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Document 62018CJ0785

    Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 29 janvier 2020.
    GAEC Jeanningros contre Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) e.a.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).
    Renvoi préjudiciel – Agriculture – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Appellation d’origine protégée “Comté” – Modification mineure du cahier des charges d’un produit – Demande de modification faisant l’objet d’un recours devant les juridictions nationales – Jurisprudence des juridictions nationales selon laquelle le recours devient sans objet lorsque la Commission européenne a approuvé la modification – Protection juridictionnelle effective – Obligation de statuer sur le recours.
    Affaire C-785/18.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:46

     ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

    29 janvier 2020 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Agriculture – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Appellation d’origine protégée “Comté” – Modification mineure du cahier des charges d’un produit – Demande de modification faisant l’objet d’un recours devant les juridictions nationales – Jurisprudence des juridictions nationales selon laquelle le recours devient sans objet lorsque la Commission européenne a approuvé la modification – Protection juridictionnelle effective – Obligation de statuer sur le recours »

    Dans l’affaire C‑785/18,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 14 novembre 2018, parvenue à la Cour le 14 décembre 2018, dans la procédure

    GAEC Jeanningros

    contre

    Institut national de l’origine et de la qualité (INAO),

    Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation,

    Ministre de l’Économie et des Finances,

    en présence de :

    Comité interprofessionnel de gestion du Comté,

    LA COUR (quatrième chambre),

    composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra, juges,

    avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes A.-L. Desjonquères et C. Mosser, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par MM. D. Bianchi et I. Naglis, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 septembre 2019,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 53 du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1), de l’article 6 du règlement délégué (UE) no 664/2014 de la Commission, du 18 décembre 2013, complétant le règlement no 1151/2012 (JO 2014, L 179, p. 17), et de l’article 10 du règlement d’exécution (UE) no 668/2014 de la Commission, du 13 juin 2014, portant modalités d’application du règlement no 1151/2012 (JO 2014, L 179, p. 36), lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le GAEC Jeanningros, groupement agricole d’exploitation en commun, à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) (France), au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation (France) et au ministre de l’Économie et des Finances (France) au sujet de la modification du cahier des charges de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Comté ».

    Le cadre juridique

    3

    Le considérant 58 du règlement no 1151/2012 énonce :

    « Afin de veiller à ce que les dénominations enregistrées des appellations d’origine et indications géographiques et des spécialités traditionnelles garanties satisfassent aux conditions établies par le présent règlement, il convient que l’examen des demandes soit effectué par les autorités nationales de l’État membre concerné, dans le respect de dispositions communes minimales incluant une procédure nationale d’opposition. Il convient que la Commission procède ensuite à un examen approfondi des demandes afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État membre de demande. »

    4

    L’article 7 de ce règlement, intitulé « Cahier des charges du produit », énonce, à son paragraphe 1 :

    « 1.   Une appellation d’origine protégée ou une indication géographique protégée respecte un cahier des charges qui comporte au moins les éléments suivants :

    a)

    la dénomination devant être protégée en tant qu’appellation d’origine ou indication géographique telle qu’elle est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun, et uniquement dans les langues qui sont ou étaient historiquement utilisées pour décrire le produit spécifique dans l’aire géographique délimitée ;

    b)

    une description du produit, y compris les matières premières, le cas échéant, ainsi que les principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques ou organoleptiques du produit ;

    c)

    la définition de l’aire géographique délimitée au regard du lien visé au point f) i) ou ii), du présent paragraphe, et, le cas échéant, les exigences indiquant le respect des conditions prévues à l’article 5, paragraphe 3 ;

    d)

    des éléments prouvant que le produit est originaire de l’aire géographique délimitée visée à l’article 5, paragraphes 1 ou 2 ;

    e)

    une description de la méthode d’obtention du produit et, le cas échéant, des méthodes locales, loyales et constantes, ainsi que des informations relatives au conditionnement, lorsque le groupement demandeur estime et justifie de manière satisfaisante par des arguments spécifiques au produit que le conditionnement doit avoir lieu dans l’aire géographique délimitée afin de sauvegarder la qualité, de garantir l’origine ou d’assurer le contrôle, compte tenu du droit de l’Union, notamment en matière de libre circulation des biens et de libre prestation des services ;

    f)

    les éléments établissant :

    i)

    le lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et le milieu géographique visé à l’article 5, paragraphe 1 ; ou

    ii)

    le cas échéant, le lien entre une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique du produit et l’origine géographique visée à l’article 5, paragraphe 2 ;

    g)

    le nom et l’adresse des autorités ou, s’ils sont disponibles, le nom et l’adresse des organismes contrôlant le respect des dispositions du cahier des charges du produit conformément à l’article 37 ainsi que leurs tâches spécifiques ;

    h)

    toute règle spécifique d’étiquetage pour le produit en question. »

    5

    L’article 49 dudit règlement, intitulé « Demande d’enregistrement de dénominations », dispose, à ses paragraphes 2 à 4 :

    « 2.   [...]

    L’État membre examine la demande par les moyens appropriés afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant.

    3.   Dans le cadre de l’examen visé au paragraphe 2, deuxième alinéa, du présent article, l’État membre entame une procédure nationale d’opposition garantissant une publicité suffisante de la demande et octroyant une période raisonnable pendant laquelle toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et établie ou résidant sur son territoire peut déclarer son opposition à la demande.

    [...]

    4.   Si, après avoir évalué les déclarations d’opposition reçues, l’État membre considère que les exigences du présent règlement sont respectées, il peut rendre une décision favorable et déposer un dossier de demande auprès de la Commission. Dans ce cas, il informe la Commission des oppositions recevables déposées par une personne physique ou morale ayant légalement commercialisé les produits en question en utilisant les dénominations concernées de façon continue pendant au moins cinq ans précédant la date de publication visée au paragraphe 3.

    L’État membre veille à ce que sa décision favorable soit portée à la connaissance du public et à ce que toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime dispose de voies de recours.

    [...]»

    6

    L’article 50, paragraphe 1, du même règlement prévoit :

    « La Commission examine par des moyens appropriés toute demande qu’elle reçoit conformément à l’article 49, afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant. [...] »

    7

    L’article 53 du règlement no 1151/2012, intitulé « Modification du cahier des charges », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

    « 1.   Un groupement ayant un intérêt légitime peut demander l’approbation d’une modification du cahier des charges d’un produit.

    La demande décrit les modifications sollicitées et les justifie.

    2.   Lorsque la modification entraîne une ou plusieurs modifications du cahier des charges qui ne sont pas mineures, la demande de modification est soumise à la procédure établie aux articles 49 à 52.

    Toutefois, si les modifications proposées sont mineures, la Commission approuve ou rejette la demande. En cas d’approbation de modifications impliquant un changement des éléments visés à l’article 50, paragraphe 2, la Commission publie ces éléments au Journal officiel de l’Union européenne.

    Pour qu’une modification soit considérée comme mineure dans le cas du système de qualité décrit au titre II, elle ne doit pas :

    a)

    avoir trait aux caractéristiques essentielles du produit ;

    b)

    altérer le lien visé à l’article 7, paragraphe 1, point f) i) ou ii) ;

    c)

    comporter un changement en tout ou en partie de la dénomination du produit ;

    d)

    affecter l’aire géographique délimitée ; ou

    e)

    entraîner des restrictions supplémentaires en ce qui concerne la commercialisation du produit ou de ses matières premières.

    [...] »

    8

    L’article 6 du règlement délégué no 664/2014, intitulé « Modification du cahier des charges d’un produit », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

    « 1.   La demande visée à l’article 53, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1151/2012 concernant une modification non mineure d’un cahier des charges contient une description complète et l’exposé des raisons spécifiques de chaque modification. La description compare en détail, pour chaque modification, le cahier des charges initial et, le cas échéant, le document unique initial avec la version modifiée proposée.

    Cette demande est autonome. Elle contient l’ensemble des modifications apportées au cahier des charges et, le cas échéant, au document unique pour lesquelles une approbation est demandée.

    [...]

    2.   Les demandes de modification mineure d’un cahier des charges relatif à des appellations d’origine protégées ou à des indications géographiques protégées sont présentées aux autorités de l’État membre dans lequel se situe l’aire géographique d’appellation ou de l’indication. [...] Si l’État membre estime que les conditions figurant dans le règlement (UE) no 1151/2012 et dans les dispositions adoptées en vertu dudit règlement sont remplies, il peut présenter un dossier de demande de modification mineure auprès de la Commission. [...]

    La demande de modification mineure ne propose que des modifications mineures au sens de l’article 53, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1151/2012. Elle décrit ces modifications mineures, fournit un résumé du motif pour lequel une modification est nécessaire et démontre que les modifications proposées peuvent être qualifiées de mineures conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1151/2012. Elle compare, pour chaque modification, le cahier des charges initiales et, le cas échéant, le document unique initial avec la version modifiée proposée. La demande est autonome et contient l’ensemble des modifications apportées au cahier des charges et, le cas échéant, au document unique pour lesquelles une approbation est demandée.

    Les modifications mineures visées à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (UE) no 1151/2012 sont réputées approuvées si la Commission ne communique aucune information contraire au demandeur dans les trois mois suivant la réception de la demande.

    Une demande de modification mineure qui ne respecte pas les dispositions du deuxième alinéa du présent paragraphe est irrecevable. L’approbation tacite visée au troisième alinéa du présent paragraphe ne s’applique pas à ce type de demandes. La Commission informe le demandeur, dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, si cette dernière est réputée irrecevable.

    La Commission rend publique la modification mineure approuvée qui a été apportée à un cahier des charges et n’implique pas une modification des éléments visés à l’article 50, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1151/2012. »

    9

    L’article 10 du règlement d’exécution no 668/2014, intitulé « Exigences procédurales applicables aux modifications d’un cahier des charges », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

    « 1.   Lorsque les demandes d’approbation d’une modification du cahier des charges pour des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées concernent une modification qui n’est pas mineure, ces demandes sont établies conformément au formulaire figurant à l’annexe V. Ces demandes sont remplies conformément aux exigences énoncées à l’article 8 du règlement (UE) no 1151/2012. Le document unique modifié est établi conformément au formulaire figurant à l’annexe I du présent règlement. La référence à la publication du cahier des charges dans le document unique modifié renvoie à la version mise à jour du cahier des charges proposé.

    [...]

    2.   Les demandes d’approbation d’une modification mineure visée à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (UE) no 1151/2012 sont établies conformément au formulaire figurant à l’annexe VII du présent règlement.

    Les demandes d’approbation d’une modification mineure concernant des appellations d’origine protégées ou des indications géographiques protégées sont accompagnées du document unique mis à jour, si celui-ci est modifié, qui est établi conformément au formulaire figurant à l’annexe I. La référence à la publication du cahier des charges dans le document unique modifié renvoie à la version mise à jour du cahier des charges proposé.

    Pour les demandes émanant de l’Union, les États membres incluent une déclaration précisant qu’ils estiment que la demande remplit les conditions du règlement (UE) no 1151/2012 et des dispositions arrêtées en vertu de celui-ci, ainsi que la référence à la publication du cahier des charges mis à jour. Pour les demandes émanant de pays tiers, le groupement concerné ou les autorités du pays tiers joignent à celles-ci le cahier des charges mis à jour. Les demandes de modification mineure dans les cas visés à l’article 6, paragraphe 2, cinquième alinéa, du règlement délégué (UE) no 664/2014 contiennent la référence à la publication du cahier des charges mis à jour, pour les demandes émanant des États membres, et le cahier des charges mis à jour, pour les demandes émanant des pays tiers.

    [...] »

    10

    Une demande de modification mineure du cahier des charges de l’AOP « Comté » a été approuvée par une décision de la Commission le 1er juin 2018 (JO 2018, C 187, p. 7).

    11

    Aux termes du point 5.1.18 du cahier des charges de l’AOP « Comté » :

    « La traite doit se faire deux fois par jour, le matin et le soir, à des heures régulières de ce fait la traite en libre-service n’est pas possible. Le robot de traite est interdit.

    [...] »

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    12

    Le 8 septembre 2017, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministre de l’Économie et des Finances ont pris un arrêté procédant à l’homologation du cahier des charges de l’AOP « Comté », tel que modifié sur proposition de l’INAO, en vue de la transmission de ce cahier des charges à la Commission pour approbation, conformément à la procédure prévue à l’article 53 du règlement no 1151/2012.

    13

    Cette modification dudit cahier des charges, considérée comme mineure, avait pour objet, par un ajout au point 5.1.18 de celui-ci, d’interdire l’utilisation du robot de traite dans la production de lait destiné à la fabrication du Comté.

    14

    Par une requête introduite le 16 novembre 2017 devant le Conseil d’État (France), le GAEC Jeanningros a demandé l’annulation dudit arrêté du 8 septembre 2017, en tant qu’il homologue cette interdiction.

    15

    Alors que cette procédure était encore pendante, la Commission a, par une décision publiée le 1er juin 2018 (JO 2018, C 187, p. 7), approuvé, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement délégué no 664/2014, la demande de modification mineure du cahier des charges de l’AOP « Comté » en cause au principal, conformément à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1151/2012.

    16

    Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge quant au point de savoir si l’approbation par la Commission, conformément à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1151/2012, d’une demande de modification mineure du cahier des charges d’une AOP n’a pas pour conséquence de priver d’objet le recours formé devant elle contre l’acte par lequel les autorités nationales compétentes avaient transmis le nouveau cahier des charges comportant ladite modification mineure à la Commission, en vue de son approbation.

    17

    À cet égard, la juridiction de renvoi relève que cette interprétation, qui ressort de sa jurisprudence constante, impliquerait toutefois qu’il ne soit pas statué sur la légalité du cahier des charges concerné.

    18

    La juridiction de renvoi s’interroge néanmoins sur la compatibilité de sa propre jurisprudence avec le droit de l’Union, notamment avec l’article 47 de la Charte, compte tenu de l’incidence que pourrait avoir une annulation d’une décision des autorités nationales relative à une demande de modification du cahier des charges d’une AOP sur la validité de l’enregistrement effectué par la Commission.

    19

    Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser la question préjudicielle suivante :

    « L’article 53 du [règlement no 1151/2012], l’article 6 du [règlement délégué no 664/2014] et l’article 10 du [règlement d’exécution no 668/2014] en lien avec l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans l’hypothèse particulière où la Commission [...] a fait droit à la demande des autorités nationales d’un État membre tendant à la modification du cahier des charges d’une dénomination et à l’enregistrement de l’[AOP], alors que cette demande fait encore l’objet d’un recours pendant devant les juridictions nationales de cet État, celles-ci peuvent décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles ou si, compte tenu des effets attachés à une annulation éventuelle de l’acte attaqué sur la validité de l’enregistrement par la Commission [...], elles doivent se prononcer sur la légalité de cet acte des autorités nationales ? »

    Sur la question préjudicielle

    20

    Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, l’article 6 du règlement délégué no 664/2014 et l’article 10 du règlement d’exécution no 668/2014, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la Commission a fait droit à la demande des autorités d’un État membre tendant à une modification mineure du cahier des charges d’une AOP, les juridictions nationales saisies d’un recours portant sur la légalité de la décision prise par ces autorités sur cette demande en vue de sa transmission à la Commission, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, peuvent décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles.

    21

    D’emblée, il convient de relever qu’un cahier des charges, sur la base duquel une AOP a été enregistrée, conformément à la procédure qui est prévue à cet effet aux articles 49 à 52 du règlement no 1151/2012, peut faire l’objet d’une modification dans le respect des prescriptions de l’article 53 de ce règlement. Cet article opère, à son paragraphe 2, une distinction entre des modifications « qui ne sont pas mineures », auxquelles s’applique la procédure prévue pour l’enregistrement d’une AOP aux articles 49 à 52 dudit règlement, et des modifications « mineures », qui sont définies à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du même règlement et qui sont soumises à la procédure simplifiée qui y est prévue.

    22

    En l’occurrence, il est constant qu’est en cause une décision relative à une demande de modification mineure d’un cahier des charges, au sens de cette dernière disposition.

    23

    Afin d’apprécier l’incidence de l’approbation, par la Commission, d’une telle modification sur le recours tendant à l’annulation de la décision des autorités nationales relative à cette modification, qui est pendant devant une juridiction nationale, il importe de constater que le règlement no 1151/2012 instaure un partage des compétences entre l’État membre concerné et la Commission (voir, par analogie, arrêt du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 50).

    24

    En effet, la Cour a constaté que le règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, p. 1), qui prévoyait une procédure d’enregistrement correspondant, en substance, à la procédure d’enregistrement énoncée aux articles 49 à 52 du règlement no 1151/2012, instaurait un système de partage des compétences, en ce sens que, en particulier, la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ne pouvait être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui avait soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne pouvait être faite que si cet État membre avait vérifié qu’elle était justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions sont réunies, ce qui exige, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers audit État membre, que les autorités compétentes de celui-ci sont les mieux placées pour vérifier (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 53, ainsi du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 66).

    25

    En outre, compte tenu du pouvoir décisionnel qui revient ainsi aux autorités nationales dans ce système de partage des compétences, il appartient aux seules juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes pris par ces autorités, tels que ceux portant sur des demandes d’enregistrement d’une dénomination, qui constituent une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union, dès lors que les institutions de l’Union ne disposent à l’égard de ces actes que d’une marge d’appréciation limitée ou inexistante, les actes de ces institutions, tels que les décisions d’enregistrement, étant, quant à eux, soumis au contrôle juridictionnel de la Cour (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, points 57 et 58, ainsi que du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, points 70 et 71).

    26

    Il en résulte qu’il appartient aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un acte national, tel que celui portant sur une demande d’enregistrement d’une dénomination, serait éventuellement entaché, en saisissant, le cas échéant, la Cour à titre préjudiciel, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers (voir, en ce sens, arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C‑97/91, EU:C:1992:491, points 11 à 13 ; du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 58, et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 57).

    27

    En effet, le juge de l’Union n’est pas compétent, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 263 TFUE, pour statuer sur la légalité d’un acte pris par une autorité nationale, cette constatation n’étant pas susceptible d’être infirmée par la circonstance que l’acte en cause s’intègre dans un processus de décision de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C‑97/91, EU:C:1992:491, points 9 et 10).

    28

    Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 51 à 59 de ses conclusions, cette jurisprudence, associée à la procédure d’enregistrement d’une AOP, est transposable aux procédures de modification tant mineure que non mineure décrites au point 21 du présent arrêt.

    29

    À cet égard, en ce qui concerne les demandes de modifications non mineures du cahier des charges d’une AOP, il a été relevé audit point 21 qu’elles sont, en vertu du renvoi opéré par l’article 53, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1151/2012, soumises à la même procédure que celle applicable à l’enregistrement d’une AOP.

    30

    S’agissant des demandes de modifications mineures, telles que celle en cause au principal, qui relèvent de l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement, elles sont soumises, en vertu des dispositions de l’article 6, paragraphe 2, du règlement délégué no 664/2014 et de l’article 10, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 668/2014, à une procédure simplifiée, mais pour l’essentiel semblable à ladite procédure d’enregistrement, en ce qu’elle instaure également un système de partage des compétences entre les autorités de l’État membre concerné et la Commission en ce qui concerne, d’une part, la vérification de la conformité de la demande de modification avec les exigences qui ressortent de ces règlements ainsi que du règlement no 1151/2012 et, d’autre part, l’approbation de cette demande.

    31

    Il résulte de ce qui précède qu’il appartient, conformément à la jurisprudence rappelée au point 26 du présent arrêt, aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un acte national portant sur une demande de modification mineure du cahier des charges d’une AOP, tel que l’arrêté du 8 septembre 2017 en cause au principal, serait éventuellement entaché.

    32

    Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, il incombe aux juridictions des États membres, en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, TUE imposant, par ailleurs, aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 50, ainsi que du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, point 29).

    33

    Cette obligation faite aux États membres correspond au droit à un recours effectif devant un tribunal impartial consacré à l’article 47 de la Charte, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, points 30 et 31, ainsi que du 26 juin 2019, Craeynest e.a., C‑723/17, EU:C:2019:533, point 54), et qui est d’ailleurs évoqué, au regard de la procédure d’enregistrement, à l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012.

    34

    C’est donc, en l’occurrence, au regard de ce principe qu’il convient de déterminer s’il est loisible à une juridiction nationale, saisie d’un recours contre un acte des autorités nationales relatif à une demande de modification mineure du cahier des charges d’une AOP, au sens de l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1151/2012, de considérer qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elle, au motif que la Commission a fait droit à cette demande de modification.

    35

    À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 58 de ses conclusions, les décisions des autorités nationales sur des modifications mineures échappent à la compétence exclusive du juge de l’Union, en tant qu’il s’agit d’actes autonomes qui sont indispensables pour que la Commission puisse se prononcer ultérieurement sur celles-ci. Or, compte tenu de la marge d’appréciation très limitée dont jouit la Commission à cet égard, ce sont les décisions des autorités nationales qui ont véritablement pris en compte tous les éléments justifiant l’approbation de ces modifications des cahiers des charges.

    36

    Il s’ensuit que la décision par laquelle la Commission approuve une telle demande de modification repose sur la décision que les autorités de l’État membre concerné prennent à l’égard de cette demande et, partant, est nécessairement conditionnée par cette dernière décision, cela d’autant plus que la marge d’appréciation accordée à la Commission lors de cette approbation est, en substance, ainsi qu’il ressort du considérant 58 du règlement no 1151/2012, limitée à la vérification que la demande contient les éléments requis et n’apparaît pas entachée d’erreurs manifestes (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 54, ainsi que du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 67).

    37

    Dans ces conditions, le fait, pour une juridiction nationale saisie d’un recours portant sur la légalité d’une décision des autorités nationales relative à une demande de modification mineure d’un cahier des charges d’une AOP, de considérer qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ce recours, au motif que la Commission a approuvé cette demande compromettrait la protection juridictionnelle effective que cette juridiction est tenue d’assurer en ce qui concerne de telles demandes de modification.

    38

    Il en va a fortiori ainsi dès lors que la procédure relative à une demande de modification mineure du cahier des charges établie à l’article 53, paragraphe 2, deuxième alinéa du règlement no 1151/2012, à la différence de ce qui est prévu s’agissant d’une modification du cahier des charges qui n’est pas mineure, ne prévoit pas la possibilité d’introduire une opposition à la modification proposée. Dans ces conditions, le recours portant sur la légalité d’une décision des autorités nationales portant approbation de cette demande de modification mineure constitue la seule possibilité pour les personnes physiques ou morales affectées par une telle décision de s’y opposer.

    39

    L’annulation éventuelle d’une telle décision des autorités nationales priverait de fondement la décision de la Commission et impliquerait, partant, le réexamen de l’affaire par cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, Global Steel Wire e.a./Commission, C‑454/16 P à C‑456/16 P et C‑458/16 P, non publié, EU:C:2017:818, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

    40

    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, l’article 6 du règlement délégué no 664/2014 et l’article 10 du règlement d’exécution no 668/2014, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la Commission a fait droit à la demande des autorités d’un État membre tendant à ce qu’il soit procédé à une modification mineure du cahier des charges d’une AOP, les juridictions nationales saisies d’un recours portant sur la légalité de la décision prise par ces autorités sur cette demande en vue de sa transmission à la Commission, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, ne peuvent, pour ce seul motif, décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles.

    Sur les dépens

    41

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

     

    L’article 53, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l’article 6 du règlement délégué (UE) no 664/2014 de la Commission, du 18 décembre 2013, complétant le règlement no 1151/2012, et l’article 10 du règlement d’exécution (UE) no 668/2014 de la Commission, du 13 juin 2014, portant modalités d’application du règlement no 1151/2012, lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la Commission européenne a fait droit à la demande des autorités d’un État membre tendant à ce qu’il soit procédé à une modification mineure du cahier des charges d’une appellation d’origine protégée, les juridictions nationales saisies d’un recours portant sur la légalité de la décision prise par ces autorités sur cette demande en vue de

     

    sa transmission à la Commission, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, ne peuvent, pour ce seul motif, décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles.

     

    Vilaras

    Rodin

    Šváby

    Jürimäe

    Piçarra

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 janvier 2020.

    Le greffier

    A. Calot Escobar

    Le président de la IVème chambre

    M. Vilaras


    ( *1 ) Langue de procédure : le français.

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