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Document 62021CC0605

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 21 septembre 2023.
Heureka Group a.s. contre Google LLC.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Městský soud v Praze.
Renvoi préjudiciel – Article 102 TFUE – Principe d’effectivité – Actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence – Directive 2014/104/UE – Transposition tardive de la directive – Application temporelle – Article 10 – Délai de prescription – Modalités du dies a quo – Cessation de l’infraction – Connaissance des informations indispensables pour l’introduction du recours en dommages et intérêts – Publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé de la décision de la Commission européenne constatant une infraction aux règles de concurrence – Effet contraignant d’une décision de la Commission non encore définitive – Suspension ou interruption du délai de prescription pendant la durée de l’enquête de la Commission ou jusqu’à la date à laquelle sa décision devienne définitive.
Affaire C-605/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:695

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 21 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑605/21

Heureka Group a.s.

contre

Google LLC

[demande de décision préjudicielle formée par le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence – Possibilité de s’appuyer sur une décision non définitive de la Commission – Directive 2014/104/UE – Champ d’application ratione temporis – Début d’infraction avant l’entrée en vigueur de la directive – Délai de prescription – Compatibilité de la réglementation nationale initiale avec l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité du droit de l’Union »

Table des matières

 

I. Introduction

 

II. Le cadre juridique

 

A. Le droit de l’Union

 

1. Le règlement (CE) no 1/2003

 

2. La directive 2014/104

 

B. Le droit tchèque

 

III. Les faits et la procédure au principal

 

A. La procédure de la Commission dans l’affaire « Google Shopping » et la décision C(2017) 4444 final

 

B. L’action nationale civile en dommages et intérêts d’Heureka

 

IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

 

V. Analyse

 

A. Question préalable : la juridiction nationale peut-elle s’appuyer sur une décision non encore définitive de la Commission ?

 

1. Le caractère contraignant d’une décision non encore définitive de la Commission

 

2. L’obligation de suspendre la procédure au principal ?

 

B. Sur les première et deuxième questions préjudicielles : les implications des constatations de l’arrêt Volvo pour la présente affaire

 

1. La période de l’infraction qui a eu lieu après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104

 

2. La période de l’infraction qui a eu lieu avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104

 

C. Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles : les exigences découlant du droit de l’Union pour le régime de prescription pré-directive

 

1. Le délai de prescription peut-il commencer à courir avant la fin de l’infraction ? [troisième question et quatrième question, point i)]

 

2. Le délai de prescription peut-il commencer à courir avant que la personne lésée sache que le comportement constitue une infraction aux règles de la concurrence ? [quatrième question, point ii)]

 

3. Le délai de prescription doit-il être suspendu pendant la durée de la procédure devant la Commission et le contrôle juridictionnel de la décision de la Commission ? [quatrième question, points iii) et iv)]

 

VI. Conclusion

I. Introduction

1.

Selon le régime de prescription mis en place par l’article 10 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne ( 2 ), les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l’infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance des éléments essentiels caractérisant l’infraction.

2.

Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la Cour est, principalement, appelée à examiner si, avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, l’exigence selon laquelle le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que l’infraction ait cessé découlait déjà de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité. De plus, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de certains autres aspects de l’ancien régime de prescription national, qui concernent, notamment, la connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence et la suspension des délais de prescription pendant la durée de la procédure devant la Commission européenne et la mise en cause judiciaire de la décision constatant l’infraction.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. Le règlement (CE) no 1/2003

3.

L’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 ( 3 ), intitulé « Charge de la preuve », énonce :

« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101 et 102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. »

4.

L’article 16 de ce règlement, intitulé « Application uniforme du droit communautaire de la concurrence », prévoit :

« 1.   Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article [267 TFUE].

2.   Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. »

5.

Aux termes de l’article 25, paragraphe 2, dudit règlement :

« La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin. »

2. La directive 2014/104

6.

Le considérant 36 de la directive 2014/104 prévoit :

« Les règles nationales concernant le début, la durée, la suspension ou l’interruption des délais de prescription ne devraient pas entraver indûment l’introduction des actions en dommages et intérêts. Cette exigence est particulièrement importante pour les actions qui se fondent sur la constatation d’une infraction par une autorité de concurrence ou une instance de recours. À cette fin, il devrait être possible d’intenter une action en dommages et intérêts après l’ouverture, par une autorité de concurrence, d’une procédure en vue de l’application du droit national de la concurrence et du droit de la concurrence de l’Union. Le délai de prescription ne devrait pas commencer à courir avant que l’infraction ne prenne fin ni avant que le demandeur ne prenne connaissance, ou ne puisse raisonnablement être supposé avoir connaissance, du comportement constituant l’infraction, du fait que l’infraction a causé un préjudice au demandeur et de l’identité de l’auteur de l’infraction. Les États membres devraient être en mesure de maintenir ou d’introduire des délais de prescription absolus qui soient d’application générale, pour autant que la durée de ces délais de prescription ne rende pas l’exercice du droit à réparation intégrale pratiquement impossible ou excessivement difficile. »

7.

L’article 2 de cette directive est intitulé « Définitions » et ses points 1 et 12 disposent :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)

“infraction au droit de la concurrence”, une infraction à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou au droit national de la concurrence ;

[...]

12)

“décision définitive constatant une infraction”, une décision constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l’objet d’un recours par les voies ordinaires ».

8.

L’article 9 de cette directive, intitulé « Effet des décisions nationales », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou du droit national de la concurrence.

2.   Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties.

3.   Le présent article s’entend sans préjudice des droits et obligations des juridictions nationales découlant de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

9.

L’article 10 de ladite directive, intitulé « Délais de prescription », dispose :

« 1.   Les États membres arrêtent, conformément au présent article, les règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts. Ces règles déterminent le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu.

2.   Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l’infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

a)

du comportement et du fait qu’il constitue une infraction au droit de la concurrence ;

b)

du fait que l’infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice ; et

c)

de l’identité de l’auteur de l’infraction.

3.   Les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum.

4.   Les États membres veillent à ce qu’un délai de prescription soit suspendu ou, selon le droit national, interrompu par tout acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite d’une infraction au droit de la concurrence à laquelle l’action en dommages et intérêts se rapporte. Cette suspension prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d’une autre manière. »

B.   Le droit tchèque

10.

D’après les informations fournies par la juridiction de renvoi, avant l’entrée en vigueur du zákon č. 262/2017 Sb., o náhradě škody v oblasti hospodářské soutěže (loi no 262/2017 sur la réparation des dommages en matière de concurrence), le 1er septembre 2017, la prescription du droit à la réparation d’un dommage était d’abord, jusqu’au 31 décembre 2013, réglée par le zákon č. 513/1991 Sb., obchodní zákoník (loi no 513/1991, portant code de commerce), puis, à partir du 1er janvier 2014 jusqu’au 31 août 2017, par le zákon č. 89/2012 Sb., občanský zákoník (loi no 89/2012, portant code civil). Selon la juridiction de renvoi, la différence entre ces deux réglementations tient au fait que, en vertu du code de commerce, le délai de prescription est de quatre ans, alors que, en vertu du code civil, ce délai est de trois ans. Aux fins de la procédure devant la Cour, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter et appliquer le droit national ( 4 ), désigne comme pertinentes les règles du code civil.

11.

L’article 620, paragraphe 1, du code civil énonce :

« Les circonstances déterminantes pour que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage commence à courir comprennent la connaissance du dommage et celle [de l’identité] de la personne tenue à sa réparation. Cela s’applique, mutatis mutandis, également aux fins de la réparation du dommage. »

12.

L’article 629, paragraphe 1, du code civil dispose :

« Le délai de prescription est d’une durée de trois ans. »

13.

Aux termes de l’article 9, paragraphes 1 à 3, de la loi no 262/2017 sur la réparation des dommages en matière de concurrence :

« (1)   Le délai de prescription pour l’exercice d’un droit à la réparation d’un dommage en vertu de la présente loi est d’une durée de 5 ans ; les dispositions des articles 629 et 636 du code civil ne s’appliquent pas.

(2)   Le délai de prescription commence à courir à compter du jour où la personne concernée prend connaissance du dommage, [de l’identité] de la personne tenue à la réparation de celui-ci et de la restriction de concurrence, ou devait et pouvait prendre connaissance de ces éléments, mais au plus tôt à compter du jour où a cessé la restriction de concurrence.

(3)   Le délai de prescription ne court pas pendant la durée de l’enquête ou de la procédure devant l’autorité de concurrence concernant la même restriction de concurrence, ainsi que pendant une durée d’un an à compter du jour où a) est devenue définitive la décision adoptée par l’autorité de concurrence ou par une juridiction constatant qu’il existe une telle restriction de concurrence ou b) il a été mis un terme d’une autre manière à l’enquête, à la procédure devant l’autorité de concurrence ou à la procédure devant la juridiction. »

III. Les faits et la procédure au principal

14.

Heureka Group a.s. (ci-après « Heureka »), une société active sur le marché des services de comparaison des prix de vente en République tchèque, la partie requérante au principal, a engagé par recours devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque), la juridiction de renvoi, une action en dommages et intérêts contre Google LLC à la suite de la décision de la Commission du 27 juin 2017 dans l’affaire Google Search (Shopping) [ci-après « la décision C(2017) 4444 final »] ( 5 ).

A.   La procédure de la Commission dans l’affaire « Google Shopping » et la décision C(2017) 4444 final

15.

Le 30 novembre 2010, la Commission a publié un communiqué de presse dans lequel elle indiquait qu’elle avait engagé une procédure à l’encontre de Google sur la base, notamment, de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 concernant un éventuel abus de position dominante dans le domaine de la recherche en ligne ( 6 ).

16.

En 2013, Google a proposé à la Commission des engagements afin de répondre aux préoccupations de cette institution.

17.

Le 27 mai 2014, la Sdružení pro internetový rozvoj v České republice (Association pour le développement d’Internet en République tchèque, ci‑après la « SPIR »), dont Heureka est membre, a publié un communiqué de presse par lequel elle a exprimé son désaccord avec ces engagements.

18.

Le 15 avril 2015, la Commission a adopté une communication des griefs adressée à Google, dans laquelle elle est parvenue à la conclusion provisoire que les pratiques en cause constituaient un abus de position dominante et, partant, violaient l’article 102 TFUE.

19.

Le 14 juillet 2016, la Commission a adopté une communication des griefs supplémentaire et a engagé une procédure pour infraction à l’article 102 TFUE également à l’encontre de la société mère de Google, la société Alphabet Inc.

20.

Le 27 juin 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 4444 final. Par cette décision, la Commission a constaté que Google et Alphabet, depuis sa prise de contrôle de Google, avaient enfreint l’article 102 TFUE et l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE). Selon la Commission, Google a abusé de sa position dominante existant dans treize marchés nationaux de la recherche générale au sein de l’EEE, dont celui de la République tchèque, en diminuant le trafic en provenance de ses pages de résultats générales vers les comparateurs de produits concurrents et en augmentant ce trafic vers son propre comparateur de produits, ce qui était susceptible d’avoir, ou ce qui avait vraisemblablement, des effets anticoncurrentiels sur les treize marchés nationaux correspondants de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits, mais aussi sur lesdits marchés de la recherche générale ( 7 ).

21.

La Commission a conclu que cette infraction avait eu lieu depuis le mois de février 2013 en République tchèque et continuait à la date de l’adoption de la décision C(2017) 4444 final, à savoir le 27 juin 2017. La Commission a donc considéré qu’il y avait lieu d’enjoindre à Google de mettre fin à son comportement dans un délai de 90 jours et de ne pas adopter de comportement équivalent ayant le même objet ou le même effet ( 8 ).

22.

Le 12 janvier 2018, le résumé de la décision C(2017) 4444 final a été publié au Journal officiel de l’Union européenne.

23.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2017, Google a introduit un recours contre la décision C(2017) 4444 final. Dans son arrêt du 10 novembre 2021 dans l’affaire Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763), le Tribunal a annulé ladite décision dans la seule mesure où la Commission y a constaté une infraction de Google dans treize marchés nationaux de la recherche générale au sein de l’EEE sur la base de l’existence d’effets anticoncurrentiels dans ces marchés et a rejeté le recours de Google pour le surplus, notamment en validant l’analyse de la Commission en ce qui concerne le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits.

24.

Par requête du 20 janvier 2022, Google a introduit un pourvoi, actuellement pendant, contre l’arrêt du Tribunal ( 9 ).

B.   L’action nationale civile en dommages et intérêts d’Heureka

25.

Par une requête du 25 juin 2020, déposée le 26 juin 2020, Heureka a introduit, devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague), un recours en dommages et intérêts contre Google. Ce recours tend à la réparation du préjudice qu’Heureka aurait subi en raison de l’abus de position dominante auquel Google s’est, d’après la décision C(2017) 4444 final, livrée en République tchèque pendant la période allant du mois de février 2013 au 27 juin 2017. Heureka a déclaré que Google avait placé et affiché son propre service de comparaison de prix de vente au meilleur endroit possible parmi les résultats dans ses services de recherche générale, ce qui a diminué la consultation du portail de comparaison de prix de vente Heureka.cz.

26.

Google s’est opposée audit recours en faisant valoir, notamment, que le droit à réparation était prescrit pour la période allant, au moins, du mois de février 2013 au 25 juin 2016 ( 10 ). Cette argumentation est basée sur le postulat qu’Heureka aurait été en mesure de connaître tant l’auteur de l’infraction que le fait qu’elle a subi un dommage bien avant l’adoption de la décision C(2017) 4444 final.

27.

À cet égard, Google observe qu’il était évident que l’exploitant du moteur de recherche dénommé « Google » était la société Google, notamment à cause du communiqué de presse de la Commission du 30 novembre 2010 (point 15 ci-dessus).

28.

Par ailleurs, Google considère que, en tout état de cause, la publication, le 27 mai 2014, du communiqué de presse par lequel la SPIR a exprimé son désaccord sur les engagements soumis par Google devant la Commission (point 17 ci-dessus) suffisait pour faire courir le délai de prescription.

29.

Pour ces raisons, Google fait valoir que le délai de prescription applicable en l’occurrence avait commencé à courir depuis le mois de février 2013, à savoir depuis le début de l’infraction sur le territoire tchèque et le début de la survenance du dommage allégué, ou, au plus tard, à compter du 27 mai 2014, la date de la publication du communiqué de presse de la SPIR.

30.

Selon Google, rien n’empêchait Heureka d’introduire son recours en dommages et intérêts étant donné que cette société pouvait, durant la procédure concernant ce recours, élargir progressivement la portée du dommage en y ajoutant les dommages partiels subis qui augmentaient au fil du temps.

31.

Dans ce contexte, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) nourrit des doutes quant à la compatibilité de l’ancienne réglementation nationale régissant les délais de prescription avec l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2014/104 et, le cas échéant, avec l’article 102 TFUE ainsi qu’avec le principe d’effectivité. La juridiction de renvoi observe que, en vertu de l’article 620, paragraphe 1, du code civil, le délai de prescription de trois ans commence à courir dès que la personne lésée prend connaissance ou dès qu’il pourrait être considéré qu’elle a pris connaissance de l’identité de l’auteur de l’infraction et du dommage subi. S’agissant de la condition tenant à la connaissance du fait qu’un dommage a été subi à cause de l’infraction concernée, selon une interprétation du Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) de l’article 620, paragraphe 1, du code civil, pour faire courir le délai de prescription, la prise de connaissance d’un dommage partiel suffirait. Le dommage serait, notamment dans les cas d’infractions continues ou répétées, divisible et chaque « nouveau dommage » pourrait être invoqué séparément et ferait courir un nouveau délai de prescription.

32.

Selon la juridiction de renvoi, en l’occurrence, cela signifierait que chaque recherche générale effectuée sur le site de Google qui a conduit à un placement et un affichage de résultats plus favorables au service de comparaison des prix de Google aurait fait courir un nouveau délai de prescription autonome.

33.

En outre, cette juridiction observe que, à la différence de l’article 10 de la directive 2014/104, le code civil n’exige pas que la personne lésée ait connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction au droit de la concurrence. Le code civil ne contiendrait pas non plus de règle permettant la suspension ou l’interruption du délai de prescription pendant la période de l’enquête concernant ce comportement, ni de règle selon laquelle la suspension de la prescription prend fin au plus tôt un an après que la décision constatant l’infraction est devenue définitive.

IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

34.

Dans ces conditions, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes par décision du 29 septembre 2021, parvenue le 30 septembre 2021 :

« 1)

L’article 21, paragraphe 1, de la [directive 2014/104] et les principes généraux du droit de l’Union doivent-ils être interprétés en ce sens que la directive 2014/104, en particulier son article 10, s’applique, directement ou indirectement, à un litige concernant la réparation de l’ensemble du dommage causé par une infraction à l’article 102 TFUE qui a commencé avant la date d’entrée en vigueur de la directive 2014/104 et a cessé après l’expiration du délai de transposition de ladite directive, lorsque l’action en dommages et intérêts a, elle aussi, été introduite après l’expiration du délai de transposition, ou bien en ce sens que l’article 10 de la directive 2014/104 ne s’applique qu’à la partie du comportement cité (et à la partie du dommage en résultant) qui a eu lieu après la date d’entrée en vigueur de la directive 2014/104, ou, le cas échéant, après la date d’expiration du délai de transposition [de ladite directive] ?

2)

Le sens et la finalité de la directive 2014/104 et/ou de l’article 102 TFUE ainsi que du principe d’effectivité imposent-ils d’interpréter l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 en ce sens que les “disposition[s] nationale[s] adoptée[s] en application de l’article 21, autre[s] que celles visées [à l’article 22], paragraphe 1” sont les dispositions nationales par lesquelles l’article 10 de la directive 2014/104 a été transposé, autrement dit, l’article 10 de la directive 2014/104 et les règles de prescription relèvent-ils du [paragraphe 1] ou du [paragraphe 2] de l’article 22 de la directive 2014/104 ?

3)

Une réglementation nationale et l’interprétation qui en est donnée sont-elles conformes à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2014/104 et/ou à l’article 102 TFUE ainsi qu’au principe d’effectivité lorsqu’elles lient la “connaissance du fait qu’un dommage a été causé”, pertinente pour que le délai de prescription subjectif commence à courir, à la connaissance, par la personne lésée, des “différents dommages partiels” qui surviennent progressivement au fil du temps au cours d’une infraction continue au droit de la concurrence (étant donné que la jurisprudence part de la prémisse que le droit à la réparation du dommage concerné est, dans son ensemble, divisible), dommages partiels pour lesquels commencent ainsi à courir des délais de prescription subjectifs indépendants, indépendamment de la connaissance par la personne lésée de toute l’étendue du dommage causé par l’ensemble de l’infraction à l’article 102 TFUE, à savoir donc une réglementation nationale et l’interprétation qui en est donnée qui permettent que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage causé par le comportement anticoncurrentiel commence à courir avant le moment où cesse ce comportement consistant à placer et à afficher de manière plus favorable son propre service de comparaison de prix, en violation de l’article 102 TFUE ?

4)

L’article 10, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 2014/104 et/ou l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une réglementation nationale qui prévoit que le délai de prescription subjectif pour les actions en dommages et intérêts est d’une durée de trois ans et commence à courir à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance ou pouvait prendre connaissance d’un dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, mais qui ne prend pas en compte i) le moment auquel cesse le comportement illégal, ii) la connaissance par la personne lésée du fait que le comportement constitue une infraction aux règles de la concurrence, et qui, par ailleurs, iii) ne suspend ni n’interrompt ce délai de prescription de trois ans pendant la durée de la procédure devant la Commission qui a pour objet l’infraction, encore en cours, à l’article 102 TFUE, et iv) ne contient pas de règle selon laquelle la suspension du délai de prescription prend fin au plus tôt un an après que la décision constatant l’infraction est devenue définitive ? »

35.

Au cours de la procédure préjudicielle devant la Cour, Heureka, Google et la Commission ont présenté des observations écrites.

36.

Le 22 juin 2022, c’est-à-dire après la clôture de la procédure écrite dans la présente affaire le 21 mars 2022, la Cour a rendu l’arrêt dans l’affaire Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, ci-après « l’arrêt Volvo », EU:C:2022:494), dans lequel elle s’est prononcée, notamment, sur la nature de l’article 10 de la directive 2014/104 ainsi que sur l’applicabilité temporelle de cette disposition. Compte tenu des similarités entre cette affaire et la présente affaire, la Cour a attiré l’intérêt de la juridiction de renvoi sur ledit arrêt en demandant si, au vu de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

37.

Par lettre du 29 juin 2022, parvenue le 1er juillet 2022, la juridiction de renvoi a indiqué à la Cour qu’elle maintenait sa demande de décision préjudicielle.

38.

Toutefois, par communication écrite parvenue à la Cour le 27 septembre 2022, la juridiction de renvoi a informé celle-ci qu’elle retirait les première et deuxième questions de son renvoi préjudiciel mais qu’elle maintenait ses troisième et quatrième questions.

39.

Le 20 décembre 2022, la Cour et l’avocate générale ont posé des questions pour réponse écrite à toutes les parties à la procédure, auxquelles toutes ces parties ont répondu. La juridiction de renvoi a, elle aussi, déposé des observations à la suite de ces questions, qui ont été enregistrées en tant qu’addendum à la demande de décision préjudicielle.

40.

Toutes les parties étaient également représentées lors de l’audience du 20 mars 2023.

V. Analyse

41.

Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si Heureka, la partie requérante au principal, qui a introduit son recours le 26 juin 2020 et qui s’estime lésée par un abus de position dominante commis par Google entre février 2013 et le 27 juin 2017, peut encore demander réparation pour le dommage causé au cours de l’ensemble de cette période, ou si son droit à réparation est au contraire déjà prescrit pour une partie de ladite période.

42.

Cette question se pose notamment parce que, avant la transposition de la directive 2014/104, le droit tchèque ne liait le point de départ du délai de prescription qu’à la connaissance du dommage et de son auteur. La jurisprudence pertinente considérait donc que l’ensemble du dommage naissant au cours d’une infraction continue au droit de la concurrence était divisible en dommages partiels et que, pour chaque dommage partiel, un délai de prescription autonome commençait à courir. Le droit à réparation se prescrivait donc séparément et progressivement.

43.

En application de cette jurisprudence et de l’ancien délai de prescription de trois ans – et si on part de l’hypothèse que, comme allégué par Google (voir points 26 à 29 ci-dessus), Heureka avait connaissance ou devait avoir connaissance du dommage et de son auteur dès le début de la période pour laquelle elle réclame réparation ou, en tout état de cause, avant la fin de l’infraction telle que constatée par la Commission –, une partie du droit à réparation d’Heureka résultant de cette infraction aurait déjà été prescrite au moment de l’introduction de son recours ( 11 ).

44.

Toutefois, entretemps, est entrée en vigueur la directive 2014/104, dont l’article 10, paragraphe 2, subordonne la prise de cours du délai de prescription applicable à une action en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence non seulement à la connaissance, par le demandeur, des éléments essentiels de cette infraction, mais également au fait que celle-ci a cessé.

45.

La directive 2014/104 est entrée en vigueur le 26 décembre 2014. Son délai de transposition a expiré le 27 décembre 2016. Le 1er septembre 2017, la loi no 262/2017 sur la réparation des dommages en matière de concurrence transposant la directive 2014/104 en droit tchèque est entrée en vigueur.

46.

Partant, la juridiction de renvoi s’interroge, d’abord, sur l’application dans le temps de l’article 10 de la directive 2014/104 (première et deuxième questions préjudicielles). Ensuite, elle souhaite savoir si un régime de prescription tel que celui prévu par le droit tchèque avant l’entrée en vigueur de la loi nationale de transposition de cette disposition est compatible avec les exigences de ladite disposition et/ou l’article 102 TFUE lu en combinaison avec le principe d’effectivité (troisième et quatrième questions préjudicielles).

47.

Dans l’arrêt Volvo, la Cour a déjà clarifié certains aspects de l’application dans le temps de l’article 10 de la directive 2014/104. C’est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi a informé la Cour que, à la suite de cet arrêt, elle retirait ses première et deuxième questions préjudicielles. Toutefois, il est utile d’examiner les implications concrètes des constatations de l’arrêt Volvo pour la présente affaire (section B).

48.

Cet examen révélera que la réponse à la question de savoir si Heureka peut encore demander réparation pour les dommages subis pendant l’ensemble de la période d’infraction dépend de la question de savoir si la prescription était déjà acquise en vertu du droit national pour une partie de cette période au moment de l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104. Or, la réponse à cette question dépend à son tour de la question de savoir si, avant l’expiration du délai de transposition de ladite directive, il découlait déjà de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, que les droits nationaux ne pouvaient prévoir le début du délai de prescription avant la fin d’une infraction continue au droit de la concurrence de l’Union. Cette question correspond, en substance, à la troisième question et au point i) de la quatrième question préjudicielle. Dans ce contexte, il convient d’adresser également les points ii), iii) et iv) de la quatrième question préjudicielle, qui concernent la compatibilité avec le droit de l’Union d’autres aspects de l’ancien régime national de prescription (section C).

49.

Toutefois, avant tout cela, se pose une question préalable : En l’espèce, contrairement à la situation sur laquelle ont porté l’arrêt Volvo ( 12 ) et l’ordonnance dans les affaires Deutsche Bank ( 13 ), la décision C(2017) 4444 final de la Commission, sur laquelle s’appuie Heureka pour démontrer l’existence et la durée de l’infraction qui lui aurait causé un préjudice, n’est pas encore définitive (voir points 23 et 24 ci-dessus). Cela soulève la question de savoir si la juridiction nationale peut néanmoins s’appuyer sur cette décision aux fins de l’établissement de l’infraction concernée et de sa durée ainsi qu’aux fins de la détermination du délai de prescription au principal ou si elle est tenue de suspendre cette affaire jusqu’au moment où ladite décision deviendra définitive. Dans la mesure où il appartient à la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi ( 14 ), il convient de clarifier cette question avant de se pencher sur les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi (section A).

A.   Question préalable : la juridiction nationale peut-elle s’appuyer sur une décision non encore définitive de la Commission ?

50.

Selon l’article 2, point 12, de la directive 2014/104, une « décision définitive constatant une infraction » est une décision constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l’objet d’un recours par les voies ordinaires.

51.

La décision C(2017) 4444 final n’est pas encore définitive au sens de cette disposition puisqu’elle a fait l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal dont l’arrêt Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763) est actuellement attaqué devant la Cour (points 23 et 24 ci-dessus).

52.

Ce fait empêche-t-il le demandeur et la juridiction nationale de s’appuyer sur les constats de la décision de la Commission, notamment en ce qui concerne l’existence de l’infraction et sa durée ?

53.

Nous ne le pensons pas.

54.

Ainsi, même une décision non encore définitive dans laquelle la Commission constate une infraction au droit de la concurrence déploie un effet contraignant tant qu’elle n’a pas été annulée (section 1). C’est au juge national d’en tirer les conséquences appropriées dans la procédure devant lui et d’apprécier, le cas échéant, s’il doit suspendre la procédure jusqu’à ce que la décision de la Commission devienne définitive, sans qu’il y soit obligé (section 2). Cette question de savoir si le juge national peut s’appuyer sur une décision de la Commission qui n’est pas encore définitive est à distinguer de la question de savoir si le délai de prescription doit être suspendu dans un tel cas (voir, à ce sujet, points 132 à 138 ci-dessous).

1. Le caractère contraignant d’une décision non encore définitive de la Commission

55.

Les actes des institutions de l’Union jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et, partant, produisent des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été annulés ou retirés ( 15 ).

56.

Ce principe implique également l’obligation de reconnaître la pleine efficacité desdits actes tant que leur illégalité n’a pas été établie par la Cour et d’en respecter la force exécutoire tant que la Cour n’a pas décidé de surseoir à leur exécution ( 16 ).

57.

Certes, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, une décision adoptée par la Commission n’est obligatoire que pour ses destinataires, si elle en désigne. Toutefois, il est constant qu’une telle décision peut aussi produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter des intérêts de tiers si elle les concerne directement et individuellement, et modifie, de façon caractérisée, leur situation juridique ( 17 ).

58.

Dans la mesure où une telle décision produit des effets juridiques obligatoires pour ses destinataires et les tiers directement et individuellement concernés sur la base de l’infraction telle que constatée dans cette décision, d’autres tiers comme Heureka et la juridiction de renvoi doivent aussi pouvoir s’appuyer sur les constats opérés par ladite décision tant que celle-ci n’a pas été annulée. L’obligation, pour les autorités et juridictions nationales, de respecter la présomption de légalité des décisions de la Commission découle aussi du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE ( 18 ).

59.

Par ailleurs, conformément à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1/2003, lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 101 ou 102 TFUE qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Le caractère définitif d’une telle décision n’est pas une condition posée par cette disposition.

60.

En cela, elle se distingue de l’article 9 de la directive 2014/104 qui n’attribue de valeur probante aux décisions des autorités de concurrence nationales que lorsque celles-ci sont définitives ( 19 ). Or, cette différence est justifiée par la primauté du droit de l’Union et le caractère contraignant des décisions des institutions de l’Union ( 20 ).

61.

Certes, au point 42 de son arrêt rendu dans l’affaire Sumal ( 21 ), la Cour a constaté que, pour retenir la responsabilité d’une entité juridique relevant d’une unité économique pour une infraction au droit de la concurrence, il était nécessaire que la participation d’une entité juridique au moins, appartenant à cette unité économique, à une telle infraction soit relevée par une décision définitive ( 22 ) de la Commission ou établie de manière autonome devant le juge national concerné lorsque aucune décision relative à l’existence d’une infraction n’a été adoptée par la Commission.

62.

Toutefois, il n’apparaît pas qu’il en découle qu’une partie lésée ou le juge national ne peuvent s’appuyer que sur les constats d’une décision de la Commission devenue définitive. Si tel était le cas, cela impliquerait que le demandeur devrait, dans tous les cas, attendre la fin de la procédure de contrôle judiciaire de la décision de la Commission afin de s’appuyer sur les constats de cette décision. Or, cela risquerait de rendre excessivement difficile la mise en œuvre, par les parties lésées, de leur droit à réparation découlant des articles 101 et 102 TFUE, notamment dans la mesure où il n’est pas exclu que le délai de prescription absolu de ce droit s’écoule avant que ladite procédure judiciaire soit terminée. Partant, les parties lésées pourraient se trouver privées de la possibilité d’engager des actions fondées sur une décision constatant une infraction aux règles de la concurrence de l’Union ( 23 ).

2. L’obligation de suspendre la procédure au principal ?

63.

Le caractère par principe contraignant d’une décision non encore définitive de la Commission est confirmé par le fait que, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement no 1/2003, la nécessité de suspendre, dans un tel cas, la procédure nationale est laissée à l’appréciation de la juridiction nationale. Si une telle juridiction ne pouvait s’appuyer sur une décision non encore définitive de la Commission, la suspension de sa procédure devrait en effet être une conséquence automatique de ce caractère non définitif.

64.

Plus précisément, il ressort même de la structure de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 que la possibilité de suspendre la procédure nationale semble surtout avoir été envisagée par le législateur dans le cas de figure dans lequel il n’y a pas encore de décision adoptée mais seulement une décision envisagée par la Commission ( 24 ). Si nous ne voyons pas pourquoi une suspension ne pourrait pas s’avérer également, le cas échéant, utile voire nécessaire lorsqu’une décision de la Commission n’est pas encore définitive, cette structure souligne néanmoins encore le caractère non automatique d’une suspension dans un tel cas de figure.

65.

La directive 2014/104 n’interdit pas plus à une juridiction nationale de poursuivre sa procédure lorsqu’une procédure visant la même infraction est en cours devant la Commission. Les procédures de mise en œuvre publique et privée du droit de la concurrence de l’Union revêtent en effet un caractère complémentaire et peuvent, en principe, être menées de manière concomitante ( 25 ). Cela doit aussi s’appliquer dans un cas dans lequel la procédure devant la Commission est close alors qu’une procédure de contrôle juridictionnel de sa décision est en cours devant les juridictions de l’Union.

66.

Comme le fait valoir la Commission, une obligation générale de suspendre la procédure nationale encouragerait de manière problématique les entreprises, pour lesquelles la Commission a conclu qu’elles enfreignaient les règles de l’Union en matière de concurrence, à introduire un recours contre la décision puis un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal au seul motif de retarder la réalisation d’une justice réparatrice.

67.

Lorsqu’il apprécie s’il est nécessaire ou opportun de suspendre la procédure relative à une demande de dommages et intérêts faisant suite à une décision non encore définitive de la Commission, le juge national doit tenir compte, d’une part, de l’économie de la procédure ainsi que de son obligation de coopération loyale avec les institutions de l’Union, qui peuvent, le cas échéant, plaider en faveur d’une suspension.

68.

D’autre part, il importe de prendre en compte aussi bien le droit à un recours effectif du demandeur que le droit à la sécurité juridique du défendeur, qui peuvent plaider en faveur de la nécessité de trancher le litige national dans un délai raisonnable ( 26 ). Dans ce contexte, doit, notamment, entrer en ligne de compte le risque que le délai de prescription absolu expire pendant la suspension, tout comme le stade de la procédure de contrôle juridictionnel de la décision litigieuse devant le juge de l’Union, c’est-à-dire le point de savoir si on peut s’attendre à une décision finale dans cette procédure dans un délai rapproché ou non, ainsi que la propre évaluation, par le juge national, de la validité de la décision de la Commission. En cas de doute à ce sujet, le juge national doit poser une question préjudicielle à la Cour ( 27 ).

69.

Un autre aspect pouvant être pris en compte lors de l’évaluation de l’opportunité de suspendre est l’existence ou non, en droit national, d’une voie de recours extraordinaire permettant, le cas échéant, la révision de la décision rendue dans la procédure relative à la réparation du dommage. L’instauration d’une telle voie extraordinaire ne semble pas exigée par le droit de l’Union d’une manière générale ( 28 ) mais, en l’occurrence, d’après les indications de la juridiction de renvoi, elle existe en droit tchèque.

70.

Il résulte de tout ce qui précède que, même si elle n’est pas encore définitive, une décision de la Commission constatant une infraction, telle la décision C(2017) 4444 final, déploie un effet contraignant dans le cadre d’une action en dommages et intérêts telle que celle au principal. La juridiction de renvoi peut donc s’appuyer sur cette décision aux fins de la constatation de l’existence et de la durée de l’infraction censée avoir causé le dommage litigieux. Cela est sans préjudice de la faculté de ladite juridiction de suspendre la procédure devant elle si elle l’estime approprié en raison des circonstances du cas d’espèce.

B.   Sur les première et deuxième questions préjudicielles : les implications des constatations de l’arrêt Volvo pour la présente affaire

71.

Par ses première et deuxième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande dans quelle mesure l’article 10 de la directive 2014/104, qui concerne les délais de prescription, est applicable au litige au principal. La réponse à ces questions découle des constatations de la Cour dans l’arrêt Volvo. Même si la juridiction de renvoi a retiré ces questions, il convient, afin de lui donner une réponse utile, de préciser les implications de cet arrêt pour la présente affaire.

72.

D’après l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées afin de se conformer aux dispositions substantielles de cette directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

73.

Selon l’arrêt Volvo, l’article 10 de la directive 2014/104 est une disposition substantielle au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive ( 29 ).

74.

Afin de déterminer l’applicabilité temporelle dudit article 10, il convient donc de vérifier si la situation en cause était acquise avant l’expiration du délai de transposition de ladite directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai ( 30 ).

75.

À cette fin, il y a lieu de rechercher si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, le délai de prescription applicable à la situation en cause au principal s’était écoulé, ce qui implique de déterminer le moment auquel ce délai de prescription a commencé à courir ( 31 ).

76.

En l’occurrence, Heureka demande réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’abus de position dominante auquel Google s’est, d’après la décision C(2017) 4444 final, livrée pendant la période allant du mois de février 2013 au 27 juin 2017.

77.

Dans ces conditions, il y a lieu de distinguer entre la période de l’infraction qui a eu lieu après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104 (section 1) et celle qui a eu lieu avant l’expiration de ce délai (section 2).

1. La période de l’infraction qui a eu lieu après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104

78.

La partie de l’infraction qui a eu lieu après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir du 27 décembre 2016 au 27 juin 2017, relève du champ d’application temporel de l’article 10 de ladite directive.

79.

De plus, à partir de l’expiration du délai de transposition, la juridiction nationale doit, dans toute la mesure possible, interpréter le droit national à la lumière du droit de l’Union, sans toutefois procéder à une interprétation contra legem de ces dispositions nationales ( 32 ).

80.

À cet égard, d’après les explications de la juridiction de renvoi, c’est la jurisprudence de la Cour suprême tchèque qui interprète la « connaissance du dommage », requise par le code civil pour déterminer le point de départ du délai de prescription, en ce sens que, aux fins du point de départ d’un délai de prescription subjectif, est pertinente la connaissance même seulement d’un dommage partiel causé par une infraction continue au droit de la concurrence.

81.

Or, l’obligation d’interprétation conforme impose aux juridictions nationales de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit interne incompatible avec les objectifs du droit de l’Union. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit ( 33 ).

82.

Selon ces critères, sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi, il ne semble pas impossible d’interpréter le droit national de manière conforme avec les exigences du droit de l’Union.

83.

Il s’ensuit que, pour le dommage causé au cours de cette partie de l’infraction, le délai de prescription ne saurait avoir commencé à courir avant que les conditions posées à l’article 10 de la directive 2014/104 soient réunies, à savoir, notamment, que l’infraction ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance des éléments essentiels de cette infraction.

84.

D’après l’arrêt Volvo, s’il n’est pas exclu que la personne lésée puisse prendre connaissance des éléments indispensables pour l’introduction de l’action en dommages et intérêts bien avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé d’une décision de la Commission, c’est, en l’absence d’autres indications, à partir de ce moment-là qu’il peut être raisonnablement considéré que la personne lésée a pris connaissance des éléments indispensables à l’introduction de son action ( 34 ).

85.

Toutefois, Google défend, en l’espèce, l’hypothèse qu’Heureka avait connaissance des éléments essentiels de l’infraction déjà avant la publication du résumé de la décision C(2017) 4444 final au Journal officiel le 12 janvier 2018. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas. En tout état de cause, même dans ce cas de figure, le délai de prescription pour la période de l’infraction qui a eu lieu après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104 le 27 décembre 2016 ne saurait avoir commencé à courir avant la fin de ladite infraction. D’après la décision C(2017) 4444 final, la date de cette fin serait le 27 juin 2017. Cependant, rien n’empêche la juridiction de renvoi de conclure, le cas échéant, que cette infraction a duré plus longtemps que constaté par la décision C(2017) 4444 final, si cela est dûment prouvé ( 35 ).

86.

Dans ce contexte, il est utile de préciser qu’il ne fait aucun doute que le moment auquel « l’infraction a cessé » au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2014/104 ne peut, lorsqu’une seule et même infraction unique et continue s’étend sur une certaine durée, qu’être le moment auquel une telle infraction prend fin dans son ensemble.

87.

Ce point n’est certes pas explicitement précisé dans ladite disposition, contrairement à ce qui était prévu, ainsi que le fait remarquer la juridiction de renvoi, dans la proposition initiale de la Commission ( 36 ).

88.

Toutefois, plutôt qu’à une volonté de renversement de sens, ce changement semble correspondre à une simplification de formulation. En effet, le moment auquel une infraction « cesse » ne peut, dans le cadre d’une infraction unique et continue, qu’être le moment auquel celle-ci prend fin dans son ensemble. Autrement, il aurait fallu évoquer le moment auquel l’infraction « a été commise », à l’instar de l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, qui précise que « [l]a prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise », sauf « pour les infractions continues ou répétées, [pour lesquelles] la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin ».

89.

Par ailleurs, l’article 2, point 1, de la directive 2014/104 définit une « infraction au droit de la concurrence » comme « une infraction à l’article 101 ou 102 [TFUE] ou au droit national de la concurrence », ce qui plaide en faveur d’une interprétation de la notion d’infraction aux fins de l’application de la directive sur la base de la jurisprudence relative à ces dispositions. Or, d’après cette jurisprudence, si une série d’actes ou un comportement continu s’inscrivent dans un plan d’ensemble en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence, il s’agit d’une infraction unique et continue ( 37 ) (ou, le cas échéant, d’une infraction unique et répétée ( 38 )). Cette notion permet à la Commission d’infliger une amende pour l’ensemble de la période infractionnelle prise en considération et détermine la date à laquelle commence à courir le délai de prescription, à savoir la date à laquelle l’infraction continue a pris fin ( 39 ).

90.

En l’espèce, il résulte de la décision C(2017) 4444 final que l’infraction a commencé, en République tchèque, en février 2013 et qu’elle se poursuivait au moment de l’adoption de ladite décision (point 21 ci-dessus). Certes, la Commission n’a pas explicitement qualifié cette infraction « d’infraction unique et continue » au sens de la jurisprudence qui vient d’être mentionnée. C’est sans doute parce que cette notion est surtout utilisée afin de démontrer l’unité et la continuité d’infractions à l’article 101 TFUE commises par plusieurs entreprises qui comportent plusieurs volets.

91.

Toutefois, en l’espèce, sans qu’il soit besoin de recourir explicitement à cette notion, il semble évident que l’infraction à l’article 102 TFUE, commise par une seule entreprise, consistait en un comportement continu poursuivant un objectif et un but économique uniques, à savoir le placement et l’affichage plus favorables réservés par Google dans ses pages de résultats de recherche générale à son propre comparateur de produits afin d’augmenter le trafic vers ce comparateur au détriment des comparateurs de produits concurrents ( 40 ). La fin de l’infraction ne peut donc qu’être le moment auquel ce comportement continu a pris fin dans son ensemble.

92.

En résumé, en ce qui concerne la période après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104 le 27 décembre 2016, le délai de prescription ne saurait avoir commencé à courir avant la fin de l’infraction telle que constatée par la Commission, c’est-à-dire le 27 juin 2017, sauf si la juridiction de renvoi constate que l’infraction a pris fin à une date ultérieure.

2. La période de l’infraction qui a eu lieu avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104

93.

Pour ce qui est, en revanche, de la période de l’infraction qui a eu lieu avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, c’est-à-dire la période entre le mois de février 2013 et le 27 décembre 2016, le dies a quo du délai de prescription dépend des règles du droit national ( 41 ).

94.

Ainsi qu’il a été indiqué, notamment aux points 42 et 43 ci-dessus, d’après les indications de la juridiction de renvoi, avant la transposition de la directive 2014/104, le délai de prescription de trois ans prévu par le code civil tchèque commençait à courir dès que la personne lésée avait pris connaissance du dommage et de son auteur, sans qu’il soit, d’après la jurisprudence nationale, requis d’attendre la fin d’une infraction comme celle concernée en l’espèce. Le dommage causé par une telle infraction était considéré comme divisible et différents délais de prescription commençaient donc à courir progressivement. En application de cette jurisprudence, une partie du droit à réparation d’Heureka aurait déjà été prescrite avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104.

95.

Toutefois, afin de déterminer si ces règles nationales peuvent s’appliquer telles quelles à la partie du dommage réclamée par Heureka qui correspond à la période d’avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, il convient d’examiner si cet état du droit est compatible avec le droit de l’Union. En effet, avant la directive 2014/104, il découlait déjà directement de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, que les règles applicables aux recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de la concurrence de l’Union ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice de ces droits ( 42 ). La question est donc de savoir si, en vertu de ces règles, même avant la directive 2014/104, le délai de prescription pour l’introduction d’une action en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence ne devait pas commencer à courir avant la fin d’une telle infraction.

C.   Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles : les exigences découlant du droit de l’Union pour le régime de prescription pré-directive

96.

Cette question de savoir quelles sont les exigences découlant du droit de l’Union concernant, notamment, le début du délai de prescription avant l’adoption de la directive 2014/104 correspond, en substance, à la troisième question préjudicielle ainsi qu’au point i) de la quatrième question préjudicielle (section 1). Ce ne serait que si l’examen de cette question révélait que le droit de l’Union pré-directive n’exigeait pas la fin de l’infraction pour la prise de cours du délai de prescription que deviendraient pertinentes les points restants de la quatrième question préjudicielle (sections 2 et 3).

1. Le délai de prescription peut-il commencer à courir avant la fin de l’infraction ? [troisième question et quatrième question, point i)]

97.

Aux points 50 et suivants de l’arrêt Volvo, en particulier aux points 56 et 61, la Cour a constaté, par rapport à une situation régie par le droit national pré-directive, que les délais de prescription fixés par ce droit national ne sauraient commencer à courir avant que l’infraction n’ait pris fin.

98.

De même, aux points 78 et 79 de l’arrêt Manfredi e.a. ( 43 ), la Cour a jugé qu’une règle nationale en vertu de laquelle le délai de prescription pour l’introduction d’un recours en indemnité court à compter du jour où l’entente ou la pratique concertée a été mise en œuvre pourrait rendre pratiquement impossible l’exercice du droit de demander réparation du dommage causé par cette entente ou pratique interdite, en particulier si cette règle nationale prévoit également un délai de prescription court et que ce délai ne puisse être suspendu. Selon la Cour, dans une telle situation, en cas d’infractions continues ou répétées, il n’est pas exclu que le délai de prescription s’écoule avant même qu’il soit mis fin à l’infraction, auquel cas toute personne ayant subi des dommages après l’écoulement du délai de prescription se trouve dans l’impossibilité d’introduire un recours.

99.

Or, Google et la Commission sont d’avis que ces énoncés ne sauraient être transposés au cadre de la présente affaire. Ainsi, contrairement à l’affaire Manfredi e.a., en l’espèce, le délai de prescription, même chaque délai de prescription divisible, n’aurait pu commencer à courir avant la prise de connaissance correspondante. Le risque que le délai s’écoule avant même qu’une personne lésée pourrait demander réparation ne saurait donc se poser.

100.

De plus, l’infraction en cause dans l’affaire Volvo aurait été une entente secrète, dont la requérante dans cette affaire n’aurait en tout état de cause eu connaissance qu’après la fin de l’infraction. La condition de la fin de l’infraction pour la prise de cours du délai de prescription n’aurait donc eu aucune importance réelle pour la solution du litige dans ladite affaire.

101.

En revanche, en l’espèce, l’infraction aurait consisté en un comportement public dont l’auteur était connu. En outre, le délai de prescription n’aurait pas commencé à courir avant que la personne lésée eût connaissance de ces éléments et il aurait été suffisamment long. Partant, il ne semblerait pas indispensable pour l’exercice du droit à réparation que le point de départ du délai de prescription soit en plus subordonné à la cessation de l’infraction. Il serait tout à fait possible, pour la personne lésée, d’adapter le montant de ses prétentions au fur et à mesure de l’écoulement du temps et de l’augmentation du dommage.

102.

Après tout, conformément aux constatations de la Cour dans l’affaire Cogeco Communications ( 44 ), il conviendrait d’examiner le régime de prescription dans son ensemble pour déterminer si ses différents éléments, appréciés globalement, rendent effectivement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à réparation. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce.

103.

Enfin, avant la transposition de la directive 2014/104, aucun des systèmes juridiques des États membres n’aurait subordonné le point de départ du délai de prescription pour une infraction au droit de la concurrence à la condition de la cessation de l’infraction. Cette directive aurait créé une toute nouvelle réalité juridique à cet égard, dont on ne saurait assimiler les exigences à celles, auparavant en vigueur, du principe d’effectivité. En exigeant une telle condition avant la mise en œuvre de la directive, on risquerait de reconnaître à celle-ci un effet horizontal direct entre des particuliers, ce qui irait à l’encontre de la jurisprudence bien établie ( 45 ).

104.

Cette argumentation ne saurait, toutefois, être retenue.

105.

Ainsi, il est certes possible que les droits civils des États membres connaissent l’institution du délit permanent, qui se produit et se prescrit progressivement dans le temps. De la même manière, la responsabilité non contractuelle de l’Union se prescrit graduellement dans le temps lorsque le préjudice est continu ( 46 ).

106.

Cependant, une action en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence telle que celle en cause au principal se distingue structurellement d’une action civile classique en responsabilité non contractuelle.

107.

D’abord, elle s’appuie sur un droit découlant de la pleine effectivité des articles 101 et 102 TFUE qui est de nature non seulement à remédier au préjudice direct que la personne concernée allègue avoir subi, mais également aux préjudices indirects portés à la structure et au fonctionnement du marché, qui n’a pu déployer sa pleine efficacité économique, notamment au profit des consommateurs concernés ( 47 ). Les actions en dommages et intérêts pour violation des règles de concurrence de l’Union font partie intégrante du système de mise en œuvre desdites règles ( 48 ). En faisant valoir son droit à réparation, la personne lésée contribue à la réalisation d’objectifs de l’Union et devient ainsi un « défenseur » ou « exécutant » des intérêts de l’Union ( 49 ).

108.

Lorsqu’une telle action de mise en œuvre des règles de concurrence à l’initiative de la sphère privée (private enforcement) est fondée sur une infraction aux articles 101 ou 102 TFUE, la notion d’infraction, qui constitue une notion autonome du droit de l’Union, ne saurait avoir une portée différente de celle qu’elle a dans le contexte de la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par les autorités publiques (public enforcement) ( 50 ). Dès lors, l’infraction sur laquelle se fonde l’action en réparation est déterminée par le droit de l’Union.

109.

Ensuite, l’introduction des actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence nécessite, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe ( 51 ). De plus, la situation se caractérise régulièrement par une asymétrie d’information au détriment de la partie lésée ( 52 ). Partant, une réglementation nationale fixant la date à laquelle le délai de prescription commence à courir et la durée et les modalités de la suspension ou de l’interruption de celui-ci doit être adaptée aux spécificités du droit de la concurrence ( 53 ).

110.

À cet égard, il existe certes des infractions au droit de la concurrence qui peuvent se réaliser immédiatement, avec un seul acte, comme un appel au boycott ou une discrimination contractuelle unique par une entreprise dominante.

111.

Toutefois, comme le souligne justement la juridiction de renvoi, un abus de position dominante tel que celui concerné en l’espèce n’est que le comportement dans son ensemble, qui, par son étendue, sa durée, son intensité et son mode d’exécution, a conduit ou était susceptible de conduire à une distorsion substantielle des conditions de concurrence ou à un effet anticoncurrentiel.

112.

Tout comme pour une infraction complexe et continue à l’article 101 TFUE, il serait donc artificiel de vouloir « morceler » l’infraction et le délai de prescription pour une telle infraction à l’article 102 TFUE qui remplit, ainsi qu’il a été noté aux points 90 et 91 ci-dessus, tout autant les critères d’une infraction unique et continue au droit de la concurrence.

113.

De la même manière, est-il indispensable de ne pas laisser le délai de prescription s’écouler avant que l’infraction n’ait pris fin afin de protéger le droit des personnes lésées à obtenir une réparation intégrale du préjudice subi, qui fait partie de l’acquis jurisprudentiel pré-directive ( 54 ).

114.

Comme le fait, en l’occurrence, valoir Heureka, notamment dans le secteur numérique, une infraction peut avoir un impact à plusieurs niveaux (commerçants, annonceurs, utilisateurs) et modifier la structure du marché. Or, une infraction dans ce domaine et le préjudice qui en découle sont très difficiles à établir avant la fin de l’infraction et l’exigence d’introduire un recours puis de l’adapter progressivement en augmentant le dommage réclamé rend donc excessivement difficile, voire pratiquement impossible, l’exercice de ce droit à réparation intégrale.

115.

Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour que le droit de l’Union pré-directive exigeait déjà que les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que les personnes lésées aient connaissance des éléments indispensables pour l’introduction de leur action, qui comprennent, notamment, l’existence d’une infraction au droit de la concurrence et celle de l’existence d’un préjudice ( 55 ). Or, il semble très difficile de présumer une telle connaissance avant la fin d’une infraction complexe au droit de la concurrence.

116.

Partant, opposer à une personne lésée un délai de prescription sur la seule base de sa prétendue connaissance de l’infraction est source d’insécurité juridique. En revanche, la double condition de la connaissance et de la fin de l’infraction permet de déterminer le point de départ du délai de manière précise et fiable, notamment dans le cas d’actions faisant suite à la décision d’une autorité de concurrence, dans l’intérêt de la personne lésée mais aussi de l’auteur de l’infraction.

117.

À l’inverse, il serait cynique d’opposer à une personne lésée un délai de prescription alors que l’infraction est encore en cours. En outre, le risque de se faire opposer prématurément sa connaissance de l’infraction pourrait même faire hésiter les personnes lésées à dénoncer une infraction auprès de la Commission ou d’une autorité de concurrence et ainsi nuire à la mise en œuvre effective du droit de la concurrence.

118.

Par ailleurs, l’exigence de la cessation de l’infraction pour le point de départ du délai de prescription peut aussi amener l’auteur à mettre fin plus rapidement à l’infraction concernée afin de laisser courir ce délai le plus rapidement possible. En revanche, un régime qui permet de morceler la prescription en plusieurs dies a quo successifs assure à l’auteur de l’infraction qu’il ne risque continuellement d’être condamné à ne réparer qu’une petite partie de l’infraction, correspondant à la durée du délai de prescription, et ne l’incite donc pas à mettre fin à l’infraction.

119.

Contrairement à ce qu’a soutenu la Commission à l’audience dans le cadre de la présente procédure, exiger la double condition de la connaissance et de la fin de l’infraction pour le point de départ du délai de prescription n’incite pas non plus la personne lésée à rester inactive malgré sa connaissance de l’infraction, en contribuant ainsi à la réalisation du préjudice. Il est tout à fait possible de tenir compte, le cas échéant, d’une telle inaction contraire au principe de bonne foi lors de la fixation de l’indemnisation. En revanche, un tel facteur ne peut entrer en ligne de compte pour la détermination du point de départ du délai de prescription.

120.

Une exception à la condition de la fin de l’infraction pour le début du délai de prescription ne semble être concevable que de façon très limitée, notamment si le droit national pré-directive assure que le délai de prescription ne s’écoule pas avant cette fin grâce à d’autres dispositions, par exemple en appliquant des règles de suspension ou d’interruption du délai jusqu’à la date à laquelle la décision constatant l’infraction devient définitive. Même dans un tel cas la juridiction nationale doit vérifier qu’il reste suffisamment de temps pour que la partie lésée puisse préparer et introduire son action après la décision définitive ( 56 ).

121.

Dans la mesure où la personne lésée poursuit son droit subjectif à réparation, il est justifié qu’elle bénéficie d’un délai de prescription subjectif qui ne peut commencer à courir avant la prise de connaissance des éléments essentiels à l’introduction de son action. En cela, elle se distingue de la Commission qui exerce sa compétence objective et pour laquelle seul un délai de prescription objectif court, conformément à l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, à partir du moment où l’infraction est commise ou a pris fin.

122.

Toutefois, en vertu de l’article 2 du règlement no 1/2003, la personne lésée se trouve dans la même position que la Commission quant à la charge de la preuve de l’infraction qu’elle invoque. Partant, il n’est pas justifié de placer cette personne dans une position moins favorable que la Commission pour ce qui est de la fin de l’infraction comme critère pour la prise de cours du délai de prescription. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où cette personne ne dispose pas des compétences et outils d’enquête de la Commission pour établir l’existence de l’infraction ( 57 ), mais dépend en pratique de la décision de la Commission.

123.

Il découle de ces considérations que, pour permettre une mise en œuvre effective du droit à réparation et répondre ainsi aux objectifs de la mise en œuvre des règles du droit de la concurrence par les personnes lésées, il est nécessaire que le délai de prescription pour l’introduction d’une action en responsabilité ne commence pas à courir avant la fin d’une telle infraction.

124.

Contrairement aux arguments de la Commission et de Google, la ratio sous-jacente aux arrêts Volvo et Manfredi e.a. ( 58 ) est donc parfaitement transposable à la présente affaire. Partant, il convient de répondre à la troisième question et à la quatrième question, point i), que l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale qui permet que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage causé par un comportement anticoncurrentiel commence à courir avant le moment où cesse ce comportement dans son ensemble.

125.

Cela signifie que, dans la situation en cause au principal, le délai de prescription ne pouvait pas avoir commencé à courir avant la fin de l’infraction, c’est-à-dire qu’il a pu commencer à courir au plus tôt le 27 juin 2017 (voir point 85 ci-dessus). Il s’ensuit que ce délai n’avait pas expiré avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104 le 27 décembre 2016. Dans ces conditions, la situation en cause au principal n’était pas acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive, mais a continué à produire ses effets après l’expiration de ce délai, en sorte que l’article 10 de ladite directive est applicable à cette situation (voir points 74 et 75 ci-dessus).

2. Le délai de prescription peut-il commencer à courir avant que la personne lésée sache que le comportement constitue une infraction aux règles de la concurrence ? [quatrième question, point ii)]

126.

Par sa quatrième question préjudicielle, point ii), la juridiction de renvoi demande si l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité s’opposent à une réglementation nationale qui ne lie pas le moment où le délai de prescription commence à courir à la connaissance du fait que le comportement en cause constitue une infraction aux règles de la concurrence, comme désormais prévu à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/104. Cette question ne se pose pas en l’occurrence si on applique notre réponse à la troisième question et à la quatrième question, point i), à savoir que le délai de prescription ne commence en tout état de cause pas à courir avant le moment auquel a cessé l’intégralité de l’infraction. Nous ne nous prononçons donc sur la quatrième question, point ii), qu’à titre subsidiaire.

127.

Le principe d’effectivité exige que les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne commencent pas à courir avant que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts. Ces informations comprennent l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre ce préjudice et cette infraction ainsi que l’identité de l’auteur de celle-ci ( 59 ).

128.

Ainsi que l’a expliqué l’avocat général Rantos, dans ce contexte, établir le moment auquel une personne lésée a connaissance de « l’existence de l’infraction », au sens de la qualification juridique du comportement en cause, est source d’insécurité juridique. Partant, il serait judicieux de partir de l’hypothèse que, dans le cadre d’actions de type « follow-on », qui font suite à une décision de la Commission ou d’une autorité nationale de concurrence ( 60 ), il peut raisonnablement être considéré, en l’absence d’autres indications, que la connaissance des éléments indispensables à l’introduction du recours est acquise au moment de la publication du résumé de la décision de la Commission au Journal officiel (ou de l’équivalent pour la décision d’une autorité nationale de concurrence) ( 61 ).

129.

En revanche, dans le cadre d’actions de type « stand-alone », lorsqu’il n’existe pas de décision préalable d’une autorité de concurrence ( 62 ), un tel point de repère public pour la connaissance n’existe pas et il appartient, en définitive, à la juridiction nationale d’établir le moment auquel la partie lésée avait connaissance de « l’existence de l’infraction » seulement sur la base des indications fournies par la partie défenderesse. À cet égard, l’on ne saurait exiger que la qualification juridique des faits en tant qu’infraction au droit de la concurrence soit exempte de tout doute, ce qui est généralement difficile avant l’établissement d’une telle infraction par une décision administrative ou judiciaire. Néanmoins, à l’inverse, la connaissance de simples faits ou éléments épars, qui pourraient laisser soupçonner une infraction au droit de la concurrence, ne saurait suffire pour opposer à la partie lésée une connaissance de l’existence de l’infraction. Il doit exister un faisceau d’indices précis et concordants sur la base desquels on peut présumer qu’une partie diligente ne pouvait raisonnablement ignorer que les faits dont elle avait ou dont elle pouvait avoir connaissance s’apparentaient à une infraction au droit de la concurrence.

130.

Dans ce contexte, il est certes vrai que différencier, au niveau du devoir de diligence, entre des entreprises disposant de conseils juridiques et des consommateurs « professionnels », d’une part, et des consommateurs « ordinaires », d’autre part, augmente encore l’insécurité juridique ( 63 ). Néanmoins, il semble justifié que, lors de son appréciation de la connaissance par la personne lésée de l’existence de l’infraction et de son devoir de diligence à cet égard, la juridiction tienne compte de cette différence. Il semble également possible de tenir compte du fait que certaines infractions comme les accords sur les prix entre des concurrents directs peuvent être plus facilement qualifiées comme allant à l’encontre des règles de la concurrence que d’autres comportements, notamment ceux qui ont lieu sur des marchés nouveaux et qui sont moins connus et analysés par les autorités de la concurrence.

131.

Sur la base de ces considérations, il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle, point ii), que, en vertu de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne doivent pas commencer à courir avant que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts, qui comprennent l’existence d’une infraction au droit de la concurrence. Lorsqu’une telle action fait suite à la décision d’une autorité de la concurrence, une telle connaissance peut, en l’absence d’autres indications, raisonnablement être considérée comme acquise, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, à partir de la publication officielle du résumé de cette décision. En l’absence d’une telle décision, la connaissance de l’existence de l’infraction ne peut être établie que s’il existe un faisceau d’indices précis et concordants sur la base duquel on peut présumer qu’une partie diligente ne pouvait raisonnablement ignorer que les faits dont elle avait ou dont elle pouvait avoir connaissance s’apparentaient à une infraction au droit de la concurrence.

3. Le délai de prescription doit-il être suspendu pendant la durée de la procédure devant la Commission et le contrôle juridictionnel de la décision de la Commission ? [quatrième question, points iii) et iv)]

132.

Par sa quatrième question préjudicielle, points iii) et iv), la juridiction de renvoi demande si l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale qui ne suspend ni n’interrompt le délai de prescription pour une infraction au droit de la concurrence pendant la durée de la procédure devant la Commission relative à cette infraction, encore en cours, et qui ne contient pas non plus de règle selon laquelle la suspension du délai de prescription prend fin au plus tôt un an après que la décision constatant l’infraction est devenue définitive.

133.

Comme pour la quatrième question, point ii), cette question ne se pose pas, en l’occurrence, si on applique notre réponse à la troisième question et à la quatrième question, point i). Nous ne nous prononçons donc sur la quatrième question, points iii) et iv), qu’à titre subsidiaire.

134.

Afin de déterminer si les règles nationales relatives à la prescription rendent excessivement difficile voire pratiquement impossible la mise en œuvre du droit au recours, il y a lieu d’apprécier l’ensemble du régime de prescription national. Il ne faut donc pas examiner de manière isolée certains éléments de ce régime ( 64 ). La possibilité de suspension du délai pendant la durée de la procédure devant la Commission et le contrôle juridictionnel de sa décision n’est que l’un de ses éléments.

135.

Comme le fait valoir la Commission, le motif de la suspension du délai de prescription réside dans le fait que le demandeur devrait avoir la possibilité d’attendre le résultat de l’enquête de l’autorité de concurrence et, le cas échéant, du contrôle juridictionnel de sa décision. Cela lui permettra d’apprécier si une infraction au droit de la concurrence a été commise, de prendre connaissance de sa portée et de sa durée, et de se fonder sur ce constat dans le cadre d’une action ultérieure en dommages et intérêts.

136.

Dans l’affaire Cogeco Communications, la Cour a ainsi constaté que l’exercice du droit au recours est rendu excessivement difficile voire pratiquement impossible si un délai de prescription, qui commence à courir avant l’achèvement des procédures à l’issue desquelles une décision définitive est rendue par l’autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours, est trop court par rapport à la durée de ces procédures et ne peut être ni suspendu ni interrompu pendant le cours de telles procédures, de sorte qu’il n’est pas exclu que ce délai de prescription s’écoule avant même que lesdites procédures soient achevées, empêchant ainsi la personne lésée d’engager une action fondée sur une telle décision ( 65 ).

137.

Or, il ressort de cette jurisprudence que la personne lésée doit avoir la possibilité de fonder son action sur la décision d’une autorité de concurrence relative à l’infraction en cause aux règles de concurrence de l’Union. La suspension ou l’interruption automatique du délai de prescription pendant le cours de procédures de l’autorité de concurrence peut être un outil à cette fin. Toutefois, dans les régimes nationaux, il paraît possible d’avoir également d’autres voies de garantir que la personne lésée puisse fonder son action sur la décision constatant l’infraction.

138.

Partant, il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle, points iii) et iv), que l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, ne s’oppose pas à un régime de prescription pour les actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence qui ne suspend ni n’interrompt automatiquement le délai de prescription pendant la durée de la procédure devant l’autorité de concurrence ou le contrôle juridictionnel de la décision d’une telle autorité. Toutefois, l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, exige que le régime de prescription national permette à la personne lésée de fonder son action sur la décision d’une autorité de concurrence relative à l’infraction en cause aux règles de concurrence de l’Union.

VI. Conclusion

139.

Eu égard à ces considérations, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle du Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) :

1)

Afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 10 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, il convient de vérifier si la situation en cause était acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai. À cette fin, il y a lieu de rechercher si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, le délai de prescription applicable à la situation en cause au principal s’était écoulé, ce qui implique de déterminer le moment auquel ce délai de prescription a commencé à courir. Au cours de la période avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, le point de départ du délai de prescription est déterminé conformément au droit national.

2)

L’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale qui permet que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage causé par un comportement anticoncurrentiel continu commence à courir avant le moment où cesse ce comportement dans son ensemble.

3)

En vertu de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne doivent pas commencer à courir avant que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts, qui comprennent l’existence d’une infraction au droit de la concurrence. Lorsqu’une telle action fait suite à la décision d’une autorité de la concurrence, une telle connaissance peut, en l’absence d’autres indications, raisonnablement être considérée comme acquise, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, à partir de la publication officielle du résumé de cette décision. En l’absence d’une telle décision, la connaissance de l’existence de l’infraction ne peut être établie que s’il existe un faisceau d’indices précis et concordants sur la base duquel on peut présumer qu’une partie diligente ne pouvait raisonnablement ignorer que les faits dont elle avait connaissance ou dont elle pouvait avoir connaissance s’apparentaient à une infraction au droit de la concurrence.

4)

L’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, ne s’oppose pas à un régime de prescription pour les actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence qui ne suspend ni n’interrompt automatiquement le délai de prescription pendant la durée de la procédure devant l’autorité de concurrence ou le contrôle juridictionnel de la décision d’une telle autorité. Toutefois, l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, exige que le régime de prescription national permette à la personne lésée de fonder son action sur la décision d’une autorité de concurrence relative à l’infraction en cause aux règles de concurrence de l’Union.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2014, L 349, p. 1.

( 3 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

( 4 ) Voir arrêt du 24 juillet 2023, Statul român (C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 76 et jurisprudence citée).

( 5 ) Décision C(2017) 4444 final du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 – Moteur de recherche Google (Shopping) (ci-après l’« affaire “Google Shopping” »)].

( 6 ) Règlement de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102] TFUE (JO 2004, L 123, p. 18) ; IP/10/1624, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_10_1624.

( 7 ) Arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763, points 55, 57, 67 et 70).

( 8 ) Arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763, points 71 et 666).

( 9 ) Affaire pendante C‑48/22 P, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping).

( 10 ) Cette date est obtenue en soustrayant un délai de quatre ans à partir de la date de la requête d’Heureka (25 juin 2020). Google considère, à la différence de la juridiction de renvoi (voir point 10 des présentes conclusions), que la réglementation nationale pertinente est le code de commerce, dont le délai de prescription est de quatre ans (voir, également, point 10 des présentes conclusions) à partir du moment où la personne lésée a pris connaissance ou pouvait prendre connaissance du dommage et de l’identité de la personne tenue de le réparer.

( 11 ) La juridiction de renvoi semble partir de cette hypothèse car, si elle ne considérait cette connaissance comme acquise qu’après la fin de l’infraction le 27 juin 2017, même en appliquant l’ancien délai de prescription de trois ans prévu par le code civil tchèque, le droit résultant de l’infraction en cause n’aurait, dans son ensemble, en tout état de cause pas encore été prescrit lors de l’introduction du recours d’Heureka le 26 juin 2020. Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire de s’interroger sur la condition de la fin de l’infraction pour la prise de cours du délai de prescription.

( 12 ) Arrêt Volvo, point 18.

( 13 ) Ordonnance du 6 mars 2023, Deutsche Bank (Entente – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro) (C‑198/22 et C‑199/22, EU:C:2023:166, point 19).

( 14 ) Voir arrêt du 10 février 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Délai de prescription) (C‑219/20, EU:C:2022:89, point 33 et jurisprudence citée).

( 15 ) Arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, EU:C:1994:247, point 48) ; du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB (C‑344/98, EU:C:2000:689, point 53), et du 5 octobre 2004, Commission/Grèce (C‑475/01, EU:C:2004:585, point 18).

( 16 ) Arrêts du 7 juin 1988, Commission/Grèce (63/87, EU:C:1988:285, point 10), et du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 64).

( 17 ) Voir, par exemple, arrêts du 28 janvier 1986, COFAZ/Commission (C‑169/84, EU:C:1986:42, point 24) ; du 31 mars 1998, France e.a./Commission (C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, points 48 à 58), et du 29 juin 2010, Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 90) ; voir, également, arrêt du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission (T‑528/93, T‑542/93, T‑543/93 et T‑546/93, EU:T:1996:99, points 59 à 64), et ordonnance du 18 septembre 2006, Wirtschaftskammer Kärnten et best connect Ampere Strompool/Commission (T‑350/03, EU:T:2006:257, point 54).

( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa (C‑284/12, EU:C:2013:755, point 41).

( 19 ) Voir également, en ce sens, pour la situation avant l’entrée en vigueur de la directive 2014/104, arrêt du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2023:298, points 61 à 63), ainsi que nos conclusions dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 93).

( 20 ) Voir, en ce sens, nos conclusions dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 96).

( 21 ) Arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, (C‑882/19, EU:C:2021:800).

( 22 ) C’est nous qui soulignons.

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 52).

( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, RegioJet (C‑57/21, EU:C:2023:6, point 64). L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 dispose : « Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article [267 TFUE]. » (C’est nous qui soulignons.)

( 25 ) Voir arrêt du 12 janvier 2023, RegioJet (C‑57/21, EU:C:2023:6, points 65 et 66), ainsi que conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire RegioJet (C‑57/21, EU:C:2022:363, points 45 et 46).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Délai de prescription) (C‑219/20, EU:C:2022:89, point 45). Voir également, mutatis mutandis, conclusions de l’avocate générale Ćapeta dans l’affaire DB Station & Service (C‑721/20, EU:C:2022:288, point 88).

( 27 ) Voir, en particulier, arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, EU:C:1987:452, points 12 à 20). Voir également, dans la situation de doutes quant à la validité ou l’interprétation de la décision de la Commission, arrêts du 1er août 2022, Daimler (Ententes – Camions à ordures ménagères) (C‑588/20, EU:C:2022:607, points 27 à 36), et du 25 février 2021, VodafoneZiggo Group/Commission (C‑689/19 P, EU:C:2021:142, point 144).

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Târșia (C‑69/14, EU:C:2015:662, points 28, 29 et 38 à 41).

( 29 ) Arrêt Volvo, points 43 à 47.

( 30 ) Arrêt Volvo, point 48.

( 31 ) Arrêt Volvo, point 49.

( 32 ) Arrêt Volvo, point 52.

( 33 ) Voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario (C‑726/19, EU:C:2021:439, point 86 et jurisprudence citée).

( 34 ) Arrêt Volvo, points 64 à 71.

( 35 ) Selon Heureka, Google a mis fin au comportement incriminé seulement le 27 septembre 2017. Cette affirmation se base, notamment, sur le fait que, à l’article 1er, deuxième alinéa, de la décision C(2017) 4444 final, la Commission a constaté que l’infraction était toujours en cours à la date d’adoption de cette décision alors que, à l’article 3, elle a enjoint à Google d’y mettre fin au plus tard dans un délai de 90 jours à partir de la date de la notification de ladite décision. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier cette affirmation en tenant compte, le cas échéant, de la date réelle de notification de la décision C(2017) 4444 final le 30 juin 2017 (selon les affirmations de Google dans le cadre de son recours contre ladite décision), et de déterminer la date exacte de la fin de l’infraction.

( 36 ) Voir article 10, paragraphe 3, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infraction aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne du 11 juin 2013, COM(2013) 404 final.

( 37 ) Arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 81) ; du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 258), et du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41).

( 38 ) Arrêts du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission (T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 88), et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission (T‑655/11, EU:T:2015:383, points 484 et 498).

( 39 ) Arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission (T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 62).

( 40 ) Voir arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763, points 68 et 69).

( 41 ) Voir, en ce sens, arrêt Volvo, point 50.

( 42 ) Voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, points 42 et 43), et Volvo, point 50.

( 43 ) Arrêt du 13 juillet 2006 (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461).

( 44 ) Arrêt du 28 mars 2019 (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 45) ; voir, également, nos conclusions dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 81).

( 45 ) Arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, points 19 à 30).

( 46 ) Voir arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission (C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 35) ; voir, également, arrêts du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission (T‑28/03, EU:T:2005:139, points 69 et 70, et jurisprudence citée), et du 20 janvier 2021, Folschette e.a./Commission (T‑884/19, non publié, EU:T:2021:27, point 25).

( 47 ) Voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, point 26), et du 16 février 2023, Tráficos Manuel Ferrer (C‑312/21, EU:C:2023:99, point 42).

( 48 ) Arrêt du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800, point 37).

( 49 ) Voir sur ce point, déjà, nos conclusions dans l’affaire Tráficos Manuel Ferrer (C‑312/21, EU:C:2022:712, point 57).

( 50 ) Voir, mutatis mutandis, arrêts du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 47), et du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800, point 38).

( 51 ) Arrêts du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 46) ; Volvo, point 54, et du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2023:298, point 60).

( 52 ) Arrêts Volvo, point 55, et du 16 février 2023, Tráficos Manuel Ferrer (C‑312/21, EU:C:2023:99, point 43).

( 53 ) Arrêts du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 47) ; Volvo, point 53, et du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2023:298, point 60).

( 54 ) Arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 95), et du 16 février 2023, Tráficos Manuel Ferrer (C‑312/21, EU:C:2023:99, point 35).

( 55 ) Arrêt Volvo, points 56 à 61.

( 56 ) Voir, en ce sens, Commission staff working paper accompanying the white paper on damages actions for breach of the EC antitrust rules, SEC(2008) 404, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52008SC0404, point 238.

( 57 ) Voir, sur ce dernier point, arrêt Volvo, point 55.

( 58 ) Arrêt du 13 juillet 2006 (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461).

( 59 ) Arrêt Volvo, points 56 à 60.

( 60 ) Voir, pour cette définition, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2022:659, points 32 à 35).

( 61 ) Voir, en ce sens, arrêt Volvo, point 71, et conclusions de l’avocat général Rantos dans l’affaire Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2021:884, points 122 et 123).

( 62 ) Voir encore, pour cette définition, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2022:659, points 32 à 35).

( 63 ) Voir conclusions de l’avocat général Rantos dans l’affaire Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2021:884, points 121 et 122).

( 64 ) Voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, points 45 à 55) ; voir, également, nos conclusions dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 81), ainsi que conclusions de l’avocat général Rantos dans l’affaire Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2021:884, point 101).

( 65 ) Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 52).

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