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Document 62020CJ0275

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 1er mars 2022.
Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne.
Recours en annulation – Décision (UE) 2020/470 – Prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel annexé à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part – Base juridique procédurale – Article 218, paragraphe 7, TFUE – Procédure et règle de vote applicables.
Affaire C-275/20.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:142

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

1er mars 2022 ( *1 )

« Recours en annulation – Décision (UE) 2020/470 – Prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel annexé à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part – Base juridique procédurale – Article 218, paragraphe 7, TFUE – Procédure et règle de vote applicables »

Dans l’affaire C‑275/20,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 23 juin 2020,

Commission européenne, représentée par M. J.-F. Brakeland ainsi que par Mmes M. Afonso et D. Schaffrin, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Plaza García et M. B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

République française, représentée par MM. J.-L. Carré et T. Stehelin ainsi que par Mmes E. de Moustier et A. Daniel, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, I. Jarukaitis (rapporteur), Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, T. von Danwitz, F. Biltgen, P. G. Xuereb et N. Wahl, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande l’annulation de la décision (UE) 2020/470 du Conseil, du 25 mars 2020, concernant la prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel annexé à l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2020, L 101, p. 1, ci‑après la « décision attaquée »).

Le cadre juridique

Le protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel

2

Le protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel (JO 2011, L 127, p. 1418, ci-après le « protocole »), annexé à l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2011, L 127, p. 6, ci‑après l’« accord »), prévoit, à son article 5, intitulé « Coproductions audiovisuelles », le droit, pour les coproductions audiovisuelles, de bénéficier des régimes respectifs de promotion du contenu culturel régional ou local (ci-après le « droit en cause »). Cet article est libellé ainsi :

« [...]

3.   Les parties facilitent, conformément à leur législation respective, les coproductions entre producteurs de la partie [de l’Union européenne] et de la Corée, notamment en accordant aux coproductions le [droit en cause].

[...]

8.   

a)

Le [droit en cause] est établi pour une période de trois ans suivant la mise en application du présent protocole. Sur recommandation des groupes consultatifs internes, six mois avant l’expiration de ce délai, le comité “Coopération culturelle” procède à une concertation en vue d’évaluer les résultats de la mise en œuvre de ce droit en termes de renforcement de la diversité culturelle et de coopération mutuellement avantageuse en ce qui concerne les coproductions.

b)

Le droit susvisé est rouvert pour une période de trois ans et est ensuite reconduit automatiquement pour de nouvelles périodes successives de la même durée, à moins qu’une partie n’y mette un terme moyennant un préavis écrit d’au moins trois mois avant l’expiration de la période initiale ou de toute période ultérieure. Six mois avant l’expiration de chaque période faisant suite à la période initiale, le comité “Coopération culturelle” mène une évaluation similaire à celle décrite au point a).

[...] »

La décision 2011/265/UE

3

Le considérant 6 de la décision 2011/265/UE du Conseil, du 16 septembre 2010, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2011, L 127, p. 1), énonce :

« Conformément à l’article 218, paragraphe 7, [TFUE], le Conseil [de l’Union européenne] peut habiliter la Commission à approuver certaines modifications limitées de l’accord. Il y a lieu d’autoriser la Commission à prononcer l’expiration du [droit en cause], à moins que la Commission ne décide de prolonger l’applicabilité de ce droit et que cela ne soit approuvé par le Conseil conformément à une procédure spéciale, compte tenu à la fois du caractère sensible de cet élément de l’accord et du fait que l’accord doit être conclu par l’Union et ses États membres. [...] »

4

L’article 4, paragraphe 1, de cette décision prévoit :

« La Commission avise la [République de] Corée de l’intention de l’Union de ne pas prolonger la période d’application du [droit en cause] selon la procédure prévue à [l’]article 5, paragraphe 8, [du protocole] à moins que, sur proposition de la Commission et quatre mois avant l’expiration de la période susvisée, le Conseil ne décide de poursuivre l’application du droit concerné. Dans ce dernier cas, la présente disposition est à nouveau applicable au terme de la nouvelle période d’application. Aux fins spécifiques d’une décision sur la prolongation de la période d’application, le Conseil statue à l’unanimité. »

La décision d’exécution 2014/226/UE

5

Par la décision d’exécution 2014/226/UE du Conseil, du 14 avril 2014, concernant la prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel joint à l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2014, L 124, p. 25), la période d’application du droit en cause a été prolongée pour une durée de trois ans, allant du 1er juillet 2014 au 30 juin 2017.

La décision (UE) 2015/2169

6

Par la décision (UE) 2015/2169 du Conseil, du 1er octobre 2015, relative à la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2015, L 307, p. 2), cet accord a été approuvé au nom de l’Union. Le considérant 6 de cette décision est libellé dans les mêmes termes que ceux du considérant 6 de la décision 2011/265. De même, l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 est formulé en des termes semblables à ceux de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2011/265.

La décision (UE) 2017/1107

7

Par la décision (UE) 2017/1107 du Conseil, du 8 juin 2017, concernant la prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel joint à l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (JO 2017, L 160, p. 33), la période d’application du droit en cause a été prolongée pour une durée de trois ans, allant du 1er juillet 2017 au 30 juin 2020.

La décision attaquée

8

La décision attaquée, adoptée au visa de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, prévoit que la période d’application du droit en cause est prolongée pour une durée de trois ans, allant du 1er juillet 2020 au 30 juin 2023.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

9

La Commission demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de condamner le Conseil aux dépens.

10

Le Conseil conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens. À titre subsidiaire, si la décision attaquée devait être annulée, il demande à la Cour de maintenir les effets de celle-ci jusqu’à ce qu’il ait été remédié aux motifs d’annulation constatés.

11

Par les décisions du président de la Cour du 7 décembre 2020, la République française et le Royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

Sur le recours

Argumentation des parties

12

À l’appui de son recours en annulation, la Commission soulève un moyen unique, tiré de ce que l’utilisation, comme base juridique, de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 pour fonder la décision attaquée est contraire aux traités et à la jurisprudence de la Cour.

13

Dans le cadre de ce moyen unique, la Commission soutient que, en ayant recours à cette base juridique, qui requiert que le Conseil statue à l’unanimité et qui exclut la participation du Parlement européen, au lieu de retenir, comme base juridique procédurale, l’article 218, paragraphe 6, sous a), v), TFUE, qui prévoit, lu en combinaison avec l’article 218, paragraphe 8, premier alinéa, TFUE, un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, après approbation du Parlement, comme elle l’avait proposé, le Conseil a modifié la règle de vote applicable et méconnu les prérogatives du Parlement en ce qui concerne la prolongation de l’application d’une partie d’un accord international.

14

La Commission estime que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 constitue une « base juridique dérivée », dont l’utilisation serait contraire au principe d’attribution des compétences énoncé à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi qu’au principe de l’équilibre institutionnel.

15

En outre, selon cette institution, il est incohérent d’exiger que le Conseil statue à l’unanimité pour la reconduction du droit en cause alors que l’établissement de ce dernier a été décidé à la majorité qualifiée, lors de l’adoption de la décision 2011/265, et que l’Union a accepté, en vertu du droit international, qu’il soit en principe automatiquement reconduit. L’application d’une règle interne plus stricte et l’exigence selon laquelle le Conseil doit accepter la reconduction de ce droit iraient à l’encontre de l’objectif de la reconduction automatique convenue par les parties à l’accord et, partant, seraient contraires à la jurisprudence relative à la primauté des accords internationaux sur le droit dérivé de l’Union.

16

Dans la réplique, la Commission ajoute, en réponse à l’argumentation du Conseil selon laquelle la décision attaquée est fondée non pas sur une « base juridique dérivée », mais sur l’article 218, paragraphe 7, TFUE, qu’elle partage la position du Conseil selon laquelle cette décision a pour objet une modification d’un accord, au sens de cette disposition, dans la mesure où elle prolonge l’application d’une disposition figurant dans le protocole. Cela étant, elle estime que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 ne saurait être considéré comme un cas d’application de l’article 218, paragraphe 7, TFUE, car ce protocole, en prévoyant une reconduction automatique du droit en cause pour de nouvelles périodes successives de même durée, ne prévoirait aucune étape procédurale particulière pour la reconduction de ce droit, de telle sorte qu’il ne serait pas nécessaire que le Conseil autorise la Commission à approuver cette reconduction.

17

En outre, les conditions procédurales dont l’habilitation prétendument accordée à la Commission est assortie seraient incompatibles avec l’article 218 TFUE et le recours à une « base juridique dérivée » exigeant un vote à l’unanimité au sein du Conseil serait illégal.

18

Au demeurant, l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 ne donnerait pas une habilitation pour approuver, au nom de l’Union, des modifications de l’accord, au sens de l’article 218, paragraphe 7, TFUE, mais refléterait simplement le pouvoir qui est celui de la Commission d’assurer, dans le cas d’une décision s’opposant au renouvellement du droit en cause, la représentation extérieure de l’Union, conformément à l’article 17 TUE, le Conseil demeurant néanmoins toujours compétent pour décider ce renouvellement. Ainsi, il n’y aurait pas eu de transfert effectif du pouvoir de décision, assorti de conditions spécifiques, en faveur de la Commission.

19

Le Conseil, soutenu par la République française et le Royaume des Pays-Bas, s’oppose à l’argumentation de la Commission, en faisant principalement valoir que la procédure appliquée pour adopter la décision attaquée est fondée sur l’article 218, paragraphe 7, TFUE, ainsi que l’indiquerait très clairement la référence explicite à cette disposition figurant au considérant 6 de la décision 2015/2169, et que cette procédure est compatible avec ladite disposition du traité FUE.

20

Le Conseil fait valoir, en effet, que les conditions d’applicabilité de l’article 218, paragraphe 7, TFUE sont satisfaites, dès lors que, d’une part, la reconduction du droit en cause constitue une modification d’une partie spécifique et indépendante de l’accord effectuée au moyen d’une procédure simplifiée établie à l’article 5, paragraphe 8, du protocole. La Commission serait en particulier habilitée, en sa qualité de négociatrice, à modifier le droit en cause en supprimant celui-ci à l’expiration de la période de trois ans en cours et à aviser la République de Corée de cette décision. D’autre part, la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 assortirait de conditions valables cette habilitation accordée à la Commission.

21

En effet, s’agissant de l’exigence d’un vote à l’unanimité au sein du Conseil, ce dernier soutient que la reconduction du droit en cause constitue une dérogation à la règle générale selon laquelle le droit concerné est supprimé en l’absence de décision contraire, ce qui justifierait l’application de conditions plus strictes.

22

À titre subsidiaire, le Conseil fait valoir, pour le cas où la Cour jugerait qu’il n’était pas possible de prévoir un tel vote à l’unanimité parmi les conditions visées à l’article 218, paragraphe 7, TFUE, que ce serait uniquement l’obligation de statuer à l’unanimité qui ne serait pas valide. Cependant, la décision attaquée ayant été adoptée à l’unanimité, elle aurait nécessairement recueilli la majorité qualifiée au sein du Conseil et devrait ainsi, selon lui, être considérée comme ayant été valablement adoptée.

23

Dans la duplique, le Conseil s’oppose, notamment, à l’argumentation de la Commission selon laquelle le droit en cause pourrait être reconduit par l’Union sans avoir recours à une procédure interne lorsque l’intention de la Commission est de reconduire ce droit, tandis qu’une procédure décisionnelle serait nécessaire pour y mettre un terme. Selon lui, le caractère automatique de la reconduction du droit en cause à l’égard de chacune des parties à l’accord ne saurait, en effet, exclure tout type de procédure décisionnelle interne, dès lors que, la durée de l’applicabilité de ce droit étant limitée à trois ans, une prise de décision tous les trois ans selon les procédures décisionnelles internes appropriées est nécessaire. En l’absence de respect de ces procédures décisionnelles, il serait porté atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union ainsi qu’à l’équilibre institutionnel établi par les auteurs des traités.

24

Le Conseil maintient que l’article 218, paragraphe 7, TFUE constitue une base juridique appropriée pour la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169. Il souligne, en particulier, que l’article 5, paragraphe 8, du protocole établit une procédure simplifiée pour la modification de ce protocole en prévoyant un consentement tacite pour la reconduction du droit en cause et une notification préalable pour mettre un terme à ce droit.

25

La République française fait valoir que la décision attaquée met en œuvre une procédure fondée sur l’article 218, paragraphe 7, TFUE et que c’est, par conséquent, à tort que la Commission prétend que le Conseil a fondé cette décision sur une base juridique non prévue par le traité FUE. En premier lieu, elle estime que les modalités de reconduction du droit en cause constituent un cas d’application de cette disposition du traité FUE. En effet, selon elle, d’une part, la reconduction du droit en cause étend l’application dans le temps des stipulations relatives à ce droit, qui constituent une composante spécifique et autonome du protocole et, à l’inverse, l’absence de reconduction dudit droit revient en substance à priver d’effets juridiques ces stipulations. Ainsi, la reconduction du droit en cause constituerait une modification de ce protocole.

26

D’autre part, la reconduction automatique, dans le silence des parties, du droit en cause entre, selon cet État membre, dans la catégorie des stipulations dérogatoires à la procédure de révision de droit commun des accords internationaux, dont elle constitue une simplification.

27

En deuxième lieu, la République française estime que le dispositif prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 met correctement en œuvre l’article 218, paragraphe 7, TFUE, en ce qu’il prévoit que le Conseil doit approuver la décision de la Commission de ne pas notifier la terminaison du droit en cause. Elle fait observer, à cet égard, que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 confère à la Commission un pouvoir décisionnel réel sur le choix à opérer tous les trois ans, tout en assortissant cette habilitation de conditions spécifiques, au sens de l’article 218, paragraphe 7, TFUE. Cette restriction serait légitime étant donné que cette dernière disposition constitue une dérogation à l’article 218, paragraphes 5, 6 et 9, TFUE et que la reconduction du droit en cause fait partie des actes de définition des politiques de l’Union et d’élaboration de l’action extérieure de celle-ci. Le recours au vote à l’unanimité ne constituerait qu’une modalité d’exercice de l’approbation, par le Conseil, du choix de la Commission de ne pas s’opposer à la reconduction de ce droit et le caractère licite ou non de cette modalité serait sans incidence sur la validité de l’exigence d’une telle approbation.

28

En troisième et dernier lieu, la République française affirme que, en tout état de cause, eu égard au principe d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, le droit en cause n’aurait pu être renouvelé en l’absence d’un acte de l’Union le prévoyant spécifiquement, ce indépendamment de la circonstance qu’un tel renouvellement exprès n’est pas nécessaire dans l’ordre juridique international.

29

Le Royaume des Pays-Bas a déclaré souscrire pleinement à la position du Conseil et à tous les arguments invoqués à l’appui de celle-ci.

Appréciation de la Cour

30

Il ressort de la décision attaquée que celle-ci a été adoptée au visa de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, lequel prévoit notamment, à l’instar de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2011/265, que la Commission avise la République de Corée de l’intention de l’Union de ne pas prolonger la période d’application du droit en cause, à moins que, sur proposition de la Commission et quatre mois avant l’expiration de cette période d’application, le Conseil ne décide, à l’unanimité, de poursuivre l’application de ce droit.

31

La Commission soutient, à l’appui du moyen unique, que, en fondant la décision attaquée sur l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, le Conseil a utilisé illégalement une « base juridique dérivée ».

32

À cet égard, il convient de rappeler que les règles relatives à la formation de la volonté des institutions de l’Union sont établies par les traités et ne sont à la disposition ni des États membres ni de ces institutions elles-mêmes. Seuls les traités peuvent par conséquent, dans des cas particuliers, habiliter une institution à modifier une procédure décisionnelle qu’ils établissent. Dès lors, reconnaître à une institution la possibilité d’établir des bases juridiques dérivées, que ce soit dans le sens d’un renforcement ou dans celui d’un allégement des modalités d’adoption d’un acte, reviendrait à lui attribuer un pouvoir législatif qui excède ce qui est prévu par les traités. Cela conduirait également à lui permettre de porter atteinte au principe de l’équilibre institutionnel, qui implique que chacune desdites institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres (voir, en ce sens, arrêts du 6 mai 2008, Parlement/Conseil, C‑133/06, EU:C:2008:257, points 54 à 57, ainsi que du 22 septembre 2016, Parlement/Conseil, C‑14/15 et C‑116/15, EU:C:2016:715, point 47).

33

En l’espèce, il ressort du considérant 6 de la décision 2015/2169 que la procédure décisionnelle prévue à l’article 3, paragraphe 1, de cette décision a pour base juridique l’article 218, paragraphe 7, TFUE, ce considérant indiquant que, conformément à cette disposition du traité FUE, le Conseil peut habiliter la Commission à approuver certaines modifications limitées de l’accord et qu’il y a lieu d’autoriser la Commission à prononcer l’expiration du droit en cause, à moins qu’elle ne décide de prolonger l’applicabilité de ce droit et que cela soit approuvé par le Conseil conformément à une procédure spéciale, compte tenu à la fois du caractère sensible de cet élément de l’accord et du fait que celui-ci doit être conclu par l’Union et ses États membres.

34

Il s’ensuit que le moyen unique soulevé par la Commission devra être écarté si la procédure instituée à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, mise en œuvre par la décision attaquée, entre dans le champ d’application de l’article 218, paragraphe 7, TFUE et si elle est conforme à l’article 218 TFUE, en ce qu’elle exige, pour la reconduction du droit en cause, un vote à l’unanimité au sein du Conseil.

35

L’article 218, paragraphe 7, TFUE prévoit que, par dérogation aux paragraphes 5, 6 et 9 de cet article, le Conseil peut, lors de la conclusion d’un accord, habiliter le négociateur à approuver, au nom de l’Union, les modifications de l’accord, lorsque celui-ci prévoit que ces modifications doivent être adoptées selon une procédure simplifiée ou par une instance créée par cet accord. Il prévoit, en outre, que le Conseil peut assortir une telle habilitation de conditions spécifiques.

36

Il convient, par conséquent, d’examiner, en premier lieu, si l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 habilite la Commission à approuver, au nom de l’Union, une modification du protocole et si ce dernier prévoit qu’une telle modification doit être adoptée selon une procédure simplifiée ou par une instance créée par l’accord ou par ce protocole.

37

S’agissant, d’une part, du point de savoir si, par l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, le Conseil habilite la Commission à approuver, au nom de l’Union, une modification du protocole, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 5, paragraphe 8, sous a) et b), de ce dernier que les parties à l’accord et, par extension, au protocole doivent, tous les trois ans, à la suite d’une évaluation menée par le comité « Coopération culturelle » constitué en application de l’article 3, paragraphe 1, de ce protocole, apprécier si elles entendent ou non reconduire le droit en cause pour une nouvelle période de trois ans.

38

L’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 prévoit à cet égard une procédure interne à l’Union en ce qu’il donne pouvoir à la Commission de mettre fin au droit en cause au terme de chaque période de trois ans ou, si elle estime que ce droit doit être reconduit, de faire une proposition en ce sens au Conseil avant l’expiration de chaque période. Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 60 de ses conclusions, l’absence de reconduction dudit droit revient à supprimer un droit instauré par le protocole et qui est en principe reconduit tacitement et automatiquement tous les trois ans, une telle suppression devant ainsi s’analyser comme une modification de ce protocole.

39

Dès lors, bien qu’une décision telle que la décision attaquée, qui a pour objet de reconduire le droit en cause pour une période de trois ans, ne puisse, en tant que telle, être regardée comme tendant à modifier le protocole, il demeure que la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, applicable pour adopter une telle décision, habilite la Commission à apprécier tous les trois ans s’il convient de reconduire ou de prononcer l’expiration de ce droit, à décider seule de cette expiration ou à décider de saisir le Conseil aux fins d’une reconduction dudit droit. Cette procédure habilite, ainsi, la Commission à adopter des décisions relatives à la modification de ce protocole.

40

Par conséquent, il convient de considérer que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, mis en œuvre par la décision attaquée, constitue bien une habilitation, donnée à la Commission par le Conseil, lors de la conclusion de l’accord et, par extension, du protocole annexé à celui-ci, à approuver, au nom de l’Union, des « modifications de l’accord », au sens de l’article 218, paragraphe 7, TFUE.

41

En ce qui concerne, d’autre part, le point de savoir si le protocole prévoit que les modifications de ce dernier doivent être adoptées selon une procédure simplifiée ou par une instance créée par l’accord ou par le protocole, ainsi que l’article 218, paragraphe 7, TFUE le requiert, il convient de constater que l’article 5, paragraphe 8, sous a) et b), du protocole ne donne pas pouvoir au comité « Coopération culturelle » d’apporter des modifications au protocole, mais lui donne seulement mission de mener des évaluations des résultats de la mise en œuvre du droit en cause, ainsi qu’il a été relevé au point 37 du présent arrêt. En revanche, cette dernière disposition prévoit bien une procédure simplifiée en ce que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 67 de ses conclusions, il suffit, pour mettre un terme à ce droit, qu’une partie à l’accord le fasse moyennant un préavis écrit notifié trois mois avant l’expiration de la période initiale ou de toute période ultérieure, ledit droit étant, à défaut, reconduit automatiquement.

42

Il y a lieu, par ailleurs, d’ajouter que les règles prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 peuvent être considérées comme faisant application de la possibilité, prévue à l’article 218, paragraphe 7, TFUE, pour le Conseil d’assortir l’habilitation donnée à la Commission de conditions spécifiques, puisque cette disposition de la décision 2015/2169 impose à la Commission, si cette dernière estime qu’il convient non pas de mettre un terme au droit en cause, mais de reconduire celui-ci pour une durée de trois ans, de faire une proposition au Conseil en ce sens quatre mois avant l’expiration de la période en cours.

43

Il s’ensuit que, contrairement à ce que la Commission soutient, la procédure instituée à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169, mise en œuvre par la décision attaquée, entre dans le champ d’application de l’article 218, paragraphe 7, TFUE, de telle sorte que cette décision n’avait pas à être adoptée suivant la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 6, sous a), TFUE.

44

S’agissant, en second lieu, du point de savoir si la procédure instituée à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 est conforme à l’article 218 TFUE, en ce qu’elle exige, pour la reconduction du droit en cause, un vote à l’unanimité au sein du Conseil, il convient de relever que l’article 218, paragraphe 7, TFUE ne prévoit aucune règle de vote en vue de l’adoption par le Conseil des décisions pour lesquelles celui‑ci a, dans le cadre de l’habilitation qu’il a donnée à la Commission sur le fondement de cette disposition, retenu sa compétence.

45

Dans ces conditions, c’est par référence à l’article 218, paragraphe 8, TFUE que la règle de vote applicable doit, dans chaque cas d’espèce, être déterminée. Eu égard à l’emploi, d’une part, de l’expression « [t]out au long de la procédure », au premier alinéa de cette disposition, et, d’autre part, du terme « [t]outefois », au début du second alinéa de ladite disposition, il y a lieu de considérer que, en règle générale, le Conseil statue à la majorité qualifiée et que c’est uniquement dans les cas exposés à ce second alinéa qu’il statue à l’unanimité. Dans ces conditions, la règle de vote applicable doit, dans chaque cas d’espèce, être déterminée selon qu’elle relève ou non de ces derniers cas [voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 29].

46

En particulier, le premier cas de figure, qui est le seul pertinent en l’espèce, dans lequel l’article 218, paragraphe 8, second alinéa, TFUE requiert que le Conseil statue à l’unanimité concerne l’hypothèse dans laquelle l’accord porte sur un domaine pour lequel l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte de l’Union, ce cas de figure établissant ainsi un lien entre la base juridique matérielle d’une décision prise au titre dudit article et la règle de vote applicable pour l’adoption de celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan), C‑244/17, EU:C:2018:662, point 29].

47

Le lien ainsi assuré entre la base juridique matérielle des décisions adoptées dans le cadre d’un accord et la règle de vote applicable pour l’adoption de ces décisions contribue à préserver la symétrie entre les procédures relatives à l’action interne de l’Union et les procédures relatives à son action externe, dans le respect de l’équilibre institutionnel établi par les auteurs des traités [voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan), C‑244/17, EU:C:2018:662, point 30].

48

Une telle symétrie doit ainsi également être assurée lorsqu’est adoptée une décision portant sur une modification d’un accord telle que prévue à l’article 218, paragraphe 7, TFUE.

49

Dès lors que le droit en cause ne relève pas d’un domaine pour lequel un vote à l’unanimité au sein du Conseil est requis pour l’adoption d’un acte de l’Union, la procédure instituée à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/2169 n’est, contrairement à ce que le Conseil soutient, pas conforme à l’article 218 TFUE, en ce qu’elle exige un tel vote à l’unanimité. La règle de vote applicable pour l’adoption de décisions telles que la décision attaquée doit dès lors être celle prévue à l’article 218, paragraphe 8, premier alinéa, TFUE, à savoir un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil.

50

Le considérant 6 de la décision 2015/2169 indiquant que la prolongation de l’applicabilité du droit en cause est approuvée par le Conseil conformément à une procédure spéciale, compte tenu à la fois du caractère sensible de cet élément de l’accord et du fait que celui-ci doit être conclu par l’Union et ses États membres, il convient d’ajouter que, d’une part, le caractère sensible de la matière concernée ne saurait justifier l’adoption d’une base juridique dérivée établissant une procédure spéciale (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2008, Parlement/Conseil, C‑133/06, EU:C:2008:257, point 59). D’autre part, ces justifications ne sauraient permettre au Conseil de s’affranchir du respect des règles de vote prévues à l’article 218 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, Commission/Conseil, C‑28/12, EU:C:2015:282, point 55) et, en particulier, de déroger à celles-ci dans le cadre des conditions spécifiques dont il peut assortir l’habilitation donnée au négociateur en vertu de l’article 218, paragraphe 7, TFUE.

51

En égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir le moyen unique soulevé par la Commission et, par voie de conséquence, d’annuler la décision attaquée.

Sur le maintien des effets de la décision attaquée

52

Le Conseil demande à la Cour, dans l’hypothèse où elle annulerait la décision attaquée, de maintenir les effets de cette dernière jusqu’à ce qu’il ait été remédié aux motifs d’annulation constatés.

53

Aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

54

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, eu égard à des motifs ayant trait à la sécurité juridique, les effets d’un tel acte peuvent être maintenus notamment lorsque les effets immédiats de son annulation entraîneraient des conséquences négatives graves pour les parties concernées [voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 62 et jurisprudence citée].

55

En l’espèce, l’annulation de la décision attaquée, sans que ses effets soient maintenus, serait susceptible de mettre en doute l’engagement de l’Union quant à la prolongation de la période d’application du droit en cause pour une durée de trois ans, allant du 1er juillet 2020 au 30 juin 2023, et de gêner ainsi la bonne exécution de l’accord [voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 63 et jurisprudence citée].

56

Par conséquent, il y a lieu de maintenir, pour des motifs de sécurité juridique, les effets de la décision attaquée, dont l’annulation est prononcée par le présent arrêt, jusqu’à ce qu’il ait été remédié aux motifs d’annulation constatés.

Sur les dépens

57

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Conseil et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.

58

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il y a dès lors lieu de décider que la République française et le Royaume des Pays-Bas supportent leurs propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

La décision (UE) 2020/470 du Conseil, du 25 mars 2020, concernant la prolongation de la période d’application du droit accordé aux coproductions audiovisuelles en vertu de l’article 5 du protocole relatif à la coopération dans le domaine culturel annexé à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part, est annulée.

 

2)

Les effets de la décision 2020/470 sont maintenus en vigueur jusqu’à ce qu’il ait été remédié aux motifs d’annulation constatés.

 

3)

Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

 

4)

La République française et le Royaume des Pays-Bas supportent leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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