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Document 62021CJ0426

Arrêt de la Cour (première chambre) du 13 juillet 2023.
Ocilion IPTV Technologies GmbH contre Seven.One Entertainment Group GmbH et Puls 4 TV GmbH & Co. KG.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof.
Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droits d’auteur dans la société de l’information – Directive 2001/29/CE – Article 3 – Droit de communication au public – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Exception dite de “copie privée” – Fournisseur d’un service “Internet Protocol Television” (IPTV) – Accès aux contenus protégés sans autorisation des titulaires de droits – Enregistreur vidéo en ligne – Relecture en différée – Technique de déduplication.
Affaire C-426/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:564

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

13 juillet 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droits d’auteur dans la société de l’information – Directive 2001/29/CE – Article 3 – Droit de communication au public – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Exception dite de “copie privée” – Fournisseur d’un service “Internet Protocol Television” (IPTV) – Accès aux contenus protégés sans autorisation des titulaires de droits – Enregistreur vidéo en ligne – Relecture en différée – Technique de déduplication »

Dans l’affaire C‑426/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 27 mai 2021, parvenue à la Cour le 13 juillet 2021, dans la procédure

Ocilion IPTV Technologies GmbH

contre

Seven.One Entertainment Group GmbH,

Puls 4 TV GmbH & Co. KG,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen, vice–président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. M. Ilešič, A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 juin 2022,

considérant les observations présentées :

pour Ocilion IPTV Technologies GmbH, par Me P. Burgstaller, Rechtsanwalt,

pour Seven.One Entertainment Group GmbH et Puls 4 TV GmbH & Co. KG, par Me M. Boesch, Rechtsanwalt,

pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda et M. G. von Rintelen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ocilion IPTV Technologies GmbH (ci-après « Ocilion ») à Seven.One Entertainment Group GmbH et Puls 4 TV GmbH und Co. KG (ci-après, prises ensemble, « Seven.One e.a. ») au sujet de la mise à la disposition des clients commerciaux d’Ocilion, par celle-ci, d’un service de télévision par Internet en réseau fermé [« Internet Protocol Television » (IPTV)] par lequel est diffusé au profit d’utilisateurs finaux le contenu de programmes télévisés dont Seven.One e.a. détiennent les droits.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 4, 9, 10, 21, 23, 27, 31 et 44 de la directive 2001/29 énoncent :

« (4)

Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et cela aussi bien dans le secteur de la fourniture de contenus que dans celui des technologies de l’information et, de façon plus générale, dans de nombreux secteurs industriels et culturels. Ce processus permettra de sauvegarder des emplois et encouragera la création de nouveaux emplois.

[...]

(9)

Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10)

Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.

[...]

(21)

La présente directive doit définir le champ des actes couverts par le droit de reproduction en ce qui concerne les différents bénéficiaires, et ce conformément à l’acquis communautaire. Il convient de donner à ces actes une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur.

[...]

(23)

La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.

[...]

(27)

La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive.

[...]

(31)

Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. Les exceptions et limitations actuelles aux droits, telles que prévues par les États membres, doivent être réexaminées à la lumière du nouvel environnement électronique. Les disparités qui existent au niveau des exceptions et des limitations à certains actes soumis à restrictions ont une incidence négative directe sur le fonctionnement du marché intérieur dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins. Ces disparités pourraient s’accentuer avec le développement de l’exploitation des œuvres par-delà les frontières et des activités transfrontalières. Pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, ces exceptions et limitations doivent être définies de façon plus harmonieuse. Le degré d’harmonisation de ces exceptions doit être fonction de leur incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(44)

Lorsque les exceptions et les limitations prévues par la présente directive sont appliquées, ce doit être dans le respect des obligations internationales. Ces exceptions et limitations ne sauraient être appliquées d’une manière qui cause un préjudice aux intérêts légitimes du titulaire de droits ou qui porte atteinte à l’exploitation normale de son œuvre ou autre objet. Lorsque les États membres prévoient de telles exceptions ou limitations, il y a lieu, en particulier, de tenir dûment compte de l’incidence économique accrue que celles-ci sont susceptibles d’avoir dans le cadre du nouvel environnement électronique. En conséquence, il pourrait être nécessaire de restreindre davantage encore la portée de certaines exceptions ou limitations en ce qui concerne certaines utilisations nouvelles d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés. »

4

L’article 2 de la directive 2001/29, intitulé « Droit de reproduction », dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)

pour les auteurs de leurs œuvres ;

[...]

e)

pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

5

L’article 3 de cette directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », prévoit :

« 1   Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

2   Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :

[...]

d)

pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.

[...] »

6

Aux termes de l’article 5 de ladite directive, intitulé « Exceptions et limitations » :

« 1.   Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre :

a)

une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire,

ou

b)

une utilisation licite

d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.

2.   Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants :

[...]

b)

lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ;

[...]

5.   Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Le droit autrichien

7

L’article 15 de l’Urheberrechtsgesetz (loi sur le droit d’auteur), du 9 avril 1936 (BGBl. 111/1936), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UrhG »), dispose :

« L’auteur a le droit exclusif de reproduire l’œuvre, quels que soient le procédé utilisé et la quantité reproduite, de manière provisoire ou permanente. »

8

L’article 17, paragraphe 1, de l’UrhG est libellé comme suit :

« L’auteur a le droit exclusif de diffuser l’œuvre par la radiodiffusion ou d’une manière similaire. »

9

Aux termes de l’article 18a, paragraphe 1, de l’UrhG :

« L’auteur a le droit exclusif de mettre l’œuvre à la disposition du public, par fil ou sans fil, d’une manière qui permette à chacun d’y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

10

L’article 42 de l’UrhG prévoit :

« [...]

(4)   Toute personne physique peut établir des reproductions d’une œuvre sur des supports autres que ceux visés au paragraphe 1, pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

(5)   Sous réserve des paragraphes 6 et 7, une reproduction n’est pas faite pour un usage propre ou privé lorsqu’elle est faite pour rendre l’œuvre accessible au public au moyen de l’exemplaire reproduit ou lorsque le modèle utilisé à cette fin a été produit ou rendu accessible au public de manière manifestement illicite. Les exemplaires produits pour un usage propre ou privé ne peuvent être utilisés pour rendre l’œuvre accessible au public.

[...] »

11

L’article 76a de l’UrhG dispose :

« (1)   Quiconque diffuse, par la radiodiffusion ou d’une manière similaire, des sons ou des images (organisme de radiodiffusion au sens de l’article 17) dispose, dans les limites fixées par la loi, du droit exclusif de diffuser simultanément l’émission au moyen d’un autre émetteur et d’utiliser l’émission aux fins d’une communication au public au sens de l’article 18, paragraphe 3, dans des lieux accessibles au public moyennant paiement d’un droit d’entrée ; l’organisme de radiodiffusion a également le droit exclusif de fixer l’émission sur un support d’image ou sonore (en particulier aussi sous la forme d’une photographie), de reproduire celui-ci, de le diffuser et de l’utiliser pour la mettre à la disposition du public. Par reproduction on entend aussi l’utilisation d’une communication réalisée à l’aide d’un support d’image ou sonore pour la transmettre à un autre support.

(2)   Les supports d’image ou sonore reproduits ou diffusés au mépris du paragraphe 1 ne peuvent pas être utilisés aux fins d’une radiodiffusion ou d’une communication au public.

(3)   Toute personne physique peut, pour un usage privé et à des fins qui ne sont pas commerciales ni directement ni indirectement, fixer une radiodiffusion sur un support d’image ou sonore et le reproduire en plusieurs exemplaires [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

Ocilion, une société de droit autrichien, offre à des clients commerciaux, qui peuvent être des gestionnaires de réseau, par exemple de téléphonie ou d’électricité, ou bien des établissements tels que des hôtels ou des stades (ci-après les « gestionnaires de réseau »), un service IPTV, dont l’accès est réservé aux utilisateurs finaux du réseau qui sont des personnes physiques, clientes des gestionnaires de réseau. Ce service, qui concerne notamment les programmes télévisés dont Seven.One e.a. détiennent les droits de retransmission, prend la forme soit d’une solution sur site, par laquelle Ocilion met à la disposition des gestionnaires de réseau le matériel ainsi que les logiciels nécessaires, lesquels sont gérés par ces gestionnaires, mais pour lesquels elle assure une assistance technique, soit d’une solution d’hébergement dans le nuage (cloud), qui est directement gérée par Ocilion.

13

Ledit service d’Ocilion permet non seulement la retransmission simultanée des programmes télévisés de Seven.One e.a., mais offre également la possibilité de visionner en différé ces programmes à partir d’un enregistreur vidéo en ligne. Celui-ci rend possible l’enregistrement ponctuel d’une émission en particulier, mais également celui de l’ensemble des programmes sélectionnés par l’utilisateur final, client du gestionnaire du réseau, permettant un visionnage en différé, jusqu’à sept jours après la diffusion initiale des programmes concernés.

14

Qu’il s’agisse de la solution sur site ou de la solution d’hébergement dans le nuage, l’initiative de tout enregistrement est prise, en pratique, par l’utilisateur final qui active lui-même les fonctions d’enregistrement en ligne et sélectionne le contenu à enregistrer. Dès qu’un programme a été sélectionné par un premier utilisateur, le produit de l’enregistrement est mis à la disposition de tout autre utilisateur qui souhaiterait visionner le contenu enregistré. Pour ce faire, un procédé de déduplication évite de faire plusieurs copies pour les clients qui programment des enregistrements concordants et l’accès au contenu enregistré s’effectue par l’attribution d’un numéro de référencement communiqué à chaque utilisateur par Ocilion.

15

S’agissant de la solution sur site, les conventions-cadres conclues entre Ocilion et les gestionnaires de réseau stipulent que ces derniers doivent assurer, par leurs propres moyens, qu’eux-mêmes et leurs clients possèdent des droits suffisants pour tous les contenus qu’ils mettent à disposition.

16

N’ayant pas consenti à la communication de leurs programmes télévisés au moyen du service proposé par Ocilion, Seven.One e.a. considèrent que ce service correspond à une retransmission non autorisée de contenus sur lesquels elles détiennent des droits exclusifs. Elles font valoir, en outre, que les modalités de fonctionnement de l’enregistreur en ligne ne permettent pas de considérer que les déduplications qui en résultent relèvent de l’exception dite de « copie privée », au sens de l’article 42, paragraphe 4, ainsi que de l’article 76a, paragraphe 3, de l’UrhG.

17

Dans ces conditions, Seven.One e.a. ont introduit une demande en référé visant à interdire à Ocilion de mettre à la disposition de ses clients les contenus de leurs programmes ou de reproduire ou de faire reproduire par des tiers de tels programmes, sans leur consentement.

18

Cette demande ayant été, en substance, accueillie en première instance et confirmée en appel, Ocilion a saisi l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), la juridiction de renvoi, d’un pourvoi.

19

Cette juridiction indique, premièrement, qu’il lui appartient d’établir si les reproductions de contenus d’émissions réalisées à l’aide d’un enregistreur vidéo en ligne relèvent du régime dérogatoire dit de « copie privée », tant en ce qui concerne la solution sur site que dans le cadre de l’hébergement dans le nuage.

20

À cet égard, elle considère qu’est déterminante la question de savoir à qui est imputable la copie d’un contenu réalisée dans le cadre du procédé de déduplication fourni par Ocilion. Ainsi, si ce dernier dispose du pouvoir d’organisation de l’opération d’enregistrement et du lecteur vidéo en ligne, la déduplication du contenu lui serait imputable et l’application du régime dérogatoire dit de « copie privée » serait exclue. Par opposition, si Ocilion se contente de stocker les copies réalisées par des personnes physiques, sans proposer un service de mise à disposition des contenus, rien n’empêcherait de considérer que les reproductions réalisées relèvent de la notion de « copie privée ».

21

La juridiction de renvoi se réfère, à cet égard, à l’arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913), en tant qu’il précise que la circonstance que la personne concernée possède elle-même les équipements, appareils ou supports de reproduction pour réaliser une copie privée est sans incidence sur le caractère illicite de cette copie. Elle doute, toutefois, de la pertinence d’une telle solution dans l’affaire au principal, eu égard aux particularités du service offert par Ocilion et, notamment, en raison du fait que ce service dépasserait largement celui d’un fournisseur d’espace de stockage. Partant, afin d’éviter un contournement de la directive 2001/29, cette juridiction estime que l’on ne saurait, pour déterminer s’il s’agit d’une copie privée, s’attacher à la question formelle de savoir qui a l’initiative de la réalisation de l’opération de copie.

22

Deuxièmement, la juridiction de renvoi se demande si le service que propose Ocilion sur site est constitutif d’une communication au public de contenus d’émissions protégés, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, dont cette entreprise devrait être tenue pour responsable.

23

À cet égard, elle indique, d’une part, que la jurisprudence de la Cour ne fait pas clairement apparaître si des actes, qui ne doivent pas être jugés en eux-mêmes de transmission, mais qui ne font que faciliter la transmission par un tiers, relèvent du champ d’application de cette disposition. D’autre part, elle considère que la jurisprudence issue de l’arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:456), nécessite d’être précisée en ce qui concerne la notion de « rôle incontournable » que doit jouer, en l’occurrence, le fournisseur aux fins de considérer qu’il réalise un acte de « communication au public », au sens de ladite disposition.

24

Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une disposition nationale est-elle conforme au droit de l’Union lorsqu’elle permet, au titre de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive [2001/29], d’utiliser un enregistreur vidéo en ligne [mis à disposition par un fournisseur commercial] qui

a)

en raison du procédé technique utilisé [...] de déduplication n’établit pas de copie indépendante du contenu d’émission programmé à chaque enregistrement lancé par un utilisateur, mais, pour autant que le contenu en question ait déjà été enregistré à l’initiative d’un autre utilisateur qui l’a enregistré pour la première fois, établit simplement, pour éviter des données redondantes, un référencement qui permet à l’utilisateur suivant d’accéder au contenu déjà enregistré ;

b)

a une fonction de relecture, dans le cadre de laquelle le programme télévisé de toutes les chaînes sélectionnées est enregistré intégralement vingt-quatre heures sur vingt-quatre et mis à disposition pour être regardé pendant sept jours, pour autant que l’utilisateur fasse [une seule fois] la sélection dans chacune des chaînes en cliquant sur une case ; et

c)

donne également à l’utilisateur un accès (soit incorporé à un service cloud du fournisseur ou dans le cadre d’une solution complète sur site IPTV mise à disposition par le fournisseur) à des contenus d’émission protégés, sans le consentement des ayants droit ?

2)

La notion de “communication au public” figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit-elle être interprétée en ce sens que celle-ci est réalisée par un [fournisseur commercial] qui offre une solution complète IPTV (sur site) dans le cadre de laquelle en plus du matériel et du logiciel de réception des programmes télévisés par l’internet, il offre également une assistance technique ainsi que des ajustements constants du service, sachant que le service est intégralement utilisé sur l’infrastructure du client, lorsque le service donne au client un accès non seulement à des contenus d’émission dont chacun des ayants droit a autorisé l’utilisation en ligne mais également à des contenus protégés qui n’ont pas fait l’objet d’une autorisation en ce sens, et que le fournisseur

a)

peut influencer le choix des programmes télévisés que l’utilisateur final peut capter par son service,

b)

sait que son service permet également de capter des contenus d’émission protégés sans le consentement des ayants droit, mais

c)

ne vante cependant pas son service en affichant cette possibilité d’en faire une utilisation illicite pour donner à ses clients des motifs essentiels d’acquérir le produit mais leur indique au contraire à la signature du contrat qu’ils doivent veiller sous leur propre responsabilité à recueillir les droits requis, et

d)

ne crée pas par son activité d’accès spécial à des contenus d’émission qui ne pourraient pas être captés sans son intervention ou alors seulement avec difficulté ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

25

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens qu’est susceptible de relever de l’exception au droit exclusif des auteurs et des organismes de radiodiffusion d’autoriser ou d’interdire la reproduction d’œuvres protégées le service offert par un opérateur de retransmission d’émissions de télévision en ligne à des clients commerciaux qui permet, à partir d’une solution d’hébergement en nuage ou reposant sur un serveur mis à disposition sur site, sur initiative des utilisateurs finaux de ce service, un enregistrement en continu ou ponctuel de ces émissions, lorsque la copie réalisée par le premier de ces utilisateurs ayant sélectionné une émission est mise à la disposition, par l’opérateur, d’un nombre indéterminé d’utilisateurs qui souhaitent visionner le même contenu.

26

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, afin d’interpréter une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 4 mai 2023, Österreichische Datenschutzbehörde et CRIF, C‑487/21, EU:C:2023:369, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

27

En premier lieu, il convient d’emblée de relever que, aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit exclusif de reproduction consacré par l’article 2 de cette directive, « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires des droits reçoivent une compensation équitable ».

28

Tout d’abord, s’agissant du point de savoir si un service tel que celui en cause au principal constitue une « reproduction », au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, la Cour a jugé que cette notion doit être entendue au sens large, au regard tant de l’exigence exprimée au considérant 21 de cette directive selon laquelle il convient de donner aux actes couverts par le droit de reproduction une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur, que du libellé de l’article 2 de ladite directive, qui fait mention, pour qualifier la reproduction, des expressions telles que « directe ou indirecte », « provisoire ou permanente », « par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit ». En outre, l’étendue d’une telle protection des actes couverts par le droit de reproduction découle également de l’objectif principal de la même directive, qui est d’instaurer un niveau de protection élevé en faveur, notamment, des auteurs (arrêt du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C‑433/20, EU:C:2022:217, point 16).

29

Ensuite, s’agissant plus précisément de l’expression « reproductions effectuées sur tout support », figurant à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la même directive, la Cour a jugé qu’elle couvre la réalisation, à des fins privées, de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage (arrêt du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C‑433/20, EU:C:2022:217, point 33).

30

En effet, pour pouvoir se prévaloir de la dérogation prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, il n’est pas nécessaire que les personnes physiques concernées possèdent les équipements, les appareils ou les supports de reproduction. Elles peuvent également se voir fournir par un tiers un service de reproduction, qui constitue la prémisse factuelle nécessaire pour que ces personnes physiques puissent obtenir des copies privées (arrêt du 29 novembre 2017, VCAST, C‑265/16, EU:C:2017:913, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

31

Enfin, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, tel qu’exposé au point 27 du présent arrêt, cette disposition est applicable uniquement lorsque les reproductions sont réalisées par une personne physique non seulement pour un usage privé, mais également à des fins non directement ou indirectement commerciales.

32

En deuxième lieu, il convient de rappeler que, s’agissant des exceptions et des limitations prévues notamment à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29, l’article 5, paragraphe 5, lu en combinaison avec le considérant 44 de cette directive, prévoit qu’elles ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou d’un autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

33

À cet égard, en troisième lieu, la Cour a précisé que, les exceptions et les limitations prévues à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29 comportant elles-mêmes des droits au profit des utilisateurs d’œuvres ou d’autres objets protégés, cette disposition contribue à assurer un juste équilibre entre, d’une part, les droits et les intérêts des titulaires de droits, qui font eux-mêmes l’objet d’une interprétation large et, d’autre part, les droits et les intérêts de ces utilisateurs (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Spiegel Online, C‑516/17, EU:C:2019:625, point 54).

34

En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 31 de la directive 2001/29, le maintien d’un tel juste équilibre est précisément l’objectif de l’harmonisation effectuée par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 64).

35

C’est au regard de ce qui précède qu’il convient de déterminer si un service, tel que celui offert par Ocilion, est susceptible de relever de l’exception dite de « copie privée » prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

36

D’emblée, il ressort du cadre juridique national présenté dans la décision de renvoi que la République d’Autriche a fait usage de la faculté que lui reconnaît l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 en prévoyant à l’article 42, paragraphe 4, et à l’article 76a, paragraphe 3, de l’UrhG que toute personne physique peut établir des reproductions d’une œuvre ou la fixation d’une radiodiffusion sur des supports pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

37

À cet égard, il découle de l’arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913), que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire de droits.

38

La juridiction de renvoi se demande toutefois si cette jurisprudence est transposable à un service tel que celui offert par Ocilion.

39

Dans l’affaire au principal, il est constant qu’Ocilion est une société qui fournit ses services dans le cadre d’une activité commerciale. Par conséquent, dès lors que les personnes morales sont en tout état de cause exclues du bénéfice de l’exception prévue audit article 5, paragraphe 2, sous b) (arrêt du 9 juin 2016, EGEDA e.a., C‑470/14, EU:C:2016:418, point 30), cette entreprise ne saurait être considérée comme réalisant une copie relevant de cette exception.

40

Ocilion soutient, toutefois, que le service qu’elle offre se limite à fournir un instrument permettant à chaque utilisateur final, de sa propre initiative et en fonction de la programmation qu’il effectue lui-même, de visionner en différé des programmes télévisés, sachant que, lorsqu’un contenu a été sélectionné par un premier utilisateur final, l’enregistrement qui en résulte est mis à disposition des autres utilisateurs finaux souhaitant visionner ce même contenu au moyen d’un numéro de référencement. Cette entreprise en déduit que la reproduction des programmes télévisés qui en résulte est effectuée par chaque utilisateur final à des fins privées et que, eu égard à la technique de déduplication qu’elle emploie, il n’en résulte pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits exclusifs.

41

Dès lors, il convient de déterminer si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la déduplication des émissions télévisées générée par un service, tel que celui offert par Ocilion, est susceptible de relever de l’exception dite de « copie privée ».

42

Premièrement, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 36 à 38 de ses conclusions, un service tel que celui offert par Ocilion se caractérise par sa double fonctionnalité. En effet, celui-ci repose sur une solution IPTV de retransmission simultanée d’émissions de télévision à laquelle s’ajoute un instrument d’enregistrement en ligne de ces émissions. Dès lors que l’enregistrement en ligne concerne les émissions retransmises dans le cadre de la solution IPTV, ce service n’est pas autonome, mais dépend nécessairement du service de retransmission simultanée assurée par cette solution.

43

De surcroît, la possibilité de procéder à l’enregistrement des émissions télévisées retransmises représente une plus-value d’un service tel que celui en cause au principal, dès lors qu’elle permet d’accéder aux contenus concernés dans des conditions différentes de celles de leur retransmission simultanée.

44

Deuxièmement, il ressort de la décision de renvoi que le service offert par Ocilion repose sur une technique qui met la copie réalisée par un premier utilisateur, à l’aide des moyens fournis par ce prestataire, à la disposition des utilisateurs finaux souhaitant en visionner le contenu. Dans ces conditions, si, certes, l’utilisateur final programme lui-même les enregistrements, le service d’enregistrement et de mise à disposition de la copie ainsi réalisée, non seulement repose sur les moyens fournis par le prestataire, mais constitue également, ainsi qu’il ressort du point précédent, l’intérêt principal de l’offre fournie.

45

À cet égard, la technique de déduplication en cause au principal conduit à la réalisation d’une copie qui, loin d’être à la disposition exclusive du premier utilisateur, est destinée à être accessible, par le biais du système offert par le prestataire, à un nombre indéterminé d’utilisateurs finaux, eux-mêmes clients des gestionnaires de réseau auxquels ledit prestataire met cette technique à disposition.

46

Dans ces conditions, force est de constater, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, qu’un service tel que celui offert par Ocilion, qui permet l’accès à une reproduction d’une œuvre protégée à un nombre indéterminé de bénéficiaires à des fins commerciales, ne relève pas de l’exception dite de « copie privée » visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

47

Troisièmement, et ainsi que l’a mis en exergue M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions, ce constat ne saurait être infirmé par la nécessité de respecter le principe de neutralité technologique, en vertu duquel la loi doit énoncer les droits et les obligations des personnes de manière générique, afin de ne pas privilégier le recours à une technologie au détriment d’une autre (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C‑433/20, EU:C:2022:217, point 27).

48

À cet égard, la Cour a souligné que l’exception visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit rendre possible et assurer le développement et le fonctionnement de nouvelles technologies, ainsi que maintenir un juste équilibre entre les droits et les intérêts de titulaires de droits et d’utilisateurs d’œuvres protégées qui souhaitent bénéficier de ces technologies (arrêt du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C‑433/20, EU:C:2022:217, points 26 et 27).

49

Toutefois, s’il est ainsi admis que le principe de neutralité technologique requiert que l’interprétation des dispositions du droit de l’Union ne restreigne pas l’innovation et le progrès technologique (voir, par analogie, arrêt du 15 avril 2021, Eutelsat, C‑515/19, EU:C:2021:273, point 48), il n’en demeure pas moins que le constat effectué au point 46 du présent arrêt ne dépend pas de la technologie de reproduction utilisée dans le cadre du service tel que celui en cause au principal, mais résulte de la circonstance que le système utilisé par les gestionnaires de réseau donne accès aux émissions enregistrées à un nombre indéterminé de personnes à des fins commerciales, un tel accès étant susceptible de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires des droits, de sorte que l’application de l’exception dite de « copie privée » concernant un tel service risquerait de porter atteinte à l’objectif de maintenir un juste équilibre entre les intérêts des titulaires des droits d’auteur et ceux des utilisateurs.

50

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 2 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens que ne relève pas de l’exception au droit exclusif des auteurs et des organismes de radiodiffusion d’autoriser ou d’interdire la reproduction d’œuvres protégées le service offert par un opérateur de retransmission d’émissions de télévision en ligne à des clients commerciaux qui permet, à partir d’une solution d’hébergement en nuage ou reposant sur le matériel ainsi que les logiciels nécessaires mis à disposition sur site, un enregistrement en continu ou ponctuel de ces émissions, à l’initiative des utilisateurs finaux de ce service, lorsque la copie réalisée par un premier utilisateur ayant sélectionné une émission est mise à la disposition, par l’opérateur, d’un nombre indéterminé d’utilisateurs qui souhaitent visionner le même contenu.

Sur la seconde question

51

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que sont constitutives d’une « communication au public », au sens de cette disposition, la mise à disposition et la maintenance d’un procédé sur site d’enregistrement vidéo en ligne, donnant accès à des contenus protégés, lorsque le fournisseur exerce une certaine influence sur le choix des contenus auxquels l’utilisateur a accès, que ce dernier a accès à ces contenus sans l’intervention du fournisseur et que celui-ci, tout en sachant que son service peut être utilisé pour accéder à des contenus d’émissions protégés sans le consentement de leurs auteurs, ne fait pas la promotion de cet aspect de son service.

52

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

53

Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, en vertu de cette disposition, les auteurs disposent d’un droit de nature préventive leur permettant d’interdire toute communication au public que d’éventuels utilisateurs finaux ou clients commerciaux pourraient envisager d’effectuer (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

54

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne définissant pas la notion de « communication au public », il y a lieu de déterminer le sens et la portée de cette notion, au regard des objectifs poursuivis par cette directive et au regard du contexte dans lequel cette disposition s’insère (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

55

À cet égard, la Cour a précisé que ladite notion doit, comme le souligne le considérant 23 de la directive 2001/29, s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication et, ainsi, toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. En effet, il résulte des considérants 4, 9 et 10 de cette directive que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux–ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

56

En particulier, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la notion de « communication au public », au sens de cet article 3, paragraphe 1, associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre ainsi que la communication de cette dernière à un public, et implique une appréciation individualisée (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

57

S’agissant de la notion d’« acte de communication », il convient de souligner qu’un tel acte vise toute transmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé (arrêt du 29 novembre 2017, VCAST, C‑265/16, EU:C:2017:913, point 42 et jurisprudence citée).

58

En outre, aux fins de l’appréciation individualisée rappelée au point 56 du présent arrêt, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Ces critères pouvant, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

59

Parmi ces critères, la Cour a souligné le rôle incontournable joué par le fournisseur et le caractère délibéré de son intervention. En effet, celui-ci réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

60

En revanche, le considérant 27 de la directive 2001/29 précise que « la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de [cette] directive ».

61

En l’occurrence, ainsi qu’il est mentionné au point 12 du présent arrêt, il ressort de la décision de renvoi qu’Ocilion fournit aux gestionnaires de réseau, dans le cadre de sa solution sur site, le matériel ainsi que les logiciels nécessaires, de même qu’une assistance technique pour en assurer la maintenance.

62

Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 68 à 70 de ses conclusions, en l’absence de tout lien entre le fournisseur du matériel ainsi que des logiciels nécessaires et les utilisateurs finaux, un service tel que celui en cause au principal ne saurait être considéré comme un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, réalisé par Ocilion.

63

En effet, d’une part, un prestataire tel qu’Ocilion ne donne pas accès aux utilisateurs finaux à une œuvre protégée. Certes, il fournit aux gestionnaires de réseau le matériel ainsi que les logiciels nécessaires à cet égard, mais ces derniers sont les seuls qui accordent aux utilisateurs finaux l’accès aux œuvres protégées.

64

D’autre part, dès lors que ce sont les gestionnaires de réseau qui donnent accès à des œuvres protégées aux utilisateurs finaux, conformément aux modalités préalablement définies entre eux, le prestataire qui fournit le matériel ainsi que les logiciels nécessaires aux gestionnaires de réseau pour donner accès à ces œuvres ne joue pas un « rôle incontournable », au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt cité au point 59 du présent arrêt, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme ayant réalisé un acte de communication, au sens de la directive 2001/29. En effet, si l’utilisation de ce matériel ainsi que des logiciels, dans le cadre de la solution sur site, apparaît nécessaire afin que les utilisateurs finaux puissent visionner en différé les émissions de télévision, il ne ressort pas des indications figurant dans le dossier soumis à la Cour que le prestataire fournissant ce matériel ainsi que ces logiciels intervient pour donner aux utilisateurs finaux accès à ces œuvres protégées.

65

Dans ce contexte, la connaissance éventuelle par un tel prestataire du fait que son service peut être utilisé pour accéder à des contenus d’émissions protégés sans le consentement de leurs auteurs ne saurait suffire en soi pour considérer qu’il réalise un acte de communication, au sens de l’article 3 de la directive 2001/29.

66

Au demeurant, il ne ressort pas de la décision de renvoi que l’assistance technique offerte par Ocilion irait au-delà de la maintenance et de l’adaptation du matériel ainsi que des logiciels nécessaires fournis et permettrait à ce prestataire d’influencer le choix des programmes télévisés que l’utilisateur final peut visionner en différé.

67

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que ne constitue pas une « communication au public », au sens de cette disposition, la fourniture, par un opérateur de retransmission d’émissions de télévision en ligne, à son client commercial, du matériel ainsi que des logiciels nécessaires, y compris d’une assistance technique, qui permettent à ce client de donner accès en différé à ses propres clients à des émissions de télévision en ligne, et ce quand bien même il a connaissance du fait que son service peut être utilisé pour accéder à des contenus d’émissions protégés sans le consentement de leurs auteurs.

Sur les dépens

68

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 2 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,

doivent être interprétés en ce sens que :

ne relève pas de l’exception au droit exclusif des auteurs et des organismes de radiodiffusion d’autoriser ou d’interdire la reproduction d’œuvres protégées le service offert par un opérateur de retransmission d’émissions de télévision en ligne à des clients commerciaux qui permet, à partir d’une solution d’hébergement en nuage ou reposant sur le matériel ainsi que les logiciels nécessaires mis à disposition sur site, un enregistrement en continu ou ponctuel de ces émissions, à l’initiative des utilisateurs finaux de ce service, lorsque la copie réalisée par un premier utilisateur ayant sélectionné une émission est mise à la disposition, par l’opérateur, d’un nombre indéterminé d’utilisateurs qui souhaitent visionner le même contenu.

 

2)

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29

doit être interprété en ce sens que :

ne constitue pas une « communication au public », au sens de cette disposition, la fourniture, par un opérateur de retransmission d’émissions de télévision en ligne, à son client commercial, du matériel ainsi que des logiciels nécessaires, y compris d’une assistance technique, qui permettent à ce client de donner accès en différé à ses propres clients à des émissions de télévision en ligne, et ce quand bien même il a connaissance du fait que son service peut être utilisé pour accéder à des contenus d’émissions protégés sans le consentement de leurs auteurs.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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