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Document 62018CC0418

Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 29 juillet 2019.
Patrick Grégor Puppinck e.a. contre Commission européenne.
Pourvoi – Droit institutionnel – Initiative citoyenne “Un de nous” – Communication de la Commission européenne présentant ses conclusions et les raisons de ne pas entreprendre les actions demandées dans l’initiative citoyenne.
Affaire C-418/18 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:640

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 29 juillet 2019 ( 1 )

Affaire C‑418/18 P

Puppinck e.a.

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne (ICE) – Article 11, paragraphe 4, TUE – Financement par l’Union d’activités entraînant la destruction d’embryons humains – Politique de recherche – Santé publique – Coopération au développement – ICE ayant atteint le nombre requis de signataires – Communication de la Commission conformément à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) no 211/2011 – Obligations de la Commission en ce qui concerne une ICE réussie – Niveau de contrôle juridictionnel »

I. Introduction

1.

M. Patrick Grégor Puppinck et six autres personnes (ci-après, ensemble, les « requérants ») forment le comité des citoyens de l’initiative citoyenne européenne (ICE) dénommée « Uno di noi » (« One of Us » – « L’un de nous ») (ci‑après l’« ICE en cause »). L’ICE en cause a été enregistrée par la Commission européenne. Elle a par la suite obtenu plus d’un million de signatures. Elle a donc atteint le seuil pertinent et a été soumise à la Commission, qui a reçu les membres du comité des citoyens de l’ICE en cause. Une audition au Parlement européen a été organisée pour discuter de l’ICE en cause. Enfin, la Commission a adopté une communication dans laquelle elle a indiqué avoir décidé de ne prendre aucune mesure en vue de réaliser les objectifs de l’ICE en cause.

2.

Les requérants ont demandé l’annulation de cette communication devant le Tribunal de l’Union européenne. Ils n’ont pas obtenu satisfaction. Par le présent pourvoi, ils contestent l’arrêt de première instance du Tribunal ( 2 ).

3.

L’ICE est l’une des innovations introduites par le traité de Lisbonne pour promouvoir la participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union européenne. Le règlement (UE) no 211/2011 ( 3 ) établit le cadre législatif de l’ICE. Cet instrument a déjà fait l’objet de plusieurs affaires portées devant les juridictions de l’Union à propos de décisions de la Commission rejetant l’enregistrement d’ICE ( 4 ).

4.

La nouveauté de la présente affaire réside dans le fait qu’il s’agit de la première affaire devant la Cour qui concerne le suivi par la Commission d’une « ICE réussie » (c’est‑à‑dire ayant atteint le seuil requis). En effet, « One of Us » est l’une des quatre seules ICE à ce jour à avoir obtenu le nombre de signatures requis ( 5 ). Il en découle deux questions de principe importantes soulevées par la présente affaire : premièrement, la Commission est-elle tenue de présenter des propositions législatives concrètes à la suite d’une ICE réussie ? Deuxièmement, quel niveau de contrôle juridictionnel doit être appliqué lors de l’examen de la position adoptée par la Commission à la suite d’une ICE réussie ?

II. Le cadre juridique de l’Union

5.

Aux termes du considérant 1 du règlement ICE, « [l]e [traité UE] renforce la citoyenneté de l’Union et améliore encore le fonctionnement démocratique de l’Union en prévoyant notamment que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union par l’intermédiaire d’une initiative citoyenne européenne. Cette procédure donne aux citoyens la possibilité de s’adresser directement à la Commission, pour lui présenter une demande l’invitant à soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités à l’instar du droit conféré au Parlement européen en vertu de l’article 225 [TFUE] et au Conseil en vertu de l’article 241 [TFUE] ».

6.

Le considérant 20 du règlement ICE se lit comme suit :

« La Commission devrait examiner une initiative citoyenne et présenter ses conclusions juridiques et politiques séparément. Elle devrait également exposer les actions qu’elle a l’intention d’entreprendre pour y donner suite, dans un délai de trois mois. Afin de prouver qu’une initiative citoyenne soutenue par au moins un million de citoyens de l’Union et son suivi éventuel sont examinés avec soin, la Commission devrait exposer d’une manière claire, compréhensible et circonstanciée les raisons pour lesquelles elle envisage d’entreprendre une action et, de la même manière, les raisons pour lesquelles elle a l’intention de n’entreprendre aucune action. Lorsque la Commission a reçu une initiative citoyenne soutenue par le nombre requis de signataires et conforme aux autres exigences du présent règlement, les organisateurs devraient pouvoir présenter l’initiative lors d’une audition publique au niveau de l’Union. »

7.

Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement ICE, on entend par « initiative citoyenne »« une initiative présentée à la Commission conformément au présent règlement, invitant la Commission à soumettre, dans le cadre de ses attributions, une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles des citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités, et ayant recueilli le soutien d’au moins un million de signataires admissibles provenant d’au moins un quart de l’ensemble des États membres ».

8.

L’article 10 du règlement ICE établit la procédure d’examen d’une initiative citoyenne par la Commission. Aux termes de cette disposition :

« 1.   Lorsque la Commission reçoit une initiative citoyenne conformément à l’article 9 :

[...]

c)

elle présente, dans un délai de trois mois, au moyen d’une communication, ses conclusions juridiques et politiques sur l’initiative citoyenne, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action.

2.   La communication visée au paragraphe 1, point c), est notifiée aux organisateurs ainsi qu’au Parlement européen et au Conseil, et elle est rendue publique. »

9.

Conformément à l’article 11 du règlement ICE, « [l]orsque les conditions énoncées à l’article 10, paragraphe 1, points a) et b), sont remplies, et dans le délai prévu à l’article 10, paragraphe 1, point c), les organisateurs se voient accorder la possibilité de présenter l’initiative citoyenne lors d’une audition publique. La Commission et le Parlement européen veillent à ce que cette audition soit organisée au Parlement européen, le cas échéant en liaison avec les autres institutions et organes de l’Union souhaitant participer, et à ce que la Commission soit représentée à un niveau approprié ».

III. Le contexte factuel

10.

Le 11 mai 2012, l’ICE en cause a été enregistrée par la Commission conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement ICE ( 6 ). Dans le registre en ligne mis à disposition par la Commission, l’objet de l’ICE en cause est décrit comme « [l]a protection juridique de la dignité, du droit à la vie et à l’intégrité de tout être humain depuis la conception dans les domaines de compétence de l’[Union] où cette protection s’avère d’une importance particulière ». Les objectifs de l’ICE en cause ont été décrits dans les termes suivants :

« La dignité et l’intégrité de l’embryon humain doivent être respectées. Ce[la] a été établi par l’arrêt Brüstle contre Greenpeace de la [Cour de justice de l’Union européenne] qui définit l’embryon humain comme le commencement du processus de développement d’un être humain. Afin d’être cohérente dans l’exercice de ses compétences, l’[Union] devrait interdire et mettre fin au financement des activités qui impliquent la destruction d’embryons humains, en particulier dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique. »

11.

Les dispositions des traités jugées pertinentes par les organisateurs de l’ICE en cause étaient les suivantes : les articles 2 et 17 TUE, et l’article 4, paragraphes 3 et 4, TFUE, ainsi que les articles 168, 180, 182, 209, 210 et 322 TFUE.

12.

Une annexe jointe à l’ICE en cause contenait un projet d’acte juridique demandant, plus précisément, trois modifications aux actes existants de l’Union.

13.

Premièrement, il a été proposé d’insérer un nouvel article dans le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes ( 7 ). Aux termes de la disposition proposée, « [a]ucun fonds de l’Union européenne ne doit être attribué à des activités qui détruisent des embryons humains ou qui présupposent leur destruction ».

14.

Deuxièmement, il a été proposé d’insérer un nouvel alinéa à l’article 16, paragraphe 3, de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » (2014-2020) ( 8 ), un passage excluant de tout financement au titre de ce programme-cadre « les activités de recherche qui détruisent des embryons humains, notamment celles visant à obtenir des cellules souches, et la recherche impliquant l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines dans des étapes ultérieures pour les obtenir ».

15.

Troisièmement, il a été proposé d’ajouter un paragraphe 5 à l’article 2 du règlement (CE) no 1905/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, portant établissement d’un instrument de financement de la coopération au développement ( 9 ). Ce paragraphe dispose :

« L’aide de l’Union, en vertu du présent règlement, ne doit pas servir à financer l’avortement que ce soit directement ou indirectement par le biais d’organisations qui l’encouragent ou le promeuvent. Dans le présent règlement, aucune référence faite à la santé génésique et sexuelle, aux soins, aux droits, aux services, aux fournitures médicales, à l’éducation et à l’information définis lors de la [c]onférence internationale sur la population et le développement, à ses principes et [p]rogramme d’action, à l’[o]rdre du jour du Caire et aux objectifs du Millénaire pour le [d]éveloppement, notamment l’objectif no 5 concernant la santé et la mortalité maternelle, ne peut être interprétée comme servant de fondement légal à l’utilisation de fonds de [l’Union] pour financer directement ou indirectement l’avortement. »

16.

Le 28 février 2014, conformément à l’article 9 du règlement ICE, les organisateurs ont présenté l’ICE en cause à la Commission. Par la suite, le 9 avril 2014, ils ont été reçus par la Commission, conformément à l’article 10, paragraphe 1, sous b), du règlement ICE. Le 10 avril 2014, les organisateurs ont présenté l’ICE en cause lors d’une audition publique organisée au Parlement, conformément à l’article 11 du règlement ICE.

17.

Le 28 mai 2014, sur la base de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, la Commission a adopté une communication relative à l’ICE en cause ( 10 ) (ci‑après la « communication »), dans laquelle elle a annoncé qu’elle n’adopterait aucune proposition allant dans le sens des mesures demandées par l’ICE en cause.

18.

Le contenu de la communication est exposé aux points 13 à 30 de l’arrêt attaqué.

IV. L’arrêt attaqué et la procédure devant la Cour

19.

Par une requête du 25 juillet 2014, les requérants ont conclu à l’annulation de la communication et, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE.

20.

Par ordonnance du 26 novembre 2015 ( 11 ), le Tribunal a fait droit à un moyen d’irrecevabilité soulevé par le Parlement et par le Conseil, et a rejeté le recours comme étant irrecevable en ce qu’il était dirigé contre l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, au motif que le recours avait été introduit après l’expiration du délai prévu à l’article 263 TFUE.

21.

En ce qui concerne la communication, le recours soulevait cinq moyens d’annulation. Par leur premier moyen, les requérants invoquaient une violation de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, au motif que la Commission n’avait pas présenté de proposition d’acte juridique en réponse à l’ICE en cause. Par leur deuxième moyen, invoqué à titre subsidiaire, les requérants soutenaient que ce manquement constituait une violation de l’article 11, paragraphe 4, TUE. Par leur troisième moyen, les requérants invoquaient une violation de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, tirée de ce que la Commission n’avait pas exposé séparément, dans la communication, ses conclusions juridiques et politiques sur l’ICE en cause. Par leur quatrième moyen, les requérants soutenaient que la Commission avait manqué à son obligation de motivation. Par leur cinquième moyen, les requérants faisaient valoir que la Commission avait commis un certain nombre d’erreurs d’appréciation.

22.

Dans son arrêt One of Us e.a./Commission ( 12 ) (ci-après l’« arrêt attaqué »), le Tribunal a d’abord déclaré le recours irrecevable en ce qu’il avait été introduit par l’entité dénommée « European Citizens’ Initiative One of Us », sans préjudice de la recevabilité du recours en ce qu’il avait également été formé par les sept personnes physiques constituant le comité des citoyens de l’ICE en cause ( 13 ). Par la suite, le Tribunal a estimé que la communication constituait un acte attaquable contre lequel un recours en annulation pouvait être formé ( 14 ). Enfin, il a écarté les cinq moyens d’annulation invoqués par les requérants et a rejeté le recours ( 15 ), en condamnant les requérants à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

23.

Par le présent pourvoi, les requérants concluent à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’arrêt du Tribunal, annuler la communication et condamner la Commission aux dépens du pourvoi et de la procédure de première instance.

24.

Par leur premier moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la portée et du sens de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE. Par leur deuxième moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur en s’abstenant de constater que les conclusions juridiques et politiques ne sont pas énoncées séparément dans la communication, comme l’exige le règlement ICE. Par leur troisième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal n’a pas apprécié la communication en se plaçant au bon niveau d’examen, au motif qu’il a appliqué un critère de contrôle limité, à savoir celui de l’erreur manifeste. Par leur quatrième moyen, les requérants font valoir que, quand même le niveau de contrôle appliqué serait correct, le Tribunal aurait commis une erreur en ne jugeant pas que les raisons fournies dans la communication étaient entachées d’erreurs manifestes. Enfin, par leur cinquième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de qualification quant à l’objectif de l’ICE en cause, en déclarant que celle‑ci n’avait pas pour objet la protection de l’embryon en tant qu’être humain.

25.

La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour rejeter le présent pourvoi et condamner les requérants aux dépens.

26.

Les parties ont présenté leur point de vue lors de l’audience devant la Cour qui s’est tenue le 25 mars 2019.

V. Analyse

27.

Les présentes conclusions traiteront chacun des cinq moyens du pourvoi dans l’ordre dans lequel les ont présentés les requérants. Premièrement, j’interpréterai le champ d’application et la portée de l’article 11, paragraphe 4, TUE et des dispositions pertinentes du règlement ICE (section A). Deuxièmement, j’examinerai l’obligation de la Commission d’établir des conclusions juridiques et politiques « séparément » (section B). Troisièmement, j’aborderai la question du niveau de contrôle juridictionnel appliquée par le Tribunal (section C). Quatrièmement, je traiterai de l’existence de prétendues erreurs manifestes d’appréciation dans la communication de la Commission (section D). Enfin, je terminerai en examinant brièvement le moyen relatif à la qualification erronée de l’objectif de la présente ICE (section E).

A.   Le premier moyen : l’interprétation de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE

28.

Par leur premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant, aux points 118 et 125 de l’arrêt attaqué, leurs premier et deuxième moyens d’annulation concernant la portée et le sens de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE. Par les premier et deuxième moyens d’annulation, les requérants avaient fait valoir devant le Tribunal que, en ne présentant pas de proposition d’acte juridique en réponse à l’ICE en cause, la communication violait l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE et, à titre subsidiaire, l’article 11, paragraphe 4, TUE. Selon les requérants, en dehors de trois situations exceptionnelles, qui n’étaient pas constituées en l’espèce, une décision de la Commission consistant à ne rien faire viole l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE ( 16 ).

29.

Les requérants avancent plusieurs arguments à l’appui de leur premier moyen. En premier lieu, ils font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en déclarant, au point 111 de l’arrêt attaqué, que le « quasi-monopole » d’initiative législative que les traités confèrent à la Commission « n’est pas affecté par le droit [...] d’un nombre minimal de citoyens, sous certaines conditions, d’“inviter” la Commission à soumettre une proposition appropriée ». Les requérants font valoir que l’arrêt attaqué ne tient pas compte des caractéristiques uniques de l’ICE en cause. Ce manquement est illustré par le point 113 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal a déclaré que « [l]’intention du pouvoir constituant de l’Union de ne pas conférer un pouvoir d’initiative législative au mécanisme de l’ICE [en cause] trouve confirmation dans le considérant 1 du règlement no 211/2011, qui assimile, en substance, le droit conféré à l’ICE [en cause] à celui conféré au Parlement, en vertu de l’article 225 TFUE, et au Conseil, en vertu de l’article 241 TFUE. Or, une demande émanant du Parlement ou du Conseil ne contraint pas la Commission à soumettre une proposition d’acte juridique ».

30.

En deuxième lieu, selon les requérants, l’article 17, paragraphe 2, TUE, en vertu duquel « un acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission », ne signifie pas que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation illimité en ce qui concerne l’adoption d’une proposition relative à une ICE réussie. Les requérants soutiennent que le pouvoir d’appréciation dont jouit la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’initiative législative doit être utilisé pour promouvoir les objectifs d’une ICE réussie. Par analogie avec l’arrêt rendu dans l’affaire Conseil/Commission ( 17 ), les requérants soutiennent qu’une décision de la Commission de ne pas engager de procédure législative dans le cas d’une ICE réussie doit être fondée sur des motifs qui « doivent être étayés par des éléments convaincants » et qui ne sont pas contraires à l’objectif de l’ICE. Selon les requérants, le seul moyen de contrôler l’exercice du pouvoir d’appréciation est de créer un critère de justification par référence aux politiques générales et aux objectifs publics, et que l’arrêt attaqué n’a pas examiné et déterminé les objectifs de politique publique de l’ICE en cause ni les relations entre le titre III TUE et l’article 24 TFUE, comme le permet le règlement ICE.

31.

En troisième lieu, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 124 de l’arrêt attaqué, en déclarant que l’objectif du mécanisme ICE est d’inviter la Commission à présenter une proposition d’acte. Selon les requérants, toute personne peut à tout moment inviter la Commission à prendre toute mesure proposée, sans que cela soit subordonné à la collecte d’un million de signatures vérifiées. Ils affirment qu’une ICE signée par un million de citoyens dans le cadre d’une procédure formelle lourde et coûteuse doit bénéficier d’un statut distinct de toute invitation émanant d’une seule personne ou de lobbyistes ou de pétitionnaires. Les requérants font valoir que l’objectif de l’ICE est de combler le déficit démocratique de l’Union. Les coûts à supporter et les difficultés rencontrées dans l’organisation d’une ICE signifient, selon eux, que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’attribuant pas à l’ICE en cause un statut significativement plus élevé que celui d’une simple invitation. Les requérants font notamment valoir qu’après avoir obtenu près de deux millions de signatures, ils ne se sont vu accorder qu’une rencontre glaciale de deux heures avec un commissaire européen et une audience devant le Parlement, au cours de laquelle les députés européens présents ont accaparé la majeure partie du temps de parole et leur ont fait la leçon au lieu de les écouter. Selon les requérants, tel ne saurait être l’objectif que les législateurs entendaient conférer à l’ICE. Ils estiment que l’arrêt attaqué la tourne en fausse promesse.

32.

Dans les points suivants, j’expliquerai les raisons pour lesquelles j’estime que le premier moyen est fondé sur une interprétation erronée de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE. Les propositions des requérants à cet égard ne sont étayées ni par le libellé et la genèse des dispositions pertinentes (1), ni par un examen systématique et contextuel du mécanisme de l’ICE dans le cadre du processus décisionnel interinstitutionnel (2), ni par les buts et objectifs (correctement définis) de l’ICE (3). Le premier moyen doit donc être rejeté comme étant non fondé.

1. Le libellé et la genèse de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE

33.

Les requérants contestent la qualification du mécanisme de l’ICE que retient le Tribunal au point 124 de l’arrêt attaqué, qui y voit une « invitation » faite à la Commission de présenter une proposition d’acte. Le Tribunal y a déclaré que l’objectif du mécanisme de l’ICE était « d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition d’acte ».

34.

Toutefois, sur un plan purement textuel, cette déclaration reflète fidèlement le libellé de la définition constitutionnelle de l’ICE dans le droit primaire de l’Union. Conformément à l’article 11, paragraphe 4, TUE, un groupe de citoyens d’un million de personnes au moins peut prendre l’initiative d’inviter la Commission à soumettre une proposition appropriée.

35.

Ainsi, l’expression « l’initiative d’inviter », figurant à l’article 11, paragraphe 4, TUE, ne fait clairement référence à aucune « obligation de soumettre ». Il en va pareillement des autres versions linguistiques. Même si certaines d’entre elles utilisent des formulations plus impératives, avec l’idée de « demander » ou d’« inciter », on ne saurait, au sens naturel des mots, les comprendre comme une injonction donnée à la Commission ( 18 ).

36.

Certes, le contexte d’une disposition est important. Il en va tout particulièrement ainsi lorsque le libellé est peu clair ou que la formulation est ambiguë, étant entendu que, selon le contexte, une « invitation » pourrait revêtir toute signification, depuis une suggestion purement facultative, présentée en vue d’informer le destinataire de la communication, jusqu’à une injonction cachée, quoique assez claire sur le plan pratique ( 19 ).

37.

Ce type d’analyse en fonction du contexte n’a cependant guère de pertinence en l’espèce. Premièrement, sauf à permettre au contexte et à la finalité de l’emporter sur le sens naturel des mots, une « invitation » est facultative ; c’est on « peut » et non l’on « doit ». Elle ouvre une possibilité ou une faculté, mais n’impose pas d’obligation d’agir. Deuxièmement, il n’y a en tout état de cause, dans la présente affaire, aucune dichotomie entre le texte, d’une part, et le contexte et la finalité, d’autre part. Le contexte et l’objet des dispositions pertinentes, tant dans le droit primaire que dans le droit dérivé, confirment, plutôt qu’ils ne contredisent, le fait que l’ICE, conçue comme une « initiative d’inviter », ne saurait être interprétée comme comportant une injonction qui imposerait à la Commission une obligation de suivre une telle invitation.

38.

La genèse de l’article 11, paragraphe 4, TUE confirme cette interprétation. L’origine de cette disposition remonte à l’article 46, paragraphe 4, du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ( 20 ). La ratio legis de cette disposition ne ressort pas clairement des travaux préparatoires, car l’ICE n’a pas été discutée dans le cadre des groupes de travail spécifiques de la Convention sur l’avenir de l’Europe. Il est entré dans les discussions à un stade ultérieur d’une manière assez singulière ( 21 ).

39.

Toutefois, d’après les éléments de preuve documentaires disponibles, il apparaît que, à la différence d’autres amendements qui concernaient les instruments de démocratie directe et qui visaient à imposer des obligations claires pesant sur la Commission ( 22 ), l’amendement qui est finalement devenu l’article 46, paragraphe 4, du projet de traité constitutionnel a été conçu comme un mécanisme permettant de présenter des initiatives à la Commission, mais sans imposer aucune obligation à la Commission de les suivre ( 23 ).

40.

L’articulation législative qui a ensuite été donnée à l’ICE, qui, par application de l’article 24 TFUE, a pris la forme du règlement ICE, reste conforme à cette approche. L’article 2, paragraphe 1, du règlement ICE définit l’« initiative citoyenne » comme « une initiative [...] invitant la Commission à soumettre [...] une proposition appropriée ». En ce sens, l’article 10, paragraphe 1, sous c), prévoit que, en réponse à une ICE réussie, la Commission est tenue de présenter, au moyen d’une communication, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action. C’est ce que clarifie encore davantage la phrase qui a été introduite dans le considérant 20 à la suite d’un amendement du Parlement ( 24 ), selon lequel la Commission doit exposer « les raisons pour lesquelles elle n’entend prendre aucune mesure ».

41.

En outre, les travaux préparatoires du règlement ICE précisent explicitement que celui‑ci se fonde sur un modèle qui ne donne pas un caractère contraignant aux ICE réussies et préserve le « quasi-monopole » d’initiative législative de la Commission ( 25 ). Le rapport du Parlement peut être cité à titre de confirmation particulièrement pertinente de cette proposition. Les rapporteurs ont souligné que, « [a]fin d’éviter toute déception et frustration (qui pourraient découler directement des grandes attentes que suscite l’initiative citoyenne européenne), vos rapporteurs souhaitent également souligner que toutes les initiatives retenues n’aboutiront pas à une proposition législative de la Commission. En effet, la Commission conserve son monopole d’initiative en matière législative et c’est elle qui, au bout du compte, décidera de la suite à donner aux initiatives citoyennes couronnées de succès» ( 26 ).

42.

En résumé, le libellé des dispositions pertinentes, tant dans le droit primaire que dans le droit dérivé, ainsi que la genèse de ces dispositions, indiquent clairement que l’ICE n’a été ni conçue ni rédigée de manière à imposer à la Commission une obligation d’adopter la proposition demandée. Il en va de même du contexte systémique et institutionnel dans lequel s’inscrit l’ICE, que je vais maintenant examiner.

2. Le contexte systémique et institutionnel de l’ICE

43.

Le fait qu’une ICE réussie ne lie pas la Commission est également attesté par deux types d’arguments systémiques : premièrement, ceux qui se limitent au système de l’ICE tel qu’établi par le règlement ICE et, deuxièmement, ceux qui concernent le système plus large du droit primaire, en reflétant l’intégration adéquate de l’ICE dans le contexte du processus décisionnel interinstitutionnel.

44.

En ce qui concerne le système du règlement ICE, la conception législative de l’ICE repose sur le caractère non contraignant, à l’égard de la Commission, d’une ICE réussie. Premièrement, la simple existence de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, qui dispose que la Commission a l’obligation de prendre position, mais pas nécessairement celle de suivre la ou les propositions faites par une ICE, en constitue en soi une indication assez claire. Deuxièmement, le caractère non contraignant d’une ICE réussie est également à la base de la relation structurelle entre cette disposition et l’article 4 du règlement ICE. En effet, si une ICE réussie avait un caractère contraignant, on peut se demander si le législateur aurait été aussi ouvert en ce qui concerne les conditions d’enregistrement qui figurent actuellement à l’article 4, paragraphe 2, du règlement ICE. Cet article impose à la Commission l’obligation d’enregistrer une ICE à moins qu’il n’existe des raisons « manifestes » de ne pas le faire, ce qui pourrait être considéré comme une sorte d’approche selon laquelle « le doute profite à l’enregistrement» ( 27 ).

45.

En ce qui concerne la question plus large de l’intégration de l’ICE dans le système de droit primaire de l’Union, le Tribunal a procédé à cette analyse systématique aux points 107 à 113 de l’arrêt attaqué. Les requérants contestent pour l’essentiel les conclusions du point 111 de cet arrêt, selon lesquelles le « quasi-monopole » d’initiative législative de la Commission n’est pas affecté par l’ICE. De l’avis des requérants, une ICE réussie a une incidence sur le pouvoir d’initiative de la Commission. Ils estiment que la Commission ne peut utiliser son pouvoir d’appréciation que pour promouvoir les objectifs de l’ICE et qu’il ne lui est permis de refuser de suivre les propositions de l’ICE que si ce refus est justifié par des preuves ou des arguments convaincants, qui ne sont pas contraires à l’objectif de l’ICE. À l’appui de cette approche, les requérants renvoient par analogie à l’arrêt Conseil/Commission ( 28 ).

46.

Tout d’abord, lorsqu’il s’agit d’examiner et, finalement, de rejeter ces arguments, il faut commencer par le pouvoir d’initiative de la Commission. Ce pouvoir, conféré à la Commission en vertu de l’article 17, paragraphe 2, TUE et de l’article 289 TFUE, est une expression du principe de l’équilibre institutionnel ( 29 ). Cet équilibre institutionnel est spécifique et propre à l’Union. Le « quasi-monopole » du pouvoir d’initiative de la Commission, qui marque une différence importante entre le processus législatif de l’Union et celui des États nationaux, est ancré dans la spécificité de l’architecture institutionnelle de l’Union, en tant que composé d’États et de peuples, et constitue une composante essentielle de la « méthode communautaire» ( 30 ). Ce « quasi-monopole » a été expliqué, historiquement, par la nécessité de conférer le pouvoir d’initiative à une autorité indépendante capable d’identifier l’intérêt général européen et de ne pas succomber à des agendas nationaux ou à des groupes politiques divisés à l’image des débats politiques nationaux ; par le poids inégal des différents États membres au Parlement ; ou par la nécessité de compter sur les moyens techniques d’une administration spécialisée supranationale (et plurinationale) dotée de moyens appropriés ( 31 ).

47.

Sans vouloir entrer dans une quelconque évaluation du point de savoir si de telles raisons sont (toujours) ou non appropriées, ce qui importe, à mon avis (juridique), est que, sur le plan du droit positif, il est clair que la Commission a été investie, à quelques exceptions près, du pouvoir d’initiative. Le Parlement et le Conseil agissent traditionnellement en tant que « colégislateurs », mais n’ont, au stade de l’« ouverture » de la procédure législative, que le pouvoir de demander à la Commission de présenter toute proposition appropriée, conformément aux articles 225 et 241 TFUE, respectivement.

48.

Du point de vue de sa portée matérielle, le pouvoir d’initiative de la Commission, tel qu’interprété par la jurisprudence, comprend le pouvoir de présenter ou non une proposition d’acte législatif, ainsi que d’en déterminer l’objet, l’objectif et le contenu, conformément à l’obligation qui lui incombe de promouvoir l’intérêt général, visée à l’article 17, paragraphe 1, TUE ( 32 ). Il est vrai que la jurisprudence envisage la possibilité que la Commission soit obligée, en vertu du droit de l’Union, de soumettre une proposition dans des circonstances spécifiques ( 33 ). Toutefois, comme la Commission l’a souligné à juste titre dans ses observations écrites, cette exception concerne des cas où les traités obligent les institutions à faire usage de leurs pouvoirs pour légiférer ( 34 ). En effet, on ne saurait en principe exclure qu’une ICE concerne un domaine dans lequel il existe une obligation d’adopter une proposition afin de satisfaire au mandat conféré par les traités. Toutefois, dans un tel cas de figure, ce serait ce mandat qui fonderait en définitive l’obligation d’agir, et non le fait que l’initiative d’adopter une telle proposition émane d’une ICE réussie.

49.

Ces caractéristiques essentielles du pouvoir d’initiative, qui comprennent le choix de présenter une proposition, et de définir son objectif et son contenu, sont des éléments fondamentaux du système décisionnel de l’Union. Ils constituent le fondement de l’indépendance de la Commission et du mandat qui lui est conféré de poursuivre l’intérêt général de l’Union.

50.

L’interprétation préconisée par les requérants serait en conflit avec le mandat de la Commission, consacré à l’article 17, paragraphe 1, TUE, de promouvoir l’intérêt général de l’Union et de prendre toute initiative appropriée à cette fin. Elle emporterait également une dérogation à l’obligation générale de la Commission d’agir en toute indépendance dans l’exercice de son pouvoir d’initiative, conformément à l’article 17, paragraphe 3, TUE. Ces deux dispositions définissent la manière dont la Commission doit exercer son pouvoir d’initiative ( 35 ).

51.

En effet, si une ICE ayant reçu le soutien de plus d’un million de citoyens la contraignait à présenter une initiative, la Commission se verrait effectivement contrainte de suivre les instructions d’un ensemble de citoyens européens (qui peuvent être potentiellement nombreux, mais dont l’effectif total reste probablement assez limité). Une telle contrainte aurait non seulement pour effet de la placer en contradiction avec le mandat qui lui est donné à l’article 17, paragraphe 3, TUE d’agir en toute indépendance, mais aussi de l’empêcher de procéder en toute impartialité à sa propre appréciation dans le respect de l’intérêt général, conformément à l’article 17, paragraphe 1, TUE. Il est constant que cette dernière obligation lui impose également de prendre en compte des éléments objectifs et des évaluations complexes de nature technique, ainsi que l’intérêt et les contributions d’autres citoyens et parties intéressées, qui peuvent exprimer leur point de vue sur les options politiques envisagées par des initiatives futures dans le cadre de l’exercice de leurs droits démocratiques ( 36 ).

52.

Le pouvoir d’initiative conféré à la Commission comporte la possibilité d’engager des consultations préalables et de recueillir toutes les informations nécessaires ( 37 ), ce qui pourrait l’amener à tenir compte des intérêts et informations militant en faveur de choix différents de ceux correspondant aux objectifs poursuivis par telle ICE réussie. La multiplicité des acteurs et considérations qui sont susceptibles d’influer sur le processus décisionnel de l’Union dans le cadre de la rédaction de propositions ne saurait être réduite et bornée à l’ICE, qui n’est pas l’unique mécanisme démocratique permettant la participation des citoyens, ainsi qu’il ressort de l’article 11 TUE. En effet, cet article ne prévoit pas seulement l’ICE, il donne aussi mandat aux institutions de permettre aux citoyens et aux associations représentatives de faire connaître leurs opinions (article 11, paragraphe 1, TUE) et d’entretenir un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile (article 11, paragraphe 2, TUE), et mandat à la Commission de procéder à de larges consultations afin d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union (article 11, paragraphe 3, TUE).

53.

Il convient de souligner que l’on ne saurait déduire ni de l’article 11, paragraphe 4, TUE, ni du règlement ICE que la Commission est tenue de promouvoir les objectifs d’une ICE réussie. Compte tenu des particularités du système institutionnel et décisionnel de l’Union et du cadre constitutionnel actuel, cela entraverait la capacité de la Commission à exercer de manière cohérente son pouvoir d’initiative dans le cadre de son programme législatif. En effet, dans l’hypothèse où la Commission serait tenue de poursuivre toute ICE couronnée de succès, l’on ne pourrait exclure la survenance de situations quelque peu erratiques, dans lesquelles elle serait obligée de soumettre des propositions contradictoires découlant d’ICE défendant des opinions opposées, divergentes ou se chevauchant ( 38 ).

54.

En outre, on ne peut que s’interroger sur la manière dont de telles modalités, quoique possibles en principe, fonctionneraient en pratique. Lors de l’audience, les requérants ont fait valoir que, malgré son opposition (politique potentielle) à une ICE réussie, la Commission doit rédiger la proposition correspondante et la soumettre au débat parlementaire. La Commission serait-elle alors obligée de rédiger une proposition pour chaque ICE réussie, y compris celles dont les sujets se chevauchent mais dont le contenu diverge ? Serait-elle tenue non seulement de présenter une proposition, mais aussi d’adopter une approche spécifique et d’inclure tous les éléments de l’ICE ? Se verrait‑elle transformée en une sorte de « secrétariat de l’ICE » ? Comment et selon quels critères la « conformité » d’une proposition de la Commission avec le mandat de l’ICE serait-elle évaluée, étant donné que le mandat est susceptible d’être établi à un niveau relativement élevé d’abstraction, en tant que politique débouchant sur un éventail de choix législatifs supplémentaires ?

55.

Par ailleurs, le Parlement et le Conseil disposent, conformément aux articles 225 et 241 TFUE, respectivement, du pouvoir de demander à la Commission de présenter toute proposition appropriée et, si elle s’y refuse, de lui imposer l’obligation d’en communiquer les raisons. Il est vrai que l’expression « peuvent prendre l’initiative d’inviter » figurant à l’article 11, paragraphe 4, TUE diffère du terme « demander » utilisé aux articles 225 et 241 TFUE. Toutefois, malgré l’absence de formulation identique et la marge d’interprétation qui en résulte, le règlement ICE exprime, dans son considérant 1, l’intention du législateur de placer l’ICE sur un pied d’égalité avec le Conseil et le Parlement, en conférant aux citoyens européens un droit analogue à celui qui leur est accordé.

56.

L’interprétation suggérée par les requérants romprait cet équilibre. Cela signifierait qu’une ICE soutenue par un groupe de plus d’un million de citoyens obtiendrait un pouvoir d’initiative supérieur à celui du Parlement élu démocratiquement au suffrage direct et à celui du Conseil, qui bénéficie d’une légitimité démocratique, quoique indirecte. Concrètement, une fraction (agissante) des citoyens européens se verrait accorder plus de poids que les deux institutions européennes qui sont directement et indirectement légitimées par tous les citoyens européens (potentiellement).

57.

À ce stade, une précision s’impose quant à l’étendue de la similitude entre les droits d’initiative du Parlement et du Conseil, d’une part, et ceux de l’ICE, d’autre part. Dans une ordonnance du vice-président de la Cour concernant une demande d’intervention dans une affaire entre un État membre et la Commission, présentée par le comité des citoyens d’une ICE, il a été jugé qu’une proposition d’ICE ne saurait être assimilée aux propositions visant à l’adoption d’actes juridiques des institutions de l’Union, qui font l’objet de dispositions d’ordre général relatives aux institutions de l’Union relevant du chapitre 1 du titre I de la sixième partie du traité FUE, et qui obéissent, aux fins de leur adoption, aux règles de la procédure législative ordinaire prévues au chapitre 2 de ce titre I ( 39 ).

58.

Cette déclaration doit être lue et replacée dans son contexte approprié. Elle concernait l’interprétation de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle les personnes physiques ou morales ne peuvent pas intervenir dans les affaires entre des États membres et des institutions de l’Union. L’absence de similitude entre les droits procéduraux dont jouissent une ICE et les institutions de l’Union dans les affaires de nature « constitutionnelle » portées devant les juridictions de l’Union est très différente de la fonction constitutionnelle générale et systémique de leurs droits d’initiative respectifs. En d’autres termes, le fait que, par l’application de dispositions spécifiques du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, différents types d’entités se voient appliquer des règles différentes en matière de qualité pour agir et d’intervention ne saurait guère être transformé en une déclaration constitutionnelle générale quant à l’absence de comparabilité de leurs droits d’initiative en tant que tels.

59.

Enfin, à l’appui de leurs arguments, les requérants renvoient également, par analogie, à l’arrêt dans l’affaire Conseil/Commission ( 40 ). Elles font valoir que l’échec du lancement d’une proposition législative après une ICE réussie ne peut être justifié que par des preuves ou des arguments convaincants, qui ne sont pas contraires à l’objectif de l’ICE.

60.

Dans l’affaire Conseil/Commission, la Cour a déclaré que le pouvoir de la Commission de retirer une proposition déjà présentée et formellement introduite dans le processus législatif ne saurait « investir cette institution d’un droit de véto dans le déroulement du processus législatif, qui serait contraire aux principes d’attribution de compétences et de l’équilibre institutionnel ». La Cour a également ajouté que « si la Commission, après avoir présenté une proposition dans le cadre de la procédure législative ordinaire, décide de retirer cette proposition, elle doit exposer au Parlement et au Conseil les motifs de ce retrait, lesquels, en cas de contestation, doivent être étayés par des éléments convaincants» ( 41 ).

61.

Ainsi les faits de l’affaire Conseil/Commission (C‑409/13) concernaient-ils une situation dans laquelle la Commission entendait retirer une proposition législative après avoir elle‑même lancé le processus décisionnel. Je ne vois nullement comment l’on pourrait établir une analogie entre cette affaire et la présente espèce, qui concerne une question différente et des acteurs différents. La position de la Commission sur une ICE réussie, qui précède l’adoption par celle‑ci d’une proposition et le début du processus législatif, concerne, de façon tout à fait logique, une situation différente de celle dans laquelle la Commission elle‑même a déjà adopté une proposition et déclenché la procédure décisionnelle dans d’autres institutions.

62.

Ces considérations confirment, à mon avis, que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a déclaré, au point 124 de l’arrêt attaqué, que le mécanisme de l’ICE avait pour objectif d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition d’acte, tout en permettant à la Commission de disposer d’un important pouvoir d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’initiative législative. Le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur en constatant, au point 111 de l’arrêt attaqué, que le droit d’initiative législative de la Commission n’était pas affecté par l’introduction de l’ICE.

3. Le but et l’objet de l’ICE en cause

63.

Les requérants font également valoir que les motifs du Tribunal dans l’arrêt attaqué aboutiraient à ce que l’ICE en cause reste lettre morte et sans valeur ajoutée. Les requérants font en effet observer que, si leur interprétation de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE n’est pas validée (en d’autres termes, s’il est confirmé que, sauf circonstances exceptionnelles, une ICE réussie n’impose pas à la Commission l’obligation de présenter une proposition d’acte juridique), le mécanisme de l’ICE serait privé de tout effet utile.

64.

À supposer que cet argument ne soit pas une simple extension de celui que les requérants ont précédemment soutenu et qu’il serait juste reformulé à un plus haut niveau d’abstraction, on ne le jugera pas pour autant plus convaincant, et ce pour une raison assez simple : nul n’a jamais prétendu qu’un objectif tel que celui allégué par les requérants existait. Ce qui serait prétendument compromis, c’est en réalité le but que les requérants voudraient voir poursuivre par l’ICE en cause, et non celui que l’ICE en cause s’est vu objectivement assigner lors de son établissement. Pour le dire franchement, c’est une sorte de déviation finaliste que l’on suggère en prétendant que l’effet utile d’un lapin se trouverait diminué dès lors qu’on n’y verrait pas un pigeon. Mais sauf à recourir à des moyens magiques particulièrement avancés et à persuader avec succès le public que le but et la finalité de l’observation d’un lapin est de voir un pigeon, un lapin reste un lapin.

65.

L’objectif que le législateur (de l’époque) avait à l’esprit en introduisant l’ICE a déjà été exposé ci‑dessus ( 42 ). Quand même l’on admettrait la possibilité, pour des textes constitutionnels et de droit dérivé relativement récents, de substituer à la volonté initiale du législateur une volonté contemporaine (différente et nouvelle), je n’en verrais pas plus les raisons pour lesquelles l’objectif de l’ICE devrait aujourd’hui différer en quelque élément que ce soit.

66.

Pour évaluer la finalité de l’ICE, il est important de s’attacher à ses objectifs plus larges, tels qu’ils ressortent du système de droit primaire actuellement en vigueur.

67.

L’introduction de l’ICE dans le traité de Lisbonne a été motivée par les débats sur la convention sur l’avenir de l’Europe et s’inscrit dans une tentative plus large d’inscrire le principe démocratique, valeur fondatrice aux termes de l’article 2 TUE, au cœur du système institutionnel européen. Le titre II du TUE, qui précède les dispositions spécifiques relatives aux institutions de l’Union couvertes par le titre III du TUE, est consacré aux « dispositions relatives aux principes démocratiques », parmi lesquelles figure l’article 11, paragraphe 4, TUE, pierre angulaire de l’ICE.

68.

Dans ce cadre général, l’article 11, paragraphe 4, TUE fait partie du système démocratique plus large de l’Union, dont il constitue un élément important. Conformément à l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de la démocratie représentative, les citoyens étant directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement, conformément à l’article 10, paragraphe 2, TUE.

69.

L’article 10, paragraphe 3, TUE, ainsi que l’article 11, qui consacre l’ICE, viennent ensuite compléter et renforcer, dans le droit primaire, cette vision de la démocratie représentative en ouvrant des voies de démocratie participative et délibérative. En particulier, comme la jurisprudence l’a déjà indiqué, l’ICE constitue un instrument de démocratie participative lié au droit de participer à la vie démocratique de l’Union, qui est reconnu à l’article 10, paragraphe 3, TUE ( 43 ).

70.

Dans le même ordre d’idées, dans le droit dérivé, et comme l’indiquent ses considérants 1 et 2, l’objectif du règlement ICE est d’encourager la participation des citoyens et de rendre l’Union plus accessible à ses citoyens ( 44 ).

71.

Toutefois, l’objectif de l’ICE de favoriser la participation des citoyens au processus démocratique et de promouvoir le dialogue entre les citoyens et les institutions de l’Union ne s’écarte pas des éléments préexistants qui constituent l’équilibre institutionnel du processus législatif, ni n’emporte l’abandon du monopole législatif de la Commission. Renforcer ou encourager la participation au sein des structures démocratiques existantes n’est pas la même chose que contourner ou remplacer ces structures.

72.

Il apparaît donc que l’objectif réel du mécanisme de l’ICE est assez différent de celui suggéré par les requérants. Ce n’est qu’après avoir déterminé le bon cadre constitutionnel et institutionnel que la « valeur ajoutée » et/ou l’« effet utile » de l’ICE peuvent être correctement appréciés.

73.

Si on l’évalue à sa juste valeur, le mécanisme de l’ICE est très loin de n’avoir aucune incidence. Conformément au mandat prévu à l’article 24 TFUE, le règlement ICE énonce le droit de plus d’un million de citoyens d’inviter la Commission à adopter une proposition d’acte juridique au moyen d’une série de dispositions qui comportent des obligations concrètes et détaillées, notamment à la charge de la Commission, qui vont au-delà de toutes les possibilités préexistantes d’interaction entre les citoyens et les institutions européennes. Ainsi la valeur ajoutée de l’ICE est-elle présente à au moins quatre niveaux distincts : premièrement, la promotion du débat public ; deuxièmement, l’amélioration de la visibilité de certains sujets ou préoccupations ; troisièmement, l’accès privilégié aux institutions de l’Union, permettant à ces préoccupations d’être présentées de manière solide, et, quatrièmement, le droit à une réponse institutionnelle raisonnée facilitant le contrôle public et politique.

74.

Premièrement, l’ICE met en place une voie permanente et officielle permettant aux citoyens de s’organiser autour d’une question particulière. Elle leur offre une plateforme qui leur permet de lancer et de rendre publique une initiative, et d’obtenir le soutien d’autres citoyens des différents États membres en faveur de cette initiative. Elle tient ainsi lieu de véhicule permettant de rassembler des questions d’intérêt commun entre des citoyens par-delà les frontières des États membres, tout en favorisant le renforcement de l’espace public de l’Union. Deuxièmement, le règlement ICE garantit également la transparence et la visibilité d’une ICE réussie, en ordonnant qu’elle soit publiée sans tarder dans le registre, conformément à son article 10, paragraphe 1, sous a). Troisièmement, l’ICE donne accès à l’institution chargée d’engager le processus législatif, c’est‑à‑dire à la Commission. L’article 10, paragraphe 1, sous b), du règlement ICE dispose que, lorsque la Commission reçoit une initiative citoyenne conformément à l’article 9 dudit règlement, elle est tenue de recevoir les organisateurs à « un niveau approprié » afin de leur permettre d’exposer dans le détail l’ICE. Conformément à l’article 11 du règlement ICE, les organisateurs d’une ICE ont la possibilité de la présenter lors d’une audition publique au Parlement. Quatrièmement, l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE impose à la Commission l’obligation de présenter, au moyen d’une communication, ses conclusions juridiques et politiques sur l’ICE, l’action qu’elle envisage d’entreprendre (le cas échéant) et les raisons qui justifient sa position. Conformément à l’article 10, paragraphe 2, du règlement ICE, cette communication est notifiée aux organisateurs ainsi qu’au Parlement et au Conseil, et elle est rendue publique.

75.

Les requérants soutiennent toutefois que l’ICE devrait donner lieu à un débat (direct) dans le cadre de la procédure législative et, en particulier, devant l’institution dotée d’une légitimité démocratique, le Parlement.

76.

J’ai déjà expliqué en détail pourquoi, sur le plan de sa structure constitutionnelle et institutionnelle, l’ICE a été créée non pas comme un moyen de contourner le processus législatif existant, mais comme un outil pour alimenter ce processus ( 45 ). Dans cette perspective, l’ICE crée un mécanisme institutionnel visant à canaliser la contribution politique des citoyens vers les institutions, qui sont et restent responsables du processus législatif, y compris de son lancement.

77.

L’argument des requérants concernant l’accès direct à l’institution jouissant d’une légitimité démocratique, à savoir le Parlement, et le dialogue direct avec celle‑ci (l’absence d’accès et de dialogue directs), est quelque peu surprenant. Il convient de souligner de nouveau que la configuration législative de l’ICE permet aux membres du comité des citoyens d’une ICE réussie d’avoir un accès direct au Parlement. Conformément à l’article 11 du règlement ICE, ces derniers ont la possibilité de présenter leur initiative devant le Parlement. Cet élément spécifique de la procédure a été institué par un amendement du Parlement lui‑même lors des négociations sur le règlement ICE ( 46 ). La discussion d’une ICE au Parlement permet à un groupe de citoyens de renforcer la prise de conscience devant cette institution sur des questions qui les intéressent, ce qui ouvre également la possibilité que leur initiative soit reprise par le Parlement ou certains de ses membres. Le Parlement peut épouser les objectifs d’une ICE et les encourager en exerçant son propre pouvoir de demander une initiative, si la majorité parlementaire requise est obtenue ( 47 ).

78.

Ainsi, la valeur ajoutée particulière de l’ICE réside non pas nécessairement dans la certitude de son issue, mais dans les possibilités et opportunités qu’elle crée. Elle offre aux citoyens la faculté de participer, tant en présentant leur initiative à la Commission que lors de l’audition organisée au Parlement, en déclenchant ainsi un débat politique dans les institutions sans devoir attendre le lancement d’une procédure législative ( 48 ). Par conséquent, le succès d’une ICE se mesure non seulement à sa transformation en proposition formelle, mais aussi au débat démocratique qu’elle suscite ( 49 ).

79.

Enfin, à titre de remarque incidente d’ordre comparatif, on pourrait ajouter que l’absence d’effets contraignants d’une ICE sur l’institution destinataire n’est pas exceptionnelle. Elle s’inscrit parfaitement dans le modèle des initiatives visant à « définir les priorités », qui diffèrent des systèmes d’« initiative populaire directe », où la proposition est soumise directement à référendum auprès de l’électorat ( 50 ). Comme on l’a déjà indiqué ci‑dessus ( 51 ), la conception institutionnelle de l’ICE a toujours fait partie de la première catégorie, et non de la seconde. En effet, tandis que les initiatives nationales visant à définir les priorités peuvent donner accès aux parlements nationaux en leur qualité d’institutions nationales ayant le droit d’initiative, dans le cadre du système sui generis de l’Union, l’ICE est, de manière analogue, adressée à l’institution qui, comme indiqué ci‑dessus, est investie du pouvoir d’initiative.

80.

Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’ICE est bien plus qu’un simple clin d’œil symbolique à la démocratie participative. Elle constitue un véhicule institutionnel visant à permettre l’émergence de questions politiques d’intérêt pour un groupe de citoyens. Elle contribue à cristalliser ces questions en tant que questions d’intérêt européen partagées entre différents États membres. Elle donne de la visibilité à des questions qui préoccupent les citoyens et qui ne figurent peut-être pas déjà à l’ordre du jour des institutions ou même à celui des groupes politiques représentés au Parlement. Elle permet un accès direct à l’institution qui, dans le système institutionnel sui generis particulier de l’Union, détient le pouvoir d’initiative législative. En outre, elle oblige cette institution – la Commission – à examiner et à évaluer sérieusement les propositions d’une ICE réussie, et à le faire publiquement et sous la surveillance du public. Elle garantit que son contenu sera examiné et débattu publiquement au Parlement démocratiquement élu. Toutes ces raisons soulignent que, bien que le système de l’ICE, tel qu’il est actuellement conçu en droit primaire et dérivé, n’oblige pas la Commission à présenter une proposition, il présente une valeur ajoutée indubitable en tant que mécanisme sui generis d’établissement des priorités.

81.

Les conclusions des requérants ne démontrent pas que l’interprétation de l’article 11, paragraphe 4, TUE et celle du règlement ICE retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué sont contraires à l’objectif (correctement défini) ou à l’effet utile du mécanisme de l’ICE.

82.

Les arguments avancés par les requérants révèlent plutôt un problème légèrement différent : après avoir utilisé avec succès le mécanisme de l’ICE et, par conséquent, s’être engagés auprès des institutions concernées, les requérants sont en fait en désaccord avec le résultat concret de leur expérience participative. Ils restent insatisfaits non seulement du choix politique de la Commission de ne pas présenter de proposition, mais aussi de la discussion qui a eu lieu lors de l’audition qui leur a été accordée au Parlement. Le dialogue avec la Commission (une réunion avec un membre de la Commission) est qualifié par les requérants ( 52 ) de glacial, tandis que les membres du Parlement se seraient montrés plus intéressés à leur faire la leçon qu’à les écouter. On peut laisser de côté, à ce stade, la question de savoir ce qu’impliquent de telles assertions au regard du respect de l’essence de la démocratie, c’est‑à‑dire quant à la possibilité d’avoir un désaccord sur un résultat politique individuel, tout en respectant le processus délibératif et ses institutions.

83.

Toutefois, toutes les considérations qui précèdent amènent à conclure que, selon une interprétation correcte de l’article 11, paragraphe 4, TUE et du règlement ICE, l’ICE est loin d’être une « lettre morte ». La lettre de ces instruments dit simplement quelque chose de différent de ce que les requérants aimeraient qu’elle dise.

84.

Une dernière remarque s’impose pour finir. L’analyse du premier moyen soulevé par les requérants m’a amené à définir, sur la base de son texte et de son contexte (historique et actuel), ainsi que de son objectif et de sa finalité, la place adéquate de l’ICE, telle qu’elle est actuellement conçue dans le processus législatif de l’Union. Quoique jetant une lumière positive sur certaines de ses caractéristiques nouvelles, les présentes conclusions ne suggèrent nullement que l’ICE soit un mécanisme parfait, qui apporte une solution miraculeuse aux lacunes supposées ou réelles de l’Union en termes de légitimité démocratique, dont la réduction de la distance supposée entre les citoyens et les institutions européennes. En effet, un certain nombre d’aspects de la conception institutionnelle actuelle de l’ICE ont été critiqués en doctrine (de façon plus ou moins constructive) ( 53 ). Son cadre législatif a également fait l’objet récemment de discussions institutionnelles ( 54 ) et d’un amendement ( 55 ). Ces débats sont logiquement liés à la discussion sur les changements potentiels du rôle de la Commission et du rôle de son pouvoir d’initiative à la demande d’autres institutions.

85.

Ainsi, dans le cadre des débats relatifs à l’éventuelle conception et définition institutionnelle future de l’ICE, un certain nombre d’autres options poursuivant les mêmes objectifs, voire des objectifs différents, pourraient être envisagées et même s’avérer meilleures. Toutefois, la présente affaire concerne le mécanisme de l’ICE dans la conception institutionnelle qu’a définie le TUE et qu’a développée plus avant le règlement ICE. Pour conclure sur la métaphore déjà introduite, c’est au législateur qu’il appartient de décider, s’il le souhaite, qu’il ne devra plus y avoir de lapin, mais bien un pigeon, voire un chat ou une baleine, d’ailleurs.

86.

Compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, j’estime que le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble comme étant non fondé.

B.   Deuxième moyen : distinction entre raisons juridiques et raisons politiques

87.

Par leur deuxième moyen, les requérants soutiennent que, tout en admettant que la Commission n’a pas fait de distinction dans la communication entre les raisons « juridiques » et « politiques », comme l’exige le considérant 20 du règlement ICE, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant, aux points 128 et 132 de l’arrêt attaqué, que le considérant 20 est sans pertinence. Les requérants font valoir que les considérants jouent un rôle dans l’interprétation des dispositions matérielles du droit de l’Union. Le considérant 20 interprète l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE et n’est pas incompatible avec cette disposition. La distinction entre conclusions juridiques et conclusions politiques est, en outre, importante pour permettre à la Cour de contrôler ces deux catégories.

88.

La Commission soutient que l’arrêt attaqué ne contient aucune erreur de droit et fait valoir, à titre subsidiaire, que la communication a bien exposé séparément ses conclusions juridiques et politiques.

89.

Au point 128 de l’arrêt attaqué, le Tribunal relève que, selon une jurisprudence bien établie, le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé ( 56 ).

90.

Sur la base de cette jurisprudence, le Tribunal a estimé, aux points 129 et 130 de son arrêt, que, comme l’obligation de présenter des conclusions juridiques et politiques séparées, mentionnée dans le considérant 20 du règlement ICE, n’est pas réitérée dans le corps de l’article 10, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, la Commission n’est pas assujettie à une telle obligation lors de la rédaction de la communication prévue à cette disposition. Le Tribunal a par la suite ajouté au point 131 de l’arrêt attaqué que, en tout état de cause, à supposer que la Commission soit tenue juridiquement de présenter séparément les conclusions juridiques et politiques, cette obligation étant de pure forme, sa violation ne saurait conduire à l’annulation de la communication.

91.

Selon moi, les motifs du Tribunal concernant l’application en l’espèce de la jurisprudence relative au rôle des considérants dans l’interprétation des actes juridiques de l’Union sont en effet entachés d’une erreur de droit. Toutefois, cette erreur n’a pas d’incidence sur le dispositif de l’arrêt, qui peut être correctement maintenu sur la base des motifs juridiques supplémentaires exposés dans le raisonnement du Tribunal.

92.

Il est vrai que, selon la jurisprudence constante invoquée dans l’arrêt attaqué, les considérants ne peuvent déroger à la disposition même qu’ils sont censés interpréter, ni servir de base à une interprétation qui contredit clairement leur formulation, en ajoutant, par exemple, de nouvelles exigences qui ne sont pas envisagées dans le dispositif d’un acte juridique. Par conséquent, les considérants ne sont naturellement pas en eux‑mêmes des règles juridiques entrant dans le dispositif de l’acte.

93.

Toutefois, au-delà de ces deux catégories claires (absence de « disposition miroir » et contradiction évidente), les considérants constituent en général un élément d’interprétation important, faisant autorité quant à la volonté du législateur, et se lisent en combinaison avec la disposition spécifique qui leur correspond. Ils sont ainsi souvent utilisés à des fins d’interprétation téléologique afin de clarifier ou d’offrir une interprétation plus précise d’une disposition légale contenue dans le texte juridique ( 57 ). Or, si on les utilise de cette façon, on ne saurait se dissimuler que la frontière entre l’interprétation et le fait de ne pas ajouter de nouvelles obligations sur la base d’un considérant pourrait devenir dangereusement floue ( 58 ).

94.

En l’espèce, la seule différence essentielle entre le libellé de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE et le considérant 20 est que le terme « séparément », qui figure au considérant 20, n’est pas utilisé dans le texte de l’article en question. Le reste est cependant pratiquement identique (la Commission doit présenter ses conclusions juridiques et politiques dans un délai de trois mois).

95.

Il y a donc une nuance dans la formulation. Mais, eu égard à la portée logique des règles en cause, cette nuance n’est guère constitutive d’une contradiction entre le considérant et l’article. En l’absence de contradiction, et compte tenu de la pratique de la Cour que je viens d’exposer, il ne serait pas inimaginable de lire le terme « séparément » dans le libellé de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE.

96.

Je ne pense toutefois pas qu’il convienne de le faire, et ce pour les raisons suivantes.

97.

Le terme « séparément » pourrait être compris de deux manières différentes : il peut signifier soit que des considérations tant juridiques que politiques doivent figurer dans le texte de la communication, soit que les unes et les autres doivent non seulement y figurer, mais aussi y être séparées physiquement ( 59 ).

98.

Le considérant 20 a été introduit par un amendement du Parlement lors des négociations sur le règlement ICE, de même que la référence, figurant dans l’article 10, aux conclusions « juridiques et politiques ». La justification qui accompagne cet amendement souligne simplement que « [l]a réaction de la Commission [...] doit être justifiée à la fois du point de vue juridique et politique» ( 60 ).

99.

Compte tenu de son contexte et de son objectif, le considérant 20 pourrait en effet être interprété comme soulignant l’obligation de la Commission d’énoncer clairement ses conclusions de nature juridique et politique, de manière que les citoyens puissent comprendre la nature distincte de ces considérations. Ainsi, l’obligation prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE de présenter de manière explicite les conclusions juridiques et politiques porte sur la qualité et le contenu de la motivation de la réponse de la Commission à une ICE réussie. Elle répond à la nécessité pour la Commission, telle qu’énoncée au considérant 20, d’« exposer d’une manière claire, compréhensible et circonstanciée les raisons pour lesquelles elle envisage d’entreprendre une action » et, de la même manière, « les raisons pour lesquelles elle a l’intention de n’entreprendre aucune action ». En effet, outre qu’il s’agit d’une forme substantielle, un tel renforcement de l’obligation de motivation est la garantie et la preuve d’un examen approfondi, sérieux et détaillé d’une ICE réussie.

100.

Ainsi, l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, interprété en combinaison avec le considérant 20, signifie simplement que des considérations tant juridiques que politiques doivent entrer dans les motifs de la Commission et qu’un lecteur doit être en mesure de faire la différence entre elles. Il m’est toutefois difficile d’adhérer à une interprétation formaliste qui laisserait penser qu’au-delà de cette exigence la Commission serait soumise à l’obligation de structurer sa communication en différentes sections portant obligatoirement les titres de « considérations juridiques » et de « considérations politiques », et que l’inobservation de cette obligation entraînerait l’annulation automatique de la communication.

101.

Il y a une autre raison, de nature pragmatique : la séparation physique des conclusions juridiques et politiques à ce stade du processus de l’ICE est quelque peu artificielle et pourrait être difficile à réaliser.

102.

Premièrement, l’évaluation juridique d’une ICE proposée a lieu principalement au moment de l’enregistrement au titre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement ICE, lorsque la Commission vérifie le respect des valeurs inscrites à l’article 2 TUE, ainsi que ses propres compétences pour soumettre la proposition demandée. Cet examen ne pouvant conduire au rejet de l’enregistrement que dans certaines circonstances « manifestes », il reste une place pour l’analyse juridique au stade où la communication est faite en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c). Cette analyse juridique peut en outre s’étendre au contrôle de la compatibilité avec d’autres actes juridiques de l’Union. Toutefois, à ce stade, il est naturel que la majeure partie de l’évaluation contenue dans la communication de la Commission soit de nature politique, puisque la décision sur le suivi d’une ICE réussie est essentiellement de nature politique. Ainsi, les conclusions juridiques à ce stade sont susceptibles de se limiter à une présentation descriptive du droit en vigueur, qui tient lieu de cadre de référence nécessaire à l’élaboration des conclusions politiques.

103.

Deuxièmement, quand même n’en irait-il pas ainsi et que la nature des conclusions juridiques pourrait être interprétée comme étant plus large, il n’en demeurerait pas moins qu’au stade final d’une ICE, lorsque la Commission est tenue d’examiner les mérites de l’ICE de manière assez approfondie, il pourrait être difficile de déterminer avec précision quels arguments sont juridiques et lesquels sont de nature politique. Sauf à ce que la notion de « considérations juridiques » ne se limite à une simple reformulation du droit et des obligations internationales applicables (dont l’interprétation pourrait en tout état de cause déjà inclure une évaluation politique), bon nombre des arguments avancés à ce stade de l’évaluation de fond sont susceptibles d’être transitifs.

104.

À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que la communication satisfait aux exigences de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE, interprété en combinaison avec le considérant 20 du règlement ICE. Elle présente les conclusions de la Commission d’une manière qui permet de comprendre la nature juridique et politique des considérations qu’elle contient. Comme le note la Commission, la partie 2 de la communication, intitulée « État des lieux », est consacrée à la présentation de l’état du droit. La partie 3, intitulée « Appréciation des demandes formulées dans l’initiative citoyenne européenne », explique l’évaluation politique de l’ICE. En outre, les requérants n’ont à aucun moment fait valoir qu’ils n’auraient pas été en mesure de déceler la nature politique ou juridique des considérations exposées par la Commission dans sa communication.

105.

Aux points 128 à 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’appuie sur une interprétation du considérant 20 du règlement ICE selon laquelle celui‑ci imposerait une exigence formelle, de sorte qu’il y aurait une contradiction apparente entre le considérant 20 et l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE. Pour les raisons exposées aux points 92 à 96 ci‑dessus des présentes conclusions, j’estime que ce raisonnement est entaché d’une erreur de droit.

106.

Toutefois, il est tout aussi clair que le dispositif de l’arrêt attaqué n’en est pas affecté, puisqu’il est bien fondé sur les motifs juridiques exposés aux points 97 à 105 des présentes conclusions.

107.

En conséquence, le dispositif de l’arrêt attaqué demeurant bien fondé, il convient de rejeter le deuxième moyen comme étant inopérant.

C.   Troisième moyen : le contrôle juridictionnel

108.

Par leur troisième moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 170 de l’arrêt attaqué, en jugeant que la décision de la Commission de ne pas présenter de proposition législative sur la base de l’ICE ne peut faire l’objet que d’un contrôle restreint de la part du Tribunal, seules les erreurs manifestes d’appréciation étant de nature à vicier une telle décision.

109.

Les requérants soutiennent qu’il n’est pas possible de savoir si la communication est exempte d’erreurs manifestes parce qu’aucun critère n’est proposé pour distinguer les erreurs manifestes des erreurs non manifestes. Selon eux, le Tribunal a fixé la barre trop bas et s’est réservé le droit de déterminer librement s’il est ou non satisfait au critère. Les requérants soutiennent en outre qu’il est paradoxal de considérer que les motifs de la communication doivent pouvoir faire l’objet d’un recours dès lors que l’on retient un niveau de contrôle aussi faible et obscur. En outre, ils soutiennent que la présente affaire diffère de l’affaire Rica Foods/Commission, citée par le Tribunal comme une jurisprudence pertinente pour l’application du critère des « erreurs manifestes» ( 61 ). Cette affaire portait sur des droits de non-ressortissants au regard d’intérêts financiers nébuleux, contrairement à la présente affaire, qui concerne les droits des citoyens de l’Union au regard d’un droit démocratique clairement défini. Les requérants résument la position du Tribunal comme suit : « la Communauté jouissant d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le sucre des Antilles, elle doit également disposer d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le rejet d’une ICE pour laquelle elle n’éprouve guère de sympathie ».

110.

La Commission fait valoir que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé. Seul un contrôle juridictionnel limité est compatible avec le pouvoir d’initiative de la Commission. Se référant à l’arrêt Schönberger/Parlement ( 62 ), la Commission affirme en outre qu’il serait illogique qu’une communication adoptée par la Commission en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE soit soumise à un contrôle de pleine juridiction, alors qu’une décision du Parlement relative aux suites à donner à une pétition échapperait à tout contrôle.

111.

Le présent moyen soulève la question cruciale du degré de contrôle auquel les juridictions de l’Union doivent soumettre une communication contenant la décision de la Commission sur le suivi d’une ICE réussie. Cette question est nécessairement liée à celles soulevées dans le premier moyen du pourvoi, dont l’examen a confirmé que la Commission n’est pas tenue d’adopter une proposition d’acte juridique que propose une ICE réussie.

112.

Le point 170 de l’arrêt attaqué, qui fait l’objet des critiques émises au titre du présent moyen, relève de l’examen par le Tribunal du cinquième moyen d’annulation qu’avaient soulevé les requérants en première instance. Après avoir noté que la Commission doit disposer d’une large marge d’appréciation dans le cadre de son pouvoir d’initiative législative et, par conséquent, en décidant s’il y a lieu ou non de prendre des mesures à la suite d’une ICE réussie ( 63 ), le Tribunal définit, au point 170 de l’arrêt attaqué, la portée et le niveau du contrôle juridictionnel applicable à la communication. Il en ressort que celle‑ci « doit faire l’objet d’un contrôle restreint de la part du Tribunal, visant à vérifier, outre la suffisance de sa motivation, l’existence, notamment, d’erreurs manifestes d’appréciation viciant ladite décision ». Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal s’est référé par analogie à l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire Rica Foods/Commission ( 64 ), en le présentant comme la jurisprudence pertinente.

113.

À mon avis, les arguments des requérants n’ont pas révélé d’erreur de droit dans le point de l’arrêt attaqué que je viens de citer.

114.

Avant d’analyser le niveau de contrôle juridictionnel appliqué dans l’arrêt attaqué, il convient de rappeler d’abord l’étendue du contrôle juridictionnel qui découle de cet arrêt.

115.

Dans le point contesté par les requérants, le Tribunal a fermement déclaré que la communication pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. On peut dire que cette confirmation renforce considérablement la position de l’ICE. Elle fournit une garantie juridictionnelle d’une prise en considération adéquate par la Commission d’une ICE réussie. On pourrait simplement ajouter qu’une telle conclusion était loin d’être acquise d’avance, ainsi qu’il ressort de la discussion dont cette question avait antérieurement fait l’objet en doctrine ( 65 ).

116.

En outre, l’arrêt attaqué a établi la possibilité de réexaminer à la fois le caractère adéquat de l’exposé des motifs de la communication et l’appréciation qui constitue la base de son contenu au fond.

117.

Comme la Commission le relève dans ses observations, cette position contraste avec la jurisprudence de la Cour sur le contrôle juridictionnel de la position du Parlement au sujet du traitement à réserver à une pétition. En effet, la Cour a estimé que cette position n’était pas susceptible de contrôle juridictionnel, en raison du large pouvoir d’appréciation de nature politique dont jouit le Parlement ( 66 ). Inversement, tout en reconnaissant le large pouvoir d’appréciation de la Commission à cet égard, le Tribunal ne considère pas, dans l’arrêt attaqué, que l’appréciation contenue dans la communication soit une décision de nature politique à l’abri d’un contrôle juridictionnel ( 67 ).

118.

À mon avis, c’est à juste titre. Cette approche solide reflète correctement le système et les objectifs de l’ICE. L’importance cruciale du mécanisme de l’ICE, en tant qu’expression du principe démocratique, les strictes exigences auxquelles est soumise la réussite d’une telle ICE et les garanties procédurales établies par le règlement ICE justifient que, même en présence d’un pouvoir d’appréciation considérable de nature politique, le contrôle par les juridictions de l’Union porte non seulement sur le caractère adéquat de la motivation, mais également sur la vérification des fondements sur lesquels s’appuie la décision de la Commission ( 68 ).

119.

En effet, la possibilité de réexaminer les communications adoptées conformément à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE est intrinsèquement liée aux obligations imposées à la Commission par le règlement ICE à cette dernière étape du processus de l’ICE. La Commission est tenue de présenter d’une manière claire, compréhensible et circonstanciée les raisons qui justifient sa position. La déclaration doit contenir à la fois des considérations juridiques et politiques. Toutefois, les obligations imposées par l’article 10 du règlement ICE ne sont pas seulement de nature procédurale, mais englobent également l’obligation de prendre dûment et profondément en considération les propositions d’une ICE réussie.

120.

En ce qui concerne les critères de contrôle, le Tribunal retient, dans l’arrêt attaqué, deux approches différentes. Premièrement, il y considère que les juridictions de l’Union doivent vérifier l’adéquation de l’exposé des motifs. L’examen de cet élément, qui est, comme on l’a vu ci‑dessus, une obligation institutionnelle fondamentale déclenchée par une ICE réussie ( 69 ), ne se limite pas aux « erreurs manifestes ». Il s’agit donc d’un contrôle complet. Deuxièmement, le Tribunal indique que le contrôle porte, en outre, sur l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation entachant cette décision.

121.

À cet égard, les requérants contestent le niveau de contrôle appliqué à ce deuxième élément, à savoir l’appréciation matérielle contenue dans la communication de la Commission. En particulier, les requérants concentrent leur critique sur la jurisprudence citée dans l’arrêt attaqué, qui sert de référence pour la norme de contrôle juridictionnel adoptée. Ils insistent sur les différences entre la situation en cause et celle de l’arrêt Rica Foods/Commission (arrêt du 14 juillet 2005, C-41/03 P, EU:C:2005:456), afin de critiquer le niveau de contrôle juridictionnel offert par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

122.

La critique des requérants à cet égard me semble erronée.

123.

Il convient de souligner que le critère du contrôle juridictionnel limité à la vérification des erreurs manifestes d’appréciation s’applique aux situations dans lesquelles les institutions de l’Union jouissent d’un large pouvoir d’appréciation, en particulier lorsqu’elles adoptent des mesures « dans des domaines qui impliquent de leur part des choix notamment de nature politique et des appréciations complexes» ( 70 ). En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’intensité de son contrôle varie en fonction du pouvoir d’appréciation accordé aux institutions ( 71 ).

124.

C’est dans ce contexte, c’est‑à‑dire en évoquant la norme d’examen appropriée, que le Tribunal a cité l’arrêt du 14 juillet 2005, Rica Foods/Commission (C-41/03 P, EU:C:2005:456), en le présentant comme une jurisprudence pertinente. Dans ce contexte, la référence est tout à fait appropriée, puisque, contrairement à ce que laissent entendre les requérants, elle n’a guère de rapport avec la question des importations dont était saisie la Cour dans affaire, et n’est faite qu’à titre d’indication du niveau de contrôle approprié de façon générale. On pourrait même ajouter, en passant, que la référence à cette affaire particulière a été bien choisie, puisque cette dernière a donné lieu à l’examen de la question spécifique du niveau de contrôle du pouvoir d’appréciation politique qu’avait retenu à l’époque le Tribunal, ainsi qu’il ressort des conclusions de l’avocat général Léger dans cette affaire ( 72 ).

125.

Ainsi, de façon générale, dans les domaines où la Commission jouit d’un très vaste pouvoir d’appréciation, comme on l’a vu à propos du premier moyen, le contrôle juridictionnel est de portée limitée. Ce pouvoir d’appréciation est avant tout de nature politique, mais peut aussi amener la Commission à procéder à des évaluations complexes lorsqu’elle décide (ou non) de faire usage de son pouvoir d’initiative.

126.

En tout état de cause, étant donné que l’essentiel de la décision de la Commission, contenue dans la communication, de ne pas adopter la proposition demandée par l’ICE repose essentiellement sur une évaluation de nature politique ( 73 ), et en supposant qu’une telle décision fondamentalement politique soit soumise à un contrôle juridictionnel, je ne vois pas comment cette évaluation pourrait être soumise à un contrôle juridictionnel rigoureux sans enfreindre les limites imposées par le principe d’équilibre institutionnel, notamment entre l’exécutif européen et les juridictions de l’Union.

127.

En effet, un niveau de contrôle limité est requis par la latitude politique dont jouit la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’initiative, qui l’amène intrinsèquement à concilier des intérêts divergents et à choisir des options politiques. Cette latitude procède également de la nature politique de l’évaluation fondamentale à laquelle procède la Commission dans sa communication quant à savoir si et comment, dans le cadre de son pouvoir d’initiative, il lui faut donner suite aux ICE réussies. Les juridictions de l’Union ne peuvent substituer leur appréciation à l’évaluation politique de la Commission, qui doit éclairer sa décision de déclencher ou non le processus décisionnel en exerçant son pouvoir d’initiative.

128.

Le troisième moyen doit donc, à mon avis, être rejeté comme étant non fondé.

D.   Quatrième moyen : erreurs manifestes d’appréciation

129.

Par leur quatrième moyen, les requérants font valoir que, quand même le critère de contrôle appliqué par le Tribunal serait correct, celui‑ci n’en aurait pas moins jugé à tort que les raisons fournies par la Commission dans la communication n’étaient entachées d’aucune erreur manifeste.

130.

Les requérants contestent cinq points de la communication de la Commission qui, à leur avis, sont entachés de telles erreurs manifestes d’appréciation.

131.

Premièrement, les requérants soutiennent, en se fondant sur l’arrêt Brüstle ( 74 ), qu’il est manifestement incohérent d’interdire le brevetage d’inventions qui présupposent la destruction d’embryons humains tout en finançant cette même recherche.

132.

Les conclusions tirées par les requérants de l’arrêt Brüstle de la Cour vont bien au-delà de la véritable portée de cette affaire.

133.

Comme la Commission le souligne à juste titre, cet arrêt concernait exclusivement la question de la brevetabilité. En effet, la directive 98/44/CE ( 75 ), qui a fait l’objet d’une interprétation dans cette affaire, « n’a pas pour objet de réglementer l’utilisation d’embryons humains dans le cadre de recherches scientifiques. Son objet se limite à la brevetabilité des inventions biotechnologiques» ( 76 ). L’exclusion de la brevetabilité est sans rapport avec l’interdiction de la recherche scientifique ou de son financement dans un domaine donné ( 77 ). En effet, une exclusion spécifique de la brevetabilité dans un domaine donné signifie qu’il est impossible d’établir un droit exclusif d’exploitation commerciale, ce qui est très différent des questions soulevées par la recherche scientifique dans ses différentes applications.

134.

Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur en déclarant, au point 173 de l’arrêt attaqué, que la conclusion de la Commission, dans le point 2.1 in fine de la communication, selon laquelle l’arrêt Brüstle n’abordait pas la question de savoir si ce type de recherche pouvait être mené et financé, n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

135.

Deuxièmement, les requérants soutiennent qu’il est évident qu’il est impossible de trouver un équilibre entre le droit à la vie de l’embryon et les intérêts de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Le concept de dignité humaine interdit de réaliser un tel équilibre. En conséquence, les requérants soutiennent que la Commission fait manifestement erreur en affirmant dans la communication qu’il n’y aurait pas lieu de clarifier le statut juridique de l’embryon.

136.

Je suis d’accord avec la Commission pour dire que cet argument est inopérant. Il est dirigé non pas contre un point des motifs du Tribunal où celui‑ci a analysé les prétendues erreurs d’appréciation qu’avaient alléguées les requérants par leur cinquième moyen d’annulation, mais contre l’une des déclarations du Tribunal concernant le quatrième moyen d’annulation, relative à la violation alléguée de l’obligation de motivation. En effet, au point 156 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné le caractère adéquat de l’exposé des motifs.

137.

Troisièmement, les requérants ont avancé une série d’arguments qui remettent essentiellement en cause les motifs du Tribunal concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Ils font valoir que l’affirmation, dans la communication, selon laquelle le système de « triple sécurité » fournit un critère éthique solide pour l’évaluation d’un projet de recherche constitue une erreur manifeste d’appréciation. La thèse de la Commission selon laquelle un tel système, qui permettrait de financer des projets de recherche illégaux dans 27 des 28 États membres, est une norme élevée, constituerait non seulement une erreur manifeste, mais serait également tout à fait absurde. À cet égard, les requérants soutiennent que l’approche du Tribunal en ce qui concerne les éthiques différentes constitue une erreur de droit, au motif qu’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cas d’une ICE réussie, de déterminer le bien-fondé de questions socioéthiques concurrentes, cette question ne relevant pas de la justice mais du processus politique. Les requérants soutiennent en outre que la position du Tribunal est elle‑même contraire à l’éthique. Ce dernier aurait adopté une approche de subjectivisme pur qui tente d’attacher un caractère irréfutable aux thèses de la Commission. Enfin, les requérants soutiennent que le contrôle effectué par le Tribunal est incomplet, car ce dernier n’aurait pas examiné toutes les erreurs d’appréciation alléguées par les requérants. À cet égard, les requérants font valoir que, bien que le Tribunal évoque l’affaire Brüstle (arrêt du 18 octobre 2011, C‑34/10, EU:C:2011:669) dans l’arrêt attaqué, il n’y examine pas plus avant les affirmations de la Commission concernant le système de « triple sécurité ».

138.

Les arguments avancés par les requérants et exposés ci‑dessus ne sont pas fondés. Ils apparaissent avoir été fondés sur une interprétation erronée de l’arrêt du Tribunal.

139.

Au point 176 de l’arrêt attaqué, qui concentre l’essentiel des critiques qu’émettent les requérants au titre de cette argumentation, le Tribunal a d’abord exposé les caractéristiques essentielles des différentes approches éthiques de l’ICE et de la Commission, en soulignant que « l’approche éthique de l’ICE en cause est celle selon laquelle l’embryon humain est un être humain qui doit jouir de la dignité humaine et du droit à la vie, considérant que l’approche éthique de la Commission, telle qu’elle ressort de la communication, tient compte du droit à la vie et à la dignité humaine des embryons humains, mais aussi des besoins de la recherche sur les [cellules souches embryonnaires humaines], qui peut aboutir au traitement de maladies actuellement incurables ou potentiellement mortelles ». Il a ensuite conclu que, « [p]artant, il n’apparaît pas que l’approche éthique suivie par la Commission soit entachée d’une erreur manifeste d’appréciation sur ce point et les arguments des requérants, lesquels sont fondés sur une approche éthique différente, ne démontrent pas l’existence d’une telle erreur ».

140.

Il est évident que le Tribunal n’a cautionné aucune position ou doctrine éthique qui pourrait être critiquée comme une « juridicisation » de choix politiques. Contrairement à ce qu’affirment les requérants, l’arrêt du Tribunal préserve précisément le pouvoir d’appréciation politique qui, dans le cadre du processus décisionnel institutionnel actuel, appartient à la Commission, y compris lorsqu’une ICE a réussi. En examinant si la communication contenait une erreur manifeste d’appréciation, le Tribunal s’est borné à relever que les requérants adoptaient un point de vue éthique différent de celui soutenu par la Commission.

141.

Cette motivation ne saurait être critiquée. Comme la Commission l’a souligné à juste titre, en conformité avec le niveau applicable de contrôle juridictionnel, cette approche met en évidence le pouvoir d’appréciation politique dont jouit la Commission dans son évaluation du caractère suffisant et adéquat du cadre juridique actuel, ce qui constitue l’un des éléments de la motivation de sa décision de ne pas exercer son pouvoir d’initiative dans le sens proposé par l’ICE en cause.

142.

La motivation du Tribunal aux points 176 et 177 de l’arrêt attaqué répond donc selon moi de manière adéquate aux arguments soulevés par les requérants. Je ne vois aucune raison de m’étendre davantage sur ces arguments, puisqu’ils visent soit à critiquer les choix de valeurs qu’a exprimés la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, soit à reprocher au Tribunal de ne pas avoir adopté de positions éthiques et de ne pas avoir soutenu certaines valeurs, alors qu’il n’avait aucune raison de le faire.

143.

Quatrièmement, les requérants font valoir qu’il est manifestement paradoxal d’affirmer, sans en fournir aucune preuve, que la fourniture de services d’avortement financés par les contribuables de l’Union réduit le nombre d’avortements.

144.

Cet argument est inopérant, en tant qu’il est sans effet sur l’axe principal de l’argumentation suivie par le Tribunal pour répondre aux griefs des requérants quant aux considérations de la Commission en matière de coopération au développement ( 78 ). En tout état de cause, cet argument semble reposer sur une lecture plutôt discutable de la communication, puisqu’on n’y trouve nulle affirmation de ce type ( 79 ).

145.

Cinquièmement, les requérants soutiennent que le Tribunal a dénaturé leurs arguments en déclarant, au point 164 de l’arrêt attaqué, que « [l]es requérants soutiennent aussi que les OMD et le programme d’action de la CIPD ne constituent pas des engagements juridiquement contraignants, mais des objectifs politiques ». Ils affirment qu’ils entendaient en réalité faire valoir que la Commission avait à tort prétendu que ces documents contenaient des engagements juridiquement contraignants, ce qui constituait de sa part une erreur manifeste.

146.

Même si cet argument est entendu en ce sens que le Tribunal a commis une erreur en ne relevant pas d’erreur manifeste dans la déclaration de la Commission selon laquelle les objectifs du Millénaire pour le développement et le programme d’action de la conférence internationale sur la population et le développement contiennent des obligations juridiques, cet argument ne saurait prospérer, car, de fait, la communication de la Commission ne comporte pas de telle affirmation. Cet argument ne révèle donc aucune erreur de droit dans la constatation du Tribunal selon laquelle les arguments des requérants présentés au point 164 de l’arrêt attaqué ne démontrent pas l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation.

147.

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient, selon moi, de rejeter le quatrième moyen en tant qu’il est pour partie inopérant et pour partie non fondé.

E.   Cinquième moyen : qualification erronée de l’ICE

148.

Par le cinquième moyen, les requérants soutiennent que l’arrêt attaqué contient une erreur de droit au point 156, où le Tribunal a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner l’argument concernant le point de savoir si l’embryon humain est un être humain.

149.

Les requérants soutiennent que la finalité, l’objectif et la raison d’être de l’ICE en cause ressortent clairement de son objet, qu’elle décrit comme étant « la protection juridique de la dignité, du droit à la vie et à l’intégrité de tout être humain depuis sa conception ». Selon les requérants, le Tribunal est parvenu à cette conclusion parce qu’il a mal interprété la finalité de l’ICE en cause en considérant que celle‑ci n’a pour but non pas la protection de l’embryon en tant qu’être humain, mais simplement l’adoption des trois propositions faites au législateur de l’Union.

150.

Selon la Commission, l’interprétation d’un document émanant d’une partie privée porte sur l’appréciation de faits et ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été présentés, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi ( 80 ).

151.

Je ne suis pas convaincu de l’opportunité de qualifier la question de la définition de l’objet d’une ICE (réussie) d’élément de fait, comparable à un document d’un particulier. S’il est certes vrai que le point de savoir ce qui a été écrit, et où cela l’a été, constitue une question de fait, la qualification juridique immédiate de ces faits, aux fins de l’« enregistrabilité » en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement ICE, ainsi que des autres étapes ultérieures d’une ICE, n’est à l’évidence pas uniquement factuelle. En outre, on pourrait difficilement prétendre qu’une ICE est analogue à un contrat négocié entre deux parties privées et dont les juridictions de l’Union prennent acte dans le contexte du droit de la concurrence, par exemple. Dans le cadre d’une ICE, il y a un échange et une évaluation continus (en fait une série d’évaluations) des actes de particuliers avec les institutions de l’Union.

152.

Toutefois, aussi captivant que puisse être en général un débat sur la frontière entre les faits et le droit, je pense que, dans le contexte de la présente affaire, une telle discussion s’avérerait parfaitement redondante. L’arrêt attaqué n’a nullement dénaturé l’objet de l’ICE en cause.

153.

L’argument des requérants revient à affirmer que la Commission n’aurait pas dû interpréter l’ICE comme exigeant uniquement ce qui y a été spécifiquement demandé (les trois propositions législatives concrètes figurant en annexe), mais aurait dû aussi interpréter l’objet de l’ICE comme une demande spécifique tendant à l’adoption d’une position juridique explicite concernant la nature humaine des embryons.

154.

Je ne suis pas d’accord.

155.

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement ICE, pour demander l’enregistrement d’une ICE, les organisateurs doivent fournir les informations décrites à l’annexe II. Cette annexe exige de fournir un intitulé en 100 caractères au maximum (point 1) ; un objet en 200 caractères au maximum (point 2) et une description des objectifs, en 500 caractères au maximum (point 3). En outre, et sans qu’il y ait d’obligation, les organisateurs peuvent, s’ils le souhaitent, soumettre un projet d’acte juridique.

156.

Dans l’ICE en cause, les objectifs spécifiques visés au point 3 de l’annexe II du règlement ICE sont clairement définis comme une proposition visant à « interdire et [à] mettre fin au financement des activités qui impliquent la destruction d’embryons humains, en particulier dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique» ( 81 ). Ces objectifs étaient accompagnés d’un projet d’acte juridique spécifique.

157.

À cet égard, la Cour a déjà souligné, aux fins de l’enregistrement d’une proposition d’ICE conformément à l’article 4 du règlement ICE, l’importance d’un examen attentif et impartial par la Commission de tous les éléments fournis par les organisateurs d’une ICE, lorsqu’ils joignent, en annexe à leur proposition, des informations plus détaillées sur son objet, ses objectifs et son contexte ( 82 ). En outre, tous ces éléments doivent être dûment pris en considération aux fins de la communication de la Commission prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement ICE.

158.

À ces deux étapes, les objectifs d’une ICE demeurent logiquement les mêmes. En l’espèce, la Commission a interprété les objectifs par référence aux propositions spécifiques faites par l’ICE en cause, en concluant ainsi qu’ils pouvaient être enregistrés, car ils remplissaient les conditions de l’article 4 du règlement ICE. L’argument selon lequel la Commission aurait dû, parallèlement (ou en outre), interpréter également les objectifs de l’ICE en cause par rapport à l’objet visé ci‑dessus me paraît très singulier, car cela aurait pu très probablement signifier que l’objectif n’aurait pas satisfait aux exigences de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement ICE.

159.

En résumé, on reproche donc à la Commission de ne pas avoir interprété, en plus des objectifs spécifiques et clairement énoncés de l’ICE en cause, un autre objectif tiré de l’intitulé de l’ICE en cause. Une telle interprétation de l’ICE en cause aurait probablement été au désavantage de celle‑ci puisque cet objectif (ou potentiellement l’ICE en cause dans son ensemble) aurait alors dû être exclu de l’enregistrement. Force m’est personnellement d’admettre que j’éprouve quelques difficultés à discerner un pouvoir de la Commission qui l’autoriserait à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union réglant la question de savoir si l’embryon humain est un être humain, conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement ICE.

160.

Dans ces conditions, on ne saurait dire que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 156 de l’arrêt attaqué lorsqu’il a estimé que l’objectif de l’ICE en cause n’était pas la définition ou la clarification du statut juridique de l’embryon humain, mais la présentation par la Commission de ces trois propositions au législateur de l’Union.

161.

J’estime par conséquent qu’il y a lieu de rejeter le cinquième moyen comme étant non fondé.

VI. Dépens

162.

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

163.

La Commission a conclu à la condamnation des requérants aux dépens. Les parties requérantes ont, selon moi, succombé. Il y a donc lieu de les condamner aux dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

VII. Conclusion

164.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

rejeter le pourvoi ;

les parties requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission (T‑561/14, EU:T:2018:210).

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1) (ci-après le « règlement ICE »).

( 4 ) Voir arrêts du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission (C‑589/15 P, EU:C:2017:663), et du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177) ; voir également arrêts du Tribunal du 19 avril 2016, Costantini e.a./Commission (T‑44/14, EU:T:2016:223) ; du 3 février 2017, Minority SafePack – one million signatures for diversity in Europe/Commission (T‑646/13, EU:T:2017:59) ; du 5 avril 2017, HB e.a./Commission (T‑361/14, non publié, EU:T:2017:252), et du 10 mai 2017, Efler e.a./Commission (T‑754/14, EU:T:2017:323).

( 5 ) Les trois autres ICE réussies à ce jour sont Right2Water, Stop vivisection et Interdire le glyphosate. Voir https://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/successful?lg=fr.

( 6 ) ECI(2012) 000005.

( 7 ) JO 2002, L 248, p. 1.

( 8 ) COM(2011) 809 final.

( 9 ) JO 2006, L 378, p. 41.

( 10 ) COM(2014) 355 final.

( 11 ) Ordonnance One of Us e.a./Commission (T‑561/14, non publiée, EU:T:2015:917).

( 12 ) Arrêt du 23 avril 2018 (T‑561/14, EU:T:2018:210).

( 13 ) Points 53 à 65 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Points 66 à 101 de l’arrêt attaqué.

( 15 ) Points 102 et suiv. de l’arrêt attaqué.

( 16 ) Ces trois situations sont exposées au point 103 de l’arrêt attaqué : « [...] en premier lieu, lorsque les mesures demandées dans le cadre de l’ICE [en cause] ne sont plus nécessaires, [...], en deuxième lieu, lorsque l’adoption des mesures demandées dans le cadre de l’ICE [en cause] est devenue impossible à la suite de l’enregistrement de celle‑ci et, en troisième lieu, lorsque l’initiative citoyenne ne contient pas de proposition d’action spécifique, mais se contente de signaler l’existence d’un problème à résoudre, laissant à la Commission le soin de déterminer, le cas échéant, l’action qui peut être entreprise. »

( 17 ) Arrêt du 14 avril 2015 (C‑409/13, EU:C:2015:217, points 75 et 76).

( 18 ) Voir, par exemple : en langue allemande « können die Initiative ergreifen und die Europäische Kommission auffordern » ; en langue espagnole, « podrá tomar la iniciativa de invitar a la Comisión Europea » ; en langue italienne, « possono prendere l’iniziativa d’invitare la Commissione europea » ; en langue néerlandaise, « kunnen zij het initiatief nemen de Europese Commissie te verzoeken » ; en langue portugaise, « pode tomar a iniciativa de convidar a Comissão Europeia » ; et en langue tchèque, « se může ujmout iniciativy a vyzvat Evropskou komisi ».

( 19 ) Pour une illustration, voir mes conclusions dans l’affaire Belgique/Commission (C‑16/16 P, EU:C:2017:959, points 114 et 115, ainsi que 140 et 141).

( 20 ) JO 2003, C 169, p. 1. Cette disposition se lit comme suit : « La Commission peut, sur initiative d’au moins un million de citoyens de l’Union issus d’un nombre significatif d’États membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution. La loi européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions spécifiques requises pour la présentation d’une telle initiative citoyenne. »

( 21 ) Voir, par exemple, Morelli, M., La democrazia partecipativa nella governance dell’Unione europea, Giuffrè editore, Milano, 2011, p. 55 et suiv.

( 22 ) Pour de tels amendements, qui s’inspirent de certains éléments de l’initiative citoyenne, du référendum européen et du droit de pétition, voir Lamassoure, A., « Proposition d’amendement à l’Article 34 (bis) », qui comporte une obligation faite à la Commission de présenter une proposition, et Einem, C., et Berger, M., « Suggestion for amendment of Article : 34a », sur une obligation d’organiser un référendum. Les amendements peuvent être consultés à l’adresse suivante : http://european-convention.europa.eu/FR/amendemTrait/amendemTrait1d56.html?lang=FR.

( 23 ) Voir Meyer, J., « Suggestion for amendment of Article : I-46, part I, title VI (CONV 724/03) ». Selon l’explication fournie à son propos, cet amendement devait « étendre le droit de pétition existant pour en faire un droit des citoyens de présenter des propositions législatives à la Commission de [l’Union]. La Commission doit alors décider d’adopter ou non des mesures législatives ».

( 24 ) Amendement 19, rapport I sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’initiative citoyenne [COM(2010) 0119 – C7-0089/2010 – 2010/0074 (COD)], Commission des affaires constitutionnelles A 7‑0350/2010.

( 25 ) Sur le débat du Parlement, voir Szeligowska, D., et Mincheva, E., « The European Citizens’ Initiative – Empowering European Citizens within the Institutional Triangle : A Political and Legal Analysis », Perspectives on European Politics and Society, vol. 13, 2012, no 3, p. 270-284, spécialement p. 274.

( 26 ) Exposé des motifs, rapport I sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’initiative citoyenne [COM(2010) 0119 – C7-0089/2010 – 2010/0074 (COD)], Commission des affaires constitutionnelles A 7‑0350/2010.

( 27 ) L’approche large quant à la recevabilité au stade de l’enregistrement est confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui n’a jusqu’à présent interprété que le critère de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement ICE. La Cour a jugé à cet égard que la Commission, saisie d’une proposition d’ICE, « est tenue d’interpréter et d’appliquer ladite condition d’enregistrement [de l’article 4, paragraphe 2, sous b)] de manière à assurer une accessibilité facile à l’ICE et qu’elle n’est habilitée à refuser l’enregistrement de cette proposition que si celle‑ci est manifestement en dehors du cadre de ses attributions ». Voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission (C‑589/15 P, EU:C:2017:663, points 49 et 50), et du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 64).

( 28 ) Arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, points 75 et 76).

( 29 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 146).

( 30 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2014:2470, points 44 et 45).

( 31 ) Au sujet de ce débat, voir Ponzano, P., « Le droit d’initiative de la Commission européenne : théorie et pratique », Revue des affaires européennes, 2009-2010/1, p. 27-35 ; Ponzano, P., Hermanin, C., et Corona, D., The Power of Initiative of the European Commission : A Progressive Erosion ?, Notre Europe, 2012, p. 7 ; ou von Buttlar, C., Das Initiativrecht der Europäischen Kommission, Duncker & Humblot, Berlin, 2003, p. 17.

( 32 ) Arrêts du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, point 70), et du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 146).

( 33 ) Arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, point 70).

( 34 ) Comme ce fut le cas à propos d’une politique commune des transports au titre des articles 74 et 75 du traité CEE. Voir arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220, points 64 à 68).

( 35 ) À cet égard, la Cour a itérativement rappelé, dans sa jurisprudence, que « les règles relatives à la formation de la volonté des institutions de l’Union sont établies par les traités et ne sont à la disposition ni des États membres ni des institutions elles‑mêmes », arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil (C‑363/14, EU:C:2015:579, point 43 et jurisprudence citée).

( 36 ) À cet égard, voir, en ce qui concerne l’importance de l’accès aux documents, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 108).

( 37 ) Arrêt du 23 mars 2004, France/Commission (C‑233/02, EU:C:2004:173, point 51).

( 38 ) Il est vrai qu’en démocratie le traitement et la discussion simultanés d’initiatives ayant des contenus différents, voire opposés, est certainement possible. On pourrait aisément établir une analogie avec le niveau national, où diverses propositions peuvent être déposées simultanément et discutées dans un parlement. Cette analogie n’est cependant pas pleinement pertinente, car, au niveau national, de telles situations sont intrinsèquement liées au droit d’initiative des parlementaires, des groupes parlementaires ou des clubs politiques du parlement, qui sont alors susceptibles de s’affronter entre eux ou de contester une proposition gouvernementale déjà déposée. Une meilleure analogie à cet égard serait une situation dans laquelle un seul et même gouvernement enverrait simultanément des propositions contradictoires au parlement national, ce que l’on ne pourrait guère qualifier de gouvernance efficace (ou même démocratique), à quelque niveau que ce soit.

( 39 ) Ordonnance du 5 septembre 2018, Minority SafePack – one million signatures for diversity in Europe/Roumanie et Commission [C‑717/17 P(I), non publiée, EU:C:2018:691, point 31].

( 40 ) Arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217).

( 41 ) Arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, points 75 et 76).

( 42 ) Voir points 38 à 41 des présentes conclusions.

( 43 ) Arrêt du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission (C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 24).

( 44 ) Arrêts du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission (C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 49), et du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 53).

( 45 ) Voir points 39 à 42 des présentes conclusions.

( 46 ) Amendement 52, rapport I sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’initiative citoyenne [COM(2010) 0119 – C7-0089/2010 – 2010/0074 (COD)], Commission des affaires constitutionnelles A 7‑0350/2010.

( 47 ) On pourrait ajouter que l’accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne (JO 2010, L 304, p. 47) établit, au point 16, un lien important entre les suites données à une demande du Parlement conformément à l’article 225 TFUE et l’ICE. La Commission s’engage à rendre compte des suites concrètes dans un délai de trois mois après l’adoption de la résolution et, si elle ne présente pas de proposition, elle en expose les « motifs circonstanciés ». En particulier, la Commission « s’engage aussi en faveur d’une étroite coopération avec le Parlement, à un stade initial, sur toutes les demandes d’initiative législative émanant de citoyens ». Sur l’interaction avec le Parlement, voir Karatzia, A., « The European Citizens’ Initiative and the EU Institutional Balance : On Realism and the Possibilities of Affecting EU Law-making », Common Market Law Review, 54, 2017, p. 177, spécialement p. 187 à 190.

( 48 ) À ce sujet, voir arrêt du Tribunal du 10 mai 2017, Efler e.a./Commission (T‑754/14, EU:T:2017:323, point 45).

( 49 ) Ainsi qu’il est relevé dans la décision de la Médiatrice européenne clôturant son enquête d’initiative OI/9/2013/TN relative à la Commission européenne, point 20.

( 50 ) Pour une discussion au sujet d’autres systèmes d’initiative d’un point de vue comparatif, voir Cuesta López, V., « A Comparative approach to the Regulation on the European Citizens’ Initiative », Perspectives on European Politics and Society, 13, 2012, p. 257 à 269, spécialement p. 263 ; Petropoulos, E., « Die Europäische Bürgerinitiative im paneuropäischen Kontext : Wo steht die direkte Demokratie in der EU im Vergleich zu ihren Mitgliedstaaten ? », Saar Blueprints, 11/2016 ; Qvortrup, M., « The Legislative Initiative : A comparative Analysis of the Domestic Experiences in EU Countries », dans : Dougan, M., Nic Shuibhne, N., et Spaventa, E., Empowerment and Disempowerment of the European Citizen, Hart, Oxford, 2012, p. 291 à 304.

( 51 ) Points 39 et 71 des présentes conclusions.

( 52 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 53 ) Par exemple, Organ, J., « Decommissioning Direct Democracy ? A Critical Analysis of Commission Decision-Making on the Legal Admissibility of European Citizens Initiative Proposals », European Constitutional Law Review, vol. 10, no 3, 2014, p. 422-443 ; Guilloud‑Colliat, L., « La mise en œuvre de l’initiative citoyenne européenne : anatomie d’un échec », Revue du droit de l’Union européenne, vol. 4, 2008, p. 175-200 ; et Bouza Garcia, L., et Del Río Villar, S., « The ECI as a Democratic Innovation : Analysing its Ability to Promote Inclusion, Empowerment and Responsiveness in European Civil Society », Perspectives on European Politics and Society, 13(3), 2012, p. 312-324.

( 54 ) Voir rapports de la Commission sur l’application du règlement (UE) no 211/2011 relatif à l’initiative citoyenne [COM(2015) 145 final et COM(2018) 157 final] et document « The European Citizens’ Initiative : the experience of the first three years ‐ European Implementation Assessment », European Parliamentary Research Service, p. 27 et suiv., et les résolutions du Parlement qui y sont citées.

( 55 ) Règlement (UE) 2019/788 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, relatif à l’initiative citoyenne européenne (JO 2019, L 130, p. 55). Le nouveau règlement ne modifie pas le caractère non contraignant pour la Commission d’une ICE réussie. Toutefois, il introduit, sur ce point spécifique, des modifications portant sur le contrôle politique, par le Parlement, du suivi qu’effectue la Commission (article 16), et sur l’obligation du Parlement d’évaluer le soutien politique de l’initiative à la suite de l’audition publique (article 14, paragraphe 3).

( 56 ) Par référence aux arrêts du 19 novembre 1998, Nilsson e.a. (C‑162/97, EU:C:1998:554, point 54) ; du 25 novembre 1998, Manfredi (C‑308/97, EU:C:1998:566, point 30), et du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor (C‑136/04, EU:C:2005:716, point 32).

( 57 ) À titre d’illustration, voir, par exemple, arrêts du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, points 91 et 92) ; du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja (C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, points 42 et 43), ou du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. (C‑528/16, EU:C:2018:583, points 44 à 46 et 51).

( 58 ) Les cas d’école relevant de cette catégorie sont les situations dans lesquelles la portée d’une notion juridique indéfinie ou indéterminée figurant dans les articles d’un acte juridique est interprétée soit de façon étroite, soit de façon large à la lumière d’un considérant. Ainsi, une obligation pourrait-elle être imposée à une partie, ou un droit conféré à une autre, au titre, bien entendu, sur un plan formel, d’un article d’un acte juridique, mais en réalité sur la base d’un considérant, qui serait susceptible de modifier considérablement la portée de la notion juridique en question.

( 59 ) Sans vouloir m’engager dans une « interprétation rétroactive », il n’en convient pas moins de noter que le terme « séparément » a disparu dans le considérant 28 du règlement no 2019/788, qui correspond au considérant 20 du règlement ICE.

( 60 ) Voir justification de l’amendement 19, rapport I sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’initiative citoyenne [COM(2010) 0119 – C7-0089/2010 – 2010/0074 (COD)], Commission des affaires constitutionnelles A 7‑0350/2010. De même, l’amendement 52 indique que « [l]a Commission devrait tirer des conclusions juridiques et politiques sur l’initiative, qui devraient figurer dans la communication ».

( 61 ) Arrêt du 14 juillet 2005, Rica Foods/Commission (C‑40/03 P, EU:C:2005:455).

( 62 ) Arrêt du 9 décembre 2014 (C‑261/13 P, EU:C:2014:2423).

( 63 ) Point 169 de l’arrêt attaqué.

( 64 ) Arrêt du 14 juillet 2005, Rica Foods/Commission (C‑40/03 P, EU:C:2005:455, points 53 à 55, et jurisprudence citée).

( 65 ) Sur le débat concernant la nécessité de justifier la communication de suivi sur une ICE réussie, voir, par exemple, Dougan, M., « What are we to make of the citizens’ initiative? », Common Market Law Review, 48, 2011, p. 1807 à 1848, spécialement p. 1839 ; Vogiatzis, N., « Between discretion and control : Reflections on the institutional position of the Commission within the European citizens’ initiative process », European Law Journal, 23, 2017, p. 250‑271, spécialement p. 257.

( 66 ) Arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement (C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, point 24).

( 67 ) Le Tribunal n’exclut donc aucunement le contrôle juridictionnel en considérant qu’il s’agit d’une « question politique », ce qui aurait pu se concevoir à certains égards. Si l’on admet que la Commission jouit d’un pouvoir d’appréciation politique quant au suivi ou non d’une ICE réussie, que faudrait-il alors contrôler ? Les goûts, les croyances et les convictions politiques ne se prêtent guère à un contrôle juridictionnel (rationnel). Sur ce débat en général, voir Butler, G., « In search of the Political Question Doctrine in EU law », Legal Issues of Economic Integration, vol. 45, no 4, 2018, p. 329 à 354.

( 68 ) En reflétant donc, à un autre niveau, la discussion sur la « valeur ajoutée », évoquée aux points 73 et 74 ci‑dessus des présentes conclusions.

( 69 ) Voir point 100 des présentes conclusions.

( 70 ) Voir, par exemple, arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 124 et jurisprudence citée).

( 71 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑427/12, EU:C:2014:170, point 40) ; du 11 décembre 2018, Weiss e.a. (C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 24), ou du 30 avril 2019, Italie/Conseil (quota de pêche pour l’espadon méditerranéen) (C‑611/17, EU:C:2019:332, points 57 et 120).

( 72 ) Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Rica Foods/Commission (C‑40/03 P, EU:C:2005:93, points 45 à 50).

( 73 ) Voir point 103 des présentes conclusions.

( 74 ) Arrêt du 18 octobre 2011, Brüstle (C‑34/10, EU:C:2011:669).

( 75 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO 1998, L 213, p. 13).

( 76 ) Arrêts du 18 octobre 2011, Brüstle (C‑34/10, EU:C:2011:669, point 40), et du 18 décembre 2014, International Stem Cell (C‑364/13, EU:C:2014:2451, point 22).

( 77 ) En ce sens, voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Brüstle (C‑34/10, EU:C:2011:138, point 44), où celui‑ci souligne que la « brevetabilité et la recherche ne [lui]paraissent pas indissociables l’une de l’autre ».

( 78 ) Voir points 179 et 180 de l’arrêt attaqué.

( 79 ) Au point 3.3, la communication comporte simplement la déclaration suivante : « Dans les pays partenaires en développement, où elle soutient le secteur de la santé, l’Union apporte une aide aux systèmes de soins de santé, soit en soutenant la fourniture de services intégrés, laquelle recouvre les services de santé sexuelle, génésique, maternelle, néonatale et infantile tout au long du continuum de soins, soit en fournissant un appui budgétaire pour aider les pays à améliorer la fourniture de leurs propres services de santé. Par définition, cette aide contribuera directement ou indirectement à tout l’éventail des services de santé dispensés par les pays partenaires, lesquels peuvent ou non inclure des services en rapport avec l’avortement pour sauver la vie de la mère. Ce soutien très complet de l’Union contribue fortement à réduire le nombre d’avortements parce qu’il améliore l’accès à des services sûrs et efficaces, dont une planification familiale de qualité, une large gamme de méthodes contraceptives, la contraception d’urgence et une éducation sexuelle globale. »

( 80 ) En invoquant l’arrêt du 13 juillet 2006, Commission/Volkswagen (C‑74/04 P, EU:C:2006:460, points 49 à 53), au soutien de cette thèse.

( 81 ) Voir point 11 des présentes conclusions.

( 82 ) Arrêts du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission (C‑589/15 P, EU:C:2017:663, points 35 et 45), et du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 51).

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