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Document 62022CC0752

    Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 26 octobre 2023.
    EP contre Maahanmuuttovirasto.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Korkein hallinto-oikeus.
    Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Articles 12 et 22 – Protection renforcée contre l’éloignement – Applicabilité – Ressortissant d’un pays tiers séjournant sur le territoire d’un autre État membre que celui lui ayant accordé le statut de résident de longue durée – Décision d’éloignement vers l’État membre lui ayant accordé ce statut prise, par cet autre État membre, pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique – Interdiction d’entrée temporaire sur le territoire dudit autre État membre, imposée par celui ci – Manquement à l’obligation de déposer, auprès du même autre État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109 – Décision d’éloignement de ce ressortissant d’un pays tiers vers son pays d’origine prise par ce dernier État membre pour les mêmes motifs.
    Affaire C-752/22.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:819

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

    présentées le 26 octobre 2023 ( 1 )

    Affaire C‑752/22

    EP

    contre

    Maahanmuuttovirasto

    [demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande)]

    « Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Directive 2003/109/CE – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Conditions de séjour du résident de longue durée dans un autre État membre – Article 22, paragraphe 3 – Protection renforcée contre l’éloignement – Ressortissant d’un pays tiers, résident de longue durée dans le premier État membre, en séjour irrégulier sur le territoire d’un autre État membre – Décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire national pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Article 6, paragraphe 2 – Ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un titre de séjour valable délivré par un autre État membre »

    I. Introduction

    1.

    Un ressortissant d’un pays tiers ayant acquis le statut de résident de longue durée dans un État membre conformément à la directive 2003/109/CE ( 2 ) bénéficie-t-il, dans un autre État membre sur le territoire duquel il se rend en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard, de la protection renforcée contre l’éloignement découlant de l’article 12 et de l’article 22, paragraphe 3, de cette directive ?

    2.

    Telle est, en substance, la question que soulève le présent renvoi préjudiciel.

    3.

    Celui-ci s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant EP, un ressortissant russe ayant acquis le statut de résident de longue durée en Estonie, au Maahanmuuttovirasto (Office national de l’immigration, Finlande) (ci-après l’« Office ») au sujet de la légalité de la décision d’éloignement vers la Fédération de Russie adoptée à l’égard de l’intéressé, assortie d’une interdiction d’entrée dans l’espace Schengen (ci-après la « décision litigieuse »), limitée ensuite au territoire national. Alors que l’Office a fondé sa décision sur les dispositions prévues par la directive 2008/115/CE ( 3 ), le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) se demande si l’Office n’était pas tenu, en revanche, de mettre en œuvre les mesures relatives à une protection renforcée contre l’éloignement prévues en faveur des ressortissants de pays tiers, résidents de longue durée, à l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109.

    4.

    Dans la présente affaire, la Cour est donc une nouvelle fois saisie de la question de la coexistence, à l’égard d’un même ressortissant d’un pays tiers, d’une interdiction d’entrée prononcée par un État membre et d’un titre de séjour valide délivré par un autre État membre ( 4 ). En l’occurrence, cette affaire illustre les difficultés relatives à l’appréciation des champs d’application respectifs des directives 2003/109 et 2008/115, que la Commission européenne n’a d’ailleurs pas manqué de relever dans le cadre de sa proposition actuelle de refonte de la directive 2003/109 ( 5 ). Les propositions qu’elle formule aujourd’hui à ce sujet visent à assurer une plus grande cohérence et une meilleure complémentarité entre les deux textes ( 6 ).

    5.

    Dans les présentes conclusions, qui, conformément à la demande de la Cour, seront ciblées sur la première question préjudicielle, j’expliquerai les raisons pour lesquelles je considère que le droit de séjour dérivé du statut de résident de longue durée dont bénéficie un ressortissant d’un pays tiers dans un premier État membre et la protection qui en découle, dans un autre État membre, ne peuvent être exercés que si ce ressortissant a obtenu un titre de séjour dans ce dernier. Je déduirai de mon analyse que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens qu’il ne régit pas les conditions d’adoption, par un État membre, d’une décision d’éloignement d’un tel ressortissant lorsque ce dernier s’est rendu sur son territoire en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    1. La directive 2003/109

    6.

    L’article 1er de la directive 2003/109, intitulé « Objet », dispose :

    « La présente directive établit :

    a)

    les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents, et

    b)

    les conditions de séjour dans des États membres autres que celui qui a octroyé le statut de longue durée pour les ressortissants de pays tiers qui bénéficient de ce statut. »

    7.

    L’article 2, sous b) à d), de cette directive, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    [...]

    b)

    “résident de longue durée”, tout ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire du statut de résident de longue durée prévu aux articles 4 à 7 ;

    c)

    “premier État membre”, l’État membre qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers ;

    d)

    “deuxième État membre”, tout État membre autre que celui qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers et dans lequel ce résident de longue durée exerce son droit de séjour. »

    8.

    L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

    « La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre. »

    9.

    Le chapitre II de la directive 2003/109 comprend les articles 4 à 13. Il énonce les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents, l’objectif étant de favoriser l’intégration de ces ressortissants afin de promouvoir la cohésion économique et sociale conformément aux considérants 4 et 6 de cette directive.

    10.

    Aux termes de l’article 12 de ladite directive, intitulé « Protection contre l’éloignement » :

    « 1.   Les États membres ne peuvent prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique.

    [...]

    3.   Avant de prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée, les États membres prennent en compte les éléments suivants :

    a)

    la durée de la résidence sur leur territoire ;

    b)

    l’âge de la personne concernée ;

    c)

    les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille ;

    d)

    les liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec le pays d’origine.

    [...] »

    11.

    Le chapitre III de la directive 2003/109, intitulé « Séjour dans les autres États membres », comporte les articles 14 à 23. Il a pour objet d’établir les conditions d’exercice du droit de séjour d’un bénéficiaire du statut de résident de longue durée dans les États membres autres que celui qui lui a octroyé ce statut, afin de contribuer, conformément au considérant 18 de cette directive, à la réalisation effective du marché intérieur en tant qu’espace où la libre circulation de toutes les personnes est assurée.

    12.

    L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

    « Un résident de longue durée acquiert le droit de séjourner sur le territoire d’États membres autres que celui qui lui a accordé son statut de résident de longue durée, pour une période dépassant trois mois, pour autant que les conditions fixées dans le présent chapitre soient remplies. »

    13.

    L’article 15 de la même directive, intitulé « Conditions de séjour dans un deuxième État membre », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

    « Dans les plus brefs délais et au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire du deuxième État membre, le résident de longue durée dépose une demande de permis de séjour auprès des autorités compétentes de cet État membre. »

    14.

    L’article 22 de la directive 2003/109, intitulé « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission », prévoit :

    « 1.   Tant que le ressortissant d’un pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée, le deuxième État membre peut décider de refuser de renouveler le titre de séjour ou de le retirer et d’obliger la personne concernée et les membres de sa famille, conformément aux procédures, y compris d’éloignement, prévues par le droit national, à quitter son territoire dans les cas suivants :

    a)

    pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, telles que définies à l’article 17 ;

    b)

    lorsque les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 ne sont plus remplies ;

    c)

    lorsque le ressortissant d’un pays tiers ne séjourne pas légalement dans l’État membre concerné.

    2.   Si le deuxième État membre adopte l’une des mesures visées au paragraphe 1, le premier État membre réadmet immédiatement sans formalités le résident de longue durée et les membres de sa famille. Le deuxième État membre informe le premier État membre de sa décision.

    3.   Tant que le résident de pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée et sans préjudice de l’obligation de réadmission visée au paragraphe 2, le deuxième État membre peut adopter à son égard une décision d’éloignement du territoire de l’Union [européenne], conformément à l’article 12 et avec les garanties qui y sont prévues, pour des motifs graves relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique.

    Dans ce cas, lorsqu’il adopte ladite décision, le deuxième État membre consulte le premier État membre.

    Quand le deuxième État membre adopte une décision d’éloignement à l’égard du ressortissant d’un pays tiers en question, il prend toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre effective de cette décision. Dans cette hypothèse, le second État membre fournit au premier État membre les informations appropriées concernant la mise en œuvre de la décision d’éloignement.

    [...]

    4.   Les décisions d’éloignement ne peuvent pas être assorties d’une interdiction de séjour permanente dans les cas visés au paragraphe 1, [sous] b) et c).

    5.   L’obligation de réadmission visée au paragraphe 2 s’entend sans préjudice de la possibilité laissée au résident de longue durée et aux membres de sa famille de s’installer dans un troisième État membre. »

    2. La directive 2008/115

    15.

    L’article 3 de la directive 2008/115 est rédigé comme suit :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    [...]

    2)

    “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du [règlement (CE) no 562/2006 ( 7 )], ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

    3)

    “retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

    son pays d’origine, ou

    un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

    un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

    4)

    “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

    5)

    “éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre ;

    6)

    “interdiction d’entrée” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire interdisant l’entrée et le séjour sur le territoire des États membres pendant une durée déterminée, qui accompagne une décision de retour ;

    [...]

    8)

    “départ volontaire” : l’obtempération à l’obligation de retour dans le délai imparti à cette fin dans la décision de retour ;

    [...] »

    16.

    L’article 6 de cette directive, concernant les décisions de retour mettant fin à un séjour irrégulier, énonce :

    « 1.   Les État membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

    2.   Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s’applique.

    [...] »

    B.   Le droit finlandais

    17.

    Pour être admis sur le territoire finlandais, l’ulkomaalaislaki 301/2004 (loi relative aux étrangers), du 30 avril 2004, précise, à son article 11, premier alinéa, qu’un étranger ne doit pas faire l’objet d’une interdiction d’entrée (point 4) et qu’il ne doit pas être considéré comme mettant en danger l’ordre public et la sécurité publique (point 5).

    18.

    En vertu de l’article 149 b de cette loi, le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire ou dont la demande de permis de séjour a été rejetée et qui est titulaire d’un permis de séjour en cours de validité ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre est tenu de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique, une décision est prise sur son éloignement.

    III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

    19.

    Le contexte factuel se caractérise par deux périodes distinctes.

    20.

    La première période est celle précédant l’octroi par la République d’Estonie, le 12 juillet 2019, du statut de résident de longue durée à l’intéressé, lequel est un ressortissant russe, disposant d’un passeport en cours de validité.

    21.

    Il est constant que, au cours de cette période, celui-ci s’est rendu à de nombreuses reprises sur le territoire finlandais où il a fait l’objet de quatre décisions d’éloignement vers l’Estonie, respectivement datées du 9 février 2017, du 16 mars 2017, du 26 novembre 2018 et enfin du 8 juillet 2019. Ces décisions ont été adoptées à la suite de la commission de multiples infractions par l’intéressé, à savoir la conduite en état d’ivresse aggravée, la conduite d’un véhicule sans permis de conduire et enfin la violation d’une interdiction d’entrée. Il est également soupçonné de vol aggravé, de falsification et de fausse déclaration d’identité. Compte tenu de la nature et de la répétition des activités criminelles de ce dernier, les autorités nationales compétentes l’ont considéré comme représentant une menace pour l’ordre public et la sécurité publique, et, par conséquent, trois de ces décisions ont été assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire finlandais.

    22.

    La seconde période est celle correspondant à l’octroi par la République d’Estonie du statut de résident de longue durée à l’intéressé ainsi que du permis de séjour y afférent, pour une durée de cinq ans, soit du 12 juillet 2019 au 12 juillet 2024. Ce statut a donc été délivré alors que l’État finlandais avait déjà prononcé à l’égard de cette personne une interdiction d’entrée sur le territoire national en cours de validité ( 8 ).

    23.

    Le 19 novembre 2019, après avoir procédé à une appréciation globale de la situation de l’intéressé – dont les éléments figurent dans le dossier national dont dispose la Cour – l’Office ne lui a pas permis de rentrer volontairement en Estonie et a adopté la décision litigieuse ( 9 ). Il ressort de la décision de renvoi que la décision litigieuse comportait l’obligation d’éloigner l’intéressé vers son pays d’origine, à savoir la Fédération de Russie,et qu’elle est assortie d’une interdiction d’entrée pour l’ensemble de l’espace Schengen pour une période de quatre ans, compte tenu de la menace que ce dernier représente pour l’ordre public et la sécurité publique. Cette décision a été adoptée sur le fondement de la directive 2008/115, l’Office considérant que EP était en « séjour irrégulier » sur le territoire national au sens de l’article 3, point 2, de cette directive dans la mesure où ce dernier s’était rendu sur ce territoire en violation des interdictions d’entrée prononcées antérieurement à son égard. Je précise d’ores et déjà qu’une telle décision doit, à mon sens, être regardée comme une « décision de retour », au sens de l’article 3, point 4, de ladite directive. En effet, dans le contexte de la même directive, le retour est défini par l’article 3, point 3 de celle-ci par l’opération par laquelle un ressortissant d’un pays tiers doit se rendre dans un pays tiers, un pays de transit ou rentrer dans son pays d’origine, c’est-à-dire hors du territoire de l’Union.

    24.

    Il ressort également du dossier national que, à cette même date, le 19 novembre 2019, l’Office a engagé la procédure de consultation prévue à l’article 25, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen ( 10 ) avec la République d’Estonie, dans le cadre de laquelle il a été demandé à cet État membre de prendre position sur le retrait éventuel du permis de séjour de résident de longue durée de l’intéressé. Le 9 décembre 2019, la République d’Estonie a notifié que ce permis ne serait pas retiré. Dans ces circonstances, l’Office a transformé l’interdiction d’entrée sur l’ensemble de l’espace Schengen en interdiction d’entrée purement nationale, conformément à l’article 25, paragraphe 2, second alinéa, de cette convention ( 11 ).

    25.

    L’éloignement de EP vers la Fédération de Russie a été mis en œuvre le 24 mars 2020. Ce dernier s’est de nouveau rendu sur le territoire finlandais d’où il a été éloigné, vers l’Estonie, le 8 août 2020 et le 16 novembre 2020.

    26.

    Le recours formé contre la décision litigieuse par le requérant ayant été rejeté par le Helsingin hallinto‑oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande), il a saisi le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) en vue d’obtenir l’annulation de ce jugement.

    27.

    Eu égard au contexte factuel dans lequel s’inscrit la présente affaire et en particulier du statut de résident de longue durée dont bénéficie EP en Estonie, la juridiction de renvoi se demande si l’Office n’était pas tenu de mettre en œuvre les mesures relatives à une protection renforcée contre l’éloignement établie par la directive 2003/109 aux fins de l’adoption de la décision litigieuse.

    28.

    En premier lieu, cette juridiction considère que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/109 ne permet pas de déterminer de manière univoque si une situation telle que celle de l’espèce relève du champ d’application de cette directive. En effet, si le séjour de EP en Estonie est régulier dès lors qu’il se fonde sur son statut de résident de longue durée qui lui a été délivré par cet État membre, en revanche, son séjour en Finlande ne l’est pas compte tenu du fait qu’il n’a pas demandé de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive et qu’une interdiction d’entrée sur le territoire de cet État membre a été prononcée à son égard.

    29.

    En second lieu, ladite juridiction estime que la loi relative aux étrangers ne contient pas de dispositions transposant expressément l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 pour ce qui concerne l’éloignement de la Finlande en dehors du territoire de l’Union d’un ressortissant d’un pays tiers auquel un autre État membre a délivré un permis de séjour de résident de longue durée. Se pose donc la question de savoir si l’article 12, paragraphes 1 et 3, et l’article 22, paragraphe 3, de cette directive sont inconditionnels et suffisamment précis quant à leur contenu, au sens de la jurisprudence de la Cour, pour qu’un ressortissant d’un pays tiers puisse les invoquer contre un État membre.

    30.

    Dans ces conditions, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    La directive 2003/109 est-elle applicable à l’éloignement, en dehors du territoire de l’Union, d’une personne qui est entrée sur le territoire d’un État membre tandis qu’elle faisait l’objet d’une interdiction nationale d’entrer sur le territoire, dont le séjour dans cet État membre n’était par conséquent pas régulier au regard de la législation nationale et qui n’avait pas demandé de permis de séjour dans ledit État membre, lorsqu’un permis de séjour de ressortissant de pays tiers résident de longue durée a été délivré à cette personne dans un deuxième État membre ?

    Si la première question appelle une réponse affirmative :

    2)

    L’article 12, paragraphes 1 et 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 sont-ils inconditionnels et suffisamment précis quant à leur contenu pour qu’un ressortissant d’un pays tiers puisse les invoquer à l’encontre d’un État membre ? »

    31.

    Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement finlandais et par la Commission.

    IV. Analyse

    32.

    Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, en vertu duquel le ressortissant d’un pays tiers bénéficiaire du statut de résident de longue durée dans un premier État membre bénéficie, dans le deuxième État membre, de la protection renforcée contre l’éloignement que prévoit l’article 12 de cette directive, est applicable lorsque ce ressortissant s’est rendu sur le territoire de ce dernier État membre en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

    33.

    Avant d’entamer l’analyse des termes de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109 ainsi que de l’économie et de la finalité du chapitre III de cette directive, au sein duquel cet article s’insère, il convient, à titre liminaire, d’éclaircir les champs d’application respectifs des directives 2008/115 et 2003/109.

    A.   Les champs d’application respectifs des directives 2008/115 et 2003/109

    34.

    Il résulte tant de l’intitulé que du libellé de son article 1er que la directive 2008/115 établit les normes et les procédures communes qui doivent être appliquées par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

    35.

    Il ressort ainsi sans équivoque de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive que celle-ci s’applique aux « ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre » ( 12 ).

    36.

    La notion de « séjour irrégulier » est définie à l’article 3, point 2, de la directive 2008/115 comme étant « la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du [règlement no 562/2006 ( 13 )], ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ». Dans la mesure où le ressortissant d’un pays tiers qui se rend sur le territoire d’un État membre en méconnaissance d’une interdiction d’entrée sur ce territoire prononcée à son égard est bien présent sur ledit territoire, il se trouve, de ce seul fait, en séjour irrégulier, au sens de l’article 3, point 2, de cette directive, et tombe dans le champ d’application de ladite directive, conformément à l’article 2 de celle-ci ( 14 ). L’article 6 de la directive 2008/115 établit alors les normes et la procédure applicables à la « [d]écision de retour », par laquelle le ressortissant est tenu, soit par obtempération volontaire, soit en y étant forcé, de rentrer dans son pays d’origine notamment ( 15 ). L’article 6, paragraphe 2, de cette directive prévoit des dispositions particulières applicables au ressortissant d’un pays tiers qui dispose d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre.

    37.

    Néanmoins, il ressort de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/115 que celle-ci s’applique « sans préjudice des dispositions qui relèvent de l’acquis communautaire en matière d’immigration et d’asile et qui s’avéreraient plus favorables pour le ressortissant d’un pays tiers ». En effet, comme l’a rappelé la Cour, cette directive n’a pas pour objet d’harmoniser dans leur intégralité les règles des États membres relatives au séjour des étrangers ( 16 ).

    38.

    À cet égard, il ne fait aucun doute que les règles énoncées par la directive 2003/109 relèvent de cet acquis et prévoient des dispositions plus favorables en faveur des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, en accordant à ces derniers une protection renforcée contre l’éloignement ainsi qu’une procédure de réadmission entre États membres dans certains cas de mobilité au sein de l’Union. Comme le souligne la Commission dans son manuel sur le retour, cette directive constitue une lex specialis « qui doi[t] être suivi[e] avant tout dans les cas expressément couverts par [ladite] directiv[e] » ( 17 ).

    39.

    Le champ d’application de la directive 2003/109 est défini à l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci, lequel énonce qu’elle « s’applique aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre ». Tant que le ressortissant d’un pays tiers bénéficie du statut de résident de longue durée dans un État membre, qui est attesté, de surcroît, par le titre de séjour y afférent et que ce statut n’a pas été formellement retiré, celui-ci réside légalement sur le territoire d’un État membre. En l’occurrence, EP relève bien du champ d’application de cette directive et doit donc bénéficier, en Estonie, des droits afférents à son statut de résident de longue durée qui sont énumérés au chapitre II de ladite directive, parmi lesquels figure le droit à une protection renforcée contre l’éloignement prévue à l’article 12 de celle-ci ( 18 ).

    40.

    S’agissant, en revanche, des conditions de séjour de ce ressortissant dans les États membres autres que celui qui lui a octroyé ledit statut, celles-ci sont visées au chapitre III de la directive 2003/109. Or, aucune de ces conditions ne concerne une situation telle que celle en cause, dans laquelle le ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée dans un premier État membre ne dispose pas d’un droit de séjour dérivé dans l’État membre sur le territoire duquel il se rend, en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

    41.

    Cette appréciation repose tant sur un examen littéral de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109 que sur une analyse systémique, contextuelle et téléologique de cette directive.

    B.   Les termes de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109

    42.

    L’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109 énonce le principe suivant lequel « [t]ant que le résident [ ( 19 )] de pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée et sans préjudice de l’obligation de réadmission visée au paragraphe 2 [ ( 20 )], le deuxième État membre peut adopter à son égard une décision d’éloignement du territoire de l’Union, conformément à l’article 12 et avec les garanties qui y sont prévues, pour des motifs graves relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique ».

    43.

    L’emploi de la conjonction « tant que » dans l’expression « [t]ant que le [ressortissant] de pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée » ne permet pas de déterminer avec précision le champ d’application personnel de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109.

    44.

    Certes, cette expression témoigne de l’intention claire du législateur de l’Union d’exclure du champ d’application de cette disposition le ressortissant d’un pays tiers bénéficiaire du statut de résident de longue durée dans un premier État membre, qui obtient ce statut dans le deuxième État membre ( 21 ). Toutefois, ladite expression ne permet pas de déterminer le moment à compter duquel ce ressortissant peut bénéficier de cette protection sur le territoire de cet autre État membre : est-il suffisant qu’il soit résident de longue durée dans un premier État membre, et ce indépendamment de la durée et des modalités de son séjour sur le territoire de cet autre État membre, ou est-il, en revanche, nécessaire qu’il ait introduit dans ce dernier une demande de titre de séjour ou qu’il en soit bénéficiaire ?

    45.

    Je pense que c’est également en ce sens que doit être interprété le champ d’application personnel de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de cette directive.

    46.

    Premièrement, dans le texte même de cette disposition, le législateur de l’Union se réfère aux obligations du « deuxième État membre ». Cette notion est définie à l’article 2, sous d), de la directive 2003/109, comme se référant à « tout État membre autre que celui qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers et dans lequel ce résident de longue durée exerce son droit de séjour » ( 22 ). L’emploi du présent de l’indicatif (« exerce ») et non du conditionnel (« exercerait ») témoigne du fait que le ressortissant d’un pays tiers doit exercer de manière actuelle son droit de séjour dérivé dans le deuxième État membre. Or, ainsi qu’en témoignent l’article 14, paragraphe 1, et le considérant 21 de cette directive, l’exercice de ce droit de séjour suppose que ce ressortissant satisfasse aux conditions énoncées au chapitre III de ladite directive ( 23 ).

    47.

    Deuxièmement, il ressort des termes de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2003/109 que la « décision d’éloignement du territoire de l’Union » du ressortissant d’un pays tiers doit être adoptée « conformément à l’article 12 [de cette directive] et avec les garanties qui y sont prévues, pour des motifs graves relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique ». Cela implique que ce ressortissant ne peut être éloigné que s’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique, que la décision d’éloignement ne peut être justifiée par des motifs économiques et que les autorités compétentes du deuxième État membre sont tenues, au préalable, de prendre en considération la durée de sa résidence sur le territoire national, son âge, les conséquences d’un éloignement pour lui et les membres de sa famille, ses liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec son pays d’origine ( 24 ). Par conséquent, l’octroi de ce niveau de protection considérablement renforcée contre l’éloignement repose sur des justifications objectives qui sont liées au niveau d’intégration du résident de longue durée dans le premier État membre concerné, au titre de son statut de résident de longue durée (article 12 de la directive 2003/109), et dans le deuxième État membre, au titre de l’exercice du droit de séjour dérivé qu’il tire de son statut (article 22 de cette directive). Une telle protection ne peut dès lors se justifier à l’égard du ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée qui ne dispose pas d’un tel droit de séjour dérivé dans l’État membre sur le territoire duquel il se rend, en raison d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique.

    48.

    Cette interprétation est confortée par l’économie et la finalité des dispositions énoncées au chapitre III de la directive 2003/109.

    C.   L’économie et la finalité du chapitre III de la directive 2003/109

    49.

    Ainsi qu’en témoigne son intitulé, le chapitre III de la directive 2003/109 a pour objet d’établir les conditions d’exercice du droit de séjour d’un ressortissant d’un pays tiers bénéficiant du statut de résident de longue durée dans les États membres autres que celui qui lui a octroyé ce statut, et ce afin de contribuer à la réalisation effective du marché intérieur en tant qu’espace où la libre circulation de toutes les personnes est assurée ( 25 ). Il prévoit un système graduel en ce qui concerne le droit de ce ressortissant dans les autres États membres, lequel peut aboutir à un droit de séjour permanent par l’octroi dudit statut dans l’un de ces États.

    50.

    Le droit de séjour de plus de trois mois ( 26 ) accordé dans le deuxième État membre est un droit dérivé du statut de résident de longue durée obtenu dans le premier État membre. Ainsi, c’est précisément parce qu’un premier État membre a accordé ce statut à l’intéressé au titre de l’article 4 de la directive 2003/109 qu’un deuxième État membre peut matérialiser ce droit de séjour dérivé en lui délivrant, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, un titre de séjour ( 27 ). À cette fin, le résident de longue durée doit introduire une demande conforme à l’article 15 de ladite directive et satisfaisant aux conditions énoncées aux articles 16 à 19 de la même directive. Parmi ces conditions figure celle de ne pas représenter une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ( 28 ). Si l’article 20 de la directive 2003/109 énonce les garanties procédurales qui doivent être accordées au résident de longue durée dans le cas où sa demande de titre de séjour est rejetée, en revanche, l’article 21 de cette directive prévoit le traitement qui doit lui être réservé dans ce deuxième État membre au cas où ce titre lui serait accordé.

    51.

    C’est dans la suite logique de ces dispositions que s’inscrit l’article 22 de la directive 2003/109, intitulé, de manière non équivoque, « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission ». La Commission indique, dans son rapport sur l’application de cette directive, que cet article énonce les conditions dans lesquelles le deuxième État membre peut adopter une décision d’éloignement à l’égard d’un résident de longue durée qui, dans cet État membre, bénéficie d’un titre de séjour, mais n’a pas encore obtenu le statut de résident de longue durée ( 29 ) que prévoit l’article 23 de ladite directive.

    52.

    L’article 22 de la directive 2003/109 vise donc de manière manifeste le résident de longue durée qui s’est engagé dans un véritable processus d’intégration dans le deuxième État membre en exerçant le droit de séjour dérivé qu’il tire de son statut. Le paragraphe 3 de cet article a d’ailleurs pour objet de garantir l’effectivité de ce droit de séjour, exigeant du deuxième État membre qu’il accorde à ce résident une protection renforcée contre l’éloignement au cas où il représenterait une menace pour l’ordre public et la sécurité publique, et ce à l’image de celle dont il bénéficie en vertu de son statut dans le premier État membre.

    53.

    Or, dans une situation telle que celle en cause au principal, le ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée ne dispose pas du droit d’entrer dans l’État membre concerné en raison des effets juridiques d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard. Il ne peut, a fortiori, bénéficier d’un titre de séjour dérivé dans cet État membre en raison de la menace qu’il représente pour l’ordre public et la sécurité publique, et ce conformément à l’article 17 de la directive 2003/109. Dans ces circonstances, j’estime qu’il ne saurait bénéficier du niveau de protection considérablement renforcée contre l’éloignement que prévoit l’article 22, paragraphe 3, de cette directive.

    54.

    Une telle interprétation me paraît conforme à la finalité de la directive 2003/109. En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 4, 6 et 12 de cette directive, le statut de résident de longue durée devrait constituer un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le ressortissant d’un pays tiers s’est établi, cette intégration constituant par ailleurs un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de l’Union ( 30 ). En outre, je rappelle que, conformément au considérant 18 de ladite directive, le droit de séjour dont bénéficie le résident de longue durée dans un État membre autre que celui qui lui a octroyé son statut doit contribuer à la réalisation effective du marché intérieur en tant qu’espace où la libre circulation de toutes les personnes est assurée.

    55.

    Or, il est évident que, dans la situation en cause au principal, l’octroi du statut de résident de longue durée à l’intéressé par les autorités estoniennes ne saurait permettre à ce dernier de se prévaloir à l’égard des autorités finlandaises du niveau de protection considérablement renforcé contre l’éloignement que prévoit l’article 22, paragraphe 3, de cette directive, alors même qu’il s’est rendu sur le territoire de la Finlande en méconnaissance flagrante d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique, et ne dispose pas, de ce fait, d’un droit de séjour dans cet État membre. Si tel était le cas, cela reviendrait à méconnaître, d’une part, le système institué par la directive 2003/109, en vertu duquel le ressortissant d’un pays tiers bénéficie de droits et d’avantages qui sont fonction de son intégration dans la société tant du premier État membre que du deuxième État membre, et, d’autre part, les effets juridiques attachés aux décisions d’interdiction d’entrée prononcées par un État membre.

    56.

    Au vu de l’ensemble de ces éléments, j’estime que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable au ressortissant d’un pays tiers qui, bien qu’étant bénéficiaire du statut de résident de longue durée dans un premier État membre, ne dispose pas d’un droit de séjour dans l’État membre sur le territoire duquel il se rend en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

    57.

    Ce ressortissant conserve la faculté de faire valoir les droits qu’il tire de son permis de séjour de résident de longue durée en se rendant ultérieurement sur le territoire du premier État membre.

    58.

    L’État membre sur le territoire duquel se trouve ledit ressortissant doit alors faire application de la procédure de retour prévue par la directive 2008/115, en particulier, à l’article 6, paragraphe 2, de celle-ci.

    59.

    En effet, je rappelle que l’article 6 de cette directive a pour objet d’établir les normes et la procédure applicables aux décisions de retour du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. L’article 6, paragraphe 2, de ladite directive concerne la situation particulière dans laquelle ce ressortissant dispose d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre. En application de cette disposition, l’État membre sur le territoire duquel ce ressortissant se trouve en séjour irrégulier doit adopter une décision de retour uniquement dans l’hypothèse où l’intéressé refuse de se rendre immédiatement dans l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour ou lorsque le départ immédiat de celui-ci est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale ( 31 ).

    V. Conclusion

    60.

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) de la manière suivante :

    L’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011,

    doit être interprété en ce sens que :

    il n’est pas applicable au ressortissant d’un pays tiers qui, bien qu’étant bénéficiaire du statut de résident de longue durée dans un premier État membre, ne dispose pas d’un droit de séjour dans l’État membre sur le territoire duquel il se rend en méconnaissance d’une interdiction d’entrée prononcée à son égard pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique ;

    ce ressortissant conserve la faculté de faire valoir les droits qu’il tire de son permis de séjour de résident de longue durée en se rendant ultérieurement sur le territoire du premier État membre.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Directive du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 (JO 2011, L 132, p. 1) (ci-après la « directive 2003/109 »).

    ( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

    ( 4 ) La présente affaire s’inscrit dans la lignée de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 16 janvier 2018, E (C‑240/17, EU:C:2018:8), dont les faits sont proches puisque le ressortissant d’un pays tiers concerné était titulaire d’un titre de séjour délivré en Espagne en cours de validité au moment où les autorités finlandaises avaient prononcé à son égard une décision de retour vers son pays d’origine, assortie d’une interdiction d’entrée dans l’espace Schengen.

    ( 5 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, présentée le 27 avril 2022, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée [COM(2022) 650 final].

    ( 6 ) La Commission souligne notamment que la refonte de la directive 2003/109 « devrait tenir compte des normes et procédures communes applicables dans les États membres pour procéder au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, instaurées par la [directive 2008/115] » (considérant 21), proposant ainsi de se référer expressément à cette dernière directive, ce qui permettrait de mieux distinguer le champ d’application de chacun de ces deux textes.

    ( 7 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1). Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1).

    ( 8 ) En application de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2008/115, les autorités estoniennes étaient tenues de consulter les autorités finlandaises afin de prendre en compte leurs intérêts avant de délivrer le statut en cause.

    ( 9 ) Dans l’arrêt du 16 janvier 2018, E (C‑240/17, EU:C:2018:8, point 46), la Cour a jugé que, dans une situation dans laquelle un ressortissant d’un pays tiers, titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre, est en séjour irrégulier sur le territoire d’un autre État membre, il y a lieu de lui permettre de partir pour l’État membre qui lui a délivré le titre de séjour plutôt que de l’obliger d’emblée à retourner dans son pays d’origine, à moins, notamment, que l’ordre public ou la sécurité nationale ne l’exigent.

    ( 10 ) Convention du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (JO 2000, L 239, p. 19).

    ( 11 ) Voir, également, arrêt du 16 janvier 2018, E (C‑240/17, EU:C:2018:8, point 58).

    ( 12 ) Si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115 énumère les motifs pour lesquels les États membres peuvent décider de soustraire un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier du champ d’application de cette directive, force est de constater que ne figure pas parmi ces motifs la possession d’un titre de séjour valable dans un autre État membre.

    ( 13 ) Voir note en bas de page 7 des présentes conclusions.

    ( 14 ) Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 48).

    ( 15 ) Voir article 3, points 3 et 4, de la directive 2008/115.

    ( 16 ) Voir arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, point 44 et jurisprudence citée).

    ( 17 ) Voir point 5.8 de ce manuel sur le retour, lequel figure en annexe de la recommandation (UE) 2017/2338 de la Commission, du 16 novembre 2017, établissant un « manuel sur le retour » commun devant être utilisé par les autorités compétentes des États membres lorsqu’elles exécutent des tâches liées au retour (JO 2017, L 339, p. 83). Ainsi que cela ressort du point 2 de cette recommandation, ce manuel constitue un outil de référence pour les autorités des États membres compétentes pour l’exécution de tâches liées au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

    ( 18 ) Voir, également, considérant 16 de la directive 2003/109.

    ( 19 ) Italique ajouté par mes soins. La version en langue française de cette disposition emploie l’expression « résident de pays tiers », alors qu’elle se réfère au « ressortissant d’un pays tiers » à l’article 22, paragraphe 1, de ladite directive. Les autres versions linguistiques utilisent une seule et même expression dans chacun de ces deux paragraphes, telles que la version en langues espagnole (« el nacional de un tercer país »), allemande (« Drittstaatsangehörige »), anglaise (« the third-country national »), italienne (« il cittadino di un paese terzo »), ou encore slovène (« državljan tretje države »).

    ( 20 ) La Commission a souligné, dans son rapport au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la [directive 2003/109], du 28 septembre 2011 [COM(2011) 585 final], que « la directive [2008/115] a eu une incidence sur l’article 22, paragraphes 2 et 3, étant donné que, conformément à l’article 6 de cette directive, les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable délivré par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. Les États membres ne peuvent prendre une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers qu’en cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant » (point 3.9).

    ( 21 ) Ce dernier profite de la protection attachée au statut de résident de longue durée, prévue à l’article 12 de la directive 2003/109.

    ( 22 ) Italique ajouté par mes soins.

    ( 23 ) Voir mes conclusions dans les affaires jointes Stadt Frankfurt am Main et Stadt Offenbach am Main (Renouvellement d’un permis de séjour dans le deuxième État membre) (C‑829/21 et C‑129/22, EU:C:2023:244, points 40 et 41), ainsi que arrêt du 29 juin 2023, Stadt Frankfurt am Main et Stadt Offenbach am Main (Renouvellement d’un permis de séjour dans le deuxième État membre) (C‑829/21 et C‑129/22, EU:C:2023:525, point 57 et jurisprudence citée).

    ( 24 ) Voir arrêt du 9 février 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid e.a. (Retrait du droit de séjour d’un travailleur turc) (C‑402/21, EU:C:2023:77, point 71 et jurisprudence citée).

    ( 25 ) Voir considérant 18 de cette directive.

    ( 26 ) Voir article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109.

    ( 27 ) Voir mes conclusions dans les affaires jointes Stadt Frankfurt am Main et Stadt Offenbach am Main (Renouvellement d’un permis de séjour dans le deuxième État membre) (C‑829/21 et C‑129/22, EU:C:2023:244, points 40 et 41), ainsi que arrêt du 29 juin 2023, Stadt Frankfurt am Main et Stadt Offenbach am Main (Renouvellement d’un permis de séjour dans le deuxième État membre) (C‑829/21 et C‑129/22, EU:C:2023:525, point 57 et jurisprudence citée).

    ( 28 ) Ainsi que le souligne le législateur de l’Union au considérant 21 de la directive 2003/109, l’État membre dans lequel le résident de longue durée entend exercer son droit de séjour doit pouvoir vérifier que la personne concernée remplit les conditions prévues pour séjourner sur son territoire et qu’elle ne représente pas une menace actuelle pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou la santé publique.

    ( 29 ) Voir rapport cité à la note en bas de page 20 des présentes conclusions, point 3.9.

    ( 30 ) Il ressort du considérant 22 de la directive 2003/109 que c’est dans le but de garantir l’effectivité de ce droit de séjour dérivé que le législateur de l’Union demande au deuxième État membre de garantir au résident de longue durée le même traitement que celui qui lui est accordé dans le premier État membre. Voir, également, arrêt du 4 juin 2015, P et S (C‑579/13, EU:C:2015:369, point 46 et jurisprudence citée).

    ( 31 ) Voir, à cet égard, arrêt du 16 janvier 2018, E (C‑240/17, EU:C:2018:8, point 45), et ordonnance du 26 avril 2023, Migrationsverket (C‑629/22, EU:C:2023:365, points 20, 22 et 33, ainsi que jurisprudence citée).

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