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Document 62018CJ0615

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 mai 2020.
UY contre Staatsanwaltschaft Offenburg.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Kehl.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Article 6 – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Poursuites pénales pour conduite d’un véhicule sans permis de conduire – Interdiction de conduire résultant d’une ordonnance pénale antérieure dont l’intéressé n’a pas pris connaissance – Signification de cette ordonnance à l’intéressé par le seul moyen d’un mandataire obligatoire – Acquisition de l’autorité de chose jugée – Négligence éventuelle de l’intéressé.
Affaire C-615/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:376

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

14 mai 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Article 6 – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Poursuites pénales pour conduite d’un véhicule sans permis de conduire – Interdiction de conduire résultant d’une ordonnance pénale antérieure dont l’intéressé n’a pas pris connaissance – Signification de cette ordonnance à l’intéressé par le seul moyen d’un mandataire obligatoire – Acquisition de l’autorité de chose jugée – Négligence éventuelle de l’intéressé »

Dans l’affaire C‑615/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Kehl (tribunal de district de Kehl, Allemagne), par décision du 24 septembre 2018, parvenue à la Cour le 28 septembre 2018, dans la procédure pénale contre

UY

en présence de :

Staatsanwaltschaft Offenburg,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis, E. Juhász, M. Ilešič et C. Lycourgos (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 octobre 2019,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement allemand, par MM. M. Hellmann et T. Henze ainsi que par Mme A. Berg, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid ainsi que par MM. R. Troosters et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), ainsi que des articles 21, 45, 49 et 56 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée, en Allemagne, contre UY pour conduite avec négligence sans permis de conduire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 14, 27 et 41 de la directive 2012/13 énoncent :

« (14)

La présente directive concerne la mesure B [(mesure relative au droit aux informations relatives aux droits et à l’accusation)] de la feuille de route [visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales]. Elle fixe des normes minimales communes à appliquer en matière d’information des personnes soupçonnées d’une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, sur leurs droits et sur l’accusation portée contre elles, en vue de renforcer la confiance mutuelle entre les États membres. Elle s’appuie sur les droits énoncés dans la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne], et notamment ses articles 6, 47 et 48, en développant les articles 5 et 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950,] tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans la présente directive, le terme “accusation” est utilisé pour décrire le même concept que le terme “accusation” utilisé à l’article 6, paragraphe 1, de [ladite convention].

[...]

(27)

Les personnes poursuivies pour une infraction pénale devraient recevoir toutes les informations nécessaires sur l’accusation portée contre elles pour leur permettre de préparer leur défense et garantir le caractère équitable de la procédure.

[...]

(41)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la [charte des droits fondamentaux]. Elle tend notamment à promouvoir le droit à la liberté, le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Elle devrait être mise en œuvre en conséquence. »

4

L’article 6 de la directive 2012/13, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

2.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus soient informés des motifs de leur arrestation ou de leur détention, y compris de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis.

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.

4.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient rapidement informés de tout changement dans les informations fournies en vertu du présent article, lorsque cela est nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure. »

Le droit allemand

5

L’article 44 du Strafgesetzbuch (code pénal), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « StGB), intitulé « Interdiction de conduire », dispose :

« (1)   Si une personne est condamnée à une peine privative de liberté ou à une amende en raison d’une infraction commise pendant ou en rapport avec la conduite d’un véhicule à moteur ou en violation des obligations d’un conducteur de véhicule à moteur, le tribunal peut lui imposer pendant une période d’un à trois mois une interdiction de conduire sur la voie publique tout véhicule ou un certain type de véhicule. Une interdiction de conduire doit en général être imposée lorsque, dans les cas de condamnation en vertu de l’article 315c, paragraphe 1, point 1, sous a), paragraphe 3, ou de l’article 316, il n’y a pas de retrait du permis de conduire en vertu de l’article 69.

(2)   L’interdiction de conduire prend effet à la date à laquelle le jugement devient définitif. Pendant sa durée d’application, les permis de conduire nationaux et internationaux sont conservés par une autorité allemande. Il en va également ainsi lorsque le permis de conduire a été délivré par une autorité d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État contractant à l’accord sur l’Espace économique européen, pour autant que son titulaire ait sa résidence habituelle en Allemagne. L’interdiction de conduire sera inscrite dans les autres permis de conduire étrangers.

(3)   Si un permis de conduire doit être conservé par les services officiels ou si l’interdiction de conduire doit être inscrite dans un permis de conduire étranger, la période d’interdiction n’est calculée qu’à compter du jour où elle intervient. La période d’interdiction ne comprend pas la période pendant laquelle la personne poursuivie a été placée en détention dans un établissement sur ordre des autorités. »

6

L’article 44 de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale, ci-après la « StPO ») est ainsi libellé :

« Si une personne est empêchée de respecter un délai sans que cela résulte d’une faute de sa part, il y a lieu, sur sa demande, de la relever de forclusion. N’est pas fautive de l’inobservation d’un délai de recours la personne qui n’a pas été informée conformément à l’article 35a, première et deuxième phrases, à l’article 319, paragraphe 2, troisième phrase, ou à l’article 346, paragraphe 2, troisième phrase. »

7

L’article 45 de la StPO énonce :

« (1)   La demande de relevé de forclusion doit être présentée dans un délai d’une semaine à compter de la disparition de l’obstacle auprès du tribunal devant lequel le délai aurait dû être observé. Afin de respecter le délai, il suffit que la demande soit présentée en temps utile à la juridiction qui statue sur la demande.

(2)   Les faits sur lesquels la demande est fondée doivent être justifiés au moment où la demande est présentée ou au cours de la procédure relative à la demande. Dans le délai pour présenter la demande, l’acte omis doit être accompli. Une fois que cela a été fait, le relevé de forclusion peut également être accordé sans demande. »

8

L’article 132 de la StPO prévoit :

« (1)   Si la personne poursuivie, qui est fortement soupçonnée d’une infraction pénale, n’a pas de résidence ou de domicile permanent dans le ressort de la présente loi, mais que les conditions d’un mandat d’arrêt ne sont pas remplies, il peut être ordonné, afin d’assurer le déroulement de la procédure pénale, que la personne poursuivie

1. verse une garantie adéquate pour l’amende et les frais de procédure à prévoir et

2. mandate une personne résidant dans le district de la juridiction compétente aux fins de recevoir les significations.

L’article 116a, paragraphe 1, s’applique mutatis mutandis.

(2)   L’ordonnance ne peut être adoptée que par le juge et, en cas de danger imminent, par le ministère public et ses enquêteurs (article 152 du Gerichtsverfassungsgesetz [(loi relative au système judiciaire)].

(3)   Si la personne poursuivie ne se conforme pas à la décision, les moyens de transport et les autres objets que celle-ci détient et qui lui appartiennent peuvent être confisquées. Les articles 94 et 98 s’appliquent mutatis mutandis. »

9

L’article 407 de la StPO prévoit :

« (1)   Dans la procédure devant le juge pénal et dans la procédure qui relève de la compétence du tribunal avec échevins, les conséquences juridiques de l’acte peuvent, en cas de délits, être établies à la requête écrite du ministère public au moyen d’une ordonnance pénale écrite, sans audience au fond. Le ministère public présente cette requête s’il considère, au vu des résultats de l’instruction, qu’aucune audience n’est nécessaire. La requête doit proposer des conséquences juridiques précises. Elle engage l’action publique.

[...]

(3)   L’audition préalable de l’accusé par le tribunal (article 33, troisième alinéa) n’est pas nécessaire. »

10

Selon l’article 410 de la StPO :

« (1)   La personne poursuivie peut former opposition contre l’ordonnance pénale dans un délai de deux semaines à compter de sa notification auprès de la juridiction qui l’a rendue, par écrit ou au greffe. Les articles 297 à 300 et l’article 302, paragraphe 1, première phrase, paragraphe 2, s’appliquent mutatis mutandis.

(2)   L’opposition peut être limitée à certains points de grief.

(3)   Si une opposition n’a pas été formée à temps contre une ordonnance pénale, elle est équivalente à un arrêt à caractère définitif. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

UY est un conducteur professionnel de poids lourd, de nationalité polonaise et dont la résidence permanente se situe en Pologne.

12

Par une ordonnance pénale du 21 août 2017, l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen, Allemagne) a condamné UY à une amende et lui a imposé une interdiction de conduire de trois mois, en raison d’une infraction commise le 11 juillet 2017 et ayant consisté à quitter illégalement le lieu d’un accident.

13

Le 30 août 2017, cette ordonnance, accompagnée d’une traduction en langue polonaise, a été signifiée au mandataire de UY. En effet, ce dernier avait, en application de l’article 132 de la StPO et sur ordre du procureur, accordé un mandat afin de recevoir les significations. Le mandataire de UY, un agent de l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen), lui avait été imposé par la police.

14

Il ressort de la décision de renvoi que le formulaire de délivrance du mandat, qui était rédigé en langue allemande et avait été traduit à UY par téléphone par un proche de celui-ci, contenait le nom et l’adresse professionnelle du mandataire ainsi que l’indication que les délais légaux commenceraient à courir à compter du jour de la signification au mandataire de la décision pénale à intervenir. En revanche, il ne comportait aucune indication quant aux conséquences juridiques et matérielles du mandat, notamment quant aux éventuelles obligations de la personne concernée de s’informer auprès de son mandataire. UY s’est vu remettre une copie du mandat en langue allemande.

15

Le mandataire a fait suivre l’ordonnance pénale par courrier postal normal à l’adresse connue de UY en Pologne, sans qu’il puisse être déterminé si ce courrier lui est parvenu.

16

Aucune opposition n’ayant été formée contre l’ordonnance pénale, celle-ci est passée en force de chose jugée le 14 septembre 2017.

17

Le 14 décembre 2017, UY a été interpellé par la police allemande au volant d’un poids lourd sur le territoire de la commune de Kehl (Allemagne).

18

À la suite de cette interpellation, le parquet d’Offenbourg (Allemagne) a saisi l’Amtsgericht Kehl (tribunal de district de Kehl, Allemagne) afin qu’il condamne UY pour conduite avec négligence sans permis de conduire au motif qu’il conduisait un poids lourd sur le territoire allemand, alors qu’il aurait pu et dû savoir qu’il était frappé d’une interdiction de conduire sur ce territoire.

19

La juridiction de renvoi part du principe que, jusqu’à la date de son interpellation par la police, le 14 décembre 2017, UY n’avait pas connaissance de l’ordonnance pénale prononcée par l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen) et, par suite, de l’interdiction de conduire qui le frappait.

20

La juridiction de renvoi relève que, en vertu de l’article 44, paragraphe 2, du StGB, l’interdiction de conduire devient effective lorsque le jugement acquiert autorité de chose jugée, et précise à cet égard qu’une ordonnance pénale est équivalente à un jugement ayant autorité de chose jugée pour autant qu’aucune opposition n’a été formée dans le délai de deux semaines après la signification de ladite ordonnance, laquelle peut être effectuée auprès du mandataire désigné par la personne concernée.

21

Elle souligne encore que, en droit allemand, le fait que, comme en l’occurrence, la personne du mandataire est imposée par la police et que le formulaire de délivrance du mandat ne contient ni information quant à la possibilité de contacter par téléphone le mandataire ni instruction quant à l’obligation pour cette personne de se renseigner auprès de son mandataire ne fait, en règle générale, pas obstacle à l’effectivité du mandat. Il en va de même de la circonstance que ce formulaire est rédigé exclusivement en langue allemande, pourvu que, dans l’hypothèse où la personne poursuivie ne maîtrise pas cette langue, le contenu dudit formulaire soit expliqué oralement à celle-ci.

22

En outre, selon la juridiction de renvoi, la personne poursuivie ayant connaissance de l’existence d’une procédure pénale engagée à son égard peut se voir reprocher une négligence lorsqu’elle ne cherche pas à obtenir, auprès de son mandataire, des informations concrètes sur l’issue de ladite procédure. Dans une telle hypothèse, cette personne ne saurait se prévaloir du fait que les documents qui lui ont été transmis par ledit mandataire ne lui sont pas parvenus.

23

La juridiction de renvoi doute toutefois de la compatibilité de l’autorité de chose jugée, qui doit être reconnue, en vertu du droit allemand, à l’ordonnance pénale de l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen), avec la directive 2012/13, telle qu’interprétée par la Cour dans ses arrêts du 15 octobre 2015, Covaci (C‑216/14, EU:C:2015:686), et du 22 mars 2017, Tranca e.a. (C‑124/16, C‑188/16 et C‑213/16, EU:C:2017:228), ainsi qu’avec les articles 21, 45, 49 et 56 TFUE. Selon la juridiction de renvoi, il découle de ces arrêts que la personne poursuivie ne saurait d’une manière générale souffrir, en raison de l’obligation qui lui est faite d’accorder un mandat aux fins de la signification de l’ordonnance la concernant, le moindre désavantage lié au fait que son domicile est situé non pas en Allemagne, mais dans un autre État membre. Or, en l’occurrence, UY souffrirait de tels désavantages qui ne pourraient être compensés.

24

En effet, de l’avis de la juridiction de renvoi, puisque la signification de l’ordonnance pénale est effectuée par l’intermédiaire d’un mandataire, il est probable que la personne qui en fait l’objet et qui réside à l’étranger n’aura pas connaissance de cette ordonnance ou n’en prendra connaissance que bien plus tard que si elle était domiciliée en Allemagne.

25

À cet égard, la juridiction de renvoi relève que les ordonnances pénales peuvent certes être signifiées en Allemagne par un mandat adressé par voie postale, et que, dans un tel cas, la remise en personne de l’ordonnance pénale au destinataire n’est pas nécessaire, la signification pouvant avoir lieu au domicile de celui-ci par la remise de ladite ordonnance à un membre adulte de la famille, à une personne employée dans la famille ou à un colocataire permanent adulte, par le dépôt de ladite ordonnance dans la boîte aux lettres du destinataire ou par consignation, pour autant qu’une attestation officielle soit établie comme preuve de la signification. Selon la juridiction de renvoi, les conditions strictes encadrant cette procédure, dont la réunion doit être examinée d’office par le tribunal, ainsi que la proximité géographique et personnelle du lieu de signification et du destinataire effectif par rapport à la personne concernée permettent cependant, en règle générale, de garantir que, en présence du moindre doute quant à sa régularité, la signification sera considérée comme étant dénuée d’effet.

26

Inversement, lorsque l’ordonnance pénale est signifiée au mandataire de la personne poursuivie, cette dernière ne pourra, en général, pas influencer la manière dont cette ordonnance lui sera transmise, même lorsque le mandataire est un agent du tribunal. Ce mandataire n’est pas légalement tenu de procéder à la transmission de ladite ordonnance d’une manière garantissant que celle-ci parviendra effectivement à la personne poursuivie, par exemple par un envoi recommandé. La transmission d’une ordonnance à l’étranger pourrait en outre durer beaucoup plus longtemps et le risque que la lettre se perde serait plus élevé.

27

Selon la juridiction de renvoi, ces inconvénients ne sont pas compensés, en droit allemand, par la procédure du relevé de forclusion prévue à l’article 44 de la StPO, qui permet, sous certaines conditions, d’annuler l’autorité de chose jugée de l’ordonnance pénale et de rouvrir un délai d’opposition contre celle-ci.

28

À cet égard, elle relève, en premier lieu, que, afin d’obtenir l’élimination rétroactive de l’autorité de chose jugée de l’ordonnance dont elle fait l’objet, la personne concernée doit, même si elle ne conteste pas l’infraction et les conséquences juridiques qui en découlent, introduire une demande motivée de relevé de forclusion et former opposition contre l’ordonnance pénale, pour ensuite retirer son opposition dès qu’elle a obtenu le relevé de forclusion.

29

La juridiction de renvoi souligne, en deuxième lieu, que la demande de relevé de forclusion doit être présentée dans un délai d’une semaine suivant la disparition de l’obstacle en raison duquel la personne concernée n’a pas respecté le délai procédural qui lui était imposé.

30

Cette juridiction relève, en troisième lieu, que la personne concernée doit démontrer qu’elle n’est pas responsable du non-respect du délai. À cet égard, elle ne saurait se borner à soutenir qu’elle n’a pas eu connaissance de la signification faite au mandataire de l’ordonnance pénale la concernant, puisqu’il est attendu de cette personne qu’elle se renseigne dans les meilleurs délais auprès de son mandataire de l’existence éventuelle de courriers qui lui ont été adressés, et ce sans qu’il y ait lieu de prendre en considération les difficultés linguistiques pouvant survenir dans la communication avec son mandataire. En outre, un relevé de forclusion ne peut être accordé d’office que s’il ressort clairement du dossier que l’inobservation du délai n’est pas fautive.

31

En quatrième lieu, ladite juridiction fait encore valoir que la demande de relevé de forclusion n’a pas d’effet suspensif.

32

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi estime qu’elle devrait être en mesure de considérer que, nonobstant son droit interne, l’ordonnance pénale prononcée par l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen) contre UY n’a acquis force de chose jugée qu’à l’échéance d’un délai de deux semaines à compter du jour où celui-ci en a effectivement pris connaissance, soit à une date postérieure à son interpellation pour conduite avec négligence sans permis de conduire.

33

À titre subsidiaire, la juridiction de renvoi considère qu’il est nécessaire, afin d’éviter une différence de traitement injustifiée découlant uniquement du domicile de UY en Pologne, de ne lui imposer aucune obligation de diligence, relative à la prise de connaissance des documents pertinents pour la procédure qui lui sont destinés, et dont la violation fonde les poursuites devant elle, qui aille au-delà des obligations qui pèseraient sur lui si l’ordonnance pénale lui avait été signifiée en Allemagne au moyen d’un mandat habituel.

34

Dans ces conditions, l’Amtsgericht Kehl (tribunal de district de Kehl) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union et en particulier la directive 2012/13 ainsi que les articles 21, 45, 49 et 56 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à une réglementation d’un État membre qui, dans le cadre d’une procédure pénale, permet d’ordonner à un prévenu, du simple fait qu’il est domicilié dans un autre État membre, de désigner un mandataire pour recevoir la signification d’une ordonnance pénale qui lui est adressée, avec pour conséquence que cette ordonnance pénale passe en force de chose jugée créant ainsi la condition juridique de l’incrimination d’une action future du prévenu (effet d’autorité) même si le prévenu n’avait pas connaissance de l’ordonnance pénale et qu’il ne peut pas être assuré qu’il en ait effectivement pris connaissance dans une mesure comparable à ce qui serait le cas si ce prévenu était domicilié dans l’État membre ?

2)

En cas de réponse négative à la première question : le droit de l’[Union] et en particulier la directive 2012/13 ainsi que les articles 21, 45, 49 et 56 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à la réglementation d’un État membre qui, dans le cadre d’une procédure pénale, permet d’ordonner à un prévenu, du simple fait qu’il est domicilié dans un autre État membre, de désigner un mandataire pour recevoir la signification d’une ordonnance pénale qui lui est adressée, avec pour conséquence que cette ordonnance pénale passe en force de chose jugée, créant ainsi la condition juridique de l’incrimination d’une action future du prévenu (effet d’autorité), et que, devant veiller à prendre effectivement connaissance de l’ordonnance pénale, le prévenu se voit subjectivement imposer lors de la poursuite de cette infraction des obligations plus importantes que celles qui seraient les siennes s’il était domicilié dans l’État membre de sorte que le prévenu pourra faire l’objet de poursuites pénales pour négligence ? »

Sur les questions préjudicielles

35

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 21, 45, 49 et 56 TFUE ainsi que l’article 6 de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle une personne résidant dans un autre État membre encourt une sanction pénale si elle ne respecte pas, à compter de la date où elle acquiert autorité de chose jugée, une ordonnance l’ayant condamnée à une interdiction de conduire, alors même, d’une part, que le délai de deux semaines pour former opposition contre cette ordonnance commence à courir à partir de la signification de ladite ordonnance non à la personne concernée, mais à son mandataire et, d’autre part, que cette personne ignorait l’existence d’une telle ordonnance à la date où elle a méconnu l’interdiction de conduire qui en découle.

36

À titre liminaire, il convient de relever, premièrement, que l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen) a imposé à UY une interdiction temporaire de conduire au moyen d’une ordonnance adoptée en vertu de l’article 407 de la StPO.

37

Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le relever, la procédure prévue pour l’émission d’une telle ordonnance pénale est simplifiée et ne prévoit pas d’audience ou de débat contradictoire. Délivrée par le juge à la demande du ministère public pour des infractions mineures, cette ordonnance constitue une décision provisoire. Conformément à l’article 410 de la StPO, l’ordonnance pénale passe en force de chose jugée dès l’expiration d’un délai de deux semaines à compter de sa signification, le cas échéant, aux mandataires de la personne concernée, sauf si celle-ci forme une opposition contre ladite ordonnance avant l’expiration de ce délai (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 20).

38

Dans le cas particulier où la personne concernée n’a pas de résidence ou de domicile permanent sur le territoire allemand, il peut lui être ordonné, en vertu de l’article 132, paragraphe 1, de la StPO, de désigner un mandataire auprès duquel l’ordonnance la concernant sera signifiée, une telle signification faisant alors courir le délai d’opposition.

39

En vertu de l’article 44, paragraphe 2, du StGB, l’interdiction de conduire prononcée par une telle ordonnance produit ses effets à la date à laquelle elle devient définitive.

40

Il y a lieu de relever, deuxièmement, que l’affaire au principal concerne de nouvelles poursuites pénales intentées contre UY pour conduite avec négligence sans permis de conduire. Il ressort de la décision de renvoi que l’élément matériel de cette infraction consiste dans le non-respect d’une interdiction de conduire prononcée par une ordonnance ayant acquis autorité de chose jugée et que son élément subjectif se caractérise par la négligence de la personne concernée.

41

En l’occurrence, s’agissant, tout d’abord, de l’élément matériel de l’infraction pour laquelle UY est poursuivi devant elle, la juridiction de renvoi relève que ce dernier a été interpellé sur le territoire allemand au volant d’un poids lourd le 14 décembre 2017, soit après que la première condamnation prononcée à son égard par l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen) a acquis un caractère définitif, UY n’ayant pas formé opposition contre cette ordonnance pénale dans le délai de deux semaines à compter de la signification de celle-ci à son mandataire.

42

La juridiction de renvoi précise, ensuite, s’agissant de l’élément subjectif de l’infraction pour laquelle UY est poursuivie devant elle, que le mandataire de UY, un agent de l’Amtsgericht Garmisch-Partenkirchen (tribunal de district de Garmisch-Partenkirchen), a fait suivre l’ordonnance pénale concernant l’intéressé, par courrier postal ordinaire, à l’adresse connue de celui-ci en Pologne. Estimant qu’il ne peut être établi que ce courrier est effectivement parvenu à UY, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle ce dernier n’a eu effectivement connaissance de ladite ordonnance pénale que lorsqu’il a été interpellé par la police le 14 décembre 2017.

43

Sous le bénéfice de ces précisions, il convient, en premier lieu, d’examiner si l’article 6 de la directive 2012/13 s’oppose à ce que le délai de deux semaines pour former opposition contre une ordonnance pénale telle que celle en cause au principal commence à courir à compter de sa signification au mandataire de la personne qui en fait l’objet.

44

À cet égard, il y a lieu de souligner, premièrement, que cet article 6 fixe des règles spécifiques relatives au droit de tout suspect ou de toute personne poursuivie d’être informé de l’acte pénalement sanctionné, qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense. Le paragraphe 3 dudit article 6 prévoit encore que les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.

45

Certes, en raison du caractère sommaire et simplifié de la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance pénale en cause au principal, la signification d’une telle ordonnance n’intervient qu’après que le juge s’est prononcé sur le bien-fondé de l’accusation.

46

Toutefois, la Cour a relevé que, dans une ordonnance de cette nature, le juge ne se prononce que de manière provisoire et que la signification de celle-ci représente la première occasion, pour la personne mise en cause, d’être informée de l’accusation portée contre elle, ce qui est confirmé par le fait que cette personne est habilitée à former non pas un recours contre cette ordonnance devant un autre juge, mais une opposition la faisant bénéficier, devant le même juge, de la procédure contradictoire ordinaire, dans le cadre de laquelle elle peut exercer pleinement ses droits de la défense, avant que ce juge ne se prononce à nouveau sur le bien-fondé de l’accusation portée contre elle (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 60).

47

Par conséquent, la signification d’une telle ordonnance doit, conformément à l’article 6 de la directive 2012/13, être considérée comme étant une forme de communication de l’accusation portée contre la personne poursuivie, de sorte qu’elle doit respecter les exigences posées à cet article (arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 61).

48

Deuxièmement, la Cour a également constaté que la directive 2012/13 ne règle pas les modalités selon lesquelles l’information sur l’accusation, prévue à son article 6, doit être communiquée à la personne poursuivie et que ce dernier article ne s’oppose dès lors pas, en principe, à ce que, dans le cadre d’une procédure pénale, la personne poursuivie qui ne réside pas dans l’État membre concerné soit tenue de désigner un mandataire aux fins de la signification d’une ordonnance telle que celle en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, points 62 et 68).

49

Toutefois, il découle aussi de la jurisprudence de la Cour que les modalités de communication de l’information sur l’accusation, fixées par le droit des États membres, ne sauraient porter atteinte à l’objectif visé notamment à l’article 6 de la directive 2012/13, consistant, ainsi qu’il ressort également du considérant 27 de cette directive, à permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies pour une infraction pénale de préparer leur défense et à garantir le caractère équitable de la procédure (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 63, ainsi que du 22 mars 2017, Tranca e.a., C‑124/16, C‑188/16 et C‑213/16, EU:C:2017:228, point 38).

50

Or, un tel objectif, tout comme la nécessité d’éviter toute discrimination entre, d’une part, les personnes poursuivies qui disposent d’une résidence relevant du champ d’application de la loi nationale concernée et, d’autre part, celles dont la résidence ne relève pas de celui-ci, qui sont seules tenues de désigner un mandataire aux fins de la signification des décisions juridictionnelles, exigent que la personne poursuivie dispose de l’intégralité du délai de deux semaines, reconnu par le droit national, pour former opposition contre une ordonnance telle que celle en cause au principal (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 65, ainsi que du 22 mars 2017, Tranca e.a., C‑124/16, C‑188/16 et C‑213/16, EU:C:2017:228, point 40).

51

Ainsi, à compter de la date où elle a effectivement pris connaissance d’une pareille ordonnance, la personne poursuivie doit être placée, dans toute la mesure du possible, dans la même situation que si ladite ordonnance lui avait été signifiée personnellement et doit, notamment, pouvoir disposer de l’intégralité du délai d’opposition (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2017, Tranca e.a., C‑124/16, C‑188/16 et C‑213/16, EU:C:2017:228, point 47).

52

À cet égard, s’il est vrai qu’une ordonnance telle que celle en cause au principal devient définitive lorsque la personne poursuivie n’y fait pas opposition dans un délai de deux semaines à compter de la signification de cette ordonnance à son mandataire, et non à compter de la prise de connaissance effective de ladite ordonnance par la personne poursuivie, il n’en demeure pas moins que, comme le relève la juridiction de renvoi, les articles 44 et 45 de la StPO prévoient une procédure de relevé de forclusion permettant d’annuler l’autorité de chose jugée de l’ordonnance et de former opposition contre cette dernière malgré l’échéance du délai d’opposition initial.

53

Dans ces conditions, il convient d’examiner, troisièmement, si la procédure du relevé de forclusion, prévue en droit national, et les conditions auxquelles ce droit subordonne l’exercice de cette procédure sont conformes aux exigences posées à l’article 6 de la directive 2012/13 et, particulièrement, si elles permettent à la personne concernée de bénéficier, de fait, d’un délai de deux semaines pour former opposition à l’ordonnance pénale dont elle fait l’objet, à compter du moment où elle en a effectivement pris connaissance.

54

À cet égard, il y a lieu de souligner, tout d’abord, que, au vu des indications figurant dans la décision de renvoi et de l’audience devant la Cour, il n’est pas exclu que, dans une situation telle que celle en cause au principal, le droit national pertinent impose à la personne poursuivie de former opposition contre l’ordonnance pénale dans un délai d’une semaine à compter de sa prise de connaissance effective de ladite ordonnance. En effet, l’article 45 de la StPO paraît pouvoir être interprété en ce sens que l’opposition doit être formée dans le délai d’une semaine que cette disposition prévoit pour l’introduction de la demande de relevé de forclusion.

55

Une pareille obligation, à la supposer établie, serait contraire à l’article 6 de la directive 2012/13 puisqu’elle aboutirait à diminuer de moitié la durée du délai d’opposition qui doit être reconnue, conformément à ce qui a été exposé aux points 50 et 51 du présent arrêt, à la personne poursuivie à compter du moment où elle a effectivement pris connaissance de l’ordonnance pénale la concernant.

56

Il convient encore de relever que, selon la juridiction de renvoi, la personne poursuivie ne peut introduire une demande de relevé de forclusion que si elle est en mesure de prouver qu’elle s’est renseignée dans les meilleurs délais auprès de son mandataire quant à l’existence d’une ordonnance la concernant.

57

Or, une telle obligation est tout aussi incompatible avec les exigences découlant de l’article 6 de la directive 2012/13. En effet, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, il découle tant du libellé de cette disposition que de son économie générale et de la finalité poursuivie par ladite directive qu’il appartient aux autorités des États membres d’informer les personnes poursuivies des faits qui leur sont reprochés et qu’il ne saurait être attendu de ces personnes qu’elles s’informent, dans les meilleurs délais, des développements éventuels de la procédure pénale les concernant.

58

Enfin, la juridiction de renvoi fait observer que la demande de relevé de forclusion n’a pas d’effet suspensif.

59

Or, dans la mesure où il paraît ressortir de l’article 44, paragraphe 2, du StGB que, tant que le délai d’opposition n’est pas échu, l’interdiction de conduire assortissant une ordonnance telle que celle en cause au principal ne produit pas d’effet, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, il découle de ce qui a été exposé au point 51 du présent arrêt que l’article 6 de la directive 2012/13 impose que cette interdiction de conduire soit également suspendue au cours du délai de deux semaines à compter de la prise de connaissance effective par la personne concernée de l’ordonnance la condamnant et durant lequel cette personne doit être en mesure de former opposition contre ladite ordonnance.

60

Il s’ensuit que l’article 6 de la directive 2012/13 ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le délai de deux semaines pour former opposition contre une ordonnance telle que celle en cause au principal commence à courir à compter de sa signification au mandataire de la personne qui en fait l’objet, pour autant que, dès que cette personne en a pris connaissance, celle-ci dispose effectivement d’un délai de deux semaines pour former opposition contre cette ordonnance, le cas échéant à la suite ou dans le cadre d’une procédure de relevé de forclusion, sans avoir à démontrer qu’elle a entrepris les démarches nécessaires pour s’informer dans les meilleurs délais auprès de son mandataire de l’existence de ladite ordonnance, et que les effets de cette dernière soient suspendus au cours de ce délai.

61

Il convient, en second lieu, d’examiner si l’article 6 de la directive 2012/13 s’oppose à ce qu’une personne puisse être condamnée pénalement pour avoir enfreint une interdiction de conduire à une date où l’ordonnance prononçant une telle interdiction était revêtue de l’autorité de chose jugée, lorsque ladite personne ignorait, à cette date, l’existence d’une telle ordonnance.

62

À cet égard, il y a lieu de rappeler, premièrement, que le droit consacré à l’article 6 de la directive 2012/13 vise à garantir l’exercice effectif des droits de la défense des personnes accusées ou poursuivies. L’effet utile de ce droit serait dès lors gravement compromis s’il était possible de se fonder sur une ordonnance pénale, telle que celle en cause au principal, pour constater la commission, par la même personne, d’une nouvelle infraction, à un moment où, à défaut d’être informée des premières poursuites dirigées contre elle, cette personne n’a pas encore été en mesure de contester le bien-fondé de cette accusation.

63

Il s’ensuit que ledit article 6 s’oppose à ce que le non-respect d’une ordonnance telle que celle en cause au principal puisse être pénalement reproché à une personne alors que celle-ci ne s’est pas vu communiquer cette ordonnance, dans le respect des exigences prévues à cette disposition, et qu’elle n’a pas pu, le cas échéant, contester, selon les voies de droit prévues par le droit de l’État membre concerné et dans le respect du droit de l’Union, les faits qui lui sont reprochés dans ladite ordonnance.

64

Or, comme il a été souligné au point 57 du présent arrêt, il serait contraire au même article 6 d’exiger de la personne concernée qu’elle veille à entreprendre les démarches nécessaires auprès de son mandataire afin de s’assurer que ce dernier lui a correctement communiqué l’ordonnance pénale la concernant.

65

Dès lors, l’article 6 de la directive 2012/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une personne soit condamnée en raison de la méconnaissance d’une ordonnance, telle que celle en cause au principal, à une date à laquelle il ne peut être établi que les autorités nationales compétentes ont veillé à porter effectivement à sa connaissance le contenu de ladite ordonnance.

66

Cette interprétation de l’article 6 de la directive 2012/13 vaut également lorsque l’ordonnance pénale est devenue définitive au moment où la personne qui en fait l’objet est supposée l’avoir enfreinte, et ce même si cette personne n’a pas introduit, à compter du moment où elle a eu connaissance de cette ordonnance, une procédure de relevé de forclusion visant à faire annuler l’autorité de chose jugée dont ladite ordonnance était revêtue.

67

En effet, une telle interprétation ne porte pas atteinte au respect dû au principe de l’autorité de chose jugée. Il suffit à cet égard de relever que l’autorité de chose jugée dont est revêtue la condamnation d’une personne à une interdiction de conduire n’est pas méconnue au seul motif que l’inobservation, par ladite personne, de cette interdiction n’aboutit pas nécessairement au prononcé d’une nouvelle sanction pénale.

68

Deuxièmement, il convient de souligner que le principe de primauté du droit de l’Union, qui consacre la prééminence de ce droit sur celui des États membres, impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 53 et 54, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 157 et 158].

69

À cet égard, il y a lieu, notamment, de rappeler que le principe d’interprétation conforme du droit interne, en vertu duquel la juridiction nationale est tenue de donner au droit interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union, est inhérent au système des traités, en ce qu’il permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle tranche le litige dont elle est saisie. En outre, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de droit de l’Union qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi [arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 55 et 61, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 159 et 161].

70

Troisièmement, il convient de relever que, comme l’indiquent en substance les considérants 14 et 41 de la directive 2012/13, celle-ci s’appuie sur les droits énoncés notamment à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (ci-après la « Charte ») et tend à promouvoir ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 88).

71

Plus particulièrement, ainsi qu’il a été souligné au point 49 du présent arrêt, l’article 6 de ladite directive a pour objectif d’assurer l’exercice effectif des droits de la défense ainsi que l’équité de la procédure. Une telle disposition consacre ainsi expressément un aspect du droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte.

72

Il s’ensuit que, à l’instar de l’article 47 de la Charte, qui se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel, l’article 6 de la directive 2012/13 doit être considéré comme disposant d’un effet direct [voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 162 et 163].

73

Dès lors, il appartient à la juridiction de renvoi, dans le cadre de ses compétences, de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir le plein effet de cet article 6.

74

Or, comme il a été souligné aux points 62 et 63 du présent arrêt, l’effet utile de l’article 6 de la directive 2012/13 serait gravement compromis si une personne encourrait une condamnation au motif qu’elle a enfreint une interdiction prononcée par une ordonnance pénale, telle que celle en cause au principal, qui ne lui a pas été communiquée dans le respect des exigences prévues à cet article.

75

Dans de telles circonstances, il appartient au juge de renvoi de donner, dans le cadre de ses compétences, à son droit national, dans toute la mesure du possible, une interprétation qui préserve l’effet utile de l’article 6 de la directive 2012/13 et, à défaut, de laisser inappliquée toute disposition nationale qui y serait contraire.

76

Il convient d’ajouter que le gouvernement allemand a fait valoir devant la Cour qu’il était envisageable de retenir une interprétation du droit national conforme aux exigences de l’article 6 de la directive 2012/13, en ce qui concerne l’obligation de diligence incombant à une personne poursuivie qui n’est pas domiciliée sur le territoire national, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

77

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 6 de la directive 2012/13 doit être interprété en ce sens :

qu’il ne s’oppose pas une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le délai de deux semaines pour former opposition contre une ordonnance ayant condamné une personne à une interdiction de conduire commence à courir à compter de sa signification au mandataire de cette personne, pour autant que, dès que ladite personne en a pris connaissance, celle-ci dispose effectivement d’un délai de deux semaines pour former opposition contre cette ordonnance, le cas échéant à la suite ou dans le cadre d’une procédure de relevé de forclusion, sans avoir à démontrer qu’elle a entrepris les démarches nécessaires pour s’informer dans les meilleurs délais auprès de son mandataire de l’existence de ladite ordonnance, et que les effets de cette dernière soient suspendus au cours de ce délai,

qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle une personne résidant dans un autre État membre encourt une sanction pénale si elle ne respecte pas, à compter de la date où elle a acquis autorité de chose jugée, une ordonnance l’ayant condamnée à une interdiction de conduire, alors même que cette personne ignorait l’existence d’une telle ordonnance à la date où elle a méconnu l’interdiction de conduire qui en découle.

78

Compte tenu des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’examiner si les autres dispositions de droit de l’Union évoquées par le juge de renvoi s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

Sur les dépens

79

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 6 de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, doit être interprété en ce sens :

 

qu’il ne s’oppose pas une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le délai de deux semaines pour former opposition contre une ordonnance ayant condamné une personne à une interdiction de conduire commence à courir à compter de sa signification au mandataire de cette personne, pour autant que, dès que ladite personne en a pris connaissance, celle-ci dispose effectivement d’un délai de deux semaines pour former opposition contre cette ordonnance, le cas échéant à la suite ou dans le cadre d’une procédure de relevé de forclusion, sans avoir à démontrer qu’elle a entrepris les démarches nécessaires pour s’informer dans les meilleurs délais auprès de son mandataire de l’existence de ladite ordonnance, et que les effets de cette dernière soient suspendus au cours de ce délai,

qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle une personne résidant dans un autre État membre encourt une sanction pénale si elle ne respecte pas, à compter de la date où elle a acquis autorité de chose jugée, une ordonnance l’ayant condamnée à une interdiction de conduire, alors même que cette personne ignorait l’existence d’une telle ordonnance à la date où elle a méconnu l’interdiction de conduire qui en découle.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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