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Document 62021TJ0426

Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 8 mars 2023.
Nizar Assaad contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreurs d’appréciation – Rétroactivité – Confiance légitime – Sécurité juridique – Autorité de la chose jugée.
Affaire T-426/21.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2023:114

 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

8 mars 2023 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreurs d’appréciation – Rétroactivité – Confiance légitime – Sécurité juridique – Autorité de la chose jugée »

Dans l’affaire T‑426/21,

Nizar Assaad, demeurant à Beyrouth (Liban), représenté par Mme M. Lester, KC, MM. G. Martin et C. Enderby Smith, solicitors,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme T. Haas et M. M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, L. Madise, P. Nihoul, Mme R. Frendo et M. J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1

Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Nizar Assaad, demande l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2021/751 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2021, L 160, p. 115), du règlement d’exécution (UE) 2021/743 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2021, L 160, p. 1), de la décision (PESC) 2022/849 du Conseil, du 30 mai 2022, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2022, L 148, p. 52), et du règlement d’exécution (UE) 2022/840 du Conseil, du 30 mai 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 148, p. 8), en tant que ces actes le concernent.

I. Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2

Le requérant est un homme d’affaires de nationalités syrienne, libanaise et canadienne.

3

Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2011/273/PESC, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

4

Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe. Le nom du requérant n’y figurait pas lors de l’adoption de ladite décision.

5

Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1). La teneur de ce règlement est, pour l’essentiel, identique à celle de la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste des personnes, des entités et des organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés à ces responsables, figurant à l’annexe II dudit règlement, est identique à celle figurant à l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne, physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et, par ailleurs, examine la liste qui y figure à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

6

Par la décision d’exécution 2011/515/PESC du Conseil, du 23 août 2011, mettant en œuvre la décision 2011/273 (JO 2011, L 218, p. 20), et le règlement d’exécution (UE) no 843/2011 du Conseil, du 23 août 2011, mettant en œuvre le règlement no 442/2011 (JO 2011, L 218, p. 1) (ci-après les « actes de 2011 »), le nom de M. Nizar Al-Assaad a été ajouté à la ligne 3 de la liste figurant à l’annexe I, section A (Personnes), de la décision 2011/273 et à la ligne 3 de la liste figurant à l’annexe II du règlement no 442/2011 (ci-après les « listes de 2011 »).

7

D’une part, aucune information d’identification relative à M. Nizar Al-Assaad n’avait été inscrite dans les listes de 2011. D’autre part, les motifs d’inscription étaient rédigés comme suit :

« Très proche de responsables gouvernementaux de premier plan. Finance la milice Shabiha dans la région de Lattaquié. »

8

Par courrier du 16 septembre 2011, les représentants du requérant ont adressé une lettre au Conseil dans laquelle ils affirmaient que le nom du requérant, qu’ils pensaient être inscrit à la ligne 3 des listes de 2011, avait été transcrit de manière erronée. Ils soutenaient que le nom du requérant était « Nizar Assaad » et non « Nizar Al-Assaad ». À cette occasion, ils précisaient que le nom arabe du requérant était أسعد, ce qui diffère de celui du président Bashar Al-Assad, à savoir الأسد. Enfin, ils ont demandé l’accès au dossier du Conseil ainsi que le retrait du nom du requérant des listes de 2011. Par courrier du 13 octobre 2011, ils ont à nouveau écrit au Conseil afin de l’inviter à prendre position sur leur lettre du 16 septembre 2011.

9

Le 19 octobre 2011, le requérant a introduit devant le Tribunal un recours visant à obtenir, notamment, l’annulation des actes de 2011, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑550/11.

10

Par lettre du 27 octobre 2011, les représentants du requérant se sont à nouveau adressés au Conseil. Par lettre du 28 octobre 2011, le Conseil leur a répondu en indiquant que le requérant n’était pas la personne visée par les listes de 2011 et qu’il s’agissait du cousin du président Bashar Al-Assad.

11

Par lettre du 3 novembre 2011, les représentants du requérant ont demandé au Conseil de corriger les éléments d’identification de la personne visée à la ligne 3 des listes de 2011 et d’adresser une lettre au Tribunal afin, en substance, de lui indiquer la situation exacte du requérant.

12

Le 14 novembre 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/735/PESC modifiant la décision 2011/273 (JO 2011, L 296, p. 53), et le règlement (UE) no 1150/2011 modifiant le règlement no 442/2011 (JO 2011, L 296, p. 1) (ci-après les « actes de novembre 2011 »), par lesquels les mentions relatives au nom et aux informations d’identification de la personne dont le nom était inscrit à la ligne 3 des listes de 2011 ont été modifiées afin d’ajouter, respectivement, son nom arabe, à savoir,
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, et les informations suivantes : « Cousin de Bashar Al-Assad ; ex-directeur de la société “Nizar Oilfield Supplies” ». Par ailleurs, le nom en caractères latins apparaissait comme étant « Nizar Al-Assad ».

13

Par lettre du 15 novembre 2011, le Conseil a informé les représentants du requérant de l’adoption des actes mentionnés au point 12 ci-dessus et a précisé que le requérant n’était pas désigné par les actes de 2011.

14

Par sa décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO 2011, L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. La décision 2011/782 prévoit, à son article 18, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union des personnes dont le nom figure à l’annexe I et, à son article 19, le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et des entités dont le nom figure aux annexes I et II.

15

Le 21 décembre 2011, le Conseil a présenté au Tribunal une exception d’irrecevabilité, conformément à l’article 114, paragraphes 4 et 7, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, tel que modifié le 19 juin 2013, fondée sur l’absence d’intérêt à agir du requérant.

16

Le règlement no 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2012, L 16, p. 1).

17

Par ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), le Tribunal a rejeté le recours du requérant comme étant irrecevable, dès lors que, n’étant pas la personne visée dans les listes de 2011, il n’avait pas d’intérêt à agir.

18

La décision 2011/782 a été remplacée par la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2012, L 330, p. 21).

19

Le 22 avril 2013, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2013/185/PESC mettant en œuvre la décision 2012/739 (JO 2013, L 111, p. 77), et le règlement d’exécution (UE) no 363/2013 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2013, L 111, p. 1). Ces actes ont modifié les mentions relatives au nom de la personne visée à la ligne 3 des listes de 2011 ainsi que ses informations d’identification. Cette inscription figurait désormais à la ligne 36 de la liste figurant à l’annexe I, section A (Personnes), de la décision 2012/739 et à la ligne 36 de la liste figurant à l’annexe II, section A (Personnes), du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes de 2013 »).

20

D’une part, s’agissant du nom de la personne concernée, il était indiqué ce qui suit :

« Nizar (
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) Al-Assad (
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) (ou Al-Assaad, Al-Assad, Al-Asaad) »

21

D’autre part, s’agissant des informations d’identification, il était précisé que la personne concernée était l’« ancien dirigeant de la société “Nizar Oilfield Supplies” ».

22

En revanche, les motifs d’inscription sont demeurés identiques à ceux des actes de 2011.

23

Par lettre du 25 avril 2013, les représentants du requérant ont demandé au Conseil de supprimer les références à « Assaad » et « Al-Assaad » et le nom du requérant en arabe qu’ils précisaient être, selon eux, mal orthographié, ainsi que d’inclure une mention précisant que la personne dont le nom était inscrit sur les listes de 2013 était le cousin de Bashar Al-Assad.

24

Le 4 mai 2013, le Conseil a publié un rectificatif aux actes mentionnés au point 19 ci-dessus (JO 2013, L 123, p. 28) par lequel les mentions relatives au nom et aux informations d’identification de la personne dont le nom était inscrit à la ligne 36 des listes de 2013 ont été modifiées afin, d’une part, de supprimer les noms « Al-Assaad », « Al-Assad » et « Al-Asaad » et de remplacer les noms arabes y figurant par le nom arabe
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et, d’autre part, d’ajouter l’information suivante : « Cousin de Bashar Al-Assad ».

25

La décision 2012/739 a été remplacée par la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14).

26

Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836 modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

27

La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des personnes qui sont liées aux catégories de personnes mentionnées au paragraphe 2, sous a) à g), de ces articles, « dont la liste figure à l’annexe I », sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

28

Le règlement 2015/1828 a modifié, notamment, la rédaction de l’article 15 du règlement no 36/2012 afin d’y intégrer les nouveaux critères d’inscription définis par la décision 2015/1836 et introduits dans la décision 2013/255.

29

Le 28 mai 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/778 modifiant la décision 2013/255 (JO 2018, L 131, p. 16), et le règlement d’exécution (UE) 2018/774 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2018, L 131, p. 1). Ces actes ont modifié les mentions relatives au nom de la personne visée à la ligne 36 de la liste figurant à l’annexe I, section A (Personnes), de la décision 2013/255 et à la ligne 36 de la liste figurant à l’annexe II, section A (Personnes), du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause ») de la manière suivante : « Nizar (
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) al-Asaad (
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) (ou Nizar Asaad) ». Les informations d’identification et les motifs d’inscription étaient identiques à ceux des actes de 2011.

30

Le 17 mai 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/806 modifiant la décision 2013/255 (JO 2019, L 132, p. 36), et le règlement d’exécution (UE) 2019/798 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 132, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2019 »). Les actes de 2019 ont modifié les informations d’identification relatives à la personne visée à la ligne 36 des listes en cause ainsi que les motifs d’inscription de son nom.

31

D’une part, concernant les informations d’identification, il n’était plus fait mention que du sexe masculin de la personne concernée.

32

D’autre part, les motifs d’inscription ont été modifiés comme suit :

« Homme d’affaires syrien influent entretenant des liens étroits avec le régime. Cousin de Bashar Al-Assad et lié aux familles Assad et Makhlouf.

En tant que tel, il a participé au régime syrien, en a tiré avantage ou l’a soutenu de toute autre manière.

L’un des principaux investisseurs dans le secteur pétrolier et ancien dirigeant de la société “Nizar Oilfield Supplies”. »

33

Le 11 septembre 2019, le Conseil a publié un rectificatif aux actes de 2019 (JO 2019, L 234, p. 31, ci-après le « rectificatif de 2019 ») par lequel il a modifié les mentions relatives au nom de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Celles-ci ont désormais fait référence à « Nizar (
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) Al-Assad (
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) (ou Al-Asad ; Assad ; Asad) ».

34

Le 28 mai 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/719 modifiant la décision 2013/255 (JO 2020, L 168, p. 66), et le règlement d’exécution (UE) 2020/716 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2020, L 168, p. 1). Ces actes ont modifié les mentions relatives au nom de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause comme suit : « Nizar (
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) AL-ASSAD (
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) (alias al-Asad ; Assad ; Asad) ». Les motifs d’inscription sont identiques à ceux des actes de 2019.

35

Par lettre du 23 juin 2020, les représentants du requérant, faisant référence aux actes mentionnés aux points 29, 30 et 34 ci-dessus, ont demandé au Conseil de confirmer que le nom du requérant n’était pas inscrit sur les listes en cause (ci-après la « lettre du 23 juin 2020 »).

36

Par lettre du 12 février 2021, le Conseil a informé les représentants du requérant qu’il considérait, après réexamen des informations figurant dans son dossier, que le requérant était effectivement la personne visée à la ligne 36 des listes en cause (ci-après la « lettre du 12 février 2021 »). Dans la même lettre, il a informé les représentants du requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à l’égard de ce dernier avec une nouvelle motivation visant à préciser que celui-ci est bien la personne mentionnée à la ligne 36 des listes en cause. En annexes à ladite lettre, il a transmis les documents WK 4069/2019 INIT, du 21 mars 2019, et WK 985/2021 INIT, du 22 janvier 2021. Il a invité lesdits représentants à présenter leurs observations au plus tard le 26 février 2021.

37

Par lettre du 26 février 2021, les représentants du requérant ont présenté leurs observations au Conseil. En substance, ils ont critiqué le changement de position du Conseil à l’égard du requérant qu’il considérait, à présent, comme étant la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. De plus, ils ont formulé des observations sur les motifs d’inscription et les informations figurant dans les documents WK 4069/2019 INIT et WK 985/2021 INIT. Enfin, ils ont annexé un certain nombre de lettres émanant de personnes et d’une entité et faisant part d’observations sur la situation du requérant.

38

Le 6 mai 2021, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2021/751 et le règlement d’exécution 2021/743 (ci-après, dénommés ensemble, les « actes de 2021 »).

39

D’une part, s’agissant du nom du requérant, il est indiqué qu’il s’agit de « Nizar AL-ASSAD (alias al-Asad, Assad, Asad, Assaad, Asaad, Al-Assaad) (
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;
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;
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; أسعد) ».

40

D’autre part, en ce qui concerne les informations d’identification, il est indiqué que la date de naissance du requérant, de sexe masculin, est le 2 mars 1948, ou le 23 mars 1948 ou mars 1948. Ses nationalités sont syrienne, libanaise et canadienne. Sont également précisés les numéros de passeport syrien (no 011090258), libanais (RL 0003434) et canadien (AG 629220) du requérant.

41

Enfin, les motifs d’inscription sont rédigés comme suit :

« Homme d’affaires syrien influent entretenant des liens étroits avec le régime. Lié aux familles Assad et Makhlouf.

À ce titre, il a participé au régime syrien, en a tiré avantage ou l’a soutenu de toute autre manière.

L’un des principaux investisseurs dans le secteur pétrolier, fondateur et dirigeant de la société Lead Contracting & Trading Ltd. »

42

Par lettre du 7 mai 2021, le Conseil a informé les représentants du requérant qu’il considérait qu’aucun des arguments qu’ils avaient soulevés ne remettait en cause son appréciation. Il a par ailleurs attiré leur attention sur la possibilité de présenter de nouvelles observations avant le 1er mars 2022.

43

Par lettre du 28 mai 2021, le Conseil a informé les représentants du requérant que le nom de ce dernier continuerait de figurer sur les listes en cause, également après leur réexamen.

44

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 juillet 2021, le requérant a introduit le présent recours.

45

Par lettre du 13 avril 2022, le Conseil a informé les représentants du requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à l’égard de celui-ci, en modifiant les motifs mentionnés dans les actes de 2021 afin d’y ajouter à la fin : « Actionnaire majoritaire de la compagnie Syrian Olive Oil Private JSC, producteur d’huiles comestibles basée en Syrie ».

46

En annexe à sa lettre du 13 avril 2022, le Conseil a communiqué aux représentants du requérant le document WK 5366/2022 INIT, du 11 avril 2022, et leur a donné la possibilité de soumettre leurs observations, sur le nouveau motif d’inscription et le document WK 5366/2022 INIT, avant le 29 avril 2022.

47

Par lettre du 28 avril 2022, les représentants du requérant ont présenté leurs observations au Conseil.

48

Le 30 mai 2022, le Conseil a adopté la décision 2022/849 et le règlement d’exécution 2022/840 (ci-après, dénommés ensemble, les « actes de maintien de 2022 »). En vertu de la décision 2022/849, l’application de la décision 2013/255 a été prorogée jusqu’au 1er juin 2023. Le nom du requérant a été maintenu à la ligne 36 de la section A (Personnes) des listes en cause. Le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives à l’égard du requérant par la mention de motifs identiques à ceux mentionnés dans les actes de 2021.

II. Conclusions des parties

49

Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler les actes de 2021 et les actes de maintien de 2022 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») pour autant qu’ils s’appliquent à lui ;

condamner le Conseil aux dépens.

50

Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner le requérant aux dépens ;

à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés, ordonner que les effets de la décision 2022/849 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/840 prenne effet.

III. En droit

51

À l’appui du recours, le requérant soulève cinq moyens, tirés, le premier, d’erreurs d’appréciation, le deuxième, d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, le troisième, d’une violation du principe de sécurité juridique, le quatrième, d’un « abus de pouvoir » et, le cinquième, d’une violation de l’autorité de la chose jugée.

52

Il convient d’examiner ensemble les deuxième et troisième moyens dans la mesure où le principe de protection de la confiance légitime est le corollaire du principe de sécurité juridique [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 301 et jurisprudence citée]. En outre, ces deux moyens trouvent leur source dans la même prémisse, à savoir que les actes attaqués ont un effet rétroactif en ce sens que, selon le requérant, ils établissent pour la première fois qu’il est la personne visée à la ligne 36 depuis l’adoption des actes de 2011.

53

Avant de procéder à l’examen de ces moyens, il convient de préciser l’objet du présent recours et de se prononcer sur la recevabilité des éléments de preuve soumis par le requérant dans le cadre de la réplique.

A. Sur l’objet et la portée du présent recours

54

Par son recours, le requérant demande uniquement l’annulation des actes de 2021 et des actes de maintien de 2022, en ce qu’ils le visent.

55

Il convient de rappeler que le requérant est bien la personne visée par les actes attaqués et il n’est pas contesté qu’il fait l’objet de mesures restrictives depuis, à tout le moins, l’adoption desdits actes. En revanche, les parties s’opposent sur le fait de savoir si le requérant faisait l’objet de mesures restrictives avant l’adoption des actes de 2021.

56

À cet égard, en substance, le requérant considère qu’il n’était pas soumis à de telles mesures, ainsi que le Conseil l’aurait reconnu à de nombreuses reprises avant l’envoi de la lettre du 12 février 2021. Le Conseil, quant à lui, estime qu’il a commis une erreur en considérant que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause alors qu’il s’agissait, en réalité, du requérant, et ce depuis l’adoption des actes de 2011. Dans ces circonstances, il a entendu, par le biais des actes de 2021, clarifier les éléments d’identification de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause et modifier les motifs d’inscription afin qu’il en ressorte clairement qu’il s’agissait du requérant et que son nom était inscrit sur les listes en cause depuis les actes de 2011. Le requérant en déduit que les actes attaqués ont un effet rétroactif, ce que conteste le Conseil.

57

D’une part, il convient donc d’examiner si les motifs d’inscription des actes attaqués sont suffisamment étayés. Cela sera analysé dans le cadre du premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation. D’autre part, il y a lieu de s’interroger sur l’effet potentiellement rétroactif des actes attaqués, ce qui sera étudié dans les deuxième et troisième moyens pris ensemble, tirés, respectivement, d’une violation du principe de protection de la confiance légitime et d’une violation du principe de sécurité juridique.

58

Il ressort, en revanche, des points 49 et 54 ci-dessus que le Tribunal n’est pas saisi de la question de la légalité des actes antérieurs aux actes attaqués. En d’autres termes, il ne s’agit pas de vérifier si les motifs d’inscription figurant dans lesdits actes sont étayés à suffisance de droit, ni même si les éléments d’identification de ces actes sont suffisamment précis pour établir que le requérant est effectivement la personne visée par les mêmes actes.

B. Sur la recevabilité des éléments de preuve soumis par le requérant dans le cadre de la réplique

59

Le Conseil fait valoir que la plupart des certificats produits par le requérant et relatifs à ses intérêts commerciaux dans des entreprises telles que Lead Contracting and Trade Company (ci-après « Lead Syria en liquidation »), Lead Contracting and Trading Limited (ci-après « Lead UAE »), Gulfsands Petroleum et Cham Holding sont antérieurs à la requête et que le requérant n’a pas justifié le retard quant à la présentation de ces documents.

60

Interrogé lors de l’audience, le requérant souligne, en substance, que le Conseil n’a pas précisé quels documents annexés à la réplique il considérait comme étant tardifs. En tout état de cause, il soutient que les documents annexés à la réplique ont été fournis en réponse aux arguments avancés par le Conseil dans le mémoire en défense.

61

Il convient de rappeler que l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les preuves et offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. Le paragraphe 2 de cet article ajoute que les parties peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié. Dans ce dernier cas, conformément au paragraphe 4 dudit article, le Tribunal statue sur la recevabilité des preuves produites ou des offres de preuve qui ont été faites après que les autres parties ont été mises en mesure de prendre position sur celles-ci (arrêt du 13 décembre 2018, Post Bank Iran/Conseil, T‑559/15, EU:T:2018:948, point 74).

62

En outre, l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure doit être lu à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées. Par conséquent, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue par l’article 85, paragraphe 2, de ce règlement (voir arrêt du 18 septembre 2017, Uganda Commercial Impex/Conseil, T‑107/15 et T‑347/15, non publié, EU:T:2017:628, point 72 et jurisprudence citée).

63

En l’espèce, il convient de relever, à l’instar du requérant, que le Conseil ne dresse pas la liste exacte des documents annexés à la réplique qu’il considère comme étant tardifs. Néanmoins, compte tenu des entreprises mentionnées au point 59 ci-dessus, il y a lieu de considérer que le Conseil fait référence aux annexes C.4 à C.6 (relatives à Lead Contracting and Trade Company), C.8 à C.10 (relatives à Lead Contracting and Trading Limited), C.11 et C.14 (relatives à Gulfsands Petroleum) et à l’annexe C.16 (relative à Cham Holding).

64

Or, il y a lieu de remarquer que le Conseil a souligné, au point 79 du mémoire en défense, que le requérant n’avait produit aucun certificat attestant de la liquidation des entreprises qui lui sont liées ni aucun certificat de vente portant sur les actions qu’il détenait dans ces entreprises. De plus, le Conseil a contesté, aux points 80 à 83 du mémoire en défense, la valeur probante des lettres émanant de tiers produites par le requérant en annexe à sa requête et visant à attester qu’il n’avait plus d’intérêts commerciaux en Syrie.

65

Ainsi, les éléments de preuve du requérant, par lesquels ce dernier cherche à démontrer qu’il n’a plus d’intérêts dans les sociétés mentionnées au point 59 ci-dessus, ont été produits afin de répondre aux arguments du Conseil.

66

De même, les autres preuves soumises par le requérant en annexe à la réplique, dont la recevabilité n’est au demeurant pas contestée par le Conseil, visent à étayer les arguments que le requérant a présentés en réponse aux arguments avancés dans le mémoire en défense du Conseil et rappelés au point 64 ci-dessus.

67

Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que l’ensemble des preuves soumises par le requérant en annexe à la réplique visent à répondre aux arguments du Conseil soumis dans le cadre du mémoire en défense et sont, dès lors, recevables.

C. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

68

Le requérant soutient, en substance, que le Conseil a commis une erreur en inscrivant son nom sur les listes en cause, puisqu’il ne remplit pas les critères d’inscription. À cet égard, il fait valoir que, s’il a été par le passé un homme d’affaires en Syrie, il n’a à l’heure actuelle plus aucune activité dans ce pays. De même, il affirme ne pas avoir de liens avec les familles Assad ou Makhlouf. Enfin, il prétend ne pas être associé au régime syrien.

69

Le Conseil conteste les arguments du requérant et considère, en substance, avoir démontré le bien-fondé des motifs d’inscription.

1.   Considérations liminaires

70

Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

71

Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

72

C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

73

À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étaient les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

74

Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées notamment par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

75

Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

76

Enfin, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46).

77

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser le premier moyen.

2.   Sur les motifs d’inscription et la détermination des critères d’inscription

78

Il convient de rappeler que les critères généraux d’inscription énoncés à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, prévoient que les personnes et les entités bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci font l’objet de mesures restrictives. De même, l’article 27, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la même décision, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, du même règlement, disposent que la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » fait l’objet de mesures restrictives, sauf s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime syrien ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement. Enfin, l’article 27, paragraphe 2, dernière phrase, et paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 2, dernière phrase, et paragraphe 3, de ladite décision, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, dernière phrase, et paragraphe 1 ter, dudit règlement, prévoient que les personnes et les entités qui sont liées aux personnes, entités et organismes relevant de l’un des critères d’inscription font l’objet de mesures restrictives, sauf s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime syrien ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement.

79

Ainsi qu’il a été mentionné au point 41 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont les suivants :

« Homme d’affaires syrien influent entretenant des liens étroits avec le régime. Lié aux familles Assad et Makhlouf.

À ce titre, il a participé au régime syrien, en a tiré avantage ou l’a soutenu de toute autre manière.

L’un des principaux investisseurs dans le secteur pétrolier, fondateur et dirigeant de la société Lead Contracting & Trading Ltd. »

80

Il y a lieu de déduire des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause que ce dernier a vu son nom être inscrit en raison, premièrement, de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, conformément au critère défini à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie), deuxièmement, de son lien avec le régime syrien, conformément au critère défini à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de ladite décision et à l’article 15, paragraphe 1, sous a), dudit règlement (critère de l’association avec le régime) et, troisièmement, de son lien avec des membres des familles Assad et Makhlouf, conformément au critère défini à l’article 27, paragraphe 2, dernière phrase, et à l’article 28, paragraphe 2, dernière phrase, de la même décision et à l’article 15, paragraphe 1 bis, dernière phrase, du même règlement (critère du lien avec une personne ou une entité visée par les mesures restrictives).

3.   Sur les éléments de preuve

81

Pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a fourni le document WK 4069/2019 INIT, comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens, des articles de presse et des captures d’écran provenant :

du site Internet Syrian Oil & Gas News, qui, dans une publication du 31 juillet 2010, affiche une photographie du requérant et le décrit comme un homme d’affaires ayant réalisé des investissements importants en Syrie, en particulier au travers de Lead Syria en liquidation, en partenariat avec M. Ghassan Muhanna ; selon cette publication, cette société est l’une des plus vieilles et grandes sociétés de construction dans le secteur pétrolier syrien ; cette publication indique en outre qu’il est un partenaire dans la société Asaad Beitenjaneh & Partners Company for Processing & Refining Edible Oils, active dans la production de pétrole, et qu’il est à la tête de la branche syrienne de la chambre de commerce syro-algérienne et un membre du comité national syrien de la chambre internationale de commerce de la Syrie ; cette publication mentionne enfin les projets et les sociétés dans lesquels le requérant a été impliqué, à savoir Cham Holding, United Insurance Company, Al Badia Cement JSC, Bank Audi Syria, Syrian Arab Insurance Company, Aqeelah Takaful Insurance Company, Dajajouna, et le fait qu’il possède une écurie de chevaux pur-sang arabes ;

du site Internet Aks al Ser, qui, dans une publication du 6 septembre 2012, indique que, selon une source proche du requérant, ce dernier a fui, en emmenant avec lui des millions de dollars, de Syrie en Algérie, où il a de très importants projets et investissements dans les secteurs pétrolier et gazier ; cette publication rapporte que, selon cette source, le requérant a commencé à liquider ses actifs financiers et à retirer son argent des banques après le bombardement du quartier général de la sécurité nationale syrienne ; cette publication décrit en outre le requérant comme l’un des plus importants investisseurs dans le secteur pétrolier de Syrie et comme étant connu comme le pivot central de ce secteur dans le milieu des affaires ; cette publication signale par ailleurs que le requérant possède des parts dans Cham Holding, est l’un des fondateurs de Bank Audi Syria, et est un partenaire d’Al Badia Cement et de Lead Syria en liquidation ; cette publication indique enfin que le requérant appartient à un groupe d’hommes d’affaires qui bénéficie du régime syrien, qu’il a des relations dans les cercles décisionnels, jouant le rôle d’intermédiaire entre le régime syrien et d’autres pays pour l’extraction de pétrole ;

du site Internet Dawdaa qui, dans une publication du 2 novembre 2017, relate que des rapports non confirmés font état d’un schisme entre le régime syrien et le requérant, en charge des problèmes liés au pétrole ; cette publication précise en outre que le requérant n’est pas un membre de la famille Assad mais qu’il en reste proche en raison de ses responsabilités ; cette publication indique enfin que le requérant est un partenaire d’affaires de M. Ghassan Muhanna, l’oncle de M. Rami Makhlouf, dans leur entreprise Lead Syria en liquidation ;

du site Internet Syriano qui, dans une publication du 22 janvier 2015, indique que le requérant possède 50 % de Lead Syria en liquidation et que l’autre part est détenue par M. Ghassan Muhanna pour le compte de M. Mohammed Makhlouf dont il est le beau-frère ;

du site Internet Orient News qui, dans un article du 2 février 2015, décrit le requérant comme le « parrain » du secteur pétrolier syrien et comme ayant participé à l’alliance « pétrole contre nourriture » en collaboration avec M. Maher Al-Assad, le frère du président Bashar Al-Assad ;

du site Internet Ayn Almadina qui, dans un article du 22 juillet 2018, relate l’ascension du requérant, depuis ses origines modestes jusqu’à son statut de riche homme d’affaires dans le secteur pétrolier, qu’il doit à ses liens avec son cousin, M. Mohammed Makhlouf ; cet article indique en outre que le requérant a la nationalité canadienne et a récemment acquis la nationalité libanaise ; il est aussi précisé que le requérant a fondé Lead Syria en liquidation avec M. Mohammed Makhlouf et le beau-frère de ce dernier, M. Ghassan Muhanna ; cet article mentionne enfin que la mère du requérant, Mme Jamila Muhanna, est la cousine de la femme de M. Mohammed Makhlouf.

82

Le Conseil a également fourni le document WK 985/2021 INIT. Ce document contient une première partie, divisée en trois titres, donnant des informations d’identification du requérant, fournissant une présentation de celui-ci ainsi qu’une description de ses liens avec le régime syrien et expliquant les variations patronymiques du requérant. De plus, en tant que pièce no 3, le Conseil fournit une photocopie des passeports et documents d’identité du requérant. Sont ainsi reproduits ses passeports libanais, syrien, canadien ainsi que son visa de résidence aux Émirats arabes unis en tant que dirigeant de Lead UAE. La pièce no 4 est un certificat relatif à Lead UAE du 17 septembre 2018. Enfin, le document reproduit des liens, des articles de presse et des captures d’écran. Parmi ceux-ci, quatre d’entre eux sont identiques à ceux figurant dans le document WK 4069/2019 INIT, à savoir les publications émanant des sites Internet Syriano et Dawdaa ainsi que les articles de presse provenant des sites Internet Orient News et Ayn Almadina. Quant aux autres, il s’agit des éléments d’information provenant :

du site Internet Syrian Oil & Gas News, qui, dans une publication du 2 août 2010, reprend les mêmes informations que la publication faite sur ce même site le 31 juillet 2010, et ajoute que le requérant est un partenaire de l’entité Asaad Beitenjaneh & Partners Company for Syrian Olive Oil ;

du site Internet Al-Iqtisadi qui, sur une page consultée le 21 janvier 2020, décrit le requérant comme le fondateur et président de Lead UAE, enregistrée dans la zone libre de Jebel Ali aux Émirats arabes unis ;

du site Internet Al Khaleej Online qui, dans un article intitulé « Who steals the Syrian oil ? » (Qui vole le pétrole syrien ?) du 8 novembre 2019, également publié sur le site Internet Anadolu Arabic le 7 novembre 2019 sous un titre différent, indique que des milliards de dollars provenant de la vente de pétrole au travers d’entreprises telles que Lead Syria en liquidation, basée à Damas (Syrie), sont passés sur le compte de la famille Assad ; Lead Syria en liquidation est conjointement détenue par M. Mohammed Makhlouf et son parent M. Nizar Asaad ; M. Mohammed Makhlouf a enregistré sa part sous le nom de son beau-frère, M. Ghassan Muhanna ;

du site Internet Al Hewar qui, dans un article du 14 mai 2014 intitulé « Looting of the funds and wealth of the Syrian people under the rule of the Al-Assad family, coalition administration, and the interim government (in number and facts) » [Pillage des fonds et des richesses du peuple syrien sous le règne de la famille Al-Assad, de l’administration de coalition et du gouvernement intérimaire (en chiffres et en faits)], indique que le requérant, en tant que parent de M. Mohammed Makhlouf, a établi Lead Syria en liquidation dans l’industrie du pétrole au bénéfice de la famille Assad ;

du livre intitulé « The Political Economy of investment in Syria » (L’économie politique de l’investissement en Syrie), publié en 2015, qui indique que, selon un article du site Internet The Syria Report du 2 juillet 2007, le requérant, un homme d’affaires important, est le PDG et l’actionnaire principal de Lead Syria en liquidation, la plus grande entreprise de services pétroliers du pays, et a investi, avec M. Rami Makhlouf, 23,2 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 17,23 millions d’euros) dans Gulfsands Petroleum, compagnie pétrolière basée au Royaume-Uni et opérant en Syrie.

4.   Sur la fiabilité et la pertinence des éléments de preuve

83

Le requérant remet en cause la fiabilité et la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil afin d’étayer le bien-fondé des motifs d’inscription.

84

En premier lieu, s’agissant de la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil, il convient de rappeler que, d’une part, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (voir arrêt du 14 avril 2021, Al-Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 71 et jurisprudence citée).

85

D’autre part, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 14 avril 2021, Al-Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 72 et jurisprudence citée).

86

Force est de constater que le requérant se contente d’alléguer que les éléments de preuve du Conseil sont des rapports de ouï-dire émanant de tiers et de publications en ligne non indépendants, sans étayer son argumentation par des éléments concrets. À cet égard, dès lors que les éléments de preuve soumis par le Conseil, communiqués au requérant, proviennent de sources publiquement accessibles, il lui était possible d’indiquer lesquelles, selon lui, étaient par exemple favorables au régime syrien. En particulier, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 74 ci-dessus, s’il appartient au Conseil d’apporter les éléments de preuve à l’appui des motifs d’inscription, il revient au requérant d’indiquer ceux d’entre eux qui pourraient soulever des doutes quant à leur fiabilité (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2021, Al-Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 73).

87

En second lieu, s’agissant de la pertinence des éléments de preuve soumis par le Conseil, le requérant soutient que la plupart d’entre eux ne sont plus d’actualité. À cet égard, il remarque que sept d’entre eux ont plus de six ans et que, parmi les trois articles datant de moins de six ans, seulement l’un d’entre eux est antérieur de deux ans à la date d’adoption des actes attaqués. De plus, plusieurs de ces articles seraient encore moins pertinents que le suggère leur date de publication dans la mesure où ils feraient état d’événements antérieurs à la liquidation des intérêts commerciaux du requérant en Syrie. En définitive, ces éléments de preuve démontreraient que le requérant a été un homme d’affaires exerçant ses activités en Syrie, ce qu’il ne contesterait pas, mais ne seraient pas en mesure de prouver qu’il est actuellement un tel homme d’affaires.

88

À cet égard, il convient de relever que plus les éléments de preuve sont anciens par rapport à la date d’adoption des actes édictant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, moins ils sont susceptibles de constituer, en eux-mêmes, une base suffisante pour fonder les actes litigieux. En ce sens, s’ils peuvent être utilisés par le Conseil, le laps de temps important qui s’est écoulé entre, d’une part, leur publication et, d’autre part, l’adoption des actes litigieux exige de la part du Conseil qu’il les corrobore par d’autres éléments de preuve plus récents (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/Hamas, C‑79/15 P, EU:C:2017:584, points 32 et 33).

89

En l’espèce, les différents éléments de preuve soumis par le Conseil relayent, dans leur majorité, des informations qui se recoupent, de sorte que même les plus anciens peuvent, dans une certaine mesure, être pertinents pour démontrer le bien-fondé des motifs d’inscription.

90

Dans ces circonstances, il convient de considérer que les éléments de preuve soumis par le Conseil ont un caractère sensé et fiable et sont, a priori, pertinents pour étayer les motifs d’inscription.

91

Néanmoins, il y aura lieu de prendre en considération le caractère ancien des éléments de preuve produits par le Conseil pour déterminer si, au regard de l’ensemble du dossier, ils sont suffisants pour démontrer le bien-fondé des motifs d’inscription.

5.   Sur les motifs d’inscription

a)   Sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie

1) Sur les intérêts économiques du requérant

92

Tout d’abord, il ressort des éléments d’information provenant de la quasi-totalité des articles ou des publications fournis par le Conseil, à l’exception de l’article provenant du site Internet Orient News et de la page du site Internet Aliqtisadi, que le requérant est le fondateur et partenaire de Lead Syria en liquidation, société opérant dans les secteurs pétrolier et gazier. Cela est également indiqué dans la première partie du document WK 985/2021 INIT, sous le titre « Présentation et liens de proximité avec le régime syrien ». Ensuite, il ressort tant du visa de résidence du requérant aux Émirats arabes unis que de la page du site Internet Aliqtisadi que le requérant dirige Lead UAE. Par ailleurs, le requérant est décrit comme impliqué dans différentes entités par les sites Internet Syrian Oil & Gas News et Aks al Ser. Enfin, l’extrait du livre « The Political Economy of investment in Syria » fait référence à l’investissement du requérant dans Gulfsands Petroleum, compagnie pétrolière basée au Royaume-Uni qui opère en Syrie.

93

Ainsi, les éléments de preuve soumis par le Conseil tendent à démontrer que le requérant est un investisseur dans le secteur pétrolier syrien.

94

Le requérant conteste cette description et fait valoir, en substance, qu’il ne détient plus aucun intérêt commercial en Syrie.

95

En premier lieu, s’agissant de Lead Syria en liquidation, le requérant fournit le contrat de novembre 2011 par lequel il s’est retiré de la société au profit de A et produit, pour démontrer que cette société était inactive depuis 2012, les déclarations de revenus de cette entité pour les années 2012 à 2020. Il produit également un certificat émanant du registre de commerce de Damas, du 5 janvier 2021, qui indique que Lead Syria en liquidation a été mise en liquidation le 8 novembre 2020, soit avant la date d’adoption des actes attaqués.

96

Or, force est de constater que, d’une part, tous les éléments de preuve soumis par le Conseil et relatifs à Lead Syria en liquidation portent une date antérieure au 5 janvier 2021. D’autre part, le Conseil n’avance aucun argument pour soutenir que Lead Syria en liquidation serait encore active ou que les preuves fournies par le requérant manqueraient de caractère sensé et fiable.

97

Par conséquent, il y a lieu de conclure que le requérant a démontré ne plus avoir d’intérêt dans Lead Syria en liquidation, qui était, en tout état de cause, inactive et en liquidation à la date d’adoption des actes attaqués.

98

En deuxième lieu, en ce qui concerne Lead UAE, le requérant fournit deux documents émanant de QNA Auditors, un cabinet d’audit situé à Dubaï (Émirats arabes unis), par lesquels ce dernier atteste que Lead UAE n’exerce pas d’activités en Syrie. Il s’agit d’une lettre du 18 février 2021 et d’un tableau du 15 novembre 2021 établi par QNA Auditors afin de certifier la liste des projets en cours et achevés par Lead UAE. Il ressort de ce dernier tableau que Lead UAE a des projets de construction en Algérie et au Qatar.

99

Il y a lieu de relever que, hormis le visa de résidence du requérant aux Émirats arabes unis produit par le Conseil, seule la page du site Internet Al-Iqtisadi fait mention de Lead UAE. Or, cette page n’indique pas où les projets de Lead UAE sont réalisés.

100

Quant à l’argument du Conseil selon lequel il ne ressort pas clairement de la lettre du 18 février 2021 si les déclarations qui y sont contenues concernent Lead UAE ou Lead Syria en liquidation, il convient de le rejeter comme étant non fondé. En effet, le requérant a fourni des explications étayées visant à distinguer Lead Syria en liquidation de Lead UAE. À cet égard, il a produit des éléments de preuve relatifs à chacune de ces sociétés, émanant d’organes tels qu’un cabinet d’audit ou un registre de commerce, qui permettent d’affirmer que Lead Syria en liquidation est la société qu’il avait fondée avec M. Ghassan Muhanna en Syrie avant de s’en retirer en 2011, tandis que Lead UAE est une entreprise qu’il a créée aux Émirats arabes unis.

101

Certes, la grande similitude entre les noms de ces sociétés est propice à la confusion. Néanmoins, tandis que le requérant a pris soin d’établir une convention d’écriture claire et de donner des explications afin d’aider le Tribunal à distinguer ces deux entités, le Conseil n’a, en revanche, pas mis le Tribunal en mesure de comprendre aisément à quelle entité les différents éléments de preuve contenus dans les documents WK 4069/2019 INIT et WK 985/2021 INIT, faisant usage de dénominations différentes, font référence, voire entretient une certaine confusion dans ses écritures. Enfin, force est de constater que le Conseil a confirmé, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, qu’il y avait bien deux entités, à savoir Lead Syria en liquidation et Lead UAE, et que lorsqu’il était fait référence à une entité créée par le requérant et M. Ghassan Muhanna, il y avait lieu de comprendre qu’il s’agissait de Lead Syria en liquidation.

102

Dès lors, le requérant a démontré que Lead UAE, établie aux Émirats arabes unis, ce qui est confirmé par les éléments de preuve soumis par le Conseil, n’exerce pas d’activités en Syrie.

103

En tout état de cause, il convient de noter que le requérant produit une décision du 23 mars 2020 émanant du seul actionnaire de Lead UAE, la société B, acceptant sa démission en tant que directeur à compter de cette date.

104

Or, le Conseil n’a avancé aucun argument visant à contester la démission du requérant ni remis en cause la fiabilité des éléments de preuve fournis par ce dernier.

105

Partant, il convient de considérer que le requérant a démontré ne plus être impliqué dans Lead UAE qui, en tout état de cause, n’est pas une société établie en Syrie et n’y exerce aucune activité.

106

En troisième lieu, il convient d’examiner l’implication du requérant dans les différentes entités mentionnées sur les sites Internet Syrian Oil & Gas News et Aks al Ser.

107

Premièrement, s’agissant de la société Asaad and Petngnap & Co, qu’il associe, sans être contredit sur ce point par le Conseil, à Asaad Beitenjaneh & Partners Company for Processing & Refining Edible Oils, transformée en 2011 en une société privée nommée Syrian Private Joint-stock Company for Processing and Refining Edible Oils, le requérant produit une lettre du 15 novembre 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il n’a pas d’actions de celle-ci à cette date. Certes, cette déclaration, qui établit la situation du requérant à l’égard de ladite société telle qu’elle existait à une date postérieure à celle de l’adoption des actes de 2021, ne démontre pas que le requérant n’avait pas, au moment où le Conseil a adopté les mesures restrictives à son égard, de telles actions. Néanmoins, la seule preuve produite par le Conseil indiquant que le requérant est un partenaire de ladite entité est ancienne, puisque celle-ci remonte à 2010. En outre, aucun autre élément de preuve plus récent ne vient corroborer cette information. De plus, le Conseil n’a avancé aucun argument pour soutenir que le requérant avait toujours des intérêts dans cette société. Enfin, il n’a pas non plus avancé d’argument visant à contester la fiabilité et la pertinence de l’élément de preuve produit par le requérant. Dans ces conditions, il existe un doute raisonnable que, lors de l’adoption des actes de 2021, le requérant avait encore le statut d’actionnaire de la société en question.

108

En revanche, concernant les actes de maintien de 2022, la preuve produite par le requérant étant antérieure à leur date d’adoption et le Conseil n’ayant fourni aucun élément de preuve supplémentaire, il y a lieu de considérer que le requérant a démontré qu’il n’avait plus le statut d’actionnaire de la société Asaad and Petngnap & Co lors de leur adoption.

109

Deuxièmement, s’agissant de la compagnie d’assurances United Insurance Company, le requérant produit une lettre du 16 novembre 2021 émanant du président de cette compagnie et attestant qu’il n’a pas d’actions de celle-ci depuis 2012. Pour sa part, le Conseil produit une seule publication visant à démontrer que le requérant a un investissement dans cette entité qui date de 2010 et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de la lettre susmentionnée. Il y a donc lieu de conclure que le requérant a démontré qu’il n’avait pas d’actions de ladite société lors de l’adoption des actes attaqués.

110

Troisièmement, s’agissant de la société Al Badia Cement JSC, le requérant fournit une lettre du 25 avril 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il a démissionné de son poste de membre du conseil d’administration le 25 septembre 2011 et a vendu les parts détenues en 2011. Il produit, aux fins de démontrer qu’il n’a plus d’intérêt dans cette société, deux autres documents, provenant du site Internet WikiLeaks, qui confirment ladite démission. Pour sa part, le Conseil n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de ces éléments de preuve. Ainsi, le requérant a démontré qu’il n’était pas lié à la société en question lors de l’adoption des actes attaqués.

111

Quatrièmement, s’agissant de la banque Bank Audi Syria, qu’il dit être devenue Ahli Trust Bank, ce qui n’est pas contesté par le Conseil, le requérant produit une lettre du 11 novembre 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il n’a pas d’actions de celle-ci jusqu’à ce jour. Pour sa part, le Conseil produit uniquement des éléments datant de 2010 et de 2012 et indiquant que le requérant est un partenaire de cette entité et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de la lettre susmentionnée. Il y a donc lieu de conclure que le requérant a démontré qu’il n’était pas actionnaire de cette banque lors de l’adoption des actes attaqués.

112

Cinquièmement, s’agissant de la société Syrian Arab Insurance Company, le requérant produit une lettre du 9 novembre 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il n’a pas eu d’actions de celle-ci jusqu’à cette date. Pour sa part, le Conseil produit une seule publication visant à démontrer que le requérant a un investissement dans ladite société qui date de 2010 et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de la lettre susmentionnée. Il y a donc lieu de conclure que le requérant a démontré qu’il n’avait pas d’actions de cette société lors de l’adoption des actes attaqués.

113

Sixièmement, s’agissant de la compagnie d’assurances Aqeelah Takaful Insurance Company, le requérant fournit une lettre du 10 mai 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il n’avait pas d’actions de cette compagnie « jusqu’au 31 mars 2021 ». Interrogé lors de l’audience, il a confirmé que cette formulation suggérait seulement qu’il ne possédait pas d’actions de cette société. En tout état de cause, cet élément de preuve démontre, à tout le moins, que, contrairement à ce qui était indiqué dans une publication figurant sur le site Internet Syrian Oil & Gas News, le requérant ne possédait pas d’actions, en 2010, de ladite société. Pour sa part, le Conseil produit une seule publication visant à démontrer un lien entre le requérant et ladite compagnie d’assurances et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de la lettre susmentionnée. Il existe donc un doute raisonnable que, lors de l’adoption des actes attaqués, le requérant était lié à la compagnie d’assurances en question.

114

Septièmement, s’agissant de Dajajouna, qui est, selon lui, une marque de la société DANZ for Food Industries, ce qui n’est pas contesté par le Conseil, le requérant produit une lettre du 15 novembre 2021 déclarant qu’il n’a pas eu d’actions de cette société entre le 3 janvier 2010 et le 15 novembre 2021. Pour sa part, le Conseil produit une seule publication visant à démontrer que le requérant a un investissement dans cette entité qui date de 2010 et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité ou le contenu de la lettre susmentionnée. Il y a donc lieu de conclure que le requérant a démontré qu’il n’avait pas d’actions de ladite société lors de l’adoption des actes attaqués.

115

Huitièmement, s’agissant de la société Assaad Baitangana and Partners for producing oils, qu’il associe, sans être contesté sur ce point par le Conseil, à Asaad Beitenjaneh & Partners Company for Syrian Olive Oil, transformée en 2011 en une société privée nommée Syrian Olive Oil Private Joint-stock Company, le requérant fournit une lettre du 15 novembre 2021 émanant de cette dernière entité et attestant qu’il n’a pas d’actions dans celle-ci à cette date. Certes, cette déclaration, qui établit la situation du requérant à l’égard de cette société telle qu’elle existait à une date postérieure à celle de l’adoption des actes de 2021, ne démontre pas que le requérant n’avait pas, au moment où le Conseil a adopté les mesures restrictives à son égard, de telles actions. Toutefois, la seule preuve produite par le Conseil indiquant que le requérant est un partenaire de cette entité est ancienne, puisqu’elle remonte à 2010. En outre, aucun autre élément de preuve plus récent ne vient corroborer cette information. De plus, le Conseil n’a avancé aucun argument pour soutenir que le requérant avait toujours des intérêts dans cette société. Enfin, il n’a pas non plus avancé d’argument visant à contester la fiabilité et la pertinence de l’élément de preuve produit par le requérant. Dans ces conditions, il existe un doute raisonnable que, lors de l’adoption des actes de 2021, le requérant avait encore le statut d’actionnaire de la société en question.

116

En revanche, concernant les actes de maintien de 2022, la preuve produite par le requérant étant antérieure à leur date d’adoption et le Conseil n’ayant fourni aucun élément de preuve supplémentaire, il y a lieu de considérer que le requérant a démontré qu’il n’avait plus le statut d’actionnaire de Syrian Olive Oil Private Joint-stock Company lors de leur adoption.

117

Neuvièmement, s’agissant de la société Cham Holding, le requérant produit une lettre du 12 mai 2021 émanant de cette entité et attestant qu’il n’a plus d’actions de cette société depuis le 26 juin 2014. Pour sa part, le Conseil produit deux publications datant de 2010 et de 2012 et indiquant que le requérant a des intérêts dans ladite société et n’avance aucun argument visant à contester la fiabilité et la pertinence de la lettre susmentionnée ou à démontrer que le requérant avait toujours des intérêts dans cette société. Il convient donc de considérer que le requérant a apporté la preuve qu’il n’avait plus d’actions de la société en question lors de l’adoption des actes attaqués.

118

Il résulte de ce qui précède que le requérant a apporté des éléments de preuve suffisants pour remettre en cause le bien-fondé des constatations portées par le Conseil à l’égard de son implication dans différentes entités syriennes.

119

Enfin, dixièmement, s’agissant de la société Gulfsands Petroleum, tout d’abord, le requérant ne conteste pas avoir détenu des parts dans cette société, mais indique qu’il détenait ces parts par l’intermédiaire de Hickam Ventures Ltd. À cet égard, il fournit un relevé du portefeuille d’actions de cette dernière du 31 décembre 2008, duquel il ressort que, effectivement, celle-ci possédait des parts dans ladite société. Ensuite, il précise ne pas avoir fondé la société en question, contrairement à ce que soutient le Conseil, et produit à cet égard l’acte constitutif de pareille société, datant du 2 décembre 2014. La lecture de ce document laisse apparaître que le requérant n’était ni le fondateur ni le directeur de la société concernée au moment de sa constitution. Par ailleurs, il fournit un état de la répartition des actifs et de l’évolution du portefeuille d’Hickam Ventures pour démontrer que cette dernière s’est séparée des actions de la société en cause en 2009. Il convient de relever que l’évolution du portefeuille établie le 31 décembre 2009 montre une disparition de telles actions. Cela est confirmé par la liste des actionnaires de la même société, du 3 décembre 2010, dans laquelle ni Hickam Ventures ni le nom du requérant n’apparaissent. Enfin, le requérant produit une liste certifiée des actionnaires d’Hickam Ventures du 12 janvier 2021 pour démontrer qu’il n’y possédait plus aucun intérêt. Il ressort effectivement de ce document que le nom du requérant n’apparaît pas dans la liste des actionnaires d’Hickam Ventures. Pour sa part, le Conseil ne conteste pas la description des faits telle que proposée par le requérant de manière étayée ni ne remet en cause la fiabilité ou le contenu des éléments de preuve produits par le requérant et produit un seul document indiquant que celui-ci a investi dans cette société, à savoir un extrait d’un livre datant de 2015 s’appuyant sur un article de 2007. Dès lors, il y a lieu de considérer que le requérant a valablement remis en cause le fait qu’il aurait possédé des intérêts dans la société en question lors de l’adoption des actes attaqués.

120

Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil n’a pas étayé à suffisance de droit le fait que le requérant avait des intérêts commerciaux en Syrie.

121

Au surplus, il ressort de la publication du 6 septembre 2012 du site Internet Aks al Ser, produite par le Conseil, que le requérant a commencé à liquider ses actifs financiers et à retirer son argent des banques après le bombardement du quartier général de la sécurité nationale syrienne, ce qui tend à confirmer l’allégation du requérant selon laquelle, à partir de 2012, il n’avait plus d’intérêts en Syrie.

2) Sur les postes du requérant dans certains organes liés au commerce

122

Il ressort du site Internet Syrian Oil & Gas News que le requérant est à la tête de la partie syrienne de la chambre de commerce syro-algérienne et est un membre du comité national syrien de la chambre internationale de commerce de Syrie.

123

À cet égard, le requérant ne conteste pas avoir fait partie de la chambre de commerce syro-algérienne ainsi que de la chambre internationale de commerce de Syrie.

124

Toutefois, d’une part, en ce qui concerne la chambre de commerce syro-algérienne, le requérant produit une lettre du 1er juillet 2013 adressée par ladite chambre à Bank Audi à la suite de l’adoption de la décision no 247 du ministère de l’Économie et du Commerce extérieur syrien prévoyant la dissolution des chambres d’hommes d’affaires syriens. Or, force est de constater que les seules preuves produites par le Conseil sont des publications émanant du site Internet Syrian Oil & Gas News et datant de 2010, soit avant l’adoption de ladite décision. En outre, le Conseil ne conteste ni la fiabilité ni le contenu de la lettre susmentionnée et ne prouve pas que, lors de l’adoption des actes attaqués, cette chambre avait été reconstituée et que le requérant en faisait partie. Dès lors que le requérant a démontré que la chambre en question n’existait pas lors de l’adoption des actes attaqués, le fait qu’il en ait été membre ne saurait être retenu pour étayer son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

125

D’autre part, s’agissant de la chambre internationale de commerce de Syrie, le requérant produit une lettre du 16 février 2021 émanant du président du comité national syrien de cette chambre et attestant qu’il a démissionné de son poste au sein du conseil d’administration de ladite chambre et n’en est plus un membre actif depuis 2012. Or, force est de constater que les seules preuves produites par le Conseil sont des publications émanant du site Internet Syrian Oil & Gas News et datant de 2010, soit avant la démission du requérant en 2012. De plus, les arguments que le Conseil fait valoir à l’égard des lettres émanant des tiers produites par le requérant visent à remettre en cause les déclarations qu’ils font à l’égard des activités commerciales exercées par le requérant en Syrie. En revanche, il n’avance aucun argument visant spécifiquement à contester le fait que le requérant a bien démissionné du conseil d’administration de la chambre en question et admet même l’existence de cette démission, tout comme il reconnaît le caractère passé de cette activité du requérant. Enfin, il ne conteste pas la fiabilité de la lettre susmentionnée. Partant, il convient de considérer que le requérant a démontré que, lors de l’adoption des actes attaqués, il ne faisait plus partie de la chambre concernée. Or, le Conseil n’a avancé aucun indice sérieux et concordant permettant raisonnablement de considérer que le requérant maintenait des liens avec la même chambre, justifiant l’inscription de son nom sur les listes en cause, après la cessation de ses activités au sein de cette structure (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 novembre 2021, Assi/Conseil, T‑256/19, EU:T:2021:818, point 128).

126

Il résulte de ce qui précède que le Conseil n’a pas étayé à suffisance de droit le fait que le requérant faisait partie de la chambre de commerce syro-algérienne ainsi que de la chambre internationale de commerce de Syrie.

3) Conclusion sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie du requérant

127

Dès lors que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit que le requérant possédait des intérêts commerciaux en Syrie ni qu’il occupait des postes dans des organes liés au commerce, il convient de conclure qu’il n’a pas étayé le motif d’inscription relatif au statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie du requérant.

b)   Sur les liens avec des membres des familles Assad et Makhlouf

128

Premièrement, il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet Dawdaa, Syriano, Ayn Almadina, Al Khaleej Online, Al Hewar, du livre intitulé « The Political Economy of investment in Syria » et de la première partie du document WK 985/2021 INIT que le requérant a des liens avec MM. Mohammed et Rami Makhlouf. Deuxièmement, selon les éléments d’information issus des sites Internet Dawdaa, Orient News, Al Khaleej Online et Al Hewar ainsi que selon la première partie du document WK 985/2021 INIT, le requérant a des liens avec la famille Assad.

1) Sur les liens avec des membres de la famille Makhlouf

129

Il convient de relever que les éléments de preuve fournis par le Conseil tendent à démontrer que les liens du requérant avec des membres de la famille Makhlouf sont de deux natures : l’une professionnelle, l’autre personnelle. Ce constat est d’ailleurs confirmé dans la duplique.

130

En premier lieu, en ce qui concerne les liens professionnels du requérant avec des membres de la famille Makhlouf, ceux-ci ressortiraient, selon les éléments d’information fournis par le Conseil, d’une part, du partenariat conclu avec M. Ghassan Muhanna, servant de prête-nom à son beau-frère, M. Mohammed Makhlouf, père de M. Rami Makhlouf, dans le cadre de Lead Syria en liquidation et, d’autre part, de l’investissement réalisé dans Gulfsands Petroleum, aux côtés de M. Rami Makhlouf, et de ses intérêts dans Cham Holding, contrôlée par M. Rami Makhlouf.

131

Or, d’une part, concernant Lead Syria en liquidation, le requérant a démontré, ainsi qu’il ressort des points 95 à 97 ci-dessus, l’avoir quittée en novembre 2011 et que cette société était en liquidation lors de l’adoption des actes attaqués. Par conséquent, le Conseil ne saurait se fonder sur la participation du requérant dans ladite société pour démontrer qu’un lien professionnel existait entre lui et M. Mohammed Makhlouf lors de l’adoption desdits actes.

132

D’autre part, s’agissant de Cham Holding et de Gulfsands Petroleum, le requérant a prouvé, ainsi qu’il ressort respectivement du point 117 et du point 119 ci-dessus, qu’il n’avait plus d’intérêt dans ces sociétés lors de l’adoption des actes attaqués. Par conséquent, le Conseil ne saurait se fonder sur la participation du requérant dans lesdites sociétés pour démontrer qu’un lien professionnel existait entre lui et M. Rami Makhlouf lors de l’adoption desdits actes.

133

En second lieu, en ce qui concerne les liens personnels du requérant avec des membres de la famille Makhlouf, il ressort de l’article du site Internet Ayn Almadina que le requérant est le cousin de M. Mohammed Makhlouf, tandis que sa mère, Mme Jamila Muhanna, est la cousine de la femme de M. Mohammed Makhlouf. Quant à l’article publié sur le site Internet Al Khaleej Online, il indique que le requérant est un parent de M. Mohammed Makhlouf.

134

La première partie du document WK 985/2021 INIT décrit, dans la présentation du requérant et de ses liens de proximité avec le régime syrien, le requérant comme étant le cousin par alliance des fratries Assad et Makhlouf, dans la mesure où sa tante maternelle est la femme de M. Mohammed Makhlouf, père de M. Rami Makhlouf et oncle du président Bashar Al-Assad.

135

Il convient encore de relever que, dans la lettre du 12 février 2021, le Conseil a réitéré que le requérant était lié aux familles de M. Rami Makhlouf et du président Bashar Al-Assad en raison du mariage de sa tante maternelle avec M. Mohammed Makhlouf.

136

Or, tout d’abord, le Conseil, sur qui repose la charge de la preuve, ainsi qu’il a été rappelé au point 72 ci-dessus, ne fournit que deux publications extraites de sites Internet qui font mention du lien de parenté entre le requérant et la famille Makhlouf. Or, l’un d’entre eux, à savoir le site Internet Al Khaleej Online, évoque seulement de manière vague ledit lien de parenté, sans le qualifier. Ensuite, le lien de parenté évoqué par le site Internet Ayn Almadina, à savoir que le requérant est le cousin de M. Mohammed Makhlouf, tandis que sa mère, Mme Jamila Muhanna, est la cousine de la femme de M. Mohammed Makhlouf, est différent de celui qui est mentionné dans la première partie du document WK 985/2021 INIT. En effet, cette dernière indique que c’est la tante maternelle du requérant qui est mariée à M. Mohammed Makhlouf, donc, en principe, la sœur de Mme Jamila Muhanna.

137

Par conséquent, les éléments d’information issus des documents WK 4069/2019 INIT et WK 985/2021 INIT ne se corroborent pas.

138

De surcroît, l’affirmation figurant dans le document WK 985/2021 INIT selon laquelle l’une des tantes maternelles du requérant est mariée à M. Mohammed Makhlouf est non étayée et vague, puisqu’aucun élément de preuve ne vient la confirmer et qu’aucun nom pour désigner la femme de M. Mohammed Makhlouf n’est donné. Par ailleurs, l’affirmation du Conseil selon laquelle par l’expression « tante maternelle » une tante de la mère du requérant pourrait aussi être visée ne saurait convaincre. En effet, la première partie dudit document décrit clairement la femme de M. Mohammed Makhlouf comme étant la tante maternelle du requérant. Le Conseil a retenu un tel lien, sans émettre de réserves, dans la lettre du 12 février 2021. Ainsi, il ne saurait à présent soutenir qu’il pourrait s’agir en réalité d’une tante de la mère du requérant. En tout état de cause, son affirmation est avancée comme une hypothèse et est non étayée.

139

Enfin, l’argument du Conseil selon lequel M. Ghassan Muhanna et la mère du requérant sont liés constitue tout au plus une hypothèse émise pour la première fois dans le mémoire en défense. En tout état de cause, aucun des éléments de preuve fournis par le Conseil ne va dans ce sens.

140

Par ailleurs, le Conseil fournit le jugement du tribunal administratif de Paris (France), du 13 septembre 2021, concernant le requérant afin de démontrer qu’il a été reconnu que celui-ci avait bien des liens familiaux avec les familles Makhlouf et Assad.

141

À cet égard, il convient de relever que, ce faisant, le Conseil n’invoque pas la décision de la juridiction française comme un élément de preuve visant à étayer les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, mais il la fournit afin de confirmer la description qu’il donne du requérant au Tribunal. En ce sens, il n’y a donc pas lieu de s’interroger sur la recevabilité de cet élément de preuve au regard de la jurisprudence selon laquelle la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée).

142

Cela étant, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 263 TFUE, le juge de l’Union a la compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes pris par le Conseil. Partant, il appartient au Tribunal d’examiner la légalité des actes attaqués à la lumière des seuls arguments et éléments de preuve fournis par les parties devant lui.

143

De plus, il y a lieu de remarquer que le tribunal administratif de Paris, statuant sur la décision du 12 février 2020 du ministre de l’Économie et des Finances français (ci-après la « décision française du 12 février 2020 »), s’est prononcé sur les motifs d’inscription tels qu’ils résultaient des actes de 2019. Ainsi, l’objet des recours est différent, de sorte que, en tout état de cause, le Tribunal ne saurait être lié par l’éventuelle autorité de la chose jugée qui s’attacherait à ce jugement.

144

À cet égard, il ressort des extraits du registre de l’état civil syrien fournis par le requérant et relatifs à sa famille maternelle, des 25 et 26 avril 2021, dont le Conseil n’a contesté ni la fiabilité ni la pertinence, qu’aucune des tantes maternelles du requérant n’est mariée à M. Mohammed Makhlouf.

145

S’il est vrai que l’orthographe du prénom et du nom de la mère du requérant apparaissant sur les extraits du registre de l’état civil syrien diffère légèrement de celle figurant dans d’autres éléments de preuve (« Jamileh » au lieu de « Jamila » et « Mhanna » au lieu de « Muhanna »), de telles différences peuvent s’expliquer par la translittération de noms arabes en caractères latins.

146

De plus, le Conseil lui-même indique, dans le mémoire en défense, que Mme Jamila Muhanna est la mère du requérant. De ce fait, il convient de considérer que les extraits du registre de l’état civil syrien se rapportent bien à la famille maternelle du requérant. Dès lors, il y a lieu de conclure que le requérant a bien apporté la preuve de ce qu’aucune de ses tantes maternelles n’a été mariée à M. Mohammed Makhlouf.

147

En conclusion, en raison des incohérences dans les éléments de preuve fournis par le Conseil et au vu des documents produits par le requérant, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a pas suffisamment étayé le bien-fondé des motifs d’inscription tirés de ce que le requérant serait lié aux membres de la famille Makhlouf.

2) Sur les liens du requérant avec des membres de la famille Assad

148

Il convient de relever que les éléments de preuve fournis par le Conseil tendent à démontrer que les liens du requérant avec des membres de la famille Assad sont de nature uniquement professionnelle.

149

En effet, il ressort clairement du site Internet Dawdaa que le requérant n’est pas un membre de la famille Assad, mais qu’il en reste proche en raison de ses responsabilités.

150

Par ailleurs, le Conseil a une approche qui n’est pas dénuée de toute ambiguïté. En effet, s’il admet que le requérant n’est pas le cousin du président Bashar Al-Assad et s’il a confirmé, lors de l’audience, que ledit président n’avait pas de cousin portant le même nom que le requérant, il explique, dans le mémoire en défense, que le requérant pourrait être considéré comme le cousin de ce président, dans la mesure où M. Mohammed Makhlouf, prétendument lié au requérant par son mariage avec l’une de ses tantes maternelles, est l’oncle du président en question.

151

À cet égard, d’une part, il convient de relever que le Conseil n’a pas formellement retenu le fait que le requérant est le cousin du président Bashar Al-Assad pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause. D’autre part, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été établi au point 147 ci-dessus, le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit les liens personnels du requérant avec la famille Makhlouf, par le biais de laquelle il aurait été lié à la famille Assad.

152

En ce qui concerne les liens professionnels liant le requérant aux membres de la famille Assad, il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet Dawdaa, Orient News, Al Khaleej Online et Al Hewar qu’ils ont été établis dans le secteur pétrolier. Dans la première partie du document WK 985/2021 INIT, le requérant est décrit comme ayant profité de ses liens avec M. Bassel Al-Assad, fils aîné de M. Hafez Al-Assad, décédé le 21 janvier 1994, pour faire fortune.

153

Compte tenu du décès de M. Bassel Al-Assad en 1994, il convient seulement de s’intéresser aux liens du requérant avec des membres de la famille Assad au travers de ses activités dans le secteur pétrolier.

154

À cet égard, premièrement, il découle des articles des sites Internet Al Khaleej Online et Al Hewar que c’est au travers de Lead Syria en liquidation que le requérant avait des liens avec des membres de la famille Assad. Or, ainsi qu’il a été établi au point 97 ci-dessus, lors de l’adoption des actes attaqués, le requérant n’avait plus de lien avec cette société.

155

Deuxièmement, s’agissant du partenariat entre le requérant et M. Maher Al-Assad dans le cadre de l’alliance « pétrole contre nourriture », force est de constater qu’il n’est mentionné que dans l’article du site Internet Orient News. Or, ce seul élément de preuve qui n’a fait, en outre, l’objet d’aucune explication convaincante de la part du Conseil, que ce soit dans ses écritures ou lors de l’audience, ne permet pas de comprendre comment cette alliance s’est concrétisée, à savoir au travers de quelles entités, ni quelles en ont été les conséquences. De telles explications auraient pourtant été nécessaires dès lors que, en outre, il est un fait notoire que l’expression « pétrole contre nourriture » fait référence au programme qui avait été mis en place par l’Organisation des Nations unies entre 1996 et 2003 au bénéfice de l’Irak.

156

Troisièmement, la publication du site Internet Dawdaa mentionne un schisme entre le requérant et la famille Assad en raison de problèmes survenus dans le secteur pétrolier, de sorte que cet élément de preuve suggère plutôt la rupture des liens entre le requérant et la famille Assad dans ce secteur.

157

Par conséquent, le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants afin d’étayer que le requérant a des liens professionnels avec des membres de la famille Assad en raison d’activités dans le secteur pétrolier.

158

Par ailleurs, la publication du site Internet Dawdaa mentionne que le requérant continue à avoir des liens avec la famille Assad en raison de ses responsabilités. Néanmoins, elle ne spécifie pas de quelles responsabilités il s’agit ni n’explique comment elles permettent d’établir un tel lien. Dès lors que, en outre, cette information n’est pas corroborée par d’autres éléments de preuve, il y a lieu de considérer qu’elle n’étaye pas à suffisance de droit l’existence de liens professionnels entre le requérant et des membres de la famille Assad.

159

Il résulte de ce qui précède que le Conseil n’a pas suffisamment étayé le bien-fondé des motifs d’inscription tirés de ce que le requérant serait lié aux membres de la famille Assad.

3) Conclusion sur les liens du requérant avec des membres des familles Makhlouf et Assad

160

Dès lors que le Conseil n’a pas démontré que le requérant était lié aux membres des familles Makhlouf et Assad, que ce soit d’un point de vue professionnel ou personnel, il convient de conclure qu’il n’a pas étayé le motif d’inscription relatif aux liens du requérant avec des membres des familles Makhlouf et Assad.

c)   Sur l’association avec le régime syrien

161

Il convient de vérifier si la situation du requérant constitue une preuve suffisante qu’il apporte un soutien au régime syrien ou qu’il bénéficie des politiques menées par ce dernier. Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime concerné (voir arrêt du 9 septembre 2016, Tri-Ocean Trading/Conseil, T‑709/14, non publié, EU:T:2016:459, point 42 et jurisprudence citée).

162

Selon les motifs d’inscription rappelés aux points 41 et 78 ci-dessus, au titre de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et de ses liens avec des membres des familles Makhlouf et Assad, le requérant a participé au régime syrien, en a tiré avantage ou l’a soutenu de toute autre manière.

163

Il convient de relever que le Conseil a utilisé le passé pour indiquer que le requérant avait tiré avantage du régime syrien, l’avait soutenu et y avait participé. Ce constat vaut également pour les versions allemande et espagnole des motifs d’inscription, qui indiquent, respectivement, que le requérant « war in dieser Eigenschaft Teil, Nutznießer oder anderweitig Unterstützer des syrischen Regimes » et « ha participado en el régimen sirio, se ha beneficiado de él o lo ha apoyado ».

164

Quant à la version anglaise des motifs d’inscription, elle indique que le requérant « has been participating in, benefiting from or otherwise supporting the Syrian regime ». L’utilisation du « present perfect continuous » en anglais suggère plutôt que le requérant a participé, tiré avantage et soutenu le régime syrien et continue à le faire.

165

Interrogé lors de l’audience sur le temps employé dans les différentes versions linguistiques des motifs d’inscription, le Conseil a indiqué, en substance, qu’il fallait surtout s’intéresser aux éléments de preuve et aux différentes périodes lors desquelles il y avait eu soutien au régime syrien.

166

Il convient de constater que les motifs pour lesquels le requérant est considéré par le Conseil comme soutenant le régime syrien et comme en tirant avantage se chevauchent avec ceux l’ayant conduit à le considérer comme un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et comme ayant des liens avec des membres des familles Assad et Makhlouf.

167

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, il ne saurait être exclu que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription de son nom se recoupent dans une certaine mesure, en ce sens qu’une personne peut être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée comme bénéficiant, dans le cadre de ses activités, du régime syrien ou comme soutenant celui-ci par le biais de ces mêmes activités. Cela ressort précisément de ce que, ainsi qu’il est établi au considérant 6 de la décision 2015/1836, les liens étroits avec le régime syrien et le soutien apporté par celui-ci à cette catégorie de personnes sont l’une des raisons pour lesquelles le Conseil a décidé de créer cette catégorie. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, même dans cette hypothèse, de critères différents (arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 77). Cela vaut également pour les personnes liées aux membres des familles Makhlouf et Assad, puisque, ainsi qu’il est établi au considérant 7 de la décision 2015/1836, le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents desdites familles.

168

Or, premièrement, il convient de relever que, en ce qui concerne le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Conseil n’a pas démontré que le requérant avait, à la date d’adoption des actes attaqués, des intérêts commerciaux en Syrie (voir point 127 ci-dessus). Quant à ses liens avec des membres des familles Makhlouf et Assad, le Conseil n’a pas non plus démontré qu’ils existaient lorsqu’il a pris les mesures restrictives à son égard (voir point 160 ci-dessus). Partant, il convient d’en déduire que ce n’est en raison ni de ses activités commerciales en Syrie ni de ses liens avec des membres des familles Makhlouf et Assad que le requérant peut être associé au régime syrien.

169

Deuxièmement, si la publication du site Internet Dawdaa mentionne d’autres responsabilités que le requérant aurait pu exercer pour le compte ou au profit du régime syrien, force est de constater, ainsi qu’il a été indiqué au point 158 ci-dessus, qu’elle ne spécifie pas de quelles responsabilités il s’agit ni n’explique comment elles permettent d’établir une association du requérant avec ledit régime. Dès lors que, en outre, cette information n’est pas corroborée par d’autres éléments de preuve, il y a lieu de considérer qu’elle n’étaye pas l’association du requérant avec ce régime.

170

Troisièmement, il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet Al Khaleej Online et Al Hewar que le régime syrien bénéficie de Lead Syria en liquidation. Or, d’une part, il a été établi, au point 97 ci-dessus, que le requérant n’est pas lié à cette société. D’autre part, le requérant a produit des éléments de preuve démontrant que ladite société est inactive depuis 2012 et en liquidation depuis 2020, ainsi qu’il a été indiqué aux points 95 et 96 ci-dessus, de sorte que, en l’absence de preuve contraire avancée par le Conseil ou d’argument présenté par ce dernier pour contester la fiabilité et la pertinence de ces éléments de preuve, il n’est pas possible de déterminer comment ledit régime a pu bénéficier de l’activité de la société en question.

171

Quatrièmement, enfin, il y a lieu de relever que d’autres éléments d’information, provenant des documents WK 4069/2019 INIT et WK 985/2021 INIT, tendent à démontrer que le requérant s’est distancé du régime syrien. Ainsi, la publication du site Internet Aks al Ser précise que le requérant a liquidé ses actifs financiers et retiré son argent des banques syriennes après le bombardement du quartier général de la sécurité nationale syrienne. Quant à la publication du site Internet Dawdaa, elle fait état d’un schisme entre le requérant et ledit régime. Enfin, la première partie du document WK 985/2021 INIT indique que le requérant est tenu à l’écart des principaux réseaux financiers du régime syrien.

172

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le Conseil n’a pas démontré à suffisance de droit l’association du requérant avec le régime syrien.

6.   Conclusion sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

173

Compte tenu des conclusions formulées aux points 127, 160 et 172 ci-dessus, le Conseil n’a pas étayé à suffisance de droit les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.

174

Il convient donc d’accueillir le premier moyen.

175

Le premier moyen portant uniquement sur le bien-fondé des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause à compter de l’entrée en vigueur des actes attaqués, il convient encore d’examiner les deuxième et troisième moyens afin de vérifier si, ainsi que le soutient le requérant, lesdits actes ont également un effet rétroactif en ce qu’ils établissent que le requérant était la personne visée par les mesures restrictives depuis le 23 août 2011 et, en cas de réponse positive, si le Conseil a légalement attribué un tel effet auxdits actes.

D. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, et sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

176

À l’appui du deuxième moyen, le requérant soutient que le Conseil ne pouvait pas adopter les actes attaqués, dès lors qu’ils sont directement contraires à la confiance légitime née du fait que ladite institution a systématiquement confirmé, au cours des dix dernières années, qu’il n’était pas la personne identifiée à la ligne 36 des listes en cause.

177

Dans le cadre du troisième moyen, le requérant fait valoir que les actes attaqués cherchent à produire de manière inadmissible un effet rétroactif et sont contraires au principe de sécurité juridique. Selon lui, il est important non seulement pour lui, mais également pour les tiers ayant de bonne foi traité avec lui en se fondant sur les assurances données publiquement par le Conseil que la personne identifiée à la ligne 36 des listes en cause n’était pas lui.

178

En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil considère que la jurisprudence invoquée par le requérant pour justifier le recours au principe de protection de la confiance légitime ne saurait être transposée à la situation du requérant dans la mesure où celui-ci n’est pas bénéficiaire d’un quelconque acte dont il est l’auteur. À cet égard, il estime que les informations fournies sur l’identité d’une personne visée par des mesures restrictives ne sont pas, en elles-mêmes, de nature à créer des droits subjectifs.

179

S’agissant du troisième moyen, le Conseil fait valoir que les actes attaqués ne sont entrés en vigueur que le jour suivant celui de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne. Or, le requérant n’aurait pas précisé en quoi les actes attaqués auraient un effet rétroactif sachant, en particulier, que, dans les faits, les fonds ne peuvent pas être gelés de manière rétroactive. Par conséquent, le Conseil estime que le moyen est insuffisant aux fins de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et doit être rejeté pour cette seule raison.

1.   Sur la recevabilité du troisième moyen

180

Le Conseil fait valoir, en substance, que le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique, doit être rejeté comme étant irrecevable, dans la mesure où le requérant n’explique pas clairement en quoi les actes attaqués auraient un effet rétroactif.

181

Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, ordonnance du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, EU:T:1993:39, point 20 et jurisprudence citée). La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 25 mars 2015, Belgique/Commission, T‑538/11, EU:T:2015:188, point 131 et jurisprudence citée ; ordonnance du 27 novembre 2020, PL/Commission, T‑728/19, non publiée, EU:T:2020:575, point 64).

182

En l’espèce, le requérant soutient, en substance, que les actes attaqués ont un effet rétroactif, dans la mesure où ils viennent modifier la situation juridique qui était la sienne jusqu’à l’adoption des actes attaqués, à savoir qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

183

Cela ressort, en substance, des points 59 et 60 de la requête. Le requérant a en outre explicité l’impact de la rétroactivité des actes attaqués sur sa situation juridique aux points 48 et 49 de la réplique.

184

Or, force est de constater que le Conseil a répondu aux arguments du requérant non seulement dans le cadre du mémoire en défense, mais également dans la duplique. En outre, dans la duplique, le Conseil considère que les arguments du requérant ne reflètent pas fidèlement les circonstances de l’espèce, se positionnant ainsi sur le bien-fondé du moyen et non plus sur l’irrecevabilité de celui-ci. Enfin, le Tribunal est en mesure d’examiner ce moyen, qui est assorti des précisions suffisantes à cet effet.

185

Par conséquent, le troisième moyen est suffisamment clair, conformément aux exigences posées par les dispositions du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure, et est donc recevable.

2.   Sur le bien-fondé des deuxième et troisième moyens

186

Selon la jurisprudence, le principe de sécurité juridique, dont le principe de confiance légitime est un corollaire, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions de l’Union respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure (arrêt du 4 mai 2016, Andres e.a./BCE, T‑129/14 P, EU:T:2016:267, point 35).

187

En l’espèce, le requérant considère que tant le principe de protection de la confiance légitime que celui de sécurité juridique ont été violés par les actes attaqués dans la mesure où ils établissent que son nom était inscrit sur les listes en cause depuis le 23 août 2011, alors que, depuis l’adoption des actes de 2011 jusqu’à l’adoption des actes attaqués, le Conseil ne le considérait pas comme étant la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

188

Aux fins de déterminer si les actes attaqués ont été adoptés en violation de ces deux principes, il est donc nécessaire d’en examiner tout d’abord les effets et de vérifier si, ainsi que le prétend le requérant et contrairement à ce que soutient le Conseil, ils ont un effet rétroactif en établissant que le requérant a toujours été, en fin de compte, la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, et ce depuis l’adoption des actes de 2011.

a)   Sur la rétroactivité des actes attaqués

189

Il est admis par la jurisprudence que la rétroactivité d’un acte peut être expressément prévue par celui-ci, mais peut également résulter de son contenu (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1991, Crispoltoni, C‑368/89, EU:C:1991:307, point 17).

190

Les actes attaqués ne contiennent pas de disposition expresse prévoyant une application rétroactive de leurs effets. Il convient dès lors de vérifier si, de par leur contenu, ils ont bien un effet rétroactif.

191

En premier lieu, s’agissant des actes de 2021, tout d’abord, il y a lieu de relever que le considérant 2 de ces actes annonce que les informations relatives à une personne dont le nom est inscrit sur les listes en cause, en l’occurrence la personne visée à la ligne 36, doivent être mises à jour. Par conséquent, il ne s’agit pas d’actes d’inscription initiale ni de réinscription, mais d’actes voulant s’inscrire dans la continuité d’actes antérieurs auxquels ils apportent des modifications.

192

Ensuite, il convient de relever que les guillemets encadrant le texte en annexe aux actes de 2021 s’ouvrent sur le chiffre 36 et se ferment sur la date d’inscription initiale, à savoir le 23 août 2011. Ainsi, c’est toute la ligne 36 qui est remplacée par le texte concerné. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le Conseil, les actes de 2021 ont bien entendu spécifier que la date d’inscription initiale du nom du requérant sur les listes en cause était le 23 août 2011.

193

Enfin, afin d’évaluer l’effet rétroactif des actes de 2021, il est également nécessaire de comparer la situation qui existait avant leur adoption et celle qui a existé à la suite de celle-ci. Or, sur ce point, force est de constater que les actes de 2021 ont été adoptés après que le Conseil a constaté avoir commis une erreur quant à l’identité de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause et du requérant. Cela ressort de la lettre du 12 février 2021 dans laquelle il indique que « The Council considers, after reviewing the information on its file, that [the applicant] is indeed the person listed under entry no 36 in the annexes to the [Decision 2013/255 and Regulation No 36/2012] » (le Conseil considère, après réexamen des informations contenues dans son dossier, que le requérant est effectivement la personne inscrite à la ligne 36 des listes annexées à la décision 2013/255 et au règlement no 36/2012) et par laquelle il donne aux représentants du requérant un délai afin qu’ils puissent soumettre les observations de leur client sur les nouveaux motifs d’inscription qu’il compte adopter à son égard, motifs d’inscription qui apparaissent précisément dans les actes de 2021.

194

Il en résulte que, en modifiant la ligne 36 des listes en cause afin qu’il apparaisse clairement que la modification concerne le requérant et compte tenu du contexte de leur adoption, les actes de 2021 ont un effet rétroactif sur la situation juridique du requérant.

195

Cela est confirmé par l’intention affichée du Conseil, et rappelée tant dans le mémoire en défense que lors de l’audience, de corriger, par le biais des actes de 2021, la confusion relative à l’identité du requérant.

196

La conclusion formulée au point 194 ci-dessus ne saurait être remise en cause par les arguments du Conseil.

197

Premièrement, le Conseil affirme que les actes de 2021 n’auraient pas d’effet rétroactif, puisque les fonds ne peuvent pas être gelés de manière rétroactive.

198

Il est vrai que, en principe, les fonds d’une personne ou d’une entité ne peuvent être gelés que pour le futur, de même, d’ailleurs, que les restrictions à l’admission sur le territoire des États membres ne peuvent être émises que pour le futur. Néanmoins, d’une part, limiter, en l’espèce, les effets des actes de 2021 au seul gel des fonds et des ressources économiques du requérant, voire aux restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres, fait erronément abstraction des effets que l’adoption de ces actes a produit sur la situation juridique globale du requérant et, notamment, sur sa réputation et son honorabilité.

199

En ce sens, il a déjà été reconnu que les mesures restrictives ont des conséquences négatives considérables et une incidence importante sur les droits et libertés des personnes visées. Ainsi, outre le gel des fonds ou les restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres en tant que tels qui, par leur large portée, bouleversent la vie tant professionnelle que familiale des personnes visées, il importe de prendre en considération l’opprobre et la méfiance qui accompagnent la désignation publique des personnes visées comme étant liées au régime syrien (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 juin 2013, Ayadi/Commission, C‑183/12 P, non publié, EU:C:2013:369, point 68).

200

Or, en établissant, par le biais des actes de 2021, que le nom du requérant est inscrit sur les listes en cause depuis les actes de 2011, le Conseil affirme que, depuis cette date, le requérant a des liens avec le régime syrien et a accompli les différents actes ayant justifié que son nom soit inscrit et maintenu depuis lors. Une telle affirmation suffit pour modifier de manière rétroactive la situation juridique du requérant, au-delà du seul gel de ses fonds.

201

D’autre part, en l’espèce, il ne saurait être soutenu que les actes de 2021 n’ont eu aucun effet rétroactif sur le gel des fonds du requérant. En effet, ainsi que l’a indiqué, en substance, le Conseil durant l’audience, l’un des objectifs poursuivis par l’adoption des actes de 2021 était de clarifier la situation du requérant telle qu’elle existait avant leur adoption en raison, en particulier, de l’existence de la décision française du 12 février 2020 qui avait procédé au gel des fonds du requérant, en se basant sur les actes de 2019. Ainsi, s’il n’est pas possible, techniquement, de geler des fonds dans le passé, en revanche il est possible de valider le gel des fonds intervenu dans le passé en modifiant la situation juridique de la personne concernée qui prévalait alors. Par conséquent, les actes de 2021, en confirmant que le requérant était bien la personne visée à la ligne 36 des listes en cause depuis le 23 août 2011, ont modifié rétroactivement sa situation juridique afin qu’elle corresponde à celle permettant à la décision française du 12 février 2020 de produire ses effets.

202

Deuxièmement, dans la duplique et lors de l’audience, le Conseil a affirmé que le document WK 4069/2019 INIT, qui permettait aussi d’étayer les motifs d’inscription des actes de 2019, contenait déjà des photographies du requérant qui permettaient de l’identifier clairement. Partant, selon lui, le requérant faisait déjà l’objet de mesures restrictives en 2019.

203

Néanmoins, l’affirmation du Conseil selon laquelle le requérant faisait déjà l’objet de mesures restrictives en 2019 se heurte à la circonstance que, par l’intermédiaire du rectificatif de 2019, le Conseil a entendu modifier le nom arabe de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause afin qu’il corresponde à celui des actes de 2011 tels que modifiés par les actes de novembre 2011. Il y a lieu d’en déduire que le Conseil pensait toujours, lors de l’adoption des actes de 2019, que le requérant, dont le nom arabe différait de celui contenu dans ledit rectificatif, n’était pas la personne visée à ladite ligne. Cela était d’ailleurs toujours le cas lors de l’adoption de la décision 2020/719 et du règlement d’exécution 2020/716 qui reprennent le même nom arabe.

204

Dès lors, même si le document WK 4069/2019 INIT, étayant les motifs d’inscription des actes de 2019, contenait des éléments d’information de nature à identifier le requérant comme la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, il n’en demeure pas moins que, lors de leur adoption et jusqu’à l’adoption des actes de 2021, le Conseil a considéré que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. C’est en adoptant les actes de 2021 que le Conseil a entendu rectifier son erreur en établissant clairement que le requérant était bien la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, et ce depuis le 23 août 2011.

205

Par conséquent, le Conseil ne saurait prétendre que, mis à part l’erreur qu’il a commise, il y a lieu de considérer que le requérant faisait déjà l’objet de mesures restrictives avant l’adoption des actes de 2021. Une telle position juridique s’accorde mal, de surcroît, avec la réalité puisque, ainsi qu’il ressort des lettres du 2 novembre 2011 et du 21 avril 2015 du secrétariat d’État à l’Économie suisse, produites en annexe à la requête, la banque suisse dans laquelle le requérant possédait des comptes a débloqué les fonds qu’elle avait gelés à la suite de l’adoption des actes de 2011 et des suivants, compte tenu des assurances qu’elle avait reçues sur le fait que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

206

En outre, lors de l’audience, le Conseil a indiqué que c’est après avoir reçu la lettre du 23 juin 2020 qu’il avait procédé à une enquête afin d’obtenir des informations supplémentaires sur le requérant. À cet égard, il convient de constater que le requérant a envoyé ladite lettre afin d’obtenir la confirmation, de la part du Conseil, qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Cette confirmation était nécessaire pour le requérant en raison de la décision française du 12 février 2020 par laquelle il était demandé aux banques situées en France de geler ses fonds. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 12 février 2021 et ainsi qu’il est constant entre les parties, le Conseil s’est rendu compte de son erreur en obtenant des informations supplémentaires de la part des autorités françaises, ces informations étant reproduites dans le document WK 985/2021 INIT.

207

Ainsi, c’est bien en adoptant les actes de 2021 que le Conseil a entendu modifier la situation juridique du requérant qui avait existé jusqu’alors, à savoir qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Avec lesdits actes, le Conseil a souhaité identifier de manière certaine le requérant comme étant la personne dont le nom avait été inscrit dès le 23 août 2011 à ladite ligne et a donc établi, à compter de cette date, un lien entre lui et les agissements du régime syrien que l’Union a entendu condamner au travers de l’adoption d’un régime de mesures restrictives.

208

Par conséquent, les actes de 2021 ont un effet rétroactif.

209

En second lieu, s’agissant des actes de maintien de 2022, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort, en substance, du considérant 3 de la décision 2022/849, ceux-ci avaient, en ce qui concerne le requérant, seulement pour objet de proroger les mesures restrictives adoptées à son égard jusqu’au 1er juin 2023.

210

De plus, il convient de constater que c’est uniquement lors de l’adoption des actes de 2021 que le Conseil a entendu clarifier la situation de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause afin d’indiquer qu’il s’agissait bien du requérant. En d’autres termes, ce sont uniquement lesdits actes qui introduisent une rupture dans la position qu’avait le Conseil jusque-là. En revanche, les actes de maintien de 2022 visent seulement à maintenir le nom du requérant sur les listes en cause. En ce sens, il ne saurait être considéré que le Conseil a entendu apporter une correction à une erreur commise, lorsqu’il a adopté lesdits actes.

211

Partant, les actes de maintien de 2022 n’ont pas d’effet rétroactif, de sorte qu’il y a lieu de rejeter les deuxième et troisième moyens en ce qui les concerne.

b)   Sur la violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime

212

Il convient de rappeler que, en règle générale, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte de l’Union voie son point de départ fixé à une date antérieure à celle de la publication de cet acte, même s’il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsqu’un but d’intérêt général l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée, ainsi que dans la mesure où il ressort clairement des termes, de la finalité ou de l’économie des règles de l’Union concernées qu’un tel effet doit leur être attribué (voir arrêt du 19 mars 2009, Mitsui & Co. Deutschland, C‑256/07, EU:C:2009:167, point 32 et jurisprudence citée).

213

Dès lors qu’il vient d’être établi au point 208 ci-dessus qu’il ressort clairement du contenu et de la finalité des actes de 2021 qu’ils ont un effet rétroactif, il convient de vérifier si les deux autres exigences posées par la jurisprudence citée au point 212 ci-dessus pour admettre la rétroactivité d’actes de l’Union sont remplies.

214

Il s’agit donc d’examiner si, d’une part, un but d’intérêt général exigeait la rétroactivité des actes de 2021 et si, d’autre part, la confiance légitime du requérant a été dûment respectée.

1) Sur l’existence d’un intérêt général

215

En ce qui concerne l’existence d’un intérêt général de l’ordre public, le Conseil se prévaut, en substance, du fait que les mesures restrictives poursuivent la réalisation d’objectifs d’intérêt général, en particulier, celui de consolider et de soutenir les droits de l’homme et le droit humanitaire international. Dans ses écritures et lors de l’audience, le Conseil a également fait valoir qu’en adoptant les actes de 2021 et en clarifiant quelle était la situation du requérant avant leur adoption, il assurait la sécurité juridique.

216

À cet égard, il convient de rappeler que le juge de l’Union a reconnu que l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales justifiait l’adoption de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 191).

217

De plus, ainsi que le soutient d’ailleurs le requérant, le principe de sécurité juridique requiert qu’il soit possible d’identifier clairement qui fait et qui ne fait pas l’objet des mesures restrictives adoptées par l’Union. Les orientations du Conseil, intitulées « Meilleures pratiques de l’Union européenne en ce qui concerne la mise en œuvre effective de mesures restrictives », du 4 mai 2018, insistent justement sur l’importance de cette exigence.

218

En effet, ce n’est que si les personnes et les entités sont clairement identifiées qu’il est possible de garantir la sécurité juridique et un effet utile aux mesures restrictives adoptées et, partant, la réalisation des objectifs rappelés au point 216 ci-dessus.

219

Dans de telles circonstances et compte tenu du fait que les autorités nationales des États membres s’appuient sur les actes adoptés par le Conseil afin de décider du gel des fonds des personnes et des entités, il y a lieu de reconnaître qu’il est légitime et nécessaire que le Conseil puisse corriger l’erreur qu’il a commise sur l’identité d’une personne et qu’il puisse de ce fait clarifier la situation d’une personne ou d’une entité. Cela contribue en effet à assurer la réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives en permettant, d’une part, aux autorités administratives et aux tiers de savoir clairement qui est visé par les mesures restrictives et, d’autre part, à la personne ou à l’entité visée d’introduire un recours contre les actes qui la concernent.

2) Sur l’existence d’une confiance légitime dans le chef du requérant

220

En premier lieu, il importe de souligner que, contrairement à ce que soutient le Conseil, le requérant ne se prévaut pas tant d’une violation de sa confiance légitime en raison de ce que le Conseil a adopté, par le biais des actes de 2021, des mesures restrictives à son égard qu’en raison du fait que, par le biais de l’adoption des actes de 2021, le Conseil affirme qu’il est bien la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, et ce depuis l’adoption des actes de 2011.

221

En ce sens, le requérant n’affirme pas que le Conseil n’a jamais été en droit d’inscrire son nom sur les listes en cause, mais il soutient plutôt que le Conseil ne pouvait pas, après avoir pendant dix ans confirmé qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, dire le contraire.

222

Ce faisant, la situation du requérant diffère des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 29 novembre 2018, National Iranian Tanker Company/Conseil (C‑600/16 P, EU:C:2018:966), et du 3 mai 2016, Iran Insurance/Conseil (T‑63/14, non publié, EU:T:2016:264), invoqués par le Conseil, dans le cadre desquels la Cour et le Tribunal ont respectivement indiqué, en substance, que l’annulation par le juge de l’Union des mesures restrictives adoptées par le Conseil à l’égard d’une personne ou d’une entité ne fait pas naître, dans le chef de cette personne ou de cette entité, une confiance légitime de ce que le Conseil ne pourrait pas prendre, dans le respect de l’arrêt d’annulation, une décision de réinscription pour l’avenir (arrêt du 29 novembre 2018, National Iranian Tanker Company/Conseil, C‑600/16 P, EU:C:2018:966, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Iran Insurance/Conseil, T‑63/14, non publié, EU:T:2016:264, points 152 et 153).

223

En deuxième lieu, les parties s’opposent sur le fait de savoir si le requérant peut invoquer, dans le cas d’espèce, le principe de protection de la confiance légitime.

224

Alors que le requérant, se fondant sur la jurisprudence en matière de retrait d’actes administratifs, considère être le bénéficiaire d’actes adoptés par le Conseil par lesquels ce dernier a confirmé qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause, le Conseil le conteste et considère que la jurisprudence invoquée par le requérant n’est pas applicable aux faits de l’espèce.

225

À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que le principe de protection de la confiance légitime constitue un principe général du droit de l’Union qui doit être respecté par le Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss, C‑427/14, EU:C:2015:803, points 29 et 30).

226

D’autre part, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 212 ci-dessus que le respect de la confiance légitime constitue l’une des conditions à remplir pour qu’un acte de l’Union puisse, dans le respect du principe de sécurité juridique, avoir un effet rétroactif.

227

Enfin, selon la jurisprudence, les conditions jurisprudentielles tenant à l’existence d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes pour établir l’existence d’une confiance légitime ne visent que la situation dans laquelle un particulier se trouve lorsqu’un acte lui est appliqué avec effet immédiat, et non avec effet rétroactif (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2010, OHMI/Simões Dos Santos, T‑260/09 P, EU:T:2010:461, point 64). Cela se justifie par le fait que, la rétroactivité d’un acte de l’Union n’étant admise qu’exceptionnellement, il ne saurait être exigé d’un particulier qu’il apporte la preuve d’avoir reçu des assurances que sa situation juridique ne sera pas modifiée rétroactivement.

228

Par conséquent, contrairement à ce que soutient le Conseil, il n’est pas nécessaire que le requérant ait été le destinataire d’actes constitutifs de droits subjectifs pour qu’il puisse invoquer la protection de sa confiance légitime.

229

Pour étayer sa position, le Conseil ne saurait se fonder sur l’arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C‑184/16, EU:C:2017:684, points 31 et suivants), et sur les conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Petrea (C‑184/16, EU:C:2017:324, points 61 et suivants).

230

Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande préjudicielle visant à déterminer si le retrait d’une attestation d’enregistrement prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34), pouvait violer le principe de protection de la confiance légitime de la personne s’étant vu adresser une telle attestation.

231

En substance, la Cour, confirmant la position de l’avocat général Szpunar, a considéré qu’un acte déclaratif, tel que l’est l’attestation d’enregistrement, ne saurait en soi fonder la confiance légitime de l’intéressé dans son droit à séjourner sur le territoire de l’État membre concerné (arrêt du 14 septembre 2017, Petrea, C‑184/16, EU:C:2017:684, point 35).

232

Par analogie, le Conseil considère que les informations relatives à l’identité de la personne visée par l’inscription sur les listes en cause n’ont qu’une valeur déclarative et, en tant que telles, ne sont pas susceptibles de créer des droits subjectifs.

233

Ce faisant, le Conseil part de la prémisse erronée que, pour trouver à s’appliquer, le principe de protection de la confiance légitime nécessiterait toujours l’adoption d’actes constitutifs de droits subjectifs. Or, cette condition ne ressort pas de la jurisprudence et, en particulier, de l’arrêt du 14 septembre 2017, Petrea (C‑184/16, EU:C:2017:684). En effet, si la Cour y indique que, en soi, l’attestation d’enregistrement ne saurait fonder une confiance légitime de l’intéressé dès lors qu’il s’agit d’un acte déclaratif, force est de constater qu’elle ajoute, au point 36 dudit arrêt, que, par ailleurs, dans l’affaire en cause au principal, aucune des circonstances décrites dans la décision de renvoi ne permet de considérer que les autorités compétentes auraient fait naître des espérances sur le droit au séjour de l’intéressé du fait d’assurances précises qu’elles lui auraient fournies. Il en résulte donc que, bien loin d’écarter la possibilité que l’intéressé ait pu recevoir, sous quelque forme que ce soit, des assurances de la part des autorités compétentes de nature à faire naître dans son chef certaines espérances, la Cour a admis une telle possibilité et a vérifié si elle se réalisait en l’espèce.

234

En troisième lieu, il convient dès lors de vérifier si le Conseil a respecté la confiance légitime du requérant.

235

À cet égard, il y a lieu de déduire de la jurisprudence citée au point 227 ci-dessus qu’il n’appartient pas au requérant de démontrer qu’il a reçu des assurances précises, inconditionnelles et concordantes de nature à établir l’existence d’une confiance légitime dans son chef que le Conseil n’adopterait pas des actes de portée rétroactive, mais il appartient au juge de vérifier que les actes de 2021 ont été adoptés dans le respect de la confiance légitime du requérant.

236

Cette analyse exige de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

237

Or, il ressort des lettres des 28 octobre 2011, 15 novembre 2011 et 6 mai 2013 envoyées aux représentants du requérant par le Conseil et de l’exception d’irrecevabilité déposée par le Conseil dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), que le Conseil a affirmé, sans réserve, que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Cette affirmation s’est trouvée confirmée par l’adoption des actes de novembre 2011 ainsi que des rectificatifs de 2013 (voir point 24 ci-dessus) et de 2019. Il importe de souligner à cet égard que le Conseil n’a jamais demandé aux représentants du requérant davantage d’informations d’identification le concernant et qu’il ne soutient pas que le requérant lui ait dissimulé des informations. En d’autres termes, jusqu’à l’envoi de la lettre du 12 février 2021, le Conseil n’a émis aucun doute sur le fait que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

238

Dès lors, le Conseil a affirmé au requérant à plusieurs reprises qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

239

À cet égard, le Conseil tente de soutenir que toute conclusion quant à l’identité d’une personne visée par des mesures restrictives n’a qu’une valeur déclarative et cherche à établir une analogie entre la présente situation et celle de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil (T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, points 38 et 39). Toutefois, dans cette dernière affaire, le Tribunal avait à connaître de la recevabilité de demandes d’adaptation des conclusions déposées par la partie requérante à l’égard d’une lettre envoyée par le Conseil par laquelle celui-ci indiquait confirmer son point de vue quant au fait que la partie requérante continuait à remplir les critères prévus par sa décision 2014/145/PESC, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et par son règlement (UE) no 269/2014, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), et que les mesures restrictives devaient être maintenues à son égard. Il a rejeté comme étant irrecevables lesdites demandes d’adaptation en constatant que la lettre dont il était question ne venait que confirmer l’appréciation du Conseil et n’avait pour objet ni de remplacer ni de modifier les motifs d’inscription figurant dans sa décision (PESC) 2015/432, du 13 mars 2015, modifiant la décision 2014/145 (JO 2015, L 70, p. 47), et prorogeant les mesures restrictives en cause jusqu’au 15 septembre 2015, et dans son règlement d’exécution (UE) 2015/427, du 13 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2015, L 70, p. 1).

240

Or, en l’espèce, le requérant ne cherche pas à obtenir l’annulation des lettres qui lui ont été envoyées par le Conseil, mais il les invoque pour démontrer que le Conseil a fait naître chez lui la confiance légitime de ce que cette institution ne le considérait pas comme la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Ainsi, même à considérer que lesdites lettres ne viendraient que confirmer les différents actes adoptés par le Conseil, il n’en demeure pas moins qu’elles ont participé à faire naître, conjointement avec lesdits actes, dans le chef du requérant, l’espérance fondée qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause. Ainsi, en raison du cumul de ces lettres, confirmant ou annonçant les actes adoptés par le Conseil, et du caractère exceptionnel de la rétroactivité des actes de l’Union, le requérant pouvait légitimement s’attendre à ce qu’il ne soit pas rétroactivement associé à la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

241

Il résulte de ce qui précède que le Conseil n’a pas respecté la confiance légitime du requérant en adoptant à son égard des mesures restrictives avec effet rétroactif.

242

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments du Conseil.

243

En premier lieu, le Conseil considère que toute conclusion quant à l’identité d’une personne visée par une inscription est fondée sur les éléments factuels contenus dans le dossier qui servent à lui permettre à lui et aux autorités mettant en œuvre des mesures restrictives d’identifier la personne visée par une inscription. En d’autres termes, selon le Conseil, sa position quant à l’identité d’une personne est susceptible de changer eu égard aux éléments d’information qu’il possède.

244

Certes, d’une part, il est admis que le Conseil puisse établir l’identité des personnes et des entités à l’égard desquelles il adopte des mesures restrictives à suffisance de droit (voir arrêt du 9 septembre 2016, Tri Ocean Energy/Conseil, T‑719/14, non publié, EU:T:2016:458, point 30 et jurisprudence citée). Ce faisant, le juge de l’Union a tenu compte de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire. Dans de telles circonstances, il convient d’admettre la possibilité que le Conseil puisse changer d’opinion en ce qui concerne l’identité d’une personne ou d’une entité en fonction des éléments de preuve à sa disposition.

245

D’autre part, ainsi qu’il a été indiqué au point 219 ci-dessus, il y a lieu de reconnaître la possibilité pour le Conseil de corriger l’erreur qu’il a commise sur l’identité d’une personne et de lui permettre de ce fait de clarifier la situation d’une personne ou d’une entité.

246

Toutefois, le droit reconnu au Conseil au point 219 ci-dessus s’accompagne de limites, à savoir le respect du principe de protection de la confiance légitime, d’autant plus importantes à respecter que les conséquences sur la situation juridique des personnes et entités concernées par des mesures restrictives ne sont pas négligeables.

247

À ce titre, il y a d’ailleurs lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, même si les mesures restrictives ne constituent pas une sanction pénale, il appartient au Conseil, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 70 et 71 ci-dessus, d’établir à suffisance de droit l’identité des personnes et des entités à l’égard desquelles il adopte des mesures restrictives. Cela est important dans la mesure où, en matière de mesures restrictives, l’identification à suffisance de droit des destinataires des actes par le Conseil constitue un préalable à leur inscription et à l’examen concret des faits litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Haikal/Conseil, T‑189/19, non publié, EU:T:2020:607, point 102).

248

Par ailleurs, ce type d’erreurs devrait rester le plus limité possible au risque, sinon, de mettre à mal l’effet utile des mesures restrictives et de compromettre l’objectif du régime juridique mis en place par l’Union, à savoir exercer une pression sur le régime syrien en empêchant son financement.

249

Ainsi, si le Conseil a le droit de corriger de manière rétroactive une erreur qu’il a commise dans l’identification d’une personne concernée par des mesures restrictives, il ne saurait agir sans respecter le principe de protection de la confiance légitime. Il convient dès lors de rejeter son argument.

250

En second lieu, le Conseil mentionne que sa conception erronée de l’identité de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause n’était pas fondée sur un manque d’informations quant à l’identité de cette personne, mais plutôt due à un manque d’informations sur l’identité du requérant.

251

Cependant, même à admettre l’argument du Conseil, ce dernier ne fait état d’aucune lettre envoyée aux représentants du requérant afin d’éclaircir la situation. Or, compte tenu du fait que, en l’espèce, les fonds du requérant avaient été momentanément gelés en 2011 et de nouveau en 2015 par une banque suisse, ainsi qu’il a été rappelé au point 205 ci-dessus, le Conseil aurait déjà dû mettre en œuvre les moyens à sa disposition à ce moment-là pour clarifier la situation s’il considérait ne pas avoir assez d’informations sur l’identité du requérant. Au final, ce n’est qu’en recevant la lettre du 23 juin 2020 par laquelle il était informé que le ministre de l’Économie et des Finances français avait adopté la décision française du 12 février 2020 aux fins de geler les fonds détenus par le requérant en France que le Conseil a cherché à obtenir davantage d’informations.

252

D’ailleurs, en raison de l’adoption de cette décision par les autorités françaises, le Conseil ne saurait valablement soutenir que l’erreur qu’il a commise aurait, dans la mesure où aucune mesure restrictive n’aurait produit ses effets jusqu’à l’adoption des actes de 2021, été favorable au requérant. En effet, non seulement cela est partiellement inexact, puisque les autorités françaises ont effectivement gelé les fonds que le requérant détenait en France en se fondant sur les actes de 2019, mais, surtout, l’erreur commise par le Conseil et ayant entretenu une confiance légitime dans le chef du requérant qu’il n’était pas la personne visée par la ligne 36 des listes en cause ne l’a pas amené à introduire, au cours de la période de dix ans ayant précédé l’adoption des actes de 2021, des recours aux fins d’obtenir l’annulation des différents actes ayant inscrit et maintenu son nom. D’ailleurs, la possibilité que le requérant eût introduit des recours s’il avait su être visé par les actes antérieurs à ceux de 2021 n’est pas en l’espèce simplement hypothétique dès lors que le requérant avait introduit un recours contre les actes de 2011 et a régulièrement écrit au Conseil afin d’obtenir la confirmation qu’il n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

253

Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argument du Conseil.

254

Par conséquent, il convient de reconnaître une violation de la confiance légitime du requérant ainsi qu’une violation du principe de sécurité juridique et, partant, d’accueillir les deuxième et troisième moyens.

E. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée

255

Le requérant fait valoir, en substance, que la question de l’identité de la personne visée à la ligne 36 des listes en cause a été tranchée par l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266). En outre, il indique que c’est à la demande expresse du Conseil que le Tribunal a rendu cette décision, alors qu’il avait saisi le Tribunal afin qu’il soit précisé, vis-à-vis des tiers, qu’il ne faisait pas l’objet de mesures restrictives. Selon lui, le Conseil ne saurait remettre cela en cause en adoptant les actes attaqués.

256

Le Conseil estime que l’autorité de la chose jugée d’une décision du juge de l’Union rejetant un recours antérieur peut uniquement faire obstacle à la recevabilité d’un second recours. Dès lors, les arguments du requérant relatifs à l’autorité de la chose jugée d’une décision portant sur la recevabilité dans le cadre de la procédure engagée en 2011, au moyen desquels il cherche à empêcher le Tribunal d’examiner la présente affaire au fond, devraient être rejetés.

257

Il y a lieu de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêt du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 38).

258

L’objectif principal poursuivi est d’empêcher que des décisions contraires voire incompatibles quant à leurs effets ne coexistent dans l’ordre juridique de l’Union. C’est pourquoi un recours est irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt antérieur ayant tranché un recours qui a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause (arrêts du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, EU:C:1985:355, point 9 ; du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T‑162/94, EU:T:1996:71, point 37, et du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑66/01, EU:T:2010:255, point 197).

259

En ce sens, l’autorité de la chose jugée recouvre non seulement le dispositif de la décision juridictionnelle, mais aussi les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2000, Industrie des poudres sphériques/Conseil, C‑458/98 P, EU:C:2000:531, point 81, et du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission, T‑24/07, EU:T:2009:236, points 113 et 140).

260

En l’espèce, les parties s’opposent sur la portée qu’il conviendrait d’attacher à l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266).

261

Il convient de relever que, en l’espèce, il ne s’agit pas de déterminer l’irrecevabilité d’un recours introduit contre des actes dont la légalité a été, partiellement ou entièrement, examinée par le Tribunal, mais de savoir si le Conseil était lié par l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), lorsqu’il a adopté les actes attaqués.

262

À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 58 ci-dessus, le présent recours n’a pas pour objet l’annulation des actes de 2011, mais seulement celle des actes attaqués, adoptés le 6 mai 2021 et le 30 mai 2022.

263

Toutefois, dès lors que les actes de 2021 ont un effet rétroactif et que les actes de maintien de 2022 continuent d’indiquer que la date d’inscription initiale du nom du requérant sur les listes en cause est le 23 août 2011, une contradiction apparaît, puisque, d’un côté, il existe une décision juridictionnelle devenue définitive reconnaissant que le requérant n’est pas la personne visée par les actes de 2011 et que, de l’autre, des actes du Conseil, adoptés postérieurement, indiquent le contraire.

264

Or, en affirmant, dans les actes attaqués, que le requérant était visé par les actes de 2011, le Conseil viole le principe de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266). En effet, ce faisant, il fait coexister dans l’ordre juridique de l’Union une décision et des actes qui sont contraires, voire incompatibles quant à leurs effets.

265

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation du Conseil, à l’appui de laquelle il invoque l’arrêt du 13 février 2003, Meyer/Commission (T‑333/01, EU:T:2003:32).

266

Il ressort des points 25 et 27 de l’arrêt du 13 février 2003, Meyer/Commission (T‑333/01, EU:T:2003:32), que le Tribunal a considéré que, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 10 avril 2000, Meyer/Commission et BEI (T‑361/99, EU:T:2000:107), n’ayant pas traité le fond de l’affaire, il n’avait tranché aucun point de fait ou de droit par lequel il pourrait être lié dans le cadre de la procédure en question, de sorte que l’argument tiré de l’autorité de la chose jugée devait être rejeté.

267

Le Conseil en déduit que, de manière analogue, il conviendrait de ne pas prendre en considération l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), puisqu’elle n’a traité que la recevabilité du recours introduit par le requérant contre les actes de 2011.

268

Or, la seule circonstance que la question de l’identité du requérant ait été tranchée dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours et non dans celui du fond est indifférente. En effet, dans le cadre de l’appréciation de l’autorité de la chose jugée attachée à une décision du juge de l’Union, ce qui compte est uniquement le fait de savoir si une réponse définitive a été donnée par le Tribunal à une question déterminée. Ainsi, l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), ne saurait être écartée du seul fait qu’il s’agit d’une ordonnance d’irrecevabilité.

269

En revanche, il convient de remarquer que le Conseil n’a violé l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), qu’en ce qui concerne les actes de 2011. En effet, ce n’est qu’à l’égard de ces actes que le Tribunal a jugé que le requérant n’était pas la personne visée à la ligne 36 des listes en cause.

270

Or, il convient de rappeler que, ainsi que le soutient à juste titre le Conseil, le principe de l’autorité de la chose jugée ne saurait être étendu de manière à ce qu’une ordonnance règle des questions relatives à un autre ensemble d’actes juridiques, adoptés sur la base d’autres éléments de preuve et portant sur des actes de base différents (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, point 76, et du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 92).

271

Par conséquent, le requérant n’est pas fondé à soutenir que les actes attaqués ont été adoptés en violation du principe de l’autorité de la chose jugée, en dehors des actes de 2011.

272

À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le requérant le soutient, que la question de l’identité d’une personne ne peut, en principe, avoir qu’une seule réponse et ne peut pas changer dans le temps, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été mentionné au point 244 ci-dessus, que, en matière de mesures restrictives contre la Syrie, le Conseil peut établir l’identité des personnes et des entités à l’égard desquelles il adopte des mesures restrictives à suffisance de droit. Dès lors que, en outre, il a été établi, au point 219 ci-dessus, que le Conseil avait la possibilité de corriger l’erreur qu’il avait commise à l’égard de l’identité d’une personne, il y a lieu de confirmer que l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du 24 mai 2012, Assaad/Conseil (T‑550/11, non publiée, EU:T:2012:266), ne saurait être étendue à des actes étayés par des éléments de preuve qui n’étaient pas en possession du Conseil lors de l’adoption des actes de 2011.

273

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que le cinquième moyen est accueilli pour autant que les actes attaqués établissent que le requérant était visé par les actes de 2011.

274

Les premier, deuxième et troisième moyens étant par ailleurs accueillis, il convient d’annuler les actes attaqués, sans qu’il soit besoin d’analyser le quatrième moyen, tiré de l’« abus de pouvoir ».

F. Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

275

Le Conseil a demandé, dans le cadre de son troisième chef de conclusions, que, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils concernent le requérant, il ordonne aussi le maintien des effets de la décision 2022/849 en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/840 prenne effet.

276

Tout d’abord, s’agissant du règlement d’exécution 2022/840, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

277

Dans ces circonstances, en l’absence de pourvoi, le Conseil dispose d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt pour remédier aux violations constatées en adoptant, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard du requérant.

278

En revanche, s’agissant de la décision 2022/849, il convient de constater que, en principe, son annulation devrait entraîner la disparition de l’inscription du nom du requérant sur la liste figurant à l’annexe I de la décision 2013/255.

279

Néanmoins, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2022/840 et celle de la décision 2022/849 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant au requérant des mesures identiques (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2022, LAICO/Conseil, T‑627/20, non publié, EU:T:2022:590, point 106).

280

Il s’ensuit que les effets de la décision 2022/849 doivent être maintenus à l’égard du requérant jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

Sur les dépens

281

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

282

En l’espèce, le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

 

1)

La décision d’exécution (PESC) 2021/751 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, le règlement d’exécution (UE) 2021/743 du Conseil, du 6 mai 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, la décision (PESC) 2022/849 du Conseil, du 30 mai 2022, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, et le règlement d’exécution (UE) 2022/840 du Conseil, du 30 mai 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, sont annulés en tant qu’ils concernent M. Nizar Assaad.

 

2)

Les effets de la décision 2022/849 sont maintenus à l’égard de M. Assaad jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

 

3)

Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

 

Gervasoni

Madise

Nihoul

Frendo

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Signatures

Table des matières

 

I. Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

 

II. Conclusions des parties

 

III. En droit

 

A. Sur l’objet et la portée du présent recours

 

B. Sur la recevabilité des éléments de preuve soumis par le requérant dans le cadre de la réplique

 

C. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

 

1. Considérations liminaires

 

2. Sur les motifs d’inscription et la détermination des critères d’inscription

 

3. Sur les éléments de preuve

 

4. Sur la fiabilité et la pertinence des éléments de preuve

 

5. Sur les motifs d’inscription

 

a) Sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie

 

1) Sur les intérêts économiques du requérant

 

2) Sur les postes du requérant dans certains organes liés au commerce

 

3) Conclusion sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie du requérant

 

b) Sur les liens avec des membres des familles Assad et Makhlouf

 

1) Sur les liens avec des membres de la famille Makhlouf

 

2) Sur les liens du requérant avec des membres de la famille Assad

 

3) Conclusion sur les liens du requérant avec des membres des familles Makhlouf et Assad

 

c) Sur l’association avec le régime syrien

 

6. Conclusion sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

 

D. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, et sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

 

1. Sur la recevabilité du troisième moyen

 

2. Sur le bien-fondé des deuxième et troisième moyens

 

a) Sur la rétroactivité des actes attaqués

 

b) Sur la violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime

 

1) Sur l’existence d’un intérêt général

 

2) Sur l’existence d’une confiance légitime dans le chef du requérant

 

E. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée

 

F. Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

 

Sur les dépens


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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