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Document 62021CJ0230

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 17 novembre 2022.
X contre Belgische Staat.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen.
Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Directive 2003/86/CE – Article 2, sous f) – Article 10, paragraphe 3, sous a) – Notion de “mineur non accompagné” – Droit au regroupement familial – Réfugié mineur marié au moment de son entrée sur le territoire d’un État membre – Mariage d’enfant non reconnu dans cet État membre – Cohabitation avec le conjoint résidant légalement dans cet État membre.
Affaire C-230/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:887

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

17 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Directive 2003/86/CE – Article 2, sous f) – Article 10, paragraphe 3, sous a) – Notion de “mineur non accompagné” – Droit au regroupement familial – Réfugié mineur marié au moment de son entrée sur le territoire d’un État membre – Mariage d’enfant non reconnu dans cet État membre – Cohabitation avec le conjoint résidant légalement dans cet État membre »

Dans l’affaire C‑230/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du contentieux des étrangers, Belgique), par décision du 6 avril 2021, parvenue à la Cour le 9 avril 2021, dans la procédure

X, agissant en son nom propre et en sa capacité juridique de représentante de ses enfants mineurs Y et Z,

contre

Belgische Staat,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan, N. Piçarra, N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mars 2022,

considérant les observations présentées :

pour X, agissant en son nom propre et en sa capacité juridique de représentante de ses enfants mineurs Y et Z, par Mes J. Schellemans, K. Verhaegen et K. Verstrepen, advocaten,

pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, assistées de Mes D. Matray, S. Matray, avocats, et de Me S. Van Rompaey, advocaat,

pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. S. Noë, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous f), et de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X, agissant en son nom propre et en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs Y et Z, au Belgische Staat (État belge), au sujet du rejet de sa demande de visa en vue d’un regroupement familial avec sa fille ainsi que du rejet de ses demandes de visa humanitaire pour Y et Z.

Le cadre juridique

La directive 2003/86

3

Les considérants 2 et 8 de la directive 2003/86 énoncent :

« (2)

Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[...]

(8)

La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. À ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial. »

4

L’article 1er de cette directive est libellé comme suit :

« Le but de la présente directive est de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. »

5

L’article 2, sous f), de ladite directive définit le « mineur non accompagné » en ces termes :

« tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire d’un État membre. »

6

L’article 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la même directive énonce :

« 1.   Les États membres autorisent l’entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu’à l’article 16, des membres de la famille suivants :

a)

le conjoint du regroupant ;

b)

les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint, y compris les enfants adoptés conformément à une décision prise par l’autorité compétente de l’État membre concerné ou à une décision exécutoire de plein droit en vertu d’obligations internationales dudit État membre ou qui doit être reconnue conformément à des obligations internationales ;

c)

les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ;

d)

les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du conjoint, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

Les enfants mineurs visés au présent article doivent être d’un âge inférieur à la majorité légale de l’État membre concerné et ne pas être mariés.

Par dérogation, lorsqu’un enfant a plus de 12 ans et arrive indépendamment du reste de sa famille, l’État membre peut, avant d’autoriser son entrée et son séjour au titre de la présente directive, examiner s’il satisfait à un critère d’intégration prévu par sa législation existante à la date de la mise en œuvre de la présente directive.

2.   Les États membres peuvent, par voie législative ou réglementaire, autoriser l’entrée et le séjour, au titre de la présente directive, sous réserve du respect des conditions définies au chapitre IV, des membres de la famille suivants :

a)

les ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans le pays d’origine ;

[...]

5.   Afin d’assurer une meilleure intégration et de prévenir des mariages forcés, les États membres peuvent demander que le regroupant et son conjoint aient atteint un âge minimal, qui ne peut être supérieur à 21 ans, avant que le conjoint ne puisse rejoindre le regroupant. »

7

L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2003/86 prévoit :

« Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

8

L’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive dispose :

« Si le réfugié est un mineur non accompagné, les États membres :

a)

autorisent l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de ses ascendants directs au premier degré sans que soient appliquées les conditions fixées à l’article 4, paragraphe 2, point a) ».

Le règlement Dublin III

9

L’article 2, sous g), du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin, 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »), comporte la définition suivante :

« Aux fins du présent règlement, on entend par:

[...]

g)

« membres de la famille » : dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d’origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres :

[...]

lorsque le bénéficiaire d’une protection internationale est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du bénéficiaire de par le droit ou la pratique de l’État membre dans lequel le bénéficiaire se trouve ».

10

L’article 8, paragraphe 1, de ce règlement énonce :

« Si le demandeur est un mineur non accompagné, l’État membre responsable est celui dans lequel un membre de la famille ou les frères ou sœurs du mineur non accompagné se trouvent légalement, pour autant que ce soit dans l’intérêt supérieur du mineur. Lorsque le demandeur est un mineur marié dont le conjoint ne se trouve pas légalement sur le territoire des États membres, l’État membre responsable est l’État membre où le père, la mère, ou un autre adulte responsable du mineur de par le droit ou la pratique de l’État membre concerné, ou l’un de ses frères ou sœurs se trouve légalement. »

11

L’article 9 dudit règlement dispose :

« Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d’origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

X, qui déclare être d’origine palestinienne, a une fille née le 2 février 2001. Le 8 décembre 2016, cette fille, alors âgée de quinze ans, a épousé Y.B. au Liban.

13

Le 28 août 2017, la fille de X est arrivée en Belgique pour rejoindre Y.B. qui disposait d’un titre de séjour valable dans cet État membre.

14

Le 29 août 2017, le service des tutelles du FOD Justitie (service public fédéral de la justice, Belgique) a considéré que la fille de X était une mineure étrangère non accompagnée et lui a attribué une tutrice.

15

Le 20 septembre 2017, la fille de X a déposé une demande de protection internationale auprès des autorités belges.

16

Le même jour, le Dienst Vreemdelingenzaken (Office des étrangers, Belgique) a refusé de reconnaître l’acte de mariage de la fille de X, au motif qu’il s’agissait d’un mariage d’enfant, incompatible avec l’ordre public, en vertu des articles du code de droit international privé belge pertinents.

17

Le 26 septembre 2018, la fille de X a été reconnue comme réfugiée.

18

Le 18 décembre 2018, X a introduit, auprès de l’ambassade de Belgique au Liban, d’une part, une demande de visa en vue du regroupement familial avec sa fille, et, d’autre part, des demandes de visas humanitaires pour ses fils mineurs, Y et Z.

19

Par trois décisions du 21 juin 2019, le délégué du minister van Sociale Zaken en Volksgezondheid, en van Asiel en Migratie (ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l’Asile et la Migration, Belgique) (ci-après le « ministre ») a rejeté les demandes de visas présentées par X le 18 décembre 2018. Ces décisions ont été annulées par la juridiction de renvoi dans un arrêt du 7 novembre 2019.

20

À la suite de cette annulation, le ministre a pris, le 17 mars 2020, trois nouvelles décisions visant à refuser lesdits visas. Dans ces décisions, celui-ci a considéré, en substance, que, au regard de la législation belge sur les étrangers, dont certaines dispositions transposent la directive 2003/86, la famille nucléaire est constituée des époux et des enfants mineurs célibataires. Par conséquent, la fille de X, après un mariage valable dans le pays dans lequel il a été contracté, n’appartiendrait plus à la famille nucléaire de ses parents.

21

Le 10 août 2020, X a formé un recours contre lesdites décisions devant la juridiction de renvoi.

22

À l’appui de son recours, X fait valoir que ni la législation belge sur les étrangers ni la directive 2003/86 n’exigent qu’un réfugié soit non marié pour pouvoir bénéficier du droit au regroupement familial avec ses parents. En outre, l’acte de mariage de sa fille n’ayant pas été reconnu en Belgique, il ne produirait aucun effet juridique dans cet État membre. Elle allègue que sa fille ne doit remplir que deux conditions pour bénéficier du droit au regroupement familial avec ses parents et que celles-ci sont réunies dès lors que sa fille est, d’une part, mineure et, d’autre part, non accompagnée, au sens de l’article 2, sous f), de la directive 2003/86.

23

La juridiction de renvoi considère que la situation de la fille de X semble relever de la notion de « mineur non accompagné », au sens de l’article 10, paragraphe 3, sous a), lu conjointement avec l’article 2, sous f), de la directive 2003/86. À cet égard, elle relève que cette directive ne contient aucune indication relative à la situation matrimoniale du mineur non accompagné. Toutefois, cette juridiction observe qu’il y a lieu de tenir compte également de l’article 9 du règlement Dublin III qui exige que le réfugié mineur soit non marié pour que l’État membre où il réside soit responsable du traitement de la demande de protection internationale de ses parents.

24

C’est dans ces conditions que le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du contentieux des étrangers, Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union, en particulier l’article 2, sous f), de la [directive 2003/86], lu conjointement avec l’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive, doit-il être interprété en ce sens qu’un réfugié “mineur non accompagné” qui réside dans un État membre doit être non marié selon sa loi nationale pour ouvrir le droit au regroupement familial avec des ascendants en ligne directe ?

2)

Dans l’affirmative, un réfugié mineur dont le mariage contracté à l’étranger n’est pas reconnu pour des motifs d’ordre public peut-il être considéré comme un “mineur non accompagné” tel que visé à l’article 2, sous f), et à l’article 10, paragraphe 3, de la [directive 2003/86] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

25

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, doit être interprété en ce sens que, pour acquérir le statut de regroupant aux fins du regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré, un réfugié mineur non accompagné résidant dans un État membre doit être non marié.

26

Il convient de rappeler d’emblée qu’il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs de la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12 , et du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association, C‑700/20, EU:C:2022:488, point 55).

27

En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 que, si le réfugié est un mineur non accompagné, au sens de l’article 2, sous f), de cette directive, les États membres « autorisent l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de ses ascendants directs au premier degré sans que soient appliquées les conditions fixées à l’article 4, paragraphe 2, point a) ».

28

Ainsi, l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 impose aux États membres l’obligation positive précise d’autoriser, dans l’hypothèse déterminée par cette disposition, le regroupement familial des ascendants directs au premier degré du regroupant. Le droit au regroupement familial ainsi reconnu aux réfugiés mineurs non accompagnés n’est soumis ni à une marge d’appréciation de la part des États membres ni aux conditions prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la même directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248, point 34).

29

L’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 ne prévoit pas spécifiquement que le refugié mineur doit être non marié pour que l’entrée et le séjour de ses ascendants directs au premier degré soient autorisés, aux fins du regroupement familial.

30

Par ailleurs, aux termes de l’article 2, sous f), de la directive 2003/86, le mineur non accompagné est défini comme « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire d’un État membre ».

31

La Cour a déjà jugé que cette définition prévoit deux conditions, à savoir que l’intéressé soit « mineur » et qu’il soit « non accompagné » (arrêt du 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248, point 37).

32

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions, cette définition ne se réfère nullement à l’état civil du mineur et n’exige pas que le mineur soit célibataire pour pouvoir être considéré comme un mineur non accompagné.

33

S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 s’insère, il y a lieu de souligner que cette directive contient des dispositions qui visent expressément des situations dans lesquelles le statut matrimonial du mineur est pris en compte.

34

En particulier, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, qui détermine les membres de la famille du regroupant pouvant bénéficier du regroupement familial, prévoit que « [l]es enfants mineurs visés au présent article doivent [...] ne pas être mariés ». Ainsi, aux termes de cette disposition, les enfants mineurs du parent regroupant ne peuvent entrer et séjourner dans l’Union européenne sur le fondement du regroupement familial qu’à la condition qu’ils ne soient pas mariés.

35

Le fait que le législateur de l’Union ait prévu une telle condition en ce qui concerne l’état civil des enfants mineurs d’un parent regroupant, mais non pour le regroupant réfugié mineur non accompagné, paraît témoigner de sa volonté de ne pas restreindre le bénéfice de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 aux seuls refugiés mineurs non accompagnés non mariés.

36

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le gouvernement belge, cette interprétation du contexte dans lequel s’insère l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, ne crée pas d’inégalité de traitement entre la situation d’un mineur marié qui demande le regroupement familial avec son ascendant regroupant, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86, et celle d’un regroupant refugié mineur non accompagné marié dont l’ascendant direct au premier degré demande à bénéficier du regroupement familial, visée à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive, dès lors que ces deux situations ne sont pas comparables.

37

En effet, un réfugié mineur non accompagné séjournant seul sur le territoire d’un État autre que son État d’origine se trouve dans une position de vulnérabilité particulière qui justifie que le regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré, se trouvant en dehors de l’Union, soit favorisé. Cette différence de situation justifie que le droit au regroupement familial de ce dernier soit soumis non pas aux conditions prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 2003/86, mais à celles prévues à son article 10, paragraphe 3, sous a), lequel vise spécifiquement à garantir une protection accrue aux réfugiés ayant la qualité de mineurs non accompagnés (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248, point 44).

38

Cette protection est d’autant plus nécessaire que les États membres peuvent, conformément à l’article 4, paragraphe 5, de cette directive, imposer, dans le cadre du regroupement familial des conjoints, une condition d’âge minimal au regroupant et à son conjoint avant que le second ne puisse rejoindre le premier. Dans une telle hypothèse, une interprétation de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de ladite directive qui refuserait le regroupement avec les ascendants directs au premier degré, lorsque le refugié mineur non accompagné regroupant est marié, placerait ce mineur dans une situation de particulière vulnérabilité puisqu’il se trouverait, en l’absence de son conjoint et de ses ascendants, privé de tout réseau familial dans l’État membre où il se trouve.

39

Le gouvernement belge fait valoir que l’article 9 et l’article 2, sous g), dernier tiret, du règlement Dublin III requièrent que le réfugié mineur ne soit pas marié et que la famille existait déjà dans le pays d’origine pour que l’État membre dans lequel ce refugié réside soit responsable du traitement de la demande de protection internationale de sa mère ou de son père. Toutefois, ce règlement concerne non pas les conditions auxquelles est soumis le droit au regroupement familial des réfugiés mineurs non accompagnés, mais la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans l’un des États membres. Ledit règlement n’est donc pas pertinent aux fins du litige au principal.

40

En troisième lieu, s’agissant de la finalité de la directive 2003/86, il convient de rappeler que celle-ci est, aux termes de son article 1er, de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres.

41

À cet égard, il ressort du considérant 8 de cette directive que celle-ci prévoit pour les réfugiés des conditions plus favorables pour l’exercice de ce droit au regroupement familial, dès lors que leur situation demande une attention particulière à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie familiale normale. Conformément à cet objectif, ladite directive vise à faciliter le regroupement familial d’un réfugié mineur non accompagné avec ses ascendants directs au premier degré.

42

En effet, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 2003/86, la possibilité d’un tel regroupement est, en principe, laissée à la discrétion de chaque État membre et soumise, notamment, à la condition que les ascendants directs au premier degré soient à la charge du regroupant et qu’ils soient privés du soutien familial nécessaire dans le pays d’origine. En revanche, ainsi que cela a été rappelé au point 28 du présent arrêt, l’article 10, paragraphe 3, sous a), de cette directive déroge à ce principe.

43

Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, la directive 2003/86 poursuit non seulement, de manière générale, l’objectif de favoriser le regroupement familial et d’accorder une protection aux ressortissants de pays tiers, notamment aux mineurs, mais son article 10, paragraphe 3, sous a), vise spécifiquement à garantir une protection accrue à ceux des réfugiés qui ont la qualité de mineur non accompagné (arrêt du 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

44

Compte tenu de ce contexte, une interprétation de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 qui restreindrait le bénéfice du droit au regroupement familial avec leurs ascendants directs au premier degré aux seuls refugiés mineurs non accompagnés qui ne sont pas mariés irait à l’encontre de cet objectif de protection particulière.

45

En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 46 de ses conclusions, une telle interprétation aurait pour conséquence qu’un refugié mineur non accompagné marié dont le conjoint réside sur le territoire de l’Union ne pourrait pas bénéficier de la protection accrue que lui confère la directive 2003/86, alors même que la vulnérabilité particulière des mineurs n’est pas atténuée du fait du mariage. Au contraire, le fait d’être marié peut indiquer, s’agissant particulièrement des filles mineures, une exposition à la forme grave de violence que sont les mariages d’enfants et les mariages forcés.

46

En outre, il convient de souligner que l’état civil d’un refugié mineur non accompagné peut souvent être difficile à établir, notamment dans le cas des réfugiés originaires de pays qui ne sont pas en mesure de délivrer des documents officiels fiables. Ainsi, l’interprétation selon laquelle l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 ne restreint pas le bénéfice du regroupement familial avec les ascendants directs au premier degré aux seuls refugiés mineurs non accompagnés qui ne sont pas mariés est également conforme aux principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique, dès lors qu’elle assure que le droit au regroupement familial ne dépend pas des capacités administratives du pays d’origine de la personne concernée.

47

Enfin, les dispositions de cette directive doivent être interprétées et appliquées à la lumière de l’article 7 et de l’article 24, paragraphes 2 et 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi qu’il ressort d’ailleurs des termes du considérant 2 et de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive, qui imposent aux États membres d’examiner les demandes de regroupement familial dans l’intérêt des enfants concernés et dans le souci de favoriser la vie familiale [arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial – Enfant mineur), C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19, EU:C:2020:577, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

48

À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 7 de la Charte reconnaît le droit au respect de la vie privée ou familiale. Cette disposition de la Charte doit, ensuite, être lue en combinaison avec l’obligation de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de celle-ci, cette disposition s’appliquant également à des décisions qui n’ont pas nécessairement pour destinataire le mineur, mais qui emportent des conséquences importantes pour ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur), C‑112/20, EU:C:2021:197, point 36]. Il convient, enfin, de tenir compte de la nécessité pour un enfant, exprimée à l’article 24, paragraphe 3, de la Charte, d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux parents [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial – Enfant mineur), C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19, EU:C:2020:577, point 34 ainsi que jurisprudence citée].

49

Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’un réfugié mineur non accompagné qui réside dans un État membre ne doit pas être non marié pour acquérir le statut de regroupant aux fins du regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré.

Sur la seconde question

50

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, lu conjointement avec l’article 2, sous f), de cette directive,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

un réfugié mineur non accompagné qui réside dans un État membre ne doit pas être non marié pour acquérir le statut de regroupant aux fins du regroupement familial avec ses ascendants directs au premier degré.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

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