effectuée par décret.»

14     L’article 25 de la loi de 1977 est libellé comme suit:

«L’élection [des membres du Parlement européen] peut, durant les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin et pour tout ce qui concerne l’application de la présente loi, être contestée par tout électeur devant le Conseil d’État statuant au contentieux. La décision est rendue en assemblée plénière.

La requête n’a pas d’effet suspensif.»

 Les faits à l’origine du litige et la procédure devant le Tribunal

15     Ainsi que cela ressort du dossier soumis à la Cour, le litige ayant donné lieu au recours devant le Tribunal trouve sa source dans la condamnation pénale du requérant par les juridictions françaises et dans les conséquences qui, en droit français, s’attachent à une telle condamnation en ce qui concerne l’exercice de mandats électifs et, notamment, celui de représentant au Parlement européen.

16     Élu membre du Parlement le 13 juin 1999, M. Le Pen avait auparavant été déclaré coupable de violences et d’injures publiques par jugement du tribunal correctionnel de Versailles (France) du 2 avril 1998, puis, en appel, reconnu coupable de violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur desdites violences. Pour ce délit, prévu et réprimé par l’article 222-13, premier alinéa, paragraphe 4, du code pénal français, le requérant a été condamné par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 17 novembre 1998 à trois mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende s’élevant à 5 000 FRF. À titre de peine complémentaire, cette cour a en outre prononcé l’interdiction, pour une durée d’une année, des droits prévus à l’article 131-26 du même code, cette interdiction étant toutefois limitée à l’éligibilité.

17     Le pourvoi formé contre ledit arrêt par le requérant ayant été rejeté par arrêt du 23 novembre 1999 de la Cour de cassation (France), le Premier ministre a, conformément à l’article 5, second alinéa, de la loi de 1977, constaté par décret du 31 mars 2000 que «l’inéligibilité de M. Jean-Marie Le Pen met[tait] fin à son mandat de représentant au Parlement européen». Ce décret a été notifié au requérant, par lettre du secrétaire général du ministère des Affaires étrangères français du 5 avril 2000, ainsi qu’à la présidente du Parlement européen qui, lors de la séance plénière du 3 mai 2000, en a informé les membres de celui-ci et a annoncé son intention de saisir la commission juridique et du marché intérieur (ci-après la «commission juridique») du dossier relatif à la déchéance du mandat de M. Le Pen, conformément à l’article 7, paragraphe 4, second alinéa, du règlement du Parlement.

18     La vérification des pouvoirs du requérant a été effectuée par la commission juridique, à huis clos, lors de ses réunions des 4, 15 et 16 mai 2000. À l’issue de la dernière de ces réunions, la présidente de cette commission a adressé à la présidente du Parlement une lettre libellée dans les termes suivants:

«Madame la Présidente,

Au cours de sa réunion du 16 mai 2000, la [commission juridique] a repris l’examen de la situation de M. Jean-Marie Le Pen. La commission est consciente que le décret du Premier ministre de la République française, qui a été notifié à M. Le Pen le 5 avril 2000 et publié au Journal officiel de la République française le 22 avril 2000, est devenu exécutoire. Toutefois, la commission a relevé que, comme il est mentionné dans la lettre notifiant le décret à l’intéressé, celui-ci a la faculté d’introduire auprès du Conseil d’État un recours susceptible d’être assorti d’une demande de suspension de l’effet exécutoire du décret.

Au vu de la décision prise la veille de ne pas recommander dès à présent que le Parlement prenne formellement acte du décret intéressant M. Le Pen, la commission a examiné les suites possibles à donner. À l’appui de cette décision, le cas de M. Tapie a été évoqué comme précédent à suivre, ayant comme conséquence que le Parlement européen ne prenne formellement acte du décret de déchéance qu’à l’expiration du délai de recours auprès du Conseil d’État ou, le cas échéant, après une décision de ce dernier.»

19     Lors de la séance plénière du Parlement du 18 mai 2000, lecture de cette lettre a été faite par la présidente de celui-ci, qui a aussitôt fait part de son intention de «suivre l’avis de la commission juridique».

20     Par lettre du 9 juin 2000, adressée à MM. Védrine et Moscovici, respectivement ministre des Affaires étrangères et ministre délégué, chargé des Affaires européennes, la présidente du Parlement a informé ces derniers du fait que, «en raison du caractère irréversible de la déchéance du mandat […], le Parlement européen ne [prendrait] formellement acte du décret [du 31 mars 2000] qu’à l’expiration du délai de recours [devant le] Conseil d’État ou, le cas échéant, après une décision de ce dernier».

21     La position du Parlement a été vivement contestée par les autorités françaises qui ont fait valoir, d’une part, que, en agissant de la sorte, le Parlement méconnaissait les termes de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976 et, d’autre part, que le motif invoqué ne pouvait en aucun cas justifier une telle violation, mais cette contestation n’a pas été suivie d’effet.

22     Par lettre du 16 juin 2000, la présidente du Parlement a en effet confirmé que ce dernier ne «prend[rait] acte de la déchéance du mandat de M. Le Pen [que lorsque le décret du 31 mars 2000 serait définitif]», ce qui n’était pas encore le cas puisque, le 5 juin 2000, un recours en annulation dudit décret avait été introduit par le requérant devant le Conseil d’État. Elle a justifié cette position en se référant, à titre de précédent, au cas de M. Tapie et à l’exigence de sécurité juridique.

23     Le recours de M. Le Pen a été rejeté par une décision du Conseil d’État du 6 octobre 2000. En conséquence, MM. Védrine et Moscovici ont, le 12 octobre 2000, adressé une lettre à la présidente du Parlement dans laquelle, tout en insistant sur le fait que le gouvernement français avait toujours «fermement contesté» la position du Parlement consistant à attendre que ladite juridiction se soit prononcée sur le recours formé par le requérant contre le décret du 31 mars 2000 – position que ce gouvernement jugeait contraire à la «lettre et [à] l’esprit de l’acte de 1976» –, ils invitaient le Parlement à «se mett[r]e en conformité avec le droit communautaire» et à prendre acte le plus tôt possible, par la voix de sa présidente, de la déchéance du mandat de M. Le Pen.

24     Par lettre du 20 octobre 2000, la présidente du Parlement a informé le requérant que, la veille, elle avait reçu la communication officielle, par les autorités françaises, de ladite décision du Conseil d’État et que, conformément au règlement du Parlement et à l’acte de 1976, «[elle] prendrait acte du décret du [31 mars 2000] lors de la reprise de la séance plénière, le 23 octobre» suivant.

25     Par lettre du 23 octobre 2000, M. Le Pen a informé la présidente du Parlement, d’une part, qu’il contestait la validité de la décision susmentionnée du Conseil d’État dès lors que, contrairement aux termes de l’article 25 de la loi de 1977, elle n’avait pas été adoptée par l’assemblée plénière de cette juridiction et, d’autre part, qu’il avait introduit un recours en grâce auprès du président de la République française ainsi qu’une requête visant à obtenir le sursis à l’exécution de la déchéance de son mandat, déposée devant la Cour européenne des droits de l’homme. En conséquence, M. Le Pen sollicitait la tenue d’une nouvelle réunion de la commission juridique et son audition par cette dernière avant que le décret du 31 mars 2000 ne soit entériné par le Parlement.

26     La présidente du Parlement n’a pas donné suite à cette requête. Selon le compte rendu des débats de la séance plénière du 23 octobre 2000, elle a, sous le point de l’ordre du jour intitulé «Communication de la présidente», fait la déclaration suivante:

«Je porte à votre connaissance que j’ai reçu, le jeudi 19 octobre 2000, la notification officielle des autorités compétentes de la République française d’un arrêt, en date du 6 octobre 2000, du Conseil d’État rejetant le recours que M. Jean-Marie Le Pen avait introduit contre le décret du Premier ministre français du 31 mars 2000, lequel visait à mettre un terme à son mandat de représentant au Parlement européen.

Je vous informe que, depuis, j’ai reçu copie de la demande de grâce présentée par MM. Charles de Gaulle, Carl Lang, Jean-Claude Martinez et Bruno Gollnisch en faveur de M. Le Pen auprès de M. Jacques Chirac, président de la République.»

27     À la suite de cette déclaration, la présidente du Parlement a donné la parole à la présidente de la commission juridique, qui a elle-même déclaré:

«Madame la Présidente, la [commission juridique], après avoir délibéré au cours des séances des 15 et 16 mai derniers, a convenu de recommander la suspension de la communication en plénière de la constatation de la part du Parlement de la déchéance du mandat de M. Jean-Marie Le Pen. J’insiste, la commission juridique a recommandé la suspension de cette communication jusqu’à l’épuisement du délai dont disposait M. Le Pen pour introduire un recours devant le Conseil d’État français ou la résolution de celui-ci. Je cite là le texte de la lettre datée du 17 mai que vous avez vous-même lue, Madame la Présidente, devant l’Assemblée.

Le Conseil d’État – comme vous l’avez dit – a rejeté ce recours et nous a dûment informés de ce rejet. En conséquence, il n’y a plus de raison de reporter cette annonce devant l’Assemblée, laquelle est obligatoire aux termes du droit primaire, concrètement de l’article 12, paragraphe 2, de l’[acte de 1976].

La demande de grâce que vous avez mentionnée, Madame la Présidente, ne change rien à cette situation, car il ne s’agit nullement d’un recours juridictionnel. Comme son nom l’indique, c’est un fait du prince qui ne concerne pas le décret du gouvernement français qui, conformément à la recommandation de la commission juridique, doit être communiqué en plénière.»

28     À la suite de cette intervention, la présidente du Parlement a pris la parole et déclaré:

«En conséquence, conformément à l’article 12, paragraphe 2, de l’[acte de 1976], le Parlement européen prend acte de la notification du gouvernement français constatant la déchéance du mandat de M. Jean-Marie Le Pen.»

29     Elle a, dès lors, invité le requérant à quitter l’hémicycle et a suspendu la séance pour faciliter le départ de l’intéressé.

30     Par lettre du 27 octobre 2000, la présidente du Parlement a, d’une part, informé le ministre des Affaires étrangères français du fait que le Parlement avait «pris acte» de la déchéance du mandat de M. Le Pen et, d’autre part, invité ce ministre à lui communiquer, conformément à l’article 12, paragraphe 1, de l’acte de 1976, le nom de la personne appelée à pourvoir le siège ainsi devenu vacant.

31     Par lettre du 13 novembre 2000, ledit ministre a répondu que «Mme Marie-France Stirbois [devrait] succéder à M. Jean-Marie Le Pen au nom de la liste du Front national pour les élections européennes».

32     C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 novembre 2000, M. Le Pen a introduit un recours en annulation de l’acte litigieux. Par acte séparé enregistré le même jour audit greffe, le requérant a présenté une demande tendant à obtenir le sursis à l’exécution du même acte.

33     Par ordonnance du 26 janvier 2001, Le Pen/Parlement (T-353/00 R, Rec. p. II‑125), le président du Tribunal a fait droit à cette dernière demande et ordonné le sursis à l’exécution de «la décision prise en la forme d’une déclaration de Mme la présidente du Parlement européen en date du 23 octobre 2000, pour autant qu’elle constitue une décision du Parlement européen par laquelle ce dernier a pris acte de la déchéance du mandat de membre du Parlement européen du requérant». En conséquence, M. Le Pen a retrouvé sa qualité de membre du Parlement et réintégré l’hémicycle qu’il avait quitté le 23 octobre 2000.

34     Toutefois, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de M. Le Pen comme irrecevable et l’a condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement tant dans la procédure au principal que dans la procédure en référé.

 L’arrêt attaqué

35     Pour parvenir à cette conclusion, soutenue tant par le Parlement que par la République française, admise à intervenir au soutien des conclusions de cette institution, le Tribunal s’est fondé, pour l’essentiel, sur la circonstance selon laquelle l’acte litigieux, en raison de sa nature particulière, ne serait pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 230 CE. À cet égard, le Tribunal a jugé plus particulièrement ce qui suit:

«77      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et arrêt du Tribunal du 4 mars 1999, Assicurazioni Generali et Unicredito/Commission, T-87/96, Rec. p. II-203, point 37). Ainsi, sont susceptibles d’un recours en annulation toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263, point 42).

78      Dans le cas d’espèce, l’acte [litigieux] est la déclaration faite par la présidente du Parlement lors de la séance plénière du 23 octobre 2000 et selon laquelle ‘conformément à l’article 12, paragraphe 2, de [l’acte de 1976], le Parlement […] prend acte de la notification du gouvernement français constatant la déchéance du mandat [du requérant]’.

79      Il y a dès lors lieu d’examiner si cette déclaration a produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci.

80      À cet égard, il convient de rappeler le contexte juridique dans lequel s’inscrit ladite déclaration.

81      Il est constant que, à l’époque des faits, aucune procédure électorale uniforme pour l’élection des membres du Parlement européen n’avait été adoptée.

82      Dès lors, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de l’acte de 1976, la procédure électorale pour cette élection restait régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales.

83      Ainsi, notamment, il résulte des termes de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976 que l’’application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre’ pouvait entraîner la vacance du siège d’un membre du Parlement européen.

84      En application de l’acte de 1976, la [République française] a adopté, notamment, la loi de 1977. L’article 2 de cette loi prévoit que l’élection des membres du Parlement européen est régie par ‘le titre 1er du livre 1er du code électoral et par les dispositions des chapitres suivants’. L’article 5 de la même loi, placé sous le chapitre III [intitulé] ‘Conditions d’éligibilité et d’inéligibilité, incompatibilités’, dispose notamment que ‘[l]es articles LO 127 à LO 130-1 du code électoral sont applicables à l’élection des [membres du Parlement européen]’, que ‘[l]’inéligibilité, lorsqu’elle survient en cours de mandat, met fin à celui-ci’ et que ‘la constatation en est effectuée par décret’.

85      L’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976 distingue deux hypothèses en ce qui concerne les vacances de siège des membres du Parlement européen.

86      La première hypothèse est visée par le premier alinéa de cette disposition et couvre les cas dans lesquels les vacances de siège résultent de l’’application des dispositions nationales’. La seconde hypothèse, prévue au second alinéa de la même disposition, concerne ‘tous les autres cas’.

87      Il convient de relever, à cet égard, que, contrairement à ce que fait valoir le requérant, la première hypothèse ne se limite nullement aux cas d’incompatibilité visés à l’article 6 de l’acte de 1976, mais inclut également les cas d’inéligibilité. Certes, l’article 6, paragraphe 3, de l’acte de 1976 indique que les membres du Parlement européen auxquels sont applicables les ‘dispositions des paragraphes 1 et 2’ sont remplacés ‘conformément aux dispositions de l’article 12’. Il ne saurait toutefois être déduit de ce renvoi que ce dernier article ne concerne que les cas d’incompatibilité visés à l’article 6, paragraphes 1 et 2. Force est de constater d’ailleurs que cet article 12 ne se réfère en aucun endroit à la notion d’’incompatibilité’, mais utilise le concept beaucoup plus large de ‘vacance [du siège]’.

88      Dans la première hypothèse prévue par l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976, le rôle du Parlement se limite à ‘prendre acte’ de la vacance du siège de l’intéressé. Dans la seconde hypothèse, qui couvre par exemple le cas de la démission d’un de ses membres, le Parlement ‘constate la vacance et en informe l’État membre’.

89      En l’espèce, l’acte [litigieux] ayant été arrêté en application de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976, il convient de déterminer la portée de l’exercice consistant à ‘prendre acte’ prescrit par cette disposition.

90      Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l’exercice consistant à ‘prendre acte’ se rapporte non à la déchéance du mandat de l’intéressé, mais au simple fait que son siège est devenu vacant à la suite de l’application de dispositions nationales. En d’autres termes, le rôle du Parlement ne consiste nullement à ‘mettre en œuvre’ la déchéance du mandat, ainsi que le prétend le requérant, mais se limite à prendre acte de la constatation, déjà faite par les autorités nationales, de la vacance du siège, à savoir d’une situation juridique préexistante et résultant exclusivement d’une décision de ces autorités.

91      Le pouvoir de vérification dont le Parlement dispose dans ce contexte est particulièrement restreint. Il se réduit, en substance, à un contrôle de l’exactitude matérielle de la vacance du siège de l’intéressé. Il n’appartient notamment pas au Parlement, contrairement à ce qu’avance le requérant, de vérifier le respect de la procédure prévue par le droit national applicable ou des droits fondamentaux de l’intéressé. Ce pouvoir appartient, en effet, exclusivement aux juridictions nationales compétentes ou, le cas échéant, à la Cour européenne des droits de l’homme. Il y a d’ailleurs lieu de rappeler à cet égard que, en l’espèce, le requérant a précisément fait valoir ses droits tant devant le Conseil d’État français que devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il convient de faire remarquer également que le Parlement lui-même n’a jamais prétendu, dans ses écritures ou lors de l’audience, jouir d’un pouvoir de vérification aussi étendu que celui allégué par le requérant.

92      Il y a lieu d’ajouter qu’une conception aussi large du pouvoir de vérification du Parlement dans le cadre de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976 impliquerait la possibilité, pour cette institution, de remettre en cause la régularité même de la déchéance prononcée par les autorités nationales et de refuser de prendre acte de la vacance d’un siège si elle estime être en présence d’une irrégularité. Or, seul l’article 8, paragraphe 9, du règlement envisage la possibilité, pour le Parlement, de refuser la vacance d’un siège, et ce uniquement dans l’hypothèse dans laquelle il est appelé à ‘constater’ une telle vacance et dans laquelle il y a ‘inexactitude matérielle’ ou ‘vice du consentement’. Il serait paradoxal que le Parlement ait une marge d’appréciation plus étendue lorsqu’il s’agit de simplement prendre acte de la vacance d’un siège constatée par les autorités nationales que lorsqu’il s’agit de constater lui-même la vacance d’un siège.

93      Ces conclusions ne sont nullement contredites par le libellé de l’article 7, paragraphe 4, [second] alinéa, du règlement [du Parlement]. Ainsi que le soulignent à juste titre le Parlement et la République française, cette disposition s’applique ‘en amont même de la déchéance’ et donc de la vacance du siège. Elle prévoit, en effet, la saisine de la commission compétente, par le président du Parlement, ‘lorsque les autorités compétentes des États membres entament une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat d’un [membre du Parlement]’. Une fois que cette procédure a abouti et que la vacance du siège de l’intéressé a été constatée par les autorités nationales compétentes, il n’appartient plus au Parlement que de prendre acte de cette vacance, conformément au prescrit de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976. En tout état de cause, une disposition du règlement ne saurait, conformément au principe de hiérarchie des normes, permettre de déroger aux dispositions de l’acte de 1976 et conférer au Parlement des compétences plus étendues que celles qu’il tient de celui-ci.

94      Ces conclusions ne sauraient davantage être remises en cause par le fait que, jusqu’au 23 octobre 2000, le requérant a continué à siéger au Parlement et à bénéficier des indemnités à la charge de celui-ci et que, jusqu’au 24 octobre 2000, les autorités françaises lui ont versé son traitement. Il est, en effet, constant entre les parties que le décret du 31 mars 2000 était exécutoire. Le fait que le Parlement n’a pas pris acte de ce décret dès la notification par les autorités françaises, mais l’a fait à un moment ultérieur, et le fait qu’il en a découlé certaines conséquences pratiques pour le requérant ne sauraient affecter les effets juridiques qui, en application de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976, s’attachent à cette notification.

95      Quant aux arguments du requérant selon lesquels, d’une part, l’article 5 de la loi de 1977 porte atteinte à l’indépendance du Parlement et constitue une immixtion inadmissible dans son fonctionnement et, d’autre part, il existe un principe général en vertu duquel ‘la déchéance doit être prononcée par l’assemblée parlementaire concernée’, [ils] sont non fondés. En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 83 ci-dessus, il résulte expressément de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976 qu’un siège de membre du Parlement européen peut devenir vacant à la suite de l’’application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre’. Aucune procédure électorale uniforme n’ayant été adoptée à l’époque des faits, cette disposition et, partant, la loi de 1977 étaient pleinement applicables. Quelle que soit l’évolution des pouvoirs du Parlement, de nouveaux pouvoirs ne sauraient emporter l’inapplicabilité de dispositions du droit primaire, dont l’acte de 1976, en l’absence d’abrogation expresse par un texte de même rang.

96      Pour les mêmes motifs, l’argument du requérant tiré de la primauté du droit communautaire est dépourvu de toute pertinence. Il n’existe, en effet, en l’espèce ni contradiction ni conflit entre le droit national et le droit communautaire.

97      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la mesure qui, en l’espèce, a produit des effets juridiques obligatoires susceptibles de porter préjudice aux intérêts du requérant est le décret du 31 mars 2000. L’acte [litigieux] n’était pas destiné à produire des effets de droit propres, distincts de ceux de ce décret.

98      Il y a donc lieu de conclure que l’acte [litigieux] n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE. Dès lors, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments relatifs à la recevabilité.»

 Le pourvoi

36     Par son pourvoi, M. Le Pen demande en substance à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué au motif qu’il a rejeté le recours comme irrecevable, de déclarer celui-ci recevable et fondé ainsi que d’annuler l’acte litigieux ou, à défaut, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond, de lui allouer la somme de 7 622,45 euros au titre de frais irrépétibles et de condamner le Parlement au paiement des entiers dépens afférents à l’instance.

37     Le Parlement conclut, à titre principal, au rejet du pourvoi comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé ainsi qu’à la condamnation du requérant aux dépens des deux instances, y compris ceux afférents aux procédures en référé, et, à titre subsidiaire, au renvoi de l’affaire devant le Tribunal.

38     À l’instar du Parlement, la République française conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation du requérant aux dépens.

 Sur la recevabilité du pourvoi

39     Le Parlement et le gouvernement français faisant valoir, dans leurs mémoires respectifs, qu’une grande partie du pourvoi est irrecevable au motif que le requérant se borne à reproduire les moyens invoqués par lui devant le Tribunal sans identifier, de manière précise, les passages contestés de l’arrêt attaqué ni les arguments juridiques soutenant sa demande d’annulation de manière spécifique, il y a lieu de rappeler que, en vertu des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de cette dernière, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal (arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I-5291, points 34 et 35, ainsi que du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C-76/01 P, Rec. p. I-10091, points 46 et 47).

40     Dès lors qu’un requérant conteste en revanche l’interprétation ou l’application du droit communautaire faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant le Tribunal, ladite procédure serait privée d’une partie de son sens (voir, notamment, arrêt du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, Rec. p. I-2125, point 17, et ordonnance du 11 novembre 2003, Martinez/Parlement, C-488/01 P, Rec. p. I-13355, point 39).

41     Or, le présent pourvoi, considéré dans son ensemble, vise précisément à mettre en cause l’appréciation portée par le Tribunal sur différentes questions de droit qui lui ont été soumises et, notamment, sur la portée exacte de l’acte de 1976 et des termes «en prend acte» qui figurent à son article 12, paragraphe 2, premier alinéa.

42     Dans ces conditions, le présent pourvoi est recevable.

 Sur le bien-fondé du pourvoi

43     Par son pourvoi, le requérant conteste essentiellement l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976 retenue par le Tribunal et, plus particulièrement, la conclusion tirée par celui-ci au point 97 de l’arrêt attaqué, aux termes duquel l’acte litigieux n’était pas destiné à produire des effets de droit propres, distincts de ceux du décret du 31 mars 2000. Selon le requérant, une telle conclusion, outre qu’elle contredirait l’affirmation contenue aux points 90 et 91 du même arrêt, aux termes duquel le Parlement disposerait «néanmoins» d’un pouvoir de vérification restreint dans un contexte où il lui revient de prendre acte d’une constatation, déjà effectuée par les autorités nationales, de la vacance d’un siège, dénaturerait également la portée même de l’article 12 de l’acte de 1976.

44     Rappelant à cet égard la jurisprudence de la Cour selon laquelle il convient, d’une part, de s’attacher à la substance davantage qu’à la forme d’un acte et, d’autre part, de prendre en compte l’intention expresse de son auteur, le requérant fait valoir, en l’espèce, que l’acte ayant modifié sa situation juridique en le privant de son mandat électif est bien l’acte litigieux et non le décret du 31 mars 2000. Au demeurant, cette interprétation serait confirmée tant par le libellé même de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de l’acte de 1976 – qui ferait état de l’obligation du Parlement de «prendre acte» d’une vacance de siège résultant de l’application de dispositions nationales – que par l’attitude de la commission juridique et de la présidente du Parlement, ainsi que par la circonstance qu’il aurait lui-même continué à siéger au Parlement jusqu’au 23 octobre 2000 et à bénéficier, jusqu’à cette date, des indemnités à la charge de cette institution et du traitement versé par les autorités françaises.

45     Avant d’examiner la portée de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976, il y a lieu d’écarter d’emblée l’argument du requérant tiré d’une contradiction des motifs de l’arrêt attaqué et, plus particulièrement, entre ses points 91 et 97. En effet, ainsi que le gouvernement français l’a relevé dans ses observations écrites, outre que le terme «néanmoins» n’apparaît nullement dans ceux-ci, ledit point 91, tiré de son contexte et cité seulement de manière partielle par le requérant, conduit nécessairement à la conclusion figurant au point 97 dudit arrêt. Ainsi, c’est précisément parce qu’il a constaté, au point 91, que le pouvoir de vérification du Parlement est particulièrement restreint et se réduit, en substance, à un contrôle de l’exactitude matérielle de la vacance du siège – sans possibilité de vérifier, notamment, le respect de la procédure prévue par le droit national applicable ou des droits fondamentaux de l’intéressé – que le Tribunal a pu conclure, au point 97 du même arrêt, que l’acte litigieux ne produisait pas d’effets de droit propres, distincts de ceux du décret du 31 mars 2000.

46     En ce qui concerne l’argument essentiel du requérant, tiré de la dénaturation de la portée de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976 et d’une appréciation erronée du Tribunal en ce qui concerne la nature juridique véritable de l’acte litigieux qui, seul, modifierait sa situation juridique, il y a lieu d’admettre le bien-fondé de la thèse selon laquelle, pour déterminer si des actes peuvent faire l’objet d’un recours en vertu de l’article 230 CE, c’est à la substance même de ceux-ci ainsi qu’à l’intention de leur auteur qu’il convient de s’attacher. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, la forme dans laquelle un acte ou une décision sont pris est, en principe, indifférente en ce qui concerne la possibilité d’attaquer cet acte ou cette décision par un recours en annulation (voir, notamment, arrêts précités Commission/Conseil, point 42, et IBM/Commission, point 9).

47     Si, dans cette optique, il ne saurait dès lors être exclu qu’une communication écrite, voire une simple déclaration orale, soit soumise au contrôle de la Cour au titre de l’article 230 CE, cette possibilité ne saurait toutefois aller jusqu’à méconnaître les règles et les procédures afférentes à l’élection des membres du Parlement.

48     Or, à cet égard, ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, aucune procédure électorale uniforme pour l’élection des membres du Parlement n’avait été adoptée à la date des faits du litige et cette procédure restait régie, en conséquence, par les dispositions en vigueur dans chaque État membre, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de l’acte de 1976.

49     Dans ces conditions, dès lors que, en vertu de l’article 5 de la loi de 1977, l’inéligibilité entraîne la déchéance, constatée par décret, du mandat de membre du Parlement, ce dernier n’avait d’autre choix que celui de prendre acte sans délai de la constatation, déjà faite par les autorités nationales, de la vacance du siège du requérant, une telle constatation portant, ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 90 de l’arrêt attaqué, sur une situation juridique préexistante et résultant exclusivement d’une décision de ces autorités. Aucun des arguments invoqués par le requérant dans le cadre du présent pourvoi n’est de nature à remettre en cause cette dernière conclusion.

50     Ainsi, en ce qui concerne tout d’abord l’argument du requérant tiré du libellé même de l’article 12, paragraphe 2, de l’acte de 1976, qui ferait état d’une obligation, pour le Parlement, de «prendre acte» d’une vacance de siège résultant de l’application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre, cette disposition, loin de conforter la thèse du requérant, met au contraire clairement en relief l’absence totale de marge d’appréciation du Parlement en la matière. En effet, dans cette hypothèse particulière, le rôle du Parlement ne consiste pas à constater la vacance du siège, mais, ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 88 de l’arrêt attaqué, à prendre simplement acte de la vacance de siège déjà constatée par les autorités nationales, alors que, dans les autres hypothèses relatives, notamment, à la démission ou au décès de l’un de ses membres, cette institution a un rôle plus actif puisqu’elle constate elle-même la vacance du siège et informe l’État membre concerné de cette vacance.

51     Cette interprétation est au demeurant confortée par le libellé d’autres dispositions de l’acte de 1976, telles que son article 11, et celui de l’article 7, paragraphe 1, du règlement du Parlement. Portant sur la vérification des pouvoirs des membres du Parlement, ces deux articles confèrent en effet à ce dernier le pouvoir de statuer sur la validité du mandat de chacun de ses membres nouvellement élus ainsi que sur les contestations qui pourraient être soulevées sur le fondement des dispositions de l’acte de 1976, «à l’exclusion des dispositions nationales auxquelles celui-ci renvoie» (article 11 de l’acte de 1976) et «à l’exclusion [des contestations] fondées sur les lois électorales nationales» (article 7, paragraphe 1, dudit règlement). Ces précisions, qui ont été reprises, sans modifications, à l’actuel article 12 de l’acte de 1976, tel que modifié par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 (JO L 283, p. 1), ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, du règlement du Parlement actuellement en vigueur (JO 2005, L 44, p. 1), corroborent donc bien, en l’état actuel du droit communautaire, l’absence totale de compétence du Parlement s’agissant d’une vacance de siège résultant de l’application de dispositions nationales.

52     C’est en vain que le requérant, pour contester cette interprétation, invoque ensuite l’importance de l’intention de l’auteur de l’acte litigieux lors de son adoption et fait valoir, plus particulièrement, que la commission juridique ainsi que la présidente du Parlement auraient «constamment tenu pour acquis» le principe selon lequel le fait de prendre acte de la déchéance du mandat du requérant modifiait seul le statut de ce dernier. En effet, outre qu’un tel argument concerne des appréciations de fait, qui, en principe, échappent au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, il ressort en tout état de cause de plusieurs documents annexés à la requête que ladite commission et la présidente du Parlement s’estimaient liées par la constatation de cette déchéance par les autorités françaises.

53     Tel est le cas, notamment, du procès-verbal de la réunion extraordinaire de la commission juridique du 15 mai 2000, dont il ressort que la présidente de celle-ci est intervenue pour préciser à l’attention des membres de cette commission que la décision du Parlement devait se limiter à la «formalité de prendre acte ou de ne pas prendre acte», ainsi que de la lettre adressée, deux jours plus tard, à la présidente du Parlement, dans laquelle la présidente de ladite commission a clairement souligné le caractère «exécutoire» du décret du 31 mars 2000. Ces deux éléments factuels, auxquels il convient d’ajouter la lettre adressée le 9 juin 2000 par la présidente du Parlement aux autorités françaises, dans laquelle cette dernière relève le caractère «irréversible» de la déchéance du mandat résultant dudit décret, ont tous été pris en considération dans l’arrêt attaqué, respectivement à ses points 23, 24 et 29. Or, aucune des constatations effectuées par le Tribunal dans ces trois points n’a été remise en cause dans le cadre du présent pourvoi.

54     En ce qui concerne enfin la circonstance, évoquée par le requérant, selon laquelle il a pu siéger au Parlement jusqu’au 23 octobre 2000 et bénéficier, jusqu’à cette date, tant des indemnités à la charge de cette institution que du traitement versé par les autorités françaises – ce qui démontrerait, à ses yeux, que seul l’acte litigieux était de nature à modifier sa situation juridique et, partant, à faire l’objet d’un recours au titre de l’article 230 CE –, il y a lieu d’observer que, comme le Tribunal l’a relevé à bon droit, il s’agit de conséquences pratiques découlant du retard avec lequel le Parlement a pris acte de la notification du décret du 31 mars 2000 effectuée par les autorités françaises. C’est, en effet, ce décret qui, à lui seul, a modifié la situation juridique du requérant en constatant la déchéance de son mandat.

55     Le requérant invoque deux arguments complémentaires à l’appui de sa thèse selon laquelle l’acte litigieux revêt un caractère attaquable. Le premier est tiré de la circonstance que le Tribunal, au point 91 de l’arrêt attaqué, a relevé de manière explicite que le requérant a fait valoir ses droits devant le Conseil d’État et devant la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui démontrerait l’existence d’un acte attaquable puisque le Parlement se serait, de la sorte, livré à une appréciation d’éléments de fait et de droit. Le second argument concerne l’absence de pertinence de la théorie de l’acte confirmatif, qui serait sous-jacente au point 97 dudit arrêt, puisque les recours mentionnés au point 91 constitueraient précisément des éléments de droit nouveaux intervenus entre la date d’adoption du décret du 31 mars 2000 et celle à laquelle le Parlement a pris acte de la déchéance du mandat du requérant.

56     À cet égard, il suffit de constater que l’argument selon lequel le Parlement se serait livré à une appréciation d’éléments de fait et de droit repose sur une lecture manifestement erronée de l’arrêt attaqué puisque, ainsi qu’il a été déjà relevé au point 45 du présent arrêt, le Tribunal a précisément jugé, au point 91 de l’arrêt attaqué, qu’il n’appartenait pas au Parlement – mais aux juridictions nationales compétentes ou, le cas échéant, à la Cour européenne des droits de l’homme – de vérifier le respect de la procédure prévue par le droit national applicable ou des droits fondamentaux de l’intéressé. Loin de constituer une confirmation de l’existence d’un quelconque pouvoir d’appréciation dont disposerait le Parlement, la mention des recours introduits par le requérant devant le Conseil d’État et ladite Cour européenne constitue donc une preuve supplémentaire de l’absence d’un tel pouvoir du Parlement et du fait que, contrairement à ce qu’il affirme, le requérant a effectivement pu faire valoir ses droits en justice.

57     Quant à l’allégation du requérant selon laquelle le Tribunal, au point 97 de l’arrêt attaqué, aurait fait une application implicite de la théorie de l’acte confirmatif, elle ne repose sur aucun fondement. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 63 de ses conclusions, outre le fait qu’aucun élément dudit point 97 ne suggère que le Tribunal aurait entendu se référer à une telle théorie, l’ensemble des motifs de l’arrêt attaqué démontre au contraire que le décret du 31 mars 2000 et l’acte litigieux sont distincts tant dans leur nature que dans leur objet.

58     Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de constater que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant le recours de M. Le Pen comme irrecevable.

59     En conséquence, il y a lieu de rejeter le présent pourvoi, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens invoqués par le requérant, tirés tant de l’illégalité externe que de l’illégalité interne de l’acte litigieux.

 Sur les dépens

60     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation du requérant et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance, y compris ceux afférents à la procédure de référé visée au point 2 du présent arrêt. En vertu du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la République française, qui est intervenue au litige, supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Le Pen est condamné aux dépens de la présente instance, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

3)      La République française supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

Top