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Document 62023CJ0367

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 20 juin 2024.
EA contre Artemis security SAS.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).
Renvoi préjudiciel – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 9, paragraphe 1, sous a) – Obligation d’évaluation de la santé des travailleurs de nuit – Violation de cette obligation par l’employeur – Droit à réparation – Nécessité d’établir l’existence d’un préjudice spécifique.
Affaire C-367/23.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:529

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 9, paragraphe 1, sous a) – Obligation d’évaluation de la santé des travailleurs de nuit – Violation de cette obligation par l’employeur – Droit à réparation – Nécessité d’établir l’existence d’un préjudice spécifique »

Dans l’affaire C‑367/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 7 juin 2023, parvenue à la Cour le 9 juin 2023, dans la procédure

EA

contre

Artemis security SAS,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour EA, par Mes L. Boré et G. Mégret, avocats,

pour Artemis security SAS, par Me J.-J. Gatineau, avocat,

pour le gouvernement français, par MM. M. de Lisi, B. Fodda et M. Raux, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. F. Severi, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mmes F. Clotuche-Duvieusart et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EA à Artemis security SAS (ci-après « Artemis ») au sujet d’une demande de EA visant à obtenir une indemnisation en raison de la violation, par Artemis, d’obligations incombant à l’employeur en matière d’évaluation de la santé des travailleurs de nuit.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 5 et 7 à 10 de la directive 2003/88 :

« (5)

Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. [...] Les travailleurs de la Communauté doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail.

[...]

(7)

Des études ont démontré que l’organisme humain est plus sensible pendant la nuit aux perturbations environnementales et à certaines formes pénibles d’organisation du travail et que de longues périodes de travail de nuit sont préjudiciables à la santé des travailleurs et peuvent compromettre leur sécurité au travail.

(8)

Il y a lieu de limiter la durée du travail de nuit, y compris les heures supplémentaires, et de prévoir que, en cas de recours régulier à des travailleurs de nuit, l’employeur informe de ce fait les autorités compétentes, sur leur demande.

(9)

Il est important que les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite et que, s’ils souffrent de problèmes de santé, ils soient transférés dans la mesure du possible au travail de jour pour lequel ils sont aptes.

(10)

La situation des travailleurs de nuit et des travailleurs postés exige que le niveau de leur protection en matière de sécurité et de santé soit adapté à la nature de leur travail et que les services et moyens de protection et de prévention soient organisés et fonctionnent d’une façon efficace. »

4

L’article 6 de cette directive, intitulé « Durée maximale hebdomadaire de travail », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs :

[...]

b)

la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. »

5

L’article 8 de ladite directive, intitulé « Durée du travail de nuit », énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

a)

le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures ;

b)

les travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes ne travaillent pas plus de huit heures au cours d’une période de vingt‑quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit.

Aux fins du point b), le travail comportant des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes est défini par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit. »

6

L’article 9 de la même directive, intitulé « Évaluation de la santé et transfert au travail de jour des travailleurs de nuit », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

a)

les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé, préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite ;

b)

les travailleurs de nuit souffrant de problèmes de santé reconnus, liés au fait que ces travailleurs accomplissent un travail de nuit, soient transférés, chaque fois que cela est possible, à un travail de jour pour lequel ils sont aptes. »

Le droit français

7

L’article L. 3122-11 du code du travail dispose :

« Tout travailleur de nuit bénéficie d’un suivi individuel régulier de son état de santé dans les conditions fixées à l’article L. 4624-1. »

8

L’article L. 4624-1 de ce code prévoit :

« Tout travailleur bénéficie, au titre de la surveillance de l’état de santé des travailleurs [...] d’un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l’autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin [...], l’interne en médecine du travail et l’infirmier.

[...]

Tout travailleur de nuit bénéficie d’un suivi individuel régulier de son état de santé. La périodicité de ce suivi est fixée par le médecin du travail en fonction des particularités du poste occupé et des caractéristiques du travailleur, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État. »

9

L’article R. 3122-11 dudit code dispose :

« Le suivi de l’état de santé des travailleurs de nuit a notamment pour objet de permettre au médecin du travail d’apprécier les conséquences éventuelles du travail de nuit pour leur santé et leur sécurité, notamment du fait des modifications des rythmes chronobiologiques, et d’en appréhender les répercussions potentielles sur leur vie sociale. »

10

Aux termes de l’article R. 4624-11 du code du travail :

« La visite d’information et de prévention dont bénéficie le travailleur est individuelle. Elle a notamment pour objet :

1° d’interroger le salarié sur son état de santé ;

2° de l’informer sur les risques éventuels auxquels l’expose son poste de travail ;

3° de le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en œuvre ;

4° d’identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail ;

5° de l’informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service et sur la possibilité dont il dispose, à tout moment, de bénéficier d’une visite à sa demande avec le médecin du travail. »

11

L’article R. 4624-18 de ce code énonce :

« Tout travailleur de nuit [...] bénéficie d’une visite d’information et de prévention réalisée par un professionnel de santé mentionné au premier alinéa de l’article L. 4624-1 préalablement à son affectation sur le poste. »

12

L’article R. 3124-15 dudit code prévoit :

« Le fait de méconnaître les dispositions relatives au travail de nuit prévues par les articles L. 3122-1 à L. 3122-24 [...] ainsi que celles des décrets pris pour leur application est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction.

La récidive est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15 du code pénal. »

13

L’article R. 4745-3 du même code dispose :

« Le fait de méconnaître les dispositions relatives à l’action du médecin du travail, prévues à l’article L. 4624-1 et celles des décrets pris pour leur application, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Le 1er avril 2017, EA a été engagé par Artemis en qualité d’agent de service de sécurité incendie et d’assistance à personnes.

15

Par requête du 25 avril 2019, EA a saisi le conseil de prud’hommes de Compiègne (France) aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la condamnation d’Artemis à lui verser des dommages et intérêts. Au soutien de ces demandes, EA s’est prévalu, d’une part, de la circonstance que son contrat de travail aurait été unilatéralement modifié par Artemis du fait de sa mutation d’un poste de travail de jour vers un poste de travail de nuit et, d’autre part, de la circonstance qu’il n’aurait pas bénéficié du suivi médical renforcé applicable en cas de travail de nuit.

16

Le 1er juillet 2019, EA a été licencié.

17

Par un jugement du 4 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Compiègne a notamment débouté EA de sa demande de dommages et intérêts. Saisie d’un appel formé contre ce jugement, la cour d’appel d’Amiens (France) a, par un arrêt du 2 septembre 2021, confirmé ledit jugement sur ce point de dispositif, au motif que EA n’avait pas établi la réalité et la consistance du préjudice qu’il alléguait avoir subi en raison de l’absence de suivi médical renforcé requis en cas de travail de nuit.

18

Au soutien du pourvoi qu’il a introduit contre cet arrêt devant la Cour de cassation (France), EA allègue que le seul constat du non-respect des dispositions protectrices en matière de suivi médical renforcé en cas de travail de nuit ouvre un droit à réparation dans le chef du travailleur concerné et que, en le déboutant de sa demande d’indemnisation, la cour d’appel d’Amiens a notamment violé l’article L. 3122–11 du code du travail, lu conjointement avec l’article 9 de la directive 2003/88.

19

La Cour de cassation, qui est la juridiction de renvoi, indique que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent, en principe, du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Néanmoins, elle a récemment jugé, en considération des enseignements découlant, selon elle, de l’arrêt du 14 octobre 2010, Fuß (C‑243/09, EU:C:2010:609), que le seul constat du dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 ouvrait un droit à réparation pour le travailleur, et ce eu égard, d’une part, à l’effet direct s’attachant à cette disposition du droit de l’Union et, d’autre part, à la circonstance qu’un tel dépassement porte ipso facto atteinte à la santé du travailleur.

20

Or, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si une approche similaire doit prévaloir en cas de violation de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88. À cet égard, ladite juridiction relève, notamment, que les termes de cette disposition, lus à la lumière des considérants 9 et 10 de cette directive, paraissent moins précis que ceux de l’article 6, sous b), de ladite directive.

21

Dans ces conditions, la Cour de cassation considère, en premier lieu, qu’il est nécessaire d’interroger la Cour sur le point de savoir si l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 doit se voir reconnaître un effet direct. Selon la juridiction de renvoi, en effet, en cas de réponse positive de la Cour, elle pourrait, compte tenu de l’absence d’effet direct horizontal des directives, se trouver confrontée à une impossibilité d’interpréter les articles L. 3122-11, L. 4624-1 et R 4624‑18 du code du travail en conformité avec la directive 2003/88, eu égard au caractère contra legem que pourrait revêtir une telle interprétation.

22

En second lieu, la juridiction de renvoi estime nécessaire d’obtenir de la Cour des éclaircissements quant au point de savoir si le seul non‑respect, par l’employeur, des mesures nationales destinées à assurer l’évaluation médicale des travailleurs de nuit prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 ouvre, en tant que tel, un droit à réparation, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique ayant résulté de ce non-respect dans le chef du travailleur concerné.

23

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive [2003/88] remplit-il les conditions pour produire un effet direct et être invoqué par un travailleur dans un litige le concernant ?

2)

L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles, en cas de manquement aux dispositions adoptées pour mettre en œuvre les mesures nécessaires à l’évaluation gratuite de la santé du travailleur, le droit à réparation de ce dernier est subordonné à la preuve du préjudice qui aurait résulté de ce manquement ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

24

Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas de violation par l’employeur des dispositions nationales mettant en œuvre cette disposition du droit de l’Union et prévoyant que les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé préalablement à leur affectation, puis à intervalles réguliers, le droit du travailleur de nuit concerné à obtenir une réparation en raison de cette violation est subordonné à la condition que celui-ci apporte la preuve du préjudice en ayant résulté dans son chef.

25

À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, que ces modalités ne soient pas, dans les situations relevant du droit de l’Union, moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) [voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 53 et jurisprudence citée].

26

Or, ainsi que l’a déjà relevé la Cour, la directive 2003/88 ne comporte aucune disposition en ce qui concerne les sanctions applicables en cas de violation des prescriptions minimales qu’elle édicte ni aucune règle particulière en ce qui concerne la réparation du dommage éventuellement subi par les travailleurs en raison d’une telle violation (arrêt du 25 novembre 2010, Fuß, C‑429/09, EU:C:2010:717, point 44).

27

Partant, à défaut de dispositions du droit de l’Union ayant pour objet de définir les règles relatives à la réparation éventuelle à laquelle peut prétendre un travailleur affecté à un poste de travail de nuit en cas de violation, par son employeur, des règles nationales afférentes à l’évaluation médicale prévue dans le cas d’une telle affectation visant à mettre en œuvre l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de fixer les modalités des actions destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de cette disposition, et, en particulier, les conditions auxquelles un tel travailleur peut obtenir, à charge de cet employeur, une réparation en raison de ladite violation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité [voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 54 et jurisprudence citée].

28

S’agissant du principe d’équivalence, la Cour ne dispose, dans la présente procédure, d’aucun élément de nature à susciter un doute sur la conformité à ce principe de la réglementation en cause au principal en ce que cette dernière subordonne le droit à une réparation éventuelle du travailleur de nuit à l’obligation, pour ce dernier, d’établir la réalité du préjudice subi en raison d’une violation des dispositions nationales ayant mis en œuvre l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88.

29

S’agissant du principe d’effectivité, il appartiendra, en dernière analyse, à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits de l’affaire, de déterminer si les modalités prévues en droit interne, pour la reconnaissance éventuelle d’un tel droit à réparation, et, en particulier, la règle nationale afférente à la preuve du préjudice subi mentionnée au point précédent, ne rend pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 [voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 56].

30

Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2023, Inspecţia Judiciară, C‑817/21, EU:C:2023:391, point 58 et jurisprudence citée).

31

En l’occurrence, il convient, tout d’abord, de relever que, en cas de violation, par un employeur, des obligations d’évaluation de la santé des travailleurs de nuit prévues à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88, lesquelles, ainsi qu’il ressort des dispositions du code du travail reproduites aux points 7 à 10 du présent arrêt, ont été transposées en droit interne, le travailleur concerné doit pouvoir exiger dudit employeur qu’il satisfasse auxdites obligations, le cas échéant en s’adressant à l’autorité nationale compétente en matière de contrôle du respect desdites obligations ou, au besoin, en poursuivant la correcte exécution de celles-ci devant les juridictions compétentes conformément aux exigences découlant de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’exercice du droit à une protection juridictionnelle effective que garantit cette dernière disposition à toute personne dont les droits garantis par le droit de l’Union ont été violés est ainsi de nature à contribuer à assurer l’effectivité du droit à l’évaluation de sa santé dont jouit un travailleur de nuit en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88.

32

Ensuite, contribue, de même, à assurer une telle effectivité, le fait qu’un travailleur de nuit puisse, en cas de violations des obligations prévues à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 par l’employeur, obtenir une réparation adéquate, en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement le préjudice effectivement subi du fait desdites violations [voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 95, ainsi que du 14 septembre 2023, TGSS (Refus du complément de maternité), C‑113/22, EU:C:2023:665, point 50 et jurisprudence citée].

33

En effet, le droit du travailleur à demander réparation d’un préjudice renforce notamment le caractère opérationnel des règles de protection prévues à cet article 9, paragraphe 1, sous a), et est de nature à décourager la réitération de comportements illicites [voir, par analogie, arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 40]. Le versement à la personne lésée de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi, selon des modalités que les États membres fixent, est à même de garantir qu’un tel préjudice soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive et proportionnée [voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, TGSS (Refus du complément de maternité), C‑113/22, EU:C:2023:665, point 51 et jurisprudence citée].

34

En revanche, il convient de rappeler que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que la protection des droits garantis par l’ordre juridique de l’Union n’entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 94 ainsi que jurisprudence citée).

35

Ainsi, compte tenu de la fonction compensatoire du droit à réparation en l’occurrence prévu par le droit national applicable, il y a lieu de considérer qu’une réparation intégrale du préjudice effectivement subi suffit aux fins décrites au point 33 du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’imposer à l’employeur le versement de dommages et intérêts punitifs [voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C‑407/14, EU:C:2015:831, point 37, et du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 58].

36

À ce dernier égard, il convient, enfin, de relever que, ainsi qu’il ressort des points 12 et 13 du présent arrêt et comme l’ont souligné les gouvernements français et italien ainsi que la Commission européenne, le droit national applicable comporte des règles spécifiques permettant d’infliger des amendes en cas de violation, par l’employeur, des dispositions nationales ayant assuré la transposition de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88. Ces règles spécifiques contribuent, à leur tour, à assurer l’effectivité du droit à l’évaluation de sa santé dont jouit un travailleur de nuit en vertu de ladite disposition. De telles règles, qui ont essentiellement une finalité punitive, ne sont, pour leur part, pas subordonnées à l’existence d’un dommage. Ainsi, bien que de telles règles punitives et celles gouvernant la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle, telles que celles en cause au principal, soient complémentaires, en ce qu’elles incitent toutes deux au respect de ladite disposition du droit de l’Union, elles n’en ont pas moins des fonctions bien distinctes [voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), C‑300/21, EU:C:2023:370, point 40].

37

Au vu de tout ce qui précède et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal soit de nature à pouvoir porter atteinte à l’effectivité des droits découlant de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88.

38

Certes, comme le rappelle la juridiction de renvoi, au point 54 de son arrêt du 14 octobre 2010, Fuß (C‑243/09, EU:C:2010:609), la Cour a estimé que, eu égard à l’objectif poursuivi par la directive 2003/88, de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à l’article 6, sous b), de cette directive, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice, dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé. Au point 59 de l’arrêt du 25 novembre 2010, Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717), la Cour s’est, de même, référée, à cet égard, au dommage subi par le travailleur, résultant de la perte du temps de repos dont il aurait dû bénéficier si la durée maximale hebdomadaire de temps de travail prévue à cette disposition avait été respectée.

39

De telles considérations ne sont toutefois pas transposables aux obligations de suivi médical prévues à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88.

40

En effet, alors que le considérant 5 de la directive 2003/88 énonce que tous les travailleurs « doivent disposer de périodes de repos suffisantes » et que les considérants 7 et 8 de cette directive soulignent, notamment, que « des études ont démontré [...] que de longues périodes de travail de nuit sont préjudiciables à la santé des travailleurs » et qu’« il y a lieu de limiter la durée du travail de nuit », le considérant 9 de ladite directive fait, pour sa part, état de ce qu’« il est important » que les travailleurs de nuit bénéficient d’une « évaluation gratuite de leur santé » préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite et que, « s’ils souffrent de problèmes de santé », ils soient transférés, « dans la mesure du possible », au travail de jour pour lequel ils sont aptes.

41

Comme la Commission l’a fait valoir à bon droit, la finalité des mesures d’évaluation de la santé, instituées à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88, consiste ainsi, eu égard au caractère plus exigeant du travail de nuit et aux risques spécifiques pour la santé liés à celui-ci, à s’assurer qu’un travailleur soit et demeure apte à effectuer un tel travail, à diagnostiquer en temps utile une éventuelle maladie, à en assurer le traitement, ainsi qu’à en empêcher le développement, notamment en favorisant le transfert du travailleur vers un travail de jour.

42

Partant, à la différence des exigences découlant, en matière de durée du travail, de l’article 6, sous b), et de l’article 8 de la directive 2003/88, dont la méconnaissance cause, de ce seul fait, un préjudice au travailleur concerné, dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa santé par la privation de temps de repos dont il aurait dû bénéficier ou par l’imposition d’heures de travail de nuit excessives, l’absence de visite médicale devant précéder l’affectation à un travail de nuit et de suivi médical régulier consécutif à cette affectation, prévus à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de cette directive, n’engendre pas inévitablement une atteinte à la santé du travailleur concerné ni, dès lors, un dommage réparable dans le chef de celui-ci. La survenance éventuelle d’un tel dommage est, en effet, notamment fonction de la situation de santé propre à chaque travailleur et de l’évolution concrète que connaît celle-ci. À cet égard, il convient également de rappeler que, ainsi que l’a déjà relevé la Cour, les tâches effectuées de nuit peuvent être différentes en termes de difficulté et de stress (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 52).

43

Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas de violation par l’employeur des dispositions nationales mettant en œuvre cette disposition du droit de l’Union et prévoyant que les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé préalablement à leur affectation, puis à intervalles réguliers, le droit du travailleur de nuit concerné à obtenir une réparation en raison de cette violation est subordonné à la condition que celui-ci apporte la preuve du préjudice en ayant résulté dans son chef.

Sur la première question

44

Compte tenu de la réponse apportée à la seconde question et en l’absence de contrariété apparente entre l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88 et la réglementation nationale applicable dans le cadre du litige au principal, il n’y a pas lieu d’examiner la première question.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas de violation par l’employeur des dispositions nationales mettant en œuvre cette disposition du droit de l’Union et prévoyant que les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé préalablement à leur affectation, puis à intervalles réguliers, le droit du travailleur de nuit à obtenir une réparation en raison de cette violation est subordonné à la condition que celui-ci apporte la preuve du préjudice en ayant résulté dans son chef.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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