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Document 62021CJ0691

Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 24 novembre 2022.
Cafpi SA et Aviva assurances SA contre Enedis SA.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).
Renvoi préjudiciel – Directive 85/374/CEE – Article 3 – Responsabilité du fait des produits défectueux – Notion de “producteur” – Gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité modifiant le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution.
Affaire C-691/21.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:926

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 85/374/CEE – Article 3 – Responsabilité du fait des produits défectueux – Notion de “producteur” – Gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité modifiant le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution »

Dans l’affaire C‑691/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 10 novembre 2021, parvenue à la Cour le 18 novembre 2021, dans la procédure

Cafpi SA,

Aviva assurances SA

contre

Enedis SA,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. I. Jarukaitis et Z. Csehi (rapporteur), juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Enedis SA, par Me G. Thouvenin, avocat,

pour le gouvernement français, par Mme A.–L. Desjonquères et M. W. Zemamta, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. G. Gattinara et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29), telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999 (JO 1999, L 141, p. 20).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cafpi SA et son assureur, Aviva assurances SA, à Enedis SA, gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité, au sujet de la réparation de dommages causés par une surtension électrique.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les quatrième et cinquième considérants de la directive 85/374 sont libellés comme suit :

« [C]onsidérant que la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini ou la partie composante ou la matière première fournie par eux présentait un défaut ; que, pour la même raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l’importateur de produits dans la Communauté ainsi que celle de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié ;

considérant que, lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, la protection du consommateur exige que la victime puisse réclamer la réparation intégrale du dommage à chacune d’elles indifféremment ».

4

L’article 1er de cette directive énonce :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. »

5

L’article 2 de ladite directive dispose :

« Pour l’application de la présente directive, le terme “produit” désigne tout meuble, même s’il est incorporé dans un autre meuble ou dans un immeuble. Le terme “produit” désigne également l’électricité. »

6

Aux termes de l’article 3 de la même directive :

« 1.   Le terme “producteur” désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

2.   Sans préjudice de la responsabilité du producteur, toute personne qui importe un produit dans la Communauté en vue d’une vente, location, leasing ou toute autre forme de distribution dans le cadre de son activité commerciale est considérée comme producteur de celui-ci au sens de la présente directive et est responsable au même titre que le producteur.

3.   Si le producteur du produit ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera considéré comme producteur, à moins qu’il n’indique à la victime, dans un délai raisonnable, l’identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. Il en est de même dans le cas d’un produit importé, si ce produit n’indique pas l’identité de l’importateur visé au paragraphe 2, même si le nom du producteur est indiqué. »

7

L’article 5 de la directive 85/374 prévoit :

« Si, en application de la présente directive, plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours. »

8

L’article 9 de cette directive énonce :

« Au sens de l’article 1er, le terme “dommage” désigne :

[...]

b)

le dommage causé à une chose ou la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d’une franchise de 500 [euros], à condition que cette chose :

i)

soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés

et

ii)

ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés.

[...] »

9

L’article 11 de ladite directive est libellé comme suit :

« Les États membres prévoient dans leur législation que les droits conférés à la victime en application de la présente directive s’éteignent à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit même qui a causé le dommage, à moins que durant cette période la victime n’ait engagé une procédure judiciaire contre celui-ci. »

Le droit français

10

La directive 85/374 a été transposée dans l’ordre juridique français par la loi no 98-389, du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (JORF du 21 mai 1998, p. 7744), qui a inséré dans le code civil les articles 1386-1 à 1386-18, devenus articles 1245 à 1245-17 de ce code.

11

L’article 1386-1 du code civil, devenu article 1245 de ce code, dispose :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

12

L’article 1386-2 dudit code, devenu article 1245-1 du même code, énonce :

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne.

Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. »

13

L’article 1386-3 du code civil, devenu article 1245-2 de ce code, prévoit :

« Est un produit tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche. L’électricité est considérée comme un produit. »

14

L’article 1386-6, premier alinéa, dudit code, devenu article 1245-5, premier alinéa, du même code est libellé comme suit :

« Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante. »

15

Aux termes de l’article 1386-7 du code civil, devenu article 1245-6, premier alinéa, de ce code :

« Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l’exception du crédit bailleur ou du loueur assimilable au crédit bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

16

Le 28 juillet 2010, des dysfonctionnements se sont manifestés sur des appareils électriques équipant une agence de Cafpi. Selon une expertise amiable, ces dysfonctionnements auraient été causés par une surtension provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution d’électricité géré par Enedis.

17

Cafpi a été partiellement indemnisée par son assureur, Aviva assurances. Cafpi et Aviva assurances ont assigné Enedis en réparation du préjudice subi sur le fondement de la disposition générale en matière de responsabilité contractuelle, à savoir l’ancien article 1147 du code civil. Enedis a fait valoir que seules les règles du code civil relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux étaient applicables et que l’action en réparation introduite par Cafpi et Aviva assurances était prescrite.

18

Par un jugement du 6 juillet 2018, le tribunal saisi de cette action a écarté l’application de ces dernières règles tout en rejetant les demandes des requérantes sur le fond.

19

Par un arrêt du 6 février 2020, la cour d’appel de Versailles (France) a infirmé ce jugement. Elle a considéré, d’une part, que l’électricité produite par Électricité de France SA n’était pas un produit fini en ce qu’elle était à haute tension et, dès lors, impropre à la consommation, et, d’autre part, qu’Enedis procédait à la transformation de l’électricité afin de pouvoir la distribuer au consommateur final, de telle sorte qu’elle était le fabricant du produit fini destiné à être distribué au consommateur et qu’elle avait, partant, la qualité de producteur, au sens de la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Par conséquent, cette juridiction a jugé que cette législation était applicable et que l’action de Cafpi et d’Aviva assurances était irrecevable pour cause de prescription.

20

Cafpi et Aviva assurances ont introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi.

21

La juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité, qui modifie le niveau d’intensité et de tension de l’électricité en vue de sa distribution au consommateur final, doit être considéré comme étant un « producteur » d’électricité, au sens de la directive 85/374.

22

Tout d’abord, cette juridiction indique que, selon son avocat général, le fait de qualifier un opérateur tel qu’Enedis de producteur d’électricité « est contraire à la réalité des rapports contractuels et économiques entre les différents acteurs du secteur », étant donné, d’une part, que le gestionnaire d’un réseau de distribution ne saurait produire de l’électricité à partir d’une matière première qu’il n’a pas achetée et, d’autre part, que ce gestionnaire ne vend pas de l’électricité, celle-ci étant achetée par le consommateur auprès du fournisseur.

23

Ensuite, ladite juridiction relève que, dans un cas similaire, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a, par un arrêt du 25 février 2014, jugé que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité devait être qualifié de producteur, dès lors qu’il modifiait de manière significative de l’électricité, en transformant le niveau de tension de celle-ci aux fins de son utilisation par le consommateur final.

24

Enfin, la juridiction de renvoi exprime des doutes à l’égard d’une telle appréciation, au motif qu’elle pourrait ne pas être compatible avec les directives relatives au marché intérieur de l’électricité, à savoir la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO 2003, L 176, p. 37), et la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), qui ont imposé l’indépendance des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution d’électricité, par rapport aux activités de production ou de fourniture d’électricité, ouvertes à la concurrence.

25

Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L’article 2 et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374] doivent-ils être interprétés en ce sens que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité peut être considéré comme “producteur”, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité du fournisseur en vue de sa distribution au client final ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

26

La Commission européenne, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, évoque la possibilité que la question posée soit irrecevable au motif qu’elle ne serait pas pertinente aux fins de la solution du litige au principal, étant donné que le dommage dont Cafpi demande réparation est un dommage causé à des appareils électriques utilisés dans le cadre de l’activité professionnelle de cette société, alors que la directive 85/374 régirait uniquement, en vertu de son article 9, la responsabilité d’un opérateur du fait de ses produits défectueux à l’égard d’un consommateur.

27

À cet égard, il convient de relever que, certes, il ressort de l’article 9, sous b), de la directive 85/374 que celle-ci s’applique au dommage causé à une chose ou à la destruction d’une chose à la condition que cette chose soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés.

28

Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, l’harmonisation opérée par la directive 85/374 ne couvrant pas la réparation des dommages causés à une chose destinée à un usage professionnel et utilisée pour cet usage, cette directive n’empêche pas un État membre de prévoir à cet égard un régime de responsabilité correspondant à celui instauré par ladite directive (arrêt du 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, C‑285/08, EU:C:2009:351, point 31).

29

Or, en l’occurrence, ainsi que l’a indiqué la juridiction de renvoi en réponse à une demande d’éclaircissements adressée par la Cour, il ressort de l’article 1386-2 du code civil, devenu article 1245-1 de ce code, que, lors de la transposition de la directive 85/374 dans l’ordre juridique français, le législateur national n’a pas limité le champ d’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux à la réparation des dommages causés à un bien destiné à un usage ou à une consommation privés et utilisé à cette fin.

30

Il est de jurisprudence constante que la Cour est compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union, dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

31

En effet, dans de telles situations, il existe un intérêt certain de l’Union européenne à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

32

Ainsi, une interprétation par la Cour de dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celles-ci est justifiée lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national, de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application desdites dispositions (arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

33

Dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 29 du présent arrêt, le législateur français a, lors de la transposition de la directive 85/374 dans l’ordre juridique français, opéré le choix d’appliquer le régime de responsabilité du fait des produits défectueux institué par cette directive également aux dommages subis par des biens qui ne sont pas destinés à un usage ou à une consommation privés et utilisés à cette fin, il doit, au regard de la jurisprudence citée aux points 30 à 32 du présent arrêt, être conclu qu’il existe un intérêt certain de l’Union à ce que la Cour se prononce sur la demande préjudicielle, de telle sorte que celle-ci doit être considérée comme étant recevable.

Sur le fond

34

À titre liminaire, dans la mesure où la juridiction de renvoi vise, dans sa question, l’article 2 de la directive 85/374, il y a lieu de relever que cet article contient la définition du terme « produit » et, dans ce contexte, prévoit explicitement que l’électricité doit être considérée comme étant un produit, au sens de cette directive.

35

Le cercle des responsables à l’encontre desquels la victime d’un dommage est en droit d’intenter une action au titre du régime de responsabilité prévu par la directive 85/374 est défini aux articles 1er et 3 de celle-ci. Compte tenu du fait que cette directive poursuit une harmonisation totale sur les points qu’elle réglemente, la détermination du cercle des responsables opérée à ces articles doit être considérée comme étant exhaustive et ne saurait être subordonnée à la fixation de critères supplémentaires ne découlant pas du libellé de ces articles (arrêts du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C‑402/03, EU:C:2006:6, points 32 et 33, ainsi que du 7 juillet 2022, Keskinäinen Vakuutusyhtiö Fennia, C‑264/21, EU:C:2022:536, point 29).

36

Dans ces conditions, la question posée doit être comprise comme visant le point de savoir si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final.

37

Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 17 décembre 2020, CLCV e.a. (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel), C‑693/18, EU:C:2020:1040, point 94 ainsi que jurisprudence citée].

38

En premier lieu, selon le libellé même de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374, « [l]e terme “producteur” désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ».

39

En deuxième lieu, en ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 5 de la directive 85/374, lu à la lumière du quatrième considérant de celle-ci, que plusieurs personnes peuvent être qualifiées de « producteur », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, d’un même produit et, à ce titre, être toutes solidairement responsables du dommage causé par ce produit.

40

S’agissant des rôles respectifs des différents opérateurs économiques intervenant dans les chaînes de fabrication et de commercialisation d’un produit, la Cour a précisé que le choix a été fait d’imputer en principe au producteur la charge de la responsabilité pour les dommages causés par les produits défectueux, étant donné que, dans la grande majorité des cas, le fournisseur se borne à revendre le produit tel qu’acheté et que seul le producteur a la possibilité d’agir sur la qualité de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C‑402/03, EU:C:2006:6, points 28 et 29).

41

À cet égard, concernant la délimitation entre les processus de fabrication et de commercialisation d’un produit, il convient également de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un produit doit être considéré comme ayant été mis en circulation, au sens de l’article 11 de la directive 85/374, lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2006, O’Byrne, C‑127/04, EU:C:2006:93, point 27).

42

En troisième lieu, en ce qui concerne l’objectif poursuivi par la directive 85/374, le quatrième considérant de celle-ci indique que la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini ou la partie composante ou la matière première fournie par eux présente un défaut.

43

La notion de « producteur », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374, qui est une notion autonome du droit de l’Union, répond ainsi à l’objectif de protection du consommateur, qui exige, d’une part, que plusieurs personnes puissent être considérées comme étant des producteurs et, d’autre part, que le consommateur puisse introduire sa demande contre n’importe laquelle d’entre elles, de telle sorte que la recherche d’une seule personne responsable, « la plus appropriée », contre laquelle le consommateur devrait faire valoir ses droits, n’est pas pertinente (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2022, Keskinäinen Vakuutusyhtiö Fennia, C‑264/21, EU:C:2022:536, point 35).

44

En l’occurrence, la question posée concerne l’hypothèse d’un gestionnaire du réseau de distribution d’électricité qui modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final, étant précisé que, en l’absence de toute intervention de ce gestionnaire, aucune utilisation de l’électricité à haute tension produite par Électricité de France ne serait possible par le consommateur.

45

Par conséquent, un gestionnaire qui agit de la sorte ne se limite pas à livrer un produit, en l’occurrence de l’électricité, mais participe au processus de sa production en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de le mettre en état d’être offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé.

46

Contrairement à ce que fait valoir le gouvernement français, le niveau de tension d’électricité est une caractéristique de ce produit, et cela indépendamment de la question de savoir si une surtension électrique constitue un défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s’attendre. À cet égard, il y a lieu de relever qu’une caractéristique d’un produit peut être modifiée sans que celui-ci soit défectueux, avant ou après la modification en cause.

47

Il s’ensuit qu’un gestionnaire de réseau de distribution d’électricité qui modifie le niveau de tension de l’électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374.

48

Contrairement à ce qui a été relevé par la juridiction de renvoi, cette interprétation de la notion de « producteur » n’est pas contraire aux dispositions des directives visées au point 24 du présent arrêt, notamment les dispositions ayant imposé une séparation entre les tâches de production et celles de distribution de l’électricité.

49

En effet, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 35 de cet arrêt, la détermination du cercle des responsables à l’encontre desquels la victime d’un dommage est en droit d’intenter une action au titre du régime de responsabilité prévu par la directive 85/374 doit être opérée au regard des seuls articles 1er et 3 de cette directive, sans qu’il soit possible de fixer des critères supplémentaires, non prévus à ces articles. Quant aux directives visées au point 24 du présent arrêt, elles poursuivent des objectifs différents.

50

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final.

 

Gratsias

Jarukaitis

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 novembre 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

D. Gratsias


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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