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Document 62023TJ0119

    Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 17 avril 2024.
    Insider LLC contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.
    Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative in Insajderi – Marques nationales verbale antérieure INSAJDERI et figurative antérieure in Insajderi Gazetë online – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 – Étendue de l’examen devant être opéré par la chambre de recours – Article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 – Défaut de production de preuves – Traduction – Article 7 du règlement délégué 2018/625 – Droit d’être entendu – Article 41 de la charte des droits fondamentaux – Article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 – Possibilité pour la chambre de recours d’accepter des preuves produites pour la première fois devant elle – Article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 – Article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001.
    Affaire T-119/23.

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2024:253

     ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

    17 avril 2024 ( *1 )

    « Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative in Insajderi – Marques nationales verbale antérieure INSAJDERI et figurative antérieure in Insajderi Gazetë online – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 – Étendue de l’examen devant être opéré par la chambre de recours – Article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 – Défaut de production de preuves – Traduction – Article 7 du règlement délégué 2018/625 – Droit d’être entendu – Article 41 de la charte des droits fondamentaux – Article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 – Possibilité pour la chambre de recours d’accepter des preuves produites pour la première fois devant elle – Article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 – Article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 »

    Dans l’affaire T‑119/23,

    Insider LLC, établie à Pristina (République du Kosovo), représentée par Me M. Ketler, avocat,

    partie requérante,

    contre

    Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

    partie défenderesse,

    l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

    Florim Alaj, demeurant à Zoug (Suisse),

    LE TRIBUNAL (huitième chambre),

    composé de MM. A. Kornezov, président, K. Kecsmár (rapporteur) et Mme S. Kingston, juges,

    greffier : M. V. Di Bucci,

    vu la phase écrite de la procédure,

    vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Insider LLC, demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 5 décembre 2022 (affaire R 1152/2022-5) (ci-après la « décision attaquée »).

    Antécédents du litige

    2

    Le 16 juin 2020, l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours, M. Florim Alaj, a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe figuratif suivant :

    Image

    3

    La marque demandée désignait les services relevant de la classe 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Fourniture, par le biais de l’internet, d’informations, d’actualités et de commentaires liés à l’enseignement, au divertissement et au sport dans le domaine de l’actualité ».

    4

    La requérante a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les services visés au point 3 ci-dessus.

    5

    L’opposition était fondée sur les deux marques antérieures suivantes, enregistrées au Kosovo, déposées le 5 mai 2020 et désignant des services relevant des classes 35, 38 et 41 :

    la marque verbale kosovare no 27062 INSAJDERI ;

    la marque figurative kosovare no 27063 représentée ci-après :

    Image

    6

    Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

    7

    Le 10 mai 2022, la division d’opposition a fait droit à l’opposition et refusé l’enregistrement de la marque demandée pour l’ensemble des services visés au point 3 ci-dessus.

    8

    Le 30 juin 2022, l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

    9

    Par la décision attaquée, la chambre de recours a accueilli le recours, annulé la décision de la division d’opposition et rejeté l’opposition dans son intégralité, au motif que la requérante n’avait pas démontré, avant la fin du délai imparti pour présenter des faits, preuves et observations à l’appui de l’opposition, que les marques antérieures revendiquées existaient et qu’elle en était titulaire, conformément à l’article 7, paragraphe 2, et à l’article 8, paragraphe 1, du règlement 2017/1001. Elle a notamment considéré que les traductions certifiées conformes des certificats d’enregistrement des marques antérieures, fournies par la requérante à titre de preuve de l’existence desdites marques et du fait qu’elle en était titulaire (ci-après les « traductions »), constituaient des traductions non officielles dans lesquelles le texte original n’était pas visible, rendant impossible le fait de vérifier si des informations essentielles étaient mentionnées dans le certificat original.

    Conclusions des parties

    10

    La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    annuler la décision attaquée ;

    condamner l’EUIPO aux dépens de la procédure.

    11

    L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    rejeter le recours dans son intégralité ;

    condamner la requérante aux dépens en cas de convocation des parties à une audience.

    En droit

    12

    À l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), le deuxième, d’une violation de l’article 7 dudit règlement délégué ainsi que des articles 24 à 26 du règlement d’exécution (UE) 2018/626 de la Commission, du 5 mars 2018, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1431 (JO 2018, L 104, p. 37) et, le troisième, de la violation de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lu conjointement avec l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001.

    13

    Il convient d’examiner d’abord le premier moyen, ensuite le troisième moyen, et, enfin, le cas échéant, le deuxième moyen.

    Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625

    14

    La requérante soutient que l’autre partie à la procédure n’avait pas contesté devant la chambre de recours l’existence des marques antérieures. Dès lors, en examinant cet élément ainsi que l’authenticité des traductions de sa propre initiative, la chambre de recours aurait violé l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625. À cet égard, la requérante fait valoir que la chambre de recours n’a pas expliqué pourquoi cet examen était nécessaire pour garantir une application correcte du règlement 2017/1001 ni en quoi il concernait des exigences procédurales essentielles au sens de l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625. Enfin, la requérante affirme, en substance, que la question de l’authenticité des traductions est une question de fait plutôt qu’une question de droit, de sorte que l’article précité ne serait pas applicable à cet égard.

    15

    L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

    16

    À titre liminaire, il importe de rappeler qu’il existe une continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO, d’une part, et les chambres de recours, d’autre part. Le contrôle exercé par les chambres de recours ne se limite pas au contrôle de la légalité de la décision faisant l’objet du recours porté devant elles, mais, de par l’effet dévolutif de la procédure de recours, il implique une nouvelle appréciation du litige dans son ensemble, les chambres de recours devant intégralement réexaminer la requête initiale et tenir compte des preuves produites en temps utile. Ainsi, il résulte de l’article 71, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 que, par l’effet du recours dont elle est saisie, la chambre de recours est appelée à procéder à un nouvel examen complet du fond de l’opposition, tant en droit qu’en fait [voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 2017, Coca-Cola/EUIPO – Mitico (Master), T‑61/16, EU:T:2017:877, point 115 et jurisprudence citée].

    17

    Ainsi qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625, l’opposant produit la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur, au moyen, notamment, de certificats de dépôt, d’enregistrement ou de renouvellement, ainsi que la preuve de son habilitation à former opposition dans le délai imparti pour présenter des faits, des éléments de preuve et des arguments à l’appui de l’opposition. En particulier, si l’opposition est fondée sur l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, l’opposant produit la preuve qu’il est le titulaire de la marque antérieure et de sa relation avec l’agent ou le représentant. En outre, il ressort de l’article 7, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 que les certificats de dépôt, d’enregistrement ou de renouvellement sont présentés dans la langue de procédure ou accompagnés d’une traduction dans cette langue.

    18

    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la chambre de recours pouvait, d’une part, soulever d’office l’absence de production des certificats d’enregistrement originaux des marques antérieures et examiner l’existence, la validité et l’étendue de la protection des marques antérieures ainsi que le fait que la requérante en était titulaire et, d’autre part, vérifier d’office l’authenticité des traductions.

    19

    À cet égard, il résulte de l’article 27, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement délégué 2018/625 que les questions de droit non soulevées par les parties peuvent être examinées par la chambre de recours lorsqu’il est nécessaire de les résoudre afin de garantir une application correcte du règlement 2017/1001 eu égard aux faits, preuves et arguments soumis par les parties ou lorsqu’elles concernent des exigences procédurales essentielles.

    20

    Il découle de l’article 7 du règlement délégué 2018/625 que la corroboration d’une opposition par la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection des marques antérieures sur lesquelles l’opposition est fondée, ainsi que l’habilitation de l’opposant à former opposition conformément à l’article 8 du règlement 2017/1001, sont des conditions indispensables au succès de celle-ci.

    21

    Dès lors, c’est à bon droit que la chambre de recours a examiné d’office la question de la justification de la marque antérieure conformément à l’article 7 du règlement délégué 2018/625, dans la mesure où la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection des marques antérieures sur lesquelles l’opposition est fondée, ainsi que du fait que l’opposant est titulaire de celles-ci, sont des conditions nécessaires à l’application des motifs relatifs de refus conformément à l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001. Il s’ensuit que cette justification des droits antérieurs rentre dans le champ d’application de l’article 27, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement délégué 2018/625.

    22

    Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la question de l’authenticité des traductions constitue une question de droit. En effet, comme relevé au point 17 ci-dessus, le respect de l’obligation d’étayer l’opposition et de fournir la traduction en langue de procédure des éléments produits à cette fin constitue une question que la chambre de recours est tenue d’examiner, conformément à l’article 7 du règlement délégué 2018/625, et qui est susceptible d’affecter son appréciation du recours porté devant elle. En outre, en l’absence de possibilité de s’assurer que les traductions sont conformes aux documents originaux, le demandeur de la marque est susceptible de ne pas avoir pu se défendre adéquatement [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 décembre 2016, Guiral Broto/EUIPO – Gastro & Soul (CAFE DEL SOL), T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719, point 28].

    23

    La chambre de recours était donc fondée, d’une part, à relever d’office l’absence de production des certificats d’enregistrement originaux des marques antérieures et à examiner l’existence, la validité et l’étendue de la protection des marques antérieures, ainsi que le fait que la requérante en était titulaire et, d’autre part, à vérifier d’office l’authenticité des traductions.

    24

    Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

    Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, lu conjointement avec l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001

    25

    La requérante fait valoir, en substance, que, en relevant d’office, d’une part, le défaut de production des certificats d’enregistrement originaux des marques en conflit et, d’autre part, des doutes quant à l’authenticité des traductions de ces documents, sans l’inviter au préalable à présenter ses observations sur cette question, la chambre de recours a violé l’article 41, paragraphe 1, de la Charte en ce qu’elle l’a privée de son droit d’être entendue.

    26

    L’EUIPO conteste les arguments de la requérante en faisant d’abord valoir que la requérante n’a produit, au cours de la procédure administrative, aucun certificat original d’enregistrement des marques antérieures, bien qu’elle ait reçu, le 8 mars 2021, une communication dans laquelle il soulignait l’obligation de la requérante d’étayer les droits antérieurs dans le délai imparti. Selon lui, la chambre de recours n’était pas tenue de se fonder sur les seules traductions, et ne pouvait pas vérifier, sur cette unique base, si des informations essentielles telles que la date de dépôt, la titulaire ou la liste des services étaient mentionnées dans le certificat original. En outre, l’EUIPO soutient que la chambre de recours n’a pas violé le droit de la requérante d’être entendue, puisque l’obligation de produire des éléments visant à prouver l’existence, la validité, et l’étendue de la protection des marques antérieures, ainsi que des éléments démontrant l’habilitation de la requérante à former opposition, était connue de la requérante en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625. Enfin, la chambre de recours n’aurait pas été tenue d’informer la requérante des lacunes dans les preuves qu’elle a produites à l’appui de l’opposition, conformément à l’article 8, paragraphes 1 et 9, dudit règlement délégué.

    27

    Il importe, tout d’abord, de rappeler que, selon l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position. Cette disposition constitue une application spécifique du principe général de protection des droits de la défense, consacré, par ailleurs, à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de Charte, selon lequel les personnes dont les intérêts sont affectés par des décisions des autorités publiques doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [arrêt du 8 juin 2022, Apple/EUIPO – Swatch (THINK DIFFERENT), T‑26/21 à T‑28/21, non publié, EU:T:2022:350, point 40].

    28

    En effet, tous les actes de l’Union doivent respecter les droits fondamentaux, tels que reconnus par la Charte, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe au juge de l’Union de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit le traité FUE et le respect de la Charte s’impose aux institutions, organes et organismes de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 283 à 285, et avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH) du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 169 et 171].

    29

    Le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75 et jurisprudence citée).

    30

    En outre, le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter [voir arrêt du 7 février 2007, Kustom Musical Amplification/OHMI (Forme d’une guitare), T‑317/05, EU:T:2007:39, point 27 et jurisprudence citée].

    31

    C’est à l’EUIPO qu’incombe l’obligation de mettre les parties à une procédure pendante devant ses instances en mesure de faire valoir leur point de vue sur tous les éléments qui constituent le fondement des décisions de ces instances [voir arrêt du 20 mars 2019, Prim/EUIPO – Primed Halberstadt Medizintechnik (PRIMED), T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 27 et jurisprudence citée].

    32

    En l’espèce, il n’est pas contesté que la chambre de recours a rejeté l’opposition en application de l’article 7, paragraphe 2, et de l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625, sans que la requérante ait pu prendre position sur le motif déterminant de cette décision. En effet, la chambre de recours a soulevé elle-même l’absence de versions originales des certificats d’enregistrement des marques antérieures ainsi que des doutes quant à l’authenticité des traductions et en a déduit, sur cette seule base, comme exposé au point 9 ci-dessus, que la requérante n’avait pas démontré que les marques antérieures existaient et qu’elle en était titulaire et que, dès lors, l’opposition devait être rejetée. Ainsi que le soutient la requérante dans son troisième moyen, le fait pour la chambre de recours d’avoir examiné d’office cette question, sans l’avoir entendue en l’espèce sur ce point, constitue une irrégularité procédurale (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL, T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719, point 31 et jurisprudence citée).

    33

    Une violation des droits de la défense ne peut toutefois être constatée que pour autant que l’absence de prise en compte de la position d’une partie intéressée a eu une incidence concrète sur la possibilité pour l’intéressé de se défendre. Pour autant, il ne saurait être imposé à la partie requérante de démontrer que la décision attaquée aurait eu un contenu différent en l’absence de la violation constatée, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue dès lors que la partie requérante aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2009, Foshan Shunde Yongjian Housewares & Hardware/Conseil, C‑141/08 P, EU:C:2009:598, point 94 et jurisprudence citée, et du 20 mars 2019, PRIMED, T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 28 et jurisprudence citée).

    34

    Il y a donc lieu de vérifier s’il n’est pas entièrement exclu que, en l’absence de l’irrégularité procédurale visée au point 32 ci-dessus, la procédure aurait abouti à un résultat différent.

    35

    Tel est le cas en l’espèce. En effet, si la chambre de recours avait mis la requérante en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la question de l’absence des versions originales des certificats d’enregistrement des marques antérieures, celle-ci aurait été en mesure de les fournir, permettant à la chambre de recours de les examiner et de s’assurer de l’authenticité des traductions.

    36

    Partant, la décision attaquée a été adoptée en violation du droit d’être entendu garanti par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

    37

    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de l’EUIPO. En effet, premièrement, s’agissant de l’argument de l’EUIPO selon lequel la production desdits certificats originaux à ce stade aurait été tardive, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 95 du règlement 2017/1001, l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.

    38

    Ainsi que l’a jugé la Cour, il découle du libellé de cette disposition que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du règlement 2017/1001, et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte des faits et des preuves ainsi tardivement invoqués ou produits (voir arrêt du 20 mars 2019, PRIMED, T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 46 et jurisprudence citée).

    39

    En précisant que l’EUIPO « peut » décider de ne pas tenir compte de telles preuves, l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 investit en effet celui-ci d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte (voir arrêt du 20 mars 2019, PRIMED, T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 47 et jurisprudence citée).

    40

    Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu’aucune raison de principe liée à la nature de la procédure se déroulant devant la chambre de recours ou à la compétence de cette instance n’exclut que, aux fins de statuer sur le recours dont elle est saisie, ladite chambre prenne en compte des faits ou des preuves présentés pour la première fois devant elle (voir arrêt du 20 mars 2019, PRIMED, T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 48 et jurisprudence citée).

    41

    De surcroît, aux termes de l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, la chambre de recours peut accepter des preuves produites pour la première fois devant elle uniquement si ces preuves satisfont à deux conditions : d’une part, elles « semblent, à première vue, pertinent[e]s pour l’issue de l’affaire », et, d’autre part, elles « n’ont pas été présenté[e]s en temps utile pour des raisons valables, en particulier lorsqu[’elles] viennent uniquement compléter des faits et preuves pertinents qui avaient déjà été soumis en temps utile, ou sont déposé[e]s pour contester les conclusions tirées ou examinées d’office par la première instance dans la décision objet du recours ».

    42

    En l’espèce, dès lors que la chambre de recours a remis en cause l’authenticité des traductions et a considéré que, en ne fournissant pas les versions originales des certificats d’enregistrement des marques antérieures à l’origine de l’opposition, la requérante ne s’était pas conformée aux exigences prévues par l’article 7, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625 en termes de preuve de l’existence des marques et du fait que la requérante en était titulaire, de sorte que son opposition a été rejetée comme non fondée, ainsi qu’il a été constaté au point 35 ci-dessus, il ne peut être exclu que, si la requérante avait été entendue sur ce point, elle aurait pu soumettre les versions originales desdits certificats, que, en application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, la chambre de recours aurait pu les admettre et que, en conséquence, la procédure d’opposition aurait abouti à un résultat différent.

    43

    Deuxièmement, contrairement à ce que fait valoir l’EUIPO, sa communication à la requérante du 8 mars 2021 ne peut être considérée comme invitant cette dernière à prendre position sur l’absence de versions originales des certificats d’enregistrement des marques antérieures ou sur l’authenticité des traductions. En effet, il s’agit, en l’espèce, d’une communication standardisée, laquelle ne mentionne aucunement les questions relatives à l’existence, la validité et l’étendue de la protection des marques antérieures ainsi qu’à la titularité de ces dernières que la chambre de recours envisageait de soulever d’office, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, et de l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625.

    44

    En outre, le fait que, au stade de la procédure devant la division d’opposition, la requérante a été informée de son obligation d’étayer les marques antérieures dans le délai imparti est indifférent pour l’appréciation du respect des droits de la défense au stade de la procédure devant la chambre de recours. En effet, dès lors que la compétence des chambres de recours implique un réexamen des décisions prises par les unités de l’EUIPO et que, en l’espèce, la chambre de recours a soulevé de sa propre initiative l’absence de preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection des marques antérieures, ladite information ne peut être considérée comme ayant permis à la requérante de faire connaître utilement son point de vue devant la chambre de recours sur un rejet de son opposition en raison de l’absence de production des versions originales des certificats d’enregistrement des marques antérieures et de doutes pesant sur l’authenticité de la traduction desdits certificats (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL, T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719, point 43).

    45

    Troisièmement, il découle du libellé de l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625 que, lorsqu’aucune preuve n’est produite dans le délai imparti, ou lorsque les preuves produites sont manifestement dénuées de pertinence ou manifestement insuffisantes pour satisfaire aux dispositions de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement délégué,pour aucun des droits antérieurs, l’opposition est rejetée comme non fondée. Une telle conclusion ne s’impose pas, en revanche, lorsque certains de ces éléments ont été produits dans le délai ou lorsqu’ils ne sont pas manifestement dénués de pertinence ou manifestement insuffisants. Or, en l’espèce, il est constant que la requérante a produit devant la division d’opposition, dans le délai imparti, les traductions des certificats d’enregistrement des marques antérieures. Ces éléments ne sont pas manifestement dénués de pertinence ou manifestement insuffisants, puisque dans l’hypothèse où la requérante aurait été entendue et aurait produit les originaux desdits certificats au cours de la procédure devant la chambre de recours, cette dernière n’aurait en aucun cas été tenue de rejeter l’opposition sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625. En effet, ledit article ne constitue pas une règle empêchant la chambre de recours de faire usage de la marge d’appréciation qui lui est conférée par l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, dès lors que l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625 doit être interprété de façon à le rendre conforme aux règles supérieures de droit énoncées dans le règlement 2017/1001 et dans l’article 41 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL, T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719, point 38).

    46

    Quatrièmement, en tant que l’EUIPO fait valoir qu’il ne saurait être tenu d’inviter explicitement une partie à produire des éléments de preuve, il convient de rappeler qu’il appartenait à la chambre de recours de s’assurer que les conditions prescrites par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte et l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001 étaient respectées, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2019, PRIMED, T‑138/17, non publié, EU:T:2019:174, point 44 et jurisprudence citée).

    47

    Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient d’accueillir le troisième moyen et, sans qu’il soit besoin de statuer sur le deuxième moyen, d’annuler la décision attaquée.

    Sur les dépens

    48

    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

    49

    L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (huitième chambre)

    déclare et arrête :

     

    1)

    La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 5 décembre 2022 (affaire R 1152/2022-5) est annulée.

     

    2)

    L’EUIPO est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Insider LLC.

     

    Kornezov

    Kecsmár

    Kingston

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 avril 2024.

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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