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Document 62021CJ0044

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 28 avril 2022.
Phoenix Contact GmbH & Co. KG contre HARTING Deutschland GmbH & Co. KG et Harting Electric GmbH & Co. KG.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht München I.
Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Article 9, paragraphe 1 – Brevet européen – Mesures provisoires – Pouvoir des autorités judiciaires nationales de rendre une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle – Jurisprudence nationale rejetant les demandes de mesures provisoires lorsque la validité du brevet en cause n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou d’annulation – Obligation d’interprétation conforme.
Affaire C-44/21.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:309

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

28 avril 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Article 9, paragraphe 1 – Brevet européen – Mesures provisoires – Pouvoir des autorités judiciaires nationales de rendre une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle – Jurisprudence nationale rejetant les demandes de mesures provisoires lorsque la validité du brevet en cause n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou d’annulation – Obligation d’interprétation conforme »

Dans l’affaire C‑44/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), par décision du 19 janvier 2021, parvenue à la Cour le 28 janvier 2021, dans la procédure

Phoenix Contact GmbH & Co. KG

contre

HARTING Deutschland GmbH & Co. KG,

Harting Electric GmbH & Co. KG,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme I. Ziemele (rapporteure), présidente de chambre, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Phoenix Contact GmbH & Co. KG, par Mes H. Jacobsen et P. Szynka, Rechtsanwälte,

pour HARTING Deutschland GmbH & Co. KG et Harting Electric GmbH & Co. KG, par Me T. Müller, Rechtsanwalt,

pour la Commission européenne, par MM. T. Scharf et S. L. Kalėda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45, et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Phoenix Contact GmbH & Co. KG à HARTING Deutschland GmbH & Co. KG et à Harting Electric GmbH & Co. KG au sujet d’une prétendue violation d’un brevet européen dont est titulaire Phoenix Contact.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 10, 17 et 22 de la directive 2004/48 énoncent :

« (10)

L’objectif de la présente directive est de rapprocher [l]es législations [des États membres] afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

[...]

(17)

Les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive devraient être déterminées dans chaque cas de manière à tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de ce cas, notamment des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise.

[...]

(22)

Il est [...] indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l’atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle. »

4

L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation [de l’Union] ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation [de l’Union] et/ou la législation nationale de l’État membre concerné. »

5

Le chapitre II de ladite directive, intitulé « Mesures, procédures et réparations », comporte notamment l’article 3 de celle-ci, intitulé « Obligation générale », qui se lit comme suit :

« 1.   Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2.   Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

6

L’article 9 de la même directive, intitulé « Mesures provisoires et conservatoires », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant :

a)

rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d’une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation du titulaire du droit ; une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ; [...]

b)

ordonner la saisie ou la remise des marchandises qui sont soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux.

[...]

5.   Les États membres veillent à ce que les mesures provisoires visées aux paragraphes 1 et 2 soient abrogées, ou cessent de produire leurs effets d’une autre manière, à la demande du défendeur, si le demandeur n’a pas engagé, dans un délai raisonnable, d’action conduisant à une décision au fond devant l’autorité judiciaire compétente, délai qui sera déterminé par l’autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation de l’État membre le permet ou, en l’absence d’une telle détermination, dans un délai ne dépassant pas vingt jours ouvrables ou trente et un jours civils si ce délai est plus long.

6.   Les autorités judiciaires compétentes peuvent subordonner les mesures provisoires visées aux paragraphes 1 et 2 à la constitution par le demandeur d’une caution ou d’une garantie équivalente adéquate, destinée à assurer l’indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur, conformément aux dispositions du paragraphe 7.

7.   Dans les cas où les mesures provisoires sont abrogées ou cessent d’être applicables en raison de toute action ou omission du demandeur, ou dans les cas où il est constaté ultérieurement qu’il n’y a pas eu atteinte ou menace d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires sont habilitées à ordonner au demandeur, à la demande du défendeur, d’accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures. »

Le droit allemand

7

L’article 58, paragraphe 1, du Patentgesetz (loi sur les brevets), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« La délivrance du brevet est publiée au bulletin des brevets. Le fascicule du brevet est publié en même temps que la délivrance. Le brevet produit ses effets légaux dès la publication de sa délivrance au bulletin des brevets. »

8

L’article 139, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« En cas d’exploitation d’une invention brevetée en violation des articles 9 à 13, la partie lésée peut introduire une action en cessation à l’encontre du contrevenant en cas de risque de récidive. Cette action lui est également ouverte lorsque la violation est pour la première fois imminente. »

9

Aux termes de l’article 935 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), dans sa version applicable au litige au principal :

« Une ordonnance de référé peut être rendue à l’égard de l’objet du litige s’il est à craindre que l’exercice des droits de l’une des parties puisse être mis en échec ou rendu considérablement plus difficile par une modification de la situation existante. »

10

L’article 940 de ce code dispose :

« Une ordonnance de référé peut également être rendue aux fins de régler une situation provisoire en lien avec un rapport de droit litigieux, pour autant que cela apparaisse nécessaire pour prévenir un préjudice substantiel, une contrainte imminente ou pour d’autres raisons, notamment dans le cadre de liens de droit durables. »

La procédure devant la Cour

11

La juridiction de renvoi a demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

12

À l’appui de cette demande, la juridiction de renvoi fait valoir, en substance, que la nature de la procédure au principal lui imposerait de statuer dans de brefs délais. En outre, selon cette juridiction, à défaut d’intervention judiciaire rapide, Phoenix Contact subirait un préjudice économique important du fait de la poursuite de la production et de la commercialisation des produits contrefaits. En effet, selon ladite juridiction, une éventuelle violation du brevet mettrait, en particulier, en péril les parts de marché de Phoenix Contact et causerait à cette dernière, en tant que titulaire du brevet en cause, une perte irrémédiable d’opportunités de vente , ce qui serait difficilement compensable par l’éventuel octroi ultérieur de dommages et intérêts.

13

L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée.

14

Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire [arrêt du 10 mars 2022, Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (Assurance maladie complète), C‑247/20, EU:C:2022:177, point 41 et jurisprudence citée].

15

En outre , il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la sensibilité économique d’une affaire ou les intérêts économiques, y compris ceux qui sont susceptibles d’avoir un impact sur les finances publiques, pour importants et légitimes qu’ils soient, ne sont pas de nature à justifier, à eux seuls, le recours à la procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2017, Weiss e.a., C‑493/17, non publiée, EU:C:2017:792, point 10 ainsi que jurisprudence citée).

16

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le simple intérêt des justiciables, certes légitime, à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union n’est pas de nature à établir l’existence d’une circonstance exceptionnelle, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure [arrêt du 3 mars 2022, Presidenza del Consiglio dei Ministri e.a. (Médecins spécialistes en formation), C‑590/20, EU:C:2022:150, point 29 ainsi que jurisprudence citée].

17

Quant à la circonstance que la présente demande de décision préjudicielle a été formulée dans le cadre d’une procédure nationale relative à une demande de mesures provisoires , il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait qu’une demande de décision préjudicielle soit formulée dans le cadre d’une procédure nationale permettant l’adoption de mesures provisoires n’est pas, ni à lui seul ni en combinaison avec les circonstances relevées au point 15 du présent arrêt de nature à établir que la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2017, Weiss e.a., C‑493/17, non publiée, EU:C:2017:792, point 12 ainsi que jurisprudence citée).

18

Eu égard aux considérations qui précèdent, le président de la Cour a décidé, le 11 février 2021, la juge rapporteure et l’avocat général entendus, de rejeter la demande de procédure accélérée.

Le litige au principal et la question préjudicielle

19

Le 5 mars 2013, Phoenix Contact a déposé une demande de brevet pour une fiche de raccordement avec pontet de conducteur de protection. Dans le cadre de la procédure ayant précédé la délivrance de ce brevet, des observations sur la brevetabilité dudit produit ont été déposées par Harting Electric.

20

Le 26 novembre 2020, le brevet demandé a été délivré à Phoenix Contact, notamment pour l’Allemagne.

21

Le 14 décembre 2020, Phoenix Contact a introduit une demande en référé devant la juridiction de renvoi, visant à ce qu’il soit interdit à HARTING Deutschland et à Harting Electric de violer le brevet en cause.

22

La mention de la délivrance de ce brevet a été publiée au Bulletin européen des brevets le 23 décembre 2020.

23

Le 15 janvier 2021, Harting Electric a fait opposition audit brevet auprès de l’Office européen des brevets (OEB).

24

La juridiction de renvoi relève qu’elle est parvenue à la conclusion préliminaire que le brevet en cause est valide et qu’il fait l’objet d’une contrefaçon. Elle estime que la validité de ce brevet n’est pas menacée.

25

Toutefois, cette juridiction précise qu’elle se voit empêchée d’ordonner une mesure provisoire en raison de la jurisprudence contraignante de l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne) en vertu de laquelle, il ne suffit pas, pour pouvoir rendre une ordonnance de référé en matière de contrefaçon de brevet, que le brevet concerné ait été délivré par l’autorité de délivrance, en l’occurrence l’OEB, après un examen détaillé de sa brevetabilité et que la question de la validité de ce brevet ait également fait l’objet d’un contrôle juridictionnel dans le cadre de l’examen de la demande en référé.

26

Ainsi, selon cette jurisprudence, pour que des mesures provisoires puissent être ordonnées, le brevet concerné devrait en outre faire l’objet d’une décision de l’OEB dans le cadre d’une procédure d’opposition ou de recours, ou d’une décision du Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets, Allemagne), dans le cadre d’une procédure de nullité, confirmant que ce brevet confère une protection au produit en cause.

27

Considérant que ladite jurisprudence est incompatible avec le droit de l’Union, notamment avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La jurisprudence des Oberlandesgerichte (tribunaux régionaux supérieurs, Allemagne) compétents pour statuer en dernier ressort en matière de référé, selon laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent, en principe, être rejetées lorsque la validité du brevet [concerné] n’a pas été confirmée par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou d’annulation, est-elle compatible avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive [2004/48] ? »

Sur la question préjudicielle

28

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent, en principe, être rejetées, lorsque la validité du brevet concerné n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou de nullité.

29

Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2021, Magistrat der Stadt Wien (Grand Hamster - II), C‑357/20, EU:C:2021:881, point 20].

30

En premier lieu, aux termes de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/48, les États membres doivent veiller à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant, rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle.

31

Ainsi, cet article 9, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec les considérants 17 et 22 de la directive 2004/48, impose aux États membres de prévoir, dans leur droit national, la possibilité, pour les autorités judiciaires nationales compétentes d’adopter une ordonnance de référé à l’issue d’un examen des spécificités de chaque cas d’espèce et dans le respect des conditions prévues audit article 9.

32

En deuxième lieu, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/48, lu en combinaison avec le considérant 22 de celle-ci, les mesures provisoires prévues en droit national doivent permettre de faire cesser immédiatement l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle sans attendre une décision au fond. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un tel droit. Ainsi, le facteur « temps » revêt une importance particulière aux fins du respect effectif des droits de propriété intellectuelle.

33

En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que le brevet en cause est valide et qu’il fait l’objet d’une contrefaçon, de telle sorte qu’il conviendrait de faire droit à la demande en référé introduite par Phoenix Contact. Toutefois, cette juridiction est liée par une jurisprudence nationale, selon laquelle le brevet concerné peut bénéficier d’une protection juridique provisoire dans le cas seulement où la validité de ce brevet a été confirmée par une décision de première instance, rendue à l’issue d’une procédure de contestation de brevet.

34

Or, force est de constater qu’une telle jurisprudence impose une exigence qui prive de tout effet utile l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/48 dans la mesure où elle ne permet pas au juge national d’adopter, conformément à cette disposition, une ordonnance de référé afin de faire cesser immédiatement l’atteinte au brevet en cause alors que ce brevet est considéré par ce juge comme valide et comme faisant l’objet d’une contrefaçon.

35

Ainsi que le relève Phoenix Contact dans ses observations écrites, une telle exigence serait susceptible de donner lieu à une situation dans laquelle des concurrents du titulaire du brevet en cause, contrefacteurs potentiels, décident sciemment de renoncer à une contestation de la validité de ce brevet pour éviter que celui-ci bénéficie d’une protection juridictionnelle effective, ce qui viderait de sa substance le mécanisme de protection provisoire prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48.

36

En troisième lieu, il convient de considérer que la non-conformité d’une jurisprudence nationale, telle que celle mentionnée au point 33 du présent arrêt, à la directive 2004/48 est corroborée au regard des objectifs poursuivis par cette directive.

37

À cet égard, il ressort du considérant 10 de ladite directive que celle-ci vise à rapprocher les législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2019, IT Development, C‑666/18, EU:C:2019:1099, point 38). Il n’en demeure pas moins que la même directive s’applique, ainsi qu’il ressort de son article 2, paragraphe 1, sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus, notamment, dans la législation nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits (arrêt du 25 janvier 2017, Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa, C‑367/15, EU:C:2017:36, point 22).

38

Par conséquent, la directive 2004/48 consacre un standard minimal concernant le respect des droits de propriété intellectuelle et n’empêche pas les États membres de prévoir des mesures plus protectrices (arrêt du 25 janvier 2017, Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa, C‑367/15, EU:C:2017:36, point 23 et jurisprudence citée).

39

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que les dispositions de cette directive visent à régir les aspects liés aux droits de propriété intellectuelle qui sont inhérents, d’une part, au respect de ces droits et, d’autre part, aux atteintes à ces derniers, en imposant l’existence de voies de droit efficaces destinées à prévenir, à faire cesser ou à remédier à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle existant (arrêt du 18 décembre 2019, IT Development, C‑666/18, EU:C:2019:1099, point 40 et jurisprudence citée).

40

Or, une procédure nationale destinée à faire cesser immédiatement toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle existant serait inefficace et, partant, méconnaitrait l’objectif d’un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, si l’application de cette procédure était soumise à une exigence telle que celle établie par la jurisprudence nationale visée au point 33 du présent arrêt.

41

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que les brevets européens déposés jouissent d’une présomption de validité dès la date de publication de leur délivrance. Ainsi, à partir de cette date, ces brevets bénéficient de toute l’étendue de la protection garantie, notamment, par la directive 2004/48 [voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 48].

42

En outre, s’agissant du risque que le défendeur à la procédure de référé subisse un préjudice en raison de l’adoption de mesures provisoires, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/48, les mesures, les procédures et les réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par cette directive doivent être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.

43

Cette disposition impose ainsi aux États membres et, en définitive, aux juridictions nationales, d’offrir des garanties tenant à ce que, notamment, les mesures et les procédures visées à l’article 9 de la directive 2004/48 ne soient pas utilisées de façon abusive (arrêt du 12 septembre 2019, Bayer Pharma, C‑688/17, EU:C:2019:722, point 68).

44

À cet égard, il y a lieu de constater que le législateur de l’Union a, en particulier, prévu des instruments juridiques permettant d’atténuer de manière globale le risque que le défendeur subisse un préjudice du fait des mesures provisoires et ainsi de le protéger.

45

Premièrement, aux termes du paragraphe 5 de l’article 9 de la directive 2004/48, les États membres veillent à ce que les mesures provisoires, visées notamment au paragraphe 1 de cet article, soient abrogées, ou cessent de produire leurs effets d’une autre manière, à la demande du défendeur, si le demandeur n’a pas engagé, dans un délai raisonnable, d’action conduisant à une décision au fond devant l’autorité judiciaire compétente, délai qui sera déterminé par l’autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation de l’État membre le permet ou, en l’absence d’une telle détermination, dans un délai ne dépassant pas 20 jours ouvrables ou 31 jours civils si ce délai est plus long.

46

Deuxièmement, l’article 9, paragraphe 6, de la directive 2004/48 prévoit la possibilité de subordonner ces mesures provisoires à la constitution, par le demandeur, d’une caution ou d’une garantie équivalente adéquate, destinée à assurer l’indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur. Cet instrument de protection peut être mis en œuvre par la juridiction compétente saisie de la demande en référé au moment où elle examine cette demande.

47

Troisièmement, l’article 9, paragraphe 7, de la directive 2004/48 prévoit, dans les cas visés à cette disposition, la possibilité d’ordonner au demandeur, à la demande du défendeur, d’accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par lesdites mesures provisoires.

48

Or, ces instruments juridiques constituent des garanties que le législateur de l’Union a considérées nécessaires en contrepartie des mesures provisoires rapides et efficaces dont il a prévu l’existence. Ils correspondent ainsi aux garanties prévues par la directive 2004/48 au bénéfice du défendeur, en contrepartie de l’adoption d’une mesure provisoire ayant porté atteinte à ses intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Diageo Brands, C‑681/13, EU:C:2015:471, points 74 et 75).

49

Afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler que, en appliquant le droit national, les juridictions nationales appelées à l’interpréter sont tenues de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci afin de l’interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et de se conformer ainsi à l’article 288, troisième alinéa, TFUE (arrêt du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 31 et jurisprudence citée).

50

En outre, la Cour a jugé que le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 32 et jurisprudence citée).

51

En l’occurrence, comme le souligne la juridiction de renvoi, la législation allemande en cause au principal ne contient aucune disposition subordonnant l’adoption d’une ordonnance de référé visant à interdire une contrefaçon de brevet à la condition que ce brevet fasse l’objet d’une décision juridictionnelle rendue à l’issue d’une procédure de contestation de brevet, de sorte que cette législation serait pleinement conforme à la directive 2004/48.

52

Dans ce contexte, il importe de préciser que l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (arrêt du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 33 et jurisprudence citée).

53

Partant, il appartient à la juridiction de renvoi d’assurer le plein effet de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48 en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, une jurisprudence nationale, dès lors que cette jurisprudence n’est pas compatible avec cette disposition.

54

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent, en principe, être rejetées, lorsque la validité du brevet en cause n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou de nullité.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de la propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent, en principe, être rejetées, lorsque la validité du brevet en cause n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition oude nullité.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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