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Document 62020CC0205

Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 23 septembre 2021.
NE contre Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesverwaltungsgericht Steiermark.
Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Détachement de travailleurs – Directive 2014/67/UE – Article 20 – Sanctions – Proportionnalité – Effet direct – Principe de primauté du droit de l’Union.
Affaire C-205/20.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:759

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 23 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑205/20

NE

contre

Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld

en présence de :

Finanzpolizei Team 91

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des services – Détachement de travailleurs – Directive 2014/67/UE – Article 20 – Sanctions – Principe de proportionnalité – Effet direct – Pouvoirs des juridictions nationales – Législation d’un État membre prévoyant le cumul des amendes administratives pour chaque infraction commise et fixant des montants minimaux sans fixer de montants globaux maximaux »

I. Introduction

1.

L’exigence de proportionnalité des sanctions est-elle d’effet direct ? Si tel est le cas, mais également si tel n’est pas le cas, qu’exige-t-elle exactement d’une juridiction nationale saisie d’un litige dans le cadre duquel cette juridiction est amenée à appliquer des règles nationales en matière de sanctions qui ont déjà été déclarées disproportionnées par la Cour ?

2.

Dans une série de décisions antérieures, commençant par l’arrêt Maksimovic ( 2 ), la Cour a déclaré comme étant disproportionnés plusieurs éléments du régime autrichien de sanctions pour la violation d’obligations, essentiellement administratives, de conservation de documents concernant le détachement de travailleurs. Toutefois, après les décisions de la Cour, le législateur national est resté inactif. La juridiction de renvoi nourrit des doutes sur ce qu’elle est censée faire dans un tel scénario. Elle se réfère à la décision récente de la Cour dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik N&N ( 3 ), où une disposition du droit de l’Union presque identique a été déclarée dépourvue d’effet direct et où la possibilité d’interpréter le droit national en conformité avec le droit de l’Union a été considérée comme exclue. La Cour a néanmoins poursuivi en rappelant l’obligation pour les juridictions des États membres de laisser inappliquées les dispositions de droit national incompatibles.

3.

Selon moi, la véritable question en la présente affaire n’est pas tellement celle de savoir ce que la juridiction de renvoi devrait faire, mais plutôt celle de savoir ce que la Cour elle‑même devrait faire. Cette précision ne minimise en rien l’importance de l’affaire au principal et la responsabilité ultime que porte toujours la juridiction nationale lorsqu’elle statue sur une affaire donnée. Il s’agit plutôt de reconnaître que les problèmes mis au jour par l’ordonnance de renvoi dans la présente affaire sont largement imputables à des indications peu claires données par la Cour elle‑même.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4.

Le considérant 44 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») ( 4 ) est libellé comme suit :

« Sans préjudice de la mise en place de règles plus uniformes pour l’exécution transfrontalière des sanctions et/ou des amendes administratives, ainsi que de la nécessité d’instaurer plus de critères communs pour rendre les procédures de suivi plus efficaces en cas de non-paiement, ces dispositions ne devraient pas porter atteinte à la compétence des États membres en ce qui concerne la détermination de leur système de sanctions et d’amendes ainsi que des mesures de recouvrement prévues par leur droit national. Par conséquent, l’instrument permettant de mettre en œuvre ou d’exécuter ces sanctions et/ou amendes peut, s’il y a lieu et compte tenu du droit et/ou des pratiques nationales de l’État membre requis, être complété ou accompagné d’un titre permettant sa mise en œuvre ou son exécution dans cet État membre, ou remplacé par un tel titre. »

5.

L’article 20 de la directive 2014/67, intitulé « Sanctions », dispose :

« Les États membres établissent le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour que lesdites dispositions soient appliquées et respectées. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission au plus tard le 18 juin 2016. Ils notifient à la Commission sans délai toute modification ultérieure de celles-ci. »

B.   Le droit national

6.

L’article 16, paragraphes 1 et 2, du Verwaltungsstrafgesetz (loi sur les infractions administratives) ( 5 ) prévoit la possibilité d’adopter des peines privatives de liberté en tant que sanction de substitution en cas de non-paiement d’amendes.

7.

L’article 52, paragraphes 1 et 2, du Verwaltungsgerichtsverfahrensgesetz (loi sur la procédure des tribunaux administratifs) ( 6 ), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :

« 1.   Dans tout jugement du tribunal administratif confirmant une décision sanctionnant une infraction administrative [Straferkenntnis], le tribunal fixe une contribution aux dépens qui devra être acquittée par l’auteur de l’infraction sanctionnée.

2.   Cette contribution est fixée, en matière de procédure de recours, à 20 % de la sanction prononcée, sans toutefois pouvoir être inférieure à dix euros ; lorsque la sanction consiste en une peine privative de liberté, une journée de privation de liberté équivaut, aux fins du calcul des dépens, à un montant de 100 euros [...] »

8.

L’article 26, paragraphe 1, du Lohn- und Sozialdumping-Bekämpfungsgesetz (loi visant à combattre le dumping salarial et social) (ci-après le « LSDBG ») ( 7 ), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« Quiconque, en tant qu’employeur ou entreprise de mise à disposition de main-d’œuvre au sens de l’article 19, paragraphe 1,

1.

ne procède pas à la déclaration, notamment des modifications postérieures des données (déclaration de modification) en violation de l’article 19, ou n’y procède pas à temps ou de manière complète, ou

[…]

3.

ne tient pas à disposition les documents nécessaires en violation de l’article 21, paragraphe 1 ou 2, ou ne les met pas immédiatement à disposition des autorités fiscales [...] sous forme électronique,

commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district d’un montant de 1000 à 10000 euros par travailleur concerné et, en cas de récidive, de 2000 à 20000 euros. »

9.

L’article 27, paragraphe 1, du LSDBG dispose :

« Quiconque ne transmet pas les documents nécessaires, en violation de l’article 12, paragraphe 1, point 3, commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district de 500 à 5000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 1000 à 10000 euros [...] »

10.

L’article 28 du LSDBG est libellé comme suit :

« Quiconque en tant que

1. employeur ne tient pas à disposition les documents relatifs aux salaires en violation de l’article 22, paragraphe 1 ou paragraphe 1bis, [...]

commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district d’un montant de 1000 à 10000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 2000 à 20000 euros, et, lorsque plus de trois travailleurs sont concernés, d’un montant de 2000 à 20000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 4000 à 50000 euros. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

11.

CONVOI s.r.o. est une société établie en Slovaquie. Elle a détaché ses travailleurs salariés auprès de Niedec Global Appliance Austria GmbH (ci-après « Niedec »), une société établie à Fürstenfeld (Autriche). Le 24 janvier 2018, l’autorité administrative du district de Hartberg-Fürstenfeld (Autriche) a procédé à une inspection chez Niedec. Par décision du 14 juin 2018, cette autorité administrative a condamné la requérante au principal, en sa qualité de représentant de CONVOI, au paiement d’une amende d’un montant total de 54000 euros en raison du non-respect de plusieurs obligations prévues par le LSDBG relatives, notamment, à la disponibilité de documents salariaux et de sécurité sociale ( 8 ).

12.

Par décision du 9 octobre 2018, la juridiction de renvoi a déféré à la Cour une demande de décision préjudicielle portant sur la conformité des sanctions prévues par le droit national en cause avec le droit de l’Union et, en particulier, avec le principe de proportionnalité.

13.

À cette question, la Cour a répondu par une ordonnance motivée, en application de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, dans l’affaire Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (no I) ( 9 ). Ce faisant, elle s’est fondée sur son arrêt, rendu peu de temps auparavant, dans l’affaire Maksimovic ( 10 ), où la Cour était invitée à se prononcer sur des questions très similaires sur le fondement de l’article 56 TFUE.

14.

Par l’ordonnance rendue antérieurement dans la (même) affaire au principal, la Cour a jugé que l’article 20 de la directive 2014/67 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant, en cas de non‑respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à la déclaration de travailleurs et à la conservation de documents salariaux, l’imposition d’amendes qui ne peuvent être inférieures à un montant minimal prédéfini, qui sont imposées de manière cumulative pour chaque travailleur concerné et sans plafond, et auxquelles s’ajoute une contribution aux frais de procédure à hauteur de 20 % de leur montant en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision les imposant ( 11 ).

15.

La Cour est arrivée à la même conclusion (également en application de l’article 99 du règlement de procédure) dans l’ordonnance concernant les affaires jointes C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19 ( 12 ), émanant de la même juridiction de renvoi, rendue dans le cadre d’affaires différentes, mais dans des circonstances factuelles assez similaires. Dans ces affaires, la Cour s’est également fondée sur ce qu’elle avait déjà indiqué dans l’arrêt Maksimovic.

16.

Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi, prenant note de la décision antérieure de la Cour dans l’affaire Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (no I) (ordonnance du 19 décembre 2019, C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), relève toutefois que le législateur national n’a pas encore modifié les règles nationales en cause au principal. La juridiction de renvoi nourrit, dès lors, des doutes quant à la mesure dans laquelle elle peut appliquer ces règles. La juridiction de renvoi se demande, plus précisément, si les dispositions pénales en cause, qui demeurent en vigueur, peuvent encore être appliquées et, si tel est le cas, dans quelle mesure.

17.

La juridiction de renvoi explique que les juridictions supérieures autrichiennes ont adopté une jurisprudence divergente en la matière. D’une part, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a jugé qu’il est tenu, aux fins de se conformer au droit de l’Union, de laisser inappliqués les termes « par travailleur concerné » ( 13 ). Ce faisant, cette juridiction a, de fait, réduit et plafonné le montant total des sanctions pouvant être imposées, tout en permettant encore que des sanctions soient imposées ( 14 ).

18.

D’autre part, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle, Autriche) a (pleinement et intégralement) annulé les sanctions imposées sur le fondement des dispositions nationales en cause dans plusieurs arrêts ( 15 ). La juridiction de renvoi explique que les décisions du Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) ont été interprétées par certaines juridictions nationales comme signifiant qu’il n’est pas permis de continuer à appliquer du tout les sanctions en cause. Cela signifierait alors qu’aucune sanction ne peut être infligée sur le fondement des dispositions déclarées disproportionnées par la Cour, jusqu’à ce qu’une nouvelle législation soit adoptée.

19.

Il semblerait néanmoins que la majorité des juridictions administratives aient suivi la position du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative). Toutefois, elles semblent encore arriver à des résultats assez différents : certaines juridictions fixent le montant de l’amende au niveau de la sanction minimum. Dans d’autres cas, le montant total de la sanction est fixé d’une manière qui correspond quasiment à la somme des sanctions individuelles qui auraient été imposées pour chaque infraction. En outre, plusieurs juges administratifs ont adopté leur propre interprétation de l’arrêt Maksimovic et continuent à appliquer des sanctions cumulatives.

20.

C’est dans ce contexte que le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’exigence de proportionnalité des sanctions inscrite à l’article 20 de la directive [2014/67], telle qu’interprétée dans les ordonnances de la Cour de justice de l’Union européenne [du 19 décembre 2019,] Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, [non publiée,] EU:C:2019:1108), et [du 19 décembre 2019,] Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, [non publiée,] EU:C:2019:1103), est-elle une disposition de la directive directement applicable ?

2)

Dans l’hypothèse où il serait répondu à la première question par la négative :

L’interprétation conforme au droit de l’Union du droit des États membres permet-elle et requiert-elle, en l’absence de nouvelles dispositions adoptées en droit interne, que les juridictions et les autorités administratives des États membres complètent les infractions de droit interne applicables dans la présente affaire par les critères de proportionnalité établis par la Cour de justice de l’Union européenne dans les ordonnances [du 19 décembre 2019,] Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, [non publiée,] EU:C:2019:1108), et [du 19 décembre 2019,] Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, [non publiée,] EU:C:2019:1103) ? »

21.

Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements autrichien, tchèque et polonais ainsi que par la Commission européenne.

IV. Analyse

22.

Les présentes conclusions sont structurées comme suit. Je commencerai par la première question : l’article 20 de la directive 2014/67 – ou plus spécifiquement l’exigence de proportionnalité des sanctions qui y est consacrée – est-il d’effet direct (A) ? J’aborderai ensuite les conséquences de l’effet direct (ou de l’absence d’effet direct) de cette exigence dans l’affaire en cause (B). Selon moi, l’exigence de proportionnalité contenue dans la disposition imposant aux États membres d’adopter un régime de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » est d’effet direct. Toutefois, dans la mesure où il existe une tension, pour le moins que l’on puisse dire, entre cette proposition et les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans l’arrêt Link Logistik, je conclurai par une suggestion sur la manière de procéder (C).

A.   L’exigence de proportionnalité des sanctions est-elle d’effet direct ?

23.

L’article 20 de la directive 2014/67 impose aux États membres d’« établi[r] le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive » et de « pren[dre] toutes les mesures nécessaires pour que lesdites dispositions soient appliquées et respectées ». Il exige que ces sanctions soient « effectives, proportionnées et dissuasives ».

24.

Dans son ordonnance dans l’affaire Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (no I), la Cour a jugé, en rapport avec la procédure au principal dans la présente affaire ( 16 ), que l’article 20 de la directive 2014/67 est violé par les dispositions autrichiennes en cause, notamment au regard de l’exigence de proportionnalité ( 17 ).

25.

La juridiction de renvoi demande, à présent, des clarifications sur les conséquences pratiques de cette première décision. Elle se demande, en particulier, ce qu’elle devrait faire exactement dans la procédure au principal, gardant à l’esprit que les dispositions nationales en cause demeurent en vigueur. La juridiction de renvoi est bien consciente de la décision de la Cour dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik et du fait que la Cour a répondu par la négative, lorsqu’elle a été saisie d’une question relative à l’effet direct de l’exigence de proportionnalité figurant à l’article 9 bis de la directive 1999/62/CE ( 18 ), une disposition quasi identique à celle de l’article 20 de la directive 2014/67. Toutefois, aux fins de statuer sur le litige dont elle est saisie, la juridiction de renvoi se demande si la même conclusion est également justifiée en ce qui concerne l’effet direct de l’article 20 de la directive 2014/67.

26.

Dans la présente section, je rappellerai les grandes lignes de la décision de la Cour dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik (1). J’expliquerai ensuite pourquoi je considère (encore toujours) l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 comme étant d’effet direct, non seulement en reprenant les arguments déjà avancés dans mes conclusions dans l’affaire Link Logistik N&N ( 19 ) (2), mais en ajoutant encore quelques considérations, en particulier de nature systémique (3).

1. Position de la Cour dans l’arrêt Link Logistik

27.

La ressemblance entre l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik et la présente affaire est troublante. Premièrement, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Euro-Team et Spirál-Gép, la Cour a jugé que la législation hongroise prévoyant l’imposition d’amendes forfaitaires en cas de non-paiement de péages, indépendamment de la nature et de la gravité de l’infraction, violait l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 9 bis de la directive 1999/62 ( 20 ).

28.

Ensuite, face à une telle déclaration d’incompatibilité, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik, une autre juridiction hongroise a déféré à la Cour des questions spécifiques concernant les effets pratiques de sa décision dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 22 mars 2017, Euro-Team et Spirál-Gép (C‑497/15 et C‑498/15, EU:C:2017:229). Comment cette déclaration d’incompatibilité devait-elle être prise en compte par une juridiction nationale et appliquée à des cas individuels ? En particulier, la question soulevée était celle de savoir si l’article 9 bis de la directive 1999/62 ( 21 ), disposition dont le libellé est très similaire à celui de l’article 20 de la directive 2014/67, était d’effet direct et ce que pouvaient ou devaient faire les autorités juridictionnelles et administratives dans ce cas.

29.

La Cour, dans l’arrêt Link Logistik, a jugé, en premier lieu, que l’article 9 bis de la directive 1999/62 n’était pas d’effet direct. La Cour a d’abord déclaré que, « pour que soit mis en œuvre le principe de proportionnalité dans le cadre de la directive 1999/62, les États membres sont tenus d’adopter les actes juridiques nécessaires selon leur droit interne, l’article 9 bis de cette directive énonçant une obligation qui, par nature, nécessite l’intervention d’un acte de ces États membres, lesquels disposent d’une grande marge d’appréciation lors de la transposition de cette obligation » ( 22 ). La Cour a ensuite jugé que « cette directive ne comporte pas de règles plus précises en ce qui concerne l’établissement desdites sanctions nationales et n’établit, notamment, aucun critère explicite pour l’appréciation du caractère proportionné de telles sanctions » ( 23 ). En conséquence, la Cour a conclu que, « dès lors qu’il nécessite l’intervention des États membres et leur confère une marge d’appréciation importante, l’article 9 bis de la directive 1999/62 ne saurait être considéré, du point de vue de son contenu, comme étant inconditionnel et suffisamment précis, ce qui exclut son effet direct » ( 24 ).

30.

La Cour a ajouté qu’« [u]ne interprétation contraire conduirait, en pratique, à une élimination du pouvoir d’appréciation conféré aux seuls législateurs nationaux, auxquels il appartient de concevoir un régime de sanctions approprié, dans le cadre défini à l’article 9 bis de la directive 1999/62 » ( 25 ). La Cour a ensuite conclu, en ce qui concerne la question de l’effet direct, que « dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 9 bis de la directive 1999/62 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle impose au juge national de se substituer au législateur national » ( 26 ).

2. Raisons pour lesquelles l’exigence de proportionnalité est d’effet direct

31.

En ce qui concerne le critère d’appréciation de l’effet direct, et conformément à la jurisprudence classique de la Cour qui devrait être appliquée dans de tels cas, je ne peux que résumer les arguments déjà exposés dans mes conclusions dans l’affaire Link Logistik N&N ( 27 ). Je profiterai également de cette occasion pour clarifier certains de ces arguments et pour ajouter quelques autres considérations, d’une nature plus systémique, dans la section suivante des présentes conclusions.

32.

L’effet direct est l’aptitude d’une règle du droit de l’Union à être justiciable au niveau national, directement devant le juge national, sans nécessité, en outre, d’un quelconque « intermédiaire » du droit national. Il équivaut à une fusion effective de deux ensembles de normes qui s’appliquent à une affaire : l’ensemble national et l’ensemble de l’Union. Il s’apprécie au regard d’une disposition juridique individuelle, ou d’une partie de celle-ci, qui doit être appliquée devant l’autorité nationale. Il est déterminé au regard de la nature, de l’économie et des termes de la disposition en cause. La disposition concernée est-elle suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour pouvoir être invoquée en justice ( 28 ) ?

33.

Selon la Commission, l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67 est d’effet direct. Elle est suffisamment claire, précise et inconditionnelle. À l’inverse, se fondant sur la position adoptée par la Cour dans l’arrêt Link Logistik, les gouvernements autrichien et polonais soutiennent que l’article 20 de la directive 2014/67 ne satisfait pas aux exigences de clarté et de précision suffisantes étant donné qu’il exige l’intervention des États membres et leur laisse une marge d’appréciation importante. Le gouvernement tchèque considère qu’il n’est pas nécessaire d’aborder le caractère inconditionnel et suffisamment précis de l’article 20 de la directive 2014/67 étant donné que, en toute hypothèse, le droit de l’Union s’oppose, de manière absolue, à l’application à l’encontre de particuliers des dispositions d’une directive qui ont été transposées de manière incorrecte. Cela semble être le cas dans l’affaire au principal étant donné que les dispositions du droit autrichien en cause ont été déclarées par la Cour incompatibles avec le droit de l’Union.

34.

Je suis d’accord avec la Commission. Selon moi, l’exigence de proportionnalité des sanctions consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67 est suffisamment claire, précise et inconditionnelle. S’agissant de cette exigence spécifique, les conditions de l’effet direct sont remplies.

35.

Premièrement, les critères de clarté et de précision sont remplis.

36.

Il est vrai que l’exigence de proportionnalité peut paraître vague à première vue. Toutefois, la jurisprudence de la Cour confirme que le caractère « clair et précis » d’une disposition est un concept plutôt souple : une disposition peut remplir ces exigences alors qu’elle contient des concepts non définis, voire vagues, ou des notions juridiques indéterminées ( 29 ).

37.

En la présente affaire, la portée et les conséquences exactes de l’exigence de proportionnalité dans le contexte de sanctions sont aisément compréhensibles : les sanctions infligées ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif légitimement poursuivi. Ce à quoi les sanctions doivent être proportionnées est également très clair : elles sont censées correspondre à la gravité de l’infraction commise ( 30 ). En bref, en matière de sanctions, le principe de proportionnalité « exige, d’une part, que la sanction infligée corresponde à la gravité de l’infraction et, d’autre part, que, lors de la détermination de la sanction ainsi que de la fixation du montant de l’amende, il soit tenu compte des circonstances individuelles du cas d’espèce » ( 31 ). Plus particulièrement, en l’espèce, cela signifie que l’appréciation est censée intervenir dans le contexte spécifique de la directive 2014/67, qui définit les objectifs et le cadre pour l’application de l’exigence de proportionnalité des sanctions.

38.

La jurisprudence de la Cour fournit d’amples indications quant au contenu du critère d’appréciation de la proportionnalité. En effet, l’application de ce critère d’appréciation implique un certain degré d’appréciation juridictionnelle/administrative et, par conséquent, une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ce qui doit être souligné, dans ce contexte, est qu’il ne faut pas confondre la clarté d’une règle avec la clarté du résultat de l’application de cette règle à un cas d’espèce ( 32 ). La proportionnalité des sanctions constitue un excellent exemple à cet égard. Quel que soit le nombre d’orientations ou d’arrêts qui puissent exister sur l’interprétation de cette notion, un certain degré d’indétermination, en matière d’application de ladite notion, subsistera en conséquence des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce ( 33 ). Il y aura toujours une certaine incertitude quant au résultat, mais cela ne veut pas dire que l’incertitude régnera sur ce que la règle exige sur un plan général ( 34 ).

39.

En outre, l’exigence de proportionnalité s’avère également claire et précise du point de vue des autorités appelées à l’appliquer régulièrement – à savoir les juridictions nationales et les organes de l’administration – qui connaissent bien (ou devraient, en effet, bien connaître) et sont (ou devraient être) bien outillées pour mettre en œuvre le critère de proportionnalité, en particulier dans le contexte des sanctions. Indépendamment de leur habilitation à procéder à un tel type d’appréciation en droit national, il est également constant que la Cour laisse aux juridictions nationales le soin de procéder à l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure nationale, y compris la proportionnalité des sanctions ( 35 ).

40.

Deuxièmement, l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67 répond également à l’exigence d’être inconditionnelle.

41.

Ce critère signifie que la disposition du droit de l’Union ne nécessite l’intervention d’aucun acte pour être appliquée. Les États membres ne doivent avoir aucune faculté d’appréciation pour la transposition de cette disposition. Toutefois, la jurisprudence démontre que les conditions de l’effet direct peuvent être remplies alors même que l’État membre dispose d’un certain pouvoir d’appréciation lorsque le point de savoir si les autorités nationales ont outrepassé leur marge d’appréciation est susceptible d’un contrôle juridictionnel ( 36 ). Ce sera également le cas s’il est possible de déterminer une garantie ou une protection minimale ( 37 ) et qu’il peut être vérifié par un contrôle juridictionnel si ce niveau minimum a été respecté ( 38 ).

42.

Gardant ces considérations à l’esprit, il y a lieu de noter, s’agissant de la nature inconditionnelle de l’exigence de proportionnalité des sanctions, que l’applicabilité de cette exigence n’est soumise à aucune condition préalable. Le rôle de l’exigence de proportionnalité dans le domaine des sanctions, en tant que manifestation spécifique du principe de proportionnalité comme limite dans l’action des autorités administratives, vise clairement un contenu ou une protection « minimale ». Comme le relève à juste titre la Commission, même si l’exigence de proportionnalité de l’article 20 de la directive 2014/67 laisse aux États membres une marge d’appréciation, elle leur impose une limite suffisamment claire : les sanctions ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire.

43.

L’arrêt Link Logistik a exclu l’effet direct de l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 9 bis de la directive 1999/62 sur le fondement d’une notion très stricte de clarté, de précision et d’inconditionnalité. La circonstance, relevée au point 51 de l’arrêt Link Logistik, qu’une disposition d’une directive nécessite une transposition par l’adoption de règles nationales ( 39 ) ne saurait, en soi, exclure l’effet direct d’une disposition figurant dans une telle directive. Si cela devait être le cas, il y aurait toujours un obstacle à ce que les directives déploient un effet direct en cas de transposition tardive, inexistante ou même incorrecte par le législateur national.

44.

Il est vrai que les dispositions relatives aux sanctions figurant tant à l’article 9 bis de la directive 1999/62 qu’à l’article 20 de la directive 2014/67 en cause en l’espèce, ne comportent pas de règles précises en ce qui concerne l’établissement des sanctions, comme cela est relevé au point 52 de l’arrêt Link Logistik. Toutefois, cela n’exclut pas la clarté, la précision et le caractère inconditionnel de l’exigence de proportionnalité, ni l’interdiction correspondante d’adopter des sanctions disproportionnées. En d’autres termes, la nécessité d’une intervention des États membres et leur marge d’appréciation affectent, de manière générale, la mise en place d’un régime complet de sanctions ( 40 ), mais non le contenu matériel de l’exigence de proportionnalité et les obligations qu’elle comporte.

45.

En résumé, je suis naturellement d’accord avec la position de la Cour selon laquelle c’est au législateur national qu’il appartient et devrait appartenir de faire le choix initial quant à la nature, au type et à l’éventail des sanctions lorsqu’il transpose dûment le droit de l’Union en cause, tel que l’article 9 bis de la directive 1999/62 ou l’article 20 de la directive 2014/67 pour cette affaire. Toutefois, pour toutes les raisons exposées dans la présente section, cela ne fait certainement pas obstacle à ce que, au sein de la masse des dispositions du droit de l’Union que le législateur national est censé transposer, certaines d’entre elles, telles que l’exigence de proportionnalité des sanctions, soient déjà en elles‑mêmes d’effet direct et donc justiciables, si le cas et la nécessité s’en présentent, devant des juridictions nationales.

3. Autres éléments justifiant l’effet direct de l’exigence de proportionnalité

46.

Il existe un certain nombre de considérations additionnelles qui devraient être prises en compte lorsqu’il s’agit d’adopter une position sur l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67. En effet, d’un point de vue plus large, systémique, c’est un truisme de suggérer que l’incorporation de l’exigence de proportionnalité dans cette disposition spécifique est loin d’être un mécanisme rare et isolé, tant dans sa dimension verticale [sa relation avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), les traités et les principes généraux du droit] que dans sa dimension horizontale (avec une myriade de dispositions libellées de manière quasi identique disséminées dans de nombreux autres instruments de droit dérivé). Comme le démontrent clairement la présente affaire et les questions qui y sont soulevées, le choix exercé dans l’arrêt Link Logistik a des répercussions et produit un effet d’entraînement remuant l’onde du droit de l’Union.

47.

Premièrement, refuser de reconnaître l’effet direct de la disposition en cause en l’espèce, contenant l’exigence de proportionnalité en rapport avec les sanctions dans un domaine spécifique, est susceptible de conduire également au rejet du caractère d’effet direct de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte et de l’interdiction des sanctions disproportionnées.

48.

Certes, la Cour n’a pas encore pris de position expresse sur ce droit spécifique de la Charte. Toutefois, au vu de l’orientation générale de la jurisprudence la plus récente en matière d’effet direct des dispositions de la Charte, refuser de reconnaître l’effet direct de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte serait un résultat assez surprenant. En effet, des dispositions ou principes tout aussi (ou même plus) vagues, tels que le droit à une protection juridictionnelle effective ( 41 ), le principe de non-discrimination sur le fondement de la religion ou des convictions ( 42 ), le principe ne bis in idem ( 43 ) ou le droit à des congés payés ( 44 ), ont été déclarés d’effet direct ces derniers temps ( 45 ). Si l’on tient dûment compte de la précision, de la clarté et du caractère inconditionnel de la règle en cause, l’interdiction des sanctions disproportionnées se profile, selon moi, comme un candidat, de loin plus qualifié, à l’effet direct.

49.

Deuxièmement, un élément de proportionnalité est intégré au contenu de toutes les libertés fondamentales. Même s’il n’est peut-être pas toujours expressément mentionné dans une disposition du traité couvrant une liberté fondamentale comme tel, il tend à y être inséré par la voie de la jurisprudence et à être appliqué dans le cadre du critère de l’analyse des justifications des restrictions ou aux règles ou pratiques indirectement discriminatoires ( 46 ).

50.

Cela est, tout particulièrement, visible s’agissant du cadre juridique applicable à la présente affaire. Dans l’arrêt Maksimovic, la Cour a examiné des dispositions nationales ayant un contenu quasi identique à travers le prisme des règles de la libre circulation. La Cour a déclaré que les dispositions nationales en cause étaient contraires à l’article 56 TFUE parce qu’elles étaient disproportionnées ( 47 ). Or, il ne fait aucun doute que l’article 56 TFUE est d’effet direct ( 48 ).

51.

Dans de telles circonstances, il serait, pour le moins que l’on puisse dire, paradoxal de considérer que les dispositions nationales en matière de sanctions doivent être laissées inappliquées parce qu’elles sont contraires à l’interdiction générale d’introduire des entraves disproportionnées à la libre circulation en vertu de l’article 56 TFUE, d’effet direct, mais de conclure que la disposition plus spécifique concernant la proportionnalité des sanctions figurant au sein de la directive plus spécifique sur la question du détachement de travailleurs n’est pas d’effet direct.

52.

En outre, le contenu de l’exigence de proportionnalité demeure apparemment le même, indépendamment du point de savoir s’il est examiné dans le cadre de l’article 20 de la directive 2014/67 ou dans le cadre de la disposition plus générale de l’article 56 TFUE. Les deux ordonnances ultérieures relatives à l’interprétation de la directive 2014/67 ( 49 ) reprennent presque mot pour mot, dans le cadre de l’interprétation de l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de cette directive, le raisonnement exposé par la Cour dans l’arrêt Maksimovic à propos de l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 56 TFUE. C’est la similitude avec l’arrêt Maksimovic qui a contribué à l’adoption d’ordonnances motivées sur le fondement de l’article 99 du règlement de procédure.

53.

Troisièmement, la Cour a implicitement déclaré que la disposition du traité FUE selon laquelle les États membres doivent adopter des sanctions effectives afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, à savoir l’article 325 TFUE, est d’effet direct. La Cour a également expressément reconnu l’obligation pour les États membres de laisser inappliquées les dispositions du droit national contraires à cette exigence ( 50 ). Dans le courant jurisprudentiel se dégageant au titre de cette disposition, l’accent est mis, toutefois, non pas sur la proportionnalité, mais sur l’exigence d’effectivité.

54.

Néanmoins, il est difficile de soutenir que l’exigence d’effectivité contenue dans cette disposition est, en pratique, suffisamment claire, précise et inconditionnelle, mais que l’exigence de proportionnalité ne l’est pas. Outre l’incohérence difficilement justifiable d’une telle prise de position, il y a également le résultat assez discutable moralement d’une telle distinction potentielle. Seule l’exigence d’effectivité, conduisant à l’inapplication de règles nationales qui rendent les sanctions moins effectives et, dès lors, à une situation qui est, en fin de compte, plus lourde pour les particuliers, peut être d’effet direct. L’inapplication de règles nationales qui violent l’exigence de proportionnalité, qui opérerait alors en faveur des intérêts des particuliers sanctionnés, ne peut être d’effet direct.

55.

Quatrièmement et enfin, comme le démontre la présente affaire, une décision de la Cour sur la question de l’effet direct de l’exigence de proportionnalité des sanctions est susceptible d’avoir des répercussions horizontales dans de nombreux autres régimes de droit dérivé, au-delà de la directive 2014/67 ou de la directive 1999/62 pour cette affaire. Il existe un grand nombre de directives dans divers domaines du droit de l’Union contenant une disposition classique, quasi identique, sur les sanctions, indiquant que les sanctions ou peines que l’État membre doit prévoir doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ».

56.

Certes, chaque directive individuelle réglemente des éléments, questions ou domaines du droit différents. Toutefois, je ne suis pas sûr de voir en quoi cette circonstance pourrait contribuer à différencier la précision, la clarté ou la conditionnalité de l’exigence de proportionnalité des sanctions, qui reste libellée en des termes pratiquement identiques dans tous ces instruments. Certes, en fonction de la matière réglementaire et du type d’infractions à sanctionner, l’éventail spécifique de sanctions proportionnées est susceptible de varier. En toute logique, le non-paiement d’un péage autoroutier est, au regard de sa nature, de sa gravité et donc des sanctions qui pourraient raisonnablement être infligées, susceptible de différer, par exemple, de la non-exécution de l’obligation de soumettre une offre publique d’acquisition obligatoire après avoir acquis une participation majoritaire dans une société, d’une part, ou du fait de déverser des tonnes de déchets toxiques dans une rivière, d’autre part.

57.

Toutefois, selon moi, dans toutes ces situations, la nature et le contenu de l’exigence (d’effet direct) de proportionnalité des sanctions demeurent les mêmes, indépendamment du domaine réglementaire. Le domaine du droit et le type d’infractions à punir ne sont qu’un simple élément factuel qui doit être pris en compte et intégré dans l’équation, autrement identique, de la proportionnalité entre les objectifs et les moyens ( 51 ).

58.

L’ensemble de ces considérations permet, selon moi, de conclure que, contrairement à ce qui a été déclaré dans l’arrêt Link Logistik, l’exigence de proportionnalité des sanctions au titre de l’article 20 de la directive 2014/67 est d’effet direct.

B.   Conséquences spécifiques de l’effet direct de l’exigence de proportionnalité

59.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si, en l’absence d’intervention du législateur, le principe de l’interprétation conforme au droit de l’Union permet (ou exige même) que les juridictions nationales complètent la législation autrichienne avant que le législateur ne la modifie, afin de faire respecter l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 20 de la directive 2014/67.

60.

Deux clarifications doivent être apportées en ce qui concerne les prémisses sur lesquelles cette question semble reposer. Ces clarifications conduisent, in fine, à la reformulation de cette question.

61.

Premièrement, les explications fournies par la juridiction de renvoi, motivant sa seconde question, et, en particulier, les doutes qu’elle nourrit à propos de l’arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), font apparaître la confusion qui a résulté de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Link Logistik N&N. En effet, en se fondant sur cette décision, la juridiction de renvoi prend comme fondement de sa seconde question la possibilité que des dispositions de droit national soient laissées inappliquées dans un cas où une disposition a été déclarée comme étant dépourvue d’effet direct.

62.

Toutefois, compte tenu de ce qui sera exposé dans cette section des présentes conclusions, la Cour a récemment confirmé que laisser inappliquées des règles nationales n’est possible que dans les cas où la règle du droit de l’Union invoquée est dotée d’un effet direct. La seconde question de la juridiction de renvoi vise ainsi, en réalité, la possibilité de laisser partiellement inappliquées des dispositions nationales ou même de les « compléter » avec les règles pertinentes du droit de l’Union, plutôt qu’un cas d’interprétation conforme au droit de l’Union. Je ne peux comprendre le terme « compléter » ( 52 ) que comme signifiant l’application directe de l’exigence de proportionnalité en vue de compléter les dispositions nationales et, en particulier, de combler le vide laissé par les éléments du droit national qui ont été laissés inappliqués.

63.

Deuxièmement, la juridiction de renvoi n’a soulevé sa seconde question que dans l’hypothèse où la première appellerait une réponse négative, c’est-à-dire dans l’hypothèse où la Cour devrait déclarer que l’article 20 de la directive 2014/67 n’a pas d’effet direct. Toutefois, j’ai proposé qu’il soit répondu à la première question par l’affirmative, à savoir, en reconnaissant l’effet direct de l’article 20 de la directive 2014/67. Cela dit, la seconde question de la juridiction de renvoi demeure très pertinente également, ou plutôt, en particulier, dans les circonstances où la disposition du droit de l’Union en cause a un effet direct. En effet, cela serait, en fait, dans les circonstances inverses, où l’exigence de proportionnalité des sanctions devrait être dépourvue d’effet direct, que la seconde question deviendrait sans objet ( 53 ).

64.

Il y a donc lieu de reformuler la seconde question comme suit : l’exigence de proportionnalité des sanctions consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67 permet-elle et/ou impose-t-elle à la juridiction et à l’autorité administrative nationales de compléter – en l’absence de nouvelle législation au niveau national – les dispositions pénales internes applicables dans le cadre de la présente procédure ?

65.

Aux fins de répondre à cette question, je rappellerai, d’abord, la position adoptée par la Cour dans l’arrêt Link Logistik en ce qui concerne l’inapplication du droit national contraire à des dispositions du droit de l’Union dépourvues d’effet direct (1) ainsi que la clarification subséquente apportée à cet égard par la grande chambre de la Cour dans l’arrêt Popławski II (2) ( 54 ). J’exposerai, ensuite, brièvement les différentes positions adoptées par les juridictions supérieures autrichiennes [le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) et le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle)] en conséquence de l’arrêt Maksimovic (3). Ensuite, j’aborderai les implications de l’effet direct de l’exigence de proportionnalité des sanctions et les limitations potentielles qui existent dans le domaine spécifique des sanctions (4). Je conclurai par une observation finale, plus générale, sur la terminologie et la nécessité, plutôt intuitive, de proportionnalité lorsqu’il s’agit d’écarter une disposition au nom du principe de proportionnalité (5).

1. Position de la Cour dans l’arrêt Link Logistik

66.

Comme cela a déjà été exposé dans les présentes conclusions, dans l’arrêt Link Logistik, la Cour a conclu que l’article 9 bis de la directive 1999/62 n’a pas d’effet direct ( 55 ).

67.

La Cour a ensuite rappelé l’obligation des États membres d’atteindre le résultat prévu par la directive 1999/62 ainsi que le principe d’interprétation conforme au droit de l’Union et ses limites. Toutefois, la Cour a poursuivi en admettant qu’une interprétation conforme au droit de l’Union n’était pas possible dans l’affaire examinée ( 56 ).

68.

Toutefois, même après avoir exclu tant l’effet direct qu’une interprétation de manière conforme au droit de l’Union du droit national, la Cour a conclu que « la juridiction nationale a pour obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant, au besoin, inappliquée toute disposition dans la mesure où l’application de celle-ci, dans les circonstances de l’espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit de l’Union » ( 57 ).

69.

Cette prise de position est réitérée dans le dispositif de l’arrêt Link Logistik, indiquant que « [l]’exigence de proportionnalité, prévue à l’article 9 bis de la directive [1999/62], ne saurait être considérée comme étant d’effet direct » et que « [l]e juge national doit, en vertu de son obligation de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette disposition, interpréter le droit national de manière conforme à cette dernière, ou, si une telle interprétation conforme n’est pas possible, laisser inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où l’application de celle-ci, dans les circonstances de l’espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit de l’Union » ( 58 ).

2. Clarification ultérieure dans l’arrêt Popławski II

70.

Peu après la décision rendue dans l’affaire Link Logistik, la Cour, siégeant en grande chambre, a rendu son arrêt dans l’affaire Popławski II. Cette affaire concernait la possibilité de laisser inappliquées des règles nationales contraires à une disposition de la décision-cadre 2008/909/JAI ( 59 ), un instrument qui, en vertu du traité, est dépourvu d’effet direct ( 60 ). Comme telle, la question spécifique qui s’est posée était celle de savoir si, sur le seul fondement du principe de primauté, une juridiction nationale pouvait laisser inappliquées des règles nationales contraires à des dispositions du droit de l’Union dépourvues d’effet direct.

71.

La Cour a jugé qu’« une disposition du droit de l’Union qui est dépourvue d’effet direct ne peut être invoquée, en tant que telle, dans le cadre d’un litige relevant du droit de l’Union, afin d’écarter l’application d’une disposition de droit national qui y serait contraire » ( 61 ). Elle a, en outre, précisé que « l’obligation, pour une juridiction nationale, de laisser inappliquée une disposition de son droit interne, contraire à une disposition du droit de l’Union, si elle découle de la primauté reconnue à cette dernière disposition, est néanmoins conditionnée par l’effet direct de ladite disposition dans le litige dont cette juridiction est saisie. Partant, une juridiction nationale n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquée une disposition de son droit national contraire à une disposition du droit de l’Union si cette dernière disposition est dépourvue d’effet direct » ( 62 ).

72.

L’élément central de cette décision a été confirmé à plusieurs reprises par la suite à propos d’un certain nombre d’autres dispositions du droit de l’Union, non contenues dans des décisions-cadres ( 63 ).

73.

Ainsi, l’arrêt Popławski II et la jurisprudence ultérieure, avec plusieurs de ces derniers arrêts rendus également en grande chambre de la Cour, ont tranché avec autorité la question de savoir si laisser inappliqué le droit national peut être la conséquence de la seule primauté ou bien de la primauté du droit de l’Union en combinaison avec l’effet direct de la disposition du droit de l’Union à appliquer.

74.

Certes, il est indéniable que cette même question avait déjà fait l’objet de discussions depuis un certain temps ( 64 ), avec des options et des visions différentes sur la table ( 65 ). Toutefois, au vu des prises de position répétitives faisant autorité émanant de la formation élargie de la Cour tranchant cette question, je considère que cette discussion est, à présent, close, certainement dans le forum judiciaire.

3. Implications pour la présente affaire : les visions concurrentes au niveau national

75.

Sur le plan national, différentes juridictions ont des visions divergentes sur la signification pratique, pour les affaires en cours, des décisions d’incompatibilité rendues par la Cour en ce qui concerne plusieurs éléments du régime de sanctions en cause. La seconde question posée par la juridiction de renvoi est inspirée par ces visions concurrentes.

76.

D’une part, il y a l’approche adoptée dans l’arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) ( 66 ). Dans le cadre d’une affaire similaire, et après que l’arrêt Maksimovic a été rendu, la juridiction a conclu que, pour permettre de se conformer au droit de l’Union, seuls certains éléments de la disposition nationale en cause devaient être laissés inappliqués. En conséquence de cet arrêt, il reste possible d’imposer des sanctions qui, selon cette juridiction, sont conformes aux exigences de proportionnalité.

77.

Premièrement, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a jugé que, pour permettre de se conformer au droit de l’Union, les termes « par travailleur concerné » devaient être écartés. Ces termes figuraient à l’article 7i, paragraphe 4, de l’AVRAG, mais correspondent, en substance, aux termes de l’article 26, paragraphe 1, et de l’article 28 du LSDBG, pertinents pour la présente affaire ( 67 ).

78.

Si j’ai bien compris, par l’inapplication de l’expression « par travailleur concerné », les limites imposées par les dispositions nationales en ce qui concerne chaque travailleur deviennent applicables de façon générale, en ce qui concerne l’intégralité des travailleurs concernés. Laisser inappliqués les termes « par travailleur concerné » revient, dès lors, non seulement à une diminution considérable du montant potentiel des amendes et à l’introduction d’un éventail clair de montants admissibles, mais également à l’introduction d’un plafond global, qui était absent dans la législation et qui était l’un des facteurs ayant motivé la Cour à conclure que les dispositions pertinentes du droit autrichien étaient disproportionnées ( 68 ).

79.

Deuxièmement, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a également jugé que les amendes minimales prévues par la loi devaient cesser de s’appliquer. Troisièmement, il a déclaré que les peines privatives de liberté en cas de non-paiement devaient cesser d’être prononcées conformément à l’article 16 de la loi sur les infractions administratives. L’existence d’amendes minimales ainsi que la possibilité d’appliquer des peines privatives de liberté étaient également des éléments ayant motivé la Cour à conclure que les sanctions en cause étaient disproportionnées dans l’arrêt Maksimovic ( 69 ). Quatrièmement, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a considéré qu’il n’était pas nécessaire de laisser inappliquée la disposition relative à la contribution aux frais de procédure ( 70 ).

80.

Ainsi, en conséquence de l’approche retenue par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), il demeure possible pour les autorités administratives d’imposer, même si elle est considérablement réduite, une sanction, qui devrait, toutefois, désormais, être conforme au droit de l’Union.

81.

Prenant comme point de départ la réponse de la Cour dans l’arrêt Link Logistik, la juridiction de renvoi considère l’arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) comme étant un cas d’interprétation conforme au droit de l’Union et elle note correctement que, si c’est le cas, la solution qu’il vise constitue une interprétation contra legem ( 71 ). Dans ces circonstances, elle souhaite savoir si la solution proposée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) est conforme au droit de l’Union. Plus spécifiquement, la juridiction de renvoi demande si elle est fondée à appliquer la solution dégagée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) ou si, compte tenu du dispositif de l’arrêt Link Logistik, la seule possibilité dont elle dispose consiste à laisser intégralement inappliquées les dispositions nationales incompatibles.

82.

D’autre part, la juridiction de renvoi souligne également que le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) semble avoir adopté une position différente. Statuant sur un recours constitutionnel dirigé contre une décision d’une juridiction administrative inférieure concernant les sanctions imposées sur le fondement des dispositions nationales en cause, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) a pris en compte les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans l’arrêt Maksimovic, pour déclarer que le droit de propriété avait été violé ( 72 ). Après avoir évoqué la jurisprudence de la Cour selon laquelle les juridictions nationales ont pour obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union, en laissant, au besoin, inappliquée toute disposition contraire du droit national, la décision constitutionnelle a annulé les sanctions infligées. Pour parvenir à cette conclusion, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) a indiqué que l’application de sanctions nationales qui sont incompatibles avec des règles de l’Union d’effet direct revient à imposer des sanctions sans base juridique appropriée ( 73 ).

83.

La juridiction de renvoi explique que ces décisions constitutionnelles ont été interprétées par certaines juridictions nationales en ce sens qu’il n’est pas permis de continuer à appliquer du tout les sanctions en cause. Aucune sanction ne peut être imposée, quelle qu’elle soit, jusqu’à ce qu’une nouvelle législation soit adoptée. La juridiction de renvoi présente, dès lors, les positions du Verfassungsgerichtshof (Cour constitutitionnelle) et du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) comme étant opposées.

84.

Le gouvernement autrichien a souligné qu’il n’existe aucune contradiction entre la jurisprudence du Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) et celle du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative).

85.

Il n’appartient certainement pas à la Cour de prendre une quelconque position sur le droit national, ni a fortiori d’arbitrer entre les juridictions nationales sur des questions de droit national. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de conséquences découlant du droit de l’Union, les doutes de la juridiction de renvoi illustrent un dilemme bien connu : face à une disposition nationale contraire à une disposition d’effet direct du droit de l’Union, laisser inappliquée l’intégralité de la disposition du droit national est-il le seul remède disponible ou est-il possible de procéder en laissant inappliqué, de manière partielle ou sélective, le droit national, ou même en le complétant ? Tandis que la solution adoptée par le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) semble avoir suivi la première voie, la jurisprudence du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) fournit un exemple de la seconde. Pour l’exprimer simplement, que signifie exactement « laisser inappliqué » ?

4. Implications spécifiques de l’effet direct de l’exigence de proportionnalité

86.

Les parties intéressées qui ont présenté des observations ont adopté des positions différentes quant aux conséquences de l’effet direct de l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67.

87.

La Commission soutient que cette disposition peut constituer le fondement permettant au juge d’adapter les sanctions de manière conforme au principe de proportionnalité. C’est le cas parce que, premièrement, l’article 20 de la directive 2014/67 exige que les États membres imposent des sanctions pour les obligations couvertes par cette directive : ne pas prévoir de sanctions serait également contraire à ladite directive. Deuxièmement, comme la Cour l’a déclaré dans ses ordonnances, une réglementation nationale, qui prévoit des sanctions en cas de non-respect des obligations en matière de droit du travail en cause, est appropriée pour garantir la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la même directive ( 74 ). Troisièmement, le conflit entre le droit de l’Union et le droit national n’implique pas nécessairement que ce dernier doive être laissé intégralement inappliqué : le droit de l’Union ne complète le droit national que dans la mesure qui est suffisante pour permettre l’adoption d’une sanction conforme à l’exigence de proportionnalité. À cet égard, la Commission considère que les juridictions autrichiennes devraient même continuer à appliquer des sanctions cumulées dans la mesure où de telles sanctions cumulatives ne sont pas, en soi, disproportionnées, selon la jurisprudence de la Cour ( 75 ).

88.

De manière similaire, le gouvernement autrichien soutient que laisser intégralement inappliquées les dispositions nationales conduirait à une situation de violation du droit de l’Union. Laisser partiellement inappliquées les dispositions nationales en cause pourrait, en soi, garantir que les sanctions prévues par le droit national puissent être appliquées par les autorités et les juridictions nationales de manière conforme aux exigences du droit de l’Union ( 76 ).

89.

Inversement, le gouvernement polonais considère que fixer des sanctions pénales indépendamment du libellé des dispositions juridiques nationales pourrait violer le principe de légalité : cela signifie que la seule solution possible est de laisser intégralement inappliquées les dispositions nationales. Dans un même ordre d’idées, le gouvernement tchèque fait valoir qu’une approche selon laquelle le montant de la sanction est fixé, non pas sur le fondement de critères établis par la loi, qui peuvent être connus à l’avance par les destinataires de la réglementation, mais sur le fondement de critères établis ex post par des juridictions ou des autorités administratives, violerait le principe de sécurité juridique.

90.

Je suis d’accord avec la Commission que l’effet direct du principe de proportionnalité ne devrait pas nécessairement conduire à laisser intégralement inappliquées les dispositions nationales en matière de sanctions. Selon moi, l’élément central à cet égard est le fait que la Cour a déclaré certains éléments excessifs du régime national de sanctions comme étant incompatibles avec le droit de l’Union. La Cour n’a pas déclaré incompatibles les sanctions en soi, ni, a fortiori, indiqué que le comportement illégal donnant lieu à ces sanctions ne peut être sanctionné. Autrement dit, l’exigence de proportionnalité des sanctions peut difficilement être assimilée à l’exigence qu’il n’y ait aucune sanction. Cette proposition paraît, certainement dans l’abstrait, quelque peu disproportionnée.

91.

Toutefois, je comprends les préoccupations exprimées par la juridiction de renvoi dans le contexte particulier de sanctions de nature pénale, conduisant à des préoccupations au regard des principes de légalité, de sécurité juridique et d’égalité devant la loi, que j’aborde à présent.

a) Légalité, sécurité juridique et égalité devant la loi dans l’imposition de sanctions

92.

La juridiction de renvoi considère que la solution découlant de l’arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) peut être problématique pour des motifs liés au principe de légalité. Ce principe est interprété de manière très stricte par le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle), en particulier dans le domaine du droit pénal. En outre, comme l’a relevé la juridiction de renvoi, diverses juridictions administratives en Autriche ont interprété de manière différente l’arrêt des juridictions suprêmes autrichiennes. Confrontée aux positions divergentes des juridictions administratives, la juridiction de renvoi résume la situation actuelle comme étant en proie à une jurisprudence incohérente et à l’insécurité juridique. En outre, cette juridiction considère que les incohérences de la pratique actuelle de jugement créent une cause de préoccupation au regard du principe d’égalité. L’application de sanctions selon un système variant d’une affaire à l’autre est étrangère à l’ordre juridique autrichien, en général, et au système de justice pénale, en particulier.

93.

Le gouvernement tchèque a souligné que, en toute hypothèse, l’article 20 de la directive 2014/67 ne saurait être considéré comme étant d’effet direct pour être invoqué à l’encontre d’une partie privée. La jurisprudence de la Cour exclut la possibilité pour un État membre d’invoquer l’effet direct d’une directive pour appliquer des sanctions sur le fondement des dispositions d’une directive. Ce gouvernement pose aussi en principe que, si chaque juridiction ou autorité administrative était en mesure de moduler de manière créative les règles nationales, cela conduirait inévitablement à des différences dans le montant des sanctions infligées, sans motivation objective.

94.

Dans le même ordre d’idées, le gouvernement polonais considère que le fait de laisser à chaque juridiction ou autorité le soin d’adapter les sanctions en s’écartant des dispositions légales contreviendrait aux exigences du principe de légalité. Le gouvernement polonais soutient même que les différentes interprétations auxquelles sont parvenues les diverses juridictions montrent que l’article 20 de la directive 2014/67 n’est pas d’effet direct.

95.

Je ne suis pas convaincu par ces arguments pour les raisons suivantes.

96.

Le principe de légalité exige que la législation définisse clairement les infractions et les peines qui s’appliquent au moment où l’acte ou l’omission punissable a été commis. Cette exigence est respectée dès que les justiciables sont en mesure de savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent leur responsabilité pénale ( 77 ). Ces exigences n’interdisent toutefois pas la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire, pour autant que ces interprétations soient raisonnablement prévisibles ( 78 ). En outre, la partie relative à la lex mitior de l’article 49 de la Charte s’oppose à ce que soient imposées des peines plus lourdes que celle qui était applicable au moment où l’infraction pénale a été commise.

97.

Selon moi, la possibilité de laisser partiellement inappliquées les dispositions nationales dans la mesure où elles méconnaissent le droit de l’Union, ainsi que de les compléter ou préciser par l’application directe du principe de proportionnalité, ne méconnaît pas le principe de légalité, tel que consacré à l’article 49 de la Charte.

98.

Premièrement, les infractions et les peines étaient définies au moment où l’acte punissable a été commis. Comme tels, les particuliers étaient en mesure de connaître les conséquences de leur conduite. L’effet direct du principe de proportionnalité ne conduit pas à l’imposition de sanctions sur le fondement d’une directive incorrectement transposée. Les sanctions sont clairement fondées sur le droit national, tel qu’il a été valablement promulgué et communiqué à ses destinataires, et non sur la directive. Pour cette raison, la jurisprudence de la Cour relative à l’impossibilité d’appliquer directement des directives déterminant ou aggravant la responsabilité pénale des particuliers ( 79 ) n’est, tout simplement, pas pertinente en l’espèce.

99.

Deuxièmement, l’exigence de proportionnalité consacrée à l’article 20 de la directive 2014/67 constitue le fondement pour atténuer et corriger les dispositions nationales, par l’effet direct de l’exigence de proportionnalité. En d’autres termes, l’exigence de proportionnalité n’est pas le fondement sur lequel sont infligées ou aggravées des sanctions, mais le fondement sur lequel des sanctions légalement infligées sont réduites afin d’être rendues conformes au droit de l’Union.

100.

Troisièmement et de nouveau, l’arrêt Maksimovic déclarant le caractère disproportionné des sanctions dans cette affaire et les deux ordonnances ultérieures de la Cour n’affectent pas la validité des dispositions nationales applicables définissant les infractions. Ainsi, la criminalisation et la répression de ces infractions demeurent clairement légales. Ce que les décisions de la Cour affectent n’est que certains éléments spécifiques du régime national de sanctions qui ont été déclarés incompatibles parce qu’ils étaient disproportionnés.

101.

Ensuite, il y a les préoccupations exprimées par la juridiction de renvoi en ce qui concerne l’existence d’une jurisprudence divergente devant les juridictions administratives et les conséquences négatives qu’elle peut entraîner sous l’angle des principes d’égalité et de sécurité juridique. Si je partage pleinement ces préoccupations, il est toutefois difficile de suggérer que l’effet direct de l’exigence de proportionnalité des sanctions en serait la seule cause ou même la cause principale.

102.

Un certain degré d’incertitude temporelle en ce qui concerne l’application correcte des règles nationales à la suite de la déclaration de leur incompatibilité avec le droit de l’Union est, en effet, inhérent au fonctionnement du système juridictionnel de l’Union, éclaté et décentralisé. À la différence, par exemple, de plusieurs systèmes juridiques nationaux où une déclaration d’inconstitutionnalité par une (unique) juridiction constitutionnelle nationale entraîne l’annulation des règles nationales avec effet erga omnes, l’inapplication par une (quelconque) juridiction nationale de règles pour incompatibilité avec le droit de l’Union peut, pendant un certain temps, être soumise aux instances et règles procédurales ordinaires existant en droit national. Dès lors, pour autant que la question ne soit pas tranchée avec autorité par la Cour, en tant qu’interprète ultime du droit de l’Union, il pourrait même exister, avant que les positions ne soient unifiées au niveau national par la juridiction faîtière concernée, des positions concurrentes des différentes juridictions nationales sur la même question.

103.

Toutefois, il ne saurait être ignoré que l’insécurité juridique et la diversité dans l’application au niveau national en l’espèce sont largement dues à deux facteurs qui trouvent leur origine dans le contexte national. Premièrement, le législateur national, comme la juridiction de renvoi l’a souligné à plusieurs reprises, est demeuré inactif. Toutefois, on supposerait naturellement que, si une quelconque incertitude quant au champ d’application de sanctions imposées nationalement doit être clarifiée, c’est au législateur national qu’il appartiendrait de procéder à cet exercice afin de minimiser l’incertitude temporelle faisant suite à une déclaration d’incompatibilité.

104.

Deuxièmement, même si le législateur national n’est pas intervenu, la réalisation d’une uniformité dans l’application du droit national devrait, fondamentalement, être assurée dans le cadre du système juridictionnel national généralement organisé de manière hiérarchique, certainement dans la tradition juridique civile. C’est communément le rôle des juridictions faîtières d’unifier la jurisprudence dans le cadre de leurs branches de compétence respectives. Toutefois, dans ce cadre, il apparaîtrait que les règles nationales de compétence permettent, en substance, un choix entre contester une décision d’une juridiction administrative inférieure devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) ou la contester devant le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) ( 80 ).

105.

Je tiens à souligner clairement le fait que cela est, en droit de l’Union, possible. En effet, la manière dont les procédures et institutions juridictionnelles nationales sont structurées continue de relever du choix initial de l’État membre ( 81 ). Toutefois, cela serait un peu plus problématique si l’on devait prendre les conséquences générées par de tels choix nationaux (inaction du législateur et absence effective d’une autorité juridictionnelle capable d’unifier la jurisprudence) et les présenter comme des conséquences de l’effet direct potentiel de l’exigence, de droit de l’Union, de proportionnalité des sanctions.

106.

Enfin, au-delà du niveau structurel, il reste encore la question de l’incertitude potentielle quant au montant exact de l’amende dans chaque cas d’espèce. Dans le cadre de l’imposition d’une sanction, même si l’on devait adopter l’approche choisie par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) comme point de départ, il subsiste l’éventail, par exemple, d’une sanction devant être fixée quelque part entre 1000 euros et 10000 euros, ou, si le minimum devait être supprimé, alors, en pratique, entre 0 euro et 10000 euros. Il est dès lors concevable que, dans un cas, l’auteur d’une infraction reçoive une amende d’un montant total de 100 euros, alors qu’un autre pourrait recevoir une amende d’un montant de 5000 euros. Cela pourrait effectivement, à son tour, poser la question de l’égalité devant la loi.

107.

Toutefois, un problème d’égalité ne pourrait alors se poser que si les deux auteurs d’infractions se trouvaient dans une situation identique. Il n’y aurait, dès lors, pas d’éléments distinctifs. Cela dit, la vie tend à être infiniment variable. C’est la raison pour laquelle tant le droit administratif que le droit pénal, lorsqu’il s’agit de définir les peines ou sanctions de manière générale, à tout le moins en droit moderne ( 82 ), ne procèdent normalement pas selon une approche unique applicable à tous les cas de figure (« one size fits all »), mais en fixant un éventail admissible, à l’intérieur des limites duquel le pouvoir d’appréciation administratif ou juridictionnel est exercé.

108.

De nouveau, comme cela a déjà été noté en ce qui concerne le noyau inconditionnel de l’exigence de proportionnalité des sanctions, les termes « clair, précis et inconditionnel » n’impliquent pas que tout élément est expressément fixé à l’avance dans la législation. Un tel scénario n’est, tout simplement, pas réaliste. Toutefois, ce qui est laissé non réglé doit, à tout le moins, être justiciable ( 83 ).

109.

En résumé, je ne vois aucun problème induit en l’espèce, en droit de l’Union, que ce soit par le principe de légalité des peines au titre de l’article 49 de la Charte, ou par l’impératif de sécurité juridique et d’égalité devant la loi.

110.

Cela dit, il n’en demeure pas moins que l’adoption de sanctions dans le domaine couvert par la directive 2014/67 n’a pas fait l’objet d’une harmonisation complète par le droit de l’Union. Ainsi, les sanctions applicables en la matière continuent de relever du pouvoir d’appréciation des États membres. Leur existence est, en effet, en général imposée par le droit de l’Union (il doit y avoir certaines sanctions), mais c’est aux États membres qu’il appartient de fixer les éléments problématiques particuliers concernant leur imposition et leur portée (disproportionnée).

111.

Dès lors, en rappelant l’approche adoptée par la Cour dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt M.A.S. et M.B. ( 84 ), il devrait dans cette situation, en principe, être loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards différents (plus élevés) pour la protection des droits fondamentaux. Cela pourrait potentiellement inclure des visions plus strictes du principe de légalité des peines, si une telle exigence existe effectivement en droit national et est appliquée à l’encontre de sanctions édictées par le droit national qui ne sont pas entièrement déterminées par le droit de l’Union ( 85 ).

b) Proportionnalité dans l’inapplication des règles nationales disproportionnées ?

112.

Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans l’arrêt Maksimovic et dans les ordonnances ultérieures déclarant le caractère disproportionné des sanctions prévues par la législation autrichienne étaient fondées sur une combinaison de facteurs : i) le montant élevé des amendes ; ii) le cumul sans plafond de ces amendes ; iii) le fait qu’il existait un seuil minimum auquel les amendes ne pouvaient être inférieures, même s’il n’était pas établi qu’un fait reproché présente une gravité particulière ; iv) le fait que, en cas de rejet d’un recours, la personne destinataire de la sanction devait s’acquitter d’un montant équivalent à 20 % de la sanction à titre de contribution aux frais de procédure, et v) le fait que le non-paiement d’une amende pouvait conduire à une peine privative de liberté de substitution ( 86 ).

113.

Dans ce contexte, selon moi, la solution retenue par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) est à la fois pragmatique et très élégante. D’un trait de plume, cette juridiction a laissé inappliqués un certain nombre d’éléments contenus dans les dispositions nationales applicables. Elle a introduit un plafond maximal tout en permettant un éventail admissible de sanctions. Elle a, en outre, supprimé la limite inférieure et éliminé la possibilité d’appliquer la peine de substitution consistant en des peines privatives de liberté en cas de non‑paiement. Ce faisant, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a laissé inappliqués différents éléments du système d’amendes autrichien, tout en préservant la possibilité que des sanctions continuent à être appliquées jusqu’à ce que le législateur procède à une modification de la législation pertinente.

114.

Je ne peux, de nouveau, que souligner que le droit de l’Union n’exclut pas l’imposition de sanctions pour les infractions en cause, mais plutôt le contraire. L’article 20 de la directive 2014/67 impose l’obligation d’adopter de telles sanctions, qui doivent, il est vrai, être proportionnées, mais également dissuasives et effectives. En outre, sous l’angle de l’article 20 de cette directive, la possibilité de compléter le droit national est conforme aux objectifs de ladite directive puisqu’elle permettrait d’établir un équilibre raisonnable entre l’exigence de proportionnalité et celle d’effectivité et de caractère dissuasif des sanctions.

115.

À cet égard, l’exigence de proportionnalité des sanctions, qui est également consacrée à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, peut difficilement être assimilée à l’impunité, lorsqu’il existe une façon raisonnable de mettre l’ordre juridique national en conformité avec le principe de proportionnalité. Se fonder sur le seul principe de proportionnalité pour écarter la possibilité d’appliquer tout type de sanctions méconnaîtrait totalement la nécessité de préserver l’objectif, déclaré à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/67, de garantir le respect d’un niveau approprié de protection des droits des travailleurs détachés.

116.

En résumé, il serait, dès lors, quelque peu paradoxal, à tout le moins sous l’angle du droit de l’Union, d’arriver, au nom du principe de proportionnalité, à laisser inappliquées, de manière disproportionnée, toutes les dispositions concernées relatives aux sanctions du droit national, y compris celles qui n’ont, en fait, jamais été remises en cause. Cette prise de position, de nouveau, ne fait pas obstacle à ce que ces autres dispositions de droit national puissent devenir le dommage collatéral de visions nationales plus strictes du principe de légalité, ou que, dans d’autres cas, elles disparaissent tout simplement par association étant donné qu’elles ne pourraient plus être appliquées de manière autonome.

117.

Ce qui est simplement suggéré est que l’effet direct de l’exigence de proportionnalité n’impose pas de laisser inappliquées, de manière disproportionnée, l’ensemble des règles nationales. Pour l’exprimer de manière métaphorique, l’opération à réaliser au nom du droit de l’Union devrait ressembler à une incision chirurgicale plutôt qu’à un bombardement intensif.

5. Épilogue sur les dichotomies de l’effet direct : exclusion, substitution… ou simple « branchement » ?

118.

Au fil des ans, beaucoup d’encre scientifique a coulé sur des distinctions et taxonomies d’ergotage des différents types d’effet direct que la Cour a introduits dans une affaire ou peut avoir envisagés dans une autre. En particulier, la distinction entre les effets d’exclusion et de substitution des dispositions du droit de l’Union ( 87 ) à l’égard des règles nationales qui leur sont contraires demeure le sujet de discussions animées ( 88 ). En outre, même si l’arrêt Popławski II a résolu la question en amont (inapplication en raison de la seule primauté ou exclusivement de la primauté et de l’effet direct), la question en aval quant au type et au nombre exact de configurations qui peuvent s’ensuivre est toujours très ouverte.

119.

Je n’ai aucune intention d’apporter ici une contribution à cette discussion. J’utiliserai cependant simplement la présente affaire comme une occasion de souligner la pertinence pratique limitée de telles cases taxonomiques. Comme le démontre la présente affaire, la ligne de démarcation entre, par exemple, les effets d’exclusion et les effets de substitution de l’effet direct demeure assez floue dans un certain nombre de cas. Elle dépendra fortement du cas d’espèce et sera plus une question d’« autodéclaration » par la juridiction concernée qu’une ligne de division nette.

120.

L’approche choisie par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), telle que résumée dans la section précédente des présentes conclusions, est particulièrement révélatrice à cet égard. Le fait que la technique juridique utilisée est celle d’une « inapplication » dépend du libellé et de la structure des dispositions juridiques nationales, plutôt que d’être une conséquence inéluctable émanant de l’« essence » de la disposition du droit de l’Union contenant l’exigence de proportionnalité elle-même.

121.

En fait, on pourrait aboutir à des résultats similaires en « branchant » (« plugging in ») le contenu positif du principe de proportionnalité pour atteindre une solution juridique par substitution plutôt que par exclusion. Cela était, en fait, ma proposition dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik, où la conception de la règle nationale (le montant fixe de l’amende, indépendamment de toute circonstance individuelle de l’espèce) n’aurait pas permis à une juridiction nationale de parvenir à une solution conforme au principe de proportionnalité en se bornant à laisser inappliquées des parties de la législation nationale. Il était, dès lors, nécessaire d’introduire des éléments normatifs découlant du critère et intrinsèques au principe de proportionnalité ( 89 ).

122.

Ce contraste montre que le type d’effet direct de la même disposition du droit de l’Union dépendra ainsi logiquement du paysage juridique national. Tandis que, dans certains cas, une disposition d’effet direct se substituera complètement à la disposition nationale contraire « évincée », dans d’autres cas, seule une inapplication totale sera possible. Dans un grand nombre de cas se situant entre les deux, le respect du droit de l’Union peut entraîner une inapplication seulement partielle, ou une inapplication des éléments de la règle nationale dans la seule mesure où ils sont en conflit avec des dispositions du droit de l’Union. Enfin, l’inapplication totale ou partielle devrait également être combinée avec l’interprétation des dispositions, ou éléments de celles-ci, applicables « restantes » en conformité avec le droit de l’Union.

123.

En résumé, la case taxonomique de l’effet direct dans laquelle se retrouvera un cas sera déterminée par le droit national, la structure du cas d’espèce et le niveau d’abstraction choisi. Souvent, le même résultat pourrait être atteint soit en excluant une règle plus générale plus haut, soit en substituant ou en insérant une règle plus spécifique dans l’ordre juridique national.

124.

C’est pourquoi, selon moi, la question de savoir si ce qui doit exactement être fait sur le fondement d’une disposition potentiellement d’effet direct du droit de l’Union constitue une exclusion, une substitution ou une autre opération, peut avoir un intérêt pédagogique ou doctrinal. Cela dit, de telles taxonomies ne devraient pas contrôler la décision quant au point de savoir si l’effet direct d’une disposition spécifique du droit de l’Union est possible ou non. Il s’agit plutôt, après avoir vérifié si la règle de l’Union en cause est simplement justiciable, de mettre l’accent sur les conséquences potentielles de l’effet direct dans le cas d’espèce et sur la protection des droits individuels dans celui-ci.

C.   Revenir sur l’arrêt Link Logistik

125.

Si la Cour devait se rallier aux considérations exposées aux sections A et B des présentes conclusions, elle serait tenue de revoir les conclusions auxquelles elle est arrivée dans l’arrêt Link Logistik.

126.

Comme cela a été expliqué à la section B des présentes conclusions, l’arrêt Popławski II a, implicitement et partiellement, renversé la position de la Cour dans l’arrêt Link Logistik. Seules des dispositions nationales qui méconnaissent des dispositions d’effet direct du droit de l’Union peuvent être laissées inappliquées par les juridictions et autres organes nationaux.

127.

Qu’en est-il de la position de la Cour dans l’arrêt Link Logistik en ce qui concerne l’effet direct de l’exigence de proportionnalité ? Comme cela a été expliqué en détail à la section A des présentes conclusions, plusieurs raisons plaident en faveur de la conclusion selon laquelle l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 est d’effet direct.

128.

En outre, la correction très importante apportée par l’arrêt Popławski II en ce qui concerne l’inapplication du droit national contraire au droit de l’Union affecte également l’équilibre qui sous-tend l’ensemble du raisonnement de la Cour dans l’arrêt Link Logistik. Cette correction affecte également les conclusions auxquelles est parvenue la Cour en ce qui concerne l’effet direct de l’exigence de proportionnalité. Dans l’arrêt Link Logistik, la Cour a rejeté l’effet direct de l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 9 bis de la directive 1999/62. Toutefois, une partie du raisonnement conduisant à cette conclusion était peut-être fondée sur la prémisse incorrecte selon laquelle l’inapplication du droit national contraire au droit de l’Union était possible pour des règles dépourvues d’effet direct. La Cour a, en fait, demandé à la juridiction de renvoi de faire exactement cela ( 90 ).

129.

Dans ce contexte, comment procéder dans la présente affaire ? Selon moi, il y a lieu pour la grande chambre de la Cour de revenir, expressément et ouvertement, sur l’arrêt Link Logistik.

130.

La Cour n’a jamais affirmé être formellement liée par la doctrine du stare decisis. Elle adhère toutefois à cette doctrine en pratique ( 91 ). La nécessité de se référer de façon cohérente à son propre précédent et d’assurer le caractère d’autorité de sa jurisprudence implique que la Cour ne procède que rarement à un revirement exprès. Plus souvent, la Cour opère en distinguant l’affaire ou en expliquant rétroactivement sa propre jurisprudence de manière à ce que les différentes pièces du puzzle « s’emboîtent » et soient « clarifiées » ( 92 ).

131.

La pratique passée de la Cour, lorsqu’il s’agit de revoir ses décisions antérieures, est variée ( 93 ). Les cas de revirement exprès demeurent rares. Même à ces occasions peu fréquentes, les explications de la Cour quant aux raisons qui sous-tendent l’adoption d’une position différente sont relativement peu nombreuses. Dans certains cas, la Cour se borne à reconnaître le précédent divergent et à signaler qu’elle adopte une interprétation différente ( 94 ). Dans d’autres affaires, il est apparu que la Cour a changé d’avis au vu des circonstances et des arguments présentés dans une affaire ultérieure ( 95 ), ou qu’elle clarifie sa position antérieure à la lumière de ces considérations nouvellement invoquées ( 96 ).

132.

La Cour s’écarte plus ouvertement de sa jurisprudence antérieure à la lumière de développements constitutionnels ou de modifications du traité ( 97 ). Toutefois, il y a un certain nombre d’affaires dans lesquelles la Cour continue à citer comme étant le « bon droit » des arrêts antérieurs bien que la nouvelle décision arrive à une conclusion différente ( 98 ). Ce n’est qu’à de très rares occasions que la Cour reconsidère expressément son interprétation antérieure, examine son précédent antérieur et explique les raisons d’un résultat différent ( 99 ).

133.

Selon moi, la présente affaire devrait être l’une de ces rares occasions. La Cour devrait saisir l’occasion offerte par la présente affaire pour reconsidérer expressément la valeur de la conclusion à laquelle elle est arrivée dans l’arrêt Link Logistik, notamment pour les raisons suivantes.

134.

Premièrement, il n’est tout simplement pas possible de distinguer, à tout le moins pour l’avocat général que je suis, la présente affaire de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik aux fins d’une interprétation cohérente de l’exigence de proportionnalité prévue tant à l’article 9 bis de la directive 1999/62 qu’à l’article 20 de la directive 2014/67.

135.

La juridiction de renvoi s’efforce de souligner les différences entre la présente affaire et l’affaire ayant conduit à l’arrêt Link Logistik. Toutefois, le libellé, l’objectif et le contexte tant de l’article 9 bis de la directive 1999/62 que de l’article 20 de la directive 2014/67 rendent impossible, selon moi, d’établir des différences significatives qui permettraient à la Cour d’arriver à une conclusion différente en ce qui concerne cette dernière disposition et, néanmoins, de laisser intacte la décision dans l’arrêt Link Logistik ( 100 ). De manière similaire, une « clarification » rétroactive de ce que la Cour voulait réellement dire dans l’arrêt Link Logistik risquerait de donner lieu à davantage encore de confusion vu le changement d’orientation important par rapport à ce précédent, déjà opéré dans l’arrêt Popławski II.

136.

Deuxièmement, une telle « clarification » additionnelle de la position adoptée dans l’arrêt Link Logistik risque de créer une confusion dans un domaine du droit particulièrement sensible et complexe, touchant à certains des éléments les plus fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union, tels que les principes d’effet direct et de primauté, le remède de l’inapplication et les effets juridiques spécifiques du principe de proportionnalité. La contradiction entre l’arrêt Link Logistik et la déclaration de la grande chambre de la Cour dans l’arrêt Popławski II rend encore plus nécessaire de procéder à un revirement exprès en l’espèce, et ce d’autant plus que la divergence des déclarations porte sur l’interprétation des principes essentiels qui régissent les rapports entre les ordres juridiques nationaux et celui de l’Union. Dans une telle situation, où il existe une contradiction manifeste avec une décision antérieure, la Cour devrait ouvertement examiner sa propre jurisprudence et indiquer clairement si et dans quelle mesure elle revoit sa position juridique antérieure.

137.

Troisièmement, le fait que le précédent sur lequel il y a lieu de revenir est relativement récent peut être regrettable, mais cela ne devrait, en définitive, jouer aucun rôle. L’interprétation correcte du droit de l’Union prévaut sur de telles préoccupations. En fait, certains des exemples les plus marquants de revirements de la Cour ont eu lieu relativement peu de temps après que le précédent sur lequel elle est revenue a été rendu ( 101 ). Cela est compréhensible, si l’on garde à l’esprit le fait qu’un arrêt de la Cour suscite souvent un débat qui aboutit à ce que des juridictions nationales formulent des questions complémentaires, fournissant à la Cour des informations ou des arguments additionnels. Dans certaines de ces situations plus récentes, la Cour a attribué les affaires à la grande chambre lorsqu’elle était expressément invitée à reconsidérer la position de la Cour ( 102 ). En effet, lorsque le précédent sur lequel il y a lieu de revenir date de nombreuses années ou même de décennies, un changement d’orientation juridictionnel n’est pas aussi problématique. Il peut être rationalisé en utilisant l’argument tiré de l’évolution de l’ordre juridique de l’Union ( 103 ).

138.

Quatrièmement et enfin, dans la structure actuelle de la Cour, qui devrait être appelé à procéder au revirement ? De nouveau, il est vrai qu’il n’existe pas de règle formelle de stare decisis. Ainsi, les différentes chambres de la Cour restent libres de reconsidérer un précédent antérieur. En outre, la ligne délicate entre une reconsidération constructive d’arrêts antérieurs, l’évolution de la jurisprudence et un changement d’orientation silencieux rend toute règle systématisée quant à l’attribution de toute affaire impliquant une révision de la jurisprudence à la grande chambre plutôt difficile à élaborer et à amener.

139.

Toutefois, dans la structure institutionnelle actuelle de la Cour, où la grande chambre jouit au sein de la Cour d’un statut constitutionnel particulier et de l’autorité accrue correspondante, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Cour, le revirement intentionnel de précédents devrait être l’une de ses prérogatives et fonctions. Cela devrait être particulièrement vrai dans des situations telles que celle en l’espèce, où il n’y a, tout simplement, pas d’espace rationnel pour « distinguer » ou « clarifier » l’affaire.

140.

En effet, compte tenu de la nécessité de préserver l’autorité de la jurisprudence de la Cour, il serait conseillé que, une fois qu’est identifiée une décision problématique dont on devrait envisager de s’écarter, la grande chambre de la Cour soit de préférence saisie de l’affaire ( 104 ). Cela ne fait naturellement pas obstacle aux expérimentations intellectuelles, en cours et parallèles, ayant lieu dans d’autres compositions de la Cour. En effet, les formations juridictionnelles solennelles plus grandes sont rarement performantes pour trouver de nouvelles directions. Elles tendent, toutefois, à être plutôt douées pour choisir, avec autorité, parmi une série d’options.

141.

Enfin, un revirement intentionnel devrait-il être fait de manière expresse ? À mon avis, il devrait certainement l’être. Cela dit, je ne me lancerai pas dans une longue discussion de tous les arguments possibles sur les vertus d’une discussion juridique ouverte et l’impératif de la motivation adéquate d’une décision de justice. Je me bornerai plutôt à conclure en observant que, effectivement, toutes les juridictions suprêmes se soucient de leur réputation et de leur gravitas. Ces éléments sont vitaux à leur rôle et à leur statut global. Une juridiction faîtière est donc, par définition, peu susceptible de se réjouir d’avoir tort, si tant est que cette situation puisse en fait jamais se présenter ( 105 ). Toutefois, trouver, dans un système qui se définit lui-même comme étant fondé sur le dialogue juridictionnel, un partenaire de dialogue qui n’a jamais tort pourrait, probablement, être plutôt surprenant et occasionnellement frustrant. En toute hypothèse, et à cet égard, l’incapacité à admettre qu’on avait tort n’est ni un signe de dialogue ni une véritable autorité et confiance en soi d’ailleurs.

V. Conclusion

142.

Je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) comme suit :

1)

L’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») est d’effet direct.

2)

Sur le fondement de l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67, les juridictions et les autorités administratives nationales doivent, en vertu de leur obligation de prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution de cette disposition, laisser inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où l’application de celle-ci aboutirait à un résultat contraire au droit de l’Union et, le cas échéant, compléter les dispositions nationales applicables avec les critères de l’exigence de proportionnalité fixés dans la jurisprudence de la Cour.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Arrêt du 12 septembre 2019 (C‑64/18, C‑140/18, C‑146/18 et C‑148/18, ci-après l’« arrêt Maksimovic , EU:C:2019:723) ; ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103).

( 3 ) Arrêt du 4 octobre 2018 (C‑384/17, ci‑après l’« arrêt Link Logistik , EU:C:2018:810).

( 4 ) JO 2014, L 159, p. 11.

( 5 ) BGBl. 52/1991.

( 6 ) BGBl. I, 33/2013.

( 7 ) BGBl. I, 44/2016.

( 8 ) Comme exposé dans l’ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, points 10 et 11).

( 9 ) Ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108).

( 10 ) Cette affaire concernait des dispositions nationales différentes [l’Arbeitsvertragsrechts-Anpassungsgesetz (loi portant adaptation de la législation en matière de contrats de travail) (BGBl. 459/1993, ci-après l’« AVRAG »)]. Ces dernières contenaient néanmoins un régime et des montants de sanctions très similaires à ceux en cause dans la présente affaire.

( 11 ) Ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 43).

( 12 ) Ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103).

( 13 ) Ces termes figuraient à l’article 7i, paragraphe 4, de l’AVRAG, mais correspondent, pour l’essentiel, à ceux contenus à l’article 26, paragraphe 1, à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28 du LSDBG.

( 14 ) Arrêt Ra 2019/11/0033, du 15 octobre 2019.

( 15 ) Arrêts E 3530/2019 e.a., E 2893/2019 e.a., E 2047/2019 e.a., E 3530/2019 e.a. et E 2893/2019 e.a., du 27 novembre 2019.

( 16 ) Ordonnance du 19 décembre 2019 (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108).

( 17 ) La Cour est arrivée à la même conclusion dans son ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103), émanant de la même juridiction de renvoi, dans le cadre d’affaires différentes, mais dans un contexte factuel assez similaire.

( 18 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO 1999, L 187, p. 42), telle que modifiée par la directive 2011/76/UE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2011 (JO 2011, L 269, p. 1).

( 19 ) C‑384/17, EU:C:2018:494.

( 20 ) Arrêt du 22 mars 2017 (C‑497/15 et C‑498/15, EU:C:2017:229).

( 21 ) Cette disposition est libellée comme suit : « Les États membres mettent en place les contrôles adéquats et déterminent le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive. Ils prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer l’application de ces sanctions. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Mise en italique par mes soins.

( 22 ) Arrêt Link Logistik, point 51.

( 23 ) Arrêt Link Logistik, point 52, en référence à l’arrêt du 22 mars 2017, Euro-Team et Spirál-Gép (C‑497/15 et C‑498/15, EU:C:2017:229, point 38).

( 24 ) Arrêt Link Logistik, point 53.

( 25 ) Arrêt Link Logistik, point 54.

( 26 ) Arrêt Link Logistik, point 55.

( 27 ) C‑384/17, EU:C:2018:494, points 63 à 69. Voir également mes conclusions dans l’affaire Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:387, points 38 à 46).

( 28 ) Selon les termes de l’avocat général Van Gerven, s’exprimant sur le caractère éminemment pratique du critère de l’effet direct : « [...] dès lors, et pour autant, qu’une disposition de droit [de l’Union] soit, en elle-même, suffisamment opérationnelle pour être appliquée par le juge, il y a effet direct. La clarté, la précision, le caractère inconditionnel, complet ou parfait de la règle et le fait qu’elle ne soit pas destinée à être mise en œuvre par des dispositions d’exécution revêtant un caractère discrétionnaire ne constituent, de ce point de vue, que les facettes d’une seule et même caractéristique que ladite règle doit présenter, à savoir la faculté d’être appliquée par le juge aux données du problème dont il a à connaître ». Conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Banks (C‑128/92, non publiées, EU:C:1993:860, point 27).

( 29 ) Pour ne citer qu’un exemple frappant, dans ses arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1), et du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, EU:C:1968:54), la Cour a jugé que les dispositions en matière de droits de douane et de restrictions quantitatives ainsi que de mesures d’effet équivalent étaient suffisamment claires et précises pour être d’effet direct, et pourtant, la Cour a passé la dernière moitié de siècle à interpréter le terme « mesures d’effet équivalent ».

( 30 ) Arrêt Maksimovic, point 39. Voir également, en ce sens, arrêts du 9 février 2012, Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64, points 41 et 44), ainsi que du 26 septembre 2018, Van Gennip e.a. (C‑137/17, EU:C:2018:771, point 99).

( 31 ) Arrêt Link Logistik, point 45.

( 32 ) Voir, pour un exemple pratique de cette situation, arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 88 à 97), où il est apparu que l’interdiction de discrimination imposée était suffisamment précise et inconditionnelle, même si son applicabilité devant le juge national ne pouvait pas conduire à un résultat donné.

( 33 ) Par exemple, il peut être assez clair que, pour un type d’infraction donné, il est totalement disproportionné d’imposer des sanctions comprises dans l’éventail de dizaines de milliers ou de centaines de milliers d’euros. Ainsi, à cet égard et dans cette mesure, il n’y a aucun doute quant à la clarté et à la précision de ce que « proportionnalité des sanctions » signifie. Toutefois, cela n’empêche pas l’indétermination naturelle ex ante quant au point de savoir à quel endroit exactement la sanction spécifique sera, au vu des circonstances de l’espèce, finalement imposée dans l’éventail proportionné (cela sera-t-il, dans le cas d’espèce, 1000 ou 5000 euros ?).

( 34 ) Voir, déjà, mes conclusions dans l’affaire Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:387, point 49) en ce qui concerne, en fait, une autre manifestation de la règle de proportionnalité, exigeant que les frais d’une procédure en matière d’environnement ne soient pas d’un coût prohibitif.

( 35 ) Pour un exemple récent, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország (C‑263/19, EU:C:2020:373, points 71 et 72).

( 36 ) Arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, points 7 et 13). Voir également arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C‑72/95, EU:C:1996:404, point 59) ; du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 64), et du 21 mars 2013, Salzburger Flughafen (C‑244/12, EU:C:2013:203, points 29 et 31). Voir, pour une application plus récente, arrêt du 5 septembre 2012, Rahman e.a. (C‑83/11, EU:C:2012:519, point 25 et jurisprudence citée), où la Cour a jugé que, même lorsque le libellé d’une disposition du droit de l’Union « n[’est] pas suffisamment précis pour permettre à un demandeur [...] de se prévaloir directement de cette disposition pour invoquer des critères d’appréciation qui devraient selon lui être appliqués à sa demande, il n’en demeure pas moins qu’un tel demandeur a le droit de faire vérifier par une juridiction si la législation nationale et l’application de celle-ci sont restées dans les limites de la marge d’appréciation tracée par ladite directive ».

( 37 ) Voir, par exemple, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428, point 19) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 17), et du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 35).

( 38 ) Voir, à cet égard, arrêt du 19 septembre 2000, Linster (C‑287/98, EU:C:2000:468, point 37) : « [c]ette marge d’appréciation, dont l’État membre peut user lorsqu’il transpose cette disposition dans son ordre juridique national, n’exclut cependant pas qu’un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de vérifier si les autorités nationales ne l’ont pas outrepassée » (mise en italique par mes soins).

( 39 ) Il peut être ajouté, en passant, qu’une telle affirmation ne semble même pas être factuellement exacte dans une situation telle que celle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Link Logistik ou, en fait, dans la présente affaire. Dans ces affaires, le législateur national avait déjà exercé son choix de transposition. Il l’a, toutefois, fait d’une manière clairement excessive, et donc incorrecte, aboutissant à une mise en œuvre incorrecte du droit de l’Union au niveau national. Très curieusement, ce qui est requis au titre de l’exigence de proportionnalité des sanctions était suffisamment clair et inconditionnel pour que la Cour déclare, sur le fondement de l’exemple particulier, les règles nationales incompatibles avec cette règle, mais alors, cela n’est-il pas suffisamment clair et inconditionnel pour être appliqué directement par le juge national dans le même cas d’espèce ?

( 40 ) Voir arrêt Link Logistik, point 54, soulignant que c’est au seul législateur national qu’il appartient de concevoir un régime de sanctions approprié.

( 41 ) Voir, par exemple, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78) ; du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56) ; du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 162) ; du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 145), et du 15 avril 2021, Braathens Regional Aviation (C‑30/19, EU:C:2021:269, point 57).

( 42 ) Voir arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 76) ; du 11 septembre 2018, IR (C‑68/17, EU:C:2018:696, point 69), et du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, point 76).

( 43 ) Voir, par exemple, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a. (C‑537/16, EU:C:2018:193, point 66).

( 44 ) Arrêts du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 85), et du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874, point 74).

( 45 ) Du reste, tel a également été le cas de l’article 19 TUE – voir arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor Din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 250 à 252).

( 46 ) Voir, par exemple, arrêts du 19 avril 2007, Stamatelaki (C‑444/05, EU:C:2007:231) ; du 13 novembre 2018, Čepelnik (C‑33/17, EU:C:2018:896, points 46 à 50), et du 3 mars 2020, Google Ireland (C‑482/18, EU:C:2020:141, points 44 à 54).

( 47 ) Arrêt Maksimovic, points 46 à 50. Cette affaire a été tranchée exclusivement sur le fondement de l’article 56 TFUE. La directive 2014/67 ne s’appliquait temporairement pas aux faits en cause dans la procédure au principal.

( 48 ) Voir, par exemple, arrêts du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, EU:C:1974:131, point 26) ; du 17 décembre 1981, Webb (279/80, EU:C:1981:314, points 13 et 14) ; du 29 avril 1999, Ciola (C‑224/97, EU:C:1999:212, point 27) ; du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809, point 97), et du 13 avril 2010, Wall (C‑91/08, EU:C:2010:182, point 68).

( 49 ) Voir ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg‑Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, points 32 à 41), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, points 34 à 43).

( 50 ) Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 52), indiquant que « [l]es dispositions de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE ont [...] pour effet, en vertu du principe de la primauté du droit de l’Union, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante ». Voir également arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 39).

( 51 ) Comme cela a déjà été indiqué au point 37 des présentes conclusions. Pour la même logique, appliquée à la nature et à la portée des recours en général, voir mes conclusions dans l’affaire An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a. (C‑64/20, EU:C:2021:14, en particulier points 54 à 62).

( 52 ) Indiqué comme « ergänzen » dans l’original allemand.

( 53 ) À titre subsidiaire, la seconde question devrait alors être reformulée comme interrogeant sur les limites d’une interprétation conforme dans de tels cas, et vouée à recevoir une réponse négative. Écarter des parties de dispositions nationales qui sont incompatibles avec le droit de l’Union et, ensuite (ou simultanément), compléter le droit national avec une disposition du droit de l’Union qui n’y a pas précédemment été introduite par le législateur national, et de ce fait, clairement altérer le contenu des règles nationales, pourrait difficilement être considéré comme un cas d’interprétation conforme, à tout le moins selon moi. Voir, par exemple, arrêts du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 39) ; du 7 août 2018, Smith (C‑122/17, EU:C:2018:631, point 40), et du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, ci-après l’« arrêt Popławski II , EU:C:2019:530, points 76 et suiv.).

( 54 ) Arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530).

( 55 ) Arrêt Link Logistik, point 56. Voir également points 28 à 30 des présentes conclusions.

( 56 ) Arrêt Link Logistik, point 60.

( 57 ) Arrêt Link Logistik, point 61.

( 58 ) Arrêt Link Logistik, point 62 et dispositif. Mise en italique par mes soins.

( 59 ) Article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre du Conseil du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27).

( 60 ) (Ancien) article 34, paragraphe 2, sous b), TUE. Arrêt Popławski II, points 69 à 71.

( 61 ) Arrêt Popławski II, point 62.

( 62 ) Arrêt Popławski II, point 68.

( 63 ) Voir, par exemple, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 161) ; du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 42) ; du 14 mai 2020, Staatsanwaltschaft Offenburg (C‑615/18, EU:C:2020:376, point 69) ; du 30 septembre 2020, CPAS de Liège (C‑233/19, EU:C:2020:757, point 54) ; du 15 avril 2021, Braathens Regional Aviation (C‑30/19, EU:C:2021:269, point 58), et du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor Din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 248).

( 64 ) Dans l’arène doctrinale, voir, par exemple, pour différentes positions dans ce débat : Lenaerts, K., et Corthaut, T., « Of Birds and Hedges: The Role of Primacy in Invoking Norms of EU Law », European Law Review, vol. 31, no 3, 2006, p. 287 à 315, en particulier p. 301 à 311 ; Prechal, S., « Direct Effect, Indirect Effect, Supremacy and the Evolving Constitution of the European Union », dans Barnard, C. (éd.), The Fundamentals of EU Law Revisited: Assessing the Impact of the Constitutional Debate, Oxford University Press, Oxford, 2007, p. 35 à 69 ; Muir, E., « Of Ages in – and Edges of – EU Law », Common Market Law Review, vol. 48, no 1, 2011, p. 39 à 62 ; ou Dougan, M., « Primacy and the Remedy of Disapplication », Common Market Law Review, vol. 56, no 6, 2019, p. 1459 à 1508.

( 65 ) En fait, les conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, qui soutenait la position opposée, plaidaient en faveur de la possibilité d’appliquer le remède de l’inapplication à des règles qui n’étaient pas d’effet direct sur le fondement de l’arrêt Link Logistik : voir ses conclusions dans l’affaire Popławski (C‑573/17, EU:C:2018:957, point 117). Voir également mes conclusions dans l’affaire Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2018:614, points 114 à 149), où j’ai suggéré, en substance, une approche similaire en ce qui concerne l’inapplication du droit national qui est incompatible (seulement) avec des dispositions de la Charte.

( 66 ) Arrêt du 15 octobre 2019, Ra 2019/11/0033.

( 67 ) Comme le gouvernement autrichien l’a noté dans ses observations, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a appliqué son raisonnement relatif à l’article 7i de l’AVRAG aux articles 26 et 28 du LSDBG (arrêts du 25 février 2020, 2018/11/0110 ; du 26 février 2020, 2020/11/0004, et du 27 avril 2020, 2019/11/0171).

( 68 ) Arrêt Maksimovic, point 42 ; ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 36), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, point 38).

( 69 ) Points 43 et 45 ; ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 37), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, point 39). Toutefois, l’élément des peines privatives de liberté n’a pas été examiné dans ces deux ordonnances.

( 70 ) En combinaison avec les autres éléments, la Cour avait déjà jugé que cet élément était l’un des facteurs qui rendaient le système disproportionné. Arrêt Maksimovic, point 44 ; ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 38), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, point 40).

( 71 ) Voir note en bas de page 53 des présentes conclusions.

( 72 ) Arrêt du Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) du 27 novembre 2019, E 2047 – 2049/2019.

( 73 ) Selon la juridiction de renvoi, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) a annulé les sanctions dans plusieurs autres affaires, notamment E 3530/2019 e.a., E 2893/2019 e.a., E 3530/2019 e.a. et E 2893/2019 e.a.

( 74 ) Ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 32), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, point 34).

( 75 ) Arrêt Maksimovic, point 41 ; voir également ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑645/18, non publiée, EU:C:2019:1108, point 35), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, point 37).

( 76 ) La position du gouvernement autrichien sur ce point est quelque peu curieuse, en particulier étant donné que ce gouvernement a proposé une réponse à la première question qui rejetterait l’effet direct de l’exigence de proportionnalité et n’a pas limité sa réponse à la seconde question sous la forme d’une réponse présentée seulement à titre subsidiaire, mais conçoit plutôt l’inapplication partielle comme une interprétation conforme. Toutefois, à l’instar de la juridiction de renvoi, il peut être supposé que, à cet égard, le gouvernement autrichien prend pour point de départ la décision problématique de la Cour dans l’arrêt Link Logistik.

( 77 ) Voir, par exemple, arrêts du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld (C‑303/05, EU:C:2007:261, point 50) ; du 31 mars 2011, Aurubis Balgaria (C‑546/09, EU:C:2011:199, point 42), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 162).

( 78 ) Voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 167 et jurisprudence citée).

( 79 ) Voir, par exemple, arrêts du 11 juin 1987, X (14/86, EU:C:1987:275, point 20) ; du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen (80/86, EU:C:1987:431, point 13) ; du 3 mai 2005, Berlusconi e.a. (C‑387/02, C‑391/02 et C‑403/02, EU:C:2005:270, point 74), et du 20 décembre 2017, Vaditrans (C‑102/16, EU:C:2017:1012, point 56).

( 80 ) Comme le montre l’expérience de plusieurs systèmes européens cherchant à mettre en place la distinction entre les questions de constitutionnalité, d’une part, et de (pure ou simple) légalité, d’autre part, aux fins de l’attribution de compétence, cette ligne de démarcation est très insaisissable et impossible à tracer en pratique. La présente affaire en offre un exemple frappant. Le même problème juridique peut transiter librement entre les deux et être formulé comme une question de constitutionnalité (droit de propriété méconnu par une sanction) ou de légalité (compatibilité de la décision nationale imposant la sanction avec le droit national et le droit de l’Union). Pour une discussion comparative, avec des exemples d’Allemagne, d’Espagne, de République tchèque, de Slovaquie ou de Slovénie, voir le volume édité par l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque) intitulé Hranice přezkumu rozhodnutí obecných soudů ústavním soudem v řízení o ústavní stížnosti (The Limits of the Constitutional Review of the Ordinary Courts’ Decisions in the Proceedings on the Constitutional Complaint), Linde, Prague, 2005. Voir également, par exemple, Bundesministerium der Justiz, Entlastung des Bundesverfassungsgerichts: Bericht der Kommission, Moser, Bonn, 1998, p. 62 à 66.

( 81 ) Voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52), et du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 115).

( 82 ) Par opposition aux cas antérieurs de condamnation liée (« tied-sentencing »), connus pour la pure disproportion entre l’acte et la punition, engendrée par le fait que des infractions spécifiques se voient attacher une seule sanction possible, sans aucune possibilité d’adapter ou de moduler cette sanction au vu des circonstances de l’espèce – voir, pour un exemple, mes conclusions dans l’affaire An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a. (C‑64/20, EU:C:2021:14, point 56).

( 83 ) Voir points 41 et 42 des présentes conclusions.

( 84 ) Voir arrêt du 5 décembre 2017 (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 47 à 62).

( 85 ) Pour plus de développements sur les limites de cette possibilité, et l’interprétation de la condition dégagée par la jurisprudence concernant la « primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union », voir mes conclusions récentes dans les affaires jointes Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie e.a. (C‑357/19 et C‑547/19, EU:C:2021:170, points 145 à 156).

( 86 ) Arrêt Maksimovic, points 42 à 45.

( 87 ) Voir, initialement sur cette distinction, Galmot, Y., et Bonichot, J.‑C., « La Cour de justice des Communautés européennes et la transposition des directives en droit national », Revue française de droit administratif, vol. 4, no 1, 1988, p. 1 à 23.

( 88 ) Voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Saggio dans les affaires jointes Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:1999:620), et conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Linster (C‑287/98, EU:C:2000:3). Voir également, notamment, Dougan, M., « When Worlds Collide! Competing Visions of the Relationship between Direct Effect and Supremacy », Common Market Law Review, vol. 44, no 4, 2007, p. 931 à 963 ; Wathelet, M., « Du concept de l’effet direct à celui de l’invocabilité au regard de la jurisprudence récente de la Cour de Justice », dans Hoskins, M., et Robinson, W. (éd.), A True European: Essays for Judge David Edward, Hart Publishing, Oxford, 2004, p. 367 à 389.

( 89 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:494, points 84 et suiv.).

( 90 ) Arrêt Link Logistik, point 62 et dispositif.

( 91 ) Voir, déjà, Slynn, G., « The Court of Justice of the European Communities », International and Comparative Law Quarterly, vol. 33, no 2, 1984, p. 409 et 423.

( 92 ) Pour citer un exemple célèbre, arrêt du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (C‑178/94, C‑179/94 et C‑188/94 à C‑190/94, EU:C:1996:375, points 20 et suiv.), rationalisant la jurisprudence antérieure sur la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par les violations du droit de l’Union.

( 93 ) Sur les premiers débats, voir, en particulier, conclusions de l’avocat général Roemer dans l’affaire Pays-Bas/Haute Autorité (9/61, non publiées, EU:C:1962:20, p. 463) ; conclusions de l’avocat général Lagrange dans les affaires jointes Da Costa e.a. (28/62 à 30/62, non publiées, EU:C:1963:2), et conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire Sürül, C‑262/96, EU:C:1998:610).

( 94 ) Voir, par exemple, arrêts du 3 avril 1968, Molkerei-Zentrale Westfalen/Lippe (28/67, EU:C:1968:17), en ce qui concerne l’arrêt du 16 juin 1966, Lütticke (57/65, EU:C:1966:34), et du 25 juillet 2008, Metock e.a. (C‑127/08, EU:C:2008:449), en ce qui concerne l’arrêt du 23 septembre 2003, Akrich (C‑109/01, EU:C:2003:491).

( 95 ) Voir, par exemple, arrêts du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C‑70/88, EU:C:1990:217, point 16), en ce qui concerne l’arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil (302/87, EU:C:1988:461), et du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), en ce qui concerne l’arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral (120/78, EU:C:1979:42).

( 96 ) Voir, par exemple, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 28), en ce qui concerne l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555).

( 97 ) Voir, par exemple, arrêt du 15 mars 2005, Bidar (C‑209/03, EU:C:2005:169), en ce qui concerne les arrêts du 21 juin 1988, Lair (39/86, EU:C:1988:322), et du 21 juin 1988, Brown (197/86, EU:C:1988:323).

( 98 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility (C‑574/16, EU:C:2018:390), et du 5 juin 2018, Montero Mateos (C‑677/16, EU:C:2018:393), en ce qui concerne l’arrêt du 14 septembre 2016, de Diego Porras (C‑596/14, EU:C:2016:683).

( 99 ) Voir arrêt du 17 octobre 1990, HAG GF (C‑10/89, EU:C:1990:359, points 10 et suiv.), ainsi que, en particulier, conclusions de l’avocat général Jacobs dans cette affaire (C‑10/89, non publiées, EU:C:1990:112), en ce qui concerne l’arrêt du 3 juillet 1974, Van Zuylen (192/73, EU:C:1974:72).

( 100 ) Voir également points 55 à 57 des présentes conclusions.

( 101 ) Voir, par exemple, arrêt du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C‑70/88, EU:C:1990:217), en ce qui concerne l’arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil (302/87, EU:C:1988:461), à seulement 20 mois d’intervalle.

( 102 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility (C‑574/16, EU:C:2018:390), et du 5 juin 2018, Montero Mateos (C‑677/16, EU:C:2018:393), en ce qui concerne l’arrêt du 14 septembre 2016, de Diego Porras (C‑596/14, EU:C:2016:683).

( 103 ) Par exemple, récemment, arrêt du 18 novembre 2020, Syndicat CFTC (C‑463/19, EU:C:2020:932), en ce qui concerne l’arrêt (rendu en assemblée plénière) du 12 juillet 1984, Hofmann (184/83, EU:C:1984:273).

( 104 ) Voir, soulignant la nécessité de renvoyer une affaire à la grande chambre en cas de revirement, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Puffer (C‑460/07, EU:C:2008:714, point 56). Pour un exemple pratique récent, voir arrêt du 9 juillet 2020, Santen (C‑673/18, EU:C:2020:531), en ce qui concerne l’arrêt du 19 juillet 2012, Neurim Pharmaceuticals (1991) (C‑130/11, EU:C:2012:489).

( 105 ) Compte tenu du fait que, comme l’a rendu avec ironie, il y a un certain temps, le juge Jackson dans son opinion concordante dans Brown v. Allen, 344 U.S. 443 (1953), au point 540 : « We are not final because we are infallible, but we are infallible only because we are final. » (« Nous ne statuons pas en dernier ressort parce que nous sommes infaillibles, mais nous sommes infaillibles uniquement parce que nous statuons en dernier ressort. »).

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