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Document 62022CJ0252

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 11 janvier 2024.
Societatea Civilă Profesională de Avocaţi AB & CD contre Consiliul Judeţean Suceava e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Târgu-Mureş.
Renvoi préjudiciel – Environnement – Convention d’Aarhus – Article 9, paragraphes 3 à 5 – Accès à la justice – Société civile professionnelle d’avocats – Recours visant à contester des actes administratifs – Recevabilité – Conditions prévues par le droit national – Absence d’atteinte aux droits et aux intérêts légitimes – Coût non prohibitif des procédures juridictionnelles – Répartition des dépens – Critères.
Affaire C-252/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:13

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Convention d’Aarhus – Article 9, paragraphes 3 à 5 – Accès à la justice – Société civile professionnelle d’avocats – Recours visant à contester des actes administratifs – Recevabilité – Conditions prévues par le droit national – Absence d’atteinte aux droits et aux intérêts légitimes – Coût non prohibitif des procédures juridictionnelles – Répartition des dépens – Critères »

Dans l’affaire C‑252/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Târgu-Mureş (Cour d’appel de Târgu-Mureş, Roumanie), par décision du 16 février 2022, parvenue à la Cour le 8 avril 2022, dans la procédure

Societatea Civilă Profesională de Avocaţi AB & CD

contre

Consiliul Judeţean Suceava,

Preşedintele Consiliului Judeţean Suceava,

Agenţia pentru Protecţia Mediului Bacău,

Consiliul Local al Comunei Pojorâta,

en présence de :

QP,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu–Matei, MM. J.–C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2023,

considérant les observations présentées :

pour la Societatea Civilă Profesională de Avocaţi AB & CD, par Mme D. Ionescu ainsi que par MM. P. F. Plopeanu et I. Stoia, avocaţi,

pour le Preşedintele Consiliului Judeţean Suceava et le Consiliul Judeţean Suceava, par Mme Y. Beşleagă et M. V. Stoica, avocaţi,

pour le gouvernement irlandais, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, MM. A. Joyce et M. Tierney, en qualité d’agents, assistés de M. B. Foley et M. D. McGrath, SC, M. E. Burke-Murphy, BL,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara et M. Ioan, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 4, ainsi que de l’article 9, paragraphes 3 à 5, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Societatea Civilă Profesională de Avocaţi AB & CD, une société civile professionnelle d’avocats de droit roumain (ci-après « AB & CD »), à différentes entités publiques au sujet de la légalité d’actes administratifs adoptés par ces dernières en vue de la construction d’une décharge à Pojorâta (Roumanie), à savoir le plan d’occupation des sols du 16 septembre 2009 et le permis de construire du 3 octobre 2012.

Le cadre juridique

Le droit international

3

L’article 2 de la convention d’Aarhus, intitulé « Définitions », prévoit, à ses paragraphes 4 et 5 :

« 4.   Le terme “public” désigne une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes.

5.   L’expression “public concerné” désigne le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel ; aux fins de la présente définition, les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement et qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne sont réputées avoir un intérêt ».

4

L’article 3, paragraphe 8, de la convention d’Aarhus énonce :

« Chaque partie veille à ce que les personnes qui exercent leurs droits conformément aux dispositions de la présente convention ne soient en aucune façon pénalisées, persécutées ou soumises à des mesures vexatoires en raison de leur action. La présente disposition ne porte nullement atteinte au pouvoir des tribunaux nationaux d’accorder des dépens d’un montant raisonnable à l’issue d’une procédure judiciaire. »

5

L’article 9 de la convention d’Aarhus, intitulé « Accès à la justice », stipule, à ses paragraphes 2 à 5 :

« 2.   Chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné

a)

ayant un intérêt suffisant pour agir ou, sinon,

b)

faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une partie pose une telle condition,

puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres dispositions pertinentes de la présente convention.

Ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne et conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice dans le cadre de la présente convention. À cet effet, l’intérêt qu’a toute organisation non gouvernementale répondant aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2 est réputé suffisant au sens du point a) ci-dessus. Ces organisations sont également réputées avoir des droits auxquels il pourrait être porté atteinte au sens du point b) ci–dessus.

[...]

3.   En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement.

4.   En outre, et sans préjudice du paragraphe 1, les procédures visées aux paragraphes 1, 2 et 3 ci-dessus doivent offrir des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s’il y a lieu, et doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. [...]

5.   Pour rendre les dispositions du présent article encore plus efficaces, chaque partie veille à ce que le public soit informé de la possibilité qui lui est donnée d’engager des procédures de recours administratif ou judiciaire, et envisage la mise en place de mécanismes appropriés d’assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l’accès à la justice. »

Le droit roumain

6

L’article 56 de la Legea nr. 134/2010 privind Codul de procedură civilă (loi no 134/2010, portant code de procédure civile) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 247 du 10 avril 2015), dans sa version en vigueur dans l’affaire au principal (ci-après le « code de procédure civile »), dispose :

« 1.   Toute personne ayant la jouissance des droits civils peut être partie à la procédure.

2.   Toutefois, peuvent ester en justice les associations, les sociétés ou les autres entités sans personnalité morale, dès lors qu’elles sont constituées conformément à la loi.

[...] »

7

L’article 451 du code de procédure civileest ainsi libellé :

« 1.   Les dépens comprennent les droits de timbre et le timbre judiciaire, les honoraires des avocats, des experts et des spécialistes désignés conformément à l’article 330, paragraphe 3, les sommes dues aux témoins pour les frais de déplacement et les pertes subies en raison de leur présence au procès, les frais de transport et, le cas échéant, les frais d’hébergement, ainsi que toutes autres dépenses nécessaires au bon déroulement de la procédure.

2.   La juridiction peut, même d’office, réduire, de façon motivée, la partie des dépens correspondant aux honoraires d’avocat lorsque ceux-ci sont manifestement disproportionnés par rapport à la valeur ou à la complexité de l’affaire ou au travail accompli par l’avocat, compte tenu aussi des circonstances de l’affaire. La mesure prise par la juridiction est sans effet dans le rapport entre l’avocat et son client.

[...]

4.   Toutefois, aucune réduction des dépens ne peut être opérée en ce qui concerne le paiement des droits de timbre et du timbre judiciaire, ainsi que le paiement des sommes dues aux témoins en vertu du paragraphe 1. »

8

L’article 452 du code de procédure civile dispose :

« La partie qui demande la condamnation aux dépens doit prouver, dans les conditions prévues par la loi, l’existence et l’étendue de ces dépens au plus tard à la date de clôture des débats au fond. »

9

Aux termes de l’article 453 du code de procédure civile :

« 1.   La partie perdante est condamnée aux dépens de la partie gagnante, si celle-ci le demande.

2.   Lorsque la demande n’a été accueillie que partiellement, les juges déterminent dans quelle mesure chacune des parties peut être condamnée aux dépens. Le cas échéant, les juges peuvent ordonner la compensation des dépens. »

10

L’article 1er de la Legea contenciosului administrativ nr. 554/2004 (loi sur le contentieux administratif no 554/2004) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1154 du 7 décembre 2004), dans sa version en vigueur au litige au principal (ci-après la « loi sur le contentieux administratif »), prévoit :

« 1.   Toute personne qui s’estime lésée par une autorité publique dans l’un de ses droits ou intérêts légitimes, par un acte administratif ou par l’absence de traitement d’une demande dans le délai prévu par la loi, peut s’adresser à la juridiction de contentieux administratif compétente pour obtenir l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit invoqué ou de l’intérêt légitime et la réparation du dommage subi. L’intérêt légitime peut être aussi bien privé que public.

2.   Peut également s’adresser à la juridiction de contentieux administratif une personne lésée dans l’un de ses droits ou intérêts légitimes par un acte administratif à caractère individuel adressé à un autre sujet de droit.

[...] »

11

L’article 2, paragraphe 1, de la loi sur le contentieux administratif énonce :

« Aux fins de la présente loi, on entend par :

[...]

p)

intérêt légitime privé – la possibilité de requérir un certain comportement, en considération de la réalisation d’un droit subjectif futur et prévisible, préfiguré ;

r)

intérêt légitime public – l’intérêt qui vise l’ordre de droit et la démocratie constitutionnelle, la garantie des droits, libertés et devoirs fondamentaux des citoyens, la satisfaction des besoins de la communauté, la mise en œuvre de la compétence des autorités publiques ;

s)

organismes sociaux concernés – structures non gouvernementales, syndicats, associations, fondations et autres, dont l’objet d’activité est de protéger les droits de différentes catégories de citoyens ou, le cas échéant, le bon fonctionnement des services administratifs publics ;

[...] »

12

L’article 8, paragraphe 1 bis, de la loi sur le contentieux administratif dispose :

« Les personnes physiques et morales de droit privé ne peuvent formuler des chefs de demande par lesquels elles invoquent la défense d’un intérêt légitime public qu’à titre subsidiaire, dans la mesure où l’atteinte portée à l’intérêt légitime public découle logiquement d’une violation d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime privé. »

13

L’article 196, paragraphe 3, du Statutul profesiei de avocat (statut de la profession d’avocat) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 898 du 3 décembre 2011) est ainsi libellé :

« Pour les litiges découlant de l’exercice de l’activité professionnelle, la société civile professionnelle peut ester en justice en tant que requérante ou défenderesse, même si elle n’a pas de personnalité morale. »

14

Aux termes de l’article 20, paragraphes 5 et 6, de l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 195/2005 privind protecția mediului (ordonnance d’urgence du gouvernement no 195/2005 sur la protection de l’environnement) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1196 du 30 décembre 2005, ci-après l’« OUG no 195/2005 ») :

« 5.   L’accès du public à la justice s’effectue conformément aux dispositions légales en vigueur.

6.   Les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement ont le droit d’introduire un recours en justice en matière d’environnement et ont qualité pour agir dans les litiges ayant pour objet la protection de l’environnement. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

Par un recours introduit devant le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie), au mois d’octobre 2018, une société civile professionnelle d’avocats, AB & CD, a demandé l’annulation de différents actes administratifs adoptés par les autorités roumaines en vue de la construction d’une décharge à Pojorâta, à savoir le plan d’occupation des sols du 16 septembre 2009 et le permis de construire du 3 octobre 2012.

16

Au soutien de son recours, AB & CD a invoqué, notamment, l’article 35 de la Constitution roumaine relatif au droit à un environnement sain, ainsi que plusieurs dispositions de l’OUG no 195/2005 et de la Hotărârea de Guvernului nro 1076/2004 privind stabilirea procedurii de realizare a evaluării de mediu pentru planuri și programe (décision du gouvernement no 1076/2004 sur l’établissement de la procédure d’évaluation environnementale des plans et programmes), tandis que les parties défenderesses ont fait valoir que la décharge en question respectait toutes les exigences techniques découlant de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets (JO 1999, L 182, p. 1).

17

Par ailleurs, les parties défenderesses ont soulevé trois exceptions d’irrecevabilité.

18

D’une part, en vertu du droit roumain, AB & CD n’aurait pas de personnalité juridique et ne pourrait pas ester en justice, sauf en ce qui concerne les litiges découlant de l’exercice de son activité professionnelle, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. D’autre part, à défaut d’avoir invoqué la méconnaissance de ses droits subjectifs ou de ses intérêts légitimes privés, cette société civile professionnelle d’avocats n’aurait justifié ni de sa qualité ni de son intérêt pour agir contre les actes administratifs en cause.

19

Par jugement du 7 février 2019, le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj) a rejeté l’exception d’irrecevabilité relative à la capacité d’ester en justice d’AB & CD. Il a, en revanche, accueilli les deux autres exceptions d’irrecevabilité au motif qu’AB & CD ne justifiait pas de sa qualité ni de son intérêt pour agir. En effet, il découlerait de la loi sur le contentieux administratif qu’un requérant ne peut invoquer un intérêt public qu’à titre subsidiaire, dans la mesure où l’atteinte portée à cet intérêt découle d’une violation d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime privé. Or, AB & CD, en tant que société civile professionnelle d’avocats, n’aurait pas fait état d’une quelconque violation d’un intérêt légitime privé. Il ressort ainsi de la décision de renvoi que ces deux dernières exceptions auraient été examinées ensemble, AB & CD n’ayant pas de qualité pour agir dans la mesure où elle n’a pas justifié d’un intérêt légitime privé.

20

AB & CD a introduit un pourvoi devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie). Un pourvoi incident a été formé par le Consiliul Județean Suceava (conseil départemental de Suceava, Roumanie) afin de contester le rejet de l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence de capacité d’ester en justice.

21

Par un arrêt de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) qui a fait droit à une demande du conseil départemental de Suceava visant à dessaisir la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj), ces pourvois ont été transférés à la Curtea de Apel Târgu-Mureș (cour d’appel de Târgu-Mureș, Roumanie), à savoir la juridiction de renvoi.

22

Cette dernière relève que, en l’occurrence, elle est tenue d’appliquer l’article 20 de l’OUG no 195/2005. En vertu du paragraphe 5 de cet article, l’accès à la justice en matière d’environnement s’effectue conformément aux « dispositions légales en vigueur », tandis que, en vertu du paragraphe 6 dudit article, un régime particulier s’applique aux recours des organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement.

23

Il est constant qu’AB & CD ne bénéficie pas du régime prévu pour ces organisations et que, par conséquent, la recevabilité de son recours contre les actes administratifs en cause et, notamment la question de savoir si elle a la qualité pour agir, s’apprécie au regard des règles générales de la loi sur le contentieux administratif.

24

Il découle de cette loi que le législateur roumain a opté pour un contentieux « subjectif », ce qui implique que, dans un premier temps, un requérant doit faire valoir un intérêt propre, à savoir un « intérêt légitime privé », tel que visé à l’article 2, paragraphe 1, sous p), de ladite loi. Ce n’est que dans un second temps, après avoir prouvé l’existence d’un tel intérêt propre, qu’un requérant peut également invoquer un « intérêt légitime public ».

25

En revanche, en vertu de l’article 20, paragraphe 6, de l’OUG no 195/2005, les organisations non gouvernementales de protection de l’environnement ne sont pas tenues de justifier d’un intérêt légitime privé et peuvent dès lors accéder à la justice dans le cadre d’un contentieux objectif.

26

L’ensemble de ces dispositions reflèterait celles de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus qui régit l’accès à la justice du « public concerné », à savoir, conformément à l’article 2, paragraphe 5, de cette convention, « le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ».

27

Il s’ensuit que, afin de démontrer qu’elle a la qualité pour agir, AB & CD aurait dû justifier d’un intérêt légitime privé ou de l’existence d’une situation juridique directement liée à son objet social, en prouvant qu’elle avait été affectée par les actes administratifs en cause.

28

La juridiction de renvoi nourrit des doutes sur le fait que, dans un litige en matière d’environnement, une telle exigence puisse être conforme au droit de l’Union et, en particulier, à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus.

29

Par ailleurs, cette juridiction relève que, s’agissant des sociétés civiles professionnelles d’avocats qui n’ont pas de personnalité morale, telles qu’AB & CD, l’article 196, paragraphe 3, du statut de la profession d’avocat leur reconnaît le droit d’ester en justice en tant que requérante ou défenderesse pour les seuls litiges découlant de l’exercice de l’activité professionnelle.

30

En l’occurrence, AB & CD a invoqué non pas une atteinte à ses propres droits, mais à l’intérêt public et aux droits des avocats qui la composent, faisant valoir que la décharge de Pojorâta avait un fort impact sur ces derniers et, potentiellement, sur la santé des personnes vivant dans la région concernée ainsi que sur le tourisme. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus confère à AB & CD la qualité pour agir dans le cadre de son recours contre les actes administratifs en cause.

31

Enfin, la juridiction de renvoi relève qu’AB & CD soutient qu’il existe un risque que des dépens prohibitifs soient mis à sa charge et que le droit roumain ne lui permette pas de prévoir le montant qu’elle pourrait devoir supporter.

32

À cet égard, les articles 451 à 453 du code de procédure civile régissent, de manière générale, la question des dépens. Ceux-ci comprennent, notamment, des frais de justice et les honoraires des avocats. La partie perdante peut être condamnée aux dépens à la demande de la partie gagnante. Dans l’hypothèse où les honoraires d’avocat sont manifestement disproportionnés par rapport à la complexité de l’affaire ou au travail accompli par l’avocat, le juge saisi peut réduire la partie des dépens correspondant aux honoraires d’avocat.

33

La juridiction de renvoi cherche à établir si ces règles du droit roumain sont conformes à l’exigence du coût non prohibitif des procédures juridictionnelles en matière d’environnement, prévue à l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus. En outre, il ne serait pas certain que les articles 451 à 453 du code de procédure civile contiennent des critères suffisants permettant à une personne de droit privé d’évaluer et d’anticiper les coûts de procédure élevés.

34

Dans ces conditions, la Curtea de Apel Târgu-Mureş (cour d’appel de Târgu-Mureş) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la “Charte”], lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, ainsi que l’article 2, [paragraphe] 4, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 3, de la convention [d’Aarhus], doivent-ils être interprétés en ce sens que la notion de “public” inclut une entité juridique telle qu’une société civile professionnelle d’avocats, qui n’invoque pas l’atteinte portée à un droit ou à un intérêt de cette entité mais à des droits et à des intérêts des personnes physiques, les avocats qui constituent cette forme d’organisation de la profession, et une telle entité peut-elle être assimilée, au sens de l’article 2, [paragraphe] 4, de la convention d’Aarhus, à un groupe de personnes physiques agissant par l’intermédiaire d’une association ou d’une organisation ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, compte tenu tant des objectifs de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus que de l’objectif d’une protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union, l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ainsi que l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la [Charte], lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, doi[ven]t-il[s] être interprété[s] en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] à une disposition de droit national qui conditionne l’accès à la justice d’une telle société civile professionnelle d’avocats à la justification d’un intérêt propre ou au fait que le recours vise à protéger une situation juridique directement liée au but même de la création de cette forme d’organisation, en l’occurrence une société civile professionnelle d’avocats ?

3)

En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions ou indépendamment des réponses aux deux questions précédentes, l’article 9, paragraphes 3, 4 et 5, de la convention d’Aarhus ainsi que l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la [Charte], lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, doivent-ils être interprétés en ce sens que [l’exigence qu’il y ait des] recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction, “sans que leur coût soit prohibitif” implique des règles et/ou des critères visant à limiter les dépens pouvant être mis à la charge de la partie qui succombe, en ce sens que la juridiction nationale garantit le respect de l’exigence relative à l’absence de coût prohibitif en tenant compte de l’intérêt de la personne qui cherche à défendre ses droits ainsi que de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement ? »

La procédure devant la Cour

35

La juridiction de renvoi a demandé à la Cour d’appliquer la procédure préjudicielle accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour, étant donné que le litige est pendant devant les juridictions nationales depuis le 3 octobre 2018.

36

Le président de la Cour, le juge rapporteur et l’avocate générale entendus, a rejeté cette demande par décision du 10 juin 2022. En effet, la circonstance que la juridiction de renvoi soit tenue de tout mettre en œuvre pour assurer le règlement rapide de l’affaire au principal ne saurait suffire en elle-même à justifier le recours à la procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 31 juillet 2017, Mobit, C‑350/17 et C‑351/17, EU:C:2017:626, point 6 ainsi que jurisprudence citée).

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

37

Dans ses observations écrites, la Commission a fait état de ses interrogations quant à la clarté de la demande de décision préjudicielle, en raison de la description lacunaire, par la juridiction de renvoi, des moyens invoqués par AB & CD à l’appui de son recours et des droits que celle-ci tire du droit de l’Union.

38

À cet égard, il convient de rappeler que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 25 mai 2023, WertInvest Hotelbetrieb, C‑575/21, EU:C:2023:425, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

39

Par ses questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour l’interprétation de la convention d’Aarhus et cherche à savoir, notamment, si AB & CD peut se prévaloir du droit de recours garanti à l’article 9, paragraphe 3, de cette convention.

40

En vertu de cette disposition, « chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement ».

41

Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 32 à 34 de ses conclusions, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal implique un contrôle de la légalité des actes administratifs à l’aune des obligations qui, dans le domaine de la mise en décharge de déchets, découlent de la directive 1999/31. Il s’ensuit que ce litige concerne le respect du « droit national de l’environnement », visé à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, et relève du champ d’application matériel de cette disposition [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur), C‑873/19, EU:C:2022:857, points 50, 56 et 58].

42

Par conséquent, la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la deuxième question

43

Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle une entité juridique, autre qu’une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, ne se voit reconnaître la qualité pour agir contre un acte administratif dont elle n’est pas le destinataire que lorsqu’elle fait valoir la méconnaissance d’un intérêt légitime privé ou d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social.

44

À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en vertu des articles 1, 2 et 8 de la loi sur le contentieux administratif, une personne lésée, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale de droit privé ou d’un organisme social, doit faire valoir la méconnaissance d’un intérêt propre, à savoir d’un intérêt légitime privé. S’agissant spécifiquement d’une société civile professionnelle d’avocats dépourvue de personnalité morale, telle qu’AB & CD, la juridiction de renvoi évoque également l’article 196, paragraphe 3, du statut de la profession d’avocat, en vertu duquel une telle société ne peut ester en justice que pour protéger des intérêts liés à une situation juridique en rapport direct avec son objet social, à savoir l’exercice de l’activité professionnelle. En substance, peuvent invoquer de tels intérêts propres notamment les personnes qui sont touchées ou risquent d’être touchées par un acte administratif.

45

En outre, les intérêts légitimes privés doivent être distingués des intérêts légitimes publics. Ces derniers ne peuvent être invoqués par un requérant que s’il justifie, à titre principal, d’un intérêt légitime privé.

46

En matière d’environnement, une exception à cette dernière règle est prévue à l’article 20, paragraphe 6, de l’OUG no 195/2005, pour les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement. Cette disposition leur permet d’invoquer, à titre principal, un intérêt légitime public sans qu’elles soient tenues de justifier d’un intérêt légitime privé.

47

En l’occurrence, il est constant que la société civile professionnelle d’avocats AB & CD, requérante au principal, ne saurait être assimilée à une telle organisation de protection de l’environnement et que, par conséquent, en vertu du droit national, elle fait partie de la catégorie des requérants qui n’ont qualité pour agir que lorsqu’ils justifient d’un intérêt légitime privé.

48

À cet égard, il ressort également de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de son recours contre les actes administratifs en cause au principal, à savoir le plan d’occupation des sols du 16 septembre 2009 et le permis de construire du 3 octobre 2012, AB & CD n’a pas invoqué une atteinte à ses propres droits et, en particulier, qu’elle n’a justifié ni d’un intérêt légitime privé ni d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social. Il s’ensuit qu’elle n’a pas la qualité pour agir devant la juridiction de renvoi. Les observations écrites soumises à la Cour ainsi que les plaidoiries entendues à l’occasion de l’audience du 4 mai 2023 ont confirmé que ni cette société civile professionnelle d’avocats ni le groupe de personnes qui la composent ne présentent de lien concret avec le projet concerné par les actes administratifs en cause au principal et que ce groupe de personnes n’avait pas justifié d’un intérêt légitime privé.

49

C’est dans ce contexte qu’il y a lieu de placer la deuxième question par laquelle la juridiction de renvoi cherche à déterminer si l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national conditionnant la recevabilité du recours à la justification d’un intérêt légitime privé et dont l’application aboutirait, en l’occurrence, à l’irrecevabilité du recours introduit par AB & CD.

50

Il convient de rappeler, tout d’abord, qu’il découle de cette disposition et notamment du fait que, aux termes de celle-ci, les recours qui y sont visés peuvent être assujettis à des « critères », que les États membres peuvent, dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation qui leur est laissé à cet égard, fixer des règles de droit procédural relatives aux conditions devant être réunies pour exercer de tels recours [arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur), C‑873/19, EU:C:2022:857, point 63 et jurisprudence citée].

51

En ce qui concerne, ensuite, l’étendue de ce pouvoir d’appréciation, la Cour a jugé que, aux termes mêmes de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, les critères que les États membres peuvent prévoir dans leur droit interne portent sur la détermination du cercle des titulaires d’un droit de recours, et non sur celle de l’objet du recours pour autant que celui-ci vise la violation de dispositions du droit national de l’environnement [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur), C‑873/19, EU:C:2022:857, point 64].

52

En outre, dans le système établi par la convention d’Aarhus, l’article 9, paragraphe 2, de cette convention prévoit un droit de recours contre les actes relevant de l’article 6 de celle-ci au bénéfice d’un cercle restreint de personnes, à savoir les membres du public « concerné », visés à l’article 2, paragraphe 5, de ladite convention.

53

L’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus a un champ d’application plus large en ce qu’il couvre une catégorie d’actes et de décisions plus étendue et s’adresse aux membres du « public » en général. En revanche, cette disposition accorde un plus grand pouvoir d’appréciation aux États membres lorsque ceux-ci fixent les critères permettant de déterminer, parmi l’ensemble des membres du public, les titulaires effectifs du droit de recours qu’elle prévoit (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2021, Stichting Varkens in Nood e.a., C‑826/18, EU:C:2021:7, points 36, 37 et 62).

54

Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le droit de recours prévu à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus serait vidé de tout effet utile si, par l’imposition de tels critères, certaines catégories des « membres du public » se voyaient dénier tout droit de recours (arrêt du 14 janvier 2021, Stichting Varkens in Nood e.a., C‑826/18, EU:C:2021:7, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

55

Enfin, il convient encore de relever, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 61 de ses conclusions, qu’il ressort du document publié par la Commission économique pour l’Europe de l’Organisation des Nations unies, intitulé « La convention d’Aarhus, guide d’application » (Deuxième édition, 2014), que les parties à cette convention « ne sont pas tenues d’établir un système d’action populaire (actio popularis) de sorte que quiconque puisse contester toute décision, acte ou omission concernant l’environnement ».

56

En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé aux points 44 à 46 du présent arrêt, en application des dispositions de la loi sur le contentieux administratif, les requérants, autres que les associations de protection de l’environnement, n’ont qualité pour agir contre un acte administratif dont ils ne sont pas les destinataires que s’ils justifient d’un « intérêt légitime privé » qui leur est propre, ce qui est notamment le cas lorsqu’ils sont touchés ou risquent d’être touchés par un tel acte.

57

À cet égard, il y a lieu de constater, en premier lieu, que cette condition prévue par le droit roumain permet de déterminer les titulaires effectifs du droit de recours consacré à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, sans limiter l’objet du recours.

58

En deuxième lieu, il n’apparaît pas que, en application de ladite condition, certaines « catégories » des membres du public se voient dénier tout droit de recours. Au contraire, la nécessité de justifier d’un intérêt légitime privé n’entraîne que l’irrecevabilité des recours des personnes qui n’ont pas de lien concret avec l’acte administratif qu’elles souhaitent attaquer. Ainsi, le législateur roumain a évité de créer une action populaire, sans restreindre indûment l’accès à la justice.

59

À ce dernier égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé, en ce qui concerne l’article 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1), qui met en œuvre l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, qu’il est loisible au législateur national de limiter les droits dont la violation peut être invoquée par un particulier pour pouvoir former un recours juridictionnel en application de cet article 11 aux seuls droits subjectifs, c’est-à-dire des droits individuels (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2020, Land Nordrhein-Westfalen, C‑535/18, EU:C:2020:391, point 57 et jurisprudence citée).

60

Ces considérations valent, à plus forte raison, en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus. Ainsi qu’il a été relevé au point 53 du présent arrêt, cette disposition accorde un plus grand pouvoir d’appréciation aux États membres lorsqu’ils fixent les critères permettant de déterminer les titulaires effectifs du droit de recours qu’elle prévoit que lorsqu’ils mettent en œuvre l’article 9, paragraphe 2, de cette convention.

61

En troisième et dernier lieu, la condition tenant à la justification d’un intérêt légitime privé ne s’applique pas aux associations de protection de l’environnement reconnues par le droit roumain. Celles-ci sont en mesure de défendre l’intérêt public sans devoir attester avoir été affectées de manière individuelle.

62

Dans ces conditions, il y a lieu de constater, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, qu’il apparaît que répond aux exigences établies aux points 50 à 55 du présent arrêt une condition qui subordonne la qualité pour agir des requérants, autres que les associations de protection de l’environnement, contre un acte administratif dont ils ne sont pas le destinataire à la justification d’un intérêt légitime privé.

63

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une entité juridique, autre qu’une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, ne se voit reconnaître la qualité pour agir contre un acte administratif dont elle n’est pas le destinataire que lorsqu’elle fait valoir la méconnaissance d’un intérêt légitime privé ou d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social.

Sur la première question

64

En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du point 47 du présent arrêt, il est constant que, dans le cadre du recours contre les actes administratifs en cause au principal, AB & CD doit, pour démontrer sa qualité pour agir, justifier d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social ou, comme le groupe de personnes qui composent cette société, d’un intérêt légitime privé.

65

Ainsi qu’il a été relevé au point 48 du présent arrêt, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de ce recours, ni AB & CD ni le groupe de personnes qui la composent n’ont justifié d’un intérêt légitime privé et AB & CD n’a pas justifié d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social.

66

Il s’ensuit que, eu égard à la réponse donnée à la deuxième question, il n’est plus nécessaire de répondre à la première question par laquelle la juridiction de renvoi cherche à établir si AB & CD relève de la notion de « public », à savoir du cercle de personnes visées à l’article 2, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus qui peut, sous réserve du respect des conditions établies par les États membres, prétendre au droit de recours garanti à l’article 9, paragraphe 3, de cette convention.

Sur la troisième question

67

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphes 4 et 5, de la convention d’Aarhus, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que, afin de garantir le respect de l’exigence tenant à l’absence de coût prohibitif des procédures juridictionnelles, le juge appelé à se prononcer sur la condamnation aux dépens d’une partie qui a succombé, dans un litige en matière d’environnement, doit tenir compte de l’intérêt de cette partie et de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement.

68

À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il a été établi, au point 41 du présent arrêt, que le litige au principal concerne, sur le fond, le respect du droit national de l’environnement, visé à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, et relève donc du champ d’application matériel de cette disposition.

69

En outre, la Cour a déjà jugé que le paragraphe 4 de cet article, qui précise les caractéristiques que doivent revêtir les recours, et notamment celle de ne pas être d’un coût prohibitif, s’applique expressément au recours visé au paragraphe 3 du même article (arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, point 48).

70

Par suite, l’exigence que certaines procédures juridictionnelles ne soient pas d’un coût prohibitif prévue par la convention d’Aarhus doit être regardée comme s’appliquant à une procédure telle que celle en cause au principal, en ce qu’elle tend à contester, en s’appuyant sur le droit national de l’environnement, un plan d’occupation des sols et un permis de construire (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, point 49).

71

Il convient de préciser qu’une telle exigence s’applique quelle que soit l’issue du litige au principal, même si le recours de la partie requérante au principal est rejeté comme étant irrecevable en raison de l’absence de qualité pour agir ou d’un intérêt à agir. En effet, il n’en demeurerait pas moins que, comme il a été rappelé au point 68 du présent arrêt, le litige au principal relève du champ d’application matériel de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus.

72

Sur le fond, il convient de rappeler que l’exigence tenant à l’absence de coût prohibitif des procédures juridictionnelles en matière d’environnement n’interdit nullement aux juridictions nationales de mettre des dépens à la charge d’un requérant. Cela ressort explicitement de l’article 3, paragraphe 8, de la convention d’Aarhus qui précise qu’il n’est pas porté atteinte au pouvoir des juridictions nationales d’accorder des dépens, d’un montant raisonnable, à l’issue d’une procédure judiciaire (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

73

Il y a également lieu de rappeler que l’exigence que les coûts d’un procès ne soient pas prohibitifs concerne l’ensemble des coûts financiers occasionnés par la participation à la procédure judiciaire et que, par conséquent, le caractère prohibitif doit s’apprécier globalement, compte tenu de l’ensemble des frais supportés par la partie concernée (voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

74

Dans ce cadre, il convient de tenir compte tant de l’intérêt de la personne qui souhaite défendre ses droits que de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement. Partant, cette appréciation ne saurait être portée uniquement par rapport à la situation économique de l’intéressé, mais doit également reposer sur une analyse objective du montant des dépens, et cela d’autant plus que les particuliers et les associations sont naturellement appelés à jouer un rôle actif dans la défense de l’environnement. Ainsi, le coût d’une procédure ne doit ni dépasser les capacités financières de l’intéressé ni apparaître, en tout état de cause, comme étant objectivement déraisonnable (voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, points 39 et 40).

75

Par ailleurs, le juge peut tenir compte de la situation des parties en cause, des chances raisonnables de succès du demandeur, de la gravité de l’enjeu pour celui-ci ainsi que pour la protection de l’environnement, de la complexité du droit et de la procédure applicables ainsi que du caractère éventuellement téméraire du recours à ses différents stades (voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

76

Quant aux conséquences que doit tirer le juge national de cette interprétation de l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus, dans un litige tel que celui au principal, il y a lieu de rappeler que cette disposition ne contient pas d’obligation inconditionnelle et suffisamment précise susceptible de régir directement la situation juridique des particuliers et qu’elle est, par conséquent, dépourvue d’effet direct (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, points 52 et 53 ainsi que jurisprudence citée).

77

Il en va de même de l’article 9, paragraphe 5, de cette convention en ce qu’il prévoit que les parties à ladite convention envisagent la mise en place de mécanismes appropriés d’assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l’accès à la justice (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C‑543/14, EU:C:2016:605, point 55).

78

Toutefois, il y a lieu d’observer que ces dispositions, bien que dépourvues d’effet direct, ont pour objectif de permettre d’assurer une protection effective de l’environnement (arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, point 53).

79

En outre, l’exigence de « coût non prohibitif » participe, dans le domaine de l’environnement, du respect du droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte, ainsi que du principe d’effectivité selon lequel les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

80

Eu égard aux indications limitées contenues dans la demande de décision préjudicielle, la Cour ne peut pas déterminer dans quelle mesure les articles 451 à 453 du code de procédure civile, qui régissent, de manière générale, la question des dépens en droit roumain et qui paraissent s’appliquer au litige au principal, permettent à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation globale des frais supportés par la partie concernée et de tenir compte, lors de sa décision sur les dépens, des critères visés aux points 74 et 75 du présent arrêt. Il apparaît, en outre, que cette juridiction peut seulement réduire une partie des dépens, à savoir ceux correspondant aux honoraires des avocats.

81

Ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale, aux points 75 et 76 de ses conclusions, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres lors de la mise en œuvre de l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus, l’absence de détermination détaillée des coûts dans les litiges en matière d’environnement par la réglementation nationale ne saurait être considérée, en soi, comme étant incompatible avec la règle du coût non prohibitif. Il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier dans quelle mesure les mécanismes existants en droit roumain sont conformes aux exigences qui découlent de cet article 9, paragraphe 4.

82

Dans ce contexte, il y a encore lieu de rappeler que, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective lorsque, comme en l’occurrence, est en cause l’application du droit national de l’environnement, la juridiction de renvoi est tenue de donner du droit procédural interne une interprétation qui, dans toute la mesure du possible, soit conforme à l’objectif fixé à l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus, de telle sorte que le coût des procédures juridictionnelles ne soit pas prohibitif (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C‑240/09, EU:C:2011:125, point 50, ainsi que du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, point 57).

83

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 9, paragraphes 4 et 5, de la convention d’Aarhus, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que, afin de garantir le respect de l’exigence tenant à l’absence de coût prohibitif des procédures juridictionnelles, le juge appelé à se prononcer sur la condamnation aux dépens d’une partie qui a succombé, dans un litige en matière d’environnement, doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris de l’intérêt de cette partie et de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement.

Sur les dépens

84

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 9, paragraphe 3, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une entité juridique, autre qu’une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, ne se voit reconnaître la qualité pour agir contre un acte administratif dont elle n’est pas le destinataire que lorsqu’elle fait valoir la méconnaissance d’un intérêt légitime privé ou d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social.

 

2)

L’article 9, paragraphes 4 et 5, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370 du Conseil, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

afin de garantir le respect de l’exigence tenant à l’absence de coût prohibitif des procédures juridictionnelles, le juge appelé à se prononcer sur la condamnation aux dépens d’une partie qui a succombé, dans un litige en matière d’environnement, doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris de l’intérêt de cette partie et de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

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