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Document 62018CC0325

    Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 7 août 2018.
    Hampshire County Council contre C.E. et N.E.
    Demandes de décision préjudicielle, introduites par la Court of Appeal (Irlande).
    Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Enlèvement international d’enfants – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 11 – Demande de retour – Convention de La Haye du 25 octobre 1980 – Requête en déclaration de la force exécutoire – Recours – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Délai de formation du recours – Ordonnance d’exequatur – Exécution avant sa signification.
    Affaires jointes C-325/18 PPU et C-375/18 PPU.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:654

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    MME JULIANE KOKOTT

    présentées le 7 août 2018 ( 1 )

    Affaires jointes C‑325/18 PPU et C‑375/18 PPU

    Hampshire County Council

    contre

    C.E.,

    N.E.

    [demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande)]

    « Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 2201/2003 – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière de responsabilité parentale – Articulation avec la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants – Requête en déclaration de la force exécutoire – Recours – Délai de formation dudit recours – Caractère prorogeable – Droit à une protection juridictionnelle effective – Portée – Exécution d’une décision avant la signification de la déclaration constatant la force exécutoire de ladite décision aux parents concernés – Sauvegarde de l’effet utile du recours contre la déclaration constatant la force exécutoire – Injonction conservatoire »

    Table des matières

     

    I. Introduction

     

    II. Le cadre juridique

     

    A. Le droit international et le droit de l’Union

     

    1. La convention de La Haye

     

    2. Le règlement no 2201/2003

     

    B. Le droit irlandais

     

    III. Antécédents du litige

     

    IV. La procédure devant la Cour et les questions préjudicielles

     

    V. Appréciation

     

    A. Sur la recevabilité des renvois préjudiciels

     

    B. Sur la première question préjudicielle dans l’affaire C‑325/18 PPU

     

    1. La possibilité de solliciter l’exequatur d’une décision concernant la responsabilité parentale en vertu du règlement no 2201/2003, indépendamment de la voie de La Haye

     

    2. L’impossibilité de solliciter, en vertu du règlement no 2201/2003, l’exequatur d’une décision ordonnant le retour d’un enfant non liée à une décision concernant la responsabilité parentale

     

    3. Conclusion intermédiaire

     

    C. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire C‑325/18 PPU, et sur la question préjudicielle dans l’affaire C‑375/18 PPU

     

    1. Sur le délai (deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire C‑325/18 PPU)

     

    a) Observations liminaires

     

    b) Sur la possibilité de proroger le délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003

     

    c) Sur la mise en balance à effectuer lors la prorogation du délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003

     

    1) L’ampleur du dépassement du délai

     

    2) Les objectifs du règlement no 2201/2003

     

    3) L’atteinte au droit à un recours effectif

     

    4) Le lien causal entre le non-respect du délai et le comportement de l’administration

     

    5) Le comportement des parties

     

    d) Conclusion intermédiaire

     

    2. Sur l’injonction (affaire C‑375/18 PPU)

     

    a) Observations liminaires

     

    b) Sur la prohibition des anti-suit injunctions

     

    c) Sur l’utilité d’une injonction conservatoire dans les circonstances au principal

     

    d) Conclusion intermédiaire

     

    VI. Conclusion

    I. Introduction

    1.

    Le règlement (CE) no 2201/2003, dit « règlement Bruxelles II bis» ( 2 ), est l’instrument de l’Union qui devient pertinent, notamment, lorsqu’il s’agit de faire reconnaître et exécuter une décision concernant la responsabilité parentale dans un autre État membre. Pour les cas de déplacement illicite d’enfants en violation d’un droit de garde, ce règlement intègre et complète les dispositions de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (ci-après la « convention de La Haye »).

    2.

    La présente affaire soulève la question du rapport entre ces deux instruments dans un cas dans lequel une famille anglaise s’est, sous la menace du retrait de leurs enfants par une autorité locale chargée de la protection de l’enfance, enfuie en Irlande avec un bébé âgé de 2 ou 3 jours ainsi que deux enfants âgés de 3 et 5 ans.

    3.

    L’autorité locale a alors obtenu, en l’absence des parents, d’abord, de la part d’une juridiction anglaise, une ordonnance mettant les enfants sous tutelle judiciaire et ordonnant leur retour en Angleterre, puis, de la part d’une juridiction irlandaise, une décision d’exequatur sur la base du règlement no 2201/2003. Enfin, avant même de signifier cette décision d’exequatur aux parents, l’autorité anglaise, aidée par ses homologues irlandais, a procédé à l’exécution en ramenant les enfants en Angleterre à l’insu des parents. Ceux-ci ont alors introduit, en Irlande, avec deux jours de retard par rapport au délai prévu par le règlement no 2201/2003, un recours contre la décision d’exequatur. Entre-temps, l’autorité anglaise a entamé, en Angleterre, une procédure d’adoption du bébé.

    4.

    C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi demande à la Cour, d’abord, si le fait, pour l’autorité anglaise, d’avoir eu recours aux dispositions générales du règlement no 2201/2003 sur l’exécution de décisions rendues dans un autre État membre afin d’obtenir l’exequatur de la décision anglaise en Irlande a constitué un contournement des procédures spécifiques prévues, pour les cas d’enlèvements internationaux d’enfants, par la convention de La Haye, lue en combinaison avec le règlement no 2201/2003.

    5.

    Ensuite, la juridiction de renvoi se demande si le délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 pour l’introduction d’un recours contre la décision d’exequatur est susceptible d’être prorogé, notamment dans un cas dans lequel une décision a été mise en exécution avant la signification de la déclaration d’exequatur à la personne contre laquelle l’exécution a été demandée.

    6.

    Enfin, la juridiction de renvoi, qui est aussi saisie d’une demande de mesures provisoires tendant au prononcé, à l’encontre de l’autorité anglaise, d’une injonction conservatoire interdisant à cette autorité de poursuivre la procédure d’adoption du bébé et d’entamer une procédure d’adoption pour les deux enfants plus âgés, sollicite de la part de la Cour une réponse à la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’elle prononce une telle injonction à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre.

    II. Le cadre juridique

    A. Le droit international et le droit de l’Union

    1.   La convention de La Haye

    7.

    Aux termes de son article 1er, la convention de La Haye a pour objet, notamment, « d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ».

    8.

    En vertu de l’article 3 de la convention de La Haye, le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

    « a)

    lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ;

    […]

    Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État. »

    9.

    Aux termes de l’article 12, premier alinéa, de la convention de La Haye :

    « Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat. »

    10.

    L’article 13 de la convention de La Haye est libellé en ces termes :

    « Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

    […]

    b)

    qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

    L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. […] »

    2.   Le règlement no 2201/2003

    11.

    L’article 1er du règlement no 2201/2003 dispose :

    « 1.   Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :

    […]

    b)

    à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

    2.   Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment :

    a)

    le droit de garde et le droit de visite ;

    b)

    la tutelle, la curatelle, et les institutions analogues ;

    c)

    la désignation et les fonctions de toute personne ou organisme chargé de s’occuper de la personne ou des biens de l’enfant, de le représenter ou de l’assister ;

    d)

    le placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement ;

    […]

    3.   Le présent règlement ne s’applique pas :

    […]

    b)

    à la décision sur l’adoption et les mesures qui la préparent, ainsi que l’annulation et la révocation de l’adoption ;

    […] »

    12.

    Conformément à l’article 2 du règlement no 2201/2003, on entend par :

    « 4)

    “décision” […] toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d’un État membre […] ;

    […]

    7)

    “responsabilité parentale” l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite ;

    […]

    9)

    “droit de garde” les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ;

    […]

    11)

    “déplacement ou non-retour illicites d’un enfant” le déplacement ou le non-retour d’un enfant lorsque :

    a)

    il a eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour […] »

    13.

    Le chapitre II du règlement no 2201/2003 est intitulé « Compétence » et contient notamment l’article 11, intitulé « Retour de l’enfant », qui dispose :

    « 1.   Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après “la convention de La Haye de 1980”) en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.

    […]

    4.   Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l’enfant en vertu de l’article 13, point b), de la convention de La Haye de 1980 s’il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l’enfant après son retour.

    […]

    6.   Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l’intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision de non-retour.

    7.   À moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l’une des parties, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l’enfant.

    Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l’affaire si elle n’a reçu dans le délai prévu aucune observation.

    8.   Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l’enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, en vue d’assurer le retour de l’enfant. »

    14.

    L’article 20, qui fait également partie du chapitre II, dispose :

    « 1.   En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

    […] »

    15.

    Le chapitre III du règlement no 2201/2003 contient des dispositions relatives à la « Reconnaissance et [à l’]exécution ». À cet égard, la section 1 (« Reconnaissance ») comporte notamment l’article 21, intitulé « Reconnaissance d’une décision », dont le paragraphe 1 prévoit :

    « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. »

    16.

    L’article 23 du règlement no 2201/2003 énonce des « Motifs de non-reconnaissance des décisions en matière de responsabilité parentale », à savoir :

    « Une décision rendue en matière de responsabilité parentale n’est pas reconnue :

    a)

    si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis eu égard aux intérêts supérieurs de l’enfant ;

    b)

    si, sauf en cas d’urgence, elle a été rendue sans que l’enfant, en violation des règles fondamentales de procédure de l’État membre requis, ait eu la possibilité d’être entendu ;

    c)

    si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié à la personne défaillante en temps utile et de telle manière que celle-ci puisse pourvoir à sa défense, à moins qu’il ne soit établi que cette personne a accepté la décision de manière non équivoque ;

    d)

    à la demande de toute personne faisant valoir que la décision fait obstacle à l’exercice de sa responsabilité parentale, si la décision a été rendue sans que cette personne ait eu la possibilité d’être entendue ;

    […] »

    17.

    La section 2 du chapitre III du règlement no 2201/2003 porte le titre « Requête en déclaration de la force exécutoire » et comporte notamment l’article 28 (« Décisions exécutoires ») dont le paragraphe 1 prévoit :

    « Les décisions rendues dans un État membre sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, qui y sont exécutoires et qui ont été signifiées ou notifiées, sont mises en exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. »

    18.

    L’article 31 du règlement no 2201/2003 prévoit à cet égard :

    « 1.   La juridiction saisie de la requête statue à bref délai, sans que ni la personne contre laquelle l’exécution est demandée ni l’enfant ne puissent, à ce stade de la procédure, présenter d’observations.

    2.   La requête ne peut être rejetée que pour l’un des motifs prévus aux articles 22, 23 et 24.

    3.   En aucun cas, la décision ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »

    19.

    L’article 33 du règlement no 2201/2003, intitulé « Recours », dispose :

    « 1.   L’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

    […]

    3.   Le recours est examiné selon les règles de la procédure contradictoire.

    4.   Si le recours est formé par la personne qui a demandé la déclaration constatant la force exécutoire, la partie contre laquelle l’exécution est demandée est appelée à comparaître devant la juridiction saisie du recours. […]

    5.   Le recours contre la déclaration constatant la force exécutoire doit être formé dans un délai d’un mois à compter de sa signification. Si la partie contre laquelle l’exécution est demandée a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée, le délai est de deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile. Ce délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance. »

    20.

    L’article 35, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, est ainsi libellé :

    « La juridiction saisie du recours formé au titre de l’article 33 ou 34 peut, à la requête de la partie contre laquelle l’exécution est demandée, surseoir à statuer si la décision fait, dans l’État membre d’origine, l’objet d’un recours ordinaire, ou si le délai pour le former n’est pas expiré. Dans ce dernier cas, la juridiction peut impartir un délai pour former ce recours. »

    21.

    L’article 40 du règlement no 2201/2003 définit le champ d’application de la section 4 du chapitre III dudit règlement et dispose :

    « 1.   La présente section s’applique :

    a)

    au droit de visite

    et

    b)

    au retour d’un enfant consécutif à une décision ordonnant le retour de l’enfant visée à l’article 11, paragraphe 8.

    2.   Les dispositions de la présente section n’empêchent pas un titulaire de la responsabilité parentale d’invoquer la reconnaissance et l’exécution d’une décision, conformément aux dispositions contenues dans les sections 1 et 2 du présent chapitre. »

    22.

    L’article 42, qui fait partie de la section 4, prévoit :

    « 1.   Le retour de l’enfant visé à l’article 40, paragraphe 1, point b), résultant d’une décision exécutoire rendue dans un État membre est reconnu et jouit de la force exécutoire dans un autre État membre sans qu’aucune déclaration lui reconnaissant force exécutoire ne soit requise et sans qu’il ne soit possible de s’opposer à sa reconnaissance si la décision a été certifiée dans l’État membre d’origine conformément au paragraphe 2.

    Même si le droit national ne prévoit pas la force exécutoire de plein droit, nonobstant un éventuel recours, d’une décision ordonnant le retour de l’enfant visée à l’article 11, paragraphe 8, la juridiction d’origine peut déclarer la décision exécutoire.

    2.   Le juge d’origine qui a rendu la décision visée à l’article 40, paragraphe 1, point b), ne délivre le certificat visé au paragraphe 1 que si :

    a)

    l’enfant a eu la possibilité d’être entendu, à moins qu’une audition n’ait été jugée inappropriée eu égard à son âge ou à son degré de maturité,

    b)

    les parties ont eu la possibilité d’être entendues, et que

    c)

    la juridiction a rendu sa décision en tenant compte des motifs et des éléments de preuve sur la base desquels avait été rendue la décision prise en application de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980.

    […] »

    B. Le droit irlandais

    23.

    L’ordonnance 122 des Rules of the Superior Courts (règlement de procédure des juridictions supérieures) est intitulée « Délais », et sa règle no 7 énonce :

    « La juridiction supérieure a le pouvoir de proroger ou d’abréger tout délai imparti par les dispositions du présent règlement de procédure ou fixé par une ordonnance de prorogation de délai, pour l’accomplissement d’un acte ou l’introduction d’un acte de procédure, selon les conditions qu’elle ordonnera le cas échéant. Une prorogation pourra être décidée même lorsque la demande de prorogation a été introduite après l’expiration du délai imparti ou autorisé ».

    III. Antécédents du litige

    24.

    La présente affaire concerne une famille composée d’une mère ( 3 ) actuellement âgée de 24 ans, de ses trois enfants actuellement âgés de 6 ans ( 4 ), de 4 ans ( 5 ) et d’environ 11 mois ( 6 ), ainsi que de son époux ( 7 ), actuellement âgé de 26 ans, qui est le père du bébé et le beau-père des deux enfants plus âgés.

    25.

    Il ressort du dossier de la procédure au principal que, lorsqu’ils vivaient en Angleterre, la mère et les deux enfants plus âgés ont fait l’objet d’une surveillance de la part d’une autorité locale chargée de la protection de l’enfance, le Hampshire County Council (Conseil du comté d’Hampshire, Royaume-Uni) ( 8 ), pendant plusieurs années. Les préoccupations du HCC dans ce contexte concernaient, notamment, un manque d’hygiène et de salubrité de la maison, une prise de poids du deuxième enfant, des violences domestiques exercées à l’encontre de la mère par le père du deuxième enfant lorsqu’il vivait avec elle, la possession de plantes de cannabis par le père du deuxième enfant ainsi que, globalement, un risque de négligence de la surveillance des enfants.

    26.

    Durant les années 2015 et 2016, la mère a participé à un programme destiné aux victimes de violences domestiques ( 9 ), s’est séparée du père du deuxième enfant et a entamé des démarches afin de se protéger et de protéger ses enfants. En outre, les conditions d’hygiène domestique se sont améliorées.

    27.

    Toutefois, durant la première moitié de l’année 2017, les deux enfants plus âgés ont à nouveau fait l’objet d’un plan de surveillance de la part du HCC en raison principalement de la négligence des conditions de vie des enfants et des conditions d’hygiène domestiques. En outre, le HCC s’est montré préoccupé par le fait que la mère avait entamé une relation avec le père depuis la fin de l’année 2016, alors que celui-ci et sa compagne antérieure s’étaient vu retirer la garde de leurs enfants en raison du fait qu’un de ces enfants avait été victime d’une blessure non accidentelle et qu’il ne pouvait être exclu que le père avait été l’agresseur, même si la police n’avait pas pu le prouver. Le HCC a aussi exprimé son inquiétude en raison du fait que le premier enfant avait rapporté que le père lui avait donné une fessée et qu’il n’était pas clair si cela avait eu lieu dans le cadre d’une lutte ludique ou d’un châtiment inapproprié.

    28.

    Sans jamais évoquer l’option d’une adoption des deux enfants plus âgés, le HCC a considéré les différentes options de placement pour ceux-ci, notamment en famille d’accueil, auprès de leur grand-mère maternelle ou encore auprès de leurs pères respectifs. Dans ce contexte, le HCC a considéré que les enfants étaient trop jeunes pour que leur point de vue puisse être pris en considération. Le HCC a également noté que la mère avait indiqué que, s’il était décidé que les enfants ne pourraient rester avec elle, elle souhaiterait qu’ils soient placés auprès de sa mère, c’est-à-dire leur grand-mère maternelle.

    29.

    Il ressort, en outre, des rapports du HCC ainsi que de rapports fournis par l’école du premier enfant et par la garderie du deuxième enfant que les deux enfants plus âgés avaient une bonne relation avec leur grand-mère et que leurs conditions s’étaient améliorées depuis que leur grand-mère soutenait leur mère et les amenait à l’école et à la garderie le matin. De plus, il ressort des rapports fournis par l’école du premier enfant et par la garderie du deuxième enfant au cours de l’été 2017, notamment, que ces enfants étaient sociables et avaient une relation empreinte de tendresse avec leur mère. Enfin, ces rapports attestent du fait que les parents avaient été réactifs et demandeurs de conseils pour améliorer les conditions de vie et d’hygiène critiquées par les services sociaux, ce qui avait effectivement mené à une amélioration desdites conditions.

    30.

    Le 30 juin 2017, la Family Court de Portsmouth (tribunal des affaires familiales de Portsmouth, Royaume-Uni) a adopté un ordre de prise en charge provisoire (interim care order) au profit du HCC concernant les deux enfants plus âgés. Cet ordre conférait l’autorité parentale au HCC et contenait notamment l’interdiction d’éloigner les enfants du Royaume-Uni. Malgré les plans de placement du HCC, les enfants ont été laissés auprès des parents dans un premier temps. Lors de l’audience dans le cadre de cette procédure, la personne chargée de représenter l’intérêt des enfants ( 10 ) a exprimé son désaccord avec le plan du HCC de placer les enfants.

    31.

    Selon les affirmations du HCC, en août 2017, cette administration a fait part aux parents de son intention d’obtenir une décision judiciaire relative à la garde du bébé une fois que celui-ci serait né. Le HCC a en outre averti les parents qu’il s’opposerait à tout contact non surveillé du père avec le bébé.

    32.

    Le bébé est né à l’hôpital au début du mois de septembre 2017 et la mère et le bébé sont rentrés à la maison le jour même de la naissance ou le lendemain ( 11 ).

    33.

    Le lendemain ou surlendemain de la naissance du bébé ( 12 ), des travailleurs sociaux du HCC se sont rendus au domicile des parents et leur ont fait part du changement du plan de prise en charge des enfants par le HCC, consistant à retirer les enfants aux parents. En outre, l’un des travailleurs sociaux et les parents ont signé une convention aux termes de laquelle le père devait quitter le domicile familial le soir même et ne plus avoir de contact avec les enfants sans informer au préalable le HCC en attendant le résultat des procédures judiciaires.

    34.

    La mère, âgée à ce moment-là de 23 ans, devait donc se trouver seule à la maison avec le bébé âgé de 1 ou 2 jours ainsi que les deux enfants plus âgés de 3 et 5 ans, avec la perspective de procédures judiciaires devant avoir lieu prochainement au cours desquelles il pouvait être décidé que ses enfants allaient lui être retirés. La mère a en outre affirmé ultérieurement dans une déclaration sous serment qu’à ce moment-là elle s’était souvenue d’une conversation qu’elle avait eue auparavant avec un travailleur social du HCC et au cours de laquelle ce travailleur social avait indiqué que les deux enfants plus âgés seraient en tout état de cause trop âgés pour être adoptés mais qu’un bébé serait facile à adopter.

    35.

    C’est dans ces conditions que, le 5 ou le 6 septembre 2017 ( 13 ), c’est-à-dire deux ou trois jours après la naissance du bébé, les parents se sont rendus par ferry en Irlande avec les enfants.

    36.

    Arrivés en Irlande, les parents ont loué une maison, fait examiner le bébé par une infirmière, enregistré les enfants auprès d’un pédiatre et inscrit les deux enfants plus âgés à l’école. De plus, la famille a été surveillée par la police irlandaise ainsi que les services irlandais de protection de l’enfance (la Child and Family Agency (Service de protection de l’enfance et de la famille, Irlande), ci-après la « CFA »), qui n’ont rien trouvé d’inquiétant lors de plusieurs visites au domicile familial.

    37.

    Le 6 septembre 2017, le tribunal des affaires familiales de Portsmouth a adopté un ordre de prise en charge provisoire (interim care order) au profit du HCC concernant le bébé.

    38.

    Le 8 septembre 2017, le HCC a introduit une demande de mise sous tutelle des trois enfants auprès de la High Court of Justice (England & Wales), Family Division, Family Court at Portsmouth [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles, division de la famille, tribunal des affaires familiales de Portsmouth, Royaume-Uni), ci-après la « High Court anglaise »]. Cette demande a été signifiée aux représentants des parents le jour même. Le représentant du père a alors indiqué qu’il n’avait pas d’instructions en ce qui concerne la mise sous tutelle et qu’il n’allait pas demander d’aide juridictionnelle pour agir dans le cadre de cette procédure. Le représentant de la mère a affirmé vouloir demander des instructions de la part de celle-ci mais n’a pas réussi à la joindre par téléphone.

    39.

    Plus tard dans la même journée, la High Court anglaise a adopté, en l’absence de représentants pour les parents, une ordonnance déclarant la mise sous tutelle judiciaire des enfants et leur retour en Angleterre (ci-après l’« ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 »).

    40.

    D’après les affirmations du HCC, l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 a été notifiée aux parents le 11 septembre 2017.

    41.

    Le 13 septembre 2017, la District Court de Gorey (tribunal du district de Gorey, Irlande) a adopté des ordres de prise en charge provisoires (interim care orders) au profit de la CFA pour les trois enfants, qui devaient rester en vigueur jusqu’au 26 septembre 2017. Les enfants ont été provisoirement placés dans une famille d’accueil en Irlande.

    42.

    Le 21 septembre 2017, la High Court (Haute Cour, Irlande) (ci-après la « High Court irlandaise ») a adopté une ordonnance concernant la reconnaissance et l’exécution de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 (ci-après l’« ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 »).

    43.

    Le jour même de l’adoption de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017, les services de la CFA ont récupéré les enfants dans la famille d’accueil auprès de laquelle ils avaient été provisoirement placés et les ont remis aux travailleurs sociaux du HCC au port de ferry de Rosslare (Irlande). Les enfants ont ensuite été ramenés au Royaume-Uni, où les deux enfants plus âgés ont été placés auprès du père du deuxième enfant, alors que le bébé a été placé dans une famille d’accueil.

    44.

    Après le départ des enfants, les parents ont été avertis de ce départ par un appel téléphonique d’un travailleur social anglais. L’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 a ensuite été signifiée aux parents le 22 septembre 2017.

    45.

    Le 26 septembre 2017, les parents ont introduit un recours contre l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 devant la Court of Appeal of England and Wales (Cour d’appel, Angleterre et pays de Galles). Le 9 octobre 2017, cette cour leur a refusé la permission de faire appel.

    46.

    Le 24 novembre 2017, les représentants des parents ont introduit devant la High Court irlandaise un recours contre l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017, qui avait été signifiée aux parents le 22 septembre 2017. Lors de l’audience dans cette procédure, les représentants des parents ont indiqué que le retard de 48 heures avec lequel le recours avait été introduit n’était pas imputable aux parents.

    47.

    Le 21 décembre 2017, la High Court anglaise a adopté un ordre de placement (placement order) autorisant le HCC à identifier des parents adoptifs pour le bébé et à le placer avec eux.

    48.

    Le 18 janvier 2018, la High Court irlandaise a rejeté le recours des parents contre l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017, considérant qu’elle n’était pas compétente pour proroger le délai de recours.

    49.

    Les parents ont interjeté appel contre ce rejet devant la juridiction de renvoi, la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande).

    50.

    Dans le cadre de cette procédure, le HCC a informé la juridiction de renvoi que, en raison de contraintes budgétaires, il n’entendait pas participer à la procédure. En outre, il a indiqué à la juridiction de renvoi qu’en tout état de cause il n’avait pas l’intention de rendre les enfants, quel que soit le résultat de la procédure pendante devant elle.

    51.

    Le 17 mai 2018, la juridiction de renvoi a déposé le renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑325/18 PPU.

    52.

    Le 23 mai 2018, les parents ont introduit une requête en référé devant la juridiction de renvoi, tendant à ce que celle-ci prononce une injonction à l’encontre du HCC afin que celui-ci cesse de poursuivre la procédure d’adoption du bébé et n’entame pas de procédure d’adoption pour les deux enfants plus âgés.

    53.

    Tout en ne participant pas non plus à cette dernière procédure, le HCC a déposé une déclaration le matin de l’audience de référé, à savoir le 29 mai 2018. Dans cette déclaration, il a souligné qu’il ne proposait l’adoption que pour le bébé. Il a indiqué que compte tenu de l’âge des deux autres enfants, de leur placement chez un parent – à savoir le père du deuxième enfant – ainsi que de leur relation fraternelle forte, il n’y aurait aucune raison d’engager une procédure d’adoption. Si le placement chez le père du deuxième enfant devait prendre fin, le plan de prise en charge serait alors un placement en famille d’accueil à long terme.

    54.

    Le 7 juin 2018, la juridiction de renvoi a déposé le renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑375/18 PPU.

    IV. La procédure devant la Cour et les questions préjudicielles

    55.

    Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 mai 2018, la Court of Appeal (Cour d’appel) a, dans le cadre de la procédure d’appel pendante devant elle, décidé de demander l’application de la procédure préjudicielle d’urgence et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes (affaire C‑325/18 PPU) :

    « 1)

    Lorsqu’il est allégué que des enfants ont été illégalement déplacés, par leurs parents ou par d’autres membres de la famille, du pays de leur résidence habituelle [vers] un autre pays, en violation d’une décision de justice obtenue par une administration publique de [l’]État [de résidence], cette administration publique peut-elle demander en justice qu’une décision ordonnant le retour de ces enfants sur ce territoire soit exécutée par les tribunaux d’un autre État membre conformément aux dispositions du chapitre III du règlement no 2201/2003 du Conseil ou cette exécution constitue-t-elle un contournement illicite de l’article 11 de ce règlement et de la convention de La Haye de 1980, ou constitue-t-elle un abus de droit de la part de l’administration concernée ?

    2)

    Dans une affaire concernant les dispositions en matière d’exécution du règlement no 2201/2003 du Conseil, la juridiction saisie est-elle compétente pour proroger le délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, compte tenu [du fait] que le retard est minime et qu’une prorogation aurait pu par ailleurs être octroyée en vertu du droit national ?

    3)

    Sans préjudice de la deuxième question, lorsqu’une administration publique étrangère soustrait des enfants, comme c’est le cas dans le litige au principal, du territoire d’un État membre sur le fondement d’une décision de mise en exécution prise de façon non contradictoire conformément à l’article 31 du règlement no 2201/2003 […], mais exécutée avant d’être signifiée aux parents, privant ainsi ces derniers de leur droit de demander un sursis à exécution dans l’attente d’un recours, un tel comportement porte-t-il atteinte au contenu essentiel du droit que les parents tirent de l’article 6 de la [convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] (CEDH) et de l’article 47 de la [c]harte [des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »)] de sorte qu’une prorogation du délai de recours (prévu à l’article 33, paragraphe 5, de ce règlement) devrait être accordée ? »

    56.

    En outre, par acte déposé au greffe de la Cour le 7 juin 2018, la Court of Appeal (Cour d’appel) a, dans le cadre de la procédure de référé entre-temps introduite devant elle, posé à la Cour la question préjudicielle suivante, tout en demandant également l’application de la procédure préjudicielle d’urgence (affaire C‑375/18 PPU) :

    « Le droit de l’Union, notamment les dispositions du règlement no 2201/2003, s’oppose-t-il à ce qu’une juridiction d’un État membre prononce par ordonnance en référé (prévoyant des mesures conservatoires) une injonction in personam à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer une procédure pour l’adoption d’enfants devant les tribunaux de cet autre État membre lorsque l’injonction in personam s’avère nécessaire pour protéger les droits des parties à une procédure portant sur l’exécution d’une décision au titre du chapitre III de ce règlement ? »

    57.

    À la suite de la réunion administrative du 11 juin 2018, la première chambre de la Cour a décidé de joindre les présentes affaires et de les soumettre à la procédure préjudicielle d’urgence visée à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

    58.

    Dans le cadre de la procédure devant la Cour, les parents, le HCC, la Commission européenne ainsi que les gouvernements de l’Irlande et du Royaume–Uni ont présenté des observations, et ce dernier gouvernement a répondu à des questions posées par la Cour. Ces mêmes parties ainsi que les gouvernements tchèque et polonais ont pris part à l’audience du 13 juillet 2018.

    V. Appréciation

    A. Sur la recevabilité des renvois préjudiciels

    59.

    Il ressort de la chronologie de l’affaire au principal que le retour des enfants en Angleterre a été effectué avant la signification de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise aux parents. Ceux-ci n’ont donc pu introduire leur recours à l’encontre de ladite ordonnance qu’après la mise en exécution de celle-ci.

    60.

    Dans ces conditions, la question pourrait se poser de la persistance du litige au principal et, partant, de la recevabilité des présentes questions préjudicielles.

    61.

    Or, il découle certes de l’économie du règlement no 2201/2003 qu’une décision d’exequatur doit normalement être signifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée avant la mise en exécution afin de permettre à cette partie d’introduire un recours en temps utile pour empêcher l’exécution ( 14 ).

    62.

    Toutefois, cela ne saurait signifier à l’inverse que, lorsque l’exécution a eu lieu avant la signification de la décision d’exequatur, un recours contre ladite décision se trouverait privé de son objet ( 15 ).

    63.

    À cet égard, la Commission a certes souligné à l’audience que le règlement no 2201/2003 ne prévoyait pas de procédure spécifique qui obligerait les juridictions anglaises à tenir compte d’une éventuelle annulation de la décision d’exequatur par la juridiction de renvoi.

    64.

    Néanmoins, comme l’a affirmé le gouvernement du Royaume–Uni, dans une telle situation, les parents pourraient introduire un recours en Angleterre et, sur la base de la courtoisie internationale (international comity), les juridictions anglaises n’ignoreraient pas la décision du juge irlandais et accorderaient au contraire une importance primordiale aux motifs de celle-ci. De plus, ainsi que l’ont également noté le gouvernement du Royaume-Uni et le représentant du HCC, le retour des enfants en Angleterre n’a rien d’irréversible et, sous réserve de la prise en compte de leur intérêt supérieur, ils pourraient, le cas échéant, tout à fait être à nouveau amenés en Irlande. Le gouvernement du Royaume-Uni et le représentant du HCC ont par ailleurs indiqué que de tels allers-retours avaient lieu de manière courante, notamment lors de l’application de la convention de La Haye entre le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique.

    65.

    Il s’ensuit que la persistance du litige au principal et, partant, la recevabilité des demandes de décisions préjudicielles ne peuvent pas susciter de doutes.

    B. Sur la première question préjudicielle dans l’affaire C‑325/18 PPU

    66.

    Par sa première question dans l’affaire C‑325/18 PPU, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, lorsqu’il est allégué que des enfants ont été illicitement déplacés, une décision d’une juridiction de l’État membre de résidence habituelle ordonnant le retour de ces enfants peut être déclarée exécutoire dans l’État membre de refuge conformément aux dispositions générales du chapitre III du règlement no 2201/2003, ou si cela constitue un contournement de la procédure spécifique prévue pour les cas de déplacement d’enfants par la convention de La Haye, en combinaison avec l’article 11 du règlement no 2201/2003 (ci-après aussi : la « voie de La Haye »).

    67.

    Les parents ainsi que la juridiction de renvoi semblent considérer qu’il existe, en cas de déplacement d’enfants d’un État membre à un autre, un rapport de subsidiarité entre la voie de La Haye et la procédure normale de reconnaissance et d’exequatur de décisions concernant la responsabilité parentale prévue par le règlement no 2201/2003.

    68.

    L’article 11 du règlement no 2201/2003, lu en combinaison avec la convention de La Haye, permet à une personne qui allègue qu’un enfant a été illicitement déplacé dans un autre État membre de demander à l’autorité judiciaire ou administrative compétente de cet État membre d’ordonner le retour de l’enfant. Si une juridiction de l’État membre où se trouve l’enfant refuse, en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye, d’ordonner ce retour ( 16 ), l’article 11, paragraphe 8, du règlement no 2201/2003 permet à une juridiction qui est compétente en vertu dudit règlement d’adopter une décision ordonnant le retour, qui est par la suite, sans besoin de procédure d’exequatur, directement exécutoire dans l’État membre de refuge si elle a été adoptée et certifiée conformément à la procédure prévue ( 17 ).

    69.

    En l’espèce, il est constant que le HCC n’a pas eu recours à cette voie et qu’il n’y a donc pas eu de décision ordonnant le retour des enfants au sens de l’article 11, paragraphe 8, du règlement no 2201/2003. Comme il l’a confirmé à l’audience, le HCC n’a pas choisi cette voie, notamment, parce qu’elle n’est ouverte qu’en cas de déplacement illicite d’un enfant en violation d’un droit de garde ( 18 ). Or, au moment du déplacement de la famille en Irlande, le HCC était sûr d’avoir des droits de garde seulement en ce qui concerne les deux enfants plus âgés. Il n’était donc pas certain que le déplacement du bébé aurait été susceptible d’être considéré comme illicite au sens des dispositions pertinentes ( 19 ).

    70.

    C’est la raison pour laquelle le HCC a demandé directement à la High Court anglaise de placer les enfants sous tutelle judiciaire et d’ordonner leur retour en Angleterre, avant d’introduire, conformément à l’article 28 du règlement no 2201/2003, une requête en déclaration de la force exécutoire de l’ordonnance de la High Court anglaise auprès de la High Court irlandaise.

    1.   La possibilité de solliciter l’exequatur d’une décision concernant la responsabilité parentale en vertu du règlement no 2201/2003, indépendamment de la voie de La Haye

    71.

    Le règlement no 2201/2003 prévoit deux options distinctes pour l’exécution de décisions rendues par des juridictions d’autres États membres : d’une part, la voie générale d’une demande d’exequatur conformément à la section 2 du chapitre III (article 28 et suiv.), et, d’autre part, la voie spécifique des décisions jouissant directement de la force exécutoire dans un autre État membre sans besoin d’exequatur en vertu de la section 4 du chapitre III (article 40 et suiv.). Cette dernière option n’est applicable que pour les décisions visées à l’article 11, paragraphe 8 ( 20 ), du règlement no 2201/2003, c’est-à-dire les décisions de retour adoptées au terme de la mise en œuvre de la voie de La Haye par une juridiction compétente après une décision de non-retour d’une juridiction de l’État membre où se trouve l’enfant.

    72.

    Or, aux termes de l’article 40, paragraphe 2, du règlement no 2201/2003, les dispositions de la section 4 du chapitre III (relatives à la force exécutoire de décisions de retour prises au terme de la voie de La Haye), n’empêchent pas un titulaire de la responsabilité parentale d’invoquer la reconnaissance et l’exécution d’une décision concernant la responsabilité parentale conformément aux dispositions des sections 1 et 2 dudit chapitre.

    73.

    Les circonstances de l’affaire au principal montrent d’ailleurs qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles une décision attribuant la responsabilité parentale à une personne restée dans un État membre n’est prise qu’après le déplacement d’un enfant vers un autre État membre, de sorte que le déplacement n’est pas illicite au sens de la voie de La Haye. Il ne saurait être concevable qu’une telle personne se trouve dans un tel cas dans l’impossibilité de demander l’exequatur de la décision lui attribuant la responsabilité parentale dans l’État membre de refuge conformément au règlement no 2201/2003.

    74.

    Il s’ensuit qu’il n’apparaît pas qu’une personne souhaitant obtenir le retour d’un enfant déplacé dans un autre État membre devrait obligatoirement tenter de faire ordonner ce retour via la voie de La Haye avant de pouvoir introduire, conformément à l’article 28 du règlement no 2201/2003, une demande d’exequatur d’une décision concernant sa responsabilité parentale rendue dans un autre État membre ( 21 ).

    75.

    Les doutes soulevés par les parents et la juridiction de renvoi au regard d’une telle interprétation ne sauraient emporter la conviction.

    76.

    Ainsi, d’abord, l’on ne saurait adhérer au point de vue de la juridiction de renvoi selon lequel l’article 13 de la convention de La Haye offrirait plus de raisons de refuser d’ordonner le retour d’un enfant que l’article 23 du règlement no 2201/2003 n’offrirait de raisons de refuser la reconnaissance et l’exécution d’une décision concernant la responsabilité parentale. En effet, les motifs de refus et de non-reconnaissance prévus à ces dispositions se recoupent largement.

    77.

    Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où le règlement no 2201/2003 atténue les moyens de refus de retour prévus par la convention de La Haye lorsque celle-ci est appliquée, en combinaison avec ledit règlement, entre les États membres de l’Union : d’une part, l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 2201/2003 tempère le motif de refus prévu à l’article 13, sous b), de la convention de La Haye ; d’autre part, ainsi que cela a déjà été exposé ( 22 ), une juridiction compétente au fond peut, en vertu de l’article 11 du règlement no 2201/2003, passer outre une décision de non-retour rendue par une juridiction dans l’État membre de refuge, même si elle doit, en vertu de l’article 42, paragraphe 2, sous c), dudit règlement, prendre en compte les motifs ayant conduit à l’adoption de cette décision de non-retour.

    78.

    Ensuite, il ressort certes de l’article 11, paragraphe 7, et de l’article 42, paragraphe 2, sous b), du règlement no 2201/2003 qu’une décision de retour adoptée conformément à l’article 11, paragraphe 8, dudit règlement ne saurait être prise sans que les parties concernées aient eu la possibilité d’être entendues. Toutefois, il ressort de l’article 31, paragraphe 2, lu en combinaison avec les articles 23 et 33 du règlement no 2201/2003, qu’une décision concernant la responsabilité parentale ne saurait pas non plus être déclarée exécutoire dans un autre État membre sans que la personne contre laquelle l’exécution a été demandée ait eu la possibilité d’être entendue ( 23 ). L’on ne peut donc pas inférer du fait que ces dernières dispositions n’ont pas été respectées en l’espèce ( 24 ) que la voie normale de l’exequatur d’une décision concernant la responsabilité parentale prévue aux articles 28 et suivants du règlement no 2201/2003 serait de manière générale moins protectrice des droits du défendeur à l’exécution que la voie prévue aux articles 11, 40 et 42 dudit règlement.

    79.

    Enfin, l’on ne saurait pas non plus tirer argument du fait que certaines versions linguistiques du règlement no 2201/2003 ( 25 ) présentent une différence de formulation entre les articles 21 et 28 au regard de l’objet de la demande d’exequatur. Ainsi, l’article 21 stipule certes que les « décisions rendues dans un État membre » (c’est-à-dire, conformément à la définition de l’article 2, point 4, toute décision concernant la responsabilité parentale) sont reconnues dans les autres États membres, alors que l’article 28 des versions linguistiques concernées ne prévoit la demande d’exequatur que pour les « décisions rendues dans un État membre sur l’exercice ( 26 ) de la responsabilité parentale ». Toutefois, non seulement cette différence n’est pas présente dans toutes les versions linguistiques du règlement no 2201/2003, mais en plus elle ne fait que refléter la circonstance que ce sont surtout les décisions sur l’exercice de la responsabilité parentale qui appellent des mesures d’exécution et nécessitent donc une décision d’exequatur. En revanche, pour les décisions relatives à l’attribution, à la délégation ou au retrait de la responsabilité parentale, la seule reconnaissance peut suffire. Cela ne saurait pour autant signifier qu’une demande d’exequatur est exclue concernant de telles décisions qui sont nécessairement également susceptibles, le cas échéant, d’une exécution forcée.

    80.

    Ainsi, notamment, en cas de déplacement d’un enfant de l’État membre de sa résidence habituelle vers un autre État membre, une décision d’une juridiction de l’État membre d’origine attribuant la responsabilité parentale et le droit de garde à un parent resté dans cet État est susceptible d’une exécution forcée en ce sens que, si le parent enleveur ne « rend » pas l’enfant, l’assistance de la force publique sera nécessaire afin de récupérer et de ramener l’enfant. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où, en vertu de l’article 2, point 9, du règlement no 2201/2003, le « droit de garde » au sens dudit règlement comprend, notamment, le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant ( 27 ).

    81.

    Cette interprétation est confortée par les termes du certificat visé à l’article 39 du règlement no 2201/2003, dont le modèle figure à l’annexe II dudit règlement. Un tel certificat, qui a également été rempli en la présente espèce par la High Court anglaise, doit, en vertu de l’article 37, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2201/2003, être produit par la partie qui sollicite l’exequatur d’une décision concernant la responsabilité parentale. Or, le point 11 de ce formulaire prévoit précisément la possibilité d’indiquer si « [l]a décision prévoit le retour de l’enfant » ainsi que le nom et les coordonnées de la personne auprès de laquelle ce retour doit être effectué. De plus, ce point 11 indique expressément que « [c]ette possibilité est prévue par l’article 40, paragraphe 2 ».

    82.

    Cela confirme que le législateur a bien envisagé des décisions concernant la responsabilité parentale qui impliquent le retour d’un enfant dans un autre État membre et dont l’exequatur peut être demandé indépendamment d’un recours à la voie de La Haye prévue aux articles 11, 40 et 42 dudit règlement.

    2.   L’impossibilité de solliciter, en vertu du règlement no 2201/2003, l’exequatur d’une décision ordonnant le retour d’un enfant non liée à une décision concernant la responsabilité parentale

    83.

    Il convient de distinguer les décisions qui impliquent ou ordonnent le retour d’un enfant vers l’État membre d’origine en tant que conséquence d’une décision concernant la responsabilité parentale, d’une part, et les décisions ordonnant le retour d’une personne, en l’occurrence d’un enfant, vers le territoire d’un État membre indépendamment d’une décision concernant la responsabilité parentale, d’autre part : les deux types de décisions peuvent impliquer le retour de l’enfant vers l’État membre d’origine, mais seules les premières sont susceptibles d’être déclarées exécutoires dans l’État membre requis en vertu de la section 2 du chapitre III du règlement no 2201/2003.

    84.

    Ainsi, il n’est certes pas exclu que les juridictions des États membres puissent, sur le fondement de leur droit national, ordonner le retour d’un enfant sur leur territoire indépendamment de la prise d’une décision concernant la responsabilité parentale ( 28 ).

    85.

    Toutefois, s’il ne constitue pas une décision de retour adoptée en vertu de l’article 11, paragraphe 8, du règlement no 2201/2003 (c’est-à-dire une décision adoptée au terme de la voie de La Haye), un tel ordre de retour ne tombe pas dans le champ d’application matériel du règlement no 2201/2003.

    86.

    En effet, conformément à son article 1er, paragraphe 1, sous b), ce règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles ( 29 ) relatives, notamment, à l’attribution, à l’exercice, à la délégation et au retrait de la responsabilité parentale. À cet égard, la Cour a certes indiqué que la notion de « matières civiles » n’est pas, dans ce contexte, conçue de manière restrictive ( 30 ) et comprend, notamment, des mesures étatiques de protection d’un enfant, comme le placement dans un foyer d’accueil ( 31 ) ou un centre fermé ( 32 ).

    87.

    Néanmoins, une telle mesure étatique de protection de l’enfance se rattache toujours à l’exercice de la responsabilité parentale et est donc à distinguer d’une mesure ordonnant le retour d’une personne, en l’occurrence d’un enfant, sur le territoire de la juridiction concernée en dehors de toute décision concernant la responsabilité parentale. En effet, une telle mesure a pour objet ( 33 ) l’exercice, par l’État membre concerné, d’un pouvoir de police qui dépasse le champ d’application du règlement no 2201/2003 ( 34 ).

    88.

    Il ressort de ce qui précède que, en dehors des cas visés par l’article 11 du règlement no 2201/2003, une décision judiciaire ordonnant le retour d’un enfant sur le territoire de la juridiction concernée indépendamment d’une décision concernant la responsabilité parentale ne tombe pas sous le champ d’application dudit règlement. Partant, une telle décision ne saurait être déclarée exécutoire conformément aux dispositions de la section 2 du chapitre III de ce règlement.

    3.   Conclusion intermédiaire

    89.

    Comme le juge de renvoi l’a relevé, le dispositif de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 est composé de plusieurs éléments distincts, à savoir, notamment, le placement des enfants sous le régime de la tutelle judiciaire, l’ordre de retour des enfants sur le territoire de la juridiction anglaise, la permission de prise en charge des enfants par les services irlandais de l’enfance le temps d’organiser leur retour et la prise en charge des enfants par le HCC après ce retour.

    90.

    Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, sur la base des termes de cette ordonnance ainsi qu’au vu du reste des circonstances en présence, si l’ordre de retour contenu dans ladite ordonnance pouvait bénéficier de la procédure d’exequatur prévue à la section 2 du chapitre III du règlement no 2201/2003.

    91.

    Il ressort des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question dans l’affaire C‑325/18 PPU que, lorsqu’il est allégué que des enfants ont été illicitement déplacés de l’État membre de leur résidence habituelle vers un autre État membre, une décision ordonnant le retour de ces enfants prise par une juridiction de l’État membre d’origine en dehors de la procédure prévue à l’article 11 du règlement no 2201/2003 et indépendamment d’une décision concernant la responsabilité parentale ne peut être exécutée conformément aux dispositions du chapitre III dudit règlement. Toutefois, dans de telles circonstances, une décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction de l’État membre d’origine qui implique le retour de l’enfant vers cet État membre peut être exécutée conformément auxdites dispositions.

    C. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire C‑325/18 PPU, et sur la question préjudicielle dans l’affaire C‑375/18 PPU

    92.

    Les deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑325/18 PPU et la question dans l’affaire C‑375/18 PPU ne sont pertinentes que dans l’hypothèse dans laquelle le juge de renvoi se trouve saisi d’une procédure de recours contre une décision d’exequatur conformément au règlement no 2201/2003. Dans le cas contraire, le litige au principal se situerait en dehors du champ d’application du droit de l’Union et la Cour ne serait pas compétente pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi ( 35 ).

    93.

    Partant, les réponses aux deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑325/18 PPU et à la question dans l’affaire C‑375/18 PPU sont apportées pour l’hypothèse où la juridiction de renvoi arrive à la conclusion que l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 pouvait être déclarée exécutoire en Irlande par l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 conformément au règlement no 2201/2003 et où la procédure de recours dont elle est saisie est donc régie par les termes dudit règlement.

    1.   Sur le délai (deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire C‑325/18 PPU)

    94.

    Avec ses deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑325/18 PPU, qu’il convient de traiter ensemble, le juge de renvoi cherche, en substance, à savoir si, dans un cas dans lequel l’exécution d’une décision d’exequatur a eu lieu avant la signification de ladite décision, le droit de l’Union s’oppose à ce qu’il prolonge le délai pour l’introduction d’un recours contre la décision d’exequatur stipulé à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003.

    a)   Observations liminaires

    95.

    Aux termes de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, le délai pour introduire un recours contre la déclaration constatant la force exécutoire est d’un mois ou de deux mois lorsque la partie contre laquelle l’exécution est demandée a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dans lequel ladite déclaration a été délivrée.

    96.

    En l’espèce, il est constant que le délai de recours a été de deux mois à partir de la signification de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 ( 36 ), que ladite ordonnance a été signifiée aux parents le 22 septembre 2017 ( 37 ) et que ceux-ci ont introduit leur recours contre celle-ci le 24 novembre 2017 ( 38 ). La juridiction de renvoi part donc de la prémisse selon laquelle le recours des parents a été introduit avec un retard de 48 heures.

    97.

    Il n’appartient certes pas à la Cour de remettre en cause cette prémisse et les appréciations factuelles de la juridiction de renvoi qui la sous-tendent. En outre, aucune des parties ne semble remettre en question le fait que la date de départ du délai de recours a bien été la date de la signification de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 aux parents, c’est-à-dire le 22 septembre 2017 ( 39 ).

    98.

    Néanmoins, ainsi que le relève aussi la juridiction de renvoi, le dossier national contient un memorandum of appearance du représentant des parents daté du 27 septembre 2017, établi conformément à l’ordonnance 12, règle 9, des Rules of the Superior Courts (règlement de procédure des juridictions supérieures) ainsi qu’au formulaire no 1 de la partie II de l’annexe A qui y est mentionné. Dans ce document, le représentant des parents indique avoir reçu les originating summons et demande l’envoi d’un statement of claim, ce qui semble se rapporter à la requête en déclaration de la force exécutoire introduite par le HCC auprès de la High Court irlandaise en vue d’obtenir l’exequatur de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017.

    99.

    Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner cet élément et de déterminer si le fait, à le supposer avéré, que les parents n’ont pas reçu la requête en déclaration de la force exécutoire du HCC ou tout autre document pertinent au moment de la signification de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 a une incidence sur le point de départ du délai de recours.

    100.

    Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la protection effective des droits fondamentaux conférés aux justiciables par le droit de l’Union exige que ces derniers se voient communiquer une motivation complète afin de se défendre dans les meilleures conditions possibles ( 40 ). En outre, dans le cadre de recours contre des actes des institutions de l’Union, la Cour a noté que le délai de recours ne saurait courir qu’à partir du moment où la personne concernée a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l’acte en cause de manière à pouvoir faire fruit de son droit de recours ( 41 ). Enfin, il est utile de rappeler la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle un délai de recours ne peut commencer à courir qu’à partir du moment où les requérants peuvent effectivement connaître la décision de justice dans sa forme intégrale ( 42 ).

    101.

    Ce n’est que si la juridiction de renvoi arrive, sur la base de cet examen, à la conclusion que le recours des parents a été bel et bien introduit hors délai que la question se pose de savoir si le délai stipulé à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 est susceptible d’être prorogé dans un cas dans lequel l’exécution d’une décision d’exequatur a été effectuée avant la signification de ladite décision au défendeur à l’exécution.

    b)   Sur la possibilité de proroger le délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003

    102.

    Aux termes de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, le recours contre la déclaration constatant la force exécutoire doit être introduit dans un délai d’un mois ou de deux mois lorsque la partie contre laquelle l’exécution est demandée a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dans lequel ladite déclaration a été délivrée. Ce délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance.

    103.

    Dans la mesure où le libellé de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 stipule seulement que le délai de recours ne peut pas être prorogé pour des raisons de distance ( 43 ), il n’est pas exclu de proroger ce délai pour des raisons autres que la distance ( 44 ).

    104.

    Ainsi que le font valoir à juste titre les parents, une telle interprétation littérale est confortée par le fait que le règlement no 2201/2003 contient par ailleurs des dispositions très explicites sur d’éventuelles exclusions, interdictions ou restrictions aux pouvoirs des juridictions concernées ( 45 ). Partant, le fait que seule la prorogation à raison de la distance est explicitement prohibée est un indice du fait que le législateur de l’Union n’a pas voulu exclure la prorogation du délai stipulé à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 pour d’autres raisons.

    105.

    Une interprétation contextuelle du délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 ne mène pas à un autre résultat. Ainsi, il ressort de l’économie de l’article 33 que l’objectif du délai pour l’introduction d’un recours prévu au paragraphe 5 de cette disposition consiste à ne pas retarder l’exécution des décisions rendues dans un autre État membre dont la force exécutoire a été déclarée conformément à l’article 31. Cet objectif se déduit du fait qu’un délai de recours n’est applicable, en vertu de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, que pour le recours du défendeur à l’exécution, donc pour le cas où une décision d’exequatur a été prise. En revanche, en vertu de l’article 33, paragraphe 4, dudit règlement, il n’y a pas de délai pour le recours formé par le demandeur de l’exécution lorsque celui-ci conteste le rejet, par la juridiction saisie, de sa requête introduite en vertu de l’article 28 afin d’obtenir une décision d’exequatur d’une décision rendue dans un autre État membre.

    106.

    Il s’ensuit qu’une prorogation du délai n’est pas exclue, notamment lorsqu’elle ne risque pas de retarder indûment l’exécution d’une décision dont l’exequatur vient d’être accordé.

    107.

    Cela est le cas dans les circonstances de la présente espèce, où la décision dont l’exequatur a été demandé a déjà été exécutée avant l’introduction du recours, de sorte qu’une prorogation du délai de recours ne risque plus de retarder l’exécution. Il pourrait même être soutenu que, dans un tel cas, le recours du défendeur à l’exécution introduit en vertu de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 devrait, tout comme le recours du demandeur de l’exécution prévu au paragraphe 4 de cette disposition, pouvoir être introduit sans limitation de délai. Sans aller jusque-là, il suffit de constater que, dans un tel cas, le délai ne doit en tout état de cause pas être appliqué de manière restrictive.

    108.

    Il s’ensuit que le règlement no 2201/2003 n’exclut pas que le juge compétent proroge le délai pour l’introduction d’un recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, dudit règlement ( 46 ). Il appartient, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales d’une telle prorogation.

    c)   Sur la mise en balance à effectuer lors la prorogation du délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003

    109.

    Même si le règlement no 2201/2003 n’exclut pas une prorogation ou une réouverture ( 47 ) du délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, dudit règlement, il reste que l’application de ce délai est le principe qui ne peut souffrir des exceptions que dans des cas dûment justifiés.

    110.

    De plus, le pouvoir du juge national de proroger ou de rouvrir ce délai dans de tels cas est encadré par les principes d’équivalence et d’effectivité ( 48 ).

    111.

    D’une part, le respect du principe d’équivalence, qui signifie que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne ( 49 ), ne semble pas poser de problème en l’espèce. Il ressort en effet de la décision de renvoi que le droit irlandais confère au juge la compétence de proroger les délais de recours dans des cas dûment justifiés lorsque l’application du droit national est en cause ( 50 ).

    112.

    D’autre part, selon le principe d’effectivité, les modalités procédurales de droit national ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ( 51 ).

    113.

    À ce sujet, en l’occurrence, le règlement no 2201/2003, et plus particulièrement la section 2 du chapitre III de celui-ci, met en balance le droit conféré au demandeur de l’exécution à obtenir rapidement satisfaction avec le droit conféré au défendeur à l’exécution de s’opposer, dans l’État membre requis, de manière effective à l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre ( 52 ). De plus, avant toute autre chose, l’objectif d’assurer au mieux la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de veiller à assurer le respect de ses droits fondamentaux tels qu’énoncés à l’article 24 de la Charte irrigue et sous-tend l’ensemble des dispositions du règlement no 2201/2003 ( 53 ).

    114.

    Il s’ensuit que, lorsqu’une juridiction nationale telle que, en l’espèce, la juridiction de renvoi, applique les modalités procédurales de son droit national afin de décider d’une prorogation du délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, cette juridiction doit veiller à préserver l’effectivité des droits et objectifs cités au point précédent. Cet impératif peut commander, dans un cas concret, de proroger le délai, tout comme il peut imposer des limites temporelles à une telle prorogation. Dans le cadre de la mise en balance qu’elle doit opérer à cet effet, la juridiction concernée doit tenir compte de l’économie générale du règlement ainsi que de l’ensemble des éléments contextuels en présence dans le cas concret.

    115.

    En l’espèce, la juridiction de renvoi devra, à cet égard, tenir compte notamment des éléments suivants.

    1) L’ampleur du dépassement du délai

    116.

    Le règlement no 2201/2003 veut non seulement permettre une mise en œuvre rapide des décisions dont l’exequatur est demandé, mais également garantir une sécurité juridique lors de la reconnaissance et l’exécution de telles décisions. Or, il peut être préjudiciable à la sécurité juridique de permettre la remise en cause de la légalité d’une décision déjà exécutée sans aucune limite temporelle. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où l’annulation de la décision d’exequatur peut mener au renversement de la situation de fait créée par l’exécution hâtive, c’est-à-dire, dans un cas comme celui de l’espèce, au retour des enfants dans l’État membre requis ( 54 ). Le juge national doit donc prendre en considération l’étendue du temps écoulé par rapport au délai initialement prévu. En l’espèce, le retard de 48 heures avec lequel le recours des parents a été introduit est minime, de sorte que l’admission de ce recours n’occasionne pas de différence significative par rapport au délai initial prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003.

    2) Les objectifs du règlement no 2201/2003

    117.

    L’objectif du règlement no 2201/2003 est non seulement de faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions concernant la responsabilité parentale rendues dans d’autres États membres, mais également d’éviter que de telles décisions soient déclarées exécutoires si des motifs de non-reconnaissance prévus à l’article 23 dudit règlement s’y opposent. La persistance d’une situation de fait créée sur la base d’une décision manifestement entachée de motifs de non-reconnaissance déclarée exécutoire et mise en exécution sans que le défendeur ait eu la possibilité de s’y opposer semble alors plus problématique au regard de l’effet utile du règlement no 2201/2003, lu en combinaison avec la Charte, que l’admission d’un recours introduit avec un retard de 48 heures par rapport au délai initialement prévu. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où l’atteinte portée à l’effectivité des dispositions du règlement no 2201/2003 par la mise en exécution illégale d’une décision subsiste aussi longtemps que persiste la situation de fait créée sur la base de ladite mise en exécution ( 55 ).

    3) L’atteinte au droit à un recours effectif

    118.

    À la différence des décisions en matière civile et commerciale concernées par le règlement no 1215/2012, dit « règlement Bruxelles I bis» ( 56 ), ainsi que des décisions relatives au droit de visite et au retour de l’enfant mentionnées à l’article 40 du règlement no 2201/2003 ( 57 ), le législateur de l’Union n’a explicitement pas fait le choix de dispenser les décisions concernant la responsabilité parentale au sens du règlement no 2201/2003 d’une procédure d’exequatur. Ainsi que le gouvernement polonais l’a souligné de manière parlante à l’audience, les règlements Bruxelles I bis et Bruxelles II bis ne sont à cet égard pas identiques puisque le second est sous-tendu par l’objectif de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. En raison de leur caractère sensible et de l’importance des droits des enfants et des parents qui sont en jeu, les décisions concernant la responsabilité parentale ne se prêtent pas à une exécution automatique sans aucun contrôle dans l’État membre requis. La mise en œuvre de la procédure d’exequatur prévue à la section 2 du chapitre III du règlement no 2201/2003 est donc un prérequis indispensable à l’exécution de toute décision concernant la responsabilité parentale rendue dans un autre État membre ( 58 ).

    119.

    Or, cette procédure est conçue de manière à comporter, impérativement, deux étapes : ainsi, conformément à l’article 31, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, la juridiction saisie de la requête en déclaration de la force exécutoire statue certes dans un premier temps à bref délai, sans que ni la personne contre laquelle l’exécution est demandée ni l’enfant ne puissent, à ce stade de la procédure, présenter d’observations. Toutefois, dans un second temps, avant la mise en exécution proprement dite d’une décision d’exequatur ainsi obtenue, la personne contre laquelle l’exécution est demandée doit avoir la possibilité de former un recours afin de pouvoir soulever, notamment, l’un des motifs de non-reconnaissance prévus à l’article 23 dudit règlement ( 59 ) et s’opposer à l’exécution en temps utile.

    120.

    Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux n’est justifiée que si elle respecte le contenu essentiel du droit concerné et si elle est nécessaire et répond effectivement au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

    121.

    À cet égard, la Cour a jugé que ce n’est que dans des circonstances extraordinaires caractérisées par une urgence absolue et lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant l’exige impérativement et que des mesures provisoires adoptées en vertu de l’article 20 du règlement no 2201/2003 ne peuvent suffire qu’une décision d’exequatur adoptée conformément audit règlement peut exceptionnellement, par dérogation à la règle générale, devenir exécutoire dès son adoption et être mise en exécution avant l’issue d’une procédure de recours. La Cour a reconnu que de telles circonstances étaient réunies dans un cas dans lequel il s’agissait de l’exécution d’une décision ordonnant le placement forcé d’un enfant dans un centre fermé dans un autre État membre alors que l’enfant avait déjà fugué et commis plusieurs tentatives de suicide, et que seul l’enfant lui-même (et non ses parents) s’opposait audit placement ( 60 ).

    122.

    Il ressort de manière manifeste des faits au principal que de telles circonstances exceptionnelles n’étaient nullement réunies en l’espèce. En effet, au moment où les travailleurs sociaux de la CFA et du HCC ont procédé à l’exécution de l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 en ramenant les enfants en Angleterre à l’insu des parents, les enfants se trouvaient en sécurité dans une famille d’accueil en Irlande. Il n’y avait donc ni risque d’une nouvelle fuite des parents avec les enfants ni risque d’atteinte au bien-être des enfants qui aurait exigé une mise en œuvre immédiate de l’ordonnance d’exequatur.

    123.

    De plus, l’on ne voit pas comment l’urgence à ramener les enfants en Angleterre pouvait être telle qu’il fallait le faire avant même de signifier l’ordonnance d’exequatur aux parents, alors que le HCC avait laissé passer près de deux semaines entre l’obtention de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 et l’introduction de sa requête en déclaration de la force exécutoire de ladite ordonnance le 21 septembre 2017.

    124.

    Enfin, en l’espèce, la mise en œuvre immédiate de la décision d’exequatur, à savoir le retour des enfants en Angleterre, était de nature à créer un dommage irréparable en raison de la séparation au moins temporaire des parents et des enfants. La Cour a reconnu que, en ce qui concerne les enfants en bas âge, le temps biologique ne peut être mesuré selon des critères généraux, vu la structure intellectuelle et psychologique de tels enfants et la rapidité avec laquelle celle-ci évolue ( 61 ). Comme la Cour l’a noté, dans ces conditions, une séparation risque de détériorer la relation entre les enfants concernés et leurs parents de manière irréparable, et d’entraîner un dommage psychique irréversible ( 62 ). Il s’ensuit que, en l’espèce, l’effectivité du droit procédural des parents à un recours effectif a conditionné également l’effectivité de la protection de leur droit matériel au respect de leur vie familiale, consacré à l’article 7 de la Charte.

    125.

    Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la limitation ainsi apportée au droit des parents à un recours effectif, tel que prévu à l’article 47 de la Charte, a porté atteinte au contenu essentiel de ce droit au sens de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci. Il suffit de constater que la façon de procéder des autorités irlandaises et anglaises a constitué une atteinte particulièrement grave au droit fondamental des parents à un recours effectif, qui n’était aucunement nécessaire afin de préserver la sécurité et l’intérêt supérieur des enfants, et qui n’était donc pas justifiée.

    4) Le lien causal entre le non-respect du délai et le comportement de l’administration

    126.

    Il n’est certes pas explicitement avéré, en l’espèce, qu’un lien causal direct existe entre l’atteinte injustifiée au droit des parents à un recours effectif, d’une part, et le fait que les parents n’ont pas respecté le délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 lors de l’introduction de leur recours à l’encontre de la décision d’exequatur, d’autre part. Les représentants des parents ont d’ailleurs indiqué que ce retard relevait de leur responsabilité et non de celle des parents ( 63 ).

    127.

    Toutefois, ainsi que le juge de renvoi le remarque à juste titre, il ne saurait être exclu que le comportement du HCC et les circonstances de l’affaire au principal ont été, pris dans leur ensemble, de nature à provoquer chez les parents un sentiment de découragement qui les a amenés à penser qu’il était vain d’introduire un recours contre la décision d’exequatur en Irlande alors que celle-ci avait été exécutée avant même de leur avoir été signifiée. Dans ces conditions, il ne saurait être exclu qu’un tel découragement présente un lien de causalité indirect avec le retard lors de l’introduction de leur recours.

    128.

    Ainsi, au vu des faits de l’affaire au principal, il n’est, premièrement, pas impossible qu’il existe un lien de causalité entre la manière dont le HCC a géré le dossier de la famille en question, d’une part, et la fuite de cette famille en Irlande, d’autre part ( 64 ).

    129.

    Deuxièmement, l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017, qui a mis les enfants sous tutelle judiciaire et ordonné leur retour, a été prise en l’absence des parents dans des conditions dans lesquelles il est, ainsi que cela a été confirmé par plusieurs parties à l’audience, pour le moins douteux que les parents aient eu une possibilité effective d’être entendus ( 65 ).

    130.

    Troisièmement, cette ordonnance a ensuite été déclarée exécutoire en Irlande et de manière injustifiée ( 66 ) mise en exécution sur-le-champ, sans que les parents aient eu la possibilité de s’y opposer, alors même qu’ils pouvaient manifestement invoquer certains des motifs de non-reconnaissance prévues à l’article 23 du règlement no 2201/2003 ( 67 ), notamment le fait que l’acte introductif d’instance du HCC ne leur avait pas été signifié en temps utile et que la décision de la High Court anglaise avait été rendue sans qu’ils aient eu la possibilité d’être entendus.

    131.

    Quatrièmement, il est tout à fait logique que, après le retour de leurs enfants en Angleterre, les parents aient d’abord cherché à contester l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 en Angleterre.

    132.

    Or, cinquièmement, l’autorisation d’introduire un appel à l’encontre de ladite ordonnance leur a été refusée par la Court of Appeal of England and Wales (Cour d’appel, Angleterre et pays de Galles) avec une motivation plus que succincte qui ne semble pas avoir tenu compte du caractère manifestement problématique de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 au regard de leur droit d’être entendus ( 68 ).

    133.

    Ces éléments, pris dans leur ensemble, peuvent avoir compliqué et finalement retardé l’introduction du recours des parents en Irlande ( 69 ), même si le juge de renvoi note que leur intention de former un recours dans le délai imparti se déduit de différents éléments factuels. Ainsi que l’a relevé à juste titre le représentant des parents à l’audience, il importe, dans ce contexte, de garder à l’esprit que les parents sont des personnes socialement et économiquement défavorisées, qui disposaient sans aucun doute de moins de ressources pour organiser leur défense que l’administration à laquelle ils étaient opposés.

    5) Le comportement des parties

    134.

    Il n’y a aucun élément dans le dossier au principal qui pourrait laisser penser que l’introduction tardive du recours des parents par rapport au délai initialement prévu traduirait une intention dilatoire, une volonté de faire obstruction ou encore une tentative de contourner les délais prévus, à la différence de ce qui semble avoir été le cas dans l’affaire Hoffmann ( 70 ). Il ressort au contraire des faits de la présente espèce que les parents ont agi de bonne foi et ont fait tout leur possible afin d’introduire leur recours dans le délai.

    135.

    En revanche, il a déjà été indiqué que le HCC et ses homologues irlandais n’ont pas fait preuve, en l’espèce, de la diligence requise ( 71 ). En particulier, l’exécution précipitée de la décision d’exequatur n’était pas justifiée ( 72 ). Le comportement de ces administrations est d’autant plus inexcusable qu’il s’agit d’autorités administratives qui ne sont, à la différence d’un parent délaissé lors d’une situation d’enlèvement transfrontalier « classique », pas censées avoir un intérêt propre au retour des enfants, mais qui devraient uniquement agir dans l’optique de préserver au mieux l’intérêt supérieur de ces derniers. Or, la manière de procéder de la CFA et du HCC en l’espèce n’a pas été conforme à cet objectif.

    d)   Conclusion intermédiaire

    136.

    Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre aux deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑325/18 PPU que, dans une affaire concernant les dispositions en matière d’exécution du règlement no 2201/2003, la juridiction saisie est, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, compétente pour proroger le délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, dudit règlement. Il appartient à la juridiction concernée d’apprécier, sur la base de l’ensemble des éléments en présence et en tenant compte des principes d’équivalence et d’effectivité, si une telle prorogation doit être accordée. Lors de cette appréciation, cette juridiction peut notamment tenir compte du fait que l’exécution de la décision d’exequatur avant sa signification au défendeur à l’exécution a constitué une atteinte injustifiée au droit de ce défendeur à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte.

    2.   Sur l’injonction (affaire C‑375/18 PPU)

    137.

    Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus ( 73 ), après le dépôt du renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑325/18 PPU, les parents ont introduit auprès de la juridiction de renvoi une requête en référé tendant à ce que celle-ci prononce une injonction à l’encontre du HCC afin que celui-ci, en attendant l’issue de la procédure au principal, cesse de poursuivre la procédure d’adoption du bébé et n’entame pas de procédure d’adoption pour les deux enfants plus âgés.

    138.

    C’est dans ces conditions que, par sa question dans l’affaire C‑375/18 PPU, le juge de renvoi demande à la Cour si le droit de l’Union et notamment le règlement no 2201/2003 s’opposent à ce qu’il prononce une injonction conservatoire à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre afin d’interdire à cet organisme d’entamer une procédure pour l’adoption d’enfants devant les tribunaux de cet autre État membre, alors même qu’une telle injonction s’avère nécessaire pour protéger les droits des parties à une procédure de recours introduite conformément à l’article 33, paragraphe 5, dudit règlement.

    a)   Observations liminaires

    139.

    Dans sa question, le juge de renvoi insiste spécifiquement sur le fait que l’injonction qu’on lui demande de prononcer aurait pour destinataire une autorité publique d’un autre État membre.

    140.

    À cet égard, il importe de noter qu’il n’est certes pas exclu que le fait de prononcer une telle injonction à l’encontre d’une entité publique étrangère est susceptible de soulever, dans certaines circonstances, des questions spécifiques en matière de droit constitutionnel ou de droit international public.

    141.

    Toutefois, ainsi que le juge de renvoi le note à juste titre, en l’espèce, il ne s’agit pas d’interférer avec la souveraineté judiciaire, exécutive et administrative interne du Royaume-Uni, puisque l’injonction qu’on demande à la juridiction de renvoi de prononcer s’adresserait au HCC en sa qualité de partie à la procédure de recours devant ladite juridiction. Or, c’est le HCC lui-même qui a initié la procédure d’exequatur en Irlande, dont l’actuelle procédure devant la juridiction de renvoi ne constitue que le prolongement. Il est donc douteux que le HCC puisse à présent se soustraire à l’impact de la procédure devant la juridiction de renvoi. L’idée selon laquelle un État qui intervient dans une procédure devant un tribunal d’un autre État se soumet, pour la procédure ainsi engagée, à la juridiction de cet État et ne saurait donc invoquer son immunité de juridiction se trouve par ailleurs aussi dans la convention européenne sur l’immunité des États ( 74 ).

    142.

    En tout état de cause, il n’appartient pas à la Cour de déterminer si, en l’espèce, le fait que le HCC est un organisme public d’un autre État membre pourrait empêcher la juridiction de renvoi de lui adresser une injonction conservatoire dans le cadre de la procédure dont elle est saisie. En effet, la question du juge de renvoi se limite au point de savoir si le droit de l’Union et, en particulier, le règlement no 2201/2003 ne s’opposent pas à une telle injonction.

    b)   Sur la prohibition des anti-suit injunctions

    143.

    Dans la mesure où la juridiction de renvoi part du principe que la procédure d’adoption pertinente au Royaume-Uni est une procédure judiciaire ou requiert du moins l’intervention de décisions judiciaires, elle se demande si une injonction ordonnant au HCC de ne pas poursuivre ou entamer une telle procédure reviendrait à interdire au HCC de saisir les juridictions anglaises compétentes et s’apparenterait donc à une forme d’anti-suit injunction prohibée par les arrêts de la Cour dans les affaires Turner ( 75 ) et Allianz et Generali Assicurazioni Generali ( 76 ).

    144.

    À titre liminaire, il convient de noter qu’il ressort d’une lettre envoyée par le HCC à la juridiction de renvoi le 27 mars 2018 que la décision de placement (placement order) autorisant le HCC à chercher des parents adoptifs potentiels pour le bébé et à le placer provisoirement avec eux a déjà été prise le 21 décembre 2017 ( 77 ). En outre, le HCC indique qu’une future demande en vue d’obtenir une décision d’adoption (adoption order) pour le bébé devrait désormais être introduite par ces parents adoptifs potentiels. Il n’est donc pas tout à fait clair si le fait, pour la juridiction de renvoi, d’enjoindre au HCC de ne pas poursuivre la procédure d’adoption du bébé impliquerait réellement d’interdire au HCC de saisir une juridiction anglaise. De plus, le HCC a réitéré à l’audience, dans le cadre de la présente procédure, qu’il n’avait pas prévu d’entamer une procédure d’adoption pour les deux enfants plus âgés.

    145.

    Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’injonction que les parents lui demandent de prononcer comporte réellement un « élément anti-suit » en ce sens qu’elle interdirait au HCC de saisir une juridiction anglaise. Si tel n’est pas le cas, il n’apparaît pas en quoi le prononcé d’une telle injonction pourrait être problématique au regard de la jurisprudence de la Cour relative aux anti-suit injunctions.

    146.

    En tout état de cause, force est de constater qu’à supposer même qu’une injonction conservatoire prononcée par la juridiction de renvoi aurait pour effet d’empêcher temporairement, en attendant l’issue de la procédure au principal, le HCC de saisir une juridiction anglaise en vue de l’adoption du bébé ou des deux enfants plus âgés, une telle injonction ne serait pas pour autant prohibée par le règlement no 2201/2003 ou d’autres dispositions du droit de l’Union.

    147.

    En premier lieu, l’injonction que les parents demandent à la juridiction de renvoi de prononcer à l’encontre du HCC est non pas une anti-suit injunction, mais une freezing ou Mareva injunction. Une telle injonction n’a pas pour objectif d’empêcher la partie à l’encontre de laquelle elle est prononcée de saisir une autre juridiction, mais vise à empêcher cette partie de créer, avant l’issue du litige, un fait accompli irréversible qui priverait la décision à intervenir au terme de ce litige de tout effet utile. Il s’agit donc de maintenir, le temps de l’issue du litige, le statu quo factuel ( 78 ).

    148.

    En second lieu, à supposer même qu’une telle freezing injunction comporte, dans les circonstances de l’affaire au principal, un « élément anti-suit » en ce sens qu’elle interdirait au HCC de saisir une juridiction anglaise, elle ne tomberait pas dans le champ d’application de la jurisprudence relative à l’interdiction des anti-suit injunctions.

    149.

    À cet égard, la Cour a jugé dans les affaires Turner et Allianz et Generali Assicurazioni Generali, qu’une anti-suit injunction, c’est-à-dire, en l’occurrence, une injonction visant à interdire à une personne d’engager ou de poursuivre une procédure devant les juridictions d’un autre État membre, était incompatible avec la convention de Bruxelles et le règlement no 44/2001, dit « règlement Bruxelles I », puisqu’une telle injonction ne respecte pas le principe selon lequel chaque juridiction saisie détermine elle-même, en vertu des règles applicables, si elle est compétente pour trancher le litige qui lui est soumis ( 79 ). Une telle ingérence dans la compétence d’une juridiction d’un autre État membre est par ailleurs incompatible avec le principe de la confiance mutuelle qui est le fondement de la mise en place d’un système obligatoire de compétence que toutes les juridictions entrant dans le champ d’application de ces instruments juridiques sont tenues de respecter ( 80 ).

    150.

    Toutefois, le raisonnement qui sous-tend cette prohibition d’anti-suit injonctions ne saurait être transposé aux circonstances de la présente affaire.

    151.

    Ainsi, dans les affaires dans lesquelles la Cour a constaté l’incompatibilité d’anti-suit injunctions avec les instruments juridiques issus du système de Bruxelles-Lugano, ces injonctions avaient pour objet d’empêcher une partie à un litige pendant devant une juridiction d’un État membre d’entamer ou de poursuivre une procédure judiciaire contre l’autre partie à ce même litige et au regard du même objet devant une juridiction d’un autre État membre ( 81 ). Dans de telles circonstances, une anti-suit injunction prononcée par la première juridiction revient effectivement à un contournement des règles sur la compétence prévues par les instruments de Bruxelles-Lugano ainsi qu’à une ingérence dans la compétence de la seconde juridiction de faire elle-même application de ces règles.

    152.

    Or, comme l’a aussi noté le gouvernement du Royaume-Uni à l’audience, en l’espèce, la situation est radicalement différente.

    153.

    En effet, il ne s’agirait pas d’empêcher le HCC de saisir une juridiction d’un autre État membre au regard du même objet que celui du litige pendant devant la juridiction de renvoi, puisqu’une procédure judiciaire d’adoption entamée ou poursuivie par la suite en Angleterre a un objet tout à fait distinct. Il ne saurait donc y avoir ni litispendance ni conflit de compétence juridictionnelle entre les deux juridictions concernées.

    154.

    Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où le règlement no 2201/2003 ne régit les conflits de compétence entre les juridictions des États membres que pour les décisions qui tombent dans son champ d’application. Or, la décision sur l’adoption et les mesures qui la préparent ne relèvent pas du champ d’application du règlement no 2201/2003, de sorte qu’il ne saurait y avoir, dans l’affaire au principal, de tel conflit au sens dudit règlement ( 82 ).

    155.

    Il s’ensuit que les principes issues de la jurisprudence relative aux anti-suit injunctions ne sauraient s’opposer, en l’espèce, au prononcé d’une injonction conservatoire à l’égard du HCC par la juridiction de renvoi, tendant à ce que celui-ci ne poursuive ou n’engage pas de procédure d’adoption en Angleterre.

    c)   Sur l’utilité d’une injonction conservatoire dans les circonstances au principal

    156.

    Dans les circonstances de l’espèce, l’économie générale du règlement no 2201/2003 ainsi que le principe de la confiance mutuelle qui sous-tend celui-ci ne s’opposent pas non plus au prononcé d’une injonction conservatoire à l’égard du HCC par la juridiction de renvoi.

    157.

    Ainsi, l’article 20 du règlement no 2201/2003 ne prévoit certes des mesures provisoires que pour le cas où la juridiction d’un État membre doit prendre d’urgence de telles mesures relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État membre. Toutefois, cette compétence n’est explicitement prévue que parce qu’elle doit pouvoir s’exercer dans des circonstances dans lesquelles elle est dérogatoire à la compétence sur le fond de la juridiction d’un autre État membre ( 83 ).

    158.

    Partant, la circonstance que seules de telles mesures provisoires sont explicitement prévues ne préjuge en rien du fait que les juridictions des États membres puissent, dans les domaines de compétence qui leur assigne le règlement no 2201/2003, adopter des mesures provisoires afin d’assurer l’effectivité des procédures dont elles sont saisies.

    159.

    De telles mesures peuvent notamment s’avérer nécessaires dans un cas, comme celui de l’espèce, où une partie, en l’occurrence le HCC, ne garantit aucunement à la juridiction concernée qu’elle se conformera à l’arrêt à intervenir dans le cadre de la procédure dont ladite juridiction est saisie conformément au règlement no 2201/2003.

    160.

    Dans ce contexte, la juridiction de renvoi indique à juste titre qu’il ne devrait certes normalement pas être nécessaire de prononcer une injonction conservatoire à l’égard d’un organisme public d’un autre État membre partie à une telle procédure puisqu’un tel organisme devrait participer à cette procédure et accepter de se conformer à la décision à intervenir.

    161.

    Or, ainsi qu’il résulte des circonstances de l’affaire au principal, en l’espèce, le HCC a seulement participé à la procédure de recours devant la High Court irlandaise contre l’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017, qui s’est clôturée le 18 janvier 2018. En revanche, le HCC a décidé de ne plus participer à la procédure d’appel initiée par les parents contre l’ordonnance de la High Court irlandaise du 18 janvier 2018 devant la juridiction de renvoi. De surcroît, le HCC a fait savoir au juge de renvoi qu’il n’avait, en tout état de cause, pas l’intention de renvoyer les enfants et qu’une procédure d’adoption avait été entamée pour le bébé. Le HCC a soutenu à cet égard que les juridictions anglaises seraient compétentes pour connaître du fond de l’affaire et que les enfants n’auraient jamais relevé de la compétence des juridictions irlandaises. Cet avis procède toutefois, sans préjudice de la question de la compétence au fond dans la présente affaire, d’une lecture erronée du règlement no 2201/2003. En effet, ainsi que l’a confirmé, notamment, la Commission à l’audience, ce règlement prévoit explicitement la compétence des juridictions de l’État membre requis pour connaître des recours contre les décisions d’exequatur.

    162.

    Le HCC a donc d’abord invoqué le règlement no 2201/2003 en sa faveur afin d’obtenir l’exequatur de l’ordonnance de la High Court anglaise du 8 septembre 2017 et a initié à cette fin la procédure d’exequatur conformément à l’article 28 dudit règlement. Ensuite, il a, de concert avec ses homologues irlandais, contourné les obligations procédurales stipulées par ce règlement en mettant à exécution la décision d’exequatur avant la signification de ladite décision aux parents. Enfin, il ne s’est pas considéré tenu de participer jusqu’au bout à la procédure de recours initiée à l’encontre de la décision d’exequatur et ne prévoit pas de se conformer à la décision prise par la juridiction compétente au terme de cette procédure.

    163.

    Dans ces conditions, le HCC n’a pas offert les garanties nécessaires à la mise en œuvre des principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, qui constituent pourtant la base du fonctionnement des mécanismes mis en place par le règlement no 2201/2003. Ainsi que la Cour l’a récemment rappelé, un système de confiance et d’assistance mutuelles implique en effet qu’il appartient aux autorités nationales participantes de créer les conditions dans lesquelles leurs homologues des autres États membres pourront utilement et en conformité avec les principes fondamentaux de l’Union accorder leur assistance ( 84 ).

    d)   Conclusion intermédiaire

    164.

    Il convient de répondre à la question préjudicielle dans l’affaire C‑375/18 PPU que le droit de l’Union, notamment les dispositions du règlement no 2201/2003, ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre prononce, à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre qui est partie à une procédure devant ladite juridiction, une injonction conservatoire interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre une procédure d’adoption d’enfants devant les tribunaux de cet autre État membre.

    VI. Conclusion

    165.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions de la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande) dans l’affaire C‑325/18 PPU :

    1)

    Lorsqu’il est allégué que des enfants ont été illicitement déplacés de l’État membre de leur résidence habituelle vers un autre État membre, une décision ordonnant le retour de ces enfants prise par une juridiction de l’État membre d’origine en dehors de la procédure prévue à l’article 11 du règlement no 2201/2003 et indépendamment d’une décision concernant la responsabilité parentale ne peut être exécutée conformément aux dispositions du chapitre III dudit règlement. Toutefois, dans de telles circonstances, une décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction de l’État membre d’origine qui implique le retour de l’enfant vers cet État membre peut être exécutée conformément auxdites dispositions.

    2)

    Dans une affaire concernant les dispositions en matière d’exécution du règlement no 2201/2003, la juridiction saisie est, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, compétente pour proroger le délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, dudit règlement. Il appartient à la juridiction concernée d’apprécier, sur la base de l’ensemble des éléments en présence et en tenant compte des principes d’équivalence et d’effectivité, si une telle prorogation doit être accordée. Lors de cette appréciation, cette juridiction peut notamment tenir compte du fait que l’exécution de la décision d’exequatur avant sa signification au défendeur à l’exécution a constitué une atteinte injustifiée au droit de ce défendeur à un recours effectif consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    166.

    En outre, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question posée par la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande) dans l’affaire C‑375/18 PPU :

    Le droit de l’Union, notamment les dispositions du règlement no 2201/2003, ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre prononce, à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre qui est partie à une procédure devant ladite juridiction, une injonction conservatoire interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre une procédure d’adoption d’enfants devant les tribunaux de cet autre État membre.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale et abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 2116/2004 du Conseil du 2 décembre 2004 (JO 2004, L 367, p. 1).

    ( 3 ) Ci-après la « mère ».

    ( 4 ) Ci-après le « premier enfant ».

    ( 5 ) Ci-après le « deuxième enfant » ; ci-après également, pris ensemble avec le premier enfant, les « deux enfants plus âgés ».

    ( 6 ) Ci-après le « bébé ».

    ( 7 ) Ci-après le « père » ; ci-après, également, pris ensemble avec la mère, les « parents ».

    ( 8 ) Ci-après le « HCC ».

    ( 9 ) Le Freedom Programme ; voir www.freedomprogramme.co.uk/.

    ( 10 ) Un Cafcass guardian chargé d’examiner le plan de l’autorité locale et de s’assurer que les décisions sont prises dans le meilleur intérêt pour les enfants concernés ; voir https ://www.cafcass.gov.uk/grown-ups/parents-and-carers/care-proceedings/cafcass-role-care-proceedings/.

    ( 11 ) Il n’est pas tout à fait clair si le retour à la maison a eu lieu le jour même ou le lendemain de la naissance du bébé.

    ( 12 ) Il n’est pas tout à fait clair si cette visite a eu lieu le lendemain ou le surlendemain de la naissance du bébé.

    ( 13 ) Il n’est pas tout à fait clair si les parents sont arrivés en Irlande le 5 ou le 6 septembre 2017.

    ( 14 ) Voir points 118 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 15 ) Voir, en ce sens, notre prise de position dans l’affaire Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:177, points 56 et 57).

    ( 16 ) La prise d’une telle décision de non-retour est un prérequis à l’application de la procédure d’exécution spécifique du chapitre III, section 4, du règlement no 2201/2003 ; voir arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 74).

    ( 17 ) Voir considérants 17, 18 et 23 du règlement no 2201/2003. Pour des explications à cet égard, voir, également, arrêts du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, points 61 et suiv.), et du 26 avril 2012, Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, points 116 et suiv.). Voir, également, notre prise de position dans l’affaire Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:177, points 58, 72 et suiv.).

    ( 18 ) Voir article 1er, sous a), et articles 3 et 12 de la convention de La Haye, et article 2, point 11, sous a), et article 11, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 (points 7, 8, 9, 12 et 13 des présentes conclusions).

    ( 19 ) Au moment du déplacement en Irlande, des ordres de prise en charge provisoires en faveur du HCC avaient été adoptés en ce qui concerne les deux enfants plus âgés (voir point 30 des présentes conclusions) ; en revanche, ainsi que le représentant du HCC l’a confirmé à l’audience, il n’est pas possible de déterminer si l’ordre de prise en charge provisoire pour le bébé a été obtenu avant ou après le départ (voir points 35 et 37 des présentes conclusions).

    ( 20 ) Ainsi que pour certaines décisions relatives au droit de visite, qui ne sont pas concernées dans le présent contexte.

    ( 21 ) Dans les affaires à l’origine des arrêts du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 62 et suiv.), et du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, points 62 et suiv.), les parties avaient par ailleurs eu recours aux deux procédures en parallèle, et la Cour n’a pas critiqué cette démarche.

    ( 22 ) Voir point 68 des présentes conclusions.

    ( 23 ) Voir points 118 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 24 ) Voir points 121 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 25 ) Il s’agit, notamment, des versions en langue anglaise (« [a] judgment on the exercise of parental responsibility in respect of a child given in a Member State ») ; en langue française (« [l]es décisions rendues dans un État membre sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant ») ; en langue espagnole (« [l]as resoluciones dictadas en un Estado miembro sobre el ejercicio de la responsabilidad parental con respecto a un menor ») ; en langue italienne (« [l]e decisioni relative all’esercizio della responsabilità genitoriale su un minore ») ; en langue portugaise (« [a]s decisões proferidas num Estado-Membro sobre o exercício da responsabilidade parental relativa a uma criança »), ou encore en langue néerlandaise (« [b]eslissingen betreffende de uitoefening van de ouderlijke verantwoordelijkheid voor een kind »). En revanche, dans d’autres versions linguistiques du règlement no 2201/2003, l’article 28 ne fait pas de telle différence, voir notamment les versions en langue allemande (« [d]ie in einem Mitgliedstaat ergangenen Entscheidungen über die elterliche Verantwortung für ein Kind ») ; en langue danoise (« [e]n i en medlemsstat truffet retsafgørelse om forældreansvar over for et barn ») ; en langue tchèque (« [v]ýkon rozhodnutí o výkonu rodičovské zodpovědnosti ve vztahu k dítěti vydaných v členském státě »), ou encore en langue estonienne (« [l]apse suhtes vanemlikku vastutust käsitlevat kohtuotsust, mis on tehtud liikmesriigis ja on selles liikmesriigis täitmisele pööratav ning kätte antud »).

    ( 26 ) Mise en italique par nos soins.

    ( 27 ) Voir, sur ce point, la prise de position de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:377, points 52 et suiv.).

    ( 28 ) Les articles 18, 29 et 34 de la convention de La Haye précisent que celle-ci ne s’y oppose pas.

    ( 29 ) Mise en italique par nos soins.

    ( 30 ) Voir arrêts du 27 novembre 2007, C (C‑435/06, EU:C:2007:714, points 46 et suiv.), et du 21 octobre 2015, Gogova (C‑215/15, EU:C:2015:710, point 26). Voir, également, nos conclusions dans l’affaire C (C‑435/06, EU:C:2007:543, points 33 et suiv.), et notre prise de position dans l’affaire Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:177, points 10 et suiv.).

    ( 31 ) Voir arrêts du 27 novembre 2007, C (C‑435/06, EU:C:2007:714, points 24 et suiv.), et du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, points 21 et suiv.).

    ( 32 ) Voir arrêt du 26 avril 2012, Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, points 56 et suiv.).

    ( 33 ) Comme la Cour l’a expliqué, afin de déterminer si une demande entre dans le champ d’application du règlement no 2201/2003, il y a lieu de s’attacher à l’objet de celle–ci : voir arrêt du 21 octobre 2015, Gogova (C‑215/15, EU:C:2015:710, point 28) ; voir, également, concernant le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), tel que modifié par le règlement délégué (UE) no 2015/281 de la Commission du 26 novembre 2014 (JO 2015, L 54, p. 1) (dit « règlement Bruxelles I bis »), ex multis, arrêt du 9 mars 2017, Pula Parking (C‑551/15, EU:C:2017:193, point 34).

    ( 34 ) Voir sur ce point la prise de position de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Gogova (C‑215/15, EU:C:2015:725, points 39 et suiv.).

    ( 35 ) Il n’apparaît pas que, en l’espèce, le droit national renvoie au contenu du règlement no 2201/2003 pour déterminer les règles applicables à une situation régie uniquement par le droit national de l’État membre concerné ; voir, en ce sens, ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, points 24 et suiv., et jurisprudence citée).

    ( 36 ) L’ordonnance d’exequatur de la High Court irlandaise du 21 septembre 2017 précise explicitement que le délai de recours est de deux mois à partir de la signification de ladite ordonnance.

    ( 37 ) Voir point 44 des présentes conclusions.

    ( 38 ) Voir point 46 des présentes conclusions.

    ( 39 ) Une confusion non sur la date de début du délai, mais sur la date d’introduction du recours, opérée dans les observations écrites et orales du HCC, a été clarifiée à l’audience : le HCC avait indiqué par erreur qu’une notice of motion avait déjà été introduite le 19 novembre 2017, ce qui aurait été dans le délai de recours de deux mois si celui-ci avait commencé à courir le 22 septembre 2017 ; les parents ont toutefois confirmé à l’audience que cette indication était fausse et que leur recours avait bien été introduit seulement le 24 novembre 2017.

    ( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, EU:C:1987:442, point 15).

    ( 41 ) Voir, notamment, arrêts du 5 mars 1980, Könecke Fleischwarenfabrik/Commission (76/79, EU:C:1980:68, point 7) ; du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission (236/86, EU:C:1988:367, points 13 et 14) ; du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (C‑180/88, EU:C:1990:441, point 22) ; du 19 février 1998, Commission/Conseil (C‑309/95, EU:C:1998:66, points 18 et suiv.), ou encore du 23 octobre 2007, Parlement/Commission (C‑403/05, EU:C:2007:624, points 29 et suiv.).

    ( 42 ) Voir, à cet égard, Cour EDH, 26 janvier 2017, Ivanova et Ivashova c. Russie (CE:ECHR:2017:0126JUD000079714, § 57 et jurisprudence citée).

    ( 43 ) Le libellé de la version en langue française du règlement (« [c]e délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance ») n’est pas limpide, mais il ressort d’autres versions linguistiques que cela signifie bien que le délai ne peut pas être prorogé pour des raisons de distance (voir la version en langue anglaise : « No extension of time may be granted on account of distance » ; la version en langue allemande : « Eine Verlängerung dieser Frist wegen weiter Entfernung ist ausgeschlossen » ; la version en langue espagnole : « Dicho plazo no admitirá prórroga en razón de la distancia » ; la version en langue italienne : « Detto termine non è prorogabile per ragioni inerenti alla distanza » ; la version en langue portugaise : « Este prazo não é susceptível de prorrogação em razão da distância » ; la version en langue néerlandaise : « De termijn kan niet op grond van de afstand worden verlengd »).

    ( 44 ) Cette position est également défendue par d’éminents auteurs de droit international privé : voir, notamment, Schlosser, P. F., EU-Zivilprozessrecht, 2e éd., Beck, Munich, 2003, p. 276, no 9 ; Oberhammer, P., « Art. 43 », Kommentar zur Zivilprozessordnung, vol. 10, 22e éd., Mohr Siebeck, Tübingen, 2011, p. 686, no 11 (les deux sur l’article 43 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 012, p. 1) (dit « règlement Bruxelles I »), qui correspond à l’article 33 du règlement no 2201/2003) ; Mankowski, P., « Art 33 », Brussels IIbis Regulation, Sellier, Munich, 2012, p. 312, no 38 ; Paraschas, K., « VO (EG) 2201/2003 Art. 33 », Internationaler Rechtsverkehr in Zivil- und Handelssachen, 54e éd., Beck, Munich, 2018, no 8. En outre, dans l’arrêt du 11 août 1995, SISRO (C‑432/93, EU:C:1995:262, point 15), la Cour semble avoir implicitement admis la possibilité de déclarer recevable, en application des règles de procédure nationales, un recours introduit après l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article 36, second alinéa, de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, du 27 septembre 1968 (ci-après la « convention de Bruxelles »), qui correspond à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003.

    ( 45 ) Voir, notamment, article 1er, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003 : « Le présent règlement ne s’applique pas […] » ; article 11, paragraphes 4 et 5 : « Une juridiction ne peut pas » ; articles 22 et 23 : « Une décision […] n’est pas reconnue » ; article 24 : « Il ne peut être procédé au contrôle de la compétence de la juridiction de l’État membre d’origine. » ; article 25 : « La reconnaissance d’une décision ne peut être refusée au motif que la loi de l’État membre ne permet pas […] » ; article 26 et article 31, paragraphe 3 : « En aucun cas, une décision ne peut faire l’objet d’une révision au fond. » ; article 31, paragraphe 1 : « […] ni la personne […] ni l’enfant ne [peuvent] […] présenter d’observations. » ; ou encore article 34 : « La décision rendue sur le recours ne peut faire l’objet que du recours […] ».

    ( 46 ) Pour être complet, il y a lieu de noter que les arrêts du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, EU:C:1988:61), et du 16 février 2006, Verdoliva (C‑3/05, EU:C:2006:113), cités par la juridiction de renvoi et mis en avant par le HCC, n’infirment pas cette interprétation. Ainsi, la Cour a certes évoqué, dans ces arrêts, le caractère rigoureux du délai fixé à l’article 36 de la convention de Bruxelles, qui correspondait à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003. Toutefois, dans l’arrêt Hoffmann, la Cour a uniquement indiqué que la disposition en question devait être interprétée en ce sens que la partie qui n’a pas intenté le recours contre l’exequatur qui y est prévu ne peut plus faire valoir au stade de l’exécution une raison valable qu’elle aurait pu invoquer dans le cadre du recours contre l’exequatur (arrêt du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, EU:C:1988:61, point 34). De même, dans l’arrêt Verdoliva, la Cour s’est bornée à juger que la simple prise de connaissance d’une décision par la personne contre laquelle l’exécution est demandée ne peut pas remplacer l’exigence de signification stipulée à ladite disposition aux fins du point de départ du délai de recours qui y est prévu (arrêt du 16 février 2006, Verdoliva, C‑3/05, EU:C:2006:113, point 38).

    ( 47 ) En droit allemand, l’on ne concevrait pas une prorogation mais une réouverture du délai.

    ( 48 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:253, points 46 et 47).

    ( 49 ) Voir, notamment, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5) ; du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, point 67), et du 21 décembre 2016, TDC (C‑327/15, EU:C:2016:974, point 90).

    ( 50 ) Voir, à cet égard, la disposition du droit irlandais citée au point 23 des présentes conclusions.

    ( 51 ) Voir jurisprudence citée à la note 49 des présentes conclusions.

    ( 52 ) Voir, concernant l’article 36 de la convention de Bruxelles, qui correspondait à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, arrêt du 16 février 2006, Verdoliva (C‑3/05, EU:C:2006:113, points 26 et suiv.), ainsi que nos conclusions dans l’affaire Verdoliva (C‑3/05, EU:C:2005:722, points 38 et suiv., et jurisprudence citée) ; dans le même sens, concernant le règlement no 2201/2003, voir arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 101).

    ( 53 ) Voir, notamment, considérant 33 du règlement no 2201/2003.

    ( 54 ) Voir point 64 des présentes conclusions.

    ( 55 ) Voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne (C‑20/01 et C‑28/01, EU:C:2003:220, point 36).

    ( 56 ) Voir article 39 du règlement no 1215/2012, dit « Bruxelles I bis ».

    ( 57 ) Voir points 66 et 71 des présentes conclusions.

    ( 58 ) Voir arrêt du 26 avril 2012, Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 118), ainsi que notre prise de position dans l’affaire Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:177, points 71 et suiv.).

    ( 59 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 101). Voir, également, dans ce contexte, concernant l’article 36 de la convention de Bruxelles, qui correspondait à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, nos conclusions dans l’affaire Verdoliva (C‑3/05, EU:C:2005:722, points 41 et 42) : « L’article 36 représente […] le complément procédural des motifs matériels de non–reconnaissance prévus aux articles 27 et 28 de la convention de Bruxelles. » Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’un défenseur à l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre de l’Union et bénéficiant d’un mécanisme de reconnaissance mutuelle doit pouvoir faire valoir une insuffisance manifeste de protection d’un droit garanti par la convention européenne des droits de l’homme. Ce n’est en effet qu’en l’absence d’une telle insuffisance que la présomption de protection équivalente des droits garantis par ladite convention par le droit de l’Union peut s’appliquer et que les juridictions des États membres peuvent donner son plein effet à un tel mécanisme de reconnaissance mutuelle ; voir Cour EDH, 23 mai 2016, Avotiņš c. Lettonie (CE:ECHR:2016:0523JUD001750207, § 116).

    ( 60 ) Voir arrêt du 26 avril 2012, Health Service Executive (C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, points 121 et suiv.).

    ( 61 ) Arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 81).

    ( 62 ) Voir, ex multis, arrêts du 1er juillet 2010, Povse (C‑211/10 PPU, EU:C:2010:400, points 35 et 36) ; du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 28), et du 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga (C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, points 39 et 40).

    ( 63 ) Voir point 46 des présentes conclusions.

    ( 64 ) Voir notamment points 33 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 65 ) Voir points 38 et 39 des présentes conclusions.

    ( 66 ) Voir point 125 des présentes conclusions.

    ( 67 ) Voir point 16 des présentes conclusions.

    ( 68 ) Voir point 45 des présentes conclusions. Cette décision se lit comme suit : « Il n’y a rien dans les plaintes soulevées par les requérants dans les documents déposés auprès de cette cour. [Les requérants] ont eu l’occasion d’assister à l’audience du 8 septembre mais au lieu de faire cela se sont enfuis. Les arguments techniques maintenant mis en avant concernant le droit à un procès équitable, le droit de voyager et le recours à la tutelle sont inconsistants, d’autant plus dans la mesure où les enfants sont à présent de nouveau soumis à la juridiction de cette cour. » (Traduction par nos soins.)

    ( 69 ) À cet égard, la Cour a reconnu, dans le cadre de recours contre les actes des institutions de l’Union, qu’un retard lors de l’introduction d’un recours peut relever du concept de l’erreur excusable lorsque l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi (arrêt du 15 mai 2003, Pitsiorlas/Conseil et BCE, C‑193/01 P, EU:C:2003:281, point 24). Voir, également, dans ce contexte, Cour EDH, 6 décembre 2001, Tsironis c. Grèce (CE:ECHR:2001:1206JUD004458498, § 27 et suiv.).

    ( 70 ) Voir note 46 des présentes conclusions.

    ( 71 ) Voir, notamment, points 122 et suiv., et 128 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 72 ) Voir points 122 et suiv. des présentes conclusions.

    ( 73 ) Voir points 51 et 52 des présentes conclusions.

    ( 74 ) Conseil de l’Europe, Série des traités européens, no 74.

    ( 75 ) Arrêt du 27 avril 2004, Turner (C‑159/02, EU:C:2004:228).

    ( 76 ) Arrêt du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69).

    ( 77 ) Voir point 47 des présentes conclusions.

    ( 78 ) En matière financière, une telle freezing injunction ordonne le gel d’avoirs à titre conservatoire pour éviter qu’en vendant ses biens le débiteur ne les soustraie à la disposition ultérieure du créancier (voir nos conclusions dans l’affaire Meroni, C‑559/14, EU:C:2016:120, point 2). La Cour n’a pas vu d’inconvénients à une telle injonction même lorsqu’une personne susceptible d’en être affectée n’a pas été entendue, pour autant que cette personne ait la possibilité de faire valoir ses droits devant la juridiction ayant prononcée ladite injonction (voir arrêt du 25 mai 2016, Meroni, C‑559/14, EU:C:2016:349, point 54).

    ( 79 ) Arrêts du 27 avril 2004, Turner (C‑159/02, EU:C:2004:228, point 25) ; du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69, point 29), et du 13 mai 2015, Gazprom (C‑536/13, EU:C:2015:316, point 33).

    ( 80 ) Arrêts du 27 avril 2004, Turner (C‑159/02, EU:C:2004:228, point 24) ; du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69, point 30), et du 13 mai 2015, Gazprom (C‑536/13, EU:C:2015:316, point 34).

    ( 81 ) Arrêts du 27 avril 2004, Turner (C‑159/02, EU:C:2004:228, poins 9 et suiv.), et du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69, points 11 et suiv.).

    ( 82 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Gazprom (C‑536/13, EU:C:2015:316, point 36).

    ( 83 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2009, Detiček (C‑403/09 PPU, EU:C:2009:810, point 38).

    ( 84 ) Voir arrêt du 26 avril 2018, Donnellan (C‑34/17, EU:C:2018:282, point 61).

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