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Document 61998CJ0257

Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 septembre 1999.
Arnaldo Lucaccioni contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Recours en indemnité.
Affaire C-257/98 P.

Recueil de jurisprudence 1999 I-05251

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:402

61998J0257

Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 septembre 1999. - Arnaldo Lucaccioni contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Recours en indemnité. - Affaire C-257/98 P.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-05251


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Responsabilité non contractuelle - Conditions - Illicéité - Préjudice - Lien de causalité - Conditions cumulatives - Obligation pour le juge de les examiner dans un ordre déterminé - Absence

(Traité CE, art. 215, al. 2 (devenu art. 288, al. 2, CE))

2 Fonctionnaires - Responsabilité non contractuelle des institutions - Évaluation du préjudice - Prise en compte des prestations perçues au titre de l'article 73 du statut

(Traité CE, art. 215 (devenu art. 288 CE); statut des fonctionnaires, art. 73)

3 Pourvoi - Moyens - Appréciation erronée des faits - Irrecevabilité - Contrôle par la Cour de l'appréciation des éléments de preuve - Exclusion sauf cas de dénaturation

(Traité CE, art. 168 A (devenu art. 225 CE); statut de la Cour de justice CE, art. 51)

4 Pourvoi - Moyens - Insuffisance de motivation - Critères retenus par le Tribunal pour fixer le montant de l'indemnité allouée en réparation d'un préjudice - Contrôle par la Cour

5 Pourvoi - Moyens - Moyen non soutenu par une argumentation juridique - Irrecevabilité

(Statut de la Cour de justice CE, art. 51, al. 1; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))

Sommaire


1 L'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions concernant l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué.

Le juge communautaire n'est pas tenu d'examiner les conditions de la responsabilité d'une institution dans un ordre déterminé. En effet, dans la mesure où ces trois conditions doivent être cumulativement remplies, le fait que l'une d'entre elles fait défaut suffit pour rejeter un recours en indemnité.

2 Si la cause d'un accident ou d'une maladie professionnelle est imputable à l'institution qui emploie le fonctionnaire, celui-ci ne peut prétendre à une double indemnisation du préjudice subi, l'une au titre de l'article 73 du statut et l'autre au titre de l'article 215 du traité (devenu article 288 CE).

Il s'ensuit que, lorsque le juge communautaire évalue le préjudice réparable, dans le cadre d'un recours en indemnité fondé sur une faute de nature à engager la responsabilité de l'institution employeur, il doit prendre en compte les prestations reçues par le fonctionnaire au titre de l'article 73 du statut.

3 Pas plus qu'elle n'est compétente, dans le cadre d'un pourvoi, pour constater les faits, la Cour n'a de compétence, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l'appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d'administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

4 Lorsque le Tribunal a constaté l'existence d'un dommage, il est seul compétent pour apprécier, dans les limites de la demande, le mode et l'étendue de la réparation du dommage. Toutefois, afin que la Cour puisse exercer son contrôle juridictionnel sur les arrêts du Tribunal, ceux-ci doivent être suffisamment motivés et, s'agissant de l'évaluation d'un préjudice, indiquer les critères pris en compte aux fins de la détermination du montant retenu.

Est suffisamment motivé à cet égard l'arrêt dans lequel le Tribunal utilise plusieurs critères différents pour vérifier si le montant perçu par le requérant indemnise celui-ci de façon adéquate pour le préjudice subi.

5 Il résulte des articles 51, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent cette demande.

Ne répond pas à cette exigence un moyen faisant grief au Tribunal d'avoir conclu dans un sens sans préciser le fondement juridique sur lequel le Tribunal aurait dû conclure autrement.

Parties


Dans l'affaire C-257/98 P,

Arnaldo Lucaccioni, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Paris (France), représenté par Mes Georges Vandersanden, Laure Levi et Olivier Eben, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (deuxième chambre) du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission (T-165/95, RecFP p. I-A-203 et II-627), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Julian Currall, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Jean-Luc Fagnart, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR

(première chambre),

composée de MM. P. Jann, président de chambre, D. A. O. Edward et L. Sevón (rapporteur), juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 4 mars 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 avril 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 juillet 1998, M. Lucaccioni a, en vertu de l'article 49 du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission (T-165/95, RecFP p. I-A-203 et II-627, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté le recours en indemnité qu'il avait formé à l'encontre de la Commission.

2 Il ressort de l'arrêt attaqué que le requérant a introduit, en 1990, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. La Commission a d'abord soumis son cas à la commission d'invalidité prévue à l'article 78 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») et a ensuite entamé la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle prévue à l'article 73 dudit statut.

3 La procédure au titre de l'article 78 du statut a donné lieu à la mise à la retraite du requérant et à l'octroi à ce dernier d'une pension d'invalidité égale à 70 % de son traitement de base.

4 La procédure au titre de l'article 73 du statut, qui s'est déroulée parallèlement à la procédure précédente, a eu pour conséquence, d'une part, la reconnaissance du fait que le requérant souffrait d'une maladie professionnelle et, d'autre part, la détermination d'un taux d'invalidité permanente totale de 130 %, dont 30 % en considération, notamment, des graves perturbations psychologiques subies. Conformément à l'article 73 du statut, la Commission a versé au requérant une somme de 25 794 194 BFR.

5 Le requérant a toutefois estimé que cette somme n'était pas suffisante aux fins de la réparation de l'intégralité du préjudice qu'il avait subi, eu égard aux conditions dans lesquelles il avait dû travailler. Dès lors, il a introduit un recours en indemnité devant le Tribunal.

6 Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le requérant n'avait pas démontré que le dommage qu'il avait subi n'avait pas été réparé par l'octroi de la somme versée au titre de l'article 73 du statut, en sorte qu'il a rejeté le recours.

7 Le pourvoi est fondé sur un moyen unique, tiré de la violation du droit communautaire. Ce moyen s'articule en quatre branches. La première branche est tirée d'une application incorrecte des principes de la responsabilité pour faute, en ce que le Tribunal se serait abstenu d'examiner les éléments constitutifs de la responsabilité et, plus particulièrement, la faute de la Commission. La deuxième est également tirée d'une application incorrecte des principes de la responsabilité pour faute, en ce que le Tribunal n'aurait pas procédé correctement à l'évaluation du préjudice matériel et moral subi par le requérant. La troisième est tirée d'un défaut de motivation de l'arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait procédé d'autorité, sans motivation appropriée, à l'inclusion du préjudice matériel et moral subi par le requérant dans le capital qui lui a été versé au titre de la sécurité sociale des fonctionnaires communautaires. La quatrième branche est tirée du fait que le Tribunal aurait conclu à tort que la Commission n'avait pas fait un usage critiquable de son pouvoir d'appréciation en la matière en ne demandant pas à la commission d'invalidité de se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie du requérant.

Sur la première branche du moyen

8 Par la première partie de la première branche du moyen, le requérant fait grief au Tribunal d'avoir mal appliqué, au point 57 de l'arrêt attaqué, les règles de la responsabilité pour faute, en ce qu'il s'est limité à l'examen de son préjudice, au motif que, «même dans l'hypothèse où une faute de la Commission serait établie, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant est parvenu à démontrer la réalité de son préjudice».

9 Selon le requérant, le Tribunal a méconnu le principe établi par la Cour dans l'arrêt du 8 octobre 1986, Leussink e.a./Commission (169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, points 18 à 20), qui établit l'obligation de se prononcer d'abord sur la responsabilité de l'institution et ensuite sur les autres conditions de l'action en responsabilité et, notamment, sur une éventuelle indemnisation du préjudice allégué par les prestations allouées au titre de l'article 73 du statut.

10 La Commission répond en substance que les trois conditions de la responsabilité de la Communauté dans le cadre de l'article 215, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 288, deuxième alinéa, CE) sont cumulatives, en sorte que la responsabilité de l'institution n'est pas engagée dès lors que l'une des trois conditions fait défaut. La Cour n'aurait pas dérogé à cette règle dans l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, mais n'aurait examiné les trois éléments constitutifs de la responsabilité que parce que, dans ce dernier arrêt, le dédommagement statutaire n'était pas suffisant pour indemniser complètement le fonctionnaire victime d'un accident ou d'une maladie professionnelle.

11 A cet égard, il convient de relever que, au point 56 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions concernant l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 42, et arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T-36/93, RecFP p. I-A-161 et II-497, point 130).

12 Au point 57, le Tribunal a considéré qu'il s'ensuivait que, même dans l'hypothèse où une faute de la Commission serait établie, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant parvenait à démontrer la réalité de son préjudice.

13 Ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 41 de ses conclusions, ni la jurisprudence de la Cour ni celle du Tribunal ne permettent de conclure à l'obligation d'examiner les conditions de la responsabilité d'une institution dans un ordre déterminé.

14 En effet, dans la mesure où ces trois conditions doivent être cumulativement remplies, le fait que l'une d'entre elles fait défaut suffit pour rejeter un recours en indemnité.

15 L'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, ne saurait être considéré comme établissant le principe d'un examen prioritaire de la condition relative à la faute. Le fait que, dans cet arrêt, cette condition a été examinée en premier lieu n'était pas dû à une contrainte juridique.

16 C'est donc à juste titre que le Tribunal a considéré qu'il pouvait examiner en premier lieu si le requérant avait établi la preuve de l'existence d'un préjudice non encore réparé par l'indemnisation qui lui avait été octroyée en application de l'article 73 du statut.

17 Par la seconde partie de la première branche du moyen, le requérant fait grief au Tribunal d'avoir confondu deux systèmes d'indemnisation totalement indépendants, soumis à des critères différents et faisant l'objet d'un système de réparation différent: d'une part, un système d'évaluation forfaitaire (article 73 du statut) et, d'autre part, un régime de responsabilité de droit commun fondé sur l'adéquation de la réparation d'un dommage aux fautes commises par l'autorité responsable. La comparaison des deux préjudices ne pourrait se faire que si, au préalable, les éléments à la base du préjudice, à savoir une invalidité permanente totale dans le cas de l'article 73 du statut et l'examen des fautes à la charge de la Commission dans le régime des responsabilités, ont été établis. C'est en effet à l'aune des fautes commises par la Commission que s'apprécieraient l'effet relationnel et le préjudice souffert pas la victime.

18 La Commission considère que le pourvoi est incohérent en ce que, d'une part, il reproche au Tribunal d'avoir méconnu les principes de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, lequel prévoit une indemnisation en droit commun complémentaire au régime statutaire et, d'autre part, d'avoir procédé à une comparaison de deux systèmes d'indemnisation totalement différents. Par ailleurs, elle conteste les principes de la responsabilité de droit commun tels que le requérant les décrit.

19 A cet égard, il convient de rappeler que la couverture des risques de maladie professionnelle et d'accident, prévue à l'article 73 du statut et à la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la «réglementation de couverture»), permet une indemnisation forfaitaire du fonctionnaire lésé à charge de l'institution qui l'emploie. Cette indemnisation est calculée en fonction du taux d'invalidité et du traitement de base du fonctionnaire, sans que soit prise en considération la responsabilité de l'auteur de l'accident ou celle de l'institution qui a imposé les conditions de travail ayant pu contribuer à la survenance de la maladie professionnelle.

20 Cette indemnisation forfaitaire ne peut toutefois conduire à une double indemnisation du préjudice subi. C'est d'ailleurs à cette fin que, lorsque la cause d'un accident ou d'une maladie est imputable à un tiers, l'article 85 bis du statut prévoit la subrogation des Communautés au fonctionnaire indemnisé dans ses droits et actions contre le tiers responsable, notamment pour les prestations servies au titre de l'article 73 du statut.

21 De même, si la cause d'un accident ou d'une maladie est imputable à l'institution qui emploie le fonctionnaire, celui-ci ne peut prétendre à une double indemnisation du préjudice subi, l'une au titre de l'article 73 du statut et l'autre au titre de l'article 215 du traité. En ce sens, les deux systèmes d'indemnisation ne sont pas, contrairement à ce que prétend le requérant, indépendants.

22 C'est en tenant compte de la nécessité d'une indemnisation complète, et non double, que la Cour a reconnu, au point 13 de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, le droit pour le fonctionnaire de demander une indemnisation complémentaire lorsque l'institution est responsable de l'accident selon le droit commun et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi.

23 Il s'ensuit que, en considérant, au point 72 de l'arrêt attaqué, que, conformément au principe établi dans l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, les prestations reçues au titre de l'article 73 du statut à la suite d'un accident ou d'une maladie professionnelle devaient être prises en compte par le Tribunal aux fins de l'évaluation du préjudice réparable, dans le cadre d'un recours en dommages et intérêts introduit par un fonctionnaire sur le fondement d'une faute de nature à engager la responsabilité de son institution employeur, le Tribunal a fait une juste application des articles 215 du traité et 73 du statut.

24 Il résulte de ce qui précède que la première branche du moyen doit être rejetée.

Sur la deuxième branche du moyen

25 Par la première partie de la deuxième branche du moyen, M. Lucaccioni fait grief au Tribunal d'avoir considéré, aux points 73 et suivants de l'arrêt attaqué, que le montant alloué au titre de l'article 73 du statut constituait une réparation adéquate des préjudices subis. En effet, la demande formulée par M. Lucaccioni était distincte d'une demande formulée au titre de l'article 73 du statut. Il s'agissait d'une demande supplémentaire de réparation, fondée sur une autre cause et soumise à d'autres critères de réparation. C'est donc à tort que le Tribunal aurait, au point 74 de l'arrêt attaqué, considéré que l'arrêt du 2 octobre 1979, B./Commission (152/77, Rec. p. 2819), concernait une question différente et ne pouvait pas être invoqué pour limiter la portée de l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, alors que, dans cet arrêt B./Commission, la Cour a défini, en termes de principe, la portée et l'objectif des prestations autorisées par l'article 73 du statut, à savoir des prestations visant exclusivement à réparer une atteinte à l'intégrité physique ou psychique du fonctionnaire, mais non le préjudice matériel dont le requérant réclame l'indemnisation.

26 La Commission considère que l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, a condamné le cumul du capital payé au titre de l'article 73 du statut et des dommages et intérêts sollicités sur le fondement d'une action en responsabilité pour faute de droit commun. La branche du moyen manquerait donc en droit en ce que le requérant soutient que le Tribunal aurait méconnu le principe énoncé dans l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

27 A cet égard, il y a lieu de relever que, en ce que le requérant fait grief au Tribunal d'avoir confondu la demande qu'il avait formulée avec une demande d'indemnisation fondée sur l'article 73 du statut, la première partie de la deuxième branche du moyen est en substance identique à la seconde partie de la première branche du moyen, laquelle a déjà été examinée.

28 Ainsi que la Cour l'a précisé au point 22 du présent arrêt, l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité, retient le principe d'une indemnisation complète, mais non double du fonctionnaire qui a subi un préjudice à la suite d'une faute commise par une institution. L'arrêt B./Commission, précité, relatif à l'évaluation du taux d'invalidité devant être reconnu à un fonctionnaire, concerne effectivement une question différente et n'infirme en rien le principe retenu par la Cour dans l'arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

29 C'est donc à juste titre que le Tribunal a considéré, au point 74 de l'arrêt attaqué, qu'il n'existait aucune raison valable pour ne pas tenir compte des prestations reçues au titre de l'article 73 du statut lors de l'évaluation du préjudice matériel réparable dans un cas comme celui de l'espèce, tel que la perte de rémunération.

30 Par la deuxième partie de la deuxième branche du moyen, le requérant conteste l'évaluation de son préjudice par le Tribunal. Selon lui, le préjudice matériel résultant de la différence entre sa pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire (reconstitution de carrière a posteriori) ne serait pas indemnisé par les 100 % accordés au titre de l'invalidité permanente et totale.

31 A cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu des articles 168 A du traité CE (devenu article 225 CE) et 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits (voir, notamment, arrêt du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission, C-283/90 P, Rec. p. I-4339, point 12, et ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19/95 P, Rec. p. I-4435, point 39).

32 Par ailleurs, pas plus qu'elle n'est compétente pour constater les faits, la Cour n'a de compétence, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l'appui de ces faits (arrêt Commission/Brazzelli Lualdi e.a., précité, point 66).

33 En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d'administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 22).

34 Par identité de motifs, lorsque le Tribunal a constaté l'existence d'un dommage, il est seul compétent pour apprécier, dans les limites de la demande, le mode et l'étendue de la réparation du dommage (voir arrêts Commission/Brazzelli Lualdi e.a., précité, point 66, et du 14 mai 1998, Conseil/De Nil et Impens, C-259/96 P, Rec. p. I-2915, point 32).

35 Toutefois, afin que la Cour puisse exercer son contrôle juridictionnel sur les arrêts du Tribunal, ceux-ci doivent être suffisamment motivés et, s'agissant de l'évaluation d'un préjudice, indiquer les critères pris en compte aux fins de la détermination du montant retenu (voir arrêt Conseil/De Nil et Impens, précité, points 32 et 33).

36 Pour donner effet utile à la deuxième partie de la deuxième branche du moyen, il convient de l'interpréter comme visant un défaut de motivation de l'arrêt attaqué en ce qui concerne les critères de détermination du montant considéré par le Tribunal comme réparant effectivement le préjudice matériel subi par le requérant.

37 A cet égard, il y a lieu de relever que, au point 76 de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est référé au chiffre de 8 400 000 BFR correspondant au résultat du calcul actuariel effectué par le requérant et décrit aux points 59 et 60 de l'arrêt attaqué, qui représente le montant en capital permettant de couvrir la perte de revenus périodiques résultant de la différence entre la pension d'invalidité et son traitement de fonctionnaire jusqu'à l'âge de la retraite, en supposant une retraite prise à 65 ans.

38 Il s'ensuit que, en faisant référence à ce calcul précis effectué par le requérant lui-même et en considérant, au point 77 de l'arrêt attaqué, que, même en ne tenant compte que d'une évaluation d'invalidité à 100 %, le seul montant de 19 841 688 BFR versé à M. Lucaccioni l'indemnise suffisamment du préjudice subi, le Tribunal a motivé sa décision.

39 Par la troisième partie de la deuxième branche du moyen, le requérant conteste la prise en considération, par le Tribunal, des 30 % supplémentaires alloués au titre de l'article 14 de la réglementation de couverture. Selon lui, ces 30 % ne seraient que la réparation d'un préjudice physique et ne constitueraient donc pas une réparation adéquate des préjudices moral, sexuel et d'agrément dont il se prévaut.

40 M. Lucaccioni conteste également l'arrêt attaqué en ce qu'il affirme, au point 88, qu'il «n'a fourni aucun élément établissant qu'un montant de cet ordre pourrait être accordé, à titre de réparation d'un préjudice moral comparable, par les tribunaux des États membres», alors qu'il s'est référé à un arrêt de la Cour de cassation française et, après la clôture de la procédure écrite, a offert de produire d'autres décisions.

41 S'agissant de l'appréciation du dommage moral, la Commission relève que c'est à juste titre que le Tribunal s'est référé à l'article 14 de la réglementation de couverture pour apprécier l'importance du préjudice moral invoqué par M. Lucaccioni, dès lors que cette disposition renvoie explicitement, en son paragraphe 2, à l'article 12 de la réglementation de couverture, lequel, pour l'évaluation des lésions qui n'entraînent pas une invalidité totale, se réfère à un barème qui mentionne, en sa première ligne, les troubles psychologiques. La branche du moyen n'est donc pas fondée en ce que le requérant prétend que l'arrêt attaqué aurait fait une mauvaise application de l'article 14 de la réglementation de couverture.

42 En outre, la Commission indique que M. Lucaccioni réclame réparation de préjudices non économiques dont il n'a jamais démontré la réalité et l'importance.

43 S'agissant enfin de la critique du point 88 de l'arrêt attaqué, la Commission considère qu'elle est dirigée contre un motif surabondant, donc irrecevable. Même s'il était recevable, il ne serait néanmoins pas fondé dès lors qu'aucune des décisions citées par M. Lucaccioni ne contenait une évaluation d'un préjudice moral quelconque.

44 Pour des motifs analogues à ceux développés dans le cadre de la deuxième partie de la deuxième branche du moyen, il y a lieu d'interpréter cette troisième partie de la deuxième branche du moyen comme visant le défaut de motivation de l'arrêt attaqué quant aux critères retenus pour l'évaluation du préjudice moral de M. Lucaccioni.

45 Avant d'examiner les critères retenus par le Tribunal, il convient toutefois d'examiner si, en considérant que le requérant n'avait fourni aucun élément établissant qu'un montant de l'ordre de 5 950 000 BFR pouvait lui être accordé, à titre de réparation d'un préjudice moral comparable, par les juridictions des États membres, le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve régulièrement produits par le requérant.

46 A cet égard, il y a lieu de relever que la jurisprudence nationale à laquelle le requérant fait allusion dans son pourvoi a été adressée par celui-ci au Tribunal par lettre du 1er avril 1998, soit après le déroulement, le 9 octobre 1997, de la procédure orale.

47 Par conséquent, c'est à bon droit que le Tribunal n'a pas tenu compte de cette jurisprudence.

48 Il s'ensuit que c'est à juste titre que le Tribunal a constaté, au point 88 de l'arrêt attaqué, que le requérant n'avait fourni aucun élément établissant qu'un montant de l'ordre de 5 950 000 BFR aurait pu être accordé par les juridictions des États membres, à titre de réparation d'un préjudice moral comparable à celui subi par le requérant.

49 S'agissant des critères utilisés par le Tribunal pour vérifier si le préjudice moral subi par le requérant avait fait l'objet d'une réparation adéquate, le Tribunal a pris en considération, au point 85 de l'arrêt attaqué, la somme de 5 950 000 BFR qui lui avait été allouée au titre de l'article 14 de la réglementation de couverture et accordée, selon la commission médicale, «[e]n considération des signes permanents (cicatrices, déformation de la mamelle gauche, réduction de la force musculaire du bras gauche) et des graves perturbations psychologiques dont M. Lucaccioni est atteint».

50 Au point 88 de l'arrêt attaqué, il a constaté l'absence d'éléments établissant qu'un montant de cet ordre pourrait être accordé, à titre de réparation d'un préjudice moral comparable, par les tribunaux des États membres.

51 A titre surabondant, il a procédé, au point 90, au calcul du montant représentant l'indemnisation du dommage moral du requérant s'il était déduit de la somme de 25 800 000 BFR versée par la Commission à celui-ci celle de 8 400 000 BFR, considérée par lui, selon un calcul actuariel précis, comme représentant la réparation du dommage matériel prétendument subi par lui.

52 Il y a lieu de constater que, en utilisant plusieurs critères différents pour vérifier si le montant perçu par M. Lucaccioni l'indemnisait de façon adéquate du préjudice moral subi, le Tribunal a suffisamment motivé l'arrêt attaqué.

53 Il résulte de ce qui précède que la deuxième branche du moyen doit être également rejetée.

Sur la troisième branche du moyen

54 Par la troisième branche du moyen, M. Lucaccioni conteste les points 76, 77 et 87 de l'arrêt attaqué, en ce que le Tribunal n'a donné, à part une appréciation «en équité» et tout à fait subjective, aucune explication objective et vérifiable ni aucune motivation permettant de justifier l'inclusion des préjudices subis dans les prestations allouées au titre des articles 73 du statut et 14 de la réglementation de couverture.

55 Il y a lieu toutefois de relever que cette branche du moyen, tirée d'un défaut de motivation de l'arrêt attaqué quant à l'évaluation du préjudice, est en substance identique aux deuxième et troisième parties de la deuxième branche du moyen telles qu'elles ont été interprétées par la Cour et auxquelles il a déjà été répondu.

56 Dans ces conditions, il convient, pour les mêmes raisons, de rejeter la troisième branche du moyen.

Sur la quatrième branche du moyen

57 Par la quatrième branche du moyen, intitulée «absence d'allocation d'intérêts compensatoires sur le capital payé au titre de l'article 73 du statut en dédommagement du retard apporté au dossier du requérant», M. Lucaccioni fait grief au Tribunal d'avoir conclu, au point 144, que la Commission «n'a pas fait un usage critiquable de son pouvoir d'appréciation en la matière en ne demandant pas à la commission d'invalidité de se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie du requérant» ou, au point 147, «n'a pas outrepassé cette marge d'appréciation en l'espèce».

58 Selon le requérant, compte tenu de sa demande d'ouverture d'une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle, le seul usage régulier que la Commission pouvait réserver à la définition du mandat de la commission d'invalidité était de lui demander de se prononcer sur l'origine de son invalidité éventuelle, conformément à l'article 78, deuxième alinéa, du statut.

59 La Commission considère que cette branche du moyen, en ce qu'elle ne précise ni les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ni les arguments juridiques qui soutiennent cette demande, est irrecevable. M. Lucaccioni se contenterait de reproduire les moyens et arguments déjà présentés devant le Tribunal.

60 Il importe au préalable de relever qu'un lien ne peut être établi entre l'intitulé de la quatrième branche du pourvoi et son contenu que par référence au point 112 de l'arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a résumé l'argumentation développée par M. Lucaccioni, selon laquelle la procédure aurait abouti plus rapidement si la commission d'invalidité avait été saisie sur le fondement de l'article 78, deuxième alinéa, du statut.

61 S'agissant du contenu du moyen, il convient de rappeler qu'il résulte des articles 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent cette demande (voir, notamment, ordonnances du 6 mars 1997, Bernardi/Parlement, C-303/96 P, Rec. p. I-1239, point 37, et du 9 juillet 1998, Smanor e.a./Commission, C-317/97 P, Rec. p. I-4269, point 20).

62 En ce que la quatrième branche du moyen fait grief au Tribunal d'avoir conclu que la Commission n'avait pas méconnu les procédures prévues aux articles 73 et 78 du statut, sans cependant préciser le fondement juridique sur lequel le Tribunal aurait dû considérer que la Commission avait violé ces dispositions en ne demandant pas à la commission d'invalidité, constituée en 1991 sur le fondement de l'article 78 du statut, de se prononcer sur l'éventuelle origine professionnelle de la maladie du requérant, elle doit être déclarée irrecevable.

63 Au surplus, quand bien même cette branche serait déclarée recevable, elle serait toutefois inopérante. En effet, pour obtenir une indemnisation du préjudice résultant d'un retard imputable à la Commission dans la conduite d'une procédure, il incombe au requérant d'apporter la preuve de la faute de l'institution, du préjudice subi et d'un lien de causalité, ces trois conditions étant cumulatives.

64 Or, le requérant ne conteste pas la constatation du Tribunal, au point 143 de l'arrêt attaqué, que le fait de ne pas demander à la commission d'invalidité de se prononcer sur l'origine professionnelle de la maladie ne lui a causé aucun préjudice puisqu'il avait déjà droit au taux maximal de la pension visé à l'article 78, deuxième alinéa, du statut.

65 Cette branche du moyen doit donc être déclarée irrecevable.

66 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le moyen est pour partie irrecevable et pour partie non fondé, en sorte qu'il convient de rejeter le recours.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

67 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes de l'article 70 dudit règlement, les frais exposés par les institutions dans le recours des fonctionnaires restent à la charge de celles-ci. Cependant, en vertu de l'article 122, deuxième alinéa, de ce même règlement, l'article 70 n'est pas applicable au pourvoi formé par un fonctionnaire ou tout autre agent d'une institution contre celle-ci. Le requérant ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(première chambre)

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) M. Lucaccioni est condamné aux dépens.

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