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Document 62018CC0270

Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 23 mai 2019.
UPM France SAS contre Premier ministre et Ministre de l'Action et des Comptes publics.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).
Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 21, paragraphe 5, troisième alinéa – Exonération des petits producteurs d’électricité, subordonnée à la taxation de l’électricité produite – Absence, pendant une période transitoire autorisée, d’une taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Obligation d’exonération des produits énergétiques et de l’électricité utilisés pour produire de l’électricité.
Affaire C-270/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:446

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 23 mai 2019 ( 1 )

Affaire C‑270/18

UPM France

contre

Premier ministre,

Ministre de l’Action et des Comptes publics

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE – Exonération des petits producteurs d’électricité, subordonnée à la taxation de l’électricité produite – Absence, pendant une période transitoire autorisée, de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité »

1. 

La directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité ( 2 ), a accordé à la République française une période transitoire particulière pour apporter les adaptations nécessaires aux régimes existants. Le présent renvoi préjudiciel porte sur les droits et obligations respectifs des entités assujetties et de l’État membre au cours de cette période.

2. 

Plus particulièrement, UPM France fait valoir, sur le fondement de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, qu’elle a droit au remboursement de la taxe acquittée sur sa consommation de gaz naturel dans une installation de cogénération de chaleur et d’électricité, lorsque l’électricité ainsi produite a été consommée pour son propre usage dans un procédé de fabrication ultérieur. UPM France n’a jusqu’à maintenant pas obtenu gain de cause devant les juridictions nationales. Le Conseil d’État (France), en tant que dernière instance de recours, interroge maintenant la Cour sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous a), et de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3.

La principale finalité de la directive 2003/96 est exposée au considérant 3, aux termes duquel « [l]e bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon ».

4.

Ces niveaux minima de taxe sont abordés au considérant 10, qui rappelle que « [l]es États membres souhaitent introduire ou maintenir différents types de taxes sur les produits énergétiques et l’électricité. Il y a lieu, dans ce but, de permettre aux États membres de respecter les niveaux minima communautaires de taxation par le cumul de l’ensemble des impôts indirects de leur choix (à l’exception de la TVA) ».

5.

Le considérant 24 traite des exonérations en expliquant qu’« [i]l y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer certaines autres exonérations ou des niveaux réduits de taxation, lorsque cela ne nuit pas au bon fonctionnement du marché intérieur et n’entraîne pas de distorsions de concurrence ».

6.

Le considérant 25 précise que, « [e]n particulier, la production combinée de chaleur et d’énergie et, afin de promouvoir l’utilisation de sources d’énergie de substitution, les énergies renouvelables peuvent bénéficier d’un traitement privilégié ».

7.

Le considérant 30 explique que « [d]es périodes et des accords transitoires peuvent se révéler nécessaires afin que les États membres aient la possibilité de s’adapter sans heurts aux nouveaux niveaux de taxation, limitant ainsi d’éventuels effets secondaires négatifs ».

8.

Le considérant 33 fait ensuite référence à l’application de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accises ( 3 ), en indiquant que « [l]e champ d’application de la directive 92/12/CEE doit être étendu, le cas échéant, aux produits et taxes indirectes couverts par la présente directive ».

9.

L’article 1er de la directive 2003/96 dispose que « [l]es États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive ».

10.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96 définit les « produits énergétiques » par référence aux codes NC figurant à l’annexe du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil ( 4 ). L’article 2, paragraphe 2, définit l’« électricité » couverte par la directive 2003/96 par référence à un autre code NC. Les notions de « produits énergétiques » et d’« électricité » sont donc distinctes dans ladite directive.

11.

L’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96 établit une exonération obligatoire de l’article 1er : « [o]utre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus : a) les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité ».

12.

L’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième et troisième phrases, de la directive 2003/96 prévoit ensuite une dérogation facultative à cette exonération : « les États membres peuvent taxer ces produits pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement et sans avoir à respecter les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive. Dans ce cas, la taxation de ces produits n’entre pas en ligne de compte dans le niveau minimum de taxation de l’électricité visé à l’article 10 ».

13.

L’article 15, paragraphe 1, sous c) et d), de la directive 2003/96 établit d’autres exonérations facultatives pour la production combinée de chaleur et d’énergie : « [s]ans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation : […] c) aux produits énergétiques et à l’électricité utilisés pour la production combinée de chaleur et d’énergie ; d) à l’électricité issue de la production combinée de chaleur et d’énergie, à condition que les générateurs combinés soient respectueux de l’environnement […] ».

14.

L’article 18 de la directive 2003/96 institue des régimes transitoires spécifiques pour certains États membres. L’article 18, paragraphe 10, de cette directive définit le régime particulier pour la République française. Aux termes de son second alinéa, « [l]a République française peut appliquer une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 2009 pour adapter son système actuel de taxation de l’électricité aux dispositions prévues dans la présente directive. Jusqu’à cette date, la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l’électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive» ( 5 ).

15.

L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 renvoie expressément à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive et prévoit une exonération facultative supplémentaire : « [u]ne entité qui produit de l’électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, point a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité ».

16.

Conformément à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2003/96, « [l]es États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 2003. Ils en informent immédiatement la Commission ».

Le droit français

La taxation du gaz

17.

La période de référence aux fins du présent renvoi s’étend du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 ( 6 ). Au cours de cette période, l’article 266 quinquies du code des douanes ( 7 ) prévoyait que le gaz naturel était soumis à la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, communément appelée « TICGN ».

18.

Toutefois, l’article 266 quinquies A du code des douanes prévoyait que la production combinée de chaleur et d’électricité, utilisant des installations mises en service au plus tard le 31 décembre 2005, était exonérée de la TICGN pendant une durée de cinq années à compter de la mise en service des installations.

19.

Par la suite, l’article 266 quinquies a été modifié ( 8 ) pour prévoir (à l’article 266 quinquies C) une exonération continue de la TICGN (à compter du 1er janvier 2006) pour la production d’électricité, à l’exception des installations soumises à l’article 266 quinquies A.

20.

L’article 266 quinquies a été modifié une nouvelle fois ( 9 ), avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2006, afin de prévoir (à l’article 266 quinquies A) que les producteurs pouvaient renoncer à leur droit d’exonération prévu à l’article 266 quinquies A (et bénéficier ainsi de l’article 266 quinquies C) dans la mesure où ils ne bénéficiaient pas d’un contrat d’électricité relatif à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ( 10 ).

21.

Dans le même temps, l’article 266 quinquies A a été modifié pour disposer que l’exonération de cinq ans qu’il prévoyait couvrirait les installations mises en service au plus tard le 31 janvier 2007.

22.

Il semble constant entre les parties que la renonciation à l’exonération prévue à l’article 266 quinquies A ne pouvait plus avoir lieu après l’écoulement de la période de cinq années calculée à compter de la mise en service des installations, indépendamment de l’obtention effective d’une exonération au titre de cette disposition.

23.

Par souci d’exhaustivité, je note que ce n’est qu’après la période concernée en l’espèce, à savoir en 2011, que la renonciation à l’exonération prévue à l’article 266 quinquies A a cessé de constituer une condition préalable à l’accès à l’exonération prévue à l’article 266 quinquies C ( 11 ).

La taxation de l’électricité

24.

Au cours de la période concernée, aucune taxe intérieure sur l’électricité n’a été appliquée en France. La consommation d’électricité était uniquement soumise à la contribution au service public de l’électricité, communément appelée « CSPE », un prélèvement de nature fiscale ( 12 ).

25.

La juridiction de renvoi a indiqué que, outre la CSPE, les entités produisant de l’électricité étaient tenues de payer des taxes locales, mais que celles-ci frappaient uniquement l’électricité livrée au consommateur final, et non celle produite pour leur propre usage (qui fait l’objet de la présente affaire).

26.

Par souci d’exhaustivité, je relève que ce n’est qu’après la période en cause en l’espèce, à savoir en 2010, qu’une loi a été adoptée pour réorganiser le marché de l’électricité (avec effet au 1er janvier 2011) conformément à la directive 2003/96 ( 13 ). Cette loi a introduit une taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. Elle a également modifié l’article 266 quinquies C pour instaurer une exonération en faveur des petits producteurs d’électricité, définis comme ceux produisant moins de 240 millions de kilowattheures par site de production.

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

27.

Pour les besoins de son activité de fabrication de papier, UPM France exploite une installation de cogénération de chaleur et d’électricité utilisant du gaz naturel comme combustible. L’électricité ainsi produite est ensuite utilisée dans un processus ultérieur de production de chaleur.

28.

Le gaz fourni à UPM France pendant la période en cause (de 2004 à 2006) était soumis à la TICGN, en vertu de l’article 266 quinquies du code des douanes français ( 14 ).

29.

Il ressort de la décision de renvoi que les installations d’UPM France ont été mises en service trop tôt pour pouvoir bénéficier de l’exonération de cinq ans prévue à l’article 266 quinquies A, mais qu’elle aurait du reste pu bénéficier de celle‑ci. Étant donné que cette période de cinq ans, calculée à compter de la mise en service des installations, s’était écoulée, UPM France n’a pas pu renoncer à son droit (potentiel) à l’exonération en vertu de l’article 266 quinquies A. Elle n’a donc pas pu obtenir le bénéfice de l’exonération continue prévue à l’article 266 quinquies C ( 15 ).

30.

UPM France a considéré, sur le fondement de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, qu’elle aurait dû bénéficier de l’exonération de la TICGN pour la fraction de sa consommation de gaz utilisée pour produire de l’électricité utilisée dans ses propres processus de production ultérieurs. En conséquence, elle a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une action tendant au remboursement de la somme de 2962224,08 euros, majorée des intérêts légaux et de leur capitalisation, à titre de remboursement partiel de la TICGN payée au cours de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008, et d’indemnisation du préjudice qu’UPM France estimait avoir subi en raison du retard dans la transposition de la directive 2003/96 par la République française.

31.

Par jugement du 17 juillet 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a constaté un non-lieu partiel à statuer à concurrence de la somme de 137931 euros, au titre de la période allant du 1er janvier 2007 au 31 mars 2008. Cette juridiction a rejeté le surplus de la demande d’UPM France pour la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006. Cette période est celle faisant l’objet de la procédure ultérieure qui a conduit au présent renvoi préjudiciel ( 16 ).

32.

Par arrêt du 15 mars 2016, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par UPM France contre ce jugement au motif que la TICGN n’était pas dissociable selon que le gaz en question avait été utilisé pour produire de l’électricité ou de la chaleur, et que toute exemption serait régie exclusivement par l’article 15 de la directive 2003/96.

33.

Le 17 mai 2016, UPM France a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi. Elle lui a demandé d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles et de mettre à la charge de l’État la somme de 5000 euros au titre de l’article L‑761‑1 du code de justice administrative ( 17 ), relatif à la répartition des dépens.

34.

UPM France a en outre demandé, à titre subsidiaire, que le Conseil d’État pose une question préjudicielle à la Cour ou (à titre plus subsidiaire) que le pourvoi soit joint à un pourvoi antérieur pendant devant la juridiction de renvoi, dans le cadre duquel un renvoi préjudiciel avait été effectué (ci-après « l’affaire Cristal Union ») ( 18 ), afin de poser des questions supplémentaires à la Cour et de permettre à UPM France de présenter des observations.

35.

Le 7 mars 2018, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire Cristal Union. Elle a dit pour droit que « l’exonération obligatoire prévue à cette disposition [l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96] s’applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée de celle‑ci et de chaleur, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive» ( 19 ).

36.

En dépit de cet arrêt, la juridiction de renvoi était d’avis que des questions subsistaient quant à l’interprétation correcte de la directive 2003/96. Elle a estimé que la cour administrative d’appel de Versailles avait commis une erreur de droit en jugeant que la taxation du gaz naturel qu’UPM France a utilisé pour la production combinée de chaleur et d’électricité relevait exclusivement de l’article 15 de la directive 2003/96. Le Conseil d’État a donc sursis à statuer et déféré les questions suivantes :

« 1)

Les dispositions du troisième alinéa du paragraphe 5 de l’article 21 de la directive 2003/96 doivent-elles être interprétées en ce sens que l’exonération dont elles autorisent les États membres à faire bénéficier les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, peut résulter d’une situation, telle que celle qui a été décrite au point 7 de la présente décision pour la période antérieure au 1er janvier 2011 ,pendant laquelle la [République française], comme l’y autorisait la directive, n’avait pas encore instauré la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité ni, par voie de conséquence, d’exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs ?

2)

En cas de réponse positive à la première question, comment les dispositions du point a) du paragraphe 1 de l’article 14 de la directive et celles du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21, pour les petits producteurs qui consomment l’électricité qu’ils produisent pour les besoins de leur activité, doivent-elles être combinées ? Notamment, impliquent-elles une taxation minimale résultant soit de la taxation de l’électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit d’une exonération de taxe sur la production d’électricité, l’État étant alors tenu de taxer le gaz naturel utilisé ? »

37.

UPM France, , le gouvernement espagnol et la Commission européenne ont déposé des observations écrites et présenté des observations orales lors de l’audience du 14 mars 2019.

Analyse

Recevabilité

38.

Le gouvernement français fait valoir que les questions posées sont irrecevables. L’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 dispose que, pendant la période concernée, de 2004 à 2006 (et, de fait, jusqu’au 1er janvier 2009), la République française bénéficiait d’une période transitoire pour adapter la législation existante. Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Messer France, « jusqu’au 1er janvier 2009, le respect des niveaux minima de taxation prévus par cette directive constituait, parmi les règles de taxation de l’électricité prévues par le droit de l’Union, la seule obligation qui s’imposait à la République française» ( 20 ).

39.

Je ne suis pas insensible à la position du gouvernement français. Néanmoins, je note que la question de la recevabilité n’a été abordée dans aucun des deux arrêts précédents (Messer France et Cristal Union) ( 21 ), qui ont été rendus en réponse à des questions posées par la même juridiction de renvoi concernant la directive 2003/96.

40.

En outre, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’il appartient au juge national d’apprécier la pertinence d’un renvoi préjudiciel et que la Cour doit uniquement refuser de répondre à des questions manifestement dénuées de pertinence pour l’affaire au principal ( 22 ).

41.

Par conséquent, j’examinerai tout d’abord si, au cours de la période transitoire, la République française était soumise à des obligations, découlant de la directive, qui pourraient constituer une base suffisante pour justifier le renvoi des questions préjudicielles ( 23 ).

Période transitoire

42.

Le délai de transposition de la directive 2003/96 prévu à l’article 28, paragraphe 1, a expiré le 31 décembre 2003. Jusqu’à cette date, les États membres étaient simplement tenus, « pendant le délai de transposition fixé par la directive pour la mettre en œuvre, [de s’abstenir] de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive» ( 24 ).

43.

Le fait que la République française n’ait pas pleinement mis en œuvre la directive 2003/96 avant la fin de la période transitoire spécifique qui lui a été accordée en vertu de l’article 18, paragraphe 10, de ladite directive (qui a expiré le 1er janvier 2009 et, partant, après la période en cause en l’espèce) ( 25 ) est également dénué de pertinence.

44.

On pourrait soutenir que les obligations incombant à un État membre pendant une période transitoire devraient être les mêmes qu’au cours d’une période de mise en œuvre et que, en conséquence, la République française était tenue de s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit ( 26 ).

45.

Toutefois, la question qui se pose ici n’est pas de savoir si, au cours de la période transitoire, la République française a pris des dispositions susceptibles de compromettre ultérieurement la mise en œuvre intégrale de la directive 2003/96. La question est de savoir si, au cours de cette période, la République française a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive.

46.

Lors de l’audience, la Commission a fait valoir que, bien que l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 ait octroyé à la République française une période transitoire particulière, cela n’exemptait pas la République française du respect de l’équilibre structurel de la directive 2003/96, qui exige que la production d’électricité soit taxée soit en amont, soit en aval. La République française était donc tenue de respecter certaines dispositions de la directive afin de garantir, d’une part, l’établissement des taux minima de taxation et, d’autre part, le respect de l’interdiction de la taxation des produits énergétiques énoncée à l’article 14, paragraphe 1, sous a) de cette directive.

47.

Selon la Commission, cette thèse a été confirmée dans l’arrêt Cristal Union, dans lequel la Cour a fourni une interprétation des articles 14 et 15 de la directive 2003/96 pour la période au demeurant couverte par le régime transitoire prévu pour la République française ( 27 ). À cet égard, je note que, dans l’arrêt Flughafen Köln/Bonn ( 28 ), la Cour a constaté que l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive « a un effet direct en ce sens qu’il peut être invoqué par un particulier devant les juridictions nationales ».

48.

Toutefois, à mon sens, la thèse de la Commission n’est pas corroborée par le texte de ladite directive.

49.

Il est vrai que, à de nombreux égards, un système complet de taxation qui doit être appliqué soit en amont, soit en aval constituerait une approche logique de la taxation des produits énergétiques et de l’électricité. Toutefois, la Commission n’a identifié aucune disposition de fond dans la directive 2003/96 qui ferait de cette approche un principe fondamental.

50.

En conséquence, des obligations supplémentaires incombant aux États membres même au cours d’une période de mise en œuvre ou d’une période transitoire ne sauraient selon moi être déduites de l’équilibre structurel de la directive 2003/96.

51.

Au contraire, j’observe que, bien que la directive 2003/96 porte sur la taxation des produits énergétiques et de l’électricité, le libellé de l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de cette directive se limite à prévoir une période transitoire durant laquelle la République française peut maintenir son « système actuel de taxation de l’électricité ». Lors de l’audience, le gouvernement français a fait valoir que la référence à un « système » doit être comprise comme incluant à la fois la taxation de l’électricité produite (en aval) et la taxation des produits énergétiques et de l’électricité utilisés pour la production d’électricité (en amont).

52.

Néanmoins, malgré cette référence à un « système », l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 précise également que, durant la période transitoire, « la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l’électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive » (mise en italique par mes soins). La juridiction de renvoi a expliqué ( 29 ) que, au cours de la période en question, la taxation locale de l’électricité frappait exclusivement l’électricité livrée au consommateur final en aval. L’électricité produite pour usage propre était exonérée de cette taxation.

53.

En conséquence, il apparaît clairement que l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 doit être interprété comme se référant uniquement à la taxation de l’électricité en aval, et non à la taxation des produits énergétiques et de l’électricité utilisés en amont. Les travaux préparatoires de la directive 2003/96 ( 30 ) n’étayent pas non plus l’argument du gouvernement français selon lequel le champ d’application de l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de cette directive englobe à la fois la taxation en amont et la taxation en aval.

54.

Dans ces circonstances, la Cour devrait appliquer son principe d’interprétation bien établi, en vertu duquel toute disposition qui « prévoit une dérogation à la règle générale […] doit être interprété[e] de manière restrictive» ( 31 ).

55.

La directive 2003/96 a plusieurs niveaux. L’article 1er de cette directive prévoit la taxation tant des produits énergétiques que de l’électricité. L’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive prévoit une « exonération obligatoire » de cette taxation pour les produits énergétiques et l’électricité qui sont utilisés en amont pour la production d’électricité ( 32 ).

56.

L’article 14, paragraphe 1, sous a), lui‑même et l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la même directive instituent ensuite des dérogations facultatives à cette exonération obligatoire. Celles-ci font l’objet des questions préjudicielles.

57.

Il me semble que, dans le cadre de ce régime à plusieurs niveaux, l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doit (en tant qu’exonération) être interprétée de manière restrictive. Dans le même temps, elle doit cependant être considérée comme la règle générale par rapport aux dispositions ultérieures prévoyant la possibilité de déroger à cette exonération obligatoire. Suivant cette logique, le régime transitoire visé à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, doit en principe être regardé comme une exception aux règles principales de la directive 2003/96 [celles-ci incluant donc tant l’article 1er que l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a)]. Dès lors, il doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.

58.

Dans ce contexte, je relève que l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 accorde à la République française une période transitoire au cours de laquelle la taxe existante sur l’électricité fait l’objet d’une exonération et qu’il vise en outre expressément la taxe locale sur l’électricité dans cet État membre, laquelle était une taxe en aval durant la période en cause. Il s’ensuit que l’article 18, paragraphe 10, de la directive 2003/96 ne prévoyait pas d’exonération, pendant la période transitoire, de l’interdiction visée à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive concernant la taxe en amont sur les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité.

59.

Par conséquent, la période transitoire prévue à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 n’a pas pour effet de protéger une taxe en amont sur les produits énergétiques, telle que la TICGN en cause en l’espèce.

60.

Cette lecture concorde avec l’arrêt Messer France qui a jugé que le respect des niveaux minima de taxation prévus par la directive 2003/96 « constituait, parmi les règles de taxation de l’électricité prévues par le droit de l’Union, la seule obligation qui s’imposait à la République française» ( 33 ).

61.

On pourrait affirmer qu’il serait incohérent que la République française bénéficie d’une période transitoire pour la taxation de l’électricité en aval, mais non pour la taxation des produits énergétiques et de l’électricité utilisés en amont pour la production d’électricité.

62.

Toutefois, lorsque l’application d’une interprétation restrictive peut sembler rendre un régime transitoire imparfait, le risque d’un tel résultat doit, à mon avis, peser sur la partie qui devait bénéficier dudit régime. Tel doit tout particulièrement être le cas lorsque l’interprétation restrictive vise à promouvoir des principes fondamentaux du droit de l’Union.

63.

L’objectif de la directive 2003/96, tel qu’énoncé dans son considérant 2, est de contribuer au « bon fonctionnement du marché intérieur ». Cet objectif ne serait pas servi si un État membre était autorisé à taxer les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour la production d’électricité alors que d’autres États membres seraient soumis à une interdiction de cette taxation. Par conséquent, toute dérogation à cette interdiction devrait être explicitement mentionnée dans le régime transitoire.

64.

Dans l’arrêt KappAhl ( 34 ), la Cour a examiné un régime d’adhésion transitoire accordé à la République de Finlande concernant les droits de douane à appliquer aux produits de pays tiers, qui autorisait cette dernière à imposer des taux de douane plus élevés que ceux prévus dans le code des douanes de l’Union. Le gouvernement finlandais soutenait que, de la même manière, il devait donc pouvoir appliquer la différence de taux douaniers aux produits de pays tiers importés en Finlande par l’intermédiaire d’autres États membres de l’Union, faute de quoi le régime transitoire aurait pu être ouvertement contourné.

65.

Toutefois, le texte du régime transitoire en cause dans cette affaire n’indiquait pas qu’il pouvait être appliqué aux échanges entre les États membres. La Cour a constaté que « l’importance que revêt le principe de la libre circulation de marchandises entre États membres signifie qu’une dérogation, même transitoire, doit être accordée de manière claire et sans ambiguïté» ( 35 ).

66.

En l’espèce, la dérogation contenue dans le régime transitoire prévu à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 mentionne « de manière claire et sans ambiguïté » uniquement la « taxation de l’électricité ». Elle ne mentionne pas l’utilisation de produits énergétiques et d’électricité pour la production d’électricité.

67.

Sur ce fondement, j’estime que, au cours de la période transitoire prévue à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96, la République française est restée liée par les dispositions de cette directive relatives à la taxation des produits énergétiques et de l’électricité utilisés pour la production d’électricité. Il convient donc de répondre aux questions préjudicielles [qui portent sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous a), et de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa de la directive 2003/96].

Première question

68.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 s’applique pendant la période transitoire prévue à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de manière à permettre à la République française, nonobstant l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de taxer les produits énergétiques utilisés par les petits producteurs pour produire de l’électricité, étant donné que ces producteurs ne sont pas imposés sur l’électricité qu’ils produisent.

69.

Il ressort clairement du contexte législatif que, au cours de la période 2004‑2006, les entités produisant de l’électricité pour leur propre usage étaient tenues de payer la CSPE à titre de contribution fiscale au service public de l’électricité. La taxe locale sur l’électricité frappait uniquement la fourniture d’électricité au consommateur final, et non la production d’électricité pour usage propre ( 36 ).

70.

Il apparaît en outre clairement qu’une taxe intérieure sur l’électricité n’a été instituée en France qu’à compter du 1er janvier 2011, c’est‑à‑dire deux ans après la fin de la période transitoire visée à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 ( 37 ).

71.

La question peut donc être reformulée comme suit : étant donné que i) il n’existait aucune taxe intérieure sur l’électricité au cours de la période en question ; ii) la CSPE semble avoir été considérée comme une contribution fiscale, et non comme une taxe, et iii) les impôts locaux sur l’électricité ne grevaient pas la production d’électricité pour usage propre, ces faits pris ensemble suffisent-ils pour satisfaire aux exigences de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, permettant ainsi à la République française de taxer les produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité destinée au propre usage des petits producteurs ?

72.

À mon sens, la réponse est négative.

73.

Pour les raisons que j’ai indiquées ( 38 ), l’interdiction obligatoire de taxer les produits énergétiques et l’électricité utilisés en amont pour la production d’électricité énoncée à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doit être considérée comme l’une des règles générales de cette directive. En conséquence, la dérogation facultative à cette exonération obligatoire prévue à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de ladite directive doit être interprétée de manière restrictive.

74.

Partant, l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 est applicable uniquement lorsque la législation nationale prévoit une telle exonération de la taxation de l’électricité produite pour le propre usage des petits producteurs. Or, en l’espèce, aucune exonération de ce type n’a été accordée aux petits producteurs sur la période 2004-2006. Au contraire, tous les producteurs étaient tenus de verser une contribution fiscale au service public de l’électricité, et tous les producteurs étaient exonérés du paiement des taxes locales sur l’électricité qu’ils produisaient pour leur propre usage.

75.

À cet égard, il importe peu de savoir si la contribution fiscale au service public de l’électricité serait elle‑même qualifiée de taxe au sens de la directive 92/12, sur laquelle repose la qualification des taxes au regard de la directive 2003/96, comme expliqué au considérant 33 de cette dernière ( 39 ). Il n’en demeure pas moins que, avant le 1er janvier 2011, le gouvernement français n’avait pris aucune mesure accordant une exonération à la production d’électricité destinée au propre usage des petits producteurs ( 40 ). En conséquence, avant cette date, l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 n’était pas applicable.

76.

En outre, une dérogation à une exonération obligatoire prévue par la directive 2003/96 ne peut être appliquée que si celle‑ci a été dûment transposée. L’article 21 de cette directive n’a pas été transposé en France avant l’année 2011 ( 41 ). Il s’ensuit que, pour cette raison également, la dérogation prévue à l’article 21 de ladite directive n’était pas invocable auparavant.

77.

Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Flughafen Köln/Bonn, la Cour a souligné que l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième et troisième phrases, de la directive 2003/96 « n’a qu’un caractère éventuel et un État membre qui n’a pas utilisé cette faculté ne saurait invoquer sa propre omission pour refuser à un contribuable le bénéfice d’une exonération à laquelle celui‑ci peut légitimement prétendre en vertu de la directive 2003/96» ( 42 ).

78.

Je propose donc de répondre à la première question que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, en tant que dérogation à l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. En conséquence, il est invocable uniquement lorsque l’électricité est soumise à la taxation générale, conformément à la directive 92/12, et lorsqu’une exonération de la production destinée au propre usage des petits producteurs a été établie dans le droit national conformément à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96.

79.

Enfin, j’observe que, au cours de la période concernée, il apparaît que le code des douanes français prévoyait certains mécanismes permettant d’exonérer les producteurs du paiement de la TICGN. Il appartiendrait au juge national d’apprécier si ces exonérations seraient suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’interdiction énoncée à l’article 14, paragraphe 1, sous a) de la directive 2003/96. Je note toutefois que les exonérations prévues dans le code des douanes français semblent être soumises à des limitations temporelles absentes de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive.

Seconde question

80.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, sous a), et l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 doivent être interprétés de manière à éviter un conflit normatif entre ces dispositions, dès lors qu’elles s’appliquent aux petits producteurs qui consomment l’électricité qu’ils produisent.

81.

En réalité, l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 comprend deux dispositions distinctes. La première phrase établit l’une des règles générales (obligatoires) de cette directive : lorsque les produits énergétiques et l’électricité sont utilisés en amont pour produire de l’électricité, ils ne doivent pas être taxés.

82.

Les deuxième et troisième phrases contiennent une disposition totalement différente. Ensemble, elles prévoient une dérogation, pour des raisons environnementales, à l’exonération obligatoire de la taxation des produits énergétiques utilisés en amont. Si cette dérogation est invoquée pour taxer les produits énergétiques en amont, la taxation qui en résulte n’est pas soumise aux niveaux minima de taxation à atteindre en vertu de la directive 2003/96 ni prise en compte dans ceux-ci.

83.

Les difficultés d’interprétation se posent parce que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa (relatif à la production destinée au propre usage des petits producteurs), a été formulé comme une dérogation facultative comportant le seul renvoi général « [n]onobstant les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, point a) », sans préciser à quelle partie de l’article 14, paragraphe 1, sous a), cette dérogation se rapporte. Une plus grande précision et une plus grande clarté dans la rédaction auraient certainement été utiles.

84.

Cela étant, en toute logique, la dérogation prévue à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 ne peut se référer qu’à la première phrase de l’article 14, paragraphe 1, sous a) (l’interdiction obligatoire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité utilisés en amont pour la production d’électricité). Les deuxième et troisième phrases de l’article 14, paragraphe 1, sous a), contiennent une dérogation à cette exonération obligatoire qui constitue une solution de substitution à la dérogation prévue à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa de cette directive.

85.

Ni le texte de la directive 2003/96, ni ses considérants, pas plus que les travaux préparatoires ne fournissent des indications sur la manière dont ces deux dérogations à l’exonération obligatoire sont censées interagir ( 43 ).

86.

À mon sens, il découle directement des conditions entourant les deux dérogations qu’elles ne peuvent être considérées comme étant en conflit. L’exclusion environnementale visée à l’article 14, paragraphe 1, sous a), peut être appliquée à tous les producteurs, et les recettes fiscales ainsi obtenues ne relèvent pas du champ d’application de la directive 2003/96, puisqu’elles ne sont pas prises en compte dans les niveaux minima de taxation aux fins de celle‑ci. L’exonération en faveur des petits producteurs visée à l’article 21, paragraphe 5, ne s’applique qu’à la production pour usage propre, et les recettes fiscales ainsi obtenues entrent dans le champ d’application de la directive 2003/96 et sont prises en compte dans les niveaux minima de taxation.

87.

Cette lecture est corroborée par l’arrêt Cristal Union, dans lequel la Cour a constaté que « [e]n outre, il y a lieu d’observer que, lorsque le législateur de l’Union a entendu permettre aux États membres de déroger à ce régime d’exonération obligatoire, il l’a prévu de manière explicite, respectivement à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive 2003/96, selon lequel ceux-ci peuvent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement, et à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de cette directive, en vertu duquel les États membres qui exonèrent l’électricité produite par les petits producteurs d’électricité doivent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité» ( 44 ).

88.

Je propose donc de répondre à la seconde question que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, en tant que dérogation à l’exonération obligatoire de la taxation prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, est indépendant de la dérogation environnementale à cette exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième et troisième phrases. Tandis que les taxes appliquées aux petits producteurs en vertu de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, sont soumises aux niveaux minima de taxation établis dans la directive 2003/96, celles appliquées au titre de la dérogation environnementale prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), ne sont pas soumises à ces niveaux minima de taxation.

Conclusion

89.

Je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) :

1)

L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, en tant que dérogation à l’exonération obligatoire prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de cette directive, doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. En conséquence, il est invocable uniquement lorsque l’électricité est soumise à la taxation générale, conformément à la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accises, et lorsqu’une exonération de la production destinée au propre usage des petits producteurs a été établie dans le droit national conformément à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96.

2)

L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, en tant que dérogation à l’exonération obligatoire de la taxation prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, est indépendant de la dérogation environnementale à cette exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième et troisième phrases. Tandis que les taxes appliquées aux petits producteurs en vertu de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, sont soumises aux niveaux minima de taxation établis dans la directive 2003/96, celles appliquées au titre de la dérogation environnementale prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), ne sont pas soumises à ces niveaux minima de taxation.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 2003, L 283, p. 51. La directive 2003/96 a remplacé la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 316, p. 12), modifiée en dernier lieu par la directive 94/74/CE (JO 1994, L 365, p. 46), et la directive 92/82/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 316, p. 19), modifiée en dernier lieu par la directive 94/74. Voir considérant 1 et article 30 de la directive 2003/96.

( 3 ) JO 1992, L 76, p. 1. Cette directive a ultérieurement été abrogée par la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12 (JO 2009, L 9, p. 12).

( 4 ) Règlement du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1). Voir article 2, paragraphe 5, de la directive 2003/96, en vertu duquel les « codes de la nomenclature combinée visés dans [ladite] directive sont ceux figurant dans le règlement (CE) no 2031/2001 de la Commission, du 6 août 2001, modifiant l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun » (JO 2001, L 279, p. 1). L’annexe du règlement no 2658/87 a été modifiée à plusieurs reprises au cours de la période en cause dans la présente affaire, mais ces modifications sont dénuées de pertinence aux fins du présent renvoi.

( 5 ) L’article 18, paragraphe 2, de la directive 2003/96 précise que « [n]onobstant les délais prévus aux paragraphes 3 à 12, et à condition que cela n’entraîne pas de distorsion importante de la concurrence, les États membres qui se heurtent à des difficultés dans l’application des nouveaux niveaux minima de taxation pourront bénéficier d’une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 2007, notamment en vue d’éviter que la stabilité des prix ne soit compromise ». Cependant, la République française n’a pas laissé entendre qu’elle invoquait cette disposition en l’espèce.

( 6 ) Voir point 30 des présentes conclusions.

( 7 ) Article 37 de la loi no 2002-1576, du 30 décembre 2002, de finances rectificative pour 2002.

( 8 ) Loi no 2005-1719, du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 et loi no 2005-1720, du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005.

( 9 ) Article 62 de la loi no 2007-1824, du 25 décembre 2007, de finances rectificative pour 2007.

( 10 ) Articles 10 et 50 de la loi no 2000-108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

( 11 ) Article 17 de la loi no 2011-900, du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011.

( 12 ) Loi no 2000-108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, telle que modifiée par la loi no 2003-8, du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie. Voir arrêt du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587, points 12 et 13).

( 13 ) Loi no 2010-1448, du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.

( 14 ) Voir point 17 des présentes conclusions.

( 15 ) Le lecteur peut, s’il le souhaite, rafraîchir sa mémoire aux points 18 à 22 des présentes conclusions concernant les dispositions nationales (labyrinthiques) qui conduisent à ce résultat.

( 16 ) Il ressort de la décision de renvoi que la limitation de la période concernée aux années 2004 à 2006 n’a été ni contestée ni infirmée dans le cadre de l’appel ultérieur.

( 17 ) Ordonnance no 2000-387 du 4 mai 2000.

( 18 ) Voir arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168).

( 19 ) Arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168, point 46).

( 20 ) Arrêt du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587, point 23). Cet arrêt porte, pour le reste, sur l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12.

( 21 ) Arrêts du 25 juillet 2018 (C‑103/17, EU:C:2018:587) et du 7 mars 2018 (C‑31/17, EU:C:2018:168).

( 22 ) Arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 36 et jurisprudence citée).

( 23 ) Arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C‑346/93, EU:C:1995:85, points 22 à 24).

( 24 ) Arrêt du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie (C‑129/96, EU:C:1997:628, point 50).

( 25 ) Arrêt du 25 octobre 2012, Commission/France (C‑164/11, non publié, EU:C:2012:665).

( 26 ) Voir note 24.

( 27 ) Arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168, point 46).

( 28 ) Arrêt du 17 juillet 2008 (C‑226/07, EU:C:2008:429, point 39).

( 29 ) Voir point 25 des présentes conclusions.

( 30 ) Proposition de directive du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques, COM(97) 30 final – CNS 97/0111 (JO 1997, C 139, p. 14) et exposé des motifs joint à celle‑ci.

( 31 ) Arrêt du 30 mars 2006, Smits-Koolhoven (C‑495/04, EU:C:2006:218, point 31).

( 32 ) Arrêts du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168, point 27), et du 27 juin 2018, Turbogás (C‑90/17, EU:C:2018:498, point 45).

( 33 ) Arrêt du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587, point 23) (mise en italique par mes soins).

( 34 ) Arrêt du 3 décembre 1998 (C‑233/97, EU:C:1998:585).

( 35 ) Arrêt du 3 décembre 1998, KappAhl (C‑233/97, EU:C:1998:585, point 21).

( 36 ) Voir points 24 et 25 des présentes conclusions.

( 37 ) Voir point 26 des présentes conclusions.

( 38 ) Voir point 57 des présentes conclusions.

( 39 ) Voir point 8 des présentes conclusions.

( 40 ) Voir point 26 des présentes conclusions.

( 41 ) Voir note 11.

( 42 ) Arrêt du 17 juillet 2008, Flughafen Köln/Bonn (C‑226/07, EU:C:2008:429, point 32) (mise en italique par mes soins).

( 43 ) Voir note 30.

( 44 ) Arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168, point 27) (mise en italique par mes soins).

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