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Document 62020CC0519

Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 25 novembre 2021.
Procédure engagée par K.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Hannover.
Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Rétention à des fins d’éloignement – Article 16, paragraphe 1 – Effet direct – Centre de rétention spécialisé – Notion – Rétention dans un établissement pénitentiaire – Conditions – Article 18 – Situation d’urgence – Notion – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contrôle juridictionnel effectif.
Affaire C-519/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:958

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 25 novembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑519/20

K

en présence de

Landkreis Gifhorn

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Rétention à des fins d’éloignement – Article 16, paragraphe 1 – Notion de “centre de rétention spécialisé” – Article 18, paragraphe 1 – Notion de “situation d’urgence” – Législation nationale en vertu de laquelle le placement en rétention peut avoir lieu dans un établissement pénitentiaire en raison d’une situation d’urgence – Portée de l’appréciation incombant à l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention »

I. Introduction

1.

Dans la présente affaire, la Cour est invitée à préciser plusieurs modalités relatives au placement en rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement, énoncées par la directive 2008/115/CE ( 2 ), dans la lignée des arrêts du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate ( 3 ), du 17 juillet 2014, Pham ( 4 ), ainsi que du 2 juillet 2020, Stadt Frankfurt am Main ( 5 ).

2.

Cette affaire s’inscrit dans le cas particulier où la République fédérale d’Allemagne se prévaut d’une situation d’urgence au sens de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive pour déroger à la règle selon laquelle ces ressortissants sont placés, aux fins de leur éloignement, dans des centres de rétention spécialisés. C’est sur le fondement d’une telle législation que K, un ressortissant pakistanais, a été placé en rétention dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre (Allemagne) au mois de septembre 2020.

3.

L’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre, Allemagne) doit aujourd’hui apprécier la légalité de cette mesure au regard des dispositions énoncées aux articles 16 et 18 de la directive 2008/115. C’est à cette fin qu’il adresse à la Cour plusieurs questions préjudicielles.

4.

Tout d’abord, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser les conditions dans lesquelles un État membre peut se prévaloir d’une situation d’urgence, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, pour permettre le placement en rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires. Ensuite, cette juridiction invite la Cour à déterminer les pouvoirs incombant, dans ce contexte, à l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention. Enfin, ladite juridiction cherche à savoir si la section de Langenhagen dans laquelle a été placé K, peut être qualifiée de « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de ladite directive. Cette question permettra à la Cour de définir les critères sur la base desquels un centre de rétention spécialisé se distingue d’un établissement pénitentiaire, en particulier au regard de la direction de la structure, du régime de la rétention et des conditions matérielles de celle-ci.

5.

Dans les présentes conclusions, j’exposerai, dans un premier temps, les raisons pour lesquelles je considère qu’une réglementation nationale qui permet, pour une durée de trois ans, le placement en rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires ne répond pas aux conditions d’urgence énoncées par le législateur de l’Union à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

6.

J’expliquerai, dans un deuxième temps, que l’adoption de mesures exceptionnelles sur le fondement de cet article ne saurait priver l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention de vérifier, dans chaque situation individuelle, si les circonstances ayant justifié la reconnaissance d’une situation d’urgence sont toujours réunies.

7.

Dans un troisième temps, j’exposerai les motifs pour lesquels je considère que, au regard des indications fournies tant par la juridiction de renvoi que par le gouvernement allemand, la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre ne semble pas pouvoir être qualifiée, au jour du placement en rétention de K, de « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115.

II. Le cadre juridique

A.   La directive 2008/115

8.

Les considérants 13, 16, 17 et 24 de la directive 2008/115 énoncent :

« (13)

Il convient de subordonner expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis [...] Les États membres devraient pouvoir avoir recours à différentes possibilités pour contrôler le retour forcé.

[...]

(16)

Le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas.

(17)

Les ressortissants de pays tiers placés en rétention devraient être traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux et conformément aux dispositions du droit national et du droit international. Sans préjudice de l’arrestation initiale opérée par les autorités chargées de l’application de la loi, régie par la législation nationale, la rétention devrait s’effectuer en règle générale dans des centres de rétention spécialisés.

[...]

(24)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. »

9.

L’article 1er de la directive 2008/115 prévoit :

« La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit [de l’Union] ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. »

10.

L’article 16 de la directive 2008/115, intitulé « Conditions de rétention », dispose, à son paragraphe 1 :

« La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun. »

11.

L’article 17, paragraphe 2, de cette directive est libellé comme suit :

« Les familles placées en rétention dans l’attente d’un éloignement disposent d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité adéquate. »

12.

L’article 18 de ladite directive, intitulé « Situations d’urgence », prévoit :

« 1.   Lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l’État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider [...] de prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2.

2.   Lorsqu’il recourt à ce type de mesures exceptionnelles, l’État membre concerné en informe la Commission [européenne]. Il informe également la Commission dès que les motifs justifiant l’application de ces mesures ont cessé d’exister.

3.   Aucune disposition du présent article ne saurait être interprétée comme autorisant les États membres à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la présente directive. »

13.

Dans le cadre de sa proposition de refonte de la directive 2008/115 ( 6 ), la Commission ne propose aucune modification des règles énoncées aux articles 16 et 18 de celle-ci.

B.   Le droit allemand

14.

Conformément aux articles 83 et 84 du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne), c’est aux Bundesländer (États fédérés) qu’il appartient d’assurer l’exécution des rétentions ordonnées en vue de l’éloignement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

15.

L’article 62a, paragraphe 1, du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi sur le séjour, le travail et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral) ( 7 ), du 30 juillet 2004, dans sa version en vigueur du 29 juillet 2017 au 20 août 2019, lequel a pour objet de transposer dans l’ordre juridique allemand l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, était rédigé comme suit :

« La rétention à des fins d’éloignement s’effectue en principe dans des centres de rétention spécialisés. Si aucun centre de rétention spécialisé n’existe sur le territoire fédéral ou si l’étranger présente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, la rétention peut être effectuée dans d’autres établissements pénitentiaires ; dans ce cas, les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. »

16.

Cette disposition a été modifiée à la suite de l’entrée en vigueur du Zweiten Gesetz zur besseren Durchsetzung der Ausreisepflicht (deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire) ( 8 ), du 15 août 2019.

17.

L’article 1er, point 22, de cette loi dispose :

« L’article 62a, paragraphe 1, [de l’AufenthG] est remplacé par le texte suivant :

“(1)

Les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. Lorsque plusieurs membres d’une famille sont placés en rétention, ils sont hébergés séparément des autres personnes détenues à des fins d’éloignement. Il convient de leur garantir une intimité adéquate.” »

18.

L’exposé des motifs du projet de ladite loi précise, en ce qui concerne l’article 1er, point 22 ( 9 ) :

« En conséquence de la modification de l’article 62a, paragraphe 1, il n’est temporairement plus requis, en application de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, que les personnes détenues à des fins d’éloignement soient hébergées dans des centres de rétention spécialisés. La rétention à des fins d’éloignement peut temporairement avoir lieu dans tous les centres de rétention et, dans une limite de 500 places, dans des établissements pénitentiaires. Il est toujours imposé que les personnes détenues à des fins d’éloignement et les prisonniers de droit commun soient séparés. La règle actuelle concernant l’hébergement de plusieurs membres d’une même famille énoncée à l’article 62a, paragraphe 1, troisième et quatrième phrases, ainsi que les exigences des articles 16 et 17 de la directive 2008/115 sont par ailleurs toujours d’application. Il est en outre toujours nécessaire d’apprécier et de trancher la question de savoir si un hébergement dans un établissement pénitentiaire est acceptable et légal dans le cas concret, par exemple s’agissant de personnes appartenant à un groupe vulnérable. Il est prévu que les autorités judiciaires des [États fédérés] mettent à disposition jusqu’à 500 places pour des personnes détenues à des fins d’éloignement afin que, compte tenu de l’augmentation prévue du nombre de places en rétention à des fins d’éloignement dans les centres de rétention des [États fédérés], environ 1000 places soient au total disponibles en rétention à des fins d’éloignement [...] L’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 crée, pour les situations d’urgence, la possibilité de déroger à l’obligation de séparation en vertu de l’article 16, paragraphe 1, ainsi qu’à l’exigence que les familles disposent d’un lieu d’hébergement séparé, énoncée à l’article 17, paragraphe 2. Actuellement, l’obligation de séparation est transposée en droit allemand par l’article 62a, paragraphe 1, première et deuxième phrases. L’exigence concernant l’hébergement des familles est énoncée à l’article 62a, paragraphe 1, troisième et quatrième phrases. La condition pour pouvoir faire usage de la possibilité de dérogation prévue à l’article 18, paragraphe 1, est qu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fasse peser sur les capacités des centres de rétention ou sur le personnel administratif et judiciaire une charge qui excède ces capacités. Cette condition est remplie en ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne. Les capacités existant en Allemagne sont (au 27 mars 2019) d’environ 487 places en rétention à des fins d’éloignement sur l’ensemble du territoire fédéral. En raison du déséquilibre entre le nombre de personnes soumises à une obligation de quitter le territoire exécutoire et le nombre de places en rétention à des fins d’éloignement, il pèse clairement une charge excessive sur ces capacités existantes. Cette charge supérieure aux capacités constitue dans les faits un important goulot d’étranglement, qui fait obstacle à la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire exécutoire. Les places en rétention à des fins d’éloignement existantes sont déjà utilisées au mieux à l’échelle fédérale par une coordination entre [les États fédérés]. C’est, de même, une amélioration de la gestion des places en rétention à des fins d’éloignement que poursuit le Gemeinsame Zentrum zur Unterstützung der Rückkehr [Centre commun de soutien du retour, Allemagne (ZUR)], créé au cours de l’année 2017. Le taux des places en rétention occupées, sur l’ensemble du territoire fédéral, par l’intermédiaire du ZUR est d’une dizaine de pourcent. Cela signifie que, dans la pratique, un grand nombre de demandes de placement en rétention ne peuvent pas être présentées, alors même que les conditions en sont remplies. Il était par ailleurs imprévisible que la charge excède ainsi les capacités. Le nombre de demandeurs de protection [internationale] nouvellement arrivés ayant été en baisse constante pendant des années, jusqu’en 2015, les [États fédérés] avaient adapté, au cours des années, les capacités en places en rétention à des fins d’éloignement aux besoins, alors moins élevés, en en réduisant le nombre. En conséquence du changement de la situation au cours de l’année 2015 et de la montée en flèche du nombre de demandeurs de protection [internationale], l’obligation première de l’État fédéral et des [États fédérés] était de créer des capacités pour pourvoir aux besoins des personnes. Cette obligation résulte entre autres du droit [de l’Union], notamment de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96), et de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), ainsi que, au-delà, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [ ( 10 )]. Dans cette situation, la prise en charge des personnes nouvellement arrivées avait la priorité sur l’accroissement des capacités de rétention, dans le but de satisfaire à une date ultérieure (après que la procédure de demande d’asile et de recours aura été menée à bout) aux exigences de la directive 2008/115. En effet, la règle dérogatoire prévue à l’article 18 [de cette directive] a, justement, pour objet et pour finalité de permettre dans une telle situation aux autorités de s’occuper de façon prioritaire de la prise en charge des nouveaux arrivants sans violer, de façon prévisible, des obligations dans l’avenir. La directive 2008/115 ne se borne pas à énoncer des exigences en ce qui concerne les conditions de rétention, elle impose également, à son article 8, paragraphe 1, aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour. L’article 18 de la directive 2008/115 a, justement, pour objet de résoudre l’éventuel conflit d’objectifs dans une situation exceptionnelle imprévisible, telle qu’elle existait en 2015 et au cours des années qui ont suivi ; il convient donc à présent de l’appliquer. Après que la situation exceptionnelle avait pris fin, les [États fédérés] ont immédiatement commencé à développer les capacités de rétention et sont déjà parvenus à accroître le nombre de places en rétention à 487 pour l’ensemble du territoire fédéral (au 27 mars 2019). Compte tenu du temps habituellement nécessaire pour la réalisation de projets de construction et la création de centres de rétention à des fins d’éloignement, une adéquation complète du nombre de places en rétention à des fins d’éloignement aux besoins actuels n’a pas encore été atteinte. Compte tenu des mesures prises, il convient de s’attendre à ce que le nombre de places en rétention à des fins d’éloignement réponde aux besoins le 30 juin 2022. Jusqu’à cette date, la situation exceptionnelle persiste et il convient par conséquent d’abroger l’article 62a, paragraphe 1, dans sa rédaction actuelle jusqu’à cette date. La législation actuellement applicable entrera alors de nouveau en vigueur. »

19.

L’article 6 de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire, intitulé « Autre modification de l’Aufenth[G] avec effet au 1er juillet 2022 », dispose :

« L’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, telle que publiée le 25 février 2008 (BGBl. 2008 I, p. 162), modifiée en dernier lieu par l’article 1er de la présente loi, est remplacé par le texte suivant :

“La rétention à des fins d’éloignement s’effectue en principe dans des centres de rétention spécialisés. Si aucun centre de rétention spécialisé n’existe sur le territoire fédéral ou si l’étranger présente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, la rétention peut être effectuée dans d’autres établissements pénitentiaires ; dans ce cas, les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. Lorsque plusieurs membres d’une famille sont placés en rétention, ils sont hébergés séparément des autres personnes détenues à des fins d’éloignement. Il convient de leur garantir une intimité adéquate.” »

III. Le litige au principal et les questions préjudicielles

20.

Le requérant, K, est un ressortissant pakistanais qui a été placé en rétention aux fins de son éloignement dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre le 11 août 2020. Cette mesure a été prolongée jusqu’au 12 novembre 2020, par une ordonnance en date du 25 septembre 2020. Le requérant a introduit un recours à l’encontre de cette ordonnance au motif que la mesure de placement en rétention dont il a fait l’objet entre le 25 septembre et le 2 octobre 2020 est contraire à l’obligation de placer les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans sa version en vigueur du 29 juillet 2017 au 20 août 2019.

21.

C’est dans le cadre de ce recours en appréciation de légalité que la juridiction de renvoi s’interroge sur la légalité des modifications introduites par l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG à compter du 15 août 2019, au regard des conditions énoncées à l’article 18 de la directive 2008/115.

22.

Compte tenu de ses doutes relatifs à l’interprétation de cette disposition, l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Convient-il d’interpréter le droit de l’Union, en particulier l’article 18, paragraphes 1 et 3, de la directive [2008/115], en ce sens qu’un juge national qui décide du placement en rétention à des fins d’éloignement doit vérifier dans chaque cas concret les conditions imposées par cette disposition, et notamment que la situation exceptionnelle persiste lorsque, invoquant l’article 18, paragraphe 1, le législateur national a dérogé en droit national aux conditions de l’article 16, paragraphe 1[, de cette directive] ?

2)

Convient-il d’interpréter le droit de l’Union, en particulier l’article 16, paragraphe 1, de la directive [2008/115], en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale qui permet temporairement jusqu’au 1er juillet 2022 de placer des personnes détenues à des fins d’éloignement dans des établissements pénitentiaires, alors qu’il existe dans l’État membre concerné des centres de rétention spécialisés et qu’aucune situation d’urgence au sens de l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive ne l’impose de façon contraignante ?

3)

Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive [2008/115] en ce sens que la qualification d’un établissement de “centre de rétention spécialisé”, destiné à la rétention de personnes détenues à des fins d’éloignement, est exclue du seul fait que

ce “centre de rétention spécialisé” est indirectement soumis à l’autorité du même membre du gouvernement que les établissements destinés à la détention de prisonniers de droit commun, à savoir le Justizministerin [ministre de la Justice, Allemagne],

ce “centre de rétention spécialisé” est organisé sous la forme d’une section d’un établissement pénitentiaire et a de ce fait son propre directeur, mais, étant une section parmi d’autres de l’établissement pénitentiaire, il est dans l’ensemble subordonné à la direction de l’établissement pénitentiaire ?

4)

En cas de réponse négative à la troisième question :

Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive [2008/115] en ce sens qu’un placement a lieu dans un “centre de rétention spécialisé” destiné à la rétention de personnes détenues à des fins d’éloignement lorsqu’un établissement pénitentiaire crée une section spécifique pour une prison d’éloignement, que cette section occupe un complexe spécifique avec trois bâtiments entouré d’une clôture et qu’un de ces trois bâtiments est temporairement exclusivement occupé par des prisonniers qui purgent des peines d’emprisonnement de substitution ou des peines privatives de liberté de courte durée, l’établissement pénitentiaire veillant à séparer les personnes détenues à des fins d’éloignement et les prisonniers, et, en particulier, chaque bâtiment disposant d’installations propres (de son propre vestiaire solidaire, sa propre infirmerie, sa propre salle de sport) et la cour/la zone extérieure étant certes visible depuis tous les bâtiments, mais chaque bâtiment disposant de sa propre zone, entourée d’une clôture de fil barbelé, pour les prisonniers et aucun accès direct n’existant donc entre les bâtiments ? »

23.

Le requérant, les gouvernements allemand et néerlandais ainsi que la Commission ont déposé des observations écrites. Ces parties, à l’exception du gouvernement néerlandais, ont également répondu aux questions pour réponse écrite que leur a adressées la Cour et ont présenté leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 16 septembre 2021.

IV. Analyse

24.

Je répondrai aux questions préjudicielles dans un ordre différent de celui dans lequel la juridiction de renvoi les a adressées.

25.

Tout d’abord, j’examinerai la deuxième question, relative aux circonstances dans lesquelles un État membre peut invoquer l’existence d’une situation d’urgence, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, afin d’ordonner la rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire. En effet, cette préoccupation me semble être au cœur du présent renvoi préjudiciel. Si la Cour s’est déjà prononcée sur les mesures d’urgence qui ont été adoptées par le Conseil de l’Union européenne en réponse à la crise migratoire de l’année 2015 ( 11 ), elle n’a pas encore eu l’occasion de livrer d’indications sur la portée de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et, en particulier, sur la possibilité dont disposent les États membres d’assurer la rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire pour des motifs liés à l’existence d’une situation d’urgence nationale.

26.

J’examinerai, ensuite, la première question, relative à l’office du juge en charge du placement en rétention, de façon à déterminer dans quelle mesure celui-ci doit vérifier, dans chaque situation individuelle, l’existence, voire la persistance, d’une situation d’urgence au sens de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive.

27.

Enfin, pour répondre aux troisième et quatrième questions, je préciserai les critères sur la base desquels il convient de distinguer la situation dans laquelle le ressortissant de pays tiers est placé dans un centre de rétention spécialisé de celle dans laquelle il est placé dans un établissement pénitentiaire, séparé des prisonniers de droit commun, au regard, notamment, de la direction de la structure, du régime de la rétention et des conditions matérielles de celle-ci.

A.   Sur les motifs justifiant la rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire (deuxième question)

28.

Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 s’oppose à une législation nationale qui permet, pendant une période de trois ans, de placer les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement en rétention dans des établissements pénitentiaires, alors qu’il n’existe aucune situation d’urgence au sens de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive.

29.

Avant de répondre à cette question, je rappellerai, dans un premier temps, les principes que la Cour a dégagés dans les arrêts Bero et Bouzalmate, Pham ainsi que Stadt Frankfurt am Main quant aux conditions de rétention que le législateur de l’Union énonce à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, dans la version en langue française de celle-ci ( 12 ). Ces arrêts ont été rendus dans le cadre de contentieux relatifs à l’appréciation de la légalité d’un placement en rétention sur le fondement de l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans ses versions antérieures.

30.

Puis, dans un deuxième temps, j’examinerai la mesure dans laquelle un État membre peut se prévaloir de l’existence d’une situation d’urgence, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, pour justifier l’exécution de la rétention dans un établissement pénitentiaire, en dehors des circonstances particulières d’un cas d’espèce.

31.

Enfin, dans un troisième temps, j’examinerai la mesure dans laquelle une législation telle que celle énoncée à l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans sa version à compter du 15 août 2019, répond aux conditions énoncées à cet article.

1. Le régime général prévu à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115

32.

Conformément à l’article 79, paragraphe 2, TFUE, l’objectif de la directive 2008/115 est de mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes et des garanties juridiques communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité ( 13 ).

33.

Il découle des considérants 13 et 16 ainsi que du libellé de l’article 15, paragraphe 1, de cette directive que les États membres doivent procéder à l’éloignement des ressortissants en situation irrégulière au moyen des mesures les moins coercitives possible. Afin d’assurer l’efficacité des procédures d’éloignement, ladite directive prévoit donc une gradation des mesures allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risquerait, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces États peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention ( 14 ).

34.

Cette dernière mesure constitue la mesure restrictive de liberté la plus grave que permet la directive 2008/115 dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé ( 15 ). Elle constitue, en principe, une mesure de dernier ressort ( 16 ). Elle est donc strictement encadrée par le législateur de l’Union au chapitre IV de cette directive, de façon à garantir le respect, d’une part, du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ainsi que, d’autre part, des droits fondamentaux des ressortissants concernés ( 17 ).

35.

C’est dans ce contexte que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 énonce les règles relatives aux conditions et au régime de la rétention.

36.

Conformément à la première phrase de cet article, la rétention à des fins d’éloignement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier s’effectue, en règle générale, dans des centres de rétention spécialisés. Dans le cas où un État membre « ne peut » satisfaire à cette exigence et ordonne le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire, la seconde phrase dudit article exige la séparation des ressortissants de pays tiers des prisonniers de droit commun.

37.

L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 vise à garantir le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux de celui qui n’a commis aucune infraction, en assurant que la mesure de rétention se distingue de l’exécution d’une peine et se déroule dans des conditions et sous un régime adaptés à son statut juridique.

38.

S’agissant de l’obligation de placement dans un centre de rétention spécialisé énoncée à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115, la Cour juge que son respect s’impose aux États membres en tant que tels, et non pas aux États membres en fonction de leur structure administrative ou constitutionnelle respective ( 18 ). Les autorités judiciaires en charge du placement en rétention doivent donc être en mesure d’ordonner la rétention dans des centres de rétention spécialisés, en recourant, le cas échéant, aux accords de coopération administrative qui auraient été conclus à cet effet ( 19 ).

39.

S’agissant de la dérogation énoncée à l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115, elle doit faire l’objet d’une interprétation stricte ( 20 ). Selon la Cour, celle-ci « autorise les États membres, à titre exceptionnel et en dehors des situations expressément visées à l’article 18, paragraphe 1, de [cette] directive [...], à placer des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en rétention dans un établissement pénitentiaire lorsque, en raison de circonstances particulières du cas d’espèce, ils ne peuvent respecter les objectifs poursuivis par [ladite] directive en assurant leur rétention dans des centres spécialisés » ( 21 ). La Cour juge que cela peut être le cas lorsque l’intéressé représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné ( 22 ), étant entendu que les exigences de l’ordre public doivent être appréciées strictement ( 23 ). En revanche, la Cour considère que ni la volonté exprimée par l’intéressé ( 24 ) ni l’absence de centre de rétention spécialisé dans un Land de la République fédérale d’Allemagne ( 25 ) ne peut justifier à elle seule le placement en rétention à des fins d’éloignement dans un établissement pénitentiaire en application de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115.

40.

Quant à l’obligation, prévue à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, de séparer les ressortissants des pays tiers placés en rétention dans un établissement pénitentiaire et les prisonniers de droit commun, la Cour juge qu’elle est inconditionnelle ( 26 ), « n’est assortie d’aucune exception et constitue une garantie de respect des droits expressément reconnue par le législateur de l’Union » ( 27 ).

2. Les mesures exceptionnelles prévues à l’article 18 de la directive 2008/115

41.

L’article 18 de la directive 2008/115, intitulé « Situations d’urgence », a pour objet de définir les conditions dans lesquelles un État membre « peut » décider de prendre des mesures d’urgence qui dérogent aux conditions de rétention énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive en raison de l’existence d’une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention. Il s’agit d’une disposition facultative, les États membres disposant d’une latitude pour apprécier la mesure dans laquelle la gestion de la pression migratoire qu’ils subissent impose de déroger aux conditions et au régime de la rétention des ressortissants de pays tiers énoncés à l’article 16, paragraphe 1, de ladite directive.

42.

La portée de cette marge d’appréciation n’est toutefois pas sans limite.

43.

Je considère, en effet, que l’adoption de mesures d’urgence est susceptible d’entraîner des conséquences extrêmement lourdes à l’égard des ressortissants de pays tiers concernés puisque le régime d’exécution de la rétention peut alors se confondre avec le régime de l’exécution d’une peine.

44.

Il ressort des termes mêmes de l’article 18 de la directive 2008/115 que les mesures d’urgence peuvent déroger aux conditions de rétention énoncées « à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2 », de cette directive. Le législateur de l’Union n’a pas distingué l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de ladite directive (le principe de la rétention dans un centre spécialisé) de la seconde phrase de celui-ci (l’obligation de séparation des ressortissants de pays tiers et des prisonniers de droit commun en cas de placement dans un établissement pénitentiaire). En d’autres termes, l’existence d’une situation d’urgence permet aux États membres de placer en rétention les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires sans qu’ils soient tenus ni de garantir leur séparation des prisonniers de droit commun ( 28 ) ni de mettre à disposition un lieu d’hébergement séparé pour les familles.

45.

Certes, les États membres, même dans les situations d’urgence prévues à l’article 18 de la directive 2008/115, ne peuvent déroger aux obligations énoncées à l’article 16, paragraphes 2 à 5, et à l’article 17, paragraphes 1 et 3 à 5, de cette directive, destinés à garantir le respect des droits des ressortissants des pays tiers et, particulièrement, des mineurs placés en rétention ( 29 ). Cela étant dit, je ne pense pas que cela soit suffisant pour assurer le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux des personnes concernées, d’autant plus dans une situation où la mesure de placement en rétention dans un établissement pénitentiaire dépend non pas du comportement particulier de ces personnes, mais de la situation administrative et judiciaire de l’État membre dans lequel elles se trouvent. Il est clair, en effet, que le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire emporte, en soi, une entrave à la liberté plus stricte encore que la limitation inhérente à un placement dans un centre de rétention spécialisé. De plus, l’absence de séparation, en milieu carcéral, entre les ressortissants de pays tiers et les prisonniers de droit commun risque de se traduire, pour ces ressortissants de pays tiers, par l’application du régime de l’exécution des peines. La rétention prend donc la forme, de facto, d’une mesure punitive ( 30 ).

46.

Au regard de la gravité, que je viens de décrire, des conséquences qu’emporte le régime d’exception prévu à l’article 18 de la directive 2008/115, il me semble donc essentiel que celui-ci soit mis en œuvre d’une façon exceptionnelle et proportionnée, sur la base d’une interprétation stricte des conditions de fond posées par le législateur de l’Union ( 31 ).

47.

J’examinerai, dans un premier temps, ces conditions sur la base d’une interprétation littérale de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 avant de préciser, dans un second temps, leur portée au regard de l’économie et de la finalité de cette directive.

a) L’interprétation littérale de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115

48.

L’adoption des mesures d’urgence prévues à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 est soumise au respect d’un ensemble de conditions de fond et de forme qui ont pour objectif d’encadrer strictement le recours à ce régime d’exception.

49.

En premier lieu, l’article 18 de la directive 2008/115 requiert, ainsi qu’en témoigne son intitulé, une situation d’urgence.

50.

Le terme « urgence » est défini dans le dictionnaire Larousse comme le « caractère [...] de ce qui ne souffre aucun retard ».

51.

Dans le domaine procédural, l’urgence est illustrée par la situation dans laquelle peut survenir un préjudice grave et irréparable s’il n’y est pas porté remède à bref délai, permettant au juge d’adopter certaines mesures par une procédure rapide ( 32 ). En droit de l’Union et, en particulier, dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la procédure préjudicielle d’urgence permet ainsi un examen de l’affaire dans de « brefs délais » lorsque l’intéressé est privé de sa liberté ( 33 ).

52.

Dans le domaine de la politique d’immigration et d’asile, les difficultés relatives à la gestion des flux migratoires et les mesures d’urgence que celle-ci requiert sont prévues par le législateur de l’Union dans de nombreux textes de droit primaire et dérivé.

53.

Par exemple, l’urgence est illustrée à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, qui vise la situation dans laquelle les États membres sont confrontés à un afflux soudain de ressortissants de pays tiers ( 34 ). C’est sur le fondement de cette disposition que, à la suite de la crise migratoire des années 2014 et 2015, le Conseil a institué, dès le mois de septembre 2015, un mécanisme temporaire et exceptionnel de relocalisation des personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale ( 35 ).

54.

L’urgence est également illustrée à l’article 29 du règlement (UE) 2016/399 ( 36 ), qui vise les situations dans lesquelles un État membre peut exceptionnellement et immédiatement réintroduire le contrôle aux frontières intérieures lorsque l’ordre public ou la sécurité intérieure exige une action urgente ( 37 ). C’est sur le fondement de l’article 25 du règlement (CE) no 562/2006 ( 38 ), qui a été remplacé par l’article 29 du règlement 2016/399, et en réponse à la crise migratoire des années 2014 et 2015 que la République fédérale d’Allemagne a, au cours de l’année 2015, réintroduit le contrôle à ses frontières intérieures.

55.

Ainsi qu’en témoignent ces textes, une situation d’urgence commande donc une action rapide, voire immédiate.

56.

En deuxième lieu, je constate que le législateur de l’Union définit avec précision les circonstances dans lesquelles un État membre peut se prévaloir de l’existence d’une situation d’urgence dans le contexte de l’éloignement des ressortissants de pays tiers. Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, cette situation doit se caractériser par « un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fai[san]t peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ».

57.

La précision de ces motifs implique, selon moi, que l’État membre procède à une évaluation aussi complète et actualisée que possible des circonstances qui révèlent que des mesures d’urgence s’imposent.

58.

Dans ce contexte, je pense qu’il n’est pas suffisant que l’État membre communique les données relatives au nombre de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour. À mon sens, celles-ci ne permettent pas d’apprécier, avec la précision requise, la charge réelle et actuelle pesant sur la capacité des centres de rétention spécialisés. D’une part, le placement en rétention constitue une mesure de dernier ressort à l’encontre des ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour. Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que ce n’est que dans l’hypothèse où l’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromis par le comportement de l’intéressé et où il n’existe aucune autre alternative que les États membres peuvent procéder à la privation de liberté au moyen d’une rétention ( 39 ). D’autre part, le taux de placement en rétention des ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour varie de manière importante selon les États membres et, dans un État membre comme la République fédérale d’Allemagne, selon les États fédérés.

59.

En outre, il ressort des termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 que les données communiquées par l’État membre doivent permettre de démontrer l’existence d’une « charge lourde et imprévue » sur les capacités matérielles et humaines de l’État membre. Ces deux critères sont cumulatifs. En visant une charge « imprévue », le législateur de l’Union témoigne de sa volonté de limiter la mise en œuvre du régime dérogatoire prévu à l’article 18 de cette directive aux seules hypothèses dans lesquelles l’État membre n’était pas en mesure de s’attendre à une telle pression sur les capacités de ses centres de rétention spécialisés ou sur son personnel. En revanche, en se référant à une « charge lourde », il n’exige pas de démontrer que les capacités sont saturées.

60.

En troisième et dernier lieu, le législateur de l’Union précise, à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, que l’État membre ne peut prendre des mesures d’urgence qu’aussi longtemps que la situation exceptionnelle persiste. Il en résulte, d’une part, que ces mesures doivent être levées dès que la situation exceptionnelle prend fin et, d’autre part, qu’aucune durée maximale de ces mesures n’est fixée par cette directive. Ladite directive se distingue des autres instruments du système européen commun d’asile, dans lesquels les mesures d’urgence doivent être adoptées pour une durée courte et renouvelable. Les mesures en cause n’en doivent pas moins emprunter les mêmes caractères. La nature « exceptionnelle » de la situation implique, en soi, des mesures de courte durée. Dans le cadre des travaux préparatoires à la refonte de la directive 2008/115, le Parlement propose ainsi de limiter la durée d’application de ces mesures à trois mois ( 40 ). En outre, en conditionnant l’application desdites mesures à la persistance de la situation d’urgence, le législateur de l’Union exige des États membres qu’ils procèdent à une réévaluation périodique de la situation, de façon à garantir, conformément au principe de proportionnalité, que la durée des mesures d’urgence n’excède pas celle qui est strictement nécessaire à la gestion de la crise.

61.

La portée de ces conditions doit également être examinée au regard de l’économie dans laquelle s’inscrit l’article 18 de la directive 2008/115 et des objectifs que le législateur de l’Union poursuit.

b) L’économie et la finalité de la directive 2008/115

62.

Ainsi que je l’ai indiqué, la directive 2008/115 vise à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité ( 41 ).

63.

L’article 18 de cette directive tend à atteindre ces objectifs malgré une situation d’urgence nationale.

64.

D’une part, en autorisant le placement en rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans les établissements pénitentiaires sans séparation d’avec les prisonniers de droit commun, le législateur de l’Union vise à donner aux États membres les moyens de garantir leur éloignement malgré un risque de saturation des capacités d’accueil des centres de rétention. Cette mesure doit ainsi participer à la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et, plus globalement, à la gestion efficace des flux migratoires, qui constitue, conformément à l’article 79, paragraphe 1, TFUE, l’un des objectifs de l’Union ( 42 ).

65.

D’autre part, le législateur de l’Union prend également le soin de préciser, à l’article 18, paragraphe 3, de la directive 2008/115, que, malgré l’urgence de la situation, les États membres ne sont pas autorisés à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de cette directive ( 43 ).

66.

Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de l’Union de garantir, quelle que soit l’urgence de la situation, le respect du droit à la dignité humaine et des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers concernés – conformément à l’article 1er ainsi qu’aux considérants 2, 17 et 24 de la directive 2008/115 –, mais également du principe de proportionnalité – conformément aux considérants 13 et 16 de cette directive ( 44 ). En application de la jurisprudence de la Cour, le respect du principe de proportionnalité implique que les mesures ainsi adoptées n’excèdent pas, par leur durée et leurs modalités d’application, les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs que poursuit le législateur de l’Union ( 45 ).

67.

Il en découle, premièrement, que les mesures d’urgence ne peuvent aboutir à un mécanisme par lequel le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire sans séparation d’avec les prisonniers de droit commun serait systématique et généralisé. L’urgence qui caractérise la situation visée à l’article 18 de la directive 2008/115 ne le justifie pas puisque la charge particulièrement lourde pesant sur la capacité d’accueil des centres de rétention spécialisés ne saurait priver les autorités en charge du placement en rétention de rechercher à chaque instant et en priorité si des places sont disponibles dans ces centres de rétention.

68.

Il en découle, deuxièmement, que les mesures d’urgence ne peuvent aboutir à priver les autorités administratives ou judiciaires en charge du placement en rétention de procéder à un examen individualisé de chaque situation, de façon à déterminer si le placement en rétention, s’il doit se dérouler dans un établissement pénitentiaire, qui plus est sans séparation d’avec les prisonniers de droit commun, est proportionné ( 46 ).

69.

D’une part, dans une situation caractérisée par un risque de saturation des capacités des centres de rétention spécialisés, cela implique de vérifier si une mesure moins restrictive ne pourrait pas être envisagée afin de remédier efficacement à l’urgence constatée ( 47 ). Dans ce contexte, je pense que les mesures d’urgence adoptées en application de l’article 18 de la directive 2008/115 devraient s’accompagner d’un recours plus poussé à des mesures alternatives au placement en rétention, telles que celles visées à l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, en particulier à l’adresse des personnes les plus vulnérables ( 48 ).

70.

D’autre part, cela implique de vérifier, dans chaque cas, si le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire avec une possibilité d’absence de séparation d’avec les prisonniers de droit commun est adapté à la situation du ressortissant concerné en raison, par exemple, de son âge, de son état de santé physique ou mentale, de son statut ou de sa situation familiale. Je rappelle sur ce point que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’autorise pas les États membres à déroger à leurs obligations figurant à l’article 16, paragraphes 2 à 5, ainsi qu’à l’article 17, paragraphes 1 et 3 à 5, de cette directive, relatives à la situation des personnes vulnérables et des mineurs ( 49 ). Cette règle n’a de sens que si les autorités nationales compétentes peuvent procéder à un examen de la situation particulière de chacun des ressortissants concernés au regard des conditions matérielles d’exécution de leur rétention.

71.

Cette interprétation me semble confortée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

72.

En effet, celle-ci juge que les décisions généralisées ou automatiques de placement en rétention des demandeurs de protection internationale peuvent être contraires à l’article 5, paragraphe 1, sous f), de la CEDH ( 50 ) si celles-ci ne sont pas précédées d’une appréciation individuelle des besoins particuliers des intéressés. Les autorités nationales compétentes sont ainsi tenues de prendre en charge l’intéressé par l’adoption de mesures adéquates et de rechercher s’il est possible de leur substituer une autre mesure moins radicale ( 51 ). Ainsi, dans l’arrêt Rahimi c. Grèce ( 52 ), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la République hellénique au motif que la décision de privation de liberté du mineur non accompagné était « le résultat de l’application automatique » de la législation, cette décision ayant été adoptée sans que les autorités grecques aient examiné sa situation particulière de mineur non accompagné et aient tenu compte de son intérêt supérieur ( 53 ).

73.

Troisièmement, il découle du respect du principe de proportionnalité que la durée d’application du régime d’exception ne doit pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à l’urgence de la situation. L’article 18, paragraphe 2, de la directive 2008/115 exige d’ailleurs que les États membres informent la Commission dès que les motifs justifiant l’application des mesures exceptionnelles ont cessé d’exister. Ce régime doit donc être aussi court que possible et exige des États membres qu’ils prévoient une réévaluation de la situation, de façon à ce que ledit régime soit adapté en permanence aux circonstances.

74.

C’est au regard de l’ensemble de ces éléments qu’il convient d’apprécier si une législation telle que celle énoncée à l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans sa version à compter du 15 août 2019, répond aux conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

3. Sur l’appréciation de la législation nationale

75.

Il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que, en vertu de la législation en cause, les États fédérés ne sont plus tenus d’ordonner le placement en rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des centres de rétention spécialisés. Ils peuvent les placer dans des établissements pénitentiaires, à condition que ce placement garantisse une séparation d’avec les prisonniers de droit commun et que l’hébergement séparé des familles soit assuré. Il faut aussi s’assurer que le placement en établissement pénitentiaire est « acceptable et légal dans le cas concret », par exemple s’agissant de personnes vulnérables ( 54 ).

76.

Il ressort également des informations dont dispose la Cour que cette législation a été notifiée à la Commission le 27 août 2019 sur le fondement de l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2008/115, le gouvernement allemand indiquant tant la date de son entrée en vigueur que sa durée d’application. Les mesures d’urgence et la dérogation que celles-ci emportent à la réglementation de l’Union s’appliquent pendant une période de trois ans, à savoir du 15 août 2019 au 30 juin 2022, date à laquelle le gouvernement allemand prévoit la fin de la situation d’urgence.

77.

Pour les raisons que je vais à présent exposer, j’estime que la législation en cause, compte tenu notamment de sa nature et du but qu’elle poursuit, ne répond pas aux conditions posées par l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

78.

Certes, cette législation prévoit sans ambiguïté un mécanisme à durée déterminée, de sorte que son caractère provisoire ne peut pas être contesté. Toutefois, je ne pense pas que la situation à laquelle ladite législation vise à remédier puisse être qualifiée de « situation d’urgence » au sens de l’article 18 de cette directive.

79.

Premièrement, l’urgence d’une situation implique une prise de décision rapide et immédiate. Or, la législation en cause a été adoptée le 15 août 2019, soit quatre années après le début de la crise migratoire, ce qui ne relève ni de la rapidité ni de l’immédiateté que requiert l’urgence d’une situation. S’il est indéniable que, en 2015, la situation pouvait être qualifiée d’« exceptionnelle » et d’« imprévisible » – ainsi que le souligne l’exposé des motifs du projet de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire –, je considère, en revanche, que les autorités nationales compétentes étaient raisonnablement en mesure de s’attendre à une croissance exponentielle de la pression exercée sur la capacité de leurs centres de rétention au cours des années qui ont suivi, les données du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) ainsi que de l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) attestant d’une augmentation forte et constante du nombre de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier au cours des années 2015 à 2017, avant de se stabiliser, puis de diminuer. Je pense, dans ces circonstances, que, en 2019, la charge pesant sur la capacité des centres de rétention spécialisés ne pouvait pas être qualifiée d’« imprévue » au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

80.

Deuxièmement, la durée d’application de la législation en cause me semble excéder celle qui devrait être strictement nécessaire à la gestion d’une situation exceptionnelle telle que celle visée à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive. En effet, le législateur allemand a fait le choix d’appliquer cette législation non pas pour une durée courte et renouvelable, mais pour une durée déterminée de trois ans, jusqu’au 30 juin 2022, date à laquelle il prévoit l’achèvement des projets de construction de centres de rétention spécialisés. Dans l’exposé des motifs du projet de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire, ce législateur souligne que, « jusqu’à [la date du 30 juin 2022], la situation exceptionnelle persiste ». Cela me semble difficilement conciliable avec l’exigence qui découle de l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive de réévaluer périodiquement la situation. Cela me paraît également en contradiction avec l’affirmation du gouvernement allemand selon laquelle il procède à des enquêtes répétées sur le taux d’occupation des centres de rétention spécialisés afin de procéder à cette réévaluation.

81.

Troisièmement, aucun élément du dossier ne permet d’apprécier la mesure dans laquelle la législation en cause repose sur une évaluation précise du rapport, en 2019, entre le nombre de ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de placement en rétention et la capacité des centres de rétention spécialisés. Le gouvernement allemand indique ne pas disposer de ces informations pour le mois d’août 2019 ni pour les mois suivants. De la même façon, la Commission relève que la notification au titre de l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2008/115 du 27 août 2019 ne contenait aucune de ces indications pour l’année 2019 ni pour les années précédentes, le législateur allemand faisant simplement état du nombre insuffisant de places dans les centres de rétention spécialisés au regard du nombre élevé de ressortissants de pays tiers tenus de quitter le territoire.

82.

En réalité, je me demande si la législation en cause n’est pas fondée à tort sur l’article 18 de la directive 2008/115, dont les conditions de mise en œuvre ne sont pas remplies, alors que les motivations ayant conduit à l’adoption de cette législation semblent être tout autres.

83.

En effet, je constate, tout d’abord, que cette législation prévoit, certes, que la rétention se fait dans les établissements pénitentiaires, mais que les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement doivent être séparés des prisonniers de droit commun et que l’hébergement séparé des familles doit être assuré. Or, ainsi que je l’ai exposé, la mise en œuvre de l’article 18 de la directive 2008/115 a pour objet de permettre aux États membres de déroger tant à l’obligation de séparer les ressortissants des pays tiers des prisonniers de droit commun qu’à celle d’assurer l’hébergement séparé des familles. Ladite législation a donc pour seul effet de permettre la rétention dans les établissements pénitentiaires, ce que permet l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 lorsque, en raison de circonstances particulières du cas d’espèce, les États membres ne peuvent respecter les objectifs poursuivis par cette directive en assurant leur rétention dans des centres spécialisés ( 55 ).

84.

Il semble, ensuite, ressortir de l’exposé des motifs du projet de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire que cette législation est avant tout une loi de programmation. Celle-ci a été adoptée afin de pallier l’insuffisance des capacités d’accueil des centres de rétention spécialisés, le gouvernement allemand ayant privilégié l’accueil des demandeurs de protection internationale lors de la crise migratoire des années 2014 et 2015. Ladite législation a donc à présent pour but de permettre, pendant une durée de trois ans, la construction de centres de rétention spécialisés en nombre suffisant. Cet exposé des motifs, précise, en ce qui concerne l’article 1er, point 22, de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire, que, « [e]n conséquence du changement de la situation au cours de l’année 2015 et de la montée en flèche du nombre de demandeurs de protection [internationale], l’obligation première de l’État fédéral et des [États fédérés] était de créer des capacités pour pourvoir aux besoins des personnes [...] Dans cette situation, la prise en charge des personnes nouvellement arrivées avait la priorité sur l’accroissement des capacités de rétention, dans le but de satisfaire à une date ultérieure (après que la procédure de demande d’asile et de recours aura été menée à bout) aux exigences de la directive 2008/115. En effet, la règle dérogatoire prévue à l’article 18 [de cette directive] a, justement, pour objet et pour finalité de permettre dans une telle situation aux autorités de s’occuper de façon prioritaire de la prise en charge des nouveaux arrivants sans violer, de façon prévisible, des obligations dans l’avenir [...] L’article 18 de la directive 2008/115 a, justement, pour objet de résoudre l’éventuel conflit d’objectifs dans une situation exceptionnelle imprévisible ».

85.

Or, je ne partage pas le point de vue exprimé par le législateur allemand dans ledit exposé des motifs. Si les normes relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale énoncées par la directive 2013/33et celles relatives à la rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement énoncées par la directive 2008/115 relèvent du système européen commun d’asile, ces directives ont toutefois un champ d’application propre et poursuivent des finalités distinctes. Aucune des normes édictées par lesdites directives ne permet de considérer que la préservation des droits fondamentaux des premiers doit se faire au détriment des droits des seconds.

86.

Au vu de ces éléments, je pense que l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans sa version à compter du 15 août 2019, ne satisfait donc pas aux conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 en raison tant des motifs retenus par le législateur allemand pour justifier l’exécution de la rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires que des conditions d’adoption et des modalités d’application de cette législation. Admettre le contraire reviendrait à excuser un manquement des États membres aux obligations qui leur incombent au titre de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, ce qui porterait atteinte à l’objectif de ladite directive et à son effet utile.

87.

Je comprends que cette opinion est également partagée par la Commission. En effet, lors de l’audience, la Commission a informé la Cour que, en application du règlement (UE) no 1053/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013, portant création d’un mécanisme d’évaluation et de contrôle destiné à vérifier l’application de l’acquis de Schengen et abrogeant la décision du comité exécutif du 16 septembre 1998 concernant la création d’une commission permanente d’évaluation et d’application de Schengen ( 56 ), elle a procédé, à partir du mois de février 2020, à des visites sur place. Ces dernières ayant permis de constater l’absence d’une situation d’urgence en Allemagne, la Commission aurait alors recommandé à cet État membre de réévaluer la situation et de présenter un plan d’action.

88.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de dire pour droit que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet, pour une durée de trois ans, le placement en rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires, lorsque ni les motifs sur lesquels repose cette réglementation, ni les conditions de son adoption, ni les modalités de son application ne témoignent de l’urgence de la situation au sens de cet article.

B.   Sur la portée des pouvoirs dont dispose l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention (première question)

89.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 18, paragraphes 1 et 3, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il exige de l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention qu’elle vérifie, dans chaque situation individuelle, l’existence, voire la persistance, d’une situation d’urgence justifiant le placement en rétention de l’intéressé dans un établissement pénitentiaire.

90.

Pour les raisons que je vais à présent exposer, je considère que l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention doit être en mesure de vérifier, à chaque instant, si les conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive et justifiant l’adoption de mesures exceptionnelles sont réunies.

91.

Certes, les constatations relatives à l’existence d’une situation d’urgence et l’adoption des mesures exceptionnelles qui en découle relèvent, avant tout, de la responsabilité de l’État membre. Compte tenu de la nature et de la gravité des circonstances visées à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, c’est à l’État membre qu’il incombe de procéder à ces constatations sur la base d’un examen généralisé et approfondi tenant compte de l’ensemble des données dont il dispose concernant la charge pesant sur la capacité de ses centres de rétention spécialisés ou sur son personnel administratif et judiciaire. En application de l’article 18, paragraphe 2, de cette directive, la Commission est uniquement informée de l’adoption et de l’abrogation de ces mesures d’urgence sans que le législateur de l’Union prévoie de contrôle ex ante desdites mesures. À l’exception du contrôle que peut opérer le juge de l’Union dans le cadre du renvoi préjudiciel, ces mesures ne sont soumises qu’à la procédure d’évaluation et de contrôle instituée par le règlement no 1053/2013 postérieurement à leur adoption.

92.

L’autorité judiciaire en charge du placement en rétention d’un ressortissant de pays tiers en attente d’éloignement doit toutefois pouvoir exercer un contrôle.

93.

Ce contrôle me semble en effet justifié par le fait que les mesures d’urgence ne peuvent être maintenues, conformément à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, que pour autant que la situation exceptionnelle persiste, l’État membre étant tenu d’informer la Commission « dès que les motifs justifiant l’application de ces mesures ont cessé d’exister », en application de l’article 18, paragraphe 2, de cette directive. Il me semble, par conséquent, que l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention doit avoir la possibilité, pour chaque cas qui lui est soumis, de vérifier si les mesures d’urgence sont justifiées au regard des conditions énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive.

94.

Un tel contrôle me semble d’autant plus nécessaire que l’existence d’une situation d’urgence et le risque de saturation des capacités qu’elle implique – si celle-ci est avérée – constituent des critères objectifs dont l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention doit tenir compte lors de la décision de placement en rétention. En effet, il résulte du considérant 6 de la directive 2008/115 ainsi que de la jurisprudence de la Cour que les décisions de placement en rétention doivent être adoptées au cas par cas et doivent tenir compte de critères objectifs, autres que celui tiré du simple séjour irrégulier ( 57 ). Il incombe alors à cette autorité de vérifier, sur la base d’un examen individualisé tenant compte des besoins particuliers du ressortissant concerné, s’il est possible de recourir à une mesure alternative au placement en rétention et, si tel n’est pas le cas, s’il est possible de placer ce dernier dans un centre de rétention spécialisé ou, en cas de saturation, dans un établissement pénitentiaire.

95.

Un tel contrôle me semble également d’autant plus indispensable que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être considéré comme étant pourvu d’effet direct ( 58 ). En effet, cet article ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement un droit invocable en tant que tel. Dans ces circonstances et conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il incombe à l’autorité judiciaire d’assurer une application effective des principes et des exigences énoncés à cet article par le législateur de l’Union.

96.

Au regard de ces éléments, j’estime que l’article 18 de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention doit vérifier, dans chaque situation individuelle, si les circonstances énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive ayant justifié l’adoption de mesures exceptionnelles sont toujours réunies.

C.   Sur la notion de « centre de rétention spécialisé » (troisième et quatrième questions)

97.

Par ses troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser les critères sur la base desquels un centre de rétention spécialisé se distingue d’un établissement pénitentiaire, au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, en particulier, au regard de la direction de la structure, du régime de la rétention et des conditions matérielles de celle-ci.

98.

La juridiction de renvoi demande, dans un premier temps, si la notion de « centre de rétention spécialisé » exclut une structure qui se présente comme une section spécifique d’un établissement pénitentiaire, dont la direction est subordonnée dans l’ensemble à la direction de l’établissement pénitentiaire et relève, à l’instar de cet établissement, de l’autorité du ministre de la Justice.

99.

Dans l’hypothèse où une telle structure pourrait revêtir cette qualification, la juridiction de renvoi demande, dans un second temps, si la notion de « centre de rétention spécialisé » recouvre une structure qui se présente comme une section spécifique d’un établissement pénitentiaire dans laquelle les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement sont séparés des prisonniers de droit commun, qui se compose de trois bâtiments entourés d’une clôture de fil barbelé, entre lesquels il n’existe aucun accès direct, chacun disposant d’installations propres (vestiaire, infirmerie, salle de sport, cour), l’un de ces bâtiments étant destiné temporairement à l’exécution de peines privatives de liberté de substitution ou de courte durée.

100.

Je rappelle que la Cour, statuant dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, peut apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation d’une norme de l’Union. Toutefois, c’est bien à cette dernière qu’il appartient de vérifier les éléments concrets du litige pendant devant elle et, notamment, de trancher la question de savoir si les conditions matérielles de la rétention dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre entre le 25 septembre et le 2 octobre 2020 s’opposent à la qualification de « centre de rétention spécialisé » ( 59 ). Un tel examen constitue une question de fait, qui échappe à la compétence de la Cour dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 267 TFUE et relève du juge national.

1. Le placement en rétention dans un centre spécialisé

101.

Le législateur de l’Union ne définit pas avec précision le régime et les critères matériels propres à un centre de rétention spécialisé. Il est pourtant possible de les dégager au regard de la définition de la notion de « rétention », des droits reconnus aux ressortissants de pays tiers pendant leur placement en rétention et des principes posés tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par le Conseil de l’Europe.

102.

La notion de « rétention » n’est pas définie dans la directive 2008/115. Elle est en revanche précisée dans le cadre de la directive 2013/33 au sujet du placement en rétention des demandeurs de protection internationale. Selon la Cour, cette définition est applicable dans le contexte de la directive 2008/115 ( 60 ).

103.

Conformément à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, la rétention se définit comme étant « toute mesure d’isolement d’un demandeur [de protection internationale] par un État membre dans un lieu déterminé, où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement » ( 61 ). Selon la Cour, le placement dans un centre de rétention spécialisé est une « mesure privative de liberté » ( 62 ) ou encore une « mesure coercitive qui prive [l’intéressé] de sa liberté de mouvement et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos » ( 63 ).

104.

La nature et la finalité de la rétention se distinguent, dans leur essence, de celles d’une mesure punitive puisque la rétention n’a pas d’autre finalité que celle de contribuer à la réalisation de l’éloignement du ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ( 64 ). En énonçant, à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115, le principe selon lequel la rétention doit se dérouler dans un centre spécialisé, le législateur de l’Union témoigne ainsi de sa volonté que soient établis sur le territoire des États membres des centres spécifiquement conçus aux fins de préparer et d’exécuter l’éloignement des ressortissants de pays tiers.

105.

En outre, la distinction à laquelle il procède à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 entre le placement en rétention dans un centre de rétention spécialisé et le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire, exige que le premier se distingue, tant par ses règles internes de fonctionnement que par l’aménagement de ses locaux, du second. À cet égard, il convient de relever que la distinction entre ces deux catégories d’établissements doit être d’autant plus nette que les centres de rétention spécialisés sont également destinés à assurer la rétention de certains demandeurs de protection internationale (pour des fins autres que l’éloignement), conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2013/33 ( 65 ).

106.

Le régime et les conditions matérielles de la rétention se dégagent également des articles 16 et 17 de la directive 2008/115. Le législateur de l’Union prend le soin d’énoncer les droits que les États membres doivent garantir pendant l’exécution de la rétention, tels que l’accès aux soins médicaux d’urgence ou les contacts avec les membres de la famille, les représentants légaux ou bien encore les autorités consulaires. Il précise également les conditions matérielles requises aux fins du placement en rétention des familles et des mineurs, exigeant des États membres qu’ils accordent une considération primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux obligations prévues à l’article 7, à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 24 de la charte des droits fondamentaux, qui sont également énoncées au considérant 22 et à l’article 5 de cette directive. Les familles doivent ainsi pouvoir bénéficier d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantisse une intimité adéquate et les mineurs doivent pouvoir pratiquer des activités récréatives adaptées à leur âge ainsi que, le cas échéant, avoir accès à l’éducation. Quant aux mineurs non accompagnés, ils doivent, dans la mesure du possible, faire l’objet d’une prise en charge spécifique, par un personnel qualifié et dans des installations adaptées.

107.

Enfin, le régime et les conditions matérielles de la rétention se dégagent des obligations incombant à chacun des États membres de respecter la dignité des personnes privées de liberté ainsi que leur droit à ne pas être exposées à des traitements inhumains ou dégradants ( 66 ).

108.

Les exigences que pose le législateur de l’Union intègrent, en substance, celles énoncées par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Conseil de l’Europe.

109.

La Cour européenne des droits de l’homme apprécie le caractère « approprié » du régime de la rétention au regard des droits consacrés aux articles 3, 5 et 8 de la CEDH sur la base d’indices relatifs au lieu, aux conditions et à la durée de la rétention. Elle procède à une appréciation au cas par cas, tenant compte des effets cumulés des conditions de détention au regard notamment de la situation particulière des ressortissants de pays tiers concernés ( 67 ).

110.

La Cour européenne des droits de l’homme est particulièrement attentive à l’agencement et aux équipements des locaux ainsi qu’aux qualifications du personnel encadrant les ressortissants de pays tiers, en particulier, à l’adresse des familles. Ces locaux doivent être propres et offrir un espace de vie suffisant au nombre de personnes susceptibles d’y être placées. En particulier, ils doivent disposer d’équipements sanitaires en libre accès et en nombre suffisant, d’un espace et du matériel nécessaires à la restauration ainsi que d’un téléphone en libre accès. Lesdits locaux doivent également disposer d’un équipement médical ainsi que d’un local réservé à l’accueil des familles et des autorités consulaires. Ils doivent, de plus, disposer d’un espace d’éducation et de loisirs, et notamment d’un espace de promenade à l’air libre. Enfin, dans l’hypothèse où les locaux du centre devraient accueillir des familles, la Cour européenne des droits de l’homme exige que les chambres soient spécialement équipées des infrastructures essentielles requises pour la rétention de jeunes enfants avec du matériel de puériculture adapté et sécurisé ( 68 ).

111.

En outre, le principe 10 des « vingt principes directeurs sur le retour forcé », que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adoptés le 4 mai 2005 et auxquels la directive 2008/115 fait référence à son considérant 3, exige, à son point 1, que les personnes détenues préalablement à l’éloignement soient « normalement » placées dans des locaux spécialement affectés à cet effet, offrant des conditions matérielles et un régime adaptés à leur statut juridique ( 69 ). Il impose également, à son point 4, que ces personnes soient séparées des prévenus et des personnes condamnées. Quant au principe 11 de ces principes directeurs, il exige, à ses points 2 à 4, que les familles bénéficient de lieux d’hébergement séparés afin de préserver leur intimité et dotés d’un personnel et d’installations tenant compte des besoins spécifiques des enfants, leur permettant, notamment, d’avoir accès à l’éducation et de s’adonner à des activités récréatives ( 70 ).

112.

Ces indications permettent de dégager les critères essentiels d’un centre de rétention spécialisé.

113.

Il doit s’agir avant tout d’un établissement distinct, par sa destination et par son organisation, d’un établissement pénitentiaire, au risque de priver de tout sens et de tout effet utile la distinction qu’opère le législateur de l’Union à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

114.

Il doit ensuite s’agir d’un établissement qui permet d’assurer l’exécution de la rétention par un personnel qualifié, selon un régime privatif de liberté et des conditions matérielles qui soient adaptés au statut juridique des ressortissants de pays tiers, en particulier des plus vulnérables, et respectueux de la dignité humaine et des droits fondamentaux.

115.

Il convient, à présent, d’examiner les conditions dans lesquelles doit se dérouler la rétention lorsque celle-ci a lieu dans un établissement pénitentiaire, visé à l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115.

2. Le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire

116.

Je rappelle que, lorsqu’un État membre ne peut placer le ressortissant de pays tiers en attente d’éloignement dans un centre de rétention spécialisé et doit le placer dans un établissement pénitentiaire, il doit garantir la séparation de ce dernier des prisonniers de droit commun, conformément à l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115.

117.

Je rappelle, également, que, dans l’arrêt Pham, la Cour a jugé que l’obligation de séparation va au-delà d’une simple modalité d’exécution spécifique d’un placement en rétention dans des établissements pénitentiaires et constitue une condition de fond de ce placement sans laquelle, en principe, celui-ci ne serait pas conforme à cette directive ( 71 ). Elle a, en outre, jugé que cette obligation de séparation est inconditionnelle et qu’elle n’est assortie d’aucune exception ( 72 ).

118.

La force des principes ici dégagés par la Cour implique une séparation géographique et organisationnelle entre les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement et les prisonniers de droit commun. Les établissements pénitentiaires sont, en effet, prévus pour un usage autre que celui de la rétention en attente d’éloignement. L’administration et le régime pénitentiaire se traduisent par des règles internes de fonctionnement ainsi que par des contraintes administratives et matérielles qui répondent à des finalités précises liées à l’exécution d’une peine.

119.

Le respect de cette obligation de séparation implique donc une séparation stricte par la création d’une structure distincte et isolée du reste de l’établissement pénitentiaire. Il implique, en outre, un traitement distinct entre les ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement et les prisonniers de droit commun. L’État membre doit ainsi assurer que, au sein de la structure dédiée à l’éloignement des ressortissants de pays tiers, les modalités d’exécution de la rétention se distinguent des modalités d’exécution d’une peine. Cela suppose de mettre en place un régime et des conditions matérielles de rétention qui soient adaptés à leur statut juridique et capables de répondre à leurs besoins particuliers, ce qui implique de détacher auprès de cette structure un personnel dont la mission se distingue de la mission exercée auprès des prisonniers de droit commun.

120.

C’est sur la base de ces éléments qu’il convient d’examiner la mesure dans laquelle une structure telle que celle décrite par la juridiction de renvoi serait susceptible d’être qualifiée de « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115.

3. La section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre

121.

Au regard des indications fournies tant par la juridiction de renvoi que par le gouvernement allemand, il me semble que la mesure de placement en rétention dont a fait l’objet K dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre du 25 septembre au 2 octobre 2020 relève davantage d’une mesure de placement dans un établissement pénitentiaire au sens de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115 que d’une mesure de placement dans un centre de rétention spécialisé au sens de la première phrase de cette disposition.

122.

Cette appréciation repose sur une mise en balance des différentes caractéristiques que semble revêtir cette structure.

123.

Certaines caractéristiques pourraient permettre de qualifier ladite structure de « centre de rétention spécialisé ». En effet, il semble exister une séparation géographique entre la section de Langenhagen et l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre à laquelle elle se rattache, puisque la première se situerait à quelques kilomètres du second. Cette section se composerait, en outre, de trois bâtiments qui, chacun, disposerait d’installations propres, c’est-à-dire d’une infirmerie, d’un vestiaire, d’une salle de sport et d’une cour. Les chambres seraient occupées par une seule personne, à l’exception des cas dans lesquels les personnes concernées demanderaient à être hébergées ensemble. Les sanitaires seraient accessibles librement toute la journée. Les personnes retenues pourraient recevoir une visite chaque jour, posséder un téléphone portable et accéder à Internet.

124.

Le fait que la direction de la section de Langenhagen soit subordonnée à celle de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre et relève, à l’instar de cet établissement, de l’autorité du ministre de la Justice n’est pas un élément suffisant pour exclure une telle section de la qualification de « centre de rétention spécialisé ». En effet, les missions des directions pénitentiaires, comme celles des ministères, diffèrent selon les États membres et ceux-ci peuvent, dès lors, exercer leur autorité sur des structures de nature très différente.

125.

En revanche, la section de Langenhagen présente d’autres caractéristiques qui, en raison de leur importance, semblent l’exclure de la qualification de « centre de rétention spécialisé ».

126.

En effet, cette section peut accueillir des prisonniers de droit commun. Ainsi, l’un des trois bâtiments composant ladite section a été utilisé aux fins de l’exécution des peines privatives de liberté de courte durée ou des peines d’emprisonnement de substitution. Or, il semble raisonnable de penser que les autorités judiciaires compétentes n’ont pas ordonné l’exécution d’une peine privative de liberté, quand bien même celle-ci était de courte durée ou de substitution, dans une structure qui serait un « centre de rétention spécialisé » destiné à l’éloignement des ressortissants de pays tiers, et selon des conditions et des modalités autres que celles énoncées par le Gesetz über den Vollzug der Freiheitsstrafe und der freiheitsentziehenden Maßregeln der Besserung und Sicherung (loi sur l’exécution des peines carcérales et des mesures de sûreté privatives de liberté) ( 73 ), du 16 mars 1976. Il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’exécution de la rétention dans la section de Langenhagen se déroule bien selon le régime de l’exécution des peines et que le personnel en charge de l’encadrement et de la surveillance des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement est le personnel pénitentiaire en charge des prisonniers de droit commun. Dans ses réponses aux questions adressées par la Cour, le gouvernement allemand a également indiqué que, « [à] la suite de l’ordonnance rendue par l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre) le 30 septembre 2020 » ( 74 ), les quinze prisonniers hébergés dans la section de Langenhagen avaient été transférés « dans d’autres établissements pénitentiaires du Land ». Ces éléments tendent à démontrer que cette structure peut être utilisée aux fins de l’exécution tant des mesures de rétention que des peines privatives de liberté compte tenu du régime applicable et des modalités concrètes de fonctionnement.

127.

Dans ces conditions, je pense que la mesure de placement en rétention dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de la ville de Hanovre relève d’une mesure de placement dans un établissement pénitentiaire au sens de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115.

128.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de dire pour droit que l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que constitue un centre de rétention spécialisé un établissement destiné à préparer l’éloignement des ressortissants de pays tiers, au sein duquel l’exécution de la rétention se déroule selon un régime privatif de liberté et dans des conditions matérielles qui soient adaptés au statut juridique et à la vulnérabilité de ces ressortissants.

129.

Ne relève pas de la notion de « centre de rétention spécialisé » une structure qui peut être utilisée aux fins de l’exécution tant des mesures de rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement que des peines privatives de liberté et au sein de laquelle la rétention se déroule selon la législation sur l’exécution des peines et sous la surveillance du personnel pénitentiaire de cette structure.

V. Conclusion

130.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre, Allemagne) de la manière suivante :

1)

L’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet, pour une durée de trois ans, le placement en rétention de ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement dans des établissements pénitentiaires lorsque ni les motifs sur lesquels repose cette réglementation, ni les conditions de son adoption, ni les modalités de son application ne témoignent de l’urgence de la situation au sens de cet article.

2)

L’article 18 de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire en charge du placement en rétention doit vérifier, dans chaque situation individuelle, si les circonstances énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive ayant justifié l’adoption de mesures exceptionnelles sont toujours réunies.

3)

L’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que constitue un « centre de rétention spécialisé » un établissement destiné à préparer l’éloignement des ressortissants de pays tiers, au sein duquel l’exécution de la rétention se déroule selon un régime privatif de liberté et dans des conditions matérielles qui soient adaptés au statut juridique et à la vulnérabilité de ces ressortissants.

4)

Ne relève pas de la notion de « centre de rétention spécialisé » une structure qui peut être utilisée aux fins de l’exécution tant des mesures de rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement que des peines privatives de liberté et au sein de laquelle la rétention se déroule selon la législation sur l’exécution des peines et sous la surveillance du personnel pénitentiaire de cette structure.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

( 3 ) C‑473/13 et C‑514/13, ci-après l’« arrêt Bero et Bouzalmate , EU:C:2014:2095.

( 4 ) C‑474/13, ci-après l’« arrêt Pham , EU:C:2014:2096.

( 5 ) C‑18/19, ci-après l’« arrêt Stadt Frankfurt am Main , EU:C:2020:511.

( 6 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier [COM(2018) 634 final].

( 7 ) BGBl. 2004 I, p. 1950, ci-après l’« AufenthG ».

( 8 ) BGBl. 2019 I, p. 1294.

( 9 ) Voir Deutscher Bundestag, Drucksache 19/10047, disponible à l’adresse Internet suivante : https://dserver.bundestag.de/btd/19/100/1910047.pdf (p. 44 et 45).

( 10 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».

( 11 ) Voir, à cet égard, arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631),relatif à la décision (UE) 2015/1601 du Conseil, du 22 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 248, p. 80).

( 12 ) L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’est pas formulé de manière identique dans toutes les versions linguistiques, ainsi que l’a relevé la Cour dans l’arrêt Bero et Bouzalmate (points 26 et 27).

( 13 ) Voir article 1er ainsi que considérants 2 et 11 de la directive 2008/115, ainsi que arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 37 et jurisprudence citée).

( 14 ) Voir, à cet égard, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 39 et 41).

( 15 ) Voir, à cet égard, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 42).

( 16 ) Dans son arrêt du 19 janvier 2012, Popov c. France, CE:ECHR:2012:0119JUD003947207, § 119, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi rappelé que « le placement en rétention administrative [est] une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne [peut] se substituer ». Voir, également, résolution 1707 (2010), intitulée « Rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe », adoptée le 28 janvier 2010, dans laquelle l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe rappelle que « la rétention [...] des migrants en situation irrégulière est une mesure exceptionnelle qui n’est applicable que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives et qu’aucune ne s’est avérée probante » (point 9.1.1).

( 17 ) Voir considérants 13, 16, 17 et 24 de la directive 2008/115.

( 18 ) Voir arrêt Bero et Bouzalmate (point 28).

( 19 ) Voir arrêt Bero et Bouzalmate (point 31).

( 20 ) Voir arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 31 et jurisprudence citée).

( 21 ) Arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 39).

( 22 ) Voir arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 46 et jurisprudence citée).

( 23 ) Arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 42 et jurisprudence citée).

( 24 ) Voir arrêt Pham (point 22).

( 25 ) Arrêt Bero et Bouzalmate (point 31).

( 26 ) Voir arrêt Pham (point 17).

( 27 ) Arrêt Pham (point 19).

( 28 ) Je rappelle toutefois que, dans l’arrêt Pham, la Cour, interprétant l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115, a jugé que l’obligation de séparation des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier des prisonniers de droit commun « n’est assortie d’aucune exception » et « constitue une condition de fond [du placement en rétention des ressortissants de pays tiers dans des établissements pénitentiaires] sans laquelle, en principe, celui-ci ne serait pas conforme à [cette] directive » (points 19 et 21).

( 29 ) Voir, à titre d’illustration, arrêt du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné) (C‑441/19, EU:C:2021:9, point 42), ainsi que « Returning unaccompanied children : fundamental rights considerations », Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), septembre 2019, p. 7.

( 30 ) La Cour européenne des droits de l’homme exige qu’il existe un lien entre le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et le lieu et le régime de détention Voir, notamment, arrêt de la Cour EDH du 13 décembre 2011, Kanagaratnam et autres c. Belgique, CE:ECHR:2011:1213JUD001529709, § 84.

( 31 ) La Commission propose d’encadrer cette marge de manière encore plus stricte dans sa proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile [COM(2020) 613 final]. Selon la Commission, « [l]e droit à la liberté et à la libre circulation est protégé étant donné que, si la rétention est utilisée dans le cadre des règles dérogatoires à la procédure d’asile et de retour à la frontière, ces règles ne peuvent être appliquées que dans un cadre strictement réglementé et pour une durée limitée » (point 3.3, p. 13). Voir, également, recommandation (UE) 2020/1366 de la Commission, du 23 septembre 2020, relative à un mécanisme de l’Union européenne de préparation et de gestion de crise en matière de migration (plan de préparation et de gestion de crise en matière de migration) (JO 2020, L 317, p. 26).

( 32 ) Voir ordonnance du vice-président de la Cour du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission (C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir, pour une illustration, ordonnance du 12 février 2019, RH (C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, points 33 et 34).

( 34 ) Conformément à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés.

( 35 ) Voir, par exemple, décision 2015/1601.

( 36 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1).

( 37 ) Voir affaires jointes Landespolizeidirektion Steiermark (Durée maximale du contrôle aux frontières intérieures) (C-368/20) et Bezirkshauptmannschaft Leibnitz (Durée maximale du contrôle aux frontières intérieures) (C-369/20), actuellement pendantes devant la Cour.

( 38 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1).

( 39 ) Voir article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/115, ainsi que arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 39 et 41).

( 40 ) Je relève, dans ce contexte, que, dans le cadre des travaux préparatoires à la refonte de la directive 2008/115, le Parlement propose de limiter davantage cette marge d’appréciation en substituant, à l’expression « aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste », une durée précise maximale de trois mois : voir amendements à la proposition de directive citée à la note en bas de page 6 des présentes conclusions déposés par le Parlement, disponibles à l’adresse Internet suivante : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/LIBE-AM-658738_FR.pdf, sous l’article 21, paragraphe 1 (p. 357).

( 41 ) Voir, notamment, arrêts Stadt Frankfurt am Main (point 37 et jurisprudence citée) ; du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné) (C‑441/19, EU:C:2021:9, point 70 et jurisprudence citée), ainsi que du 24 février 2021, M e.a. (Transfert vers un État membre) (C‑673/19, EU:C:2021:127, point 28).

( 42 ) Dans le cadre de l’agenda européen en matière de migration, le retour effectif des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière constitue un volet essentiel, ainsi qu’en témoigne la proposition de directive citée à la note en bas de page 6 des présentes conclusions (p. 1).

( 43 ) Voir arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale) (C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 264 et jurisprudence citée).

( 44 ) Voir arrêts du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 274 et jurisprudence citée), ainsi que Stadt Frankfurt am Main (point 38).

( 45 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 54 et jurisprudence citée).

( 46 ) Voir, dans le contexte du placement en rétention d’un demandeur de protection internationale, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 258 et jurisprudence citée).

( 47 ) Il découle des considérants 13 et 16, ainsi que de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/115 que les États membres doivent procéder à l’éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Dans le cas où plusieurs mesures sont de nature à permettre d’atteindre l’objectif visé, une préférence doit être accordée à la mesure la moins restrictive. Voir, à cet égard, arrêt du 22 juin 2021, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (Mesures préventives en vue d’éloignement) (C‑718/19, EU:C:2021:505, point 58).

( 48 ) L’article 7, paragraphe 3, de cette directive prévoit la possibilité pour les États membres d’imposer des obligations au ressortissant de pays tiers afin d’éviter le risque de fuite de ce dernier pendant le délai de départ volontaire, les obligations expressément énumérées à cet effet étant celles de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé.

( 49 ) La Cour européenne des droits de l’homme estime que ces derniers doivent bénéficier d’une protection plus grande lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité d’une mesure restrictive de liberté, voire de l’existence de traitements inhumains ou dégradants (voir, notamment, arrêt de la Cour EDH du 28 février 2019, Khan c. France, CE:ECHR:2019:0228JUD001226716).

( 50 ) Voir, notamment, arrêts de la Cour EDH du 23 juillet 2013, Suso Musa c. Malte, CE:ECHR:2013:0723JUD004233712 ; du 22 novembre 2016, Abdullahi Elmi et Aweys Abubakar c. Malte, CE:ECHR:2016:1122JUD002579413, ainsi que du 4 avril 2017, Thimothawes c. Belgique, CE:ECHR:2017:0404JUD003906111.

( 51 ) Voir arrêts de la Cour EDH du 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, CE:ECHR:2011:0405JUD000868708, ainsi que du 13 décembre 2011, Kanagaratnam et autres c. Belgique, CE:ECHR:2011:1213JUD001529709, concernant la rétention des requérants (une mère et ses trois enfants) dans un bâtiment clos conçu pour les adultes.

( 52 ) Cour EDH, 5 avril 2011, CE:ECHR:2011:0405JUD000868708.

( 53 ) § 108 de cet arrêt.

( 54 ) Voir exposé des motifs du projet de la deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire.

( 55 ) Voir arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 39).

( 56 ) JO 2013, L 295, p. 27.

( 57 ) Voir arrêt Stadt Frankfurt am Main (point 38 et jurisprudence citée).

( 58 ) En vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’hypothèse où il se trouve dans l’impossibilité de procéder à une interprétation de la législation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de ce droit qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi [arrêt du 15 avril 2021, Braathens Regional Aviation (C‑30/19, EU:C:2021:269, point 58 et jurisprudence citée)].

( 59 ) Voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, points 79 et suiv.).

( 60 ) Voir arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 224).

( 61 ) Cette définition est pertinente dans le contexte d’un placement en rétention ordonné en application de la directive 2008/115, conformément à l’article 8, paragraphe 3, sous d), de la directive 2013/33.

( 62 ) Ordonnance du 3 juin 2021, Republika Slovenija (Rétention d’un demandeur de protection internationale) (C‑186/21 PPU, EU:C:2021:447, point 26 et jurisprudence citée).

( 63 ) Voir arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 216 à 223).

( 64 ) Voir article 15 de la directive 2008/115. Voir, également, à cet égard, développements que l’avocat général Bot a consacrés à cette question dans ses conclusions dans les affaires Bero et Bouzalmate (C‑473/13, C‑474/13 et C‑514/13, EU:C:2014:295, points 91 et suiv.). Selon l’avocat général Bot, le législateur de l’Union transpose ainsi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle une privation de liberté ne peut se concilier avec l’article 5, paragraphe 1, sous f), de la CEDH que si celle-ci est effectuée aux fins de l’exécution d’une procédure d’expulsion et est proportionnée à cet objectif (voir Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, CE:ECHR:1996:1115JUD002241493, § 112 et 113, ainsi que 19 janvier 2012, Popov c. France, CE:ECHR:2012:0119JUD003947207, § 140) (note en bas de page 33).

( 65 ) Les notions de « rétention » et de « centre de rétention spécialisé » sont en effet des notions communes à plusieurs instruments du système européen commun d’asile.

( 66 ) Voir considérant 24 et article 1er de la directive 2008/115. Voir, également, arrêt de la Cour EDH du 15 décembre 2016, Khlaifia et autres c. Italie, CE:ECHR:2016:1215JUD001648312, § 161 et suiv.

( 67 ) Voir, notamment, arrêts de la Cour EDH du 19 janvier 2012, Popov c. France, CE:ECHR:2012:0119JUD003947207, § 89 et suiv., et du 15 décembre 2016, Khlaifia et autres c. Italie, CE:ECHR:2016:1215JUD001648312, § 163 et suiv.

( 68 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 19 janvier 2012, Popov c. France, CE:ECHR:2012:0119JUD003947207.

( 69 ) Voir, également, rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, du 11 janvier 2010, intitulé « La rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe », en particulier principe 8 de l’annexe 1 relative aux « [d]ix principes directeurs sur les circonstances dans lesquelles la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière est légalement admissible », dans lequel l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe note que le lieu, les conditions et le régime de la rétention doivent être appropriés, ainsi que document thématique du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, intitulé « Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière en Europe » (titre III, sous ii, p. 16 et 17).

( 70 ) Dans le même ordre d’idées, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, au point 9.2 de sa résolution 1707 (2010) (voir note en bas de page 15 des présentes conclusions), exige, parmi les « 15 règles européennes définissant les normes minimales applicables aux conditions de rétention des migrants et des demandeurs d’asile », que les personnes retenues soient hébergées dans des centres spécialement conçus pour la rétention liée à l’immigration et non dans des prisons (règle 2). Elle impose, également, que les locaux affectés à cet effet offrent des conditions matérielles et un régime de rétention adaptés à la situation juridique et factuelle des intéressés (règles 5 et 6).

( 71 ) Voir arrêt Pham (point 21).

( 72 ) Voir arrêt Pham (points 17 et 19).

( 73 ) BGBl. 1976 I, p. 581.

( 74 ) Le dossier dont dispose la Cour ne fait aucune autre mention de cette ordonnance du 30 septembre 2020.

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