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Document 62021CC0711

    Conclusions de l'avocat général M. A. M. Collins, présentées le 2 mars 2023.
    XXX et XXX contre État belge.
    Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Conseil d'État (Belgique).
    Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Recevabilité – Subsistance d’un intérêt à agir dans le litige au principal – Obligation de vérification de la juridiction de renvoi.
    Affaires jointes C-711/21 et C-712/21.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:155

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. ANTHONY M. COLLINS

    présentées le 2 mars 2023 ( 1 )

    Affaires jointes C‑711/21 et C‑712/21

    XXX (C‑711/21)

    XXX (C‑712/21)

    contre

    État belge, représenté par le Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration

    (demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État, Belgique)

    « Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 4, 7 et 47 – Directive 2008/115/CE – Retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Décision de retour – Changement de circonstances quant à la vie familiale et à l’état de santé du ressortissant d’un pays tiers survenu postérieurement à l’adoption de la décision de retour – Invocation du changement de circonstances après la clôture de la procédure de protection internationale – Moment ultime d’invocation du changement de circonstances – Article 267 TFUE – Persistance du litige au principal – Obligation de vérification de la juridiction de renvoi – Principe de coopération loyale – Article 4, paragraphe 3, TUE – Recevabilité du renvoi préjudiciel »

    I. Introduction

    1.

    Les présentes demandes de décision préjudicielle portent sur deux décisions de retour adoptées par les autorités belges à l’encontre des requérants au principal (ci-après les « requérants ») à la suite du rejet de leurs demandes de protection internationale. Le Conseil d’État (Belgique) ( 2 ) demande à la Cour de se prononcer sur la compatibilité des décisions de retour avec les articles 4, 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et avec l’article 5, l’article 6, paragraphe 6, et l’article 14 de la directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 3 ) (ci-après la « directive “retour” »). C’est dans ce contexte que le Conseil d’État cherche à déterminer si les changements quant à la vie familiale ou à l’état de santé des requérants survenus postérieurement à la confirmation de la validité des décisions de rejet de leurs demandes de protection internationale peuvent être pris en considération par une juridiction qui procède à l’examen de la légalité de ces décisions de retour.

    II. Les litiges au principal

    A.   L’affaire C‑711/21

    2.

    XXX, un ressortissant d’un pays tiers, serait arrivé en Belgique le 16 mars 2017. Le 24 mars 2017, il a demandé à l’autorité belge compétente la reconnaissance de son statut de réfugié. Le 20 juillet 2017, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après le « CGRA ») a rejeté la demande de XXX et a également refusé de lui octroyer la protection subsidiaire. En se fondant sur cette décision de refus, le 26 juillet 2017, l’autorité compétente a ordonné à XXX de quitter le territoire belge.

    3.

    Le 21 août 2017, XXX a introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) (ci-après le « CCE ») un recours contre la décision du CGRA du 20 juillet 2017. Le CCE a rejeté ce recours le 11 janvier 2018.

    4.

    Le 24 août 2017, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision du 26 juillet 2017 lui ordonnant de quitter la Belgique. Lors d’une audience, XXX a déposé des documents établissant des changements survenus quant à sa vie familiale et à son état de santé. Par un arrêt du 22 octobre 2019, le CCE a rejeté ce recours. Le CCE a jugé que XXX ne pouvait plus contester la décision du 26 juillet 2017 lui ordonnant de quitter la Belgique au motif que l’arrêt du 11 janvier 2018 rejetant son recours contre le refus du CGRA de lui accorder la protection internationale avait définitivement tranché la question. Il a considéré qu’il ne pouvait pas prendre en compte les développements postérieurs à l’adoption de l’ordre de quitter le territoire belge dans son appréciation de la légalité de cet ordre ( 4 ). Le CCE a également jugé que XXX ne pouvait pas prospérer dans son argument selon lequel les autorités ne pouvaient pas adopter à son encontre un ordre lui ordonnant de quitter le territoire alors que son recours contre la décision du CGRA refusant de lui accorder la protection internationale était pendant, puisqu’il a été statué sur son recours contre cette décision en date du 11 janvier 2018.

    5.

    Le 6 novembre 2019, XXX a formé un recours auprès du Conseil d’État contre l’arrêt du CCE du 22 octobre 2019. En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que, dans le cadre d’un recours en annulation d’un ordre de quitter le territoire belge, le CCE devait, en principe, examiner cet ordre ex tunc. En second lieu, il a estimé que l’arrêt Gnandi ne permet pas de déterminer de façon certaine à quel moment le ressortissant d’un pays tiers peut se prévaloir d’un changement de circonstances à cet effet et ne se prononce dès lors pas sur le point de savoir si une juridiction peut prendre en considération des circonstances nouvelles apparues après l’adoption d’une décision de retour ( 5 ). Cette approche est susceptible d’avoir des implications considérables sur l’application de la directive « retour », en particulier sur l’application de l’article 5 de cette directive qui prévoit que, lorsqu’ils mettent en œuvre ladite directive, les États membres tiennent dûment compte notamment de la vie familiale et de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers.

    B.   L’affaire C‑712/21

    6.

    Le 29 février 2016, XXX a demandé à l’autorité belge compétente la reconnaissance de son statut de réfugié. Le 30 septembre 2016, le CGRA a rejeté sa demande et a refusé de lui octroyer la protection subsidiaire. En se fondant sur cette décision, le 6 octobre 2016, l’autorité compétente a ordonné à XXX de quitter le territoire belge.

    7.

    Le 28 octobre 2016, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision du CGRA du 30 septembre 2016. Le CCE a rejeté ce recours le 19 janvier 2017. Le 7 novembre 2016, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision du 6 octobre 2016 lui ordonnant de quitter le territoire. Faisant suite à une audience lors de laquelle XXX a déposé des documents relatifs à sa vie privée, le CCE a, dans un arrêt du 22 octobre 2019, rejeté le recours qu’elle avait introduit contre la décision lui ordonnant de quitter le territoire. Cette juridiction a suivi le même raisonnement que celui qui a été exposé au point 4 des présentes conclusions.

    8.

    XXX a formé un recours auprès du Conseil d’État contre l’arrêt du CCE du 22 octobre 2019. Pour des motifs identiques à ceux qui ont été exposés au point 5 des présentes conclusions, le Conseil d’État a considéré que l’arrêt Gnandi ne permet pas de déterminer jusqu’à quel moment un organe examinant la légalité d’une décision de retour peut prendre en considération un changement de circonstances quant à la vie familiale d’un ressortissant d’un pays tiers.

    9.

    Dans les procédures au principal dans les affaires C‑711/21 et C‑712/21, le Conseil d’État a considéré qu’il se pourrait que les articles 4 ( 6 ), 7 et 47 de la Charte, ainsi que l’article 5, l’article 6, paragraphe 6, et l’article 14 de la directive « retour » imposent à la juridiction chargée d’examiner la légalité de l’ordre de quitter le territoire, adopté à la suite du rejet d’une demande de protection internationale, de tenir compte de changements de circonstances quant à la vie familiale ou à l’état de santé d’un demandeur survenus antérieurement à la date à laquelle il est procédé à cet examen. Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer dans les deux affaires et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Les articles 4 [ ( 7 )], 7 et 47 de la [Charte] et [l’article 5, l’article 6, paragraphe 6, et l’article 13] de la [directive « retour »], lus à la lumière de l’arrêt [Gnandi], doivent-ils être interprétés en ce sens que le juge saisi du recours introduit contre une décision de retour adoptée à la suite d’une décision de refus d’octroi de la protection internationale ne peut, dans l’appréciation de la légalité de la décision de retour, tenir compte que des changements de circonstances, de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation au regard de l’article 5 précité, intervenus avant la clôture de la procédure de protection internationale par le [CCE] ?

    2)

    Les circonstances visées à l’article 5 de la [directive « retour »] doivent-elles être survenues à un moment où l’étranger était en séjour régulier ou autorisé à rester ? »

    III. La procédure devant la Cour

    10.

    Par décision du 4 janvier 2022, le président de la Cour a joint les affaires C‑711/21 et C‑712/21 aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

    11.

    Les requérants, les gouvernements belge et néerlandais, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

    12.

    Dans ses observations écrites du 29 mars 2022, le gouvernement belge a excipé de l’irrecevabilité des deux affaires au motif que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi n’était plus nécessaire à cette dernière pour lui permettre de rendre son jugement. Le 30 mars 2020, l’autorité compétente a délivré un titre de séjour au requérant dans l’affaire C‑711/21 ( 8 ). Le 8 mars 2021, l’autorité compétente a délivré à la requérante dans l’affaire C‑712/21 un titre de séjour valable jusqu’au 18 février 2021, qui a ensuite été renouvelé jusqu’au 18 février 2023 ( 9 ). Le gouvernement belge a par ailleurs informé la Cour que l’autorité belge compétente ( 10 ) avait fait part de ces développements au Conseil d’État en date du 24 février 2022.

    13.

    Le 17 juin 2022, le président de la Cour a écrit au Conseil d’État pour lui demander s’il confirmait que les requérants disposaient d’un droit de séjour sur le territoire belge et, dans l’affirmative, s’il souhaitait maintenir ses demandes de décision préjudicielle. Le 27 juin 2022, le Conseil d’État a confirmé, après avoir entendu l’avocat des requérants, que ces derniers avaient tous les deux été autorisés au séjour en Belgique. Il souhaitait toutefois maintenir ses demandes de décision préjudicielle. Le Conseil d’État a déclaré que, selon l’avocat des requérants, leur droit de rester en Belgique est provisoire et que le gouvernement belge n’a pas retiré les décisions de retour. L’avocat des requérants a fait valoir en substance que si leur droit de séjour en Belgique n’était pas prolongé, le gouvernement belge pourrait reprendre la procédure de retour sur le fondement des décisions de retour prises à leur encontre.

    14.

    À la lumière de la réponse soumise par le Conseil d’État le 6 juillet 2022, le juge rapporteur et l’avocat général ont invité ( 11 ) le gouvernement belge à informer la Cour du statut actuel des décisions de retour adoptées à l’égard des requérants et à lui communiquer toute autre décision de retour qui aurait été adoptée à leur encontre. Le 15 juillet 2022, le gouvernement belge a répondu en exposant que « la délivrance d’un titre de séjour est incompatible avec un ordre de quitter le territoire. Le titre de séjour fait disparaître de plein droit l’ordre de quitter le territoire de l’ordonnancement juridique, sans qu’il soit nécessaire que l’autorité compétente ne prenne une nouvelle décision quant à la décision de retour ». Le gouvernement belge a conclu que, à la lumière de la jurisprudence récente du Conseil d’État relative à ce point particulier ( 12 ), les requérants ne justifiaient plus d’un intérêt à poursuivre les procédures d’annulation des décisions de retour.

    15.

    Le 20 juillet 2022, la Cour a transmis la réponse du gouvernement belge du 15 juillet 2022 au Conseil d’État. Elle lui a une nouvelle fois demandé s’il souhaitait maintenir ses demandes de décision préjudicielle et, dans l’affirmative, d’en indiquer les motifs.

    16.

    Le 3 août 2022, le Conseil d’État a indiqué que, à la lumière des positions divergentes de l’avocat des requérants et du gouvernement belge, il ne pouvait pas retirer ses demandes de décision préjudicielle sans entendre au préalable les parties et en l’absence d’arrêt tranchant la question du maintien de l’intérêt des requérants à leurs recours en annulation. Il a en outre indiqué que les procédures dont il était saisi avaient été suspendues dans l’attente de la réponse de la Cour à ses renvois préjudiciels. Le Conseil d’État a dès lors estimé qu’il ne pouvait en l’état se prononcer sur le statut des décisions de retour et sur l’intérêt des requérants à la poursuite de leurs recours.

    IV. Sur la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles

    17.

    Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national conformément à l’article 267 TFUE bénéficient d’une présomption de pertinence. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales prescrite par cette disposition, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige, et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Néanmoins, il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel. La Cour ne peut pas formuler d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Une demande de décision préjudicielle doit donc être nécessaire à la solution effective d’un contentieux dont la juridiction de renvoi se trouve saisie ( 13 ).

    18.

    Il s’ensuit que la Cour peut, le cas échéant, examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par une juridiction nationale en vue de vérifier sa propre compétence et, en particulier, de déterminer si l’interprétation du droit de l’Union qui est sollicitée présente un rapport avec la réalité et l’objet du litige au principal, de telle sorte que la Cour ne soit pas amenée à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques ( 14 ). S’il apparaît que la question posée n’est manifestement pas pertinente pour la solution de ce litige, la Cour doit constater le non‑lieu à statuer ( 15 ).

    19.

    La procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui instaure un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, est la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités. Elle a pour but de garantir l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer notamment sa cohérence, son plein effet et son autonomie ( 16 ). L’article 267 TFUE et le système de dialogue judiciaire qu’il établit est une lex specialis qui exprime le principe de base énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE ( 17 ) en vertu duquel l’Union et les États membres s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités ( 18 ). En leur qualité d’émanations de l’État, les juridictions nationales sont tenues par ce principe dans leurs relations avec les institutions de l’Union, y compris la Cour ( 19 ). L’obligation de coopération loyale est réciproque par nature, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 4, paragraphe 3, TUE qui se réfère au « respect mutuel » entre l’Union et les États membres ( 20 ). Ainsi, dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour, prévue par l’article 267 TFUE, la Cour statue à titre préjudiciel sans qu’elle ait, en principe, à s’interroger sur les circonstances dans lesquelles les juridictions nationales ont été amenées à lui poser les questions et se proposent de faire application de la disposition du droit de l’Union en cause. Il n’en n’irait différemment que dans les hypothèses où soit il apparaîtrait que la procédure de l’article 267 TFUE a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer au moyen d’un litige construit, soit il serait manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer à la solution du litige à l’origine du renvoi préjudiciel ( 21 ).

    20.

    À la lumière de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement belge dans ses observations écrites ainsi que de la correspondance échangée entre la Cour, le Conseil d’État et le gouvernement belge, une grande incertitude persiste quant au point de savoir si le Conseil d’État devra prendre en considération la réponse de la Cour aux questions préjudicielles quand il sera amené à résoudre les litiges dont il est saisi. À cet égard, la jurisprudence du Conseil d’État que le gouvernement belge a citée dans sa réponse du 15 juillet 2022 à la Cour indique clairement qu’un arrêt de la Cour n’est pas nécessaire à la solution effective des recours pendants devant le Conseil d’État puisqu’il s’avère que les décisions de retour faisant l’objet de ces recours ont disparu de l’ordonnancement juridique belge ( 22 ).

    21.

    Alors qu’il incombe en définitive au Conseil d’État de statuer, lorsque ce dernier a été une nouvelle fois invité par la Cour, le 20 juillet 2022, à indiquer s’il souhaitait maintenir ses demandes de décision préjudicielle et, dans l’affirmative, pour quelles raisons, il n’a pas examiné la pertinence de sa propre jurisprudence récente et s’est contenté de confirmer son souhait de maintenir ces demandes sans indiquer les motifs pour lesquels elles avaient une incidence sur l’issue des litiges dont il était saisi ( 23 ). Le Conseil d’État s’est simplement référé à la nécessité d’entendre les parties avant de trancher la question pendant que les procédures dont il est saisi étaient suspendues.

    22.

    Au regard de la jurisprudence récente du Conseil d’État ( 24 ), du fait que ce dernier avait été informé par l’autorité belge compétente de la délivrance de titres de séjour aux requérants, ainsi que du fait que la Cour avait interrogé l’avocat des requérants à plusieurs reprises à ce sujet ( 25 ), la raison pour laquelle le Conseil d’État ne semble pas disposé à apporter une réponse complète à la question que la Cour lui a adressée aux fins de l’aider dans l’exercice de sa mission visant à assurer le respect du droit dans l’interprétation des traités, n’apparaît pas clairement ( 26 ).

    23.

    Dans ses conclusions dans l’affaire Di Donna, Mme l’avocate générale Kokott a relevé que l’esprit de collaboration qui préside au renvoi préjudiciel implique que le juge de renvoi ait égard à la fonction confiée à la Cour, « qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques » ( 27 ). Dans ses conclusions dans l’affaire Pohotovost’, M. l’avocat général Wahl a déclaré qu’« il est indispensable que les juridictions nationales expliquent, lorsque cela ne ressort pas sans équivoque du dossier, les raisons pour lesquelles elles considèrent qu’une réponse à leurs questions est nécessaire à la solution du litige. Le devoir de la Cour de respecter les responsabilités propres du juge national implique en même temps que le juge national ait égard à la fonction propre remplie en matière préjudicielle par la Cour. Ainsi, la Cour a encore récemment conclu qu’il n’y avait pas lieu pour elle de statuer dans une hypothèse où la juridiction de renvoi, en dépit de l’invitation qui lui a été faite, avait maintenu sa demande de décision préjudicielle tout en omettant de prendre position sur l’incidence d’un développement ou d’un événement dont la Cour avait eu connaissance en ce qui concerne tant la décision à intervenir au principal que la pertinence des questions préjudicielles pour la solution du litige au principal » ( 28 ).

    24.

    Il me semble que, dans l’exercice de cette collaboration, le Conseil d’État aurait pu lever la suspension des procédures dont il était saisi, entendre les parties sur la problématique en cause et se prononcer sur l’existence, en droit belge, des décisions de retour adoptées à l’encontre des requérants. Dans ce contexte, il est de jurisprudence constante qu’une disposition de droit national qui empêche la mise en œuvre de l’article 267 TFUE doit être écartée ( 29 ). Sur la base des informations dont dispose la Cour, les présentes demandes de décision préjudicielle sont à première vue théoriques, si bien que les réponses de la Cour aux questions qui lui sont soumises pourraient ne pas être nécessaires à la solution des litiges pendants devant la juridiction de renvoi ( 30 ). Les changements de circonstances des requérants qui sont survenus depuis l’introduction des demandes de décision préjudicielle exposent également la Cour au risque évident de dépenser des ressources précieuses pour répondre à ces demandes. Ces remarques sont formulées sans préjudice du droit dont bénéficie le Conseil d’État de soumettre de nouvelles demandes de décision préjudicielle lorsqu’il aura vérifié que les réponses à celles-ci sont nécessaires à une solution effective d’un litige dont il est saisi ( 31 ).

    V. Conclusion

    25.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de constater qu’elle n’est pas compétente au titre de l’article 267 TFUE pour répondre aux questions qui lui ont été posées par le Conseil d’État (Belgique) le 4 novembre 2021 à titre préjudiciel.


    ( 1 ) Langue originale : l’anglais.

    ( 2 ) En date du 4 novembre 2021.

    ( 3 ) JO 2008, L 348, p. 98.

    ( 4 ) En se référant à l’arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, ci‑après l’« arrêt Gnandi , EU:C:2018:465).

    ( 5 ) L’article 6, paragraphe 1, de la directive « retour » énonce que « [l]es États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5 ». L’article 6, paragraphe 6, de cette directive dispose que « [l]a présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national ».

    ( 6 ) L’article 4 de la Charte n’est pas pertinent dans l’affaire C‑712/21 puisque la requérante n’a pas invoqué la violation de cette disposition.

    ( 7 ) Les questions préjudicielles dans les affaires C‑711/21 et C‑712/21 sont identiques, si ce n’est que, dans l’affaire C‑712/21, le Conseil d’État a considéré qu’il n’était pas nécessaire de poser une question relative à l’article 4 de la Charte.

    ( 8 ) Le titre de séjour en question est une « Carte F ». Il a une durée de validité de cinq ans.

    ( 9 ) Le titre de séjour en question est une « Carte A ». Il a une durée de validité d’un an, renouvelable.

    ( 10 ) L’Office des étrangers (Belgique).

    ( 11 ) Conformément à l’article 62, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

    ( 12 ) Voir C.E., 24 juin 2022, no 254.100. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a jugé qu’un droit de séjour sur le territoire ayant été accordé à un requérant, « une telle décision est incompatible avec l’ordre de quitter le territoire » et « constitue un acte contraire à celui-ci de telle sorte qu’elle a fait disparaître cette décision de l’ordonnancement juridique ». « L’acte administratif qui était contesté [...] ayant disparu de l’ordonnancement juridique, le dispositif de l’arrêt attaqué n’est plus susceptible de faire grief à la partie requérante. La partie requérante ne justifie dès lors plus de l’intérêt requis au présent recours. »

    ( 13 ) Voir arrêts du 27 juin 2013, Di Donna (C‑492/11, EU:C:2013:428, points 24 à 26 et jurisprudence citée) ; du 27 février 2014, Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2014:101, points 27 à 29 et jurisprudence citée), ainsi que du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures) (C‑510/19, EU:C:2020:953, point 27 et jurisprudence citée).

    ( 14 ) Si le Conseil d’État ignorait, le 4 novembre 2021, que les requérants étaient titulaires d’un titre de séjour, il a omis d’informer ultérieurement la Cour des développements intervenus, qui lui avaient pourtant été notifiés le 24 février 2022. Dans ce contexte, le point 26 des Recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) indique notamment qu’« il appartient à [la juridiction de renvoi] d’avertir la Cour de tout incident procédural susceptible d’avoir une incidence sur sa propre saisine [...] ».

    ( 15 ) Arrêt du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, point 38). Si, dans la présente procédure, c’est le gouvernement belge qui a soulevé la question de la recevabilité des demandes de décision préjudicielle, il ressort clairement de l’arrêt susmentionné et de l’arrêt Gnandi (point 31) que cette question peut être soulevée d’office par la Cour. Conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la juridiction de renvoi suspend la procédure. Néanmoins, l’article 101 du règlement de procédure prévoit que la Cour peut demander des éclaircissements à la juridiction de renvoi.

    ( 16 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 90).

    ( 17 ) Voir Temple Lang, J., « The Development by the Court of Justice of the Duties of Cooperation of National Authorities and Community Institutions Under Article 10 EC », Fordham International Law Journal, 2007, vol. 31, no 5, p. 1517. Voir également Klamert, M., « Article 4 TEU », dans Kellerbauer, M., Klamert, M., et Tomkin, J. (éd.), The EU Treaties and the Charter of Fundamental Rights : A Commentary, Oxford University Press, New York (en ligne), 2019, p. 35‑60.

    ( 18 ) Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Ils facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.

    ( 19 ) Conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union. Voir arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE) (C‑316/19, EU:C:2020:1030, points 119 et 124).

    ( 20 ) Ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a. (C‑2/88‑IMM, EU:C:1990:315, point 17).

    ( 21 ) Arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher (C‑231/89, EU:C:1990:386, point 23).

    ( 22 ) Voir C.E., 24 juin 2022, no 254.100. Il appartient au Conseil d’État de vérifier la pertinence et le contenu de cette jurisprudence nationale dans le cadre des litiges au principal. Il semble, sous réserve de vérification de la part de la juridiction de renvoi, que sa position sur cette question a récemment été modifiée. Voir arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert) (C‑194/19, EU:C:2021:270, point 20), qui concernait une procédure de recours similaire devant le Conseil d’État. Dans cette affaire, le Conseil d’État a indiqué, à la suite d’une demande d’information de la Cour, que le pourvoi au principal qui contestait la légalité d’une décision rejetant la demande d’asile du requérant et lui ordonnant de quitter le territoire belge avait un objet en tant qu’il visait une décision de justice qu’aucune circonstance de fait ne pouvait faire disparaître de l’ordre juridique.

    ( 23 ) Voir, par opposition, points 32 et 33 de l’arrêt Gnandi dont il ressort que le Conseil d’État a clairement expliqué les raisons pour lesquelles la réponse de la Cour était nécessaire pour la solution du litige dont il était saisi et les raisons pour lesquelles il souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle. Voir aussi arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 30 et 31), dans lequel le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a expliqué que, malgré la solution du litige dont il était saisi et qui portait sur le refus d’octroi d’un permis de séjour provisoire, une réponse de la Cour à la demande de décision préjudicielle était utile pour la solution d’une question non réglée d’indemnisation résultant de ce refus.

    ( 24 ) Voir C.E., 24 juin 2022, no 254.100.

    ( 25 ) Il semble, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’elle n’a pas interrogé l’autorité belge compétente à ce sujet.

    ( 26 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 107).

    ( 27 ) Conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Di Donna (C‑492/11, EU:C:2013:225, point 22).

    ( 28 ) Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2013:844, point 29).

    ( 29 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 141 et jurisprudence citée).

    ( 30 ) La réponse de la Cour aux questions posées dans de telles circonstances pourrait revenir à formuler une opinion consultative sur des questions hypothétiques au mépris de la mission de la Cour dans le cadre de la coopération judiciaire instituée par l’article 267 TFUE.

    ( 31 ) Voir, par analogie, ordonnance du 12 mai 2016, Security Service e.a. (C‑692/15 à C‑694/15, EU:C:2016:344, point 30).

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