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Document 62022CC0281

Conclusions de l'avocat général Mme T. Ćapeta, présentées le 22 juin 2023.
Procédure pénale contre G. K. e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Wien.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Parquet européen – Règlement (UE) 2017/1939 – Article 31 – Enquêtes transfrontières – Autorisation judiciaire – Étendue du contrôle – Article 32 – Exécution des mesures déléguées.
Affaire C-281/22.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:510

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 22 juin 2023 ( 1 )

Affaire C‑281/22

G. K.,

B. O. D. GmbH,

S. L.

en présence de

Österreichischer Delegierter Europäischer Staatsanwalt

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Parquet européen – Règlement (UE) 2017/1939 – Enquêtes transfrontières – Mesures d’enquête déléguées à un procureur délégué assistant – Autorisation judiciaire préalable – Contrôle juridictionnel effectif – Principe de reconnaissance mutuelle – Droits fondamentaux »

1.

Le Parquet européen, investi du pouvoir de rechercher et de poursuivre les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, a débuté ses opérations le 1er juin 2021. Dans la présente affaire, la Cour est, pour la première fois, invitée à interpréter l’acte législatif créant ce parquet et fixant les règles relatives à son fonctionnement, c’est-à-dire le règlement (UE) 2017/1939 ( 2 ).

2.

Les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union mettent souvent en scène des acteurs établis dans différents États membres. Par conséquent, pour s’acquitter de sa mission, le Parquet européen doit pouvoir mener des enquêtes transfrontières. Interviennent dans le cadre de telles enquêtes le procureur européen délégué chargé de l’affaire (ci-après le « procureur chargé de l’affaire ») ( 3 ), qui mène l’enquête dans un État membre, et un procureur européen délégué assistant (ci-après le « procureur assistant ») ( 4 ), à qui est confiée l’exécution de la mesure d’enquête dans un autre État membre. Dans le cas d’espèce, la Cour est appelée à préciser certaines dispositions du règlement concernant le Parquet européen qui ont trait à ces enquêtes transfrontières.

3.

Les trois questions posées par la juridiction de renvoi peuvent être examinées ensemble. Cette juridiction demande en substance de déterminer la ou les juridictions nationales auxquelles il incombe d’autoriser une mesure d’enquête à exécuter dans un État membre autre que celui dans lequel l’enquête principale du Parquet européen a lieu. Si c’est au juge de l’État du procureur assistant qu’il incombe de prononcer l’autorisation, quelle devrait être l’étendue de ce contrôle juridictionnel, et une éventuelle autorisation judiciaire prononcée antérieurement dans un autre État membre a-t-elle une incidence dans ce cadre ?

4.

Cette question est loin d’être simple. Les parties au litige proposent deux interprétations incompatibles des articles 31 et 32 du règlement concernant le Parquet européen. Comme je le démontrerai, ces deux solutions contradictoires sont fondées sur les méthodes d’interprétation ordinaires appliquées par la Cour, reposant sur l’interprétation des termes, du contexte, des objectifs et de la genèse ( 5 ) du règlement concernant le Parquet européen. Aucune des solutions proposées n’est pleinement justifiée au regard de chacune de ces techniques d’interprétation. La Cour devra néanmoins opter pour l’une d’elles.

I. Les faits à l’origine du litige au principal, le droit applicable et les questions préjudicielles

5.

Le Parquet européen mène, par l’intermédiaire de son procureur européen délégué affecté en République fédérale d’Allemagne (à Munich), des enquêtes préliminaires visant G.K., S.L. et B.O.D. GmbH (ci-après les « personnes poursuivies »). Ces personnes sont soupçonnées d’avoir dressé de fausses déclarations afin d’éluder les règles douanières lors de l’importation de biodiesel (originaire des États-Unis d’Amérique) dans l’Union, entraînant une perte de recettes d’environ 1295000 euros. Cette perte alléguée porte atteinte à un intérêt financier de l’Union et elle relève dès lors de la compétence du Parquet européen ( 6 ).

6.

Si l’enquête principale se déroule certes en Allemagne, le Parquet européen a jugé nécessaire de recueillir des éléments de preuve dans d’autres États membres. Il a ainsi jugé nécessaire d’entreprendre une enquête transfrontière dans d’autres États membres, dont la République d’Autriche. Plus précisément, le procureur chargé de l’affaire a délégué la perquisition et la saisie de biens situés en Autriche appartenant aux personnes poursuivies.

7.

En droit autrichien, une mesure d’enquête de cet ordre requiert une autorisation judiciaire préalable. Le procureur assistant a dès lors demandé et obtenu des ordonnances afin de perquisitionner les domiciles et locaux commerciaux des personnes poursuivies pour y saisir des documents et du matériel informatique susceptibles de constituer des preuves à charge.

8.

Comme cela a été expliqué lors de l’audience, aucun contrôle juridictionnel préalable des mesures de perquisition et de saisie requises n’avait été demandé aux juridictions allemandes ni aucune autorisation accordée, alors même que ce contrôle serait requis dans une situation interne comparable. C’est là la conséquence de la manière dont la République fédérale d’Allemagne a transposé l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen. En application de cette transposition, une autorisation judiciaire n’est pas requise en cas d’enquêtes transfrontières si la mesure d’enquête doit être exécutée dans un État membre dont le droit impose également une autorisation judiciaire préalable ( 7 ). Dans ce cas, la juridiction de cet autre État membre est compétente pour autoriser la mesure d’enquête. Partant, le procureur chargé de l’affaire n’a pas demandé d’autorisation judiciaire en Allemagne.

9.

Le 1er décembre 2021, les personnes poursuivies ont saisi la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), de recours à l’encontre des mandats de perquisition approuvés par quatre juridictions autrichiennes. Elles font valoir que les mesures de perquisition et de saisie autorisées n’étaient ni nécessaires ni proportionnées.

10.

La juridiction de renvoi précise que, au cours de la procédure au principal, le procureur assistant autrichien a soutenu que le règlement concernant le Parquet européen avait institué un cadre juridique d’un nouveau genre en matière de mesures d’enquêtes transfrontières, selon lequel la justification de celles-ci ne doit être examinée que dans l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Le juge de l’État du procureur assistant ne saurait apprécier la validité au fond de la mesure d’enquête. Il ne peut que vérifier si la mesure répond aux conditions de forme et de procédure requises pour son exécution. Il y a donc lieu, selon le procureur assistant, de rejeter les recours.

11.

La juridiction de renvoi doit dès lors trancher le point de savoir si les juridictions de l’État membre du procureur assistant sont habilitées à procéder à un contrôle complet comme elles le feraient dans une situation purement interne ou si, lorsqu’il s’agit d’enquêtes transfrontières du Parquet européen, leur contrôle doit se limiter aux seules questions de nature procédurale relatives à la mise en œuvre de ces mesures d’enquête. Elle considère que la réponse à cette question est fonction de l’interprétation des articles 31 et 32 du règlement concernant le Parquet européen.

12.

L’article 31, paragraphes 1 à 3, du règlement concernant le Parquet européen, intitulé « Enquêtes transfrontières », énonce :

« 1.   Les procureurs européens délégués agissent en étroite coopération, en se prêtant mutuellement assistance et en se consultant régulièrement dans le cadre des affaires transfrontières. Lorsqu’une mesure doit être prise dans un État membre autre que l’État membre du [procureur chargé de l’affaire], ce dernier se prononce sur l’adoption de la mesure nécessaire et délègue celle-ci à un procureur européen délégué situé dans l’État membre dans lequel la mesure doit être exécutée.

2.   Le [procureur chargé de l’affaire] peut déléguer toutes les mesures auxquelles il peut avoir recours conformément à l’article 30 [du règlement concernant le Parquet européen]. La justification et l’adoption de ces mesures sont régies par le droit de l’État membre du [procureur chargé de l’affaire]. Lorsque le [procureur chargé de l’affaire] délègue une mesure d’enquête à un ou plusieurs procureurs européens délégués d’un autre État membre, il en informe dans le même temps le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire dont il dépend.

3.   Si la mesure requiert une autorisation judiciaire en vertu du droit de l’État membre du [procureur assistant], ce dernier se charge de l’obtention de cette autorisation conformément au droit de cet État membre.

Si l’autorisation judiciaire relative à la mesure déléguée est refusée, le [procureur chargé de l’affaire] retire la délégation.

Toutefois, lorsque le droit de l’État membre du [procureur assistant] n’exige pas une telle autorisation judiciaire, mais que celle-ci est néanmoins requise par le droit de l’État membre du [procureur chargé de l’affaire], l’autorisation est obtenue par le [procureur chargé de l’affaire] et présentée en même temps que la délégation. »

13.

L’article 32 du règlement concernant le Parquet européen, intitulé « Exécution des mesures déléguées », énonce :

« Les mesures déléguées sont mises en œuvre conformément au présent règlement et au droit de l’État membre du [procureur assistant]. Les formalités et procédures expressément indiquées par le [procureur chargé de l’affaire] sont respectées à moins qu’elles ne soient contraires aux principes fondamentaux du droit de l’État membre du [procureur assistant]. »

14.

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union, en particulier l’article 31, paragraphe 3, premier alinéa, et l’article 32 du [règlement concernant le Parquet européen], doit-il être interprété en ce sens que lorsque, dans des enquêtes transfrontalières, une mesure à exécuter dans l’État membre du [procureur assistant] requiert une autorisation judiciaire, il y a lieu d’examiner tous les éléments de fond, à savoir si les faits sont passibles de sanctions pénales, si des soupçons d’infraction existent, si la mesure est nécessaire et proportionnée ?

2)

L’examen doit-il tenir compte du fait que l’admissibilité de la mesure a déjà été contrôlée par un juge dans l’État membre du [procureur chargé de l’affaire], au regard du droit de cet État membre ?

3)

Si la première question appelle une réponse négative ou si la deuxième question appelle une réponse affirmative, quelle étendue doit avoir l’examen du juge dans l’État membre du [procureur assistant] ? »

15.

Les parties au principal, les gouvernements autrichien, allemand, français, néerlandais et roumain, le Parquet européen et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Une audience s’est tenue le 27 février 2023, lors de laquelle toutes ces parties, à l’exception du gouvernement français, ont été entendues dans leurs plaidoiries.

II. Analyse

16.

Pour aider la Cour à répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, je procéderai comme suit. Je commencerai par présenter brièvement le Parquet européen et les étapes qui ont marqué sa création et qui ont (vraisemblablement) eu une incidence sur les choix opérés dans la version finale du règlement concernant le Parquet européen (section A). Je présenterai ensuite les deux interprétations proposées à la Cour par les parties au principal ainsi que les arguments qu’elles avancent (section B). Dans la dernière partie, j’indiquerai à la Cour l’interprétation que je choisirais, compte tenu des avantages et des inconvénients des deux solutions. J’examinerai également à cet égard la question de la protection des droits fondamentaux dans le cadre de l’accomplissement des missions du Parquet européen (section C).

A.   Brève introduction au Parquet européen et à la genèse des règles relatives aux enquêtes transfrontières

17.

La création du Parquet européen est une véritable nouveauté et un succès important dans le processus d’intégration de l’Union. Il s’agit d’un organe unique et, en dépit de son organisation décentralisée ( 8 ), indivisible de l’Union ( 9 ), investi du pouvoir d’enquêter sur les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de celui de les poursuivre ( 10 ).

18.

Le Parquet européen est institué en vertu de l’article 86 TFUE, qui a été introduit par le traité de Lisbonne. Les faits susceptibles d’être qualifiés de « préjudiciables aux intérêts financiers de l’Union » et à l’égard desquels le Parquet européen est compétent sont énoncés dans la directive PIF. C’est toutefois toujours aux États membres qu’il appartient d’ériger ces faits en infractions pénales et de définir les éléments constitutifs de ces infractions dans leur droit national.

19.

En outre, le règlement concernant le Parquet européen ne régit que partiellement les procédures du Parquet européen. Pour tous les cas qui ne sont pas régis par le droit de l’Union, ce règlement se borne à déterminer le droit national applicable ( 11 ).

20.

Partant, si le Parquet européen est certes un organe unique et indivisible, il reste qu’il opère sans règles communes de droit pénal ou de procédure pénale. Ces questions sont largement tributaires des droits des États membres, qui sont susceptibles de diverger quant aux solutions retenues. Tant l’indivisibilité du Parquet européen, d’une part, que sa dépendance à l’égard des droits nationaux, d’autre part, sont des facteurs importants dont il y a lieu de tenir compte lors de l’interprétation du règlement concernant le Parquet européen.

21.

Le chemin menant à la création du Parquet européen n’a été ni facile ni rapide. Après des années de préparation ( 12 ), la proposition initiale présentée au cours de l’année 2013 ( 13 ) n’ayant pas pu faire l’objet d’un accord unanime, le Parquet européen a finalement été créé en application du mécanisme de coopération renforcée au titre de l’article 20, paragraphe 2, TUE et de l’article 329, paragraphe 1, TFUE. Le nouveau projet n’était toutefois pas acceptable pour tous les États membres et, par conséquent, tous n’y participent pas ( 14 ).

22.

Les négociations ayant abouti à l’adoption du règlement concernant le Parquet européen ont été particulièrement compliquées en ce qui concerne les mesures d’enquête transfrontière ( 15 ).

23.

Dans la proposition de 2013, l’article 26 énumérait 21 mesures d’enquête distinctes. Pour dix d’entre elles, dont la perquisition de locaux qui nous occupe en l’espèce, il aurait fallu obtenir une autorisation de l’autorité judiciaire compétente de l’État membre sur le territoire duquel ces mesures d’enquête doivent être exécutées ( 16 ).

24.

En réponse à la proposition susmentionnée, quatorze parlements nationaux ont adressé à la Commission des avis motivés, enclenchant ainsi le mécanisme de contrôle de la subsidiarité au titre de l’article 7, paragraphe 2, du protocole no 2 ( 17 ). Dans leurs avis motivés, certains parlements nationaux ont indiqué craindre que l’énumération des mesures d’enquête affaiblisse les normes sur le plan de la procédure et que, dès lors que certaines mesures d’enquête n’existent pas dans le droit national de certains États membres, le niveau requis de protection des droits fondamentaux ne soit pas garanti ( 18 ).

25.

Finalement, la proposition de 2013 a été rejetée ( 19 ) et plusieurs contre‑propositions ont été présentées. La proposition présentée conjointement par les délégations autrichienne et allemande est particulièrement intéressante en l’espèce ( 20 ).

26.

La délégation allemande a formulé les observations écrites suivantes ( 21 ) : « Le projet d’article 26 bis ne convainc pas en l’état et il y a lieu de le modifier davantage pour qu’il soit acceptable. Il nous faudra un système opérationnel et efficace qui fonctionnera au moins aussi bien que la coopération transfrontière fondée sur l’entraide judiciaire internationale et les procédures de reconnaissance mutuelle. Comme indiqué par le passé, nous considérons qu’il convient d’établir un système basé sur la notion de [“]reconnaissance mutuelle[”] (la décision d’enquête européenne) et d’apporter des aménagements lorsqu’ils s’avèrent nécessaires pour répondre à l’idée du “parquet unique” ».

27.

La proposition conjointe des gouvernements autrichien et allemand reprenait donc les solutions de reconnaissance mutuelle de la directive 2014/41/UE ( 22 ) : « Lorsqu’une mesure doit être prise dans un État membre autre que celui du procureur chargé de l’affaire, ce dernier prononce la mesure conformément au droit de son État membre et, si nécessaire, demande qu’elle bénéficie d’une autorisation judiciaire, ou demande à une juridiction d’ordonner la mesure » ( 23 ).

28.

La proposition conjointe susmentionnée n’a pas été retenue non plus dans la version finale du règlement concernant le Parquet européen.

29.

Le résultat des négociations législatives, retranscrit dans ce qui est l’actuel article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen, a précisément donné lieu aux problèmes que la délégation allemande annonçait dans le cadre des propositions antérieures ( 24 ). Cette disposition ne précise pas clairement quel est l’État membre dont le droit détermine s’il faut une autorisation judiciaire préalable pour exécuter une mesure, ni quelle juridiction est compétente pour accorder cette autorisation. Le cas d’espèce est dès lors l’illustration parfaite de ces problèmes.

30.

Cela étant, toutes les délégations se sont entendues sur un point au cours de la procédure législative : eu égard à l’indivisibilité du Parquet européen en tant qu’organe, le règlement concernant le Parquet européen devrait apporter des réponses plus simples que celles de la directive concernant la décision d’enquête européenne, qui était, elle aussi, au moment de son adoption, un nouvel instrument de coopération en matière pénale ( 25 ).

B.   Les interprétations qui se présentent

31.

Le règlement concernant le Parquet européen est muet quant à la nécessité d’obtenir une autorisation judiciaire préalable pour les mesures d’enquête transfrontière, laissant cette question aux droits pénaux des États membres. La situation qui pose particulièrement problème est celle dans laquelle tant le droit national de l’État membre du procureur chargé de l’affaire que celui de l’État membre du procureur assistant requièrent une autorisation judiciaire préalable. À son considérant 72, le règlement concernant le Parquet européen indique qu’il convient de préciser clairement dans quel État membre l’autorisation devrait être obtenue et, en tout état de cause, qu’il ne devrait y avoir qu’une seule autorisation. Cet engagement a-t-il été traduit dans l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen et, le cas échéant, de quelle manière ?

32.

Les parties au litige ont proposé deux voies possibles pour interpréter la disposition susmentionnée.

33.

Avant d’introduire et d’analyser leurs thèses, je ne peux m’empêcher de répéter un point de vue que j’ai déjà exprimé dans un autre contexte ( 26 ). Selon moi, il n’y a pas d’interprétation littérale en tant que telle, dans la mesure où les mots s’inscrivent toujours dans un contexte. Il est évident que les juges doivent tenir compte des termes figurant dans les règles de droit, le droit étant principalement formulé en mots. Ils guident et en même temps encadrent les juges ( 27 ). Toutefois, leur signification, y compris dans les actes juridiques, est fonction du contexte dans lequel ils sont employés. Il est dès lors difficile, voire impossible, de distinguer l’interprétation littérale de l’interprétation contextuelle.

34.

S’agissant de l’interprétation contextuelle, la Cour entend cette méthode de différentes manières. Le plus souvent, la Cour s’appuie sur les dispositions parmi lesquelles s’inscrit celle qu’il y a lieu d’interpréter, ou sur l’acte dans son ensemble ( 28 ). La Cour a toutefois aussi considéré que la genèse était un élément important du contexte dans le cadre de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union primaire ( 29 ) et dérivé ( 30 ). Enfin, la réalité sociale est également parfois considérée comme étant pertinente pour interpréter les règles de droit ( 31 ). Le choix du contexte pertinent et la manière dont ce contexte est interprété ont une incidence sur l’interprétation du libellé d’une disposition donnée. C’est ce qui ressort clairement des arguments avancés par les parties au principal.

1. Première option : le contrôle complet dans l’État membre du procureur assistant

35.

Les gouvernements autrichien et allemand font valoir que, si le droit national du procureur assistant requiert une autorisation judiciaire préalable aux fins de l’exécution d’une mesure d’enquête, cette autorisation doit procéder d’un contrôle complet. Ce contrôle porte non seulement sur les éléments de procédure (l’exécution de la mesure), mais également sur les éléments de fond qui justifient la mesure au premier chef. Il appartient dès lors au juge de l’État membre du procureur assistant d’examiner s’il y a suffisamment d’indices démontrant qu’une infraction pénale a été perpétrée, si la mesure d’enquête demandée permet d’apporter les éléments de preuve nécessaires aux poursuites, et si les mêmes preuves ne peuvent pas être obtenues par la voie d’une mesure moins intrusive.

36.

Les gouvernements autrichien et allemand se fondent en grande partie sur le libellé de l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen, qui est clair selon eux. Ces deux gouvernements insistent sur le fait que le libellé d’une règle de droit est le paramètre d’interprétation le plus important. Si le libellé est clair, le juge ne saurait s’en écarter.

37.

Selon les gouvernements autrichien et allemand, il y a des limites à l’interprétation créatrice de la Cour. En retenant une interprétation autre que celle qui découle clairement du libellé de la version actuelle de l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen, l’on franchirait les limites d’une interprétation judiciaire acceptable. Le principe de sécurité juridique serait également méconnu. Pour reprendre les termes de l’agent du gouvernement allemand, la Cour n’est pas un atelier de réparation de produits défectueux. Au contraire, il y a lieu de renvoyer le produit défectueux au fabricant, c’est-à-dire, en l’espèce, au législateur, afin qu’il l’améliore.

2. Seconde option : une répartition nette des tâches dans le cadre de l’autorisation judiciaire

38.

Le Parquet européen, les gouvernements français, néerlandais et roumain ainsi que la Commission font valoir que, contrairement à la première option, si le droit de l’État membre du procureur assistant requiert que la mesure d’enquête fasse l’objet d’une autorisation judiciaire, cette autorisation ne peut procéder que d’un contrôle des éléments de forme et de procédure afférents à l’exécution de la mesure. En conséquence, le règlement concernant le Parquet européen établit une répartition claire des tâches entre les juridictions de l’État membre du procureur chargé de l’affaire d’une part et de celui du procureur assistant d’autre part. C’est évident si l’article 31, paragraphe 3, de ce règlement est interprété au regard de cet article 31considéré dans son ensemble.

39.

Si tant le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire que celui de l’État membre du procureur assistant requièrent une autorisation judiciaire, deux autorisations doivent être émises. Le juge de l’État membre du procureur chargé de l’affaire autorisera la mesure s’il la considère justifiée, tandis que le juge de l’État membre du procureur assistant autorisera les modalités procédurales de l’exécution de celle-ci.

40.

Le juge de l’État membre du procureur assistant n’est habilité à contrôler que les éléments de procédure afférents à l’exécution de la mesure, même au cas où le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire ne requiert pas d’autorisation judiciaire préalable dans une situation interne comparable. C’est ainsi que serait respecté le choix opéré dans le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire, qui régit la justification de la mesure conformément à l’article 31, paragraphe 2, du règlement concernant le Parquet européen de ne pas requérir d’autorisation judiciaire préalable portant sur la justification de la mesure.

C.   Réponse aux questions posées par la juridiction de renvoi

1. Comparaison des deux interprétations

41.

Les deux solutions proposées aboutissent à des résultats différents qui s’excluent mutuellement. Je considère que les argumentations avancées à l’appui de chacune de ces solutions, lorsqu’on les examine au regard des grilles d’interprétation retenues, permettent d’arriver à deux interprétations du règlement concernant le Parquet européen qui sont tout aussi valables. En même temps, chacune d’elles comporte certains inconvénients et incohérences. Je les analyse aux points suivants des présentes conclusions au regard de chacune des techniques d’interprétation sur lesquelles elles reposent.

a) Sur le libellé

42.

Selon le gouvernement autrichien, dont les arguments sont repris par le gouvernement allemand, l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen est clair. Son paragraphe 2 prévoit que la justification et l’adoption d’une mesure d’enquête sont régies par le droit national de l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Toutefois, son paragraphe 3 modifie ensuite le droit applicable au cas où le droit de l’État membre du procureur assistant requiert une autorisation judiciaire. Dans ce cas, l’article 31, paragraphe 3, première phrase, de ce règlement indique clairement que le droit de l’État membre du procureur assistant régit les compétences et les obligations du juge qui émet l’autorisation.

43.

La seule exception est énoncée à l’article 31, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement concernant le Parquet européen, qui s’applique lorsque le droit de l’État membre du procureur assistant n’exige pas d’autorisation, mais que celle-ci est néanmoins requise par le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Ce n’est que dans ce cas que l’autorisation judiciaire est régie par le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Il ressort également de l’emploi du terme « toutefois » au début de cette phrase que ce cas de figure est une exception au principe clair selon lequel c’est le droit de l’État membre du procureur assistant qui s’applique ( 32 ).

44.

Inversement, selon les partisans de la seconde solution, l’article 31, paragraphe 3, première phrase, du règlement concernant le Parquet européen règle clairement la question du juge auquel il incombe d’accorder une autorisation judiciaire et à l’égard de quoi, et ce dans deux cas de figure : lorsque tant le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire que celui de l’État membre du procureur assistant requièrent une autorisation judiciaire, et lorsque le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire n’exige pas d’autorisation, mais que celle‑ci est néanmoins requise par le droit de l’État membre du procureur assistant. Dans ces deux cas, le juge de l’État membre du procureur assistant ne peut contrôler que les éléments afférents à l’exécution de la mesure.

45.

L’article 31, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement concernant le Parquet européen régit le dernier cas de figure, celui dans lequel le droit de l’État membre du procureur assistant n’exige pas d’autorisation judiciaire, mais que celle‑ci est néanmoins requise par le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire. Dans ce cas de figure, le juge de l’État membre du procureur chargé de l’affaire devra émettre une autorisation qui portera à la fois sur la justification de la mesure et sur l’exécution de celle-ci.

46.

La Commission souligne également que l’article 32 du règlement concernant le Parquet européen précise expressément que l’exécution et les éléments de procédure afférents à la mesure demandée relèvent du droit de l’État membre du procureur assistant.

b) Sur le contexte

47.

Afin d’étayer son affirmation selon laquelle le libellé de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen est clair, le gouvernement allemand examine son contexte immédiat. Il fait valoir que l’article 31, paragraphe 3, troisième phrase, de ce règlement serait superflu si, suivant l’interprétation défendue par la Commission, c’était l’article 31, paragraphe 2, dudit règlement qui était la règle principale régissant la répartition des tâches en matière d’autorisations judiciaires. Si tel était le cas, il serait toujours clair que c’est le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire qui régit le point de savoir si une mesure d’enquête donnée doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire. Il serait dès lors absurde de répéter ce principe à l’article 31, paragraphe 3, troisième phrase, du même règlement. Cette disposition n’a de sens que si elle modifie le principe formulé à l’article 31, paragraphe 2, du règlement concernant le Parquet européen lorsque le droit de l’État membre du procureur assistant requiert également une autorisation judiciaire.

48.

Les gouvernements autrichien et allemand se fondent également tous deux sur le considérant 72 du règlement concernant le Parquet européen, estimant qu’il apporte des éléments de contexte pertinents pour l’interprétation. Selon eux, la seule conclusion que l’on peut tirer de l’insistance exprimée dans ce considérant en faveur d’une seule autorisation judiciaire, lu ensemble avec l’article 31, paragraphe 3, de ce règlement est que c’est le droit de l’État membre du procureur assistant qui détermine si une autorisation judiciaire est nécessaire et dans quel contexte. Il ne serait pas conforme au principe selon lequel il n’y a qu’une seule autorisation judiciaire que celle-ci soit segmentée en différentes tâches et qu’elle relève pour partie des juridictions de l’État membre du procureur chargé de l’affaire et pour partie des juridictions de l’État membre du procureur assistant.

49.

Selon la Commission, et c’est en substance ce que défendent également tous les partisans de la seconde solution, l’économie de l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen suit la chronologie d’une enquête. Il définit les différentes tâches incombant au procureur chargé de l’affaire et au procureur assistant, ainsi qu’aux juridictions nationales des États membres de ces derniers. L’article 31, paragraphe 1, de ce règlement énonce de manière générale la répartition des tâches entre les deux procureurs européens délégués.

50.

Selon la Commission, l’article 31, paragraphe 2, du règlement concernant le Parquet européen est capital. Il indique clairement que c’est le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire qui régit la justification et l’adoption d’une mesure d’enquête. Il s’ensuit également que si le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire requiert une autorisation judiciaire préalable, c’est au juge de cet État qu’il appartient d’apprécier si la mesure est justifiée et nécessaire dans le cadre de l’enquête en cause.

51.

La Commission relève également que l’article 31, paragraphe 2, du règlement concernant le Parquet européen est muet quant à l’exécution de la mesure susmentionnée. Cette question relève de l’article 32 de ce règlement, qui prévoit que c’est le droit de l’État membre du procureur assistant qui régit l’exécution.

52.

Selon la Commission, l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen, qui est la seule disposition traitant expressément de l’autorisation judiciaire, ne modifie pas le droit applicable en matière d’autorisation, ce qui va à l’encontre de l’argument avancé par les gouvernements autrichien et allemand. Au contraire, il y a lieu de la considérer comme étant subordonnée à l’article 31, paragraphe 2, de ce règlement. Le paragraphe 3 de cet article ne régit dès lors pas le contrôle de la justification de la mesure d’enquête, ces questions relevant de son paragraphe 2.

53.

L’article 31, paragraphe 3, première phrase, du règlement concernant le Parquet européen porte, selon la Commission, sur le cas pour lequel le droit de l’État membre du procureur assistant requiert une autorisation judiciaire. Si tel est le cas, le juge de cet État membre devra émettre l’autorisation avant l’exécution de la mesure. Toutefois, lorsqu’il se prononce à cet égard, ce juge ne doit s’intéresser qu’aux modalités d’exécution de la mesure d’enquête demandée, et non à sa justification.

54.

S’agissant de l’incidence du considérant 72 du règlement concernant le Parquet européen, la Commission admet que le vœu exprimé en faveur d’une seule autorisation judiciaire n’a pas été traduit de manière idéale dans l’article 31 de ce règlement. Cela étant, même si deux autorisations judiciaires sont nécessaires dans certains cas, compte tenu de la répartition nette des tâches, chaque question ne fait néanmoins l’objet que d’une autorisation. En la présentant de cette manière, les partisans de la seconde solution évitent la contradiction existant entre l’article 31, paragraphe 3, dudit règlement tel qu’ils l’interprètent et le considérant 72 du même règlement ( 33 ).

c) Sur les objectifs

55.

S’agissant à présent des objectifs poursuivis par le règlement concernant le Parquet européen, tant le gouvernement autrichien que le gouvernement allemand reconnaissent qu’un contrôle complet dans l’État membre du procureur assistant est susceptible de donner lieu à des complications. Pour être en mesure de se prononcer sur le caractère justifié ou non de la mesure demandée, le juge de l’État membre du procureur assistant devrait pouvoir prendre connaissance de l’intégralité du dossier. Dès lors que l’enquête principale est menée dans un autre État membre et a pour objectif d’ouvrir un procès devant la juridiction de cet État membre si suffisamment de preuves sont réunies, il se peut que le dossier soit rédigé dans une langue différente. Sa traduction, qui peut s’avérer nécessaire pour permettre au juge de l’État membre du procureur assistant de se prononcer sur les questions de fond relatives à la légalité de la mesure d’enquête, prendra, à tout le moins, du temps ( 34 ). Il en résulterait effectivement que les enquêtes transfrontières du Parquet européen seraient plus compliquées que celles menées au titre de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

56.

Une telle issue, admettent les deux gouvernements susmentionnés, n’est pas conforme à l’objectif du règlement concernant le Parquet européen d’établir un cadre permettant de lutter encore plus aisément contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que le cadre précédent. Ils ont souligné que, malheureusement, leur proposition n’a pas été retenue lors des négociations législatives.

57.

Les partisans de la seconde solution soulignent qu’il fallait créer le Parquet européen afin que les enquêtes sur les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et les poursuites de celles-ci soient plus efficaces que si un seul État membre exerçait les poursuites. Le Parquet européen, en tant que parquet unique, devrait donc disposer des outils nécessaires pour réaliser l’objectif de lutter efficacement contre les infractions pénales portant atteinte au budget de l’Union. C’est dès lors l’efficacité qui devrait servir de ligne directrice lors de l’interprétation de l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen. En tout état de cause, l’interprétation ne saurait avoir pour conséquence que les enquêtes transfrontières menées par le Parquet européen soient soumises à des conditions plus contraignantes que celles prévues par la directive concernant la décision d’enquête européenne.

58.

Le Parquet européen et la Commission poursuivent leur examen relatif à l’efficacité en relevant les difficultés que posent, sur le plan logistique, le transfert et la traduction d’un grand nombre de documents afférents au dossier en cause ( 35 ). Cet élément renforce l’argument avancé en faveur de l’interprétation selon laquelle c’est uniquement dans l’État membre du procureur chargé de l’affaire que doit être examinée la justification de la mesure. Il serait en outre logique que la justification de la mesure d’enquête relève du droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire, les juridictions de cet État membre étant en possession de tous les éléments nécessaires pour procéder à un contrôle complet. Somme toute, l’enquête est menée depuis ledit État membre et il est très probable que le procès ait lieu devant les juridictions de celui-ci ( 36 ).

59.

Enfin, le Parquet européen relève également les difficultés qui se poseraient au cas où les juges d’États membres différents dans lesquels sont menées des enquêtes transfrontières parvenaient à des décisions contradictoires quant à la justification de la mesure. L’interprétation proposée, d’après laquelle c’est toujours du droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire que relève la justification de la mesure, permet d’éviter des décisions contradictoires même lorsque de nombreux États membres interviennent dans la recherche des éléments de preuve dans un cas donné.

d) Sur la genèse

60.

Tant le gouvernement autrichien que le gouvernement allemand soulignent la nécessité de tenir compte de la genèse de l’article 31 du règlement concernant le Parquet européen. Selon le gouvernement autrichien, il ressort clairement de cette genèse que la majorité des États membres étaient conscients des problèmes qui se poseraient du fait des contradictions existant entre les deuxième et troisième paragraphes de l’article 31 de ce règlement. La proposition conjointe des gouvernements autrichien et allemand visant à résoudre le problème en se fondant sur le modèle de la reconnaissance mutuelle n’a toutefois pas été retenue dans la version finale dudit règlement. Partant, il est clair que l’article 31, paragraphe 3, du même règlement ne requiert pas, comme l’affirment les partisans de la seconde solution, du juge de l’État membre du procureur assistant qu’il reconnaisse la décision adoptée par le procureur chargé de l’affaire selon laquelle une mesure d’enquête dans l’État membre du procureur assistant est nécessaire. Au contraire, cette disposition requiert du juge de l’État dans lequel la mesure doit être exécutée de vérifier la régularité de celle-ci, y compris sa justification.

61.

Lors de l’audience, la Commission est revenue sur certains points nébuleux relatifs à la genèse du règlement concernant le Parquet européen et elle a précisé la thèse qu’elle défend à présent. Pour mémoire, sa proposition de 2013 prévoyait que c’était au juge de l’État membre du procureur assistant qu’il appartenait de procéder à un contrôle juridictionnel complet des mesures telles qu’une perquisition et une saisie. En l’espèce, la Commission défend à présent une thèse différente.

62.

Pour justifier sa position actuelle, la Commission indique que la proposition de 2013 a été élaborée avant l’entrée en vigueur de la directive concernant la décision d’enquête européenne. Cette directive prévoit que la justification d’une mesure d’enquête transfrontière relève de l’État membre d’émission et ne peut être contestée que devant les juridictions de cet État membre ( 37 ). Cette solution s’est avérée efficace dans le cadre de cet instrument de reconnaissance mutuelle. La Commission s’est dès lors félicitée que les institutions législatives n’aient pas accepté sa proposition initiale selon laquelle une autorisation judiciaire devrait relever uniquement du droit de l’État membre du procureur assistant et qu’elles aient au contraire modifié sa proposition pour arriver à l’actuel article 31 du règlement concernant le Parquet européen. Sa proposition initiale a donc été considérablement améliorée grâce à la procédure législative et elle permet ainsi de mieux répondre aux impératifs de coopération dans le cadre des enquêtes transfrontières menées par le Parquet européen.

2. L’interprétation que je propose

63.

En somme, les deux solutions aboutissent à des résultats différents. Il reste qu’elles s’accordent sur un point : le système du Parquet européen a été conçu pour être un mécanisme efficace dans la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Le mécanisme des enquêtes transfrontières en fait partie. Le règlement concernant le Parquet européen met en œuvre cet objectif législatif ( 38 ).

64.

Un principe d’interprétation appliqué par la Cour veut que « lorsqu’une disposition de droit communautaire est susceptible de plusieurs interprétations, il faut donner la priorité à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile » ( 39 ). Ce principe d’interprétation plaide en faveur de la seconde solution.

65.

Toutefois, selon les gouvernements autrichien et allemand, même si elle est souhaitable d’un point de vue normatif, la seconde solution n’est pas une interprétation envisageable, dès lors que le libellé de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen est clair.

66.

En effet, lorsque les termes sont clairs, une intervention de la Cour leur conférant une signification différente pourrait être qualifiée d’« illégitime », ou, en d’autres termes, d’« interprétation contra legem ». Le libellé de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen est-il toutefois vraiment si clair ?

67.

Il ne fait aucun doute que les gouvernements autrichien et allemand considèrent que la véritable signification de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen est que c’est au juge de l’État membre du procureur assistant qu’il appartient d’autoriser préalablement, en procédant à un contrôle complet, une perquisition et une saisie à exécuter dans cet État membre. Il n’est pas étonnant que les gouvernements autrichien et allemand défendent cette interprétation devant la Cour, ces deux États membres ayant modifié leur législation afin qu’elle corresponde à cette interprétation du règlement concernant le Parquet européen ( 40 ). Toutefois, lorsqu’on la compare à l’interprétation rivale, tout aussi plausible, proposée par les partisans de la seconde solution, il est clair que la première solution n’est qu’une des interprétations possibles. En vertu des traités, c’est à la Cour qu’il appartient de trancher à cet égard. Si la Cour retient la seconde solution au lieu de la première, l’on ne saurait considérer qu’elle a procédé à une interprétation contra legem.

68.

Selon moi, l’argument le plus convaincant qu’avancent les gouvernements autrichien et allemand est que, dans la seconde interprétation, l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen devient superflu. De fait, si l’article 31, paragraphe 2, de ce règlement énonce que la justification de la mesure d’enquête est régie par le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire, et que l’article 32 dudit règlement énonce que l’exécution de la mesure est régie par le droit de l’État membre du procureur assistant, quelle est l’utilité de l’article 31, paragraphe 3, du même règlement ? Il ne fait que répéter la même démarcation entre les droits applicables pour ce qui est de la question de l’autorisation judiciaire préalable. En d’autres termes, en cas de suppression de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen nous parviendrions, en procédant à une lecture combinée des autres paragraphes de l’article 31 et de l’article 32, de ce règlement à la même conclusion que celle que les partisans de la seconde solution proposent comme étant la bonne interprétation de l’article 31, paragraphe 3, dudit règlement. La première option confère dès lors à l’article 31, paragraphe 3, du même règlement un certain sens, différent de celui des autres dispositions figurant dans le même article et dans les articles avoisinants.

69.

Selon un autre principe d’interprétation appliqué par la Cour, il ne saurait simplement être fait abstraction des termes figurant dans les règles de droit, auxquels il y a lieu, au contraire, de conférer un certain sens ( 41 ). Ce principe d’interprétation semble plaider en faveur de la première solution.

70.

Toutefois, selon moi, l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen peut revêtir une signification qui ne se réduit pas à celle de l’article 31, paragraphe 2, et de l’article 32 de ce règlement. C’est une disposition qui formule le choix du droit applicable spécifiquement pour les autorisations judiciaires d’une mesure déléguée, même si l’application de ces deux autres dispositions aboutirait au même résultat. Il se peut que le législateur ait estimé nécessaire de formuler séparément la règle relative au droit applicable aux autorisations judiciaires, du fait des difficultés que cette question précise a présentées lors des négociations législatives. Le caractère redondant de l’article 31, paragraphe 3, dudit règlement ne saurait dès lors plaider en défaveur de la seconde solution.

71.

Si l’on examine les conséquences du choix qu’opérera la Cour entre la première interprétation et la seconde, il est clair que le choix de la première rendra le mécanisme des enquêtes transfrontières du Parquet européen moins efficace que celui établi par la directive concernant la décision d’enquête européenne. Dès lors, si le législateur avait vraiment la volonté d’établir un système plus efficace, il faudrait, si c’est la première solution qui est retenue, modifier le règlement concernant le Parquet européen afin que les enquêtes transfrontières puissent être plus efficaces. En retenant la première solution, la Cour pourrait ainsi laisser entendre qu’elle invite le législateur de l’Union à réagir. Selon le gouvernement allemand, seule cette solution serait conforme au principe de sécurité juridique.

72.

Toutefois, si insécurité juridique il y a, c’est parce que plus d’une interprétation est possible. Une fois que la Cour aura précisé le sens de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen en choisissant la première ou la seconde solution, les doutes sur le plan juridique disparaîtront. Il ne me semble dès lors pas indispensable que le législateur intervienne afin de rétablir la sécurité juridique ( 42 ).

73.

Les éléments qui précèdent m’amènent à conclure que la Cour devrait retenir la seconde solution. Partant, l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen devrait être interprété en ce sens que le juge de l’État membre du procureur assistant ne peut examiner que les éléments afférents à l’exécution d’une mesure d’enquête, et qu’il doit accepter l’appréciation réalisée par le procureur chargé de l’affaire selon laquelle la mesure est justifiée, que cette appréciation soit ou non confirmée par une autorisation judiciaire préalable prononcée par le juge de l’État membre de ce dernier procureur. Cette interprétation ne va pas à l’encontre du libellé de l’article 31, paragraphe 3, de ce règlement et elle répond mieux à l’objectif dudit règlement qui est d’établir un mécanisme efficace dans la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

3. La protection des droits fondamentaux : « davantage » qu’une reconnaissance mutuelle ?

74.

Il ne fait aucun doute que des enquêtes transfrontières efficaces constituent un objectif important du règlement concernant le Parquet européen. Toutefois, l’efficacité ne saurait être obtenue au détriment de la protection des droits fondamentaux. Partant, la Cour ne peut retenir la seconde solution comme étant la bonne interprétation de l’article 31, paragraphe 3, de ce règlement que si celle‑ci garantit la protection des droits fondamentaux, comme le requiert la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

75.

Lorsque les gouvernements autrichien et allemand insistent pour que les juridictions de l’État membre du procureur assistant soient habilitées à procéder à un contrôle juridictionnel complet, l’on pourrait comprendre qu’ils s’inquiètent de la protection des droits fondamentaux. Les États membres de l’Union ont établi des systèmes cohérents en droit pénal. La protection des droits fondamentaux a été soigneusement intégrée dans leur législation en matière de poursuite et de répression des infractions pénales, domaine dans lequel ces États exercent leurs pouvoirs de coercition, touchant la vie privée et les libertés des justiciables.

76.

Les droits pénaux nationaux comportent dès lors des garanties des droits fondamentaux qui sont intégrées dans les règles de fond et de procédure en matière pénale. Ces règles sont interdépendantes et protègent les droits fondamentaux lorsqu’elles sont prises dans leur ensemble ( 43 ). Toutefois, lorsqu’une règle isolée est extraite d’un système et placée dans un autre, la protection des droits fondamentaux peut en être amoindrie : si la règle fonctionnait certes bien dans son cadre juridique d’origine, ce ne serait pas nécessairement le cas dans un autre ( 44 ).

77.

C’est la raison pour laquelle le recours à la reconnaissance mutuelle, qui emporte le transfert de certaines règles de droit seulement d’un ordre juridique à l’autre, suscite des inquiétudes quant au risque d’affaiblissement de la protection des droits fondamentaux ( 45 ). Toutefois, dès lors que, en l’état, le droit de l’Union ne comporte pas d’ensemble cohérent de règles régissant soit tous les éléments constitutifs des infractions pénales dont la poursuite relève de la compétence du Parquet européen, soit les éléments de procédure applicables aux poursuites engagées par le Parquet européen ( 46 ), le principe de la reconnaissance mutuelle constitue la meilleure solution de remplacement pour supprimer les obstacles aux enquêtes transfrontières.

78.

Il me faut dès lors examiner les arguments avancés par les partisans de la seconde solution selon lesquels, loin d’être un mécanisme de reconnaissance mutuelle, le Parquet européen est davantage. Je soutiendrais le contraire : tant qu’il n’y a pas de règles de droit pénal communes dans l’Union, le Parquet européen ne saurait fonctionner autrement que sur le fondement de la reconnaissance mutuelle. Toutefois, les niveaux de reconnaissance mutuelle diffèrent et le Parquet européen peut être considéré comme le mécanisme de reconnaissance mutuelle le plus développé dans le domaine de la coopération en matière pénale (sous-section a).

79.

La question qui en découle est donc celle de savoir si l’interprétation de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen proposée au point 73 des présentes conclusions, qui repose en partie sur la reconnaissance mutuelle, préserve les droits fondamentaux des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre d’enquêtes transfrontières. J’alléguerai que tel est effectivement le cas, surtout si l’on a égard au contexte plus large dans lequel s’inscrit le règlement concernant le Parquet européen (sous-section b).

a) Sur la nature de la reconnaissance mutuelle en matière pénale

80.

Les parties se sont exprimées quant à la reconnaissance mutuelle dans leurs observations écrites ainsi que lors de l’audience. Elles ont évoqué la directive concernant la décision d’enquête européenne en tant qu’exemple de mécanisme de reconnaissance mutuelle, tout en avançant que le règlement concernant le Parquet européen est davantage. Interrogées lors de l’audience sur ce qu’elles entendaient précisément par ce davantage, les parties ont principalement évoqué la nature du Parquet européen : il s’agit d’un organe unique et indivisible, dont les décisions ne devraient pas pouvoir faire l’objet d’un éventuel refus de reconnaissance (ce que permet la directive concernant la décision d’enquête européenne) ( 47 ).

81.

L’expression « reconnaissance mutuelle » a été employée pour décrire une situation dans laquelle une décision individuelle (par exemple un jugement, un mandat d’arrêt ou une décision d’enquête) émise dans un État membre est reconnue dans un autre État membre. Le système du Parquet européen ne requiert pas que la demande de mesure d’enquête soit reconnue par l’État membre du procureur assistant pour être mise en œuvre, ce qui est la démarche habituelle à laquelle il convient de procéder dans le cadre des instruments régissant les procédures transfrontières en matière pénale. L’argument est donc que le mécanisme du Parquet européen n’est pas un système de reconnaissance mutuelle, mais qu’il est davantage.

82.

De fait, le Parquet européen étant indivisible ( 48 ), ses procureurs décentralisés en font partie intégrante. Il serait étrange qu’un parquet indivisible soit invité à reconnaître ses propres décisions. Le procureur assistant se voit dès lors confier une mesure, au lieu de devoir reconnaître une décision d’enquête.

83.

Toutefois, l’acte de reconnaître un document (et ses effets juridiques) provenant d’un autre État membre n’est pas l’essence du principe de reconnaissance mutuelle, mais seulement sa manifestation. L’idée fondamentale du principe de reconnaissance mutuelle est que les règles de droit d’un État membre sont reconnues et mises en œuvre dans un autre État membre, même si elles diffèrent des solutions retenues dans ce second État membre. Une telle acceptation de l’« autre » système requiert un degré de confiance élevé dans cet autre système.

84.

Dès lors qu’il n’y a, à l’heure actuelle, aucune solution en droit de l’Union au problème qui se pose en l’espèce, le Parquet européen doit plutôt se fonder, dans chaque situation transfrontière, sur le droit d’un des États membres concernés, auquel l’autre État membre doit alors faire confiance.

85.

C’est l’application du principe de reconnaissance mutuelle dans le marché intérieur qui a inspiré son application en matière pénale ( 49 ). Pour mémoire, c’est dans l’arrêt Cassis de Dijon ( 50 ) que la Cour a développé la reconnaissance mutuelle en tant que principe fondamental du marché intérieur tel qu’il a été institué par les traités. C’était possible car il existait un certain niveau de base de comparabilité entre les droits nationaux concernés ( 51 ).

86.

La reconnaissance mutuelle a eu pour effet de déréglementer le marché intérieur et elle a renforcé les droits des individus aux dépens de la liberté de l’État en matière de réglementation ( 52 ).

87.

Si la reconnaissance mutuelle en matière pénale requiert certes également l’acceptation des choix législatifs de l’autre État membre, ce principe ne suit pas exactement la même logique que lorsqu’il est appliqué dans le contexte du marché intérieur. En matière pénale, la reconnaissance a pour objet les décisions judiciaires ou d’autres décisions individuelles souveraines des États membres, le monopole de la violence détenu par un État membre étant mis en œuvre dans un autre État membre ( 53 ). L’individu devient la victime, et non plus le bénéficiaire, de la libre circulation entre les États membres ( 54 ). La déréglementation résultant de la reconnaissance mutuelle dans le marché intérieur se transforme, en matière pénale, en une obligation incombant à l’État membre de mettre activement en œuvre le monopole de la violence qu’il détient ( 55 ).

88.

Pour que la reconnaissance mutuelle fonctionne en matière pénale, un niveau élevé de confiance réciproque est nécessaire. Cette confiance s’appuie sur l’engagement de l’autre État membre en faveur de la protection des droits fondamentaux du justiciable sur qui s’exerce la force coercitive de l’État ( 56 ).

89.

C’est le point de départ de tous les instruments de reconnaissance mutuelle, comme la directive concernant la décision d’enquête européenne. Toutefois, si la confiance réciproque est certes nécessaire, elle ne saurait être imposée ( 57 ). Ainsi, les instruments de reconnaissance mutuelle actuels témoignent également d’un certain degré de méfiance. C’est ce qui apparaît des règles qui permettent de refuser la reconnaissance, dans certaines circonstances ( 58 ), de l’harmonisation à l’échelle de l’Union de certains points en matière de procédure pénale ( 59 ), et du développement de la jurisprudence dans ce domaine ( 60 ).

90.

En l’espèce, les parties se sont appuyées sur la directive concernant la décision d’enquête européenne pour examiner les différences et similitudes existant entre ce mécanisme de reconnaissance mutuelle et le règlement concernant le Parquet européen. J’aimerais dès lors examiner brièvement cette directive.

91.

La directive concernant la décision d’enquête européenne a été adoptée sur le fondement de l’article 82 TFUE afin d’améliorer les enquêtes transfrontières et elle repose sur la reconnaissance mutuelle. En application de ce mécanisme, une autorité ( 61 ) d’un État membre peut émettre une décision d’enquête européenne lorsqu’elle est nécessaire pour mener une enquête dans le cadre d’une procédure pénale interne. Il n’est pas requis que l’infraction pénale porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union : tout ce qui importe est qu’il faille exécuter une mesure d’enquête dans un État membre qui n’est pas celui dans lequel l’enquête principale a lieu, y compris lorsqu’un élément de preuve est déjà en possession des autorités compétentes de l’État membre d’exécution ( 62 ).

92.

L’autorité d’un État membre peut émettre une décision d’enquête européenne à deux conditions. Premièrement, cette décision doit être nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures pénales, compte tenu des droits du suspect ou de la personne poursuivie et, secondement, la mesure d’enquête visée dans ladite décision aurait pu être ordonnée dans les mêmes conditions dans le cadre d’une procédure nationale similaire ( 63 ).

93.

Ces motifs de fond justifiant l’émission de la décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que dans le cadre d’un recours formé dans l’État d’émission ( 64 ). Intuitivement, il apparaît donc que les appréciations portant sur le fond relèvent exclusivement de l’État d’émission, une solution qui simplifie considérablement le recours à la décision d’enquête européenne et qui témoigne assurément d’un degré élevé de confiance mutuelle. Est-ce réellement le cas ?

94.

Tout d’abord, l’article 14, paragraphe 2, de la directive concernant la décision d’enquête européenne prévoit en effet que les motifs justifiant l’émission d’une décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que dans l’État d’émission, « sans préjudice » toutefois « des garanties des droits fondamentaux dans l’État d’exécution » ( 65 ). Ce principe est davantage précisé à l’article 11, paragraphe 1, sous f), de cette directive, qui prévoit que la reconnaissance d’une décision d’enquête européenne peut être refusée dans l’État d’exécution lorsqu’« il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution de la mesure d’enquête indiquée dans la décision d’enquête européenne serait incompatible avec les obligations de l’État d’exécution conformément à l’article 6 du traité sur l’Union européenne et à la [C]harte » ( 66 ). Selon l’interprétation qui est faite de la notion de « motifs sérieux », la disposition qui précède semble autoriser l’État d’exécution à contrôler le respect des droits fondamentaux dans l’État d’émission. De plus, au titre de l’article 10, paragraphe 3, de ladite directive, l’autorité d’exécution est habilitée à changer la mesure d’enquête visée par une décision d’enquête européenne, si l’autre mesure envisagée permet d’obtenir le même résultat par des moyens moins intrusifs.

95.

Au vu de cet aperçu, il est difficile de soutenir que la directive concernant la décision d’enquête européenne est l’expression d’un degré élevé de confiance mutuelle. L’autorité d’exécution conserve une marge de manœuvre assez large pour remettre en cause le niveau de protection des droits fondamentaux ou l’application du principe de proportionnalité dans l’État d’émission.

96.

Comparée, par exemple, au système du mandat d’arrêt européen (ci-après le « MAE »), qui prévoit un nombre limité de motifs de non‑exécution obligatoire et de non‑exécution facultative, la directive concernant la décision d’enquête européenne confère à l’autorité d’exécution une plus grande marge de manœuvre. En comparaison, nous pouvons qualifier le mécanisme du MAE de forme quelque peu renforcée de « reconnaissance mutuelle ». Ni l’un ni l’autre ne sont un mécanisme parfait, dès lors qu’ils portent encore principalement sur la reconnaissance de décisions individuelles et qu’il y a toujours une possibilité de refus dans l’État membre d’exécution ( 67 ).

97.

La reconnaissance mutuelle est donc une question de degré.

98.

Dans ce contexte, l’argument selon lequel le système du Parquet européen est davantage qu’une reconnaissance mutuelle serait acceptable s’il est compris en ce sens qu’il indique que ce système instaure une forme de reconnaissance mutuelle différente, supérieure.

99.

Cela étant, « davantage » ne saurait signifier « autre chose ». Pour le dire autrement, ce terme ne saurait signifier que le système du Parquet européen ne repose pas sur le principe de reconnaissance mutuelle, qui requiert de faire confiance aux ordres juridiques des autres États membres. C’est précisément ce principe, intégré au système, qui permet l’acceptation des règles des autres États membres, même si celles-ci sont différentes. Pour que ce principe puisse s’appliquer, il faut, comme avec tout autre instrument de reconnaissance mutuelle, partir du principe que tous les États membres protègent les droits fondamentaux.

100.

En définitive, la notion de « reconnaissance mutuelle » en matière pénale n’est pas une notion unitaire, mais une notion qui présente divers degrés dans les différents mécanismes que compte l’ELSJ.

101.

Si nous admettons que la reconnaissance mutuelle en matière pénale présente divers degrés, le règlement concernant le Parquet européen est effectivement l’acte législatif le plus avancé à ce jour, mais même cet acte n’instaure pas une reconnaissance mutuelle parfaite ( 68 ). Le Parquet européen est indivisible et les mesures transfrontières déléguées ne doivent en effet pas être reconnues, mais uniquement mises en œuvre. Toutefois, faute d’harmonisation, il convient de garantir les droits fondamentaux des suspects et des personnes poursuivies, étant entendu que le Parquet européen emprunte diverses règles nationales de droit pénal matériel et procédural, par exemple en cas d’enquêtes transfrontières.

b) Sur les garanties des droits fondamentaux prévues dans le règlement concernant le Parquet européen

102.

Dès lors que les règles d’un État membre s’appliquent à l’autorisation judiciaire de mesures d’enquête qui seront exécutées dans un autre État membre, la protection des droits fondamentaux peut être amoindrie, voire présenter des lacunes.

103.

L’article 5, paragraphe 1, du règlement concernant le Parquet européen énonce que le Parquet européen « veille à ce que ses activités respectent les droits inscrits dans la [C]harte » ( 69 ). Ce règlement permet‑il l’exécution de cette obligation en cas d’enquêtes transfrontières ? Selon moi, tel est le cas.

104.

Je pense à plusieurs mécanismes figurant dans le règlement concernant le Parquet européen qui étayent ce constat. Premièrement, le mécanisme de coopération institué entre le procureur chargé de l’affaire et le procureur assistant (article 31, paragraphe 5, de ce règlement ) ( 70 ) ; deuxièmement, l’article 41 dudit règlement, qui traite de la portée de la protection des droits fondamentaux, et, troisièmement, l’obligation incombant à tous les États membres de prévoir un contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen (article 42, paragraphe 1, du même règlement). Je les examinerai brièvement l’un après l’autre.

105.

Tout d’abord, comme le relèvent le Parquet européen et la Commission, le règlement concernant le Parquet européen ne comporte aucun motif de non‑reconnaissance. Au contraire, pour tenir compte des conditions requises par le droit de l’État membre du procureur assistant et remédier aux éventuelles lacunes que présente la demande de mesure d’enquête, le système du Parquet européen s’appuie sur un dialogue interne entre le procureur chargé de l’affaire et le procureur assistant. D’après l’article 31, paragraphe 5, de ce règlement, les deux procureurs délégués européens coopèrent afin de mettre efficacement en œuvre l’enquête dans le respect de la protection des droits fondamentaux ( 71 ). Ce système de coopération interne est l’un des éléments importants qui assurent la protection des droits fondamentaux dans le système du Parquet européen.

106.

Plus particulièrement, le procureur assistant peut informer le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire et consulter le procureur chargé de l’affaire en cas de problèmes concernant la mesure déléguée. Les cas de figure visés par l’article 31, paragraphe 5, sous c) et d), du règlement concernant le Parquet européen sont particulièrement intéressants : lorsqu’une mesure moins intrusive permettrait d’atteindre les mêmes résultats, et lorsque la mesure déléguée n’existe pas, ou que le procureur européen délégué assistant ne pourrait y avoir recours dans le cadre d’une procédure nationale similaire.

107.

Le constat qu’une mesure moins intrusive permettrait d’atteindre les mêmes résultats correspond au cas de figure visé par l’article 10, paragraphe 3, de la directive concernant la décision d’enquête européenne, en vertu duquel l’autorité d’exécution peut changer la mesure visée par une décision d’enquête européenne. Il s’ensuit surtout que le procureur assistant est invité à procéder à une analyse du caractère proportionné de la mesure déléguée, ce qui constitue un contrôle supplémentaire.

108.

Le critère selon lequel la même mesure ne serait pas disponible dans le cadre d’une procédure nationale similaire se retrouve également à l’article 10, paragraphe 1, sous b), de la directive concernant la décision d’enquête européenne, et il figure comme motif de non‑exécution dans certains cas prévus à l’article 11, paragraphe 1, sous c), de cette directive. Au cas où les deux procureurs européens délégués ne parviennent pas à s’entendre dans les sept jours, la question est renvoyée, au titre de l’article 31, paragraphe 7, du règlement concernant le Parquet européen, à la chambre permanente qui tranchera. En fin de compte, la mesure peut être maintenue indépendamment des inquiétudes exprimées par le procureur assistant. Toutefois, il est dans l’intérêt du Parquet européen que les éléments de preuve résultant de l’enquête transfrontière puissent être utilisés lors de la phase du procès ( 72 ). Il est dès lors peu probable que la chambre permanente approuve une mesure qui est inacceptable dans l’ordre juridique d’un des États membres participants.

109.

Si le mécanisme de coopération interne entre le procureur chargé de l’affaire et le procureur assistant permet d’atténuer le risque de violation des droits fondamentaux dans une certaine mesure ( 73 ), on ne saurait qualifier le Parquet européen de « parfait ».

110.

À cet égard, le règlement concernant le Parquet européen comprend d’autres mécanismes qui permettent de contrôler les actes du Parquet européen lors des enquêtes transfrontières.

111.

En premier lieu, l’article 41 du règlement concernant le Parquet européen précise davantage les droits conférés concrètement aux suspects et aux personnes poursuivies dans les procédures du Parquet européen. Il renvoie aux normes de protection consacrées par la Charte (paragraphe 1) ; à la protection garantie par divers mécanismes de l’Union qui harmonisent certains points de la procédure pénale dans les États membres (paragraphe 2) ( 74 ), et à l’ensemble des droits de nature procédurale conférés par le droit national applicable (paragraphe 3) ( 75 ).

112.

En second lieu, l’article 42, paragraphe 1, du règlement concernant le Parquet européen requiert que les mesures d’enquête puissent toujours faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Par conséquent, s’il n’y a pas eu de contrôle juridictionnel préalable, ou si l’application combinée des deux ordres juridiques (l’un pour la justification de la mesure et l’autre pour son exécution) a eu pour effet que la protection des droits fondamentaux a présenté quelques manquements, un contrôle juridictionnel a posteriori de la mesure permettra de remédier à toute violation éventuelle ( 76 ).

113.

Le règlement concernant le Parquet européen garantit un niveau élevé de protection des droits fondamentaux. Il est vrai que, dans certaines situations et du point de vue de certains États membres, il peut donner lieu à une diminution du niveau de protection antérieur des droits individuels. Néanmoins, ces droits sont à tout le moins protégés par la Charte et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Somme toute, l’harmonisation donne inéluctablement lieu à un affaiblissement de la protection des droits fondamentaux dans les États membres qui connaissaient préalablement un niveau de protection plus élevé ( 77 ), à moins que la norme la plus élevée soit adoptée comme règle commune.

114.

Il s’agit toutefois là du prix à payer pour construire un avenir commun.

115.

En conclusion, s’agissant des enquêtes transfrontières, le règlement concernant le Parquet européen instaure un système de reconnaissance mutuelle très développé. S’il ne prévoit certes pas que la possibilité de refuser la décision du procureur chargé de l’affaire selon laquelle il est nécessaire d’exécuter une mesure d’enquête dans un État membre autre que celui dans lequel l’enquête principale a lieu, il comprend différentes garanties qui assurent la protection des droits fondamentaux. Une interprétation de l’article 31, paragraphe 3, de ce règlement en ce sens qu’il répartit les compétences en matière de contrôle d’une mesure d’enquête transfrontière entre les ordres juridiques des juridictions des États membres du procureur chargé de l’affaire et du procureur assistant ne compromet dès lors pas la protection des droits fondamentaux. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour d’interpréter les articles 31 et 32 dudit règlement dans le sens indiqué au point 73 des présentes conclusions.

III. Conclusion

116.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) de la manière suivante :

1)

L’article 31, paragraphe 3, et l’article 32 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen,

doivent être interprétés en ce sens que :

dans des enquêtes transfrontalières, le juge qui approuve une mesure d’enquête à exécuter dans l’État membre du procureur européen délégué assistant ne peut examiner que les éléments afférents à l’exécution de cette mesure.

2)

L’article 31, paragraphe 3, et l’article 32 du règlement 2017/1939

doivent être interprétés en ce sens que :

dans des enquêtes transfrontalières, le juge de l’État membre du procureur européen délégué assistant doit accepter l’appréciation effectuée par le procureur européen délégué chargé de l’affaire selon laquelle la mesure est justifiée, que cette appréciation soit ou non confirmée par une autorisation judiciaire préalable prononcée par le juge de l’État membre de ce dernier procureur.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1, ci-après le « règlement concernant le Parquet européen »).

( 3 ) Voir article 2, point 5, du règlement concernant le Parquet européen.

( 4 ) Voir article 2, point 6, du règlement concernant le Parquet européen.

( 5 ) Voir, notamment, les précisions suivantes apportées récemment quant à la méthode appliquée par la Cour en matière d’interprétation : « [...] selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [...] » [voir, notamment, arrêt du 2 février 2023, Towarzystwo Ubezpieczeń Ż (Contrats types d’assurance trompeurs) (C‑208/21, EU:C:2023:64, point 76 et jurisprudence citée)]. Voir également arrêt du 13 octobre 2022, Perfumesco.pl (C‑355/21, EU:C:2022:791, point 39) : « La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation [...] ».

( 6 ) La directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (JO 2017, L 198, p. 29, ci-après la « directive PIF ») prévoit un certain niveau d’harmonisation des éléments constitutifs d’infractions pénales financières portant atteinte aux intérêts de l’Union.

( 7 ) Gesetz zur Ausführung der EU-Verordnung zur Errichtung der Europäischen Staatsanwaltschaft (loi portant exécution du règlement de l’Union européenne concernant la création du Parquet européen), du 10 juillet 2020 (BGBl. I S. p. 1648), article 3, paragraphe 2.

( 8 ) Le Parquet européen opère, au niveau de l’Union (au Luxembourg), par la voie d’un réseau de procureurs européens dirigé par le chef du Parquet européen. Les procureurs européens qui composent le Parquet européen sont répartis en chambres permanentes (qui supervisent et dirigent les enquêtes et assurent la cohérence des activités du Parquet européen) et sont membres du collège des procureurs européens (à raison d’un procureur européen par État membre). Le niveau décentralisé se compose de procureurs européens délégués issus de chaque État membre participant.

( 9 ) Article 8, paragraphe 1, du règlement concernant le Parquet européen.

( 10 ) Voir article 86, paragraphe 2, TFUE et article 4 du règlement concernant le Parquet européen.

( 11 ) Voir article 5, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen.

( 12 ) Voir, notamment, Corpus Juris 2000, sur lequel repose le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen [COM(2001) 715 final]. Ce Corpus Juris 2000 faisait suite au Corpus Juris 1997 (portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, Economica, Paris, 1997) élaboré par un groupe d’experts nommé lors de la réunion des présidents des associations de droit pénal européen à l’Université d’Urbino (Italie) au cours de l’année 1995. La principale proposition figurant dans le Corpus Juris était la création d’un espace de droit unique, dans lequel serait régi le droit pénal tant matériel que procédural, une proposition visant à la création d’un Parquet européen s’inscrivant dans le cadre du volet procédural. Pour plus d’informations, voir site Internet à l’adresse suivante : https://www.eppo.europa.eu/fr/contexte.

( 13 ) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen [COM(2013) 534 final] (ci-après la « proposition de 2013 »).

( 14 ) Les États membres non participants sont la Hongrie, la République de Pologne et le Royaume de Suède. Le Royaume de Danemark et l’Irlande ne participent pas à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ci-après l’« ELSJ ») en application d’une clause d’exemption.

( 15 ) Herrnfeld, H.H., « Article 31 », dans Herrnfeld, H.H., Brodowski, D., et Burchard, C. (éd.), European Public Prosecutor’s Office. Article-by-Article Commentar, Bloomsbury Publishing, 2020, p. 300.

( 16 ) Voir, à cet égard, article 26, paragraphes 4 et 5, de la proposition de 2013 : « 4. Les États membres veillent à ce que les mesures d’enquête énumérées aux points a) à j) du paragraphe 1 soient soumises à l’autorisation de l’autorité judiciaire compétente de l’État membre sur le territoire duquel elles doivent être exécutées » et « 5. Les mesures d’enquête énumérées aux points k) à u) du paragraphe 1 sont soumises à une autorisation judiciaire si celle-ci est exigée par le droit interne de l’État membre sur le territoire duquel la mesure d’enquête doit être exécutée ».

( 17 ) Protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (JO 2008, C 115, p. 206).

( 18 ) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et aux parlements nationaux relative au réexamen de la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen au regard du principe de subsidiarité, conformément au protocole no 2 [COM(2013) 851 final], p. 9.

( 19 ) Voir Herrnfeld, H.H., « Article 31 », dans Herrnfeld, H.H., Brodowski, D., et Burchard, C. (éd.), European Public Prosecutor’s Office. Article-by-Article Commentar, Bloomsbury Publishing, 2020, cité à la note en bas de page 15, p. 291.

( 20 ) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen – Observations écrites des délégations autrichienne et allemande, dossier interinstitutionnel : 2013/0255 (APP), DS 1237/15, 21 avril 2015.

( 21 ) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen – Observations écrites de la délégation allemande, dossier interinstitutionnel : 2013/0255 (APP), DS 1234/15, 21 avril 2015.

( 22 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale (JO 2014, L 130, p. 1, ci-après la « directive concernant la décision d’enquête européenne »).

( 23 ) Les gouvernements autrichien et allemand proposaient également, dans leurs observations écrites : « Lorsque le droit de son État membre requiert une autorisation judiciaire ou une décision de justice pour que la mesure soit reconnue, le procureur assistant présentera la décision et, le cas échéant, l’autorisation judiciaire qui l’accompagne à l’autorité judiciaire compétente de son État membre en vue de sa reconnaissance. »

( 24 ) La délégation allemande ajoutait, dans ses observations écrites : « Permettez-nous juste de relever quelques-uns des problèmes principaux : le libellé de l’article 26 bis devra indiquer clairement qui prend la décision de prononcer une mesure ou de demander à une juridiction de prononcer une mesure et quel est le droit applicable lors du prononcé ou de la demande de ces mesures. Dans sa version actuelle, le projet semble ne pas trancher cette question, voire laisser un choix au procureur chargé de l’affaire : le terme “délègue” figurant au paragraphe 1 n’indique pas clairement qui prend la décision de prononcer une mesure ». Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen – Observations écrites de la délégation allemande, dossier interinstitutionnel : 2013/0255 (APP), DS 1234/15, 21 avril 2015. Voir, également, la décision 006/2022 du collège du Parquet européen, du 26 janvier 2022, portant adoption de lignes directrices relatives à l’application de l’article 31 du [règlement concernant le Parquet européen], p. 4, point 8 (« En outre, l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen ne régit pas expressément les situations dans lesquelles tant le droit de l’État membre du procureur chargé de l’affaire que le droit de l’État membre du procureur assistant requièrent une autorisation judiciaire »).

( 25 ) Voir proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen – Autres points. Présidence du Conseil, 12344/16, 20 septembre 2016, p. 5.

( 26 ) Conclusions de l’avocate générale Ćapeta dans l’affaire Rigall Arteria Management (C‑64/21, EU:C:2022:453, point 43).

( 27 ) Même les auteurs de doctrine critique les plus zélés admettraient que les règles de droit, par la manière dont elles sont rédigées, cadrent l’interprétation du juge. Voir, notamment, Kennedy, D., A Critique of Adjudication (fin de siècle), Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1997, p. 13.

( 28 ) Voir, notamment, arrêts du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement) (C‑122/18, EU:C:2020:41, point 43) (dans lequel la Cour interprète un article au regard de l’article qui le suit) ; du 8 décembre 2020, Staatsanwaltschaft Wien (Ordres de virement falsifiés) (C‑584/19, EU:C:2020:1002, points 56 à 69) (dans lequel la Cour interprète une disposition au regard des premiers articles d’une directive et des considérants de celle-ci), et du 24 février 2022, Namur-Est Environnement (C‑463/20, EU:C:2022:121, point 46) (dans lequel la Cour interprète une disposition au regard de la directive en cause dans son ensemble).

( 29 ) Voir, notamment, arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47), et du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 135).

( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 10 mars 2021, Ordine Nazionale dei Biologi e.a. (C‑96/20, EU:C:2021:191, points 26 et 27), ainsi que du 13 octobre 2022, Rigall Arteria Management (C‑64/21, EU:C:2022:783, point 31).

( 31 ) Voir, à cet égard, arrêt du 17 avril 1986, Reed (59/85, EU:C:1986:157, point 15) (dans lequel la Cour a constaté que, en l’absence de toute indication d’une évolution sociale d’ordre général, le mot « conjoint » ne vise pas le partenaire non marié). Le même terme a été interprété de manière différente 32 ans plus tard par M. l’avocat général Wathelet dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:2, points 56 à 58) (dans lesquelles il analyse l’évolution de l’interprétation de la notion de « conjoint », afin de démontrer qu’un nombre croissant d’États membres la comprennent comme visant également le mariage entre personnes du même sexe).

( 32 ) Lors de l’audience, le Parquet européen a également reconnu que l’emploi du terme « toutefois » est un facteur qui complique l’interprétation de l’article 31, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen.

( 33 ) Le Parquet européen a ajouté, lors de l’audience, que le considérant 72 du règlement concernant le Parquet européen est dépourvu de valeur normative et ne doit dès lors pas être déterminant pour ce qui est de l’interprétation de l’article 31 de ce règlement.

( 34 ) Lors de l’audience, le Parquet européen a indiqué que les dossiers comptaient parfois des milliers de pages, ce qui nécessiterait l’intervention de traducteurs externes et augmenterait dès lors considérablement les frais de fonctionnement du Parquet européen, tout en demandant des mois, voire des années, de traduction.

( 35 ) Voir note en bas de page 34 des présentes conclusions.

( 36 ) Le règlement concernant le Parquet européen prévoit la possibilité de changer l’État membre dans lequel l’enquête a lieu jusqu’à ce que la décision de poursuivre soit prise au titre de l’article 26, paragraphe 5, de ce règlement (conformément à l’article 36 dudit règlement).

( 37 ) Considérant 22 et article 14, paragraphe 2, de la directive concernant la décision d’enquête européenne. C’est ce qu’a également souligné la Cour dans l’arrêt du 11 novembre 2021, Gavanozov II (C‑852/19, EU:C:2021:902, point 40).

( 38 ) Voir, notamment, considérants 14, 20 et 54, ainsi qu’article 12, paragraphe 3, et article 34, paragraphe 3, du règlement concernant le Parquet européen.

( 39 ) Voir, notamment, arrêt du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, EU:C:2000:98, point 21).

( 40 ) Voir points 7 et 8 des présentes conclusions.

( 41 ) Voir, notamment, arrêt du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, EU:C:2004:210, points 36 à 38).

( 42 ) Cela étant, si la Cour retient la seconde solution, les législateurs autrichien et allemand devront intervenir, dès lors que leur droit, qui a été aménagé en fonction de la première, deviendrait contraire au règlement concernant le Parquet européen. Le gouvernement autrichien a indiqué lors de l’audience qu’il en était conscient et que, bien entendu, il devrait mettre son droit en conformité avec le droit de l’Union au cas où la Cour déciderait d’interpréter ce règlement de manière différente. Ce gouvernement a toutefois répété que l’interprétation mise en œuvre dans son droit est la bonne.

( 43 ) Allegrezza, S., et Mosna, A., « Cross-border Criminal Evidence and the Future European Public Prosecutor. One Step Back on Mutual Recognition ? », dans Bachmaier Winter, L. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office. The Challenges Ahead, Springer, 2018, p. 141, à la p. 146.

( 44 ) Pour un article convaincant à propos des greffes juridiques et des irritants juridiques, voir Teubner, G., « Legal Irritants : Good Faith in British Law or How Unifying Law Ends Up in New Divergences », Modern Law Review, vol. 61(1), 1998, p. 11.

( 45 ) Voir, notamment, Allegrezza, S., et Mosna, A., « Cross-border Criminal Evidence and the Future European Public Prosecutor. One Step Back on Mutual Recognition ? », dans Bachmaier Winter, L. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office. The Challenges Ahead, Springer, 2018, cité à la note en bas de page 43 des présentes conclusions, p. 145 et 158 (où les auteurs soulignent les dangers pour les droits fondamentaux découlant, par exemple, de la différence de niveau des garanties et règles procédurales en matière d’exécution des mesures d’enquête ou de collecte des éléments de preuve, les auteurs faisant valoir que des garanties supplémentaires sont nécessaires, notamment en matière de preuve). Pour un premier avertissement sur le même point, voir Kaiafa-Gbandi, M., « The Establishment of an EPPO and the Rights of Suspects and Defendants : Reflections upon the Commission’s 2013 Proposal and the Council’s Amendments », dans Asp, P. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office – Legal and Criminal Policy Perspectives, Stifelsen Skrifter utgivna av Juridiska fakulteten vid Stockholms universitet, 2015, p. 245 et 246.

( 46 ) Pour une première proposition concernant les modalités d’un futur procureur européen, dont le destin est tributaire de l’harmonisation du droit pénal matériel, voir Peers, S., « Mutual recognition and criminal law in the European Union : Has the Council got it wrong ? », Common Market Law Review, vol. 41, 2004, p. 5, spécialement à la p. 34.

( 47 ) Pour des auteurs qui soutiennent que le mécanisme de la décision d’enquête européenne est dans les faits plus simple et plus efficace que les solutions de nature réglementaire mises en place par le règlement concernant le Parquet européen, voir Allegrezza, S., et Mosna, A., « Cross-border Criminal Evidence and the Future European Public Prosecutor. One Step Back on Mutual Recognition ? », dans Bachmaier Winter, L. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office. The Challenges Ahead, Springer, 2018, cité à la note en bas de page 43 des présentes conclusions, p. 155 et 156.

( 48 ) Au contraire de l’idée, énoncée dans le Corpus Juris, de créer un espace de droit unique, qui n’a pas été retenue dans le règlement concernant le Parquet européen, la création d’un parquet indivisible est une solution de remplacement édulcorée sur laquelle les États membres participants pouvaient s’entendre. Voir Mitsilegas, V., et Giuffrida, F., « The European Public Prosecutor’s Office and Human Rights » dans Geelhoed, W., Erkelens, L.H., et Meij, A. W. H. (éd.), Shifting Perspectives on the European Public Prosecutor’s Office, T. M. C. Asser Press, 2018, p. 89.

( 49 ) « [E]n s’inspirant des notions qui ont admirablement porté leurs fruits pour la création du marché unique, est née l’idée que la coopération judiciaire pourrait également tirer avantage de la notion de [“]reconnaissance mutuelle[”] », Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale [COM(2000) 495 final], Bruxelles, 26 juillet 2000, p. 2.

( 50 ) Arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral (120/78, EU:C:1979:42).

( 51 ) Schmidt, S. K., « Mutual Recognition as a New Mode of Governance », Journal of European Public Policy, vol. 14(5), 2007 p. 667, p. 669 ; Peers, S., « Mutual Recognition and Criminal Law in the European Union : Has the Council Got It Wrong ? », Common Market Law Review, vol. 41(1), 2004, p. 5, p. 20.

( 52 ) Schmidt, S. K., « Mutual Recognition as a New Mode of Governance », Journal of European Public Policy, vol. 14(5), 2007, cité à la note en bas de page 51 des présentes conclusions, p. 672. Perišin, T., Free Movement of Goods and Limits of Regulatory Autonomy in the EU and WTO, T. M. C. Asser Press, 2008, p. 23.

( 53 ) Nicolaïdis, K., « Trusting the Poles ? Constructing Europe through Mutual Recognition », Journal of European Public Policy, vol. 14(5), 2007, p. 685.

( 54 ) Peers, S., « Mutual Recognition and Criminal Law in the European Union : Has the Council Got It Wrong ? », Common Market Law Review, vol. 41(1), 2004, cité à la note en bas de page 51 des présentes conclusions, p. 24.

( 55 ) Peers, S., « Mutual Recognition and Criminal Law in the European Union : Has the Council Got It Wrong ? », Common Market Law Review, vol. 41(1), 2004, cité à la note en bas de page 51 des présentes conclusions, p. 25.

( 56 ) C’est ce qu’a reconnu la Cour. Voir, notamment, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 191), dans lequel la Cour a indiqué que le principe de reconnaissance mutuelle « impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit ».

( 57 ) Iglesias Sánchez, S., et González Pascual, M., « Fundamental Rights at the Core of the EU AFSJ », dans Iglesias Sánchez, S., et González Pascual, M. (éd.), Fundamental Rights in the EU Area of Freedom, Security and Justice, University Press, Cambridge, 2021, p. 8 et 9 (les auteurs faisant valoir que les inquiétudes en matière de droits fondamentaux ont progressivement érodé le climat de confiance réciproque, visible dans le développement de la jurisprudence de la Cour et de l’harmonisation positive dans l’ELSJ).

( 58 ) Voir, notamment, articles 3, 4 et 4 bis de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, portant modification des décisions-cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès (JO 2009, L 81, p. 24, ci-après la « décision‑cadre relative au MAE »), et article 11 de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

( 59 ) Voir, notamment, directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1). Voir également directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1).

( 60 ) Concernant la jurisprudence qui admet d’autres voies pour ne pas exécuter un mandat d’arrêt européen, voir arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 93 et 94), ainsi que du 15 octobre 2019, Dorobantu (C‑128/18, EU:C:2019:857, points 52 et 55).

( 61 ) D’après l’article 2, sous c), de la directive concernant la décision d’enquête européenne, une autorité d’émission peut être « un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur compétent(e) dans l’affaire concernée » ainsi que « toute autre autorité compétente définie par l’État d’émission » lorsque la décision d’enquête européenne est validée par un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur dans l’État d’émission. La notion est plus étendue que celle d’« autorité judiciaire d’émission » dans le cadre du mandat d’arrêt européen, qui exclut les procureurs. Pour ce qui est de cette différence en particulier, voir arrêt du 8 décembre 2020, Staatsanwaltschaft Wien (Ordres de virement falsifiés) (C‑584/19, EU:C:2020:1002, points 74 et 75).

( 62 ) Article 1er, paragraphe 1, de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

( 63 ) Article 6, paragraphe 1, de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

( 64 ) Voir arrêt du 16 décembre 2021, Spetsializirana prokuratura (Données relatives au trafic et à la localisation) (C‑724/19, EU:C:2021:1020, point 53), dans lequel la Cour a souligné que l’autorité d’exécution ne saurait contrôler si une décision d’enquête européenne respecte les conditions d’émission prévues par la directive concernant la décision d’enquête européenne, dès lors que, dans le cas contraire, le système de confiance mutuelle qui est à la base de cette directive s’en trouverait ébranlé.

( 65 ) Voir, également, considérant 22 de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

( 66 ) Voir, également, considérant 19 de la directive concernant la décision d’enquête européenne.

( 67 ) Pour un auteur qui soutient que la reconnaissance mutuelle en droit de l’Union est limitée en ce sens qu’il n’y a pas d’acceptation automatique dans l’État membre d’exécution, voir Möstl, M., « Preconditions and Limits of Mutual Recognition », Common Market Law Review, vol. 47(2), Kluwer Law International, 2010, p. 405, voir p. 412, 418 et 420.

( 68 ) Pour la même conclusion, voir Mitsilegas, V., et Giuffrida, F., « The European Public Prosecutor’s Office and Human Rights » dans Geelhoed, W., Erkelens, L.H., et Meij, A. W. H. (éd.), Shifting Perspectives on the European Public Prosecutor’s Office, T. M. C. Asser Press, 2018, cité à la note en bas de page 48 des présentes conclusions, p. 89.

( 69 ) Bien entendu, cette disposition ne fait qu’exprimer de manière plus concrète l’obligation incombant à tous les organes de l’Union de respecter la Charte, comme celle-ci l’énonce à son article 51, paragraphe 1.

( 70 ) L’article 31, paragraphe 5, du règlement concernant le Parquet européen énonce : « Lorsque le procureur européen délégué assistant estime que : a) la délégation est incomplète ou comporte une erreur manifeste significative ; b) la mesure ne peut pas être prise dans le délai fixé dans la délégation, pour des raisons objectives et justifiées ; c) une autre mesure moins intrusive permettrait d’atteindre les mêmes résultats que la mesure déléguée ; ou d) la mesure déléguée n’existe pas, ou qu’il ne pourrait y avoir recours dans le cadre d’une procédure nationale similaire en vertu du droit de son État membre, il informe le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire dont il dépend et consulte le procureur européen délégué chargé de l’affaire en vue de régler la question au niveau bilatéral. »

( 71 ) Voir, à cet égard, Herrnfeld, H.H., « Article 31 », dans Herrnfeld, H.H., Brodowski, D., et Burchard, C. (éd.), European Public Prosecutor’s Office. Article-by-Article Commentar, Bloomsbury Publishing, 2020, cité à la note en bas page 15 des présentes conclusions, p. 293 à 295. Il est intéressant de constater que Allegrezza et Mosna estiment que le mécanisme de coopération entre les deux procureurs européens délégués entrave la simplification et l’accélération des enquêtes transfrontières, notamment parce que l’exécution de la mesure d’enquête n’est pas limitée dans le temps. Voir, à cet égard, Allegrezza, S., et Mosna, A., « Cross‑border Criminal Evidence and the Future European Public Prosecutor. One Step Back on Mutual Recognition ? », dans Bachmaier Winter, L. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office. The Challenges Ahead, Springer, 2018, cité à la note en bas de page 43 des présentes conclusions, p. 154 et 155.

( 72 ) S’agissant de la recevabilité des éléments de preuve, l’article 37, paragraphe 1, du règlement concernant le Parquet européen énonce uniquement que les éléments de preuve ne peuvent pas être déclarés irrecevables devant un juge national au seul motif qu’ils ont été recueillis dans un autre État membre ou conformément au droit d’un autre État membre.

( 73 ) Allegrezza et Mosna concluent que la procédure de coopération entre les deux procureurs européens délégués aura dans les faits pour conséquence que les droits des deux États membres concernés seront respectés. Voir, à cet égard, Allegrezza, S., et Mosna, A., « Cross-border Criminal Evidence and the Future European Public Prosecutor. One Step Back on Mutual Recognition ? », dans Bachmaier Winter, L. (éd.), The European Public Prosecutor’s Office. The Challenges Ahead, Springer, 2018, cité à la note en bas de page 43 des présentes conclusions, p. 153.

( 74 ) Comprenant notamment le droit à l’interprétation et à la traduction, le droit à l’information et à l’accès aux pièces du dossier, le droit d’accès à un avocat et le droit de communiquer avec des tiers et d’informer des tiers en cas de détention, le droit de garder le silence et le droit d’être présumé innocent, ainsi que le droit à l’aide juridictionnelle.

( 75 ) Comprenant explicitement la possibilité de présenter des éléments de preuve, de demander la désignation d’experts ou une expertise et l’audition de témoins, et de demander que le Parquet européen obtienne de telles mesures au nom de la défense.

( 76 ) Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire MM (C‑414/20 PPU, EU:C:2020:1009, point 133), dans lesquelles il indique que le principe de protection juridictionnelle effective requiert que les conditions d’émission d’un MAE fassent l’objet d’un contrôle à un stade de la procédure pénale postérieur à la remise, si aucune voie de recours n’était prévue à un stade antérieur.

( 77 ) Ce qu’illustre clairement l’harmonisation des normes en matière de procès par défaut. La solution retenue dans l’article 4 bis de la décision-cadre relative au MAE allait à l’encontre du niveau de protection prévu en droit espagnol, comme l’a clairement montré l’affaire Melloni. Toutefois, comme chacun sait, la Cour a jugé que, lorsqu’il y a harmonisation en droit de l’Union, des normes nationales plus protectrices ne sauraient faire obstacle à l’effectivité du mécanisme de confiance mutuelle. Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, points 62 à 64).

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