Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CC0621

    Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 20 avril 2023.
    WS contre Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia za bezhantsite pri Ministerskia savet.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Administrativen sad Sofia-grad.
    Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique commune en matière d’asile – Directive 2011/95/UE – Conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié – Article 2, sous d) – Motifs de la persécution – “Appartenance à un certain groupe social” – Article 10, paragraphe 1, sous d) – Actes de persécution – Article 9, paragraphes 1 et 2 – Lien entre les motifs et les actes de persécution, ou entre les motifs de persécution et l’absence de protection contre de tels actes – Article 9, paragraphe 3 – Acteurs non étatiques – Article 6, sous c) – Conditions de la protection subsidiaire – Article 2, sous f) – “Atteintes graves” – Article 15, sous a) et b) – Évaluation des demandes de protection internationale aux fins de l’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Article 4 – Violence envers les femmes fondée sur le sexe – Violences domestiques – Menace de “crime d’honneur”.
    Affaire C-621/21.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:314

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

    présentées le 20 avril 2023 ( 1 )

    Affaire C‑621/21

    WS

    contre

    Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia za bezhantsite pri Ministerskia savet

    en présence de

    Predstavitelstvo na Varhovnia komisar na Organizatsiyata na obedinenite natsii za bezhantsite v Bulgaria

    [demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie)]

    « Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2011/95/UE – Normes relatives à l’octroi d’une protection internationale et au contenu d’une telle protection – Ressortissante de pays tiers exposée à un risque d’être victime d’un crime d’honneur, d’un mariage forcé ou de violences domestiques de la part d’acteurs non étatiques en cas de retour dans son pays d’origine – Conditions d’octroi du statut de réfugié – Article 9, paragraphe 3 – Établissement d’un lien de causalité entre le motif de la persécution et l’absence de protection du pays d’origine – Article 10, paragraphe 1, sous d) – Établissement de l’appartenance à un “certain groupe social” en raison du genre du demandeur – Conditions d’octroi de la protection subsidiaire – Notion d’“atteintes graves” – Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul) »

    I. Introduction

    1.

    La question des actes de violence envers les femmes dans le cadre familial est devenue une préoccupation majeure de nos sociétés après avoir longtemps été sous-estimée par les autorités quant à la gravité et aux conséquences de tels actes. Les homicides envers les femmes dans le cercle familial, appelés désormais « féminicides » dans le langage courant, ont été publiquement dénoncés. Les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de mieux protéger les femmes victimes de violences dans leur entourage familial et de faire preuve de plus de sévérité à l’égard des auteurs de ces violences. Cette protection qui doit être assurée à l’intérieur d’un État doit-elle être également accordée aux femmes qui ont fui leur pays et qui ne peuvent ou ne souhaitent y retourner de crainte de subir des violences au sein du cercle familial ? Plus précisément, les femmes confrontées à une telle situation peuvent-elle se voir reconnaître le statut de réfugié, au sens de l’article 2, sous e), de la directive 2011/95/UE ( 2 ) ? À défaut de se voir reconnaître un tel statut, dans quelle mesure des actes de violence fondés sur le genre, commis à l’égard d’une ressortissante de pays tiers dans le cercle restreint de sa vie familiale, peuvent-ils justifier l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2, sous g), de cette directive ?

    2.

    Dans l’affaire qui est soumise à la Cour, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie) a des doutes quant à la possibilité et, le cas échéant, au type de protection internationale qu’il convient d’accorder à une ressortissante turque, d’origine kurde, compte tenu, d’une part, de la nature des actes de violence auxquels celle-ci risque d’être exposée si elle retourne dans son pays d’origine. Ces actes pourraient consister en de la violence dans le cercle familial, voire un crime d’honneur, ou encore en un mariage forcé. D’autre part, il doit également être tenu compte des circonstances dans lesquelles lesdits actes sont commis, c’est-à-dire par des acteurs non étatiques ( 3 ).

    3.

    Cette question reflète les préoccupations – que l’on trouve par ailleurs exprimées dans les observations déposées dans la présente affaire – de ceux qui considèrent que le statut de réfugié ne peut être octroyé à toutes les femmes victimes de violences domestiques, tant il s’agit d’un problème commun à tous les États, et de ceux qui regrettent, en revanche, que la protection subsidiaire ne soit qu’une protection accordée « par défaut » à ces femmes, induisant ainsi la non-reconnaissance des motifs de persécutions liées au genre, y compris celles fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

    4.

    Dans ses conclusions dans l’affaire État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique) ( 4 ), l’avocat général Szpunar soulignait l’impérieuse nécessité de ne pas sous-estimer l’importance juridique, politique et sociale de la reconnaissance de la gravité du problème de la violence domestique et des évolutions récentes de la réglementation de l’Union en matière de protection des victimes ( 5 ). De manière presque simultanée, l’avocat général Hogan constatait toutefois dans ses conclusions dans l’avis 1/19 (Convention d’Istanbul) ( 6 ) que, « [e]n l’état actuel des choses, le droit de l’Union ne prévoit pas, de manière générale, l’obligation de considérer la violence à l’égard des femmes comme étant une forme de persécution permettant d’obtenir le statut de réfugié » ( 7 ).

    5.

    La question se pose aujourd’hui sous un angle différent puisqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une situation individuelle.

    6.

    En premier lieu, la Cour devra déterminer les conditions dans lesquelles une ressortissante de pays tiers, qui risque d’être victime d’un crime d’honneur ou d’un mariage forcé ainsi que d’être exposée à des actes de violence domestique une fois de retour dans son pays d’origine, pourrait être considérée comme craignant avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance à un « certain groupe social » et se voir octroyer le statut de réfugié [article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95].

    7.

    En deuxième lieu, la Cour devra préciser les conditions dans lesquelles l’autorité nationale compétente doit établir, dans un cas où les violences sont commises par un acteur non étatique, un lien de causalité entre le motif de la persécution, à savoir l’appartenance à un certain groupe social, et l’absence de protection dans le pays d’origine (article 9, paragraphe 3, de cette directive).

    8.

    En troisième et dernier lieu, la Cour devra examiner la mesure dans laquelle le statut conféré par la protection subsidiaire pourrait être octroyé à une telle personne. Dans ce contexte, il lui appartiendra de déterminer les conditions dans lesquelles les actes de violence ci-dessus décrits pourraient être qualifiés d’« atteintes graves » au sens de l’article 15 de ladite directive en tant soit qu’ils menaceraient gravement la vie de cette personne, soit qu’ils constitueraient un traitement inhumain ou dégradant.

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit international

    1. La convention de Genève

    9.

    L’article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 ( 8 ), dispose que le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

    2. La CEDEF

    10.

    La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après la « CEDEF ») ( 9 ), à laquelle l’Union n’est pas partie, dispose, à son article 1er :

    « [L]’expression “discrimination à l’égard des femmes” vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. »

    11.

    L’article 5, sous a), de cette convention indique :

    « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour :

    a)

    Modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. »

    12.

    Ladite convention a été complétée par la recommandation générale no 19 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ( 10 ), intitulée « Violence à l’égard des femmes », laquelle dispose, à son paragraphe 6 :

    « L’article premier de la [CEDEF] définit la discrimination à l’égard des femmes. Cette définition inclut la violence fondée sur le sexe, c’est-à-dire la violence exercée contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui touche spécialement la femme. Elle englobe les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté [...] »

    13.

    Cette recommandation a été actualisée en 2017 par la recommandation générale no 35 sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre ( 11 ), laquelle prévoit, à ses paragraphes 10 et 16 :

    « 10. Le Comité [pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes] considère que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre est l’un des moyens sociaux, politiques et économiques fondamentaux par lesquels sont entretenus la subordination des femmes par rapport aux hommes et leurs rôles stéréotypés [...]

    [...]

    16. La violence à l’égard des femmes fondée sur le genre peut être assimilée à une torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit de viols, de violences domestiques ou d’autres pratiques préjudiciables [...] »

    14.

    En outre, la CEDEF a été complétée par la déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes ( 12 ), dont l’article 2 dispose :

    « La violence à l’égard des femmes s’entend comme englobant, sans y être limitée, les formes de violence énumérées ci‑après :

    a)

    La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin au foyer, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l’exploitation ;

    b)

    La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail, dans les établissements d’enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée ;

    c)

    La violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée ou tolérée par l’État, où qu’elle s’exerce. »

    3. La convention d’Istanbul

    15.

    Le préambule, dixième à douzième alinéas, de la convention d’Istanbul dispose :

    « Reconnaissant que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation ;

    Reconnaissant que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre, et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes ;

    Reconnaissant avec une profonde préoccupation que les femmes et les filles sont souvent exposées à des formes graves de violence telles que la violence domestique, le harcèlement sexuel, le viol, le mariage forcé, les crimes commis au nom du prétendu “honneur” et les mutilations génitales, lesquelles constituent une violation grave des droits humains des femmes et des filles et un obstacle majeur à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. »

    16.

    Aux termes de son article 1er, figurant au sein du chapitre I, intitulé « Buts, définitions, égalité et non-discrimination, obligations générales », la convention d’Istanbul vise notamment à protéger les femmes contre toutes les formes de violence, y compris la violence domestique, et à prévenir, à poursuivre et à éliminer de telles violences, à contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à concevoir un cadre global, des politiques et des mesures de protection et d’assistance.

    17.

    Conformément à son article 2, paragraphe 1, la convention d’Istanbul « s’applique à toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, qui affecte les femmes de manière disproportionnée ».

    18.

    L’article 3 de cette convention dispose :

    « Aux fins de la présente [c]onvention :

    a

    le terme “violence à l’égard des femmes” doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ;

    b

    le terme “violence domestique” désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ;

    c

    le terme “genre” désigne les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes ;

    d

    le terme “violence à l’égard des femmes fondée sur le genre” désigne toute violence faite à l’égard d’une femme parce qu’elle est une femme ou affectant les femmes de manière disproportionnée ;

    [...]

    f

    le terme “femme” inclut les filles de moins de 18 ans. »

    19.

    L’article 60 de ladite convention, intitulé « Demandes d’asile fondées sur le genre », est libellé comme suit :

    « 1   Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de l’article 1, [section] A, [paragraphe 2], de la [convention de Genève] et comme une forme de préjudice grave donnant lieu à une protection complémentaire/subsidiaire.

    2   Les Parties veillent à ce qu’une interprétation sensible au genre soit appliquée à chacun des motifs de la [c]onvention et à ce que les demandeurs d’asile se voient octroyer le statut de réfugié dans les cas où il a été établi que la crainte de persécution est fondée sur l’un ou plusieurs de ces motifs, conformément aux instruments pertinents applicables.

    3   Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour développer des procédures d’accueil sensibles au genre et des services de soutien pour les demandeurs d’asile, ainsi que des lignes directrices fondées sur le genre et des procédures d’asile sensibles au genre, y compris pour l’octroi du statut de réfugié et pour la demande de protection internationale. »

    B.   Le droit de l’Union

    20.

    Conformément à l’article 78, paragraphe 1, TFUE et à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le régime d’asile européen commun, dans lequel s’intègre la directive 2011/95, est fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève.

    21.

    Les considérants 17 et 30 de cette directive énoncent :

    « (17)

    Concernant le traitement des personnes relevant du champ d’application de la présente directive, les États membres sont liés par les obligations qui découlent des instruments de droit international auxquels ils sont parties, notamment ceux qui interdisent la discrimination.

    [...]

    (30)

    Il est [...] nécessaire d’adopter une nouvelle définition commune du motif de persécution que constitue “l’appartenance à un certain groupe social”. Aux fins de la définition d’un certain groupe social, il convient de prendre dûment en considération les questions liées au genre du demandeur – notamment l’identité de genre et l’orientation sexuelle, qui peuvent être liées à certaines traditions juridiques et coutumes, résultant par exemple dans des mutilations génitales, des stérilisations forcées ou des avortements forcés – dans la mesure où elles se rapportent à la crainte fondée du demandeur d’être persécuté. »

    22.

    L’article 2, sous d) et f), de ladite directive prévoit :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    [...]

    d)

    “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...] et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

    [...]

    f)

    “personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers [...] qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine [...], courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays. »

    23.

    Dans le cadre du chapitre II de la directive 2011/95, relatif à l’« [é]valuation des demandes de protection internationale », l’article 6, intitulé « Acteurs des persécutions ou des atteintes graves », dispose :

    « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

    a)

    l’État ;

    b)

    des partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

    c)

    des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 7. »

    24.

    L’article 7 de cette directive, intitulé « Acteurs de la protection », est rédigé comme suit :

    « 1.   La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

    a)

    l’État ; ou

    b)

    des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci,

    pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe 2 et en mesure de le faire.

    2.   La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe 1, [sous] a) et b), prennent des mesures raisonnables pour empêcher les persécutions ou les atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

    [...] »

    25.

    Le chapitre III de ladite directive, intitulé « Conditions pour être considéré comme réfugié », comprend l’article 9 qui dispose :

    « 1.   Pour être considéré comme un acte de persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, un acte doit :

    a)

    être suffisamment grave du fait de sa nature ou de son caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [ ( 13 )] ; ou

    b)

    être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a).

    2.   Les actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes :

    a)

    violences physiques ou mentales, y compris les violences sexuelles ;

    [...]

    f)

    les actes dirigés contre des personnes en raison de leur genre [...]

    3.   Conformément à l’article 2, [sous] d), il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes de persécution au sens du paragraphe 1 du présent article ou l’absence de protection contre de tels actes. »

    26.

    L’article 10 de la directive 2011/95, intitulé « Motifs de la persécution », est libellé en ces termes :

    « 1.   Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

    [...]

    d)

    un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier :

    ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et

    ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante.

    En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ;

    [...]

    2.   Lorsque l’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution. »

    27.

    Le chapitre V de cette directive, relatif aux « [c]onditions de la protection subsidiaire », comprend l’article 15, intitulé « Atteintes graves », qui prévoit :

    « Les atteintes graves sont :

    a)

    la peine de mort ou l’exécution ; ou

    b)

    la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou

    [...] »

    C.   Le droit bulgare

    28.

    En Bulgarie, l’examen des demandes de protection internationale est régi par le Zakon za ubezhishteto i bezhantsite (loi sur l’asile et les réfugiés) ( 14 ), dans sa version publiée au DV no 103, du 27 décembre 2016 (ci-après le « ZUB »). Les directives 2011/95 et 2013/32/UE ( 15 ) ont été transposées en droit bulgare moyennant deux lois modifiant et complétant le ZUB, publiées respectivement au DV no 80, du 16 octobre 2015, et au DV no 101, du 22 décembre 2015.

    29.

    Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du ZUB :

    « Les compétences prévues par la présente loi sont exercées par les personnes responsables de la Darzhavna agentsia za bezhantsite [(Agence nationale pour les réfugiés, ci-après la “DAB”)]. Celles-ci établissent tous les faits et circonstances pertinents aux fins de la procédure d’octroi d’une protection internationale et prêtent assistance aux étrangers qui ont déposé une telle demande de protection. »

    30.

    Le ZUB prévoit deux formes de protection internationale.

    31.

    L’article 8 du ZUB concerne les conditions de fond auxquelles doit satisfaire le demandeur afin de bénéficier du statut de réfugié. Cet article intègre dans des termes similaires les dispositions énoncées aux articles 6 et 9 de la directive 2011/95.

    32.

    L’article 9 du ZUB concerne, quant à lui, les conditions de fond auxquelles doit satisfaire le demandeur afin de bénéficier d’un « statut humanitaire », lequel correspond à la protection subsidiaire, ces conditions correspondant aux « atteintes graves » telles qu’elles sont définies à l’article 15 de la directive 2011/95.

    III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

    33.

    WS, la requérante au principal, est une ressortissante turque, d’origine kurde, de confession musulmane (sunnite) et divorcée. Au mois de juin 2018, elle a quitté la Turquie afin de se rendre en Bulgarie, puis en Allemagne, où elle a introduit une première demande de protection internationale. Par une décision du 28 février 2019 prononcée par la DAB, la Bulgarie a accepté de la prendre en charge aux fins de l’examen de sa demande de protection internationale.

    34.

    Lors des trois entretiens menés au mois d’octobre 2019, WS a déclaré avoir rencontré des problèmes avec son ex-époux, BS, en Turquie, auquel elle aurait été mariée de force au cours de l’année 2010 et avec lequel elle aurait eu trois filles. À la suite de nombreux épisodes de violence et de menaces proférées tant par son époux que par sa famille biologique et par sa belle-famille, elle aurait été régulièrement hébergée dans les « centres de prévention et de surveillance des violences » et se serait enfuie de chez elle au mois de septembre 2016. À cet égard, WS aurait notamment produit une plainte déposée auprès du parquet général de Torbalı (Turquie) faisant état de ces violences. WS aurait contracté un mariage religieux avec un autre homme au cours de l’année 2017, avec qui elle aurait eu un fils au mois de mai 2018. Le divorce entre WS et BS aurait été prononcé par une décision du tribunal civil no 1 de Diyarbakır (Turquie) le 20 septembre 2018, alors qu’elle avait déjà quitté la Turquie. WS aurait souligné, en outre, qu’elle n’avait bénéficié d’aucun soutien de sa famille biologique et que les contacts avaient été proscrits par le père de famille au motif qu’elle avait quitté le domicile conjugal. WS a également soutenu craindre pour sa vie si elle devait retourner en Turquie.

    35.

    Par une décision du 21 mai 2020, la DAB a rejeté la demande de protection internationale introduite par WS sur le fondement tant de l’article 8 du ZUB (statut de réfugié) que de l’article 9 de cette loi (statut humanitaire/protection subsidiaire).

    36.

    La DAB a considéré que les conditions requises aux fins de l’octroi du statut de réfugié n’étaient pas satisfaites au motif que les violences dont elle aurait été victime de la part de son époux et des membres de sa famille ainsi que les menaces de mort proférées à son égard ne pouvaient être rattachées à aucun des motifs de persécution visés à l’article 8, paragraphe 1, du ZUB, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. WS n’aurait pas non plus déclaré être persécutée en raison de son sexe.

    37.

    En outre, la DAB a considéré que les conditions requises aux fins de l’octroi du statut humanitaire (protection subsidiaire) n’étaient pas non plus réunies au motif que ni les autorités officielles ni certains groupes n’auraient entrepris d’actions à l’égard de WS. Enfin, la DAB a souligné que celle-ci, qui n’aurait pas informé les autorités policières des agressions criminelles commises à son égard, n’aurait pas non plus déposé plainte et qu’elle aurait quitté légalement la Turquie.

    38.

    WS a introduit un recours contre cette décision, lequel a été rejeté par une décision du 15 octobre 2020. Cette décision aurait acquis force de chose jugée par décision du 9 mars 2021 du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie).

    39.

    WS a introduit une demande ultérieure de protection internationale le 13 avril 2021, en produisant neuf preuves écrites concernant sa situation personnelle et son état d’origine. D’une part, elle soutient qu’elle remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié énoncées à l’article 8 du ZUB, étant victime d’actes de persécution commis en raison de son appartenance à un certain groupe social, celui des femmes qui ont subi des violences domestiques ainsi que des femmes susceptibles d’être victimes de crimes d’honneur par des acteurs non étatiques desquels l’État turc ne peut la protéger. Elle indique également qu’elle s’oppose à son refoulement vers la Turquie, craignant d’être tuée par son ex-époux ou d’être victime d’un crime d’honneur et d’être mariée de force une nouvelle fois. Elle souligne que sa situation est désormais plus difficile au motif qu’elle a eu un enfant avec un homme avec lequel elle n’est pas mariée civilement. Au titre des circonstances nouvelles, WS invoque également le retrait de la République de Turquie de la convention d’Istanbul, et produit, à cet égard, notamment deux rapports établis au mois de mars 2021, l’un, par l’U.S. Department of State (département d’État des États-Unis d’Amérique), relatif aux pratiques en matière de droits de l’homme en Turquie, et, l’autre, par la plateforme turque « We will stop femicide ».

    40.

    D’autre part, WS soutient qu’elle remplit les conditions d’octroi du statut humanitaire (protection subsidiaire) prévues à l’article 9 du ZUB, dans la mesure où son refoulement vers la Turquie l’exposerait à une violation de ses droits fondamentaux reconnus aux articles 2 et 3 de la CEDH.

    41.

    Par une décision du 5 mai 2021, la DAB a refusé d’ouvrir une nouvelle procédure d’examen de la demande de protection internationale au motif que WS ne présentait pas d’éléments nouveaux concernant sa situation personnelle ou son état d’origine, mentionnant par ailleurs que les autorités turques l’auraient aidée à plusieurs reprises et auraient signalé être prêtes à l’aider par tous les moyens légaux.

    42.

    Dans ces conditions, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Afin de qualifier la violence envers les femmes fondée sur le genre, en tant que motif d’octroi d’une protection internationale au sens de la [convention de Genève] et de la [directive 2011/95], les définitions [de la CEDEF] et de la [convention d’Istanbul] sont-elles applicables, ou la violence envers les femmes fondée sur le genre, en tant que motif d’octroi d’une protection internationale au sens du considérant 17 de la [directive 2011/95], a-t-elle une signification autonome, différente de celle qu’elle a dans ces traités internationaux ?

    2)

    En cas d’allégation de violence envers les femmes fondée sur le genre, convient-il, afin de déterminer l’appartenance à un certain groupe social, en tant que motif de persécution au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [directive 2011/95], de prendre en considération uniquement le genre biologique ou social de la victime d’une persécution (violence dirigée contre une femme, seulement parce qu’elle est une femme), les formes/mesures/actes concrets de persécution tels que mentionnés de manière non exhaustive au considérant 30 de la [directive 2011/95] peuvent-ils être déterminants pour la “visibilité du groupe dans la société”, c’est-à-dire la caractéristique décisive de ce groupe, en fonction des conditions régnant dans le pays d’origine, ou ces actes concernent-ils uniquement les actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous a) et f), de la [directive 2011/95] ?

    3)

    Lorsque la demandeuse de protection allègue une violence fondée sur le genre sous forme de violence domestique, le genre biologique ou social constitue-t-il un motif suffisant pour déterminer l’appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [directive 2011/95] ou convient-il d’établir une caractéristique distinctive supplémentaire du groupe, selon une interprétation littérale de cette disposition, qui énonce les conditions à titre cumulatif et les aspects de genre à titre alternatif ?

    4)

    En cas d’allégation de violence fondée sur le genre sous forme de violence domestique exercée par un acteur non étatique au sens de l’article 6, sous c), de la [directive 2011/95], convient-il d’interpréter le lien de cause à effet au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la [directive 2011/95] en ce sens qu’il suffit que soit établi un lien entre les motifs indiqués à l’article 10 [de cette directive] et les actes de persécution au sens [l’article 9,] paragraphe 1, [de ladite directive] ou faut-il obligatoirement que soit constatée une absence de protection contre la persécution alléguée, ou bien le lien existe-t-il lorsque les acteurs non étatiques des persécutions ne reconnaissent pas en tant que tels les différents actes de persécution/violence liés au genre de la personne persécutée ?

    5)

    Si les autres conditions à cet effet sont remplies, la menace réelle de [crime] d’honneur en cas de refoulement éventuel vers le pays d’origine peut-elle justifier l’octroi d’une protection subsidiaire en vertu de l’article 15, sous a), de la [directive 2011/95], lu en combinaison avec l’article 2 de la CEDH (la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement), ou convient-il de la qualifier d’“atteinte grave” au sens de l’article 15, sous b), de la [directive 2011/95], lu en combinaison avec l’article 3 de la CEDH, tel qu’interprété dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble du risque que d’autres actes de violence fondés sur le genre soient commis, ou bien le refus subjectif exprimé par le demandeur de bénéficier de la protection de son État d’origine suffit-il pour accorder cette protection subsidiaire ? »

    43.

    WS, les gouvernements allemand et français ainsi que la Commission européenne et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont déposé des observations écrites.

    IV. Analyse

    44.

    Par son renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer la mesure dans laquelle une ressortissante de pays tiers qui affirme courir le risque d’être victime d’un crime d’honneur ou d’un mariage forcé ainsi que d’être exposée à des actes de violence domestique commis au sein de son foyer une fois de retour dans son pays d’origine peut bénéficier d’une protection internationale au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2011/95.

    45.

    Conformément à la procédure d’examen fixée à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2013/32, les première à quatrième questions préjudicielles ont trait aux conditions dans lesquelles une telle personne pourrait bénéficier du statut de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 ( 16 ). Si la juridiction de renvoi n’a pas de doutes quant à la qualification en tant qu’« actes de persécution » des actes auxquels WS craint d’être exposée ( 17 ), elle s’interroge, en revanche, sur les nombreuses incertitudes quant à la manière de tenir compte du genre de cette personne pour établir, d’une part, les motifs de la persécution (article 10 de la directive 2011/95) et, d’autre part, le lien de causalité entre ces motifs et l’absence de protection accordée par le pays d’origine (article 9, paragraphe 3, de cette directive).

    46.

    La cinquième question préjudicielle concerne les conditions dans lesquelles WS pourrait se voir octroyer la protection subsidiaire au sens de l’article 2, sous f), de la directive 2011/95 dans l’hypothèse où elle ne pourrait pas être considérée comme une réfugiée. La juridiction de renvoi interroge notamment la Cour sur la qualification d’« atteintes graves », au sens de l’article 15 de cette directive, des actes que l’intéressée risque de subir si elle est renvoyée dans son pays d’origine.

    A.   Les conditions d’octroi du statut de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95

    1. Sur la première question préjudicielle relative au sens et à la portée de la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre »

    47.

    Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi, en se fondant sur le considérant 17 de la directive 2011/95, interroge la Cour sur le point de savoir si la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre », si elle devait constituer un motif d’octroi du statut de réfugié, a une signification autonome en droit de l’Union ou si cette notion doit être définie à la lumière de la convention de Genève, de la CEDEF et de la convention d’Istanbul.

    48.

    Cette question tire son origine dans le fait que, à l’image de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 se borne à faire état de l’« appartenance à un certain groupe social », ne faisant aucune référence au « genre » du demandeur de protection internationale dans la définition de la notion de « réfugié » et ne prévoyant pas non plus que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse constituer, en soi, un motif de protection internationale. En revanche, la convention d’Istanbul et la CEDEF, adoptées respectivement sous l’égide du Conseil de l’Europe et des Nations unies, y consacrent des dispositions expresses.

    49.

    La convention d’Istanbul vise, conformément à son article 1er, à protéger les femmes contre toutes les formes de violence, y compris la violence domestique, en renforçant la prévention de la violence et l’aide aux victimes, de même que les poursuites et les sanctions contre les auteurs des violences, en adoptant des politiques globales et coordonnées.

    50.

    La notion de « genre » est définie à l’article 3, sous c), de la convention d’Istanbul comme visant « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes ». La notion de « violence à l’égard des femmes » est, quant à elle, définie à l’article 3, sous a), de cette convention comme visant « tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ». Enfin, la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre » est définie à l’article 3, sous d), de ladite convention comme désignant « toute violence faite à l’égard d’une femme parce qu’elle est une femme ou affectant les femmes de manière disproportionnée » ( 18 ).

    51.

    L’article 60, paragraphe 1, de la convention d’Istanbul exige ainsi des États parties qu’ils adoptent les mesures nécessaires pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de l’article 1er, section A, paragraphe 2, de la convention de Genève et comme une forme de préjudice grave donnant lieu à une protection subsidiaire. Le rapport explicatif de la convention d’Istanbul précise que cet article est conçu comme étant compatible avec la convention de Genève et l’article 3 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme ( 19 ).

    52.

    La CEDEF et, en particulier, les recommandations générales nos 19 et 35 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ont, quant à elles, pour objet d’accroître l’efficacité de la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, en exigeant des États parties qu’ils garantissent aux femmes le plein exercice et la pleine jouissance des droits qui leur sont reconnus dans tous les domaines. Ces recommandations générales complètent la CEDEF en intégrant une approche fondée sur le genre, en définissant la violence fondée sur le genre, prescrivant aux États parties l’adoption de mesures générales inspirées de celles adoptées dans le cadre de la convention d’Istanbul.

    53.

    Ces rappels étant faits, il convient à présent d’examiner la mesure dans laquelle les termes posés par ces deux conventions doivent être pris en compte aux fins de la mise en œuvre de la directive 2011/95.

    54.

    En premier lieu, je rappelle que, en vertu de l’article 78, paragraphe 1, TFUE, le régime d’asile européen commun, dans lequel la directive 2011/95 s’intègre, doit être conforme à la convention de Genève et au protocole relatif au statut des réfugiés de 1967 ainsi qu’« aux traités pertinents » ( 20 ).

    55.

    Ainsi, l’objectif principal de la directive 2011/95, tel qu’il est énoncé à son article 1er et dans la jurisprudence de la Cour, est d’établir un système normatif comportant des notions et des critères communs aux États membres pour l’identification des personnes ayant besoin d’une protection internationale et qui sont donc propres à l’Union, tout en garantissant que soit pleinement respecté l’article 1er de la convention de Genève ( 21 ). Dans l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) ( 22 ), la Cour a ainsi refusé d’étendre le champ d’application de cette directive au-delà de celui couvert par cette convention, afin de respecter l’intention claire du législateur de l’Union d’harmoniser au sein de l’Union la mise en œuvre du statut de réfugié au sens de ladite convention ( 23 ).

    56.

    Or, ainsi que je l’ai indiqué, l’article 1er, section A, de la convention de Genève ne fait aucune référence au « genre » dans la définition de la notion de « réfugié » et ne prévoit pas non plus que la « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre » puisse constituer, en soi, un motif permettant d’accorder une protection internationale. Dans ses principes directeurs sur la persécution liée au genre, le HCR a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’introduire un motif supplémentaire dans la définition de la notion de « réfugié » visée à l’article 1er de cette convention dès lors qu’il est admis par les États parties que le genre peut influencer, ou dicter, le type de persécution ou de préjudices subis, ainsi que les raisons du traitement subi ( 24 ). Dans le cadre de la directive 2011/95, le genre du demandeur est donc pris en considération lors de l’appréciation de la nature des actes de persécution auxquels celui-ci est exposé ou risque d’être exposé dans son pays d’origine [article 9, paragraphe 2, sous f), de cette directive] ( 25 ) et lors de l’examen relatif aux motifs de la persécution, en particulier dans le cadre de la reconnaissance de l’appartenance du demandeur à un certain groupe social [article 10, paragraphe 1, sous d), second alinéa in fine, de ladite directive].

    57.

    Certes, la directive 2011/95 ne définit pas la notion de « genre ». On peut toutefois se référer aux documents émis par le HCR, lesquels bénéficient, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, d’une pertinence particulière au regard du rôle confié au HCR par la convention de Genève ( 26 ). Ainsi, dans ses principes directeurs sur la persécution liée au genre, le HCR indique que « [l]e genre fait référence aux relations entre les femmes et les hommes basées sur des identités, des statuts, des rôles et des responsabilités qui sont définis ou construits socialement ou culturellement, et qui sont attribués aux hommes et aux femmes, tandis que le “sexe” est déterminé biologiquement. Ainsi, le genre n’est ni statique ni inné mais acquiert une signification construite socialement et culturellement au fil du temps » ( 27 ).

    58.

    En outre, si l’article 9, paragraphe 2, sous f), de la directive 2011/95 ne précise pas la portée des « actes dirigés contre des personnes en raison de leur genre », il peut être intéressant de se référer, à cette fin, à un autre instrument de droit dérivé, à savoir la directive 2012/29/UE ( 28 ). En effet, le considérant 17 de cette directive définit la notion de « violence fondée sur le genre » comme visant « [l]a violence dirigée contre une personne en raison de son sexe, de son identité ou expression de genre ou la violence qui touche de manière disproportionnée les personnes d’un sexe en particulier [...] Il peut en résulter une atteinte à l’intégrité physique, sexuelle, émotionnelle ou psychologique de la victime ou une perte matérielle pour celle-ci. La violence fondée sur le genre s’entend comme une forme de discrimination et une violation des libertés fondamentales de la victime et comprend les violences domestiques, les violences sexuelles (y compris le viol, l’agression sexuelle et le harcèlement sexuel), la traite des êtres humains, l’esclavage, ainsi que différentes formes de pratiques préjudiciables telles que les mariages forcés, les mutilations génitales féminines et les soi-disant “crimes d’honneur”. Les femmes victimes de violence fondée sur le genre et leurs enfants requièrent souvent un soutien et une protection spécifiques en raison du risque élevé de victimisation secondaire et répétée, d’intimidations et de représailles lié à cette violence ».

    59.

    S’agissant, en deuxième lieu, des termes employés dans la convention d’Istanbul et la CEDEF, il est constant que l’Union n’a pas ratifié la CEDEF et que, si elle a signé la convention d’Istanbul le 13 juin 2017, elle n’a toutefois pas encore adhéré à celle-ci ( 29 ). Cette convention n’a d’ailleurs pas été ratifiée par l’ensemble des États membres ( 30 ). Dans l’attente d’une telle adhésion ou ratification, la convention d’Istanbul constitue avant tout une convention multidisciplinaire visant à assurer, de manière holistique et sur la base d’une approche intégrée impliquant tous les acteurs de la société, la prévention de la violence à l’égard des femmes ( 31 ), la protection et le soutien des victimes ainsi que la poursuite des auteurs de violence.

    60.

    Il convient d’en conclure que, en l’état actuel, ni la convention d’Istanbul ni la CEDEF ne relèvent des « traités pertinents » à l’aune desquels la directive 2011/95 doit être interprétée, au sens de l’article 78, paragraphe 1, TFUE.

    61.

    S’agissant, en troisième et dernier lieu, du considérant 17 de la directive 2011/95 sur lequel se fonde la juridiction de renvoi, ce considérant ne me semble pas pertinent aux fins de l’interprétation du sens et de la portée, en droit de l’Union, de la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre ».

    62.

    Ledit considérant énonce que, « [c]oncernant le traitement des personnes relevant du champ d’application de [cette] directive, les États membres sont liés par les obligations qui découlent des instruments de droit international auxquels ils sont parties, notamment ceux qui interdisent la discrimination ». Or, en se référant au « traitement des personnes relevant du champ d’application de [ladite directive] », le législateur de l’Union n’a pas visé les modalités d’examen d’une demande de protection internationale, c’est-à-dire les critères requis aux fins de l’octroi d’une telle protection, mais plutôt les droits et les avantages dont bénéficient les demandeurs ou les bénéficiaires d’une protection internationale sur le territoire de l’État membre dans lequel ils ont introduit et, le cas échéant, obtenu une protection internationale. Le considérant 17 de la directive 2011/95 trouve en effet son expression au chapitre VII de celle-ci, relatif au « [c]ontenu de la protection internationale ». À titre d’illustration, ce législateur a prévu l’exigence selon laquelle les États membres garantissent l’égalité de traitement entre les bénéficiaires d’une protection internationale et leurs ressortissants s’agissant de l’accès aux procédures de reconnaissance des qualifications (article 28, paragraphe 1) ou bien encore l’accès aux soins de santé (article 30). C’est dans ce contexte que les États membres sont tenus de respecter les obligations découlant des instruments internationaux auxquels ils sont parties, tels que la CEDEF et la convention d’Istanbul.

    63.

    Il découle de l’ensemble de ces éléments que l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que les conditions d’octroi du statut de réfugié à une personne qui craint d’être victime d’actes de violence fondés sur le genre en cas de retour dans son pays d’origine doivent être examinées à l’aune des dispositions prévues à cette fin par cette directive, lesquelles doivent être interprétées à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention de Genève, conformément à l’article 78, paragraphe 1, TFUE, et non en se fondant sur les définitions figurant dans la CEDEF et dans la convention d’Istanbul, qui ne sont pas des « traités pertinents », au sens de cet article.

    64.

    Toutefois, conformément au considérant 16 de la directive 2011/95, cette interprétation doit également se faire dans le respect des droits reconnus par la Charte ( 32 ).

    2. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles concernant l’appréciation relative à l’appartenance à un « certain groupe social » de la ressortissante de pays tiers [article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95]

    65.

    Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser les circonstances dans lesquelles une ressortissante de pays tiers qui affirme courir un risque d’être victime d’un crime d’honneur ou d’un mariage forcé ainsi que d’être exposée à des actes de violence domestique si elle est renvoyée dans son pays d’origine peut être considérée comme appartenant à un « certain groupe social », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95.

    66.

    En premier lieu, la juridiction de renvoi demande à la Cour si le genre biologique de la demandeuse peut déterminer à lui seul son appartenance à un certain groupe social, au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de cette directive.

    67.

    L’article 10, paragraphe 1, sous d), de ladite directive prévoit que deux conditions doivent être satisfaites afin de déterminer l’appartenance d’un demandeur à un « certain groupe social ». Ces deux conditions sont cumulatives ( 33 ).

    68.

    D’une part, les membres du groupe doivent partager une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce. À cet égard, l’article 10, paragraphe 1, sous d), second alinéa, de la directive 2011/95 précise que, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, doivent être dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ( 34 ).

    69.

    D’autre part, ce groupe doit avoir son identité propre dans le pays tiers en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante.

    70.

    En outre, il découle de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2011/95, qu’il est indifférent, lorsque l’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, qu’il possède effectivement la caractéristique liée à l’appartenance à un certain groupe social à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de la persécution ( 35 ).

    71.

    En ce qui concerne la première desdites conditions, il est constant que le genre de la demandeuse peut être associé à une caractéristique innée – à savoir son sexe biologique – « qui ne peut être modifiée », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. À cet égard, je signale que la proposition initiale de la Commission relative à la directive 2004/83 renvoyait expressément aux « caractéristiques essentielles » du groupe, « comme l’orientation sexuelle, l’âge ou le sexe » ( 36 ), la Cour jugeant, en outre, dans l’arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. ( 37 ), qu’« il est constant que l’orientation sexuelle d’une personne constitue une caractéristique à ce point essentielle pour son identité qu’il ne devrait pas être exigé qu’elle y renonce » ( 38 ).

    72.

    En ce qui concerne la seconde condition, celle-ci présuppose que, dans le pays d’origine, le groupe social dont les membres partagent le même genre a son identité propre parce qu’il est perçu par la société environnante comme constituant un ensemble différent. Selon le HCR, le groupe doit être visible ( 39 ). Cette perception varie non seulement selon les pays, les communautés ethniques ou religieuses, ou bien encore le contexte politique, mais aussi selon le comportement de la personne concernée ( 40 ). Or, le genre est un concept sociologique qui est employé de façon à prendre en compte, au-delà du sexe biologique, les valeurs et représentations qui lui sont associées. Ainsi, le genre est une notion qui doit permettre de mettre en évidence le fait que les relations entre les femmes et les hommes, dans une société donnée, ainsi que les inégalités qui peuvent en découler en raison des rôles masculins et féminins assignés sur la base de différences biologiques, sont acquises et construites par les sociétés et peuvent donc évoluer différemment au fil du temps et en fonction des sociétés et des communautés ( 41 ). Dans ce contexte, je pense que les femmes, en raison de leur seule condition de femmes, constituent un exemple d’ensemble social défini par des caractéristiques innées et immuables susceptibles d’être perçues différemment par la société, selon leur pays d’origine, et ce en raison des normes sociales, juridiques ou religieusesde ce pays ou des coutumes de la communauté à laquelle elles appartiennent ( 42 ). Le fait que ce groupe social soit constitué de femmes dans une société donnée (et non par « les femmes » en général) ( 43 ) ne me semble pas faire obstacle en soi à ce qu’on reconnaisse l’identité propre de ce groupe en raison de sa seule dimension. En effet, la notion d’« identité propre » d’un groupe, en tant qu’il est perçu d’une manière différente par la société environnante, ne saurait être interprétée comme impliquant de procéder à une appréciation quantitative ( 44 ).

    73.

    Au regard de ces éléments, je pense qu’une autorité nationale compétente peut, à l’issue de l’évaluation des faits et des circonstances qu’elle doit mener conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous a) à c), de la directive 2011/95, considérer que la demandeuse appartient, en raison de son genre, à un « certain groupe social », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de cette directive.

    74.

    En second lieu, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser si des actes de persécution tels que ceux visés au considérant 30 de la directive 2011/95 et auxquels peut être exposée la demandeuse dans son pays d’origine peuvent être pris en compte pour déterminer l’identité propre d’un groupe dans ce pays ou bien si ces actes sont uniquement ceux énoncés à l’article 9, paragraphe 2, sous a) et f), de cette directive.

    75.

    Le considérant 30 de ladite directive indique que, « [a]ux fins de la définition d’un certain groupe social, il convient de prendre dûment en considération les questions liées au genre du demandeur – notamment l’identité de genre et l’orientation sexuelle, qui peuvent être liées à certaines traditions juridiques et coutumes, résultant par exemple dans des mutilations génitales, des stérilisations forcées ou des avortements forcés – dans la mesure où elles se rapportent à la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ».

    76.

    Ce considérant 30 apporte des précisions pour permettre de mieux définir le motif de persécution que constitue l’appartenance à un « certain groupe social ». Il énumère un certain nombre d’actes de persécutions qui peuvent être relevés aux fins de la définition d’un tel groupe. En effet, c’est la nature des actes de persécution, lesquels renvoient à certaines victimes, qui permet de caractériser l’« identité propre » d’un groupe social. Les actes mentionnés audit considérant 30 ne constituent pas seulement des actes de persécution, complétant ainsi la liste non exhaustive figurant à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2011/95, mais permettent également l’identification d’un « certain groupe social ». Ainsi, il découle clairement du considérant 30 de cette directive que la nature des actes auxquels une femme craint d’être exposée dans son pays d’origine, en raison de son genre, peut être un élément pertinent afin de déterminer son appartenance à un certain groupe social et, en particulier, l’« identité propre » de ce groupe dans le pays d’origine. Si, ainsi que je l’ai déjà mentionné ( 45 ), un acte de persécution à l’encontre d’un groupe peut être un élément pertinent pour déterminer la visibilité de ce groupe dans une société donnée ( 46 ), cela ne signifie pas pour autant que toutes les personnes qui craignent d’être exposées à des actes de persécution dans leur pays d’origine pourraient être considérées comme appartenant à un certain groupe social. C’est la raison pour laquelle, à ce considérant, le législateur de l’Union a posé, selon moi, plusieurs limites. Tout d’abord, il se réfère à des actes qui sont particulièrement représentatifs des actes de violence fondés sur le genre, en tant qu’ils sont dirigés contre une personne en raison de son sexe ou de son identité ou qu’ils touchent de manière disproportionnée les personnes d’un sexe en particulier. Ensuite, il vise des actes qui emportent une violation grave des droits fondamentaux de cette personne. Enfin, il se réfère à des actes qui relèvent d’un usage général et répété et dont l’autorité est reconnue soit par la loi, soit par la coutume. Il en résulte que, aux termes dudit considérant, une enfant ou une adolescente pourrait être considérée comme appartenant à un groupe visible ou identifiable dans la société dans la mesure où elle serait exposée en cas de retour dans son pays d’origine à une tradition ou une coutume telle que l’excision ( 47 ).

    77.

    Par ailleurs, en employant l’expression « par exemple », le législateur de l’Union a témoigné de sa volonté de ne pas limiter la prise en compte des actes de violence fondés sur le genre aux mutilations génitales, aux stérilisations forcées ou bien encore aux avortements forcés. Par conséquent, rien ne s’oppose, à mon sens, à ce qu’une autorité nationale compétente considère une enfant, une adolescente ou bien une femme comme appartenant à un certain groupe social au motif qu’elle serait exposée, en cas de retour dans son pays d’origine, à un risque de mariage forcé, cet acte s’accompagnant de sévices moraux et d’abus physiques donnant lieu « à des violations odieuses des droits fondamentaux des personnes, surtout des femmes », pour reprendre les termes employés par l’avocat général Mengozzi ( 48 ). Cela d’autant plus que les mariages forcés génèrent notamment des viols et d’autres formes de violences sexuelles.

    78.

    Quant aux actes de violence domestique, je tirerai une conclusion identique dans la mesure où la violence domestique peut se traduire par des actes d’une extrême gravité et par des violences répétées susceptibles d’aboutir à une violation grave des droits fondamentaux de la personne ( 49 ). Je ne vois donc aucune raison s’opposant à ce qu’une autorité nationale compétente considère, à l’issue d’une évaluation des faits et des circonstances propres à chaque cas d’espèce, qu’une femme qui serait contrainte de retourner dans son pays d’origine appartient à un groupe ayant son identité propre dans ce pays au motif qu’elle serait exposée dans ledit pays, du fait de son retour, à des actes de violences conjugales graves (coups, viol et autres sévices sexuels, etc.) traditionnels dans certaines communautés. Dans le cadre de cette appréciation individuelle, la demandeuse doit évidemment fournir l’ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques et sociologiques, relatifs aux risques qu’elle encourt personnellement. L’autorité nationale compétente doit tenir compte non seulement de sa personnalité, de son âge, de son niveau d’éducation, de son origine, de son histoire et de son statut social, mais également des informations générales sur le pays d’origine et, en particulier, des normes en vigueur, sociales ou coutumières, prévalant dans ce pays, la région, le groupe ou l’ethnie, ainsi que l’état de la législation en vigueur et la mise en œuvre de celle-ci.

    79.

    Enfin, je pense que les termes du considérant 30 de la directive 2011/95 permettent également de tenir compte des risques particuliers auxquels sont exposées les femmes qui ne se conformeraient pas aux normes sociales de leur pays d’origine ou tenteraient de s’y opposer. Bien qu’il n’existe pas de liste exhaustive des différents groupes sociaux que les autorités nationales compétentes ont pu identifier sur cette base, une étude de la jurisprudence nationale et des rapports d’information sur les pays d’origine publiés par l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) ( 50 ) permettent d’en identifier certains. Ainsi, dans les pays et les sociétés dans lesquels l’excision est la norme sociale, les enfants et adolescentes qui se soustraient à une telle pratique sont considérées comme étant identifiables et comme relevant d’un groupe ayant une identité propre ( 51 ) dès lors qu’elles s’exposent à des actes d’humiliation, des mesures d’exclusion et de représailles en cas de retour dans leur pays d’origine ( 52 ). De la même façon, les femmes refusant des mariages forcés, dans une population au sein de laquelle une telle pratique est courante au point de constituer une norme sociale ( 53 ), ont été considérées comme faisant partie d’un groupe ayant une identité propre au sens de la directive 2011/95 ( 54 ) dès lors qu’elles s’exposent au regard réprobateur de leur communauté ainsi qu’à des actes de violence susceptibles de menacer leur intégrité physique ( 55 ).

    80.

    Le HCR estime de manière semblable que les femmes afghanes qui reviennent d’un exil en Europe où elles ont pu adopter des normes et des valeurs occidentales, contraires aux rôles que leur attribuent la société, la tradition, voire le système juridique de leur pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à un certain groupe social ( 56 ). Le rapport d’information de l’AUEA sur l’Afghanistan (2023) fait ainsi clairement état du fait qu’une femme ou une jeune femme afghane ayant vécu selon un mode de vie occidental, en raison de son comportement, de ses relations affectives, de son apparence, de ses activités, de ses opinions, de sa profession et/ou de son séjour à l’étranger, est susceptible d’être considérée comme transgressant les normes sociales et religieuses établies et d’être exposée aux violences domestiques, à des punitions corporelles et d’autres formes de châtiment allant de l’isolement ou de la stigmatisation aux crimes d’honneur pour celles accusées de jeter l’opprobre sur leur famille, leur communauté ou leur tribu ( 57 ).

    81.

    La Cour est actuellement saisie de cette question très précise dans le cadre de la demande de décision préjudicielle introduite dans l’affaire Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Personnes s’identifiant aux valeurs de l’Union) (C-646/21), relative à la situation de jeunes femmes irakiennes, après qu’une demande en substance identique dans l’affaire Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (C-456/21), relative, quant à elle, à de jeunes femmes afghanes, a été retirée ( 58 ).

    82.

    Au regard de ces considérations, j’estime que l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’une ressortissante de pays tiers peut être considérée comme appartenant à un « certain groupe social » en raison de son genre dès lors qu’il est établi, sur la base d’une évaluation des faits et des circonstances, que, au-delà de sa seule appartenance sexuelle, c’est-à-dire de son identité et de son statut de femme, celle-ci dispose d’une identité propre dans son pays d’origine parce qu’elle est perçue différemment par la société environnante en raison des normes sociales, juridiques ou religieuses ou bien encore des rites ou des coutumes de son pays ou de la communauté à laquelle elle appartient. Dans le cadre de cette appréciation, la nature des actes auxquels cette ressortissante craint d’être exposée si elle est renvoyée dans son pays d’origine est un élément pertinent que l’autorité nationale compétente doit prendre en considération.

    3. Sur la quatrième question préjudicielle relative à l’établissement du lien de causalité entre le motif de la persécution et l’absence de protection contre l’acte de persécution (article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95)

    83.

    Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’actes de violence domestique exercés par un acteur non étatique, l’autorité nationale compétente est tenue d’établir un lien de causalité entre le motif de la persécution et l’absence de protection de la part de l’État ou des partis ou organisations qui contrôlent ce dernier.

    84.

    À titre liminaire, il faut signaler que, pour que des actes de violence domestique, commis, par définition, par des acteurs non étatiques, soient considérés comme des actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2011/95, l’autorité nationale compétente doit prendre en considération, conformément à l’article 6, sous c), de cette directive, le fait que l’État ou le parti ou l’organisation contrôlant ce dernier ne peut pas ou ne veut pas accorder sa protection à la victime.

    85.

    Cette démonstration est essentielle, l’incapacité ou, à l’inverse, la capacité du pays d’origine à assurer une protection contre des actes de persécution constituant un élément décisif de l’appréciation des circonstances conduisant à l’octroi ou, le cas échéant, à la cessation du statut de réfugié ( 59 ). En effet, ainsi que je l’ai relevé dans mes conclusions dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité familiale) ( 60 ), la protection internationale est une protection de substitution qui est accordée à un demandeur lorsque, et tant que, son pays d’origine n’est pas en mesure de le protéger des risques de persécutions ou des atteintes graves dont il est victime ou ne souhaite pas le protéger ( 61 ), sa crainte étant alors considérée comme fondée.

    86.

    Cette appréciation de l’existence ou non d’une protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit se faire conformément aux exigences prévues à l’article 7 de la directive 2011/95 ( 62 ).

    87.

    Premièrement, l’article 7, paragraphe 1, de cette directive définit les acteurs de cette protection. Celle-ci doit être accordée soit par l’État, soit par des partis ou organisations qui contrôlent ce dernier ou une partie importante de son territoire. L’autorité nationale compétente, pour apprécier l’existence de ladite protection, doit alors s’assurer que ces derniers ont non seulement la capacité, mais également la volonté de protéger le demandeur contre les persécutions ou les atteintes graves auxquelles il est exposé. Cet aspect est particulièrement important lorsque le demandeur de protection internationale est une femme qui craint d’être victime d’actes de violence domestique commis dans le cercle familial si elle retourne dans son pays d’origine.

    88.

    Deuxièmement, aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2011/95, la protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Cela implique que les acteurs de cette protection adoptent des mesures raisonnables pour empêcher les persécutions ou les atteintes graves ( 63 ), et que le demandeur ait accès à ladite protection. Cette disposition renvoie à la capacité de l’État dont le demandeur a la nationalité de prévenir ou de sanctionner les actes de persécution au sens de cette directive.

    89.

    L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 exige, en outre, de l’autorité nationale compétente qu’elle établisse un lien entre les motifs de la persécution mentionnés à l’article 10 de cette directive et les actes de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive ou l’absence de protection contre de tels actes.

    90.

    Dans un cas de figure tel que celui en cause dans l’affaire au principal, l’autorité nationale compétente est alors tenue d’évaluer si un lien de causalité peut être établi entre, d’une part, les motifs sur lesquels reposent les actes de violence domestique commis au sein du foyer ou du cercle familial, à savoir l’appartenance à un certain groupe social, et, d’autre part, l’absence de protection de la part des autorités du pays d’origine, au sens de l’article 7 de la directive 2011/95, contre ces actes.

    91.

    Cette évaluation est essentielle afin d’établir l’impossibilité pour la ressortissante de pays tiers de se réclamer de la protection de ce pays et la justification de son refus de le faire au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, du fait de l’incapacité ou de l’absence de volonté dudit pays de prévenir lesdits actes, de les poursuivre et de les sanctionner.

    92.

    Ladite évaluation peut être particulièrement difficile à mener.

    93.

    S’agissant des motivations des acteurs non étatiques qui conduisent à des violences, les déclarations du demandeur comportent des éléments nécessairement subjectifs et ne sont pas toujours étayées par des preuves directes ou documentaires. À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que la DAB a considéré que la « demandeuse est majeure et n’a pas indiqué être persécutée en raison de son genre » lors de la présentation des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale. Toutefois, une telle demande ne saurait être rejetée au motif que le ressortissant de pays tiers concerné n’a pas indiqué que les actes de violence auxquels il est exposé dans son pays d’origine ont un lien avec l’un des motifs énumérés à l’article 2, sous d), de la directive 2011/95. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que les déclarations d’un demandeur de protection internationale ne constituent que le point de départ du processus d’évaluation des faits et des circonstances mené par les autorités compétentes. Si cette directive dispose, à son article 4, paragraphe 1, que les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de protection internationale de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, la même disposition prévoit qu’il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec ce demandeur, les éléments pertinents de sa demande ( 64 ). Or, parmi les éléments pertinents soumis à l’évaluation des autorités nationales compétentes, l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive mentionne « les raisons justifiant la demande de protection internationale », lesquelles incluent nécessairement le motif des actes de persécution auxquels le demandeur soutient être exposé ( 65 ).

    94.

    S’agissant de la protection contre les persécutions ou les atteintes graves offerte par le pays d’origine, l’autorité nationale compétente doit déterminer la mesure dans laquelle celle-ci satisfait aux exigences de l’article 7 de la directive 2011/95 et, en particulier, si cette protection est effective.

    95.

    Ainsi, conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2011/95, cette autorité doit procéder à l’évaluation individuelle de la demande de protection internationale en tenant compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine, y compris les lois et les règlements de ce pays et la manière dont ils sont appliqués. En outre, en application de l’article 4, paragraphe 5, sous c), de cette directive, le caractère plausible et cohérent des déclarations du demandeur doit être apprécié au regard des informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ( 66 ).

    96.

    Dans ce contexte, l’AUEA indique, dans son rapport d’information sur la situation en Turquie du mois de novembre 2016 ( 67 ), que, malgré les réformes législatives introduites dans ce pays tendant à garantir l’égalité des hommes et des femmes ainsi qu’à prévenir les différentes formes de violence commises à l’égard des femmes, dont la violence domestique ( 68 ), les efforts mis en œuvre par les autorités étatiques pour combattre ces violences demeureraient inadéquats et inefficaces concernant l’accès des victimes à l’information, à une aide juridique, à l’enregistrement des plaintes, à la justice, les ordonnances d’injonction ou de protection étant rarement appliquées par les autorités policières. Quant aux services de soutien, tels que les refuges ou les centres d’aide aux victimes destinés à accueillir les femmes, dont le nombre serait insuffisant, ils seraient inadéquats. S’agissant des « crimes d’honneur » et de la violence domestique, ce rapport relève que le taux de condamnation serait particulièrement bas, la majorité des crimes étant commis dans les familles conservatrices du sud-est de la Turquie. Je signale que ledit rapport ne tient pas compte du retrait de la Turquie de la convention d’Istanbul intervenu au cours de l’année 2021 ( 69 ).

    97.

    De la même façon, je souligne que la Cour européenne des droits de l’homme a fait état, dans son arrêt M.G. c. Turquie ( 70 ), du même constat que celui qu’elle avait dressé en 2009 dans son arrêt Opuz c. Turquie ( 71 ) et en 2014 dans son arrêt Durmaz c. Turquie ( 72 ), à savoir celui de la passivité judiciaire généralisée et discriminatoire déjà constatée dans les affaires contre la Turquie en matière de violence domestique et de l’inaccessibilité des mesures de protection accordées aux femmes non mariées ou divorcées.

    98.

    Au regard de ces éléments, je pense que l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’actes de persécution commis par un acteur non étatique, l’autorité nationale compétente est tenue d’établir, à l’issue d’une évaluation individuelle de la demande de protection internationale tenant compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine, y compris les lois et les règlements de ce pays et la manière dont ils sont appliqués, s’il existe un lien de causalité entre, d’une part, les motifs sur lesquels reposent ces actes de violence, à savoir l’appartenance de la ressortissante de pays tiers à un certain groupe social, et, d’autre part, l’absence de protection de la part des autorités du pays d’origine, au sens de l’article 7 de cette directive.

    B.   Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, au sens de l’article 2, sous f), de la directive 2011/95

    99.

    Par sa cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite être éclairée sur les conditions d’octroi de la protection subsidiaire, telles qu’elles sont définies à l’article 2, sous f), de la directive 2011/95, à une ressortissante de pays tiers à laquelle le statut de réfugié ne peut être reconnu, mais qui courrait un risque d’être victime d’un crime d’honneur ainsi que d’actes de violence domestique, d’un mariage forcé et de mesures de stigmatisation si elle est renvoyée dans son pays d’origine.

    100.

    Cette juridiction concentre sa question sur deux aspects que j’examinerai successivement.

    101.

    Le premier aspect concerne la mesure dans laquelle les actes de violence que cette ressortissante risque de subir peuvent être qualifiés d’« atteintes graves », au sens de l’article 15 de la directive 2011/95, en tant soit qu’ils menaceraient gravement sa vie, soit qu’ils constitueraient un traitement inhumain ou dégradant.

    102.

    Le second aspect concerne l’exigence selon laquelle la ressortissante de pays tiers doit être exposée à un risque réel de subir les atteintes graves visées à l’article 15 de la directive 2011/95, celle-ci ne pouvant ou n’étant dès lors pas disposée à se prévaloir de la protection de son pays d’origine.

    1. Sur la qualification d’« atteintes graves » des actes de violence que la ressortissante de pays tiers risque de subir, au sens de l’article 15 de la directive 2011/95

    103.

    La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 2, sous f), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, dans la situation dans laquelle une ressortissante de pays tiers soutient courir le risque d’être victime d’un crime d’honneur et de subir des actes de violence fondés sur le genre si elle est renvoyée dans son pays d’origine, il est suffisant d’établir l’existence d’un risque réel de subir « la peine de mort ou l’exécution », au sens de l’article 15, sous a), de cette directive, ou s’il est nécessaire d’établir, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, l’existence d’un risque de « traitements ou sanctions inhumains ou dégradants », au sens de l’article 15, sous b), de ladite directive.

    104.

    L’article 15 de la directive 2011/95 définit trois types d’« atteintes graves » dont la caractérisation est de nature à entraîner, pour la personne qui les subit, l’octroi de la protection subsidiaire. Y figurent notamment l’atteinte grave définie, à l’article 15, sous a), de cette directive (lequel correspond, en substance, à l’article 2 de la CEDH ainsi qu’à l’article 1er du protocole no 6 de celle-ci ( 73 )), comme « la peine de mort ou l’exécution », et celle définie, à l’article 15, sous b), de ladite directive (lequel correspond, en substance, à l’article 3 de la CEDH ( 74 )), comme « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ». Ainsi que l’a reconnu la Cour, ces« atteintes graves » couvrent des situations dans lesquelles le demandeur de protection internationale est « exposé spécifiquement au risque d’une atteinte d’un type particulier » ou à des « violences déterminées » ( 75 ).

    105.

    Je relève que les « atteintes graves » que risque de subir le demandeur de protection internationale sont énumérées à l’article 15, sous a) et b), de la directive 2011/95 de manière alternative : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants » ( 76 ). Cette énumération témoigne de la volonté du législateur de l’Union de couvrir le plus largement possible les situations dans lesquelles le ressortissant de pays tiers doit bénéficier d’une protection internationale, quand bien même la qualité de réfugié lui aurait été refusée.

    106.

    S’agissant de la notion de « crime d’honneur », il ressort des travaux effectués par le Conseil de l’Europe que celle-ci vise tout acte par lequel un membre de la famille ou de la communauté tue, mutile, brûle ou blesse une femme dans le but de rétablir l’honneur de la famille, au motif que celle-ci a, par son choix de vie, sa volonté d’émancipation, le refus d’un mariage ou bien encore son orientation sexuelle, transgressé des normes culturelles, religieuses, ou traditionnelles ( 77 ). Cet acte, en tant qu’il consisterait pour un membre de la famille ou de la communauté à tuer une personne, peut être appréhendé sous l’angle de l’article 15, sous a), de la directive 2011/95 dès lors qu’il consisterait en une « exécution ».

    107.

    Il me semble important de ne pas réserver la notion d’« exécution » à un acte commis par des autorités étatiques. En effet, si ce « crime d’honneur » consiste à donner la mort à une personne, il ne peut pas seulement être qualifié de « torture ou [de] traitements ou sanctions inhumains ou dégradants », au sens de l’article 15, sous b), de la directive 2011/95, au seul motif qu’il serait commis par un acteur non étatique. En outre, l’article 6 de cette directive dispose que les acteurs des atteintes graves peuvent être des acteurs non étatiques s’il peut être démontré que l’État ou des partis ou organisations qui contrôlent ce dernier ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder de protection contre les atteintes graves. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 2 de la CEDH recouvre les situations dans lesquelles l’État a manqué à son obligation de protéger la vie d’une personne, alors qu’il était informé de l’existence d’une menace réelle et immédiate pour la vie de celle-ci en raison des agissements criminels d’un tiers. Ainsi, dans l’arrêt Opuz c. Turquie ( 78 ), cette Cour a jugé que l’État avait l’obligation de prendre, de façon préventive, des mesures d’ordre pratique pour protéger une personne victime de violence domestique et qui était identifiable à l’avance comme étant une cible potentielle d’une action meurtrière en vue de défendre l’honneur. Selon ladite Cour, l’article 2 de la CEDH impose, par conséquent, à l’État d’assurer le droit à la vie par la mise en place d’une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations ( 79 ).

    108.

    Dans ces circonstances, à partir du moment où l’autorité nationale compétente constate, à la suite d’une appréciation globale des circonstances spécifiques du cas d’espèce, que l’intéressée court un risque d’être exécutée au nom de l’honneur de sa famille ou de sa communauté et que ce risque est réel et fondé, en raison de l’absence de protection des autorités de son pays d’origine, un tel acte doit être qualifié d’« exécution », au sens de l’article 15, sous a), de la directive 2011/95, et peut entraîner, en soi, l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire si les autres conditions énoncées à cette fin sont satisfaites.

    109.

    L’octroi de ce statut n’exige pas d’établir que l’intéressée se trouverait, de surcroît, exposée au risque d’être victime d’actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, au sens de l’article 15, sous b), de cette directive.

    110.

    Je signale toutefois que l’autorité nationale compétente doit procéder à une caractérisation complète des atteintes graves que l’intéressée risque de subir si elle est renvoyée dans son pays d’origine ( 80 ). D’une part, cela découle des exigences posées à l’article 4 de la directive 2011/95, en vertu duquel l’autorité nationale compétente est tenue de mener un examen approprié et efficace de la demande de protection internationale afin de garantir une évaluation exhaustive des besoins de protection de l’intéressée. À cet égard, je rappelle que cette autorité a déjà évalué la nature et la portée des actes auxquels s’expose l’intéressée dans son pays d’origine dans le cadre de l’examen des conditions posées aux fins de l’octroi du statut de réfugié. D’autre part, cela doit permettre d’éviter les situations délicates dans lesquelles l’intéressée serait considérée, en application de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2011/95, comme cessant d’être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire en raison d’un changement de circonstances dans le pays d’origine et se verrait donc retirer de manière prématurée son statut à la suite d’une caractérisation insuffisante des risques ( 81 ).

    111.

    Il résulte de ces éléments que l’article 2, sous f), et l’article 15 de la directive 2011/95 doivent être interprétés en ce sens que, dans la situation dans laquelle l’autorité nationale compétente établit, à la suite d’une appréciation globale des circonstances spécifiques du cas d’espèce, que, en cas de retour dans son pays d’origine, cette ressortissante risque non seulement d’être exécutée au nom de l’honneur de sa famille ou de sa communauté, mais également d’être victime d’actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants découlant d’actes de violence domestique ou de tout autre acte de violence fondé sur le genre, cette autorité est tenue de caractériser ces actes comme constituant des « atteintes graves ».

    2. Sur l’établissement d’un risque réel de subir les atteintes graves, au sens de l’article 2, sous f), de la directive 2011/95

    112.

    La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 2, sous f), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, dans la situation dans laquelle une ressortissante de pays tiers soutient courir un risque d’être victime d’un crime d’honneur et de subir des actes de violence fondés sur le genre si elle est renvoyée dans son pays d’origine, il suffit d’établir que cette personne n’est pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays, ou s’il est exigé d’établir les raisons pour lesquelles celle-ci ne souhaite pas se prévaloir de cette protection.

    113.

    À cet égard, la juridiction de renvoi se réfère aux constatations opérées par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt N. c. Suède ( 82 ) quant à la violation de l’article 3 de la CEDH dans une situation dans laquelle une ressortissante afghane, qui est séparée de son époux et qui ne se conforme pas aux rôles que lui attribuent la société, la tradition, voire le système juridique, s’expose à un risque de mauvais traitements en cas de renvoi vers son pays d’origine, les conditions d’accueil et de vie dans les refuges pour femmes contraignant ces femmes à retourner dans leur foyer où elles sont victimes d’abus ou de crimes d’honneur.

    114.

    Dans le cadre du régime d’asile européen commun, la protection subsidiaire complète les règles relatives au statut de réfugié établies par la convention de Genève.

    115.

    Conformément à l’article 2, sous f), de la directive 2011/95, une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est une personne qui ne peut être considérée comme un réfugié, mais pour laquelle il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15 de cette directive, cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

    116.

    Ainsi, à l’image de la définition de la notion de « réfugié », énoncée à l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, qui exige d’établir le caractère fondé de la crainte du demandeur de protection internationale d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine, la définition de la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », visée à l’article 2, sous f), de cette directive, impose, de la même façon, d’établir le caractère fondé du risque auquel s’expose ce demandeur de subir des atteintes graves une fois de retour dans ce pays. Je rappelle que cette démonstration est nécessaire afin d’établir l’impossibilité pour cette personne ou le refus justifié de celle-ci de se réclamer de la protection de son pays d’origine et exige de l’autorité nationale compétente qu’elle apprécie, sur le fondement de l’article 7 de ladite directive, la capacité et la volonté de ce pays de prévenir ces actes, de les poursuivre et de les sanctionner.

    117.

    Je précise, à cet égard, que les exigences énoncées à cet article quant à la nature et à la portée de la protection requise concernent tant les persécutions auxquelles le demandeur risque d’être exposé que les atteintes graves que ce dernier risque de subir s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Or, au moment où l’autorité nationale compétente examine si le demandeur satisfait aux conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire, elle a déjà établi la capacité ou l’incapacité ainsi que la volonté ou l’absence de volonté du pays d’origine d’assurer la protection requise à l’article 7 de la directive 2011/95, et ce dans le cadre de l’examen des conditions d’octroi du statut de réfugié.

    118.

    Il résulte de ces considérations que l’article 2, sous f), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, dans la situation dans laquelle une ressortissante de pays tiers soutient courir un risque d’être victime d’un crime d’honneur et de subir des actes de violence fondés sur le genre si elle est renvoyée dans son pays d’origine, l’autorité nationale compétente est tenue d’établir si l’État ou des partis ou organisations contrôlant ce dernier offrent une protection contre cette atteinte grave répondant aux exigences énoncées à l’article 7 de cette directive afin de déterminer si ce risque est fondé.

    V. Conclusion

    119.

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie) de la manière suivante :

    Dans la situation dans laquelle une ressortissante de pays tiers introduit une demande de protection internationale au motif qu’elle craint, si elle est renvoyée dans son pays d’origine, d’être victime d’un crime d’honneur ou d’un mariage forcé ainsi que d’être exposée à des actes de violence domestique commis au sein de son foyer :

    1)

    L’article 2, sous d), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection,

    doit être interprété en ce sens que :

    les conditions d’octroi du statut de réfugié à une personne qui craint d’être victime d’actes de violence fondés sur le genre en cas de retour dans son pays d’origine doivent être examinées à l’aune des dispositions prévues à cette fin par cette directive, lesquelles doivent être interprétées à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, conformément à l’article 78, paragraphe 1, TFUE, et non en se fondant sur les définitions figurant dans la convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et dans la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul), qui ne sont pas des « traités pertinents » au sens de cet article.

    Cette interprétation doit également se faire dans le respect des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    2)

    L’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95

    doit être interprété en ce sens que :

    une ressortissante de pays tiers peut être considérée comme appartenant à un « certain groupe social » en raison de son genre dès lors qu’il est établi, sur la base d’une évaluation des faits et des circonstances, que, au-delà de sa seule appartenance sexuelle, c’est-à-dire de son identité et de son statut de femme, celle-ci dispose d’une identité propre dans son pays d’origine parce qu’elle est perçue différemment par la société environnante en raison des normes sociales, juridiques ou religieuses ou bien encore des rites ou des coutumes de son pays ou de la communauté à laquelle elle appartient. Dans le cadre de cette appréciation, la nature des actes auxquels cette ressortissante craint d’être exposée si elle est renvoyée dans son pays d’origine est un élément pertinent que l’autorité nationale compétente doit prendre en considération.

    3)

    L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95

    doit être interprété en ce sens que :

    dans le cas d’actes de persécution commis par un acteur non étatique, l’autorité nationale compétente est tenue d’établir, à l’issue d’une évaluation individuelle de la demande de protection internationale tenant compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine, y compris les lois et les règlements de ce pays et la manière dont ils sont appliqués, s’il existe un lien de causalité entre, d’une part, les motifs sur lesquels reposent ces actes de violence, à savoir l’appartenance de la ressortissante de pays tiers à un certain groupe social, et, d’autre part, l’absence de protection de la part des autorités du pays d’origine, au sens de l’article 7 de cette directive.

    4)

    Dans le cadre de l’appréciation des conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, l’article 2, sous f), et l’article 15 de la directive 2011/95

    doivent être interprétés en ce sens que :

    dans la situation dans laquelle l’autorité nationale compétente établit, à la suite d’une appréciation globale des circonstances spécifiques du cas d’espèce, que, en cas de retour dans son pays d’origine, cette ressortissante risque non seulement d’être exécutée au nom de l’honneur de sa famille ou de sa communauté, mais également d’être victime d’actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants découlant d’actes de violence domestique ou de tout autre acte de violence fondé sur le genre, cette autorité est tenue de caractériser ces actes comme constituant des « atteintes graves ».

    Afin de déterminer si ce risque est fondé, l’autorité nationale compétente est tenue d’établir si les autorités de l’État ou des partis ou organisations contrôlant ce dernier offrent une protection contre cette atteinte grave répondant aux exigences énoncées à l’article 7 de cette directive.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

    ( 3 ) Au regard des faits de l’affaire en cause au principal, les présentes conclusions abordent la question des violences domestiques commises à l’égard des femmes. Il convient toutefois de rappeler que, comme l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt de principe du 9 juin 2009, Opuz c. Turquie (CE:ECHR:2009:0609JUD003340102, § 132), la violence domestique « ne concerne pas exclusivement les femmes. Les hommes peuvent eux aussi faire l’objet de violences domestiques, ainsi que les enfants, qui en sont souvent directement ou indirectement victimes ».

    ( 4 ) C‑930/19, EU:C:2021:225.

    ( 5 ) Points 94 et suiv. de ces conclusions.

    ( 6 ) EU:C:2021:198. La convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ci-après la « convention d’Istanbul »), adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, est entrée en vigueur le 1er août 2014 (Série des traités du Conseil de l’Europe, no 210). Tous les États membres de l’Union européenne l’ont signée et ratifiée à l’exception de la République de Bulgarie, la République tchèque, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la Hongrie et la République slovaque qui ne l’ont pas ratifiée. La République de Turquie a ratifié cette convention le 14 mars 2012 et en a annoncé son retrait par un acte en date du 22 mars 2021, ce retrait étant entré en vigueur le 1er juillet 2021.

    ( 7 ) Point 161 de ces conclusions.

    ( 8 ) Convention entrée en vigueur le 22 avril 1954 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)] (ci-après la « convention de Genève »), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967.

    ( 9 ) Convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1979 et entrée en vigueur le 3 septembre 1981 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 1249, p. 13, no 20378 (1981)].

    ( 10 ) Recommandation adoptée lors de la onzième session (1992).

    ( 11 ) Recommandation adoptée le 26 juillet 2017.

    ( 12 ) Déclaration adoptée le 20 décembre 1993 par l’Assemblée générale des Nations unies dans la résolution 48/104.

    ( 13 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».

    ( 14 ) DV no 54, du 31 mai 2002.

    ( 15 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

    ( 16 ) En vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2013/32, l’autorité nationale compétente doit déterminer si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié avant d’examiner s’il remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. Voir, à cet égard, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:584, point 89).

    ( 17 ) Selon les circonstances particulières de chaque cas d’espèce, je pense que ces actes de violence peuvent emporter en raison soit de leur nature, soit de leur répétition une « violation grave des droits fondamentaux de l’homme », au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, ou atteindre un « certain niveau de gravité », au sens de l’arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 22 et jurisprudence citée). À ce sujet, le HCR relève, dans ses principes directeurs sur la protection internationale no 1 : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés (ci-après les « principes directeurs sur la persécution liée au genre »), du 8 juillet 2008, qu’il ne fait aucun doute que « le viol et d’autres formes de violences liées au genre, comme la violence liée à la dot, les mutilations génitales féminines, la violence familiale et la traite des êtres humains [...], sont des actes infligeant de graves souffrances, tant mentales que physiques, et qui sont utilisés comme des formes de persécution, qu’ils soient perpétrés par des États ou par des personnes privées » (point 9). Voir également, dans le même sens, point 310 du rapport explicatif de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Série des traités du Conseil de l’Europe, no 210, ci-après le « rapport explicatif de la convention d’Istanbul »).

    ( 18 ) Le point 44 du rapport explicatif de la convention d’Istanbul précise que la notion de « violence à l’égard des femmes fondée sur le genre » se distingue d’autres formes de violence en tant que le « genre de la victime est le motif principal pour les actes de violence décrits à l’alinéa a [violence à l’égard des femmes]. En d’autres termes, la violence fondée sur le genre fait référence à tout dommage subi par une femme et constituant à la fois la cause et la conséquence de rapports de force inégaux fondés sur les différences perçues entre hommes et femmes et menant à la subordination des femmes dans les sphères à la fois publiques et privées ».

    ( 19 ) Point 300 de ce rapport explicatif.

    ( 20 ) Voir, également, article 18 de la Charte, ainsi que considérants 3, 4, 12, 23 et 24 de la directive 2011/95 [arrêts du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 80 ainsi que jurisprudence citée), et du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 20)].

    ( 21 ) Voir considérants 23 et 24 de la directive 2011/95. Voir, également, arrêts du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, points 81 et 83, ainsi que jurisprudence citée), et du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 19).

    ( 22 ) C‑238/19, EU:C:2020:945.

    ( 23 ) Point 49 de cet arrêt. Voir, également, arrêt du 24 avril 2018, MP (Protection subsidiaire d’une victime de tortures passées) (C‑353/16, EU:C:2018:276, points 54 à 56), dans lequel la Cour a distingué les mécanismes mis en œuvre par la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12), de ceux établis par la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 1465 p. 85, no 24841 (1987)].

    ( 24 ) Point 6 de ces principes directeurs. Le HCR relève, au point 5 desdits principes, que, « [h]istoriquement, la définition du réfugié a été interprétée dans un cadre d’expériences masculines, ce qui signifie que de nombreuses demandes émanant de femmes ou d’homosexuel(le)s n’ont pas été reconnues. Cependant, au cours des dix dernières années, l’analyse et la compréhension des considérations relatives au sexe et au genre dans le contexte des réfugiés ont progressé d’une manière considérable en droit jurisprudentiel, dans la pratique des États en général et dans les textes universitaires. Ces développements se sont appuyés sur l’évolution du droit et des normes internationaux en matière de droits humains [...], et en parallèle à cette évolution, ainsi que sur l’évolution des branches connexes du droit international, notamment la jurisprudence des Tribunaux internationaux pénaux de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda et le Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) ».

    ( 25 ) Ainsi qu’en témoignent les termes du considérant 30 de la directive 2011/95, les aspects liés à la notion de « genre » ont été introduits à l’occasion de la refonte de la directive 2004/83, se substituant à celle de « sexe » qui était précédemment employée.

    ( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 23 mai 2019, Bilali (C‑720/17, EU:C:2019:448, point 57 et jurisprudence citée), ainsi que considérant 22 de la directive 2011/95.

    ( 27 ) Point 3 de ces principes directeurs.

    ( 28 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (JO 2012, L 315, p. 57).

    ( 29 ) Voir, à cet égard, avis 1/19 (Convention d’Istanbul), du 6 octobre 2021 (ECLI:EU:C:2021:832). La prochaine étape, à savoir l’adhésion officielle de l’Union à la convention d’Istanbul, requiert l’adoption d’une décision du Conseil de l’Union européenne après approbation du Parlement européen. La finalisation de l’adhésion de l’Union à cette convention est une priorité de la stratégie de l’Union en faveur de l’égalité hommes-femmes pour la période 2020-2025 : voir communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Une Union de l’égalité : stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025 » [COM(2020) 152 final] (p. 4).

    ( 30 ) À l’heure actuelle, tous les États membres ont signé la convention d’Istanbul et 21 d’entre eux l’ont ratifiée (voir note en bas de page 6 des présentes conclusions), bien que la République de Pologne ait fait part, le 25 juillet 2020, de son intention de se retirer de cette convention, ce que l’Union et le Conseil de l’Europe ont condamné (voir Bulletin quotidien Europe, no 12536, Agence Europe, 28 juillet 2020, p. 7 et 8).

    ( 31 ) Par exemple, l’article 12, paragraphe 1, de la convention d’Istanbul demande aux États parties de prendre « les mesures nécessaires pour promouvoir les changements dans les modes de comportement socioculturels des femmes et des hommes en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toute autre pratique fondés sur l’idée de l’infériorité des femmes ou sur un rôle stéréotypé des femmes et des hommes ».

    ( 32 ) Voir arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 20 et jurisprudence citée).

    ( 33 ) Voir, à cet égard, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 89 et jurisprudence citée).

    ( 34 ) Voir, également, considérant 30 de la directive 2011/95.

    ( 35 ) Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2011/95 doit être lu conjointement avec le paragraphe 2 de cet article. Dans l’arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 86), la Cour a jugé que, « indépendamment de la question de savoir si la participation d’un ressortissant de l’Azerbaïdjan à l’introduction d’un recours contre ce pays devant la Cour européenne des droits de l’homme, afin de faire constater une méconnaissance des libertés fondamentales par le régime qui y est au pouvoir, traduit une “opinion politique” de la part de ce ressortissant, il importe d’examiner, dans le cadre de l’évaluation des motifs de persécution invoqués dans la demande de protection internationale déposée par ledit ressortissant, s’il existe des raisons fondées de craindre que ladite participation soit perçue par ledit régime comme un acte de dissidence politique contre lequel il pourrait envisager d’exercer des représailles ».

    ( 36 ) Voir article 12, sous d), de la proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts [COM(2001) 510 final].

    ( 37 ) C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720.

    ( 38 ) Point 46 de cet arrêt. La Cour a ajouté au même point que « [c]ette interprétation est corroborée par l’article 10, paragraphe 1, sous d), second alinéa, de la directive [2004/83], duquel il ressort que, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle ».

    ( 39 ) Voir principes directeurs sur la protection internationale no 2 : « L’appartenance à un certain groupe social » dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés (ci-après les « principes directeurs sur l’appartenance à un certain groupe social »), du 8 juillet 2008 (points 2 et 14). Cela ne signifie pas pour autant, comme le souligne la Commission dans ses observations, que toutes les personnes qui craignent d’être exposées à des actes de persécution dans leur pays d’origine pourraient être considérées comme appartenant à un certain groupe social au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95, car une telle interprétation priverait de tout effet utile les autres motifs visés à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive. Telle est également l’opinion exprimée par le HCR qui considère, dans ses principes directeurs sur l’appartenance à un certain groupe social, que le groupe social doit pouvoir être identifié indépendamment de la persécution, mais que, toutefois, un acte de persécution à l’encontre d’un groupe peut être un élément pertinent pour déterminer la visibilité de ce groupe dans une société donnée (points 2 et 14).

    ( 40 ) Dans ses principes directeurs sur l’appartenance à un certain groupe social, le HCR souligne que l’appartenance à un certain groupe social devrait être comprise dans un sens évolutif, ouverte à la diversité et aux changements de nature des groupes dans différentes sociétés, ainsi qu’à l’évolution des normes internationales des droits de l’homme (point 3).

    ( 41 ) Le rapport explicatif de la convention d’Istanbul précise que « le terme “genre”, fondé sur les deux sexes, masculin et féminin, explique qu’il existe également des rôles, des comportements, des activités et des attributs socialement construits, considérés comme étant appropriés pour les femmes et les hommes par une société donnée » (point 43).

    ( 42 ) Il est intéressant de relever que l’article 12, sous d), de la proposition de la Commission citée à la note en bas de page 36 des présentes conclusions relevait expressément que la notion de « groupe social » recouvrait « également les groupes de personnes considérées comme “inférieures” aux yeux de la loi ». Voir, aussi, principes directeurs sur la persécution liée au genre (point 30).

    ( 43 ) Voir principes directeurs sur la persécution liée au genre (point 31).

    ( 44 ) Ainsi que le relève le HCR dans ses principes directeurs sur la persécution liée au genre, adopter une interprétation de la convention de Genève qui prenne en compte le genre ne signifie pas que toutes les femmes ont automatiquement droit au statut de réfugié (point 4).

    ( 45 ) Voir note en bas de page 39 des présentes conclusions.

    ( 46 ) Voir principes directeurs sur l’appartenance à un certain groupe social (points 2 et 14).

    ( 47 ) Voir, par exemple, dans la jurisprudence française, Denis-Linton, M., et Malvasio, F., Trente ans de jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile et du Conseil d’État sur l’asile, Principales décisions de 1982 au 31 décembre 2011, mars 2012. Voir, également, arrêts du Conseil d’État (France) du 21 décembre 2012, Mme A... B... (no 332491), ainsi que de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (France) du 25 mars 2021, Mmes S. (nos 20006893 et 20006894 C), dans lequel la CNDA a reconnu la qualité de réfugiée à une enfant sénégalaise d’ethnie soninké née en France, le taux de prévalence de l’excision demeurant très élevé au sein de cette ethnie.

    ( 48 ) Conclusions dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, point 3). Dans ces conclusions, l’avocat général Mengozzi ajoute que, dans le cadre des mariages forcés, au moins l’un des époux s’engage sans donner son consentement de manière libre et entière et que la « volonté [des personnes, et surtout des femmes,] est soumise à une forme de coercition physique ou psychologique, telle que des menaces, d’autres formes de sévices moraux ou, dans les cas les plus graves, d’abus physiques » (point 2). Voir, également, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Belgische Staat (réfugiée mineure mariée) (C‑230/21, EU:C:2022:477, point 2).

    ( 49 ) Voir, sur la notion de « violence domestique », article 3, sous b), de la convention d’Istanbul. Comme le précise le rapport explicatif de cette convention, la violence domestique coïncide principalement avec deux types de violence : la violence entre partenaires intimes, que la relation soit en cours ou qu’elle ait pris fin, et la violence intergénérationnelle, en particulier entre parents et enfants.

    ( 50 ) Anciennement le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA). Pour permettre aux autorités nationales compétentes de satisfaire quotidiennement aux exigences énoncées à l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2011/95 et pour parvenir à une harmonisation des procédures d’examen des demandes de protection internationale dans les États membres, l’AUEA s’est vu confier la mission d’établir des rapports d’information comportant un examen, par thème, de la situation dans le pays ou la région d’origine du demandeur d’une protection internationale. Ces rapports sont établis sur la base d’une collecte d’informations « utiles, fiables, objectives, exactes et actualisées » sur les pays d’origine, en utilisant toutes les sources pertinentes d’information, notamment auprès d’organisations internationales, en particulier le HCR, et d’autres organisations concernées, y compris des membres des institutions, organes et organismes de l’Union et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) [voir article 9, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) 2021/2303 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2021, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) no 439/2010 (JO 2021, L 468, p. 1)].

    ( 51 ) Voir, par exemple, dans la jurisprudence française, arrêt de la Commission des recours des réfugiés (CRR, devenue la CNDA le 1er janvier 2009) (France) du 16 juin 2005, Mlle S. (no 492440), au sujet d’une ressortissante malienne, soumise à la pratique de l’excision dans son enfance et ayant exprimé son refus de se soumettre à une nouvelle excision, totale, exigée par son futur époux, et à la suite duquel elle subirait des pressions ainsi que des menaces du milieu familial et des autorités coutumières locales. La CRR a considéré que les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de cette ressortissante au groupe social des femmes entendant se soustraire aux mutilations génitales féminines étaient fondées, celle-ci ne bénéficiant d’aucune protection des autorités.

    ( 52 ) AUEA, Report on Female Genital Mutilation/Cutting in Ethiopia, 12 mai 2022, en particulier point 4.2 : « Consequences for refusing to undergo FGM », p. 32. Voir, également, AUEA, fiche d’information intitulée « Protecting women and girls in the asylum procedure », décembre 2021, en particulier p. 2, ainsi que Middelburg, A., et Balta, A., « Female Genital Mutilation/Cutting as a Ground for Asylum in Europe », International Journal of Refugee Law, vol. 28, no 3, Oxford University Press, Oxford, 2016, p. 416 à 452.

    ( 53 ) Voir, par exemple, arrêt de la CNDA du 29 mars 2021, Mme T. (no 20024823 C+), qui reconnaît la qualité de réfugiée à une ressortissante ivoirienne du fait de sa soustraction à un mariage forcé, assorti de surcroît d’une menace de mutilation génitale.

    ( 54 ) Voir, à cet égard, dans la jurisprudence française, arrêt de la CRR du 15 octobre 2004, Mlle NN. (no 444000).

    ( 55 ) Dans ce contexte, le HCR considère, dans ses principes directeurs sur la protection internationale no 9 : Demandes de statut de réfugié fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre dans le contexte de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, du 23 octobre 2012, que, « lorsque la désapprobation familiale ou communautaire se manifeste par des menaces de violence physique grave, voire de meurtre par des membres de la famille ou de la communauté commis au nom de l’“honneur”, celle-ci serait clairement considérée comme une persécution » (point 23).

    ( 56 ) Voir document du HCR intitulé « Submission by the Office of the United Nations High Commissioner for Refugees in case numbers 201701423/1/V2, 201704575/1/V2 and 201700575/1/V2 before the Council of State » (point 16).

    ( 57 ) Country Guidance : Afghanistan, janvier 2023. Au point 3.12, ce rapport vise spécifiquement le crime de moralité « zina », lequel recouvre l’ensemble des comportements contraires à la charia, tels que les relations sexuelles non autorisées, les relations sexuelles avant le mariage, l’adultère, punissables de peine de mort ou de violences commises au nom de l’honneur, dont le crime d’honneur, et appliquées notamment à l’encontre des femmes (p. 74).

    ( 58 ) Voir ordonnance du président de la Cour du 26 octobre 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (C‑456/21, non publiée, EU:C:2021:901). L’affaire C-646/21 pose, notamment, la question de savoir si les valeurs et les règles de vie qu’une jeune femme a acquises au cours de son séjour de longue durée sur le territoire d’un État membre et pendant une période importante de sa vie où elle forge son identité, ainsi que le comportement que celle-ci a adopté au cours de son séjour peuvent être considérés comme des éléments relevant d’une « histoire commune qui ne peut être modifiée », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ou plutôt comme une « caractéristique [...] à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce », au sens de cet article.

    ( 59 ) Arrêt du 20 janvier 2021, Secretary of State for the Home Department (C‑255/19, EU:C:2021:36, point 36 et jurisprudence citée). Ainsi que l’a reconnu la Cour, la crainte d’être persécuté et la protection contre des actes de persécution sont des conditions intrinsèquement liées (point 56 de cet arrêt).

    ( 60 ) C‑91/20, EU:C:2021:384, point 82.

    ( 61 ) Je rappelle que, à l’image de l’article 1er de la convention de Genève, la directive 2011/95 intègre le principe de la subsidiarité de la protection internationale dans le cadre tant de l’octroi du statut de réfugié que de la cessation (article 11 de la directive 2011/95) ou de l’exclusion de celui-ci (article 12, paragraphe 1, de la directive 2011/95). Voir, à cet égard, point 90 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR, Genève, 1992. Dans la doctrine, voir, en particulier, Hathaway, J. C., et Foster, M., The law of refugee status, 2de éd., Cambridge University Press, Cambridge, 2014, p. 55 : « Le droit des réfugiés repose sur l’hypothèse sous-jacente que, lorsqu’elle est disponible, la protection nationale prime sur la protection internationale de substitution », ainsi que p. 462 : « l’objectif du droit des réfugiés est d’accorder une protection de substitution en attendant la reprise ou l’établissement d’une protection nationale significative », et p. 494 et 495. Voir, également, Goodwin-Gill, G. S., et McAdam, J., The refugee in international law, 3e éd., Oxford University Press, Oxford, 2007, p. 421 : « L’absence ou le refus d’une protection est la caractéristique principale du réfugié, et il appartient au droit international, à son tour, de substituer sa propre protection à celle que le pays d’origine ne peut ou ne veut pas fournir » (traductions libres). Voir mes conclusions dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité familiale) (C‑91/20, EU:C:2021:384, point 82 et note en bas de page 52).

    ( 62 ) Voir, également, considérant 26 de la directive 2011/95.

    ( 63 ) L’article 7, paragraphe 2, vise des mesures prises pour empêcher des actes de persécution, ainsi que l’existence d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes [voir, concernant l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/83, identique à l’article 7, paragraphe 2, seconde phrase, de la directive 2011/95, arrêt du 20 janvier 2021, Secretary of State for the Home Department (C‑255/19, EU:C:2021:36, point 44)].

    ( 64 ) Voir arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 52 et jurisprudence citée).

    ( 65 ) Voir arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 53).

    ( 66 ) Aux termes de l’article 4, paragraphe 5, sous c), de la directive 2011/95, « [l]orsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque [...] les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et [qu’]elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ».

    ( 67 ) Rapport d’information sur le pays d’origine : Turquie, Étude de pays, disponible à l’adresse Internet suivante : https://coi.euaa.europa.eu/administration/easo/PLib/EASOCOI_Turkey_Nov2016.pdf (point 5.4.4).

    ( 68 ) Si différents textes législatifs se réfèrent directement ou indirectement aux violences à l’égard des femmes, tels que la constitution, le code civil et le code pénal, ainsi que des dispositions du droit du travail et du droit municipal, l’instrument majeur est la loi no 6284 sur la protection de la famille et la prévention de la violence à l’égard des femmes, du 8 mars 2012.

    ( 69 ) Voir note en bas de page 6 des présentes conclusions.

    ( 70 ) Cour EDH, 22 mars 2016 (CE:ECHR:2016:0322JUD000064610, § 96, 97 et 116).

    ( 71 ) Cour EDH, 9 juin 2009 (CE:ECHR:2009:0609JUD003340102, § 198).

    ( 72 ) Cour EDH, 13 novembre 2014 (CE:ECHR:2014:1113JUD000362107, § 65).

    ( 73 ) Voir, dans le cadre des travaux préparatoires de la directive 2004/83, note de la présidence du Conseil de l’Union européenne au Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile, du 25 septembre 2002, 12148/02, disponible à l’adresse Internet suivante : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12148-2002-INIT/fr/pdf (p. 5). Si la directive 2011/95 a abrogé et remplacé la directive 2004/83, ce changement de norme n’a donné lieu à aucune modification du régime juridique de l’octroi de la protection subsidiaire ni de la numérotation des dispositions concernées. Ainsi, le libellé de l’article 15 de la directive 2011/95 est identique à celui de l’article 15 de la directive 2004/83, de sorte que la jurisprudence concernant cette seconde disposition est pertinente pour interpréter la première.

    ( 74 ) Voir arrêt du 17 février 2009, Elgafaji (C‑465/07, EU:C:2009:94, point 28).

    ( 75 ) Voir arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de menaces graves et individuelles) (C‑901/19, EU:C:2021:472, points 25 et 26, ainsi que jurisprudence citée).

    ( 76 ) Italique ajouté par mes soins.

    ( 77 ) Voir Conseil de l’Europe, Convention d’Istanbul – Crimes commis au nom du prétendu « honneur », 2019, ainsi que résolution 2395 (2021), intitulée « Renforcer la lutte contre les crimes dits d’“honneur” », adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 28 septembre 2021.

    ( 78 ) Cour EDH, 9 juin 2009 (CE:ECHR:2009:0609JUD003340102).

    ( 79 ) Voir § 128 et 129 de cet arrêt. Voir également, en cas de violence domestique, arrêts de la Cour EDH du 15 janvier 2009, Branko Tomašić et autres c. Croatie (CE:ECHR:2009:0115JUD004659806, § 52 et 53), et du 8 juillet 2021, Tkhelidze c. Géorgie (CE:ECHR:2021:0708JUD003305617, § 57).

    ( 80 ) Je rappelle que la violence fondée sur le genre est un phénomène protéiforme. Les crimes d’honneur peuvent notamment prendre la forme de séquestrations, d’enlèvements, de torture, de mutilations ou bien encore de mariages forcés, lesquels peuvent être assortis d’excision, et la violence domestique est un phénomène qui peut se révéler à travers non seulement des agressions physiques et sexuelles, mais également des violences psychologiques susceptibles de causer une atteinte à l’intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle (voir déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, adoptée le 29 novembre 1985 par l’Assemblée générale des Nations unies dans la résolution 40/34).

    ( 81 ) Bien que l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2011/95 exige que les États membres « tiennent compte du changement de circonstances, en déterminant s’il est suffisamment important et non provisoire pour que la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ne coure plus de risque réel de subir des atteintes graves ».

    ( 82 ) Cour EDH, 20 juillet 2010 (CE:ECHR:2010:0720JUD002350509, § 60).

    Top