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Document 62021CC0829

Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 23 mars 2023.
TE et RU contre Stadt Frankfurt am Main et EF contre Stadt Offenbach am Main.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof et par le Verwaltungsgericht Darmstadt.
Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, article 14, paragraphe 1, article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, article 19, paragraphe 2, et article 22 – Droit des ressortissants de pays tiers au statut de résident de longue durée dans un État membre – Octroi par le premier État membre d’un “permis de séjour de résident de longue durée – UE” à durée illimitée – Ressortissant de pays tiers absent du territoire du premier État membre pendant une période de plus de six ans – Perte consécutive du droit au statut de résident de longue durée – Demande de renouvellement d’un permis de séjour délivré par le deuxième État membre au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109/CE – Rejet de la demande par le deuxième État membre du fait de la perte de ce droit – Conditions.
Affaires jointes C-829/21 et C-129/22.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:244

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 23 mars 2023 ( 1 )

Affaires jointes C‑829/21 et C‑129/22

TE,

RU, légalement représentée par TE

contre

Stadt Frankfurt am Main (C‑829/21)

[demande de décision préjudicielle formée par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de Hesse, Allemagne)]

et

EF

contre

Stadt Offenbach am Main (C‑129/22)

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Directive 2003/109/CE – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Article 9, paragraphe 4 – Retrait ou perte du statut – Article 14 – Résident de longue durée acquérant le droit de séjourner sur le territoire d’un État membre autre que celui lui ayant accordé son statut de résident de longue durée – Renouvellement du titre de séjour dans cet État membre – Conditions »

I. Introduction

1.

Les présentes demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 4, et de l’article 14 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 ( 3 ).

2.

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C‑829/21, TE, ressortissante ghanéenne, et RU, sa fille, née en Allemagne, à la Stadt Frankfurt am Main (ville de Francfort-sur-le-Main, Allemagne), et opposant, dans l’affaire C‑129/22, EF, ressortissant pakistanais, à la Stadt Offenbach am Main (ville d’Offenbach-sur-le-Main, Allemagne).

3.

Ces litiges portent, pour l’affaire C‑829/21, sur le refus du service des étrangers compétent de renouveler le permis de séjour de TE et de délivrer un permis de séjour à RU, son enfant mineure, et, pour l’affaire C‑129/22, sur le refus du service des étrangers compétent de renouveler le permis de séjour de EF, au motif que TE, d’une part, et EF, d’autre part, auraient perdu leur statut de ressortissant de pays tiers résident de longue durée accordé en Italie en raison de leur absence du territoire de cet État membre pendant une période supérieure à six ans.

4.

À la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur la deuxième question préjudicielle posée dans l’affaire C‑829/21 ( 4 ). Par cette question, la Cour est invitée à préciser la date pertinente à retenir, dans le cadre d’une procédure de renouvellement d’un titre de séjour dans un État membre autre que celui qui a accordé le statut de résident de longue durée, pour l’appréciation de l’existence de ce statut.

5.

Dans les présentes conclusions, à l’issue de mon analyse, je proposerai à la Cour de dire pour droit que, dans le cadre d’une procédure de renouvellement d’un titre de séjour dans un État membre autre que celui qui a accordé le statut de résident de longue durée à un ressortissant de pays tiers, la date pertinente à retenir pour apprécier l’existence de ce statut est la date du dépôt de la demande de renouvellement et des pièces justificatives, et non une date au cours de la phase administrative de l’examen de cette demande ou de l’éventuelle phase juridictionnelle de contestation de la décision de refus de renouvellement.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

6.

Le considérant 21 de la directive 2003/109 énonce :

« L’État membre dans lequel le résident de longue durée entend exercer son droit de séjour devrait pouvoir vérifier que la personne concernée remplit les conditions prévues pour séjourner sur son territoire [...] »

7.

L’article 2, sous b), c) et d), de cette directive contient, aux fins de celle-ci, les définitions suivantes :

« b)

“résident de longue durée”, tout ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire du statut de résident de longue durée prévu aux articles 4 à 7 ;

c)

“premier État membre”, l’État membre qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers ;

d)

“deuxième État membre”, tout État membre autre que celui qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers et dans lequel ce résident de longue durée exerce son droit de séjour. »

8.

L’article 8 de ladite directive, intitulé « Permis de séjour de résident de longue durée – [UE] », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le statut de résident de longue durée est permanent, sous réserve de l’article 9.

2.   Les États membres délivrent au résident de longue durée le permis de séjour de résident de longue durée – [UE]. Ce permis a une durée de validité d’au moins cinq ans ; à son échéance, il est renouvelable de plein droit, au besoin sur demande. »

9.

L’article 9 de la directive 2003/109, intitulé « Retrait ou perte du statut », prévoit, à ses paragraphes 4 et 5 :

« 4.   Le résident de longue durée qui a séjourné dans un autre État membre conformément au chapitre III perd le droit au statut de résident de longue durée acquis dans le premier État membre, dès lors que ce statut est accordé dans un autre État membre au titre de l’article 23.

En tout état de cause, après six ans d’absence du territoire de l’État membre qui lui a accordé le statut de résident de longue durée, la personne concernée perd le droit au statut de résident de longue durée dans ledit État membre.

Par dérogation au deuxième alinéa, l’État membre concerné peut prévoir que, pour des raisons spécifiques, le résident de longue durée conserve son statut dans ledit État membre en cas d’absences pendant une période supérieure à six ans.

5.   Eu égard aux cas visés [...] au paragraphe 4, les États membres qui ont accordé le statut prévoient une procédure simplifiée pour le recouvrement du statut de résident de longue durée.

[...] »

10.

Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive :

« Un résident de longue durée acquiert le droit de séjourner sur le territoire d’États membres autres que celui qui lui a accordé son statut de résident de longue durée, pour une période dépassant trois mois, pour autant que les conditions fixées dans le présent chapitre soient remplies. »

11.

L’article 15 de ladite directive, intitulé « Conditions de séjour dans un deuxième État membre », dispose :

« 1.   Dans les plus brefs délais et au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire du deuxième État membre, le résident de longue durée dépose une demande de permis de séjour auprès des autorités compétentes de cet État membre.

[...]

4.   La demande est accompagnée de pièces justificatives, à fixer par le droit national, montrant que la personne concernée remplit les conditions applicables, ainsi que de son titre de séjour de résident de longue durée et d’un document de voyage valide ou des copies certifiées conformes de ceux-ci.

[...] »

12.

L’article 19 de la directive 2003/109, intitulé « Examen de la demande et délivrance du titre de séjour », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Si les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 sont remplies [...], le deuxième État membre délivre au résident de longue durée un titre de séjour renouvelable. Ce permis de séjour est renouvelable, au besoin sur demande, à son expiration. Le deuxième État membre informe le premier État membre de sa décision. »

13.

L’article 22 de cette directive, intitulé « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission », dispose, à son paragraphe 1, sous b) :

« Tant que le ressortissant d’un pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée, le deuxième État membre peut décider de refuser de renouveler le titre de séjour ou de le retirer et d’obliger la personne concernée et les membres de sa famille, conformément aux procédures, y compris d’éloignement, prévues par le droit national, à quitter son territoire dans les cas suivants :

[...]

b)

lorsque les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 ne sont plus remplies. »

B.   Le droit allemand

14.

L’article 38a du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi sur le séjour, le travail et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral) ( 5 ), du 25 février 2008, dans sa version applicable aux litiges au principal, intitulé « Titre de séjour pour les résidents de longue durée dans d’autres États membres de l’Union européenne », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Un permis de séjour est délivré à un étranger qui bénéficie du statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union européenne s’il souhaite séjourner plus de 90 jours sur le territoire fédéral [...] »

15.

L’article 51, paragraphe 9, premier alinéa, point 4, de cette loi dispose que le permis de séjour de résident de longue durée – UE expire seulement si l’étranger séjourne en dehors du territoire fédéral pendant une période de six ans.

16.

L’article 52, paragraphe 6, de ladite loi prévoit que le permis de séjour délivré conformément à l’article 38a de la même loi doit, en principe, être révoqué si l’étranger perd son statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union.

III. Les faits des litiges au principal et les questions préjudicielles

A.   L’affaire C-829/21

17.

TE, ressortissante ghanéenne, est entrée sur le territoire allemand le 3 septembre 2013, en provenance d’Italie.

18.

Elle est en possession d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré en Italie et portant les mentions « illimitata » ([durée] illimitée) et « Soggiornante di Lungo Periodo – [UE] » (résident de longue durée – [UE]).

19.

Conformément à l’article 38a de l’AufenthG, le service des étrangers de la ville d’Offenbach (Allemagne), compétent à l’époque, lui a octroyé, le 5 décembre 2013, un permis de séjour valable pour une durée d’un an.

20.

Le 5 août 2014, TE a donné naissance à RU qui souffrait d’une très grave malformation cardiaque nécessitant des opérations et examens de suivi, ce qui a rendu impossible la poursuite par TE de son activité professionnelle. Face à cette situation, TE a dû recourir à des prestations sociales pour subvenir aux besoins de sa famille.

21.

Par décisions du service des étrangers de la ville d’Offenbach du 30 janvier 2015, les demandes de TE et de RU, introduites le 12 novembre 2014 et visant, respectivement, le renouvellement et la délivrance d’un permis de séjour, ont été rejetées, au motif que leurs moyens de subsistance n’étaient pas garantis conformément à l’article 5, paragraphe 1, point 1, de l’AufenthG. TE et RU ont été invitées à quitter le territoire allemand et menacées d’éloignement vers l’Italie ou le Ghana.

22.

Le recours en injonction introduit par ces dernières contre ces décisions a été rejeté par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) par jugement du 20 novembre 2015.

23.

TE et RU ont ensuite interjeté appel de ce jugement devant le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de Hesse, Allemagne).

24.

Par décision du 11 mars 2016, cette juridiction a admis l’appel en raison de doutes sérieux qu’elle nourrissait quant au bien-fondé du jugement en première instance eu égard à l’importance des soins médicaux dont RU avait besoin, circonstance étant susceptible, selon ladite juridiction, de constituer une exception à la règle générale prévue à l’article 5, paragraphe 1, point 1, de l’AufenthG.

25.

À partir du 1er novembre 2017, la procédure devant la juridiction de renvoi a été suspendue.

26.

Le 7 septembre 2020, la ville de Francfort-sur-le-Main a relancé cette procédure. À présent, elle fait valoir que la délivrance à TE d’un permis de séjour en vertu de l’article 38a de l’AufenthG n’est plus possible. En effet, celle-ci n’aurait plus séjourné en Italie depuis plus de six ans et ne bénéficierait donc plus du statut de résidente de longue durée – UE. Un permis de séjour ne pourrait pas non plus être délivré à TE au titre de l’article 9a de l’AufenthG puisque TE et RU vivent dans un appartement financé par les services sociaux, ce qui ne constituerait pas un « logement approprié » au sens de cette disposition.

27.

Dans ces conditions, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de Hesse) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 38a, paragraphe 1, de l’[AufenthG], qui, selon le droit national, doit être interprété en ce sens que le résident de longue durée qui poursuit sa migration doit bénéficier du statut de résident de longue durée dans le premier État membre également à la date du renouvellement de son titre de séjour, est-il compatible avec les dispositions prévues aux articles 14 et suivants de la directive [2003/109], qui prévoient uniquement qu’un résident de longue durée a le droit de séjourner plus de trois mois sur le territoire d’autres États membres que celui qui lui a accordé le statut de résident de longue durée, pour autant que les conditions fixées par ailleurs au chapitre III de cette directive soient remplies ?

2)

Lorsqu’elle statue sur une demande de renouvellement au titre de l’article 38a, paragraphe 1, de [l’AufenthG], l’autorité compétente en matière d’étrangers est-elle en droit de constater, en vertu des dispositions des articles 14 et suivants de la directive 2003/109, avec pour conséquence la perte d’un droit, que, lorsque les autres conditions d’un renouvellement temporaire sont réunies et que l’étranger dispose en particulier de revenus stables et réguliers, celui-ci a, conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, perdu entre-temps, c’est-à-dire après s’être installé dans le deuxième État membre, le statut dont il disposait dans le premier État membre ? La date pertinente pour statuer est-elle celle de la dernière décision administrative ou juridictionnelle ?

3)

Si les première et deuxième questions appellent une réponse négative :

Est-ce au résident de longue durée qu’il incombe la charge de l’exposé des faits s’agissant de la question de savoir si son droit de séjour en tant que résident de longue durée dans le premier État membre n’a pas expiré ?

En cas de réponse négative, une juridiction ou une autorité nationales sont-elles en droit d’examiner si le titre de séjour délivré pour une durée illimitée au résident de longue durée a expiré ou cela serait-il contraire au principe de droit de l’Union de reconnaissance mutuelle des décisions administratives ?

4)

Peut-il être opposé à une ressortissante d’un pays tiers arrivée en Allemagne en provenance d’Italie avec un titre de séjour délivré pour une durée illimitée à des résidents de longue durée, qui dispose de revenus stables et réguliers, de ne pas avoir établi qu’elle disposait d’un logement approprié, alors que la République fédérale d’Allemagne n’a pas fait usage de l’habilitation prévue à l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 et que l’attribution d’un logement social n’a été nécessaire qu’en raison du fait que, tant que cette ressortissante n’est pas en possession d’un titre de séjour au titre de l’article 38a de [l’AufenthG], aucune allocation familiale ne lui est versée ? »

B.   L’affaire C-129/22

28.

EF, ressortissant pakistanais, est entré sur le territoire allemand le 1er avril 2014, en provenance d’Italie.

29.

Il est en possession d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré en Italie et portant les mentions « illimitata » ([durée] illimitée) et « Soggiornante di Lungo Periodo – [UE] » (séjour de longue durée – [UE]).

30.

Conformément à l’article 38a de l’AufenthG, le service des étrangers du Landkreis Offenbach (district d’Offenbach, Allemagne), compétent à l’époque, lui a octroyé, le 10 juillet 2014, un permis de séjour valable pour une durée d’un an.

31.

Ce permis de séjour a ensuite été renouvelé de manière continue, en dernier lieu le 28 mai 2019 par la ville d’Offenbach-sur-le-Main, désormais compétente, et ce jusqu’au 13 juillet 2021.

32.

La demande de renouvellement du permis de séjour en vertu de l’article 38a de l’AufenthG, déposée par EF le 17 mars 2021, a été rejetée par décision de la ville d’Offenbach-sur-le-Main du 27 avril 2021, en substance au motif que celui-ci avait perdu le statut de résident de longue durée, puisqu’il n’avait pas séjourné en Italie depuis plus de six ans.

33.

Le 6 mai 2021, EF a introduit un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt) visant, notamment, à obliger la ville d’Offenbach-sur-le-Main à renouveler son permis de séjour conformément à l’article 38a de l’AufenthG.

34.

La ville d’Offenbach-sur-le-Main maintient la position exposée dans sa décision du 27 avril 2021, à savoir que EF a perdu le statut de résident de longue durée, puisqu’il n’a pas séjourné en Italie depuis plus de six ans.

35.

Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Un ressortissant d’un pays tiers qui s’est vu reconnaître par un premier État membre (en l’occurrence la République italienne) le statut de résident de longue durée au sens de la directive [2003/109] peut-il demander au deuxième État membre (en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne) le renouvellement d’un titre de séjour qui lui a été délivré en application des articles 14 et suivants de la directive [2003/109], sans prouver qu’il continue à bénéficier du statut de résident de longue durée ?

En cas de réponse négative :

2)

Le statut de résident de longue durée doit-il être considéré comme maintenu dans le deuxième État membre au seul motif que le ressortissant de pays tiers est titulaire d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré par le premier État membre pour une durée illimitée, alors que, pendant six ans, il n’a pas résidé sur le territoire de l’État membre qui lui a accordé ce statut ?

En cas de réponse négative :

3)

Dans le cadre du renouvellement du titre de séjour, le deuxième État membre est-il compétent pour examiner la perte du statut de résident de longue durée conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive [2003/109] et, le cas échéant, pour refuser le renouvellement, ou le premier État membre est-il compétent pour constater la perte ultérieure de ce statut ?

En cas de réponse positive :

4)

Dans ce cas, l’examen du motif de perte du statut de résident de longue durée conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive [2003/109] requiert-il une transposition en droit national qui précise les conditions entraînant la perte du statut de résident de longue durée dans le premier État membre, ou suffit-il que le droit national prévoie, sans référence concrète à [cette] directive, que le deuxième État membre peut refuser le titre de séjour “si l’étranger perd son statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union” ? »

36.

La Commission européenne a déposé des observations écrites dans les deux affaires.

37.

Par décision du président de la Cour du 8 novembre 2022, ces affaires ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision de la Cour.

IV. Analyse

38.

Par sa deuxième question in fine dans l’affaire C‑829/21 et sur laquelle la Cour a demandé que les présentes conclusions soient ciblées, la juridiction de renvoi demande, en substance, quelle doit être la date pertinente à retenir pour l’appréciation de l’existence du statut de résident de longue durée dans le premier État membre aux fins du renouvellement du titre de séjour dans le deuxième État membre.

39.

Plus particulièrement, cette juridiction cherche à savoir si, dans le cadre d’un recours juridictionnel dirigé contre le refus de renouvellement du titre de séjour dans un État membre autre que celui qui a accordé le statut de résident de longue durée à un ressortissant de pays tiers, la date pertinente à retenir doit être celle de la demande de renouvellement du titre de séjour ou celle de la dernière décision administrative ou juridictionnelle concernant cette demande.

40.

À titre liminaire, j’observe qu’il ressort du mécanisme instauré par la directive 2003/109 que c’est précisément parce qu’un premier État membre a accordé au ressortissant de pays tiers le statut de résident de longue durée au titre de l’article 4 de cette directive que la personne concernée pourra acquérir le droit de séjourner sur le territoire d’un deuxième État membre.

41.

En effet, l’article 14 de ladite directive prévoit que la possession du statut de résident de longue durée par la personne concernée dans un premier État membre est une condition d’acquisition du droit de séjourner sur le territoire d’autres États membres et est nécessaire pour obtenir un titre de séjour dans un deuxième État membre. Le droit de séjour accordé dans le deuxième État membre est dès lors dérivé du statut de résident de longue durée dans le premier État membre.

42.

En outre, il ressort d’une lecture combinée des articles 9 et 14, ainsi que de l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109 que, tant que le ressortissant de pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée ou dès lors qu’il l’a perdu ou se l’est vu retirer, le deuxième État membre peut refuser de renouveler le titre de séjour et obliger la personne concernée à quitter son territoire.

43.

Ainsi, il ne fait pas de doute que le statut de résident de longue durée doit exister à la date de la demande de renouvellement d’un titre de séjour dans le deuxième État membre.

44.

Dans l’affaire C‑129/22, la question de la date pertinente à prendre en compte pour apprécier l’existence du statut de résident de longue durée dans le premier État membre ne se pose donc pas. En effet, EF est entré en Allemagne le 1er avril 2014. La période de six ans prévue à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 semble avoir expiré le 1er avril 2020. Or la dernière demande de renouvellement du permis de séjour de EF en Allemagne date du 17 mars 2021. EF ne pouvait donc voir son titre de séjour renouvelé en Allemagne. Il appartient toutefois aux autorités compétentes, en application de l’article 9, paragraphe 4, dernier alinéa, de cette directive, de vérifier auprès des autorités du premier État membre si ce statut n’a pas été conservé.

45.

Dans l’affaire C‑829/21, la Cour souhaite, plus précisément, être éclairée sur la question de la date à retenir, dans le cadre d’un recours juridictionnel dirigé contre le refus de renouvellement du titre de séjour dans le deuxième État membre, pour apprécier l’existence du statut de résident de longue durée dans le premier État membre.

46.

À cet égard, il me semble que trois dates différentes pourraient être considérées comme étant pertinentes aux fins de l’appréciation de l’existence de ce statut. Il pourrait s’agir soit de la date de la demande de renouvellement du titre de séjour dans le deuxième État membre, soit de la date à laquelle l’administration statue sur cette demande, soit de la date à laquelle la juridiction statue sur le recours dirigé contre le refus de renouvellement du titre de séjour.

47.

S’agissant des deuxième et troisième options, je suis d’avis que la possibilité de renouveler le titre de séjour d’un résident de longue durée dans le deuxième État membre ne devrait pas dépendre de la rapidité ou de la longueur du traitement et de l’examen de la demande par les autorités compétentes de cet État membre.

48.

Le droit de séjour dont demande à bénéficier le résident de longue durée – si tant est que la demande de renouvellement du titre de séjour a bien été déposée alors que la personne concernée possédait le statut de résident de longue durée dans le premier État membre – ne peut pas être dépendant du hasard des dates auxquelles les décisions sont rendues, ni de l’écoulement du temps, tel que cela est le cas dans l’affaire C‑829/21.

49.

En effet, c’est seulement après une suspension de la procédure d’une durée de presque trois ans (du 1er novembre 2017 au 7 septembre 2020) que la défenderesse au principal a fait valoir que TE n’avait plus résidé en Italie depuis plus de six ans et que son statut de résident de longue durée y avait déjà expiré.

50.

Ainsi, il me semble que faire dépendre le droit au séjour dans le deuxième État membre de la date de la dernière décision administrative ou juridictionnelle et, dès lors, de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande de renouvellement du titre de séjour est traitée par l’autorité compétente remettrait en cause l’effet utile de la directive 2003/109.

51.

Cette approche irait à l’encontre non seulement de l’objectif de cette directive, qui vise à rapprocher les droits des ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour de longue durée de ceux dont jouissent les citoyens de l’Union ( 6 ), mais également des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique.

52.

S’agissant plus particulièrement d’une procédure juridictionnelle dirigée contre le refus de l’administration de renouveler le titre de séjour du ressortissant de pays tiers, il serait contraire à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et au droit à un recours effectif que l’exercice du recours prévu à l’article 20 de la directive 2003/109 puisse conduire à une situation dans laquelle le ressortissant de pays tiers résident de longue durée puisse perdre son droit de séjour dans le deuxième État membre en raison de l’écoulement du temps inhérent à ce type de contentieux et sur lequel le demandeur semble n’avoir aucune maîtrise ( 7 ).

53.

En outre, dans le cadre d’une telle procédure juridictionnelle, la légalité de l’acte concerné doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date d’adoption de cet acte. Or l’administration compétente, pour apprécier si le ressortissant de pays tiers dispose du statut de résident de longue durée dans le premier État membre, doit se placer au moment du dépôt de la demande de renouvellement de titre de séjour et des pièces justificatives, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/109.

54.

Ainsi, la perte du statut de résident de longue durée dans le premier État membre qui intervient pendant la procédure administrative ou pendant la procédure juridictionnelle subséquente à un refus de renouvellement ne peut être opposée au ressortissant de pays tiers dans le cadre d’une procédure juridictionnelle en raison de l’écoulement du temps entre la date de demande de renouvellement du titre de séjour dans le deuxième État membre et la date à laquelle le juge statue sur la légalité de la décision de l’administration de rejeter cette demande.

55.

Cependant, la perte du statut de résident de longue durée pendant la procédure administrative ou pendant la procédure juridictionnelle n’est pas sans conséquence. En effet, rien n’empêche l’administration, par la suite, après avoir vérifié que le statut de résident de longue durée n’a pas été prolongé dans le premier État membre en application de l’article 9, paragraphe 4, dernier alinéa, de la directive 2003/109, de constater que le ressortissant de pays tiers s’est vu retirer ou a perdu son statut de résident de longue durée en vertu de l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, et de refuser de renouveler ou de lui retirer son titre de séjour en application de l’article 22 de ladite directive.

56.

Toutefois, ce refus de renouvellement ou ce retrait doit faire l’objet d’une nouvelle décision de l’autorité compétente qui pourra donner lieu à une nouvelle contestation et ne peut donc intervenir dans le cadre de la procédure initiale.

57.

À la lumière de ces éléments, je propose à la Cour de dire pour droit que l’article 9, paragraphe 4, et l’article 14 de la directive 2003/109 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une procédure de renouvellement d’un titre de séjour dans un État membre autre que celui qui a accordé le statut de résident de longue durée à un ressortissant de pays tiers, la date pertinente à retenir pour apprécier l’existence de ce statut est la date du dépôt de la demande de renouvellement et des pièces justificatives, et non une date au cours de la phase administrative de l’examen de cette demande ou de l’éventuelle phase juridictionnelle de contestation de la décision de refus de renouvellement.

V. Conclusion

58.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle posée par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de Hesse, Allemagne) dans l’affaire C‑829/21 de la manière suivante :

L’article 9, paragraphe 4, et l’article 14 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011,

doivent être interprétés en ce sens que :

dans le cadre d’une procédure de renouvellement d’un titre de séjour dans un État membre autre que celui qui a accordé le statut de résident de longue durée à un ressortissant de pays tiers, la date pertinente à retenir pour apprécier l’existence de ce statut est la date du dépôt de la demande de renouvellement et des pièces justificatives, et non une date au cours de la phase administrative de l’examen de cette demande ou de l’éventuelle phase juridictionnelle de contestation de la décision de refus de renouvellement.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2004, L 16, p. 44.

( 3 ) JO 2011, L 132, p. 1, ci-après la « directive 2003/109 ».

( 4 ) Le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne), dans l’affaire C‑129/22, ne pose pas cette question explicitement, mais renvoie à la décision de renvoi dans l’affaire C‑829/21.

( 5 ) BGBl. 2008 I, p. 162, ci-après l’« AufenthG ».

( 6 ) Voir considérant 2 de la directive 2003/109.

( 7 ) Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Hogan dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland (Membre de la famille) (C‑768/19, EU:C:2021:247, point 69).

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