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Document 62021CC0772
Opinion of Advocate General Medina delivered on 15 December 2022.###
Conclusions de l'avocat général Mme L. Medina, présentées le 15 décembre 2022.
Conclusions de l'avocat général Mme L. Medina, présentées le 15 décembre 2022.
Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:1005
CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME LAILA MEDINA
présentées le 15 décembre 2022 ( 1 )
Affaire C‑772/21
UAB « Brink’s Lithuania »
[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie)]
« Renvoi préjudiciel – Protection de l’euro contre le faux monnayage – Règlement (CE) no 1338/2001 – Article 6, paragraphe 1 – Prestataires de services de paiement ayant pour activité le traitement et la délivrance au public de billets de banque – Interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 – Détection des billets en euros impropres à la circulation – Contrôle automatique de la qualité des billets – Normes minimales publiées sur le site Internet de la Banque centrale européenne et modifiées périodiquement – Champ d’application personnel – Étendue des obligations des professionnels appelés à manipuler des espèces – Valeur contraignante – Principe de sécurité juridique »
I. Introduction
1. |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la décision BCE/2010/14 ( 2 ), qui fixe les règles et procédures communes relatives à la vérification de l’authenticité et de la qualité des billets en euros en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1338/2001 ( 3 ). |
2. |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UAB « Brink’s Lithuania » (ci-après « Brink’s Lithuania ») ( 4 ) au Lietuvos bankas (Banque de Lituanie), au sujet d’une décision ( 5 ) par laquelle celui-ci a ordonné à Brink’s Lithuania de veiller à ce que le niveau de tolérance de ses machines de traitement de billets, utilisées pour le contrôle automatique de la qualité des billets en euros destinés à être remis en circulation, ne dépasse pas 5 %. |
3. |
Dans la présente affaire, la Cour est appelée à décider si l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 et, en particulier, les normes minimales établies par la Banque centrale européenne (BCE) en vue du contrôle automatique de la qualité des billets en euros, au sens de cette disposition, s’appliquent aux professionnels appelés à manipuler des espèces. Si tel n’est pas le cas, la Cour est invitée à examiner si l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, considéré en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, de la même décision, s’oppose à une disposition de droit national imposant aux professionnels appelés à manipuler des espèces de respecter ces normes minimales. Enfin, la juridiction de renvoi demande si les normes minimales de la BCE et l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 sont des règles valides et, partant, juridiquement contraignantes au regard du principe de sécurité juridique et de l’article 297, paragraphe 2, TFUE. |
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le règlement no 1338/2001
4. |
Le règlement no 1338/2001 établit des mesures nécessaires en vue de la circulation des billets et des pièces en euros dans des conditions garantissant leur protection contre les activités de faux monnayage ( 6 ). |
5. |
L’article 6 du règlement no 1338/2001, intitulé « Obligations relatives aux établissements participant au traitement et à la délivrance au public des billets et des pièces », dispose, en ses paragraphes 1 et 2 : « 1. Les établissements de crédit et, dans la limite de leur activité de paiement, les autres prestataires de services de paiement, ainsi que tout autre agent économique participant au traitement et à la délivrance au public des billets et des pièces, y compris : [...]
[...] ont l’obligation de s’assurer de l’authenticité des billets et pièces en euros qu’ils reçoivent et entendent remettre en circulation et de veiller à la détection des contrefaçons. Pour les billets en euros, ce contrôle s’effectue conformément aux procédures définies par la BCE [...]. Les établissements et agents économiques visés au premier alinéa ont l’obligation de retirer de la circulation tous les billets et pièces en euros qu’ils ont reçus et dont ils savent ou au sujet desquels ils ont des raisons suffisantes de penser qu’ils sont faux. Ils les remettent sans délai aux autorités nationales compétentes. [...] 2. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les établissements mentionnés au paragraphe 1 qui manquent aux obligations prévues audit paragraphe soient passibles de sanctions revêtant un caractère effectif, proportionné et dissuasif. » |
2. La décision BCE/2010/14
6. |
Le considérant 2 de la décision BCE/2010/14 est libellé comme suit : « Afin de protéger l’intégrité des billets en euros et de permettre une détection efficace des contrefaçons, les billets en euros en circulation doivent être maintenus en bon état afin de garantir une vérification facile et fiable de leur authenticité ; en conséquence, la qualité des billets en euros doit être vérifiée. En outre, les billets en euros suspectés faux doivent être rapidement détectés et remis aux autorités nationales compétentes. » |
7. |
L’article 1er de la décision BCE/2010/14, intitulé « Champ d’application », dispose : « La présente décision fixe les règles et procédures communes relatives à la vérification de l’authenticité et de la qualité ainsi qu’à la remise en circulation des billets en euros en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du [règlement no 1338/2001]. » |
8. |
L’article 2 de cette décision, intitulé « Définitions », prévoit : « Aux fins de la présente décision, on entend par :
[...]
[...] » |
9. |
L’article 3 de la décision BCE/2010/14, intitulé « Principes généraux », prévoit, en ses paragraphes 1 et 3 à 5 : « 1. Les professionnels appelés à manipuler des espèces sont tenus de vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros conformément aux procédures prévues dans la présente décision. [...] 3. La vérification de l’authenticité et de la qualité est effectuée soit avec un type d’équipement de traitement des billets testé positivement par une BCN, soit manuellement par du personnel formé. 4. Les billets en euros ne peuvent être remis en circulation par l’intermédiaire de machines à l’usage du public ou d’automates de délivrance de billets qu’après vérification de leur authenticité et de leur qualité par un équipement de traitement des billets testé positivement par une BCN, et qu’après avoir été classifiés comme authentiques et en bon état. [...]. 5. Les machines utilisées par les professionnels pour vérifier l’authenticité et la qualité des billets et les machines à l’usage du public ne peuvent être exploitées par les professionnels appelés à manipuler des espèces que si elles ont été testées positivement par une BCN et qu’elles figurent sur le site Internet de la BCE, ainsi qu’il est précisé à l’article 9, paragraphe 2. Les machines sont utilisées uniquement pour les valeurs faciales et les séries de billets en euros énumérées sur le site Internet de la BCE pour les machines correspondantes dans leur configuration usine standard, incluant les dernières mises à jour, testées positivement, à moins que la BCN et le professionnel appelé à manipuler des espèces ne se soient mis d’accord sur une configuration plus exigeante. » |
10. |
L’article 6 de la décision BCE/2010/14, intitulé « Détection des billets en euros impropres à la circulation », dispose, en ses paragraphes 1 à 3 : « 1. La vérification manuelle de la qualité s’effectue conformément aux normes minimales visées à l’annexe III. 2. Le contrôle automatique est effectué avec un équipement de traitement des billets testé positivement conformément aux normes minimales qui sont publiées sur le site Internet de la BCE et modifiées périodiquement. 3. Une BCN peut, après en avoir informé la BCE, fixer des normes plus strictes pour une ou plusieurs valeurs faciales ou séries de billets en euros si cela se justifie, par exemple en raison de la détérioration de la qualité des billets en euros en circulation dans son État membre. Ces normes plus strictes sont publiées sur le site Internet de cette BCN. » |
11. |
L’article 9 de cette décision, intitulé « Les procédures de test communes de l’Eurosystème pour les équipements de traitement des billets », prévoit, en ses paragraphes 1 à 3 : « 1. Les types d’équipements de traitement des billets sont testés par les BCN conformément aux procédures de test communes. 2. Tous les types d’équipements de traitement des billets testés positivement sont énumérés sur le site Internet de la BCE pendant la période de validité des résultats des tests, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 3. Un type d’équipement de traitement des billets qui, au cours de cette période, n’est plus en mesure de détecter tous les faux billets en euros dont l’Eurosystème a connaissance est supprimé de la liste conformément à une procédure précisée par la BCE. 3. Lorsqu’un type d’équipement de traitement des billets a été testé positivement, les résultats des tests sont valables dans toute la zone euro pendant un an à compter de la fin du mois au cours duquel le test a été effectué, sous réserve que ce type d’équipement de traitement des billets demeure en mesure de détecter toutes les contrefaçons de billets en euros dont l’Eurosystème a connaissance au cours de cette période. » |
12. |
L’article 10 de la décision BCE/2010/14, qui porte le titre « Activités de suivi et mesures correctives de l’Eurosystème », prévoit, en ses paragraphes 1 et 3 : « 1. Sous réserve des exigences du droit national, les BCN sont autorisées à : i) effectuer des inspections sur place, même inopinées, dans les locaux des professionnels appelés à manipuler des espèces, afin de contrôler leurs équipements de traitement des billets, et notamment la capacité des équipements à vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros, et à assurer la traçabilité des billets en euros suspectés faux et des billets en euros qui ne sont pas clairement authentifiés pour remonter au titulaire du compte ; et ii) examiner les procédures relatives à l’utilisation et au contrôle des équipements de traitement des billets, la manipulation des billets en euros vérifiés, ainsi que la vérification manuelle de l’authenticité et de la qualité. [...] 3. Si une BCN détecte une violation des dispositions de la présente décision par un professionnel appelé à manipuler des espèces, elle lui demande de prendre des mesures correctives dans un délai déterminé. Tant que la violation des dispositions perdure, cette BCN peut, au nom de la BCE, interdire au professionnel appelé à manipuler des espèces de remettre en circulation la valeur faciale ou les valeurs faciales en euros des séries concernées. Si cette violation est imputable à un type d’équipement de traitement des billets, celui-ci peut être supprimé de la liste visée à l’article 9, paragraphe 2. » |
3. La décision BCE/2012/19
13. |
La décision BCE/2012/19 a modifié la décision BCE/2010/14. En particulier, on peut lire ce qui suit au considérant 3 de la décision BCE/2012/19 : « Les normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité des billets en euros, figurant à l’annexe IIIa de la décision BCE/2010/14, constituent des exigences applicables aux fonctionnalités des équipements de traitement des billets. Elles ne concernent donc que les fabricants d’équipements de traitement des billets et n’ont pas d’incidence sur les procédures de vérification de l’authenticité et de la qualité prévues par la décision BCE/2010/14, à laquelle les professionnels appelés à manipuler des espèces doivent se conformer. Les normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité des billets en euros étant hors du champ d’application de la décision BCE/2010/14, il convient de les intégrer dans les règles et procédures pour les tests effectués sur les équipements de traitement des billets, la collecte des données et le suivi. » |
4. L’orientation BCE/2010/NP16 et les normes minimales
14. |
L’orientation BCE/2010/NP16 fixe les règles et procédures pour les tests effectués sur les équipements de traitement des billets, la collecte des données et le suivi ( 7 ). |
15. |
L’article 2 de l’orientation BCE/2010/NP16, intitulé « Tests pour automates de traitement des billets », dispose, en son paragraphe 1 : « À la demande des fabricants, les BCN effectuent des tests de vérification des types d’équipement de traitement des billets avant et pendant leur installation par des professionnels appelés à manipuler des espèces [...]. » |
16. |
L’article 2 bis de l’orientation BCE/2010/NP16, intitulé « Normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité », dispose : « Les normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité par des automates de traitement des billets, visées à l’article 6 de la décision BCE/2010/14, sont définies par l’Eurosystème, figurent à l’annexe IV de la présente orientation et sont publiées sur le site Internet de la BCE. » |
17. |
L’annexe IV de l’orientation BCE/2010/NP16 prévoit : « La présente annexe fixe les normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité des billets en euros par les automates de traitement des billets. Lors des contrôles de la qualité, les billets en euros présentant un défaut contrevenant aux normes obligatoires précisées ci-dessous sont considérés comme impropres à la remise en circulation. Le niveau de tolérance acceptable pour les contrôles de la qualité par les automates de traitement des billets est de 5 %. Cela signifie qu’au maximum 5 % des billets en euros qui ne satisfont pas aux critères de qualité peuvent être classés de manière erronée parmi les billets en bon état. » |
18. |
Le contenu de l’annexe IV de l’orientation BCE/2010/NP16 a été publié par la BCE sur son site Internet sous le titre « Normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité des billets en euros par les automates de traitement des billets » ( 8 ). |
B. Le droit lituanien
19. |
L’article 6, paragraphe 3, du Lietuvos Respublikos Lietuvos banko įstatymas (ci-après la « loi sur la Banque de Lituanie ») ( 9 ) dispose : « La Banque de Lituanie veille à ce que les professionnels appelés à manipuler des espèces, c’est-à-dire les établissements visés à l’article 6, paragraphe 1, du règlement [no 1338/2001] (ci-après les “professionnels appelés à manipuler des espèces”), respectent les prescriptions relatives à l’activité de traitement des espèces, à savoir la vérification de l’authenticité et de la qualité des billets et pièces en euros et leur remise en circulation (ci-après “le traitement des espèces”), qui sont prévues par le règlement (UE) no 1210/2010 [ ( 10 )] et la décision BCE/2010/14. » |
20. |
L’article 475, paragraphe 1, de cette loi dispose : « La Banque de Lituanie surveille l’activité de traitement des espèces des professionnels appelés à manipuler des espèces et leur impose des mesures conformément aux dispositions de la présente loi, du règlement [no 1338/2001], du règlement [no 1210/2010], de la décision BCE/2010/14 et des actes de la Banque de Lituanie sur la surveillance des professionnels appelés à manipuler des espèces. [...] » |
21. |
L’article 476, paragraphe 1, de ladite loi dispose : « La Banque de Lituanie organise et effectue des inspections pour vérifier le respect des prescriptions prévues par les actes visés à l’article 6, paragraphe 3, de la présente loi. » |
22. |
L’article 477, paragraphe 1, point 2, de la même loi dispose : « Lorsqu’elle constate des violations, la Banque de Lituanie adresse une ou plusieurs [des] injonctions [suivantes] aux professionnels appelés à manipuler des espèces : [...]
[...] » |
23. |
L’article 477, paragraphes 4 et 5, de la loi sur la Banque de Lituanie prévoit : « 4. La Banque de Lituanie inflige à l’auteur des violations une ou plusieurs des mesures suivantes :
5. Des mesures peuvent être imposées pour un ou plusieurs des motifs suivants : [...]
[...]
|
24. |
Le point 16.3 du décret du directoire de la Banque de Lituanie, du 10 septembre 2015, arrêtant la procédure de surveillance de l’activité des professionnels appelés à manipuler des espèces (ci-après le « décret sur la procédure de surveillance de l’activité de traitement des espèces ») prévoit que les fonctionnaires responsables doivent, au cours d’une inspection, vérifier si les machines de traitement des espèces utilisées par le professionnel appelé à manipuler des espèces sont appropriées pour vérifier l’authenticité et la qualité des billets ou des pièces en euros. |
25. |
Le point 16.6 de ce décret prévoit que, lors de l’inspection, les fonctionnaires responsables doivent vérifier si le professionnel appelé à manipuler des espèces respecte dûment les procédures prévues au point 16.5 du même acte et les autres prescriptions relatives à l’activité de manipulation d’espèces prévues, notamment, par le règlement no 1338/2001, la décision BCE/2010/14 et le décret du directoire de la Banque de Lituanie, du 16 septembre 2014, arrêtant la procédure de vérification de l’authenticité et de la qualité des pièces et billets en euros et de leur remise en circulation (ci-après le « décret sur la procédure de vérification d’authenticité et de qualité »). |
26. |
Le point 12 du décret sur la procédure de vérification d’authenticité et de qualité prévoit : « Le professionnel appelé à manipuler des espèces vérifie l’authenticité et la qualité des billets en euros de manière automatisée, conformément aux normes minimales publiées sur le site Internet de la BCE [...], en utilisant à cette fin : 12.1. les machines à l’usage du public pour la classification et le traitement des billets en euros vérifiés conformément à la procédure établie à l’annexe IIa de la décision [BCE/2010/14] ; 12.2. les machines utilisées par les professionnels pour la classification et le traitement des billets en euros vérifiés conformément à la procédure établie à l’annexe IIb de la décision [BCE/2010/14]. » |
III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles
27. |
Le 18 décembre 2018, des fonctionnaires de la Banque de Lituanie ont procédé à une inspection à la succursale de Brink’s Lithuania à Panevėžys (Lituanie). Lors de cette inspection, les fonctionnaires ont vérifié si les équipements de traitement des billets de la succursale respectaient les exigences régissant la manipulation des espèces destinées à être remises en circulation. En particulier, ils ont testé la capacité de ces équipements à vérifier l’authenticité et la qualité des billets de banque en euros. |
28. |
Les tests ont révélé que l’une des machines de traitement avait classé comme étant en bon état 18,26 % des billets en euros impropres à la circulation de la liasse de test. Pour une seconde machine, ce taux était de 13,91 %. Les résultats des vérifications ont été consignés dans un rapport de contrôle, lequel a néanmoins reconnu que les machines en question appartiennent à un type d’équipement de traitement des billets qui avait déjà été testé positivement et était inscrit sur le site Internet de la BCE. |
29. |
Le 28 février 2019, le directeur du département des espèces de la Banque de Lituanie a adopté la décision attaquée. Dans cette décision, il a déclaré que Brink’s Lithuania avait enfreint les normes minimales visées à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, lesquelles exigent que le niveau de tolérance pour le contrôle de la qualité des billets en euros ne dépasse pas 5 %. Il a également enjoint à Brink’s Lithuania d’adopter les mesures nécessaires pour mettre fin à la violation dans un délai de cinq jours ouvrables. |
30. |
En substance, la décision attaquée a indiqué que la capacité des équipements de traitement des billets à vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros dépend non seulement de leurs fabricants, mais également de leurs utilisateurs – à savoir les professionnels appelés à manipuler des espèces –, en particulier lorsqu’un entretien technique a lieu. En outre, elle a souligné que le simple fait d’utiliser les équipements dans leur configuration usine standard, comme l’exige l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14, ne peut être considérée comme une preuve du respect de ces obligations. Enfin, la décision attaquée a indiqué que seules des inspections effectuées dans les locaux du professionnel appelé à manipuler des espèces permettent de déterminer s’il y a eu une utilisation et un entretien appropriés des équipements, si les prescriptions applicables au traitement des espèces ont été dûment respectées et si des procédures appropriées sont appliquées pour tester les équipements. |
31. |
Brink’s Lithuania a introduit un recours en annulation contre la décision attaquée, d’abord devant le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie), puis devant le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire. Dans le litige au principal, il est constant que Brink’s Lithuania, en tant que transporteur de fonds, doit être considéré comme un professionnel appelé à manipuler des espèces au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14. Cependant, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à l’interprétation et à la validité de l’article 6, paragraphe 2, de la même décision, plus spécifiquement en ce qui concerne le point de savoir si les normes minimales visées dans cette disposition sont contraignantes pour les professionnels appelés à manipuler des espèces. |
32. |
En particulier, la juridiction de renvoi relève que le libellé de la version en langue lituanienne de cette disposition suggère que le contrôle automatique de la qualité des billets en euros doit être effectué conformément aux normes minimales de la BCE. Cela impliquerait que les professionnels appelés à manipuler des espèces qui sont chargés de cette mission devraient respecter ces normes. Or, le considérant 3 de la décision BCE/2012/19 indique que les normes minimales de la BCE ne concernent que les fabricants d’équipements de traitement des billets et n’ont pas d’incidence sur les procédures automatisées de vérification de la qualité que les professionnels appelés à manipuler des espèces doivent appliquer. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si, eu égard aux différentes versions linguistiques de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, cette disposition impose le respect des normes minimales de la BCE par les professionnels appelés à manipuler des espèces. |
33. |
De plus, la juridiction de renvoi relève que, si l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 devait être interprété en ce sens qu’il impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces l’obligation de tester leurs équipements de traitement des billets selon les normes minimales de la BCE, cette obligation pourrait ne pas être pleinement compatible avec la disposition de l’article 3, paragraphe 5, de la même décision, en ce que celle-ci impose expressément aux professionnels appelés à manipuler des espèces l’obligation d’utiliser ces machines dans leur configuration usine standard. La juridiction de renvoi estime également qu’il est difficile de déterminer de quelle manière lesdits professionnels devraient procéder à un tel test, compte tenu du fait qu’aucune indication n’est fournie par la décision BCE/2010/14 sur ce point. La juridiction de renvoi constate, en revanche, que, si l’obligation de respecter les normes minimales prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 ne devait pas s’appliquer aux professionnels appelés à manipuler des espèces, l’utilisation de simples équipements de traitement des billets dans leur configuration usine standard pourrait compromettre l’objectif de garantir le maintien des billets en euros en bon état. |
34. |
Enfin, pour le cas où les professionnels appelés à manipuler des espèces seraient tenus de respecter les normes minimales visées à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la conformité de ces normes avec le principe de sécurité juridique. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, selon cette même disposition, les normes minimales sont simplement publiées sur le site Internet de la BCE et non au Journal officiel de l’Union européenne. Elle s’interroge donc sur le point de savoir si les normes minimales peuvent être considérées comme contraignantes et peuvent être invoquées comme base juridique d’une injonction adressée à un professionnel appelé à manipuler des espèces. La juridiction de renvoi éprouve également une incertitude en ce qui concerne le point de savoir si la règle énoncée à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 est compatible avec l’article 297, paragraphe 2, TFUE et, partant, valide, en ce qu’elle prévoit que les normes minimales relatives au contrôle automatique de la qualité des billets en euros doivent être publiées de cette manière. |
35. |
Dans ces circonstances, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
|
36. |
La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 14 décembre 2021. Des observations écrites ont été présentées par la République de Lituanie, la Commission européenne et la BCE. Une audience a eu lieu le 20 octobre 2022. |
IV. Appréciation en droit
37. |
En posant ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de juger si l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces le respect des normes minimales visées à cette disposition lorsque ceux-ci effectuent le contrôle automatique de la qualité des billets en euros. En cas de réponse négative à cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une disposition nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoit une obligation de ce genre pour les professionnels appelés à manipuler des espèces, est compatible avec l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, considéré en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, de celle-ci. La juridiction de renvoi demande ensuite si, pour le cas où lesdits professionnels seraient tenus de respecter les normes minimales visées par cette disposition, la seule publication de ces normes sur le site Internet de la BCE, telle que prescrite par l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, est suffisante pour les considérer comme conformes au principe de sécurité juridique et à l’article 297, paragraphe 2, TFUE, et donc pour les juger contraignantes. Dans la même foulée, la juridiction de renvoi interroge aussi la Cour sur la validité de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14. |
A. Sur la première question préjudicielle
38. |
La première question de la juridiction de renvoi porte sur le champ d’application des obligations imposées aux professionnels appelés à manipuler des espèces par la décision BCE/2010/14 de protéger l’euro contre le faux monnayage. Plus précisément, cette question vise à déterminer si les normes minimales visées à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 s’appliquent aux professionnels appelés à manipuler des espèces lorsqu’ils s’acquittent de leur obligation de procéder à un contrôle automatique de la qualité des billets en euros. |
39. |
À titre liminaire, je dois rappeler que l’article 6 du règlement no 1338/2001 prescrit des mesures nécessaires à la protection de l’euro contre le faux monnayage. En effet, cette disposition impose aux établissements qui participent à la manipulation et à la délivrance au public de billets de banque à titre professionnel, y compris les professionnels appelés à manipuler des espèces, l’obligation de retirer de la circulation tous les billets en euros qu’ils ont reçus et dont ils savent ou au sujet desquels ils ont des raisons suffisantes de penser qu’ils sont faux, et de les remettre sans délai aux autorités nationales compétentes. Ce même article prévoit que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les établissements de crédit et autres professionnels appelés à manipuler des espèces qui manquent aux obligations mentionnées aux points précédents des présentes conclusions soient passibles de sanctions revêtant un caractère effectif, proportionné et dissuasif. |
40. |
La décision BCE/2010/14 concrétise davantage l’article 6 du règlement no 1338/2001 ( 11 ). En particulier, l’article 3, paragraphe 1, de cette décision impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces l’obligation de vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros conformément aux procédures prévues dans la décision. L’objectif sous-jacent est de faire en sorte que les billets en euros soient maintenus en bon état afin de garantir une vérification facile et fiable de leur authenticité, ce qui permet de détecter des contrefaçons ( 12 ). De plus, l’article 3, paragraphe 3, de la décision BCE/2010/14 précise que la vérification de l’authenticité et de la qualité doit être effectuée soit avec un type d’équipement de traitement des billets testé positivement par une banque centrale nationale de l’Eurosystème, soit manuellement par du personnel formé. Dans le cas de machines utilisées par les professionnels ou à l’usage du public ( 13 ), l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14 prévoit aussi que ces machines doivent être utilisées uniquement pour les valeurs faciales et les séries de billets en euros énumérées sur le site Internet de la BCE pour les machines correspondantes dans leur configuration usine standard, incluant les dernières mises à jour. |
41. |
S’agissant du contrôle automatique de la qualité, qui est au cœur de la présente affaire, l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, sous l’intitulé « Détection des billets en euros impropres à la circulation », prévoit que ce contrôle doit être « effectué avec un équipement de traitement des billets testé positivement conformément aux normes minimales qui sont publiées sur le site Internet de la BCE et modifiées périodiquement ». Cette disposition ne précise pas si ces normes minimales s’appliquent aux professionnels appelés à manipuler des espèces et elle ne prévoit pas davantage, en particulier, si lesdits professionnels sont tenus de vérifier que les équipements qu’ils utilisent pour procéder au contrôle automatique de la qualité des billets en euros en vue de leur remise en circulation sont conformes à ces normes. |
42. |
Dans une jurisprudence constante, la Cour a dit que, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union en réponse à une demande de décision préjudicielle, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 14 ). |
43. |
Je constate d’abord que, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 pourrait, au regard de son libellé, être interprété en ce sens que le contrôle automatique de la qualité doit être effectué sur les billets de banque en euros conformément aux normes minimales de la BCE. Cette interprétation résulterait de l’utilisation, dans la version en langue anglaise de cette disposition, des membres de phrase « [a]utomated fitness checking shall be carried out » et « according to the minimum standards ». Puisque les professionnels appelés à manipuler des espèces sont, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la décision BCE/2010/14, chargés de l’exécution d’une telle mission, l’article 6, paragraphe 2, de cette décision amènerait à considérer que ces agents économiques ont l’obligation de veiller à ce qu’un contrôle automatique de qualité soit effectué sur les billets en euros conformément auxdites normes minimales. |
44. |
Toutefois, une lecture attentive de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 révèle que le membre de phrase « according to the minimum standards published » apparaît immédiatement après « successfully tested banknotes handling machine » et non après « [a]utomated fitness checking shall be carried out ». Dès lors, compte tenu de la structure de la phrase et du fait que les tests sont, par définition, effectués au regard de normes prédéfinies, je serais encline à lire l’expression « minimum standards » (« normes minimales ») figurant dans cette disposition comme se rapportant aux tests que les équipements de traitement des billets doivent réussir avant leur installation et leur utilisation par les professionnels appelés à manipuler des espèces, et non comme se rapportant à la procédure que lesdits professionnels doivent suivre pour procéder à un contrôle automatique de la qualité des billets en euros. Dans le cas contraire, le membre de phrase « [a]utomated fitness checking shall be carried out » aurait logiquement été suivi de « according to the minimum standards published », ce qui conduirait également à une phrase cohérente et bien structurée, mais aurait une signification différente. |
45. |
Cette conclusion, qui découle de l’analyse de la version en langue anglaise de la décision BCE/2010/14, me semble confortée par le libellé d’autres versions linguistiques de l’article 6, paragraphe 2, de cette décision. Ainsi, comme le relève la BCE, la version en langue française de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 prévoit que « [l]e contrôle automatique est effectué avec un équipement de traitement des billets testé positivement conformément aux normes minimales qui sont publiées sur le site Internet de la BCE et modifiées périodiquement ». Enfin, la version en langue espagnole prévoit que « [l]a comprobación automática de aptitud se efectuará mediante una máquina de tratamiento de billetes que haya superado una prueba de acuerdo con las normas mínimas que, junto con sus oportunas modificaciones, se publican en la dirección del BCE en internet » ( 15 ). Selon la structure de cette disposition dans toutes ces versions linguistiques, qui correspond aussi à sa structure dans la version en langue lituanienne applicable à l’affaire au principal, la référence aux normes minimales de la BCE devrait être considérée, à mon sens, comme se rapportant aux équipements de traitement des billets qui doivent être testés avec succès par application de ces normes, et non à une quelconque obligation devant être exécutée par les professionnels appelés à manipuler des espèces lors du contrôle automatique de la qualité des billets en euros avant leur remise en circulation. |
46. |
Il s’ensuit qu’une interprétation littérale de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, fondée sur une analyse comparative des différentes versions linguistiques de cette disposition, donne à penser que les normes minimales ne s’appliquent pas au contrôle automatique de qualité effectué par les professionnels appelés à manipuler des espèces dans le cadre de leur activité professionnelle. De plus, elle ne suggère pas que lesdits professionnels seraient, lors de l’exécution d’un tel contrôle, tenus de vérifier ou de tester leurs équipements de traitement des billets en se conformant à ces normes. En revanche, la référence aux normes minimales de la BCE figurant à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 implique que ces professionnels doivent accomplir leur mission au moyen de machines préalablement testées au regard de ces normes. |
47. |
En tout état de cause, tout en admettant l’ambiguïté relative de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, je dois souligner qu’une interprétation contextuelle et systématique de cette décision permet de considérer que les professionnels appelés à manipuler des espèces ne sont pas liés par les normes minimales de la BCE en ce qui concerne le contrôle automatique de la qualité des billets en euros. |
48. |
Premièrement, le considérant 3 de la décision BCE/2012/19, c’est-à-dire l’acte principal adopté par la BCE pour modifier la décision BCE/2010/14 ( 16 ), indique que les normes minimales pour un contrôle automatique de la qualité des billets en euros sont des exigences applicables aux fonctionnalités des équipements de traitement des billets. En outre, ce même considérant indique sans équivoque que les normes minimales « ne concernent donc que les fabricants d’équipements de traitement des billets et n’ont pas d’incidence sur les procédures de vérification de l’authenticité et de la qualité prévues par la décision BCE/2010/14, à laquelle les professionnels appelés à manipuler des espèces doivent se conformer » ( 17 ). Il ne devrait donc subsister aucun doute quant à l’objet de la modification introduite par la décision BCE/2012/19 en ce qui concerne la portée des normes minimales. |
49. |
Deuxièmement, il importe de relever que, dans sa version initiale, l’article 6 de la décision BCE/2010/14 prévoyait que la vérification de la qualité des billets en euros devait s’effectuer conformément aux normes minimales visées aux annexes IIIa et IIIb de ladite décision. En particulier, l’annexe IIIa de celle-ci fixait les normes minimales du contrôle automatique de qualité effectué par des équipements de traitement des billets, alors que l’annexe IIIb établissait les normes minimales du contrôle manuel de qualité effectué par du personnel formé. |
50. |
Or, par l’adoption de la décision BCE/2012/19, l’annexe IIIa de la décision BCE/2010/14 a été abrogée dans le but explicite, d’après le considérant 3 de la première décision, de placer les normes minimales pour le contrôle automatique de qualité « hors du champ d’application » de la seconde décision ( 18 ). Parallèlement, ces normes minimales ont été intégrées dans l’orientation BCE/2010/NP16 ( 19 ), qui fixe les règles et procédures pour les tests effectués sur les types d’équipements de traitement des billets, et elles s’appliquent, selon l’article 2 de cette orientation, aux tests effectués sur ces types d’équipements « [à] la demande des fabricants, [...] avant et pendant leur installation par des professionnels appelés à manipuler des espèces ». Des normes minimales sont désormais énumérées à l’annexe IV de ladite orientation, sans préjudice de la publication qui doit en être faite sur le site Internet de la BCE, selon les termes de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14. Assez curieusement, la décision BCE/2012/19 et la modification introduite dans l’orientation BCE/2012/NP16 partagent la même date d’adoption. |
51. |
La décision BCE/2012/19 montre, par conséquent, que le champ d’application personnel des normes minimales a été ajusté afin que ces normes s’appliquent exclusivement aux tests effectués par les fabricants sur leurs types d’équipements de traitement des billets. Ainsi que l’a relevé très justement la BCE à l’audience, cette modification repose sur un choix politique délibéré de cette institution d’éviter qu’on altère ou manipule les équipements qui effectuent le contrôle automatique de qualité. Comme je l’expliquerai ci-après, ce choix politique se fonde aussi sur l’obligation complémentaire imposée aux professionnels appelés à manipuler des espèces d’utiliser leurs équipements uniquement dans la configuration usine standard de ceux-ci. |
52. |
Troisièmement, si les normes minimales devaient être considérées comme applicables non seulement aux fabricants d’équipements de traitement des billets, ainsi qu’il a été relevé précédemment dans les présentes conclusions, mais également aux professionnels appelés à manipuler des espèces, plusieurs dispositions de la décision BCE/2010/14 qui visent à établir un ensemble complet de règles et de procédures de contrôle d’authenticité et de qualité deviendraient sans objet ou, à tout le moins, aboutiraient à un résultat redondant. |
53. |
Tel serait le cas, tout d’abord, de l’obligation faite aux professionnels appelés à manipuler des espèces d’utiliser les équipements de traitement des billets dans leur configuration usine standard, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14. Comme cela a été mentionné, l’objectif de cette obligation est d’éviter une situation dans laquelle les professionnels appelés à manipuler des espèces altéreraient la configuration usine standard définie par les fabricants de ces équipements, et cela afin de prévenir des divergences entre les résultats des vérifications de l’authenticité et de la qualité des billets en euros dans l’ensemble de la zone euro. Or, force est de constater que, si les professionnels appelés à manipuler des espèces vérifiaient leurs équipements en fonction des exigences imposées par les normes minimales de la BCE, ils ne seraient pas en mesure de respecter l’obligation leur imposant de ne pas modifier la configuration usine standard fixée par le fabricant avant leur livraison ou lors de leur installation. Par conséquent, une interprétation favorisant l’imposition des normes minimales auxdits professionnels introduirait une contradiction au sein de la décision BCE/2010/14, ce qui non seulement porterait atteinte à la cohérence normative interne de celle-ci, mais compromettrait également le choix politique effectué par la BCE lors de l’adoption de la décision BCE/2012/19. |
54. |
De surcroît, une interprétation similaire devrait s’imposer en ce qui concerne l’obligation des professionnels appelés à manipuler des espèces d’utiliser, aux fins du contrôle automatique de la qualité des billets en euros, uniquement des types d’équipements de traitement des billets testés positivement par les banques centrales nationales, comme le prévoit l’article 3, paragraphe 3, de la décision BCE/2010/14. Encore une fois, si les professionnels appelés à manipuler des espèces étaient obligés de tester leurs machines pour s’assurer qu’elles respectent les normes minimales de la BCE, cela remettrait en cause la finalité des règles et procédures de test de ces machines, dans lesquelles les fabricants et les banques centrales nationales jouent un rôle central, conformément à l’article 9 de la décision BCE/2010/14 et à d’autres actes normatifs applicables, en l’occurrence l’orientation BCE/2010/NP16. En outre, des doutes subsisteraient quant à la méthode et à la régularité des tests effectués par les professionnels appelés à manipuler des espèces. À mon avis, l’absence de toute indication à cet égard dans la décision BCE/2010/14 milite certainement en faveur de la conclusion selon laquelle la BCE, qui a adopté cette décision et ses modifications, conçoit que lesdits professionnels ne sont soumis à aucune obligation d’effectuer des tests sur leurs machines au regard des normes minimales de la BCE. |
55. |
Une interprétation contextuelle et systématique de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 n’appelle donc pas un réexamen de l’interprétation littérale de cette disposition, telle qu’évoquée au point 46 des présentes conclusions. Au contraire, elle plaide en faveur de la thèse selon laquelle les normes minimales de la BCE n’imposent aux professionnels appelés à manipuler des espèces aucune obligation de tester leurs appareils en conformité avec ces normes. |
56. |
Enfin, s’agissant de l’interprétation téléologique de la décision BCE/2010/14 et de l’article 6, paragraphe 2, de celle-ci, il est important de relever que l’une des missions principales permettant de garantir la confiance du public dans les billets de banque en euros en circulation est de maintenir ceux-ci en bon état ( 20 ). Étant donné que les billets de banque se détériorent inévitablement au cours de leur circulation, les billets usés ou défectueux devraient être retirés de la circulation et remplacés par des billets neufs ou propres à circuler. L’objectif principal à cet égard est non seulement de faire en sorte que les billets de banque en euros seront acceptés comme moyen de paiement, mais aussi de garantir une vérification facile et fiable de leur authenticité et de protéger ainsi l’euro contre le faux monnayage. |
57. |
À cet égard, il est vrai que concevoir, pour les équipements de traitement des billets, deux niveaux de tests au regard des normes minimales de la BCE, effectués, dans un premier temps, par les fabricants de ces machines et, ensuite, par les professionnels appelés à manipuler des espèces, pourrait être un moyen de réduire la probabilité que des billets impropres à la remise en circulation soient à nouveau utilisés par le public. |
58. |
Toutefois, outre le fait qu’une telle interprétation serait contraire au sens littéral de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 et compromettrait la cohérence interne de celle-ci, comme je l’ai déjà fait valoir, il n’est pas certain que cet objectif puisse être atteint, et cela pour des raisons semblables à celles exposées au point 53 des présentes conclusions. Après tout, pour que les professionnels appelés à manipuler des espèces effectuent leurs propres tests sur les équipements de traitement des billets, il serait nécessaire de procéder à des ajustements dans la configuration usine standard de ces équipements, ce qui aurait pour effet d’augmenter le risque de perturbation ou de défaillance des contrôles automatiques de qualité et, partant, de produire un résultat moins efficace. En outre, ainsi que l’a fait observer la BCE à l’audience, si l’on tient compte du nombre limité de fabricants de ces équipements dans la zone euro par rapport au nombre, plus important, de professionnels appelés à manipuler des espèces, des tests plus ciblés et plus efficients peuvent être effectués lorsque la portée de l’obligation de respecter les normes minimales est limitée aux fabricants d’équipements de traitement des billets au lieu d’être étendue aux professionnels appelés à manipuler des espèces. |
59. |
Les objectifs poursuivis par la décision BCE/2010/14 – et l’article 6, paragraphe 2, de cette décision – ne me paraissent donc pas justifier qu’on s’écarte de l’interprétation selon laquelle les professionnels appelés à manipuler des espèces ne sont pas tenus de contrôler et de tester leurs équipements de traitement des billets au regard des normes minimales adoptées par la BCE. |
60. |
Il résulte des considérations qui précèdent qu’aucun des principes d’interprétation fournis par la Cour pour découvrir le sens des dispositions du droit de l’Union ne permet de conclure que les normes minimales visées à l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 s’imposent aux professionnels appelés à manipuler des espèces lorsqu’ils s’acquittent de leur obligation de procéder à un contrôle automatique de la qualité des billets en euros. |
61. |
Cela dit, ainsi que la Commission l’a fait remarquer dans ses observations écrites, la question demeure de savoir si un professionnel appelé à manipuler des espèces dont les équipements de traitement des billets ne respecteraient pas le niveau de tolérance de 5 % prévu par les normes minimales de la BCE peut refuser de se conformer à une injonction qui lui a été adressée par une banque centrale nationale après une inspection dans ses locaux, et qui lui ordonne de remédier à cette situation. Dans le présent cas d’espèce, j’inviterais la Cour à aborder cette question pertinente qui, ainsi qu’il ressort des informations figurant dans la décision de renvoi, est essentielle pour permettre à la juridiction nationale de trancher le litige dont elle a été saisie ( 21 ) et, en particulier, de décider si la décision attaquée est fondée. |
62. |
À cet égard, il importe de faire observer que le cadre normatif défini par la décision BCE/2010/14 et d’autres réglementations applicables, en l’occurrence l’orientation BCE/2010/NP16, aux fins de garantir que seuls les billets de banque en euros en bon état sont remis en circulation dans le public, repose, en substance, sur trois piliers principaux. Il s’agit de : i) la production et la configuration d’équipements de traitement de billets conformes aux normes minimales de contrôle automatique de la qualité, qui, après avoir été testés positivement par une banque centrale nationale à la demande d’un fabricant, sont classés par types dans une liste sur le site Internet de la BCE ( 22 ) ; ii) l’imposition d’un ensemble d’obligations pour les professionnels appelés à manipuler des espèces, en particulier en ce qui concerne les contrôles automatiques de la qualité des billets en euros, et iii) la reconnaissance aux banques centrales nationales de pouvoirs de contrôle et de surveillance afin de faire en sorte que les entités concernées se conforment à leurs obligations respectives ( 23 ). |
63. |
En ce qui concerne les obligations imposées aux professionnels appelés à manipuler des espèces, j’ai déjà expliqué qu’elles découlent principalement de l’article 3 de la décision BCE/2010/14 ( 24 ), qui non seulement impose, au paragraphe 1, une obligation générale d’effectuer des vérifications d’authenticité et de qualité des billets en euros conformément aux procédures prévues dans cette décision, mais prévoit également des obligations supplémentaires, notamment aux paragraphes 3, 4 et 5. Ces obligations imposent aux professionnels appelés à manipuler des espèces, premièrement, d’utiliser un type d’équipement de traitement des billets testé positivement par une banque centrale nationale conformément aux normes minimales publiées par la BCE, deuxièmement, d’utiliser les équipements de traitement des billets uniquement pour les valeurs faciales et les séries de billets en euros énumérées sur le site Internet de la BCE, et, troisièmement, d’utiliser ces équipements dans leur configuration usine standard, incluant les dernières mises à jour. |
64. |
L’article 10, paragraphe 1, de la décision BCE/2010/14 prévoit, quant à lui, que les banques centrales nationales sont autorisées à effectuer des inspections sur place, dans les locaux des professionnels appelés à manipuler des espèces, afin de contrôler, notamment, la capacité de leurs équipements de traitement des billets à vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros, et qu’elles sont autorisées à examiner les procédures relatives à l’utilisation et au contrôle des équipements. L’article 10, paragraphe 3, de la décision BCE/2010/14 ajoute que, lorsqu’une banque centrale nationale détecte une violation des dispositions de la décision par un professionnel appelé à manipuler des espèces, elle doit lui demander de prendre des mesures correctives dans un délai déterminé. Cela signifie que les banques centrales nationales peuvent adresser des injonctions auxdits professionnels en cas de non‑respect de leurs obligations, voire imposer des sanctions, lesquelles doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ( 25 ). |
65. |
À l’audience, tant la Commission que la BCE ont fait valoir qu’une lecture combinée, d’une part, des obligations imposées par la décision BCE/2010/14 aux professionnels appelés à manipuler des espèces et, d’autre part, de l’article 10, paragraphe 3, de la même décision constitue une base juridique suffisante pour justifier une décision nationale, telle que celle en cause au principal, ordonnant à un professionnel appelé à manipuler des espèces de remédier à une situation dans laquelle ses équipements de traitement des billets dépassent le niveau de tolérance de 5 % pour le contrôle de la qualité des billets en euros. Selon ces mêmes parties, cette lecture combinée devrait empêcher un professionnel appelé à manipuler des espèces de refuser d’agir conformément à l’injonction qui lui a été adressée par la banque centrale nationale. |
66. |
Je tiens à souligner d’emblée que l’article 10, paragraphe 3, de la décision BCE/2010/14 prévoit expressément que, pour qu’une banque centrale nationale adopte une injonction, voire inflige une sanction, elle doit détecter « une violation des dispositions de la [décision BCE/2010/14] par un professionnel appelé à manipuler des espèces ». Or, si effectivement les normes minimales visées à l’article 6, paragraphe 2, de cette décision ne s’appliquent pas aux professionnels appelés à manipuler des espèces, la question demeure de savoir quelle disposition a, en fait, été violée par un tel professionnel lorsque ses équipements de traitement des billets ne respectent pas le niveau de tolérance prévu par ces normes pour le contrôle automatique de qualité. |
67. |
À cet égard, je pense qu’il est suffisamment évident que, dans la mesure où l’article 3, paragraphe 1, de la décision BCE/2010/14 impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces l’obligation de procéder à des contrôles automatiques de qualité, ils doivent utiliser des équipements de traitement des billets qui soient capables d’effectuer ces contrôles et, en particulier, de détecter des billets impropres à la remise en circulation ou détériorés. Dans le cas contraire, ils manqueraient à leur devoir fondamental découlant de la décision BCE/2010/14, lequel est d’ailleurs l’expression de l’obligation plus générale qui leur est imposée par l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1338/2001, de participer à la lutte contre le faux monnayage. Dans ce contexte, si une banque centrale nationale constate, après une inspection dans les locaux d’un professionnel appelé à manipuler des espèces, une défaillance dans ses équipements de traitement des billets, ce professionnel est tenu d’adopter les mesures nécessaires à la réparation de ces appareils. Certes, comme indiqué ci‑dessus, la décision BCE/2010/14 dans son libellé actuel s’appuie sur le principe selon lequel de tels professionnels ne devraient pas manipuler les équipements de traitement des billets, et cela afin d’éviter que la configuration usine standard appliquée par le fabricant de ces appareils soit altérée. Toutefois, il ne faudrait pas que cela dissuade d’une manière quelconque un professionnel appelé à manipuler des espèces d’agir – le cas échéant, en coopération avec le fabricant – pour remédier à cette situation. |
68. |
Il s’ensuit qu’un professionnel appelé à manipuler des espèces ne peut pas refuser de se conformer à une injonction qui lui est adressée, après une inspection dans ses locaux, par une banque centrale nationale et qui lui ordonne de remédier à la situation dans laquelle son équipement de traitement des billets ne respecte pas le niveau de tolérance de 5 % prévu par les normes minimales de contrôle automatique de la qualité. Cela étant dit, cette injonction ne peut se fonder, à mon avis, que sur l’article 3, paragraphe 1, de la décision BCE/2010/14, considéré à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1338/2001. |
69. |
Compte tenu des considérations qui précèdent, je conclus que l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 doit être interprété en ce sens que les normes minimales de la BCE visées à cette disposition ne s’appliquent pas aux professionnels appelés à manipuler des espèces lorsqu’ils procèdent à un contrôle automatique de la qualité des billets en euros. Toutefois, l’article 3, paragraphe 1, de cette même décision, considéré à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1338/2001, doit être interprété en ce sens que lesdits professionnels doivent adopter les mesures nécessaires pour remédier à une situation dans laquelle une inspection d’une banque centrale nationale a révélé que leurs équipements de traitement de billets ne sont pas capables de détecter en dessous d’un niveau de tolérance de 5 % le caractère impropre à la remise en circulation de billets de banque en euros. |
B. Sur la deuxième question préjudicielle
70. |
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, considéré en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national imposant aux professionnels appelés à manipuler des espèces de respecter les normes minimales adoptées par la BCE et publiées sur son site Internet. |
71. |
Selon un principe bien établi du droit de l’Union, les États membres sont, en vertu de leur autonomie institutionnelle, compétents pour fixer les conditions auxquelles leurs autorités et organismes publics peuvent mettre en œuvre le droit de l’Union. Comme la BCE le fait valoir à juste titre, la Cour a jugé que, même dans les domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union, les États membres peuvent mettre en place des mesures nécessaires à l’application et au respect effectifs du droit de l’Union ( 26 ). Ce faisant, les États membres doivent néanmoins respecter, en vertu des principes d’effectivité et de coopération loyale, tous les éléments normatifs de la disposition de droit de l’Union mise en œuvre. |
72. |
En ce qui concerne la protection de l’euro contre le faux monnayage, je relève que la République de Lituanie a adopté des dispositions visant à assurer l’exécution de la décision BCE/2010/14 et, en particulier, la mise en œuvre des obligations de celle-ci qui s’imposent aux professionnels appelés à manipuler des espèces en vertu, notamment, de son article 3, paragraphes 1 et 3 à 5. |
73. |
Plus spécifiquement, il ressort de la décision de renvoi que, en application de l’article 475 de la loi sur la Banque de Lituanie, dans sa version applicable au litige au principal, la Banque de Lituanie doit surveiller l’activité de traitement des espèces en conformité avec les dispositions applicables, en particulier celles de la décision BCE/2010/14. De même, l’article 477 de la même loi donne à la Banque de Lituanie le pouvoir d’adopter des mesures correctives, lequel découle directement de l’article 10, paragraphe 3, de la décision BCE/2010/14. |
74. |
En outre, la Banque de Lituanie a approuvé le décret sur la procédure de surveillance de l’activité de traitement des espèces. Cet acte confère à la Banque de Lituanie la compétence de vérifier, au cours d’inspections, si les machines de traitement des espèces utilisées par le professionnel appelé à manipuler des espèces sont appropriées pour vérifier l’authenticité et la qualité des billets en euros. La Banque de Lituanie a également adopté le décret sur la procédure de vérification d’authenticité et de qualité, qui, en son point 12, impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces de vérifier l’authenticité et la qualité des billets de banque en euros « conformément aux normes minimales publiées sur le site Internet de la BCE ». |
75. |
Mon analyse de la première question préjudicielle m’a conduite à conclure que l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 doit être interprété en ce sens que les normes minimales de la BCE visées à cette disposition ne s’appliquent pas aux professionnels appelés à manipuler des espèces lorsqu’ils procèdent à un contrôle automatique de la qualité des billets en euros. Dans le cadre de cette analyse, j’ai également expliqué que l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14 impose à ces professionnels, lors du contrôle automatique de la qualité des billets en euros, l’obligation d’utiliser leurs équipements de traitement des billets avec la configuration usine standard. À nouveau, l’objectif à cet égard est que lesdits professionnels ne devraient pas altérer la configuration usine standard de ces machines telle que fixée par leurs fabricants, de manière à éviter le risque de contrôles automatiques de qualité incohérents ou défaillants dans la zone euro ( 27 ). |
76. |
La BCE concède que les dispositions applicables du droit lituanien ne sont pas nécessairement écartées par l’effet d’une telle interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14. D’après cette institution, ces dispositions pourraient être interprétées de manière à être compatibles avec cette décision si la référence à l’observation de ses normes minimales par les professionnels appelés à manipuler des espèces s’entendait comme une obligation de respecter les dispositions de la décision qui les concernent directement, à savoir celles de l’article 3. |
77. |
Cependant, une telle marge d’interprétation fait, selon moi, défaut en l’espèce. L’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14 que je propose à la Cour est en contradiction directe avec le libellé clair du point 12 du décret sur la procédure de vérification d’authenticité et de qualité qui a été adopté par la Banque de Lituanie. Dans ces conditions, je serais tentée de considérer qu’il n’est pas possible d’interpréter cette disposition nationale de manière à ce qu’elle soit conforme à cette décision et ne soit pas rendue inapplicable. |
78. |
En outre, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, la disposition lituanienne, en son libellé actuel, est en contradiction directe avec l’obligation pour les professionnels appelés à manipuler des espèces d’utiliser les équipements de traitement des billets uniquement dans leur configuration usine standard. À cet égard, le libellé de cette disposition non seulement crée un contexte d’insécurité juridique – comme l’illustre clairement la présente affaire –, mais pourrait également amener les professionnels appelés à manipuler des espèces à contrôler leurs machines et à prendre des mesures à leur égard lorsque cela est nécessaire pour garantir le respect des normes minimales. Pour cette raison, cette disposition est, à mon sens, exclue par l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14 ( 28 ). |
79. |
Eu égard aux réflexions qui précèdent, je conclus que l’article 6, paragraphe 2, de la décision BCE/2010/14, considéré en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national qui, à l’instar de celle qui est en cause au principal, impose aux professionnels appelés à manipuler des espèces de respecter les normes minimales adoptées par la BCE et publiées sur son site Internet. |
80. |
Compte tenu des réponses que je propose de donner aux première et deuxième questions préjudicielles, il n’y a pas lieu d’examiner les troisième et quatrième questions posées par la juridiction de renvoi. |
V. Conclusion
81. |
Sur la base de l’analyse développée dans les présentes conclusions, je propose à la Cour de répondre aux deux premières questions posées par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) de la manière suivante :
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Décision de la Banque centrale européenne du 16 septembre 2010 relative à la vérification de l’authenticité et de la qualité ainsi qu’à la remise en circulation des billets en euros (BCE/2010/14) (2010/597/UE) (JO 2010, L 267, p. 1), telle que modifiée par la décision BCE/2012/19 de la Banque centrale européenne du 7 septembre 2012 (BCE/2012/19) (2012/507/UE) (JO 2012, L 253, p. 19) (ci-après la « décision BCE/2010/14 »).
( 3 ) Règlement du Conseil du 28 juin 2001 définissant des mesures nécessaires à la protection de l’euro contre le faux monnayage (JO 2001, L 181, p. 6), tel que modifié par le règlement (CE) no 44/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008 (JO 2009, L 17, p. 1) (ci-après le « règlement no 1338/2001 »).
( 4 ) Brink’s Lithuania agit dans l’affaire au principal en qualité de successeur de la société UAB « G4S Lietuva ».
( 5 ) Décision no V2019/(30.90)-394-l, du 28 février 2019, intitulée « Injonction adressée à UAB “G4S Lietuva” » (ci-après la « décision attaquée »).
( 6 ) Article 1er du règlement no 1338/2001.
( 7 ) Orientation de la Banque centrale européenne du 16 septembre 2010, relative aux règles et procédures pour les tests effectués sur les équipements de traitement des billets, la collecte des données et le suivi (BCE/2010/NP16), telle que modifiée par l’orientation de la Banque centrale européenne du 7 septembre 2012 (BCE/2012/NP20) (ci-après l’« orientation BCE/2010/NP16 »).
( 8 ) Voir : https://www.ecb.europa.eu/euro/cashprof/cashhand/recycling/html/fitness.fr.html.
( 9 ) Loi de la République de Lituanie sur la Banque de Lituanie, dans sa rédaction issue de la loi no XII-1304 du 27 juin 2018.
( 10 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2010 concernant l’authentification des pièces en euros et le traitement des pièces en euros impropres à la circulation (JO 2010, L 339, p. 1).
( 11 ) Voir article 1er de la décision BCE/2010/14.
( 12 ) Voir, à cet égard, considérant 2 de la décision BCE/2010/14.
( 13 ) Voir, pour la classification des équipements de traitement des billets, annexe I de la décision BCE/2010/14.
( 14 ) Voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2016, Hemming e.a. (C‑316/15, EU:C:2016:879, point 27 et jurisprudence citée).
( 15 ) La version en langue espagnole est probablement la plus révélatrice à cet égard, dans la mesure où le membre de phrase « que haya superado una prueba de acuerdo con las normas mínimas » est une proposition relative qui ne peut que se référer à « máquina de tratamiento de billetes », c’est-à-dire à l’« équipement de traitement des billets ». La version en langue portugaise est, de ce point de vue, semblable à la version en langue espagnole.
( 16 ) Voir aussi décision (UE) 2019/2195 de la Banque centrale européenne, du 5 décembre 2019, modifiant la [décision BCE/2010/14] (BCE/2019/39) (JO 2019, L 330, p. 91), qui apporte un certain nombre de modifications techniques ainsi que des clarifications et améliorations supplémentaires de certaines règles, procédures et définitions.
( 17 ) Mise en italique par mes soins.
( 18 ) En revanche, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la décision BCE/2010/14, dans sa version modifiée, les normes minimales relatives au contrôle manuel de la qualité, telles qu’énumérées à l’annexe III de la décision, restent applicables aux professionnels appelés à manipuler des espèces. Cette différence de traitement est due au fait que ces professionnels, lorsqu’ils effectuent des vérifications manuelles de la qualité avec leur propre personnel – c’est-à-dire sans utiliser une machine préalablement configurée par un fabricant –, sont toujours tenus de veiller au respect de ces normes.
( 19 ) Cette intégration a été réalisée par l’orientation BCE/2012/NP20, citée à la note 7 des présentes conclusions.
( 20 ) Voir considérant 2 de la décision BCE/2010/14.
( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2022, Iveco Orecchia (C‑68/21 et C‑84/21, EU:C:2022:835, points 57 et 58 ainsi que jurisprudence citée).
( 22 ) Voir notamment article 9 de la décision BCE/2010/14 et article 2, paragraphes 1 et 2, de l’orientation BCE/2010/NP16.
( 23 ) Voir notamment article 10 de la décision BCE/2010/14, ainsi qu’article 2, paragraphe 3, et article 4 de l’orientation BCE/2010/NP16.
( 24 ) Voir point 40 des présentes conclusions.
( 25 ) Voir, à ce propos, article 6, paragraphe 2, du règlement no 1338/2001.
( 26 ) Voir, notamment, arrêt du 6 mars 2008, Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones (C‑82/07, EU:C:2008:143, point 24 et jurisprudence citée).
( 27 ) Voir, en ce sens, point 58 des présentes conclusions.
( 28 ) Je dois brièvement ajouter que, même s’il est vrai que l’article 3, paragraphe 5, de la décision BCE/2010/14 prévoit qu’une banque centrale nationale et un professionnel appelé à manipuler des espèces peuvent convenir d’une configuration plus exigeante que la configuration usine standard, cette possibilité ne revient pas pour autant à permettre aux États membres d’imposer aux professionnels appelés à manipuler des espèces l’obligation de tester leurs équipements selon les normes minimales de la BCE.