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Document 62018CC0208

Conclusions de l'avocat général M. E. Tanchev, présentées le 11 avril 2019.
Jana Petruchová contre FIBO Group Holdings Limited.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Nejvyšší soud.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 17, paragraphe 1 – Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs – Notion de “consommateur” – Personne physique effectuant des opérations sur le marché international des changes par l’intermédiaire d’une société de courtage – Règlement (CE) no 593/2008 (Rome I) – Directive 2004/39/CE – Notion de “client de détail”.
Affaire C-208/18.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:314

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 11 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑208/18

Jana Petruchová

contre

FIBO Group Holdings Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs – Consommateur – Personne physique opérant dans le commerce des devises étrangères sur le marché international des devises par l’intermédiaire d’une société de courtage – Cohérence avec la notion de “consommateur” au sens du règlement (UE) no 593/2008 – Client de détail au sens de la directive 2004/39/CE »

1. 

Dans la présente affaire, la Cour est invitée à interpréter la notion de « consommateur » au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 ( 2 ) (ci-après le « règlement Bruxelles I bis ») dans le contexte d’opérations effectuées sur le marché international des devises (ci-après le « marché FOREX »).

2. 

Par dérogation à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ( 3 ), l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement prévoit qu’un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, peut intenter une action contre l’autre partie à un contrat, non seulement devant les juridictions de l’État membre où est domiciliée cette partie, mais également devant les juridictions du lieu où le consommateur est domicilié. Les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis, qui forment la section 4 du chapitre II dudit règlement, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », visent à garantir une protection adéquate du consommateur, en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant professionnel ( 4 ).

3. 

Il est demandé à la Cour si une personne physique qui effectue des opérations sur le marché FOREX doit être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, ou si, en raison des connaissances et de l’expertise requises pour effectuer de telles opérations, ainsi que de la nature complexe et atypique du contrat en cause et des risques encourus, une telle personne ne peut pas être considérée comme un consommateur, de sorte que les dispositions protectrices de la section 4 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis ne lui sont pas applicables.

I. Le cadre juridique

A.   Le règlement Bruxelles I bis

4.

L’article 17 du règlement Bruxelles I bis dispose :

« 1.   En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5 :

a)

lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b)

lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; ou

c)

lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[...]

3.   La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

B.   Le règlement Rome I

5.

L’article 6 du règlement (CE) no 593/2008 ( 5 ) (ci-après le « règlement Rome I »), intitulé « Contrats de consommation », dispose :

« 1.   Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après “le consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après “le professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a)

exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b)

par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.

2.   Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l’article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence de choix, sur la base du paragraphe 1.

[...]

4.   Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas :

[...]

d)

aux droits et obligations qui constituent des instruments financiers, et aux droits et obligations qui constituent les modalités et conditions qui régissent l’émission ou l’offre au public et les offres publiques d’achat de valeurs mobilières, et la souscription et le remboursement de parts d’organismes de placement collectif, dans la mesure où ces activités ne constituent pas la fourniture d’un service financier ;

[...] »

C.   La directive 2004/39/CE

6.

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/39/CE ( 6 ) dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

10)

“client” : toute personne physique ou morale à qui une entreprise d’investissement fournit des services d’investissement et/ou des services auxiliaires ;

11)

“client professionnel” : tout client respectant les critères prévus à l’annexe II ;

12)

“client de détail” : un client qui n’est pas professionnel ;

[...] »

II. Les faits au principal et la question préjudicielle

7.

Le 2 octobre 2014, Mme Jana Petruchová, domiciliée à Ostrava (République tchèque), a conclu avec FIBO Group Holdings Ltd (ci-après « FIBO »), une société de courtage établie à Limassol (République de Chypre), un contrat-cadre (« terms of business », ci-après le « contrat‑cadre »). Le contrat-cadre avait pour objet de permettre à Mme Petruchová d’effectuer des opérations sur le marché FOREX en plaçant des ordres de vente et d’achat de la devise de base, que FIBO devait exécuter au moyen de sa plate-forme d’échange en ligne. À cet effet, le contrat-cadre prévoyait la conclusion, entre Mme Petruchová et FIBO, de contrats qualifiés de contrats individuels pour différences.

8.

Un contrat pour différences (ci-après « CFD ») est un instrument financier qui a pour objet d’acheter, puis de revendre, une devise de base [en l’espèce, des dollars des États-Unis (USD)] et de dégager un bénéfice sur la différence entre les taux de change applicables, respectivement, à l’achat et à la vente de la devise de base par rapport à la devise de contrepartie [qui est, en l’espèce, le yen japonais (JPY)]. Bien qu’il soit possible d’opérer sur le marché FOREX avec ses propres fonds, Mme Petruchová a utilisé la possibilité d’opérer au moyen de ce que l’on appelle des « lots », un lot ayant une valeur de 100000 USD, en utilisant ce que l’on désigne comme l’ « effet de levier ». Elle a ainsi pu opérer avec davantage de fonds que ceux qu’elle avait à sa disposition ( 7 ). Lorsqu’elle a acheté la devise de base (USD) en échange de la devise de contrepartie (JPY) au cours de cotation à la vente alors en vigueur, c’est-à-dire lorsqu’elle a « ouvert sa position », Mme Petruchová a obtenu un prêt de la part de FIBO pour le montant nécessaire aux fins de la transaction. Lorsqu’elle a « fermé sa position », c’est-à-dire lorsqu’elle a effectué l’opération inverse consistant à vendre la quantité achetée de la devise de base (USD) en échange de la devise de contrepartie (JPY) au cours de cotation à la vente alors en vigueur, Mme Petruchová a remboursé le prêt à FIBO.

9.

La clause 30 du contrat-cadre prévoyait que les juridictions chypriotes étaient internationalement compétentes pour tout litige entre les parties.

10.

Le 3 octobre 2014, Mme Petruchová a conclu un CFD avec FIBO (ci-après le « CFD en cause »). À 15 h 30 précises, elle a placé un ordre d’achat de 35 lots à un taux de change de 109,0000 USD/JPY. Le système d’échange l’a rapidement informée que le taux de change actualisé était de 109,0500 USD/JPY. Mme Petruchová a accepté et a confirmé l’ordre d’achat.

11.

Toutefois, de longues files d’ordres se sont formées dans le système d’échange FIBO, en raison d’un bond du taux des USD par rapport aux devises de contrepartie, à la suite de la divulgation d’informations relatives à une tendance positive dans les indicateurs d’emploi pour le secteur non agricole aux États-Unis. En conséquence, le montant souhaité de 3500000 USD a été acheté à 15 h 30 min 16 s, et non pas à 15 h 30 précises, le taux d’achat étant de 109,4000 USD/JPY, de sorte que le prix d’achat était de 382900000 JPY.

12.

À 15 h 48 min 11 s le même jour, Mme Petruchová a fermé sa position en plaçant un ordre enjoignant à FIBO de vendre la somme achetée de 3500000 USD. Le taux de vente était de 109,5600 USD/JPY, de sorte que le prix de vente était de 383460000 JPY. Mme Petruchová a remboursé le prêt accordé par FIBO à concurrence de 382900000 JPY. Par conséquent, cette opération lui a procuré un bénéfice brut s’élevant à 560000 JPY, évalué à 4081,33 USD.

13.

Si l’ordre d’acheter la devise de base donné par Mme Petruchová avait été exécuté à temps, et non pas avec un retard de 16 secondes, Mme Petruchová aurait réalisé un bénéfice de 1785000 JPY, évalués à 13009,23 USD, c’est-à-dire qu’elle aurait réalisé un bénéfice trois fois plus élevé.

14.

Par conséquent, le 12 octobre 2015, Mme Petruchová a introduit un recours devant le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava, République tchèque), faisant valoir un enrichissement sans cause de FIBO.

15.

Le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava) a clos la procédure pour défaut de compétence internationale. Selon le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava), Mme Petruchová ne pouvait pas être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, étant donné qu’elle n’a pas conclu le CFD en cause aux fins de satisfaire ses besoins personnels, qu’elle disposait des connaissances nécessaires et de l’expertise requise pour conclure des CFD et qu’elle avait été avertie du caractère inapproprié des CFD en tant qu’instrument pour les « clients de détail » au sens de la directive 2004/39. En toute hypothèse, selon le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava), l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis devait être interprété de la même manière que l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I. Or les instruments financiers sont exclus du champ d’application de cette dernière disposition. Par conséquent, la clause attributive de juridiction figurant dans le contrat-cadre était valide, de sorte que les juridictions chypriotes, et non pas celles de la République tchèque, étaient compétentes.

16.

La décision du Krajský soud v Ostravě (Cour régionale d’Ostrava) a été confirmée en appel par le Vrchní soud v Olomouci (Cour supérieure d’Olomouc, République tchèque).

17.

Mme Petruchová a introduit un recours en cassation contre cet arrêt devant le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque).

18.

Le Nejvyšší soud (Cour suprême) considère que les juridictions tchèques inférieures ont mal interprété la notion de « consommateur » au sens du règlement Bruxelles I bis. Selon le Nejvyšší soud (Cour suprême), premièrement, un client de détail au sens de la directive 2004/39 n’est pas nécessairement un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Deuxièmement, d’après le Nejvyšší soud (Cour suprême), cette dernière disposition ne devrait pas être interprétée de la même manière que l’article 6 du règlement Rome I, étant donné qu’elle n’exclut pas expressément les instruments financiers. Troisièmement, le Nejvyšší soud (Cour suprême) affirme que, selon la jurisprudence, il importe peu, aux fins de déterminer si une personne doit être qualifiée de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, que cette personne dispose de connaissances et d’une expertise particulières, que le contrat en cause soit complexe ou atypique, que la conclusion de ce contrat implique des risques et que la personne ait été avertie de tels risques.

19.

Par conséquent, le Nejvyšší soud (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 17, paragraphe 1, du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu de qualifier de consommateur au sens de ladite disposition également une personne telle que celle dont il est question dans la procédure au principal, qui participe aux échanges sur le [marché FOREX] sur la base de ses propres ordres donnés activement, mais par l’intermédiaire d’une tierce personne, qui est un professionnel ? »

20.

Des observations écrites ont été déposées par Mme Petruchová, la République tchèque, la République de Pologne et la Commission européenne.

21.

Mme Petruchová, FIBO, la République tchèque et la Commission ont présenté des observations orales à l’audience du 31 janvier 2019.

III. Analyse

22.

La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si doit être qualifiée de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis une personne qui conclut avec une société de courtage un accord par lequel cette dernière exécute des transactions individuelles sur le marché FOREX conformément aux ordres de vente et d’achat de cette personne.

23.

Je ferai une remarque liminaire concernant la valeur juridique de la clause attributive de juridiction figurant dans le contrat-cadre. Ensuite, j’examinerai, premièrement, l’unique critère prévu à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis aux fins de la qualification en tant que consommateur, à savoir la finalité du contrat. Deuxièmement, je tâcherai de déterminer si d’autres critères peuvent s’appliquer aux fins de déterminer si une personne doit être considérée comme un consommateur au sens de cette disposition. Troisièmement, j’aborderai la question de savoir si l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en conformité avec l’article 6 du règlement Rome I, lequel ne s’applique pas aux instruments financiers. Quatrièmement, j’examinerai s’il y a lieu de tenir compte, aux fins de déterminer si une personne doit être qualifiée de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, du fait qu’il s’agit d’un « client de détail » au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39.

A.   Remarque liminaire

24.

D’emblée, il me faut faire observer que, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, si Mme Petruchová était considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, la clause 30 du contrat‑cadre serait sans effet.

25.

En effet, en reconnaissant la compétence exclusive des juridictions de Chypre, cette clause prive Mme Petruchová du droit prévu à l’article 18, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis de saisir les juridictions de l’État membre où elle est domiciliée, à savoir les juridictions de la République tchèque.

26.

Aux termes de l’article 19 du règlement Bruxelles I bis, « [i]l ne peut être dérogé aux dispositions de la [section 4 du chapitre II dudit règlement] que par des conventions: 1) postérieures à la naissance du différend ; 2) qui permettent au consommateur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ; ou 3) qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant [...] leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre, attribuent compétence aux juridictions de cet État membre [...] ».

27.

Dans la présente affaire, ainsi que le fait observer la juridiction de renvoi, la clause 30 du contrat-cadre ne relève pas de l’article 19, paragraphes 1, 2 et 3, du règlement Bruxelles I bis.

28.

Premièrement, cette clause ne relève pas du champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement puisque le contrat-cadre a été conclu le 2 octobre 2014, c’est-à-dire avant que Mme Petruchová saisisse le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava) le 12 octobre 2015.

29.

Deuxièmement, la clause 30 du contrat-cadre ne relève pas du champ d’application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I bis. En effet, selon moi, cette disposition doit être comprise comme signifiant que la convention doit attribuer la compétence pour juger de l’action introduite par le consommateur à des fors qui s’ajoutent à ceux prévus par l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement. Toute autre interprétation de l’article 19, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I bis serait incompatible avec son libellé, qui « autorise », mais n’« exige » pas que le consommateur saisisse des juridictions autres que celles indiquées à l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement ( 8 ). Dans la présente affaire, ainsi que nous l’avons fait observer au point 25 des présentes conclusions, la clause 30 du contrat-cadre prive Mme Petruchová du droit de saisir les juridictions d’un État membre désignées par cette disposition.

30.

Troisièmement, cette clause ne relève pas de l’article 19, paragraphe 3, du règlement Bruxelles I bis, dès lors que Mme Petruchová et FIBO ne sont pas domiciliés ou établis dans le même État membre.

31.

Par conséquent, la clause 30 du contrat-cadre est contraire à l’article 19 du règlement Bruxelles I bis. Il s’ensuit que, en application de l’article 25, paragraphe 4, dudit règlement, cette clause est sans effet.

32.

Toutefois, ainsi que nous l’avons fait observer au point 24 des présentes conclusions, cela ne vaut que si l’article 19 du règlement Bruxelles I bis est applicable, c’est-à-dire si Mme Petruchová est considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement. Par conséquent, la juridiction de renvoi demande à être éclairée sur la qualification de la requérante au principal en tant que consommateur.

B.   Le contrat a-t-il été conclu pour un usage étranger à l’activité professionnelle de la personne ?

33.

L’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis s’applique si trois conditions sont remplies : premièrement, une partie contractuelle a la qualité de consommateur qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; deuxièmement, le contrat entre un tel consommateur et un professionnel a effectivement été conclu ; et, troisièmement, un tel contrat relève d’une des catégories visées à l’article 17, paragraphe 1, sous a) à c), dudit règlement. Toutes ces conditions doivent être remplies de manière cumulative pour qu’un consommateur puisse saisir sa propre juridiction ( 9 ).

34.

Comme mentionné au point 22 des présentes conclusions, la question déférée à la Cour dans la présente affaire concerne la première condition.

35.

Je relève que l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ne définit pas la notion de « consommateur ». Cette disposition se contente d’exiger qu’une personne, le consommateur, conclue un contrat « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ». Aucune autre disposition de ce règlement n’apporte de précisions à cet égard.

36.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, les notions employées par le règlement Bruxelles I bis, et notamment celles figurant à l’article 17, paragraphe 1, de celui‑ci, doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs dudit règlement, afin d’assurer son application uniforme dans tous les États membres ( 10 ).

37.

La notion de « consommateur », au sens des articles 17 et 18 du règlement Bruxelles I bis, doit être interprétée de manière restrictive, en se référant à la position de cette personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci, et non pas à la situation subjective de cette même personne, une seule et même personne pouvant être considérée comme un consommateur dans le cadre de certaines opérations et comme un opérateur économique dans le cadre d’autres opérations. Par conséquent, seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu, relèvent du régime particulier prévu par ledit règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible, alors qu’une telle protection ne se justifie pas en cas de contrat ayant comme but une activité professionnelle ( 11 ).

38.

Dans la présente affaire, à l’audience, le représentant de la requérante au principal a indiqué que, à l’époque de la conclusion du contrat-cadre et du CFD en cause, Mme Petruchová était étudiante à l’université et qu’elle travaillait également à temps partiel. Celle-ci affirme qu’elle n’a pas conclu le CFD en cause pour un usage relevant de sa profession (à temps partiel). Aucune des parties n’affirme qu’elle l’a fait. De même, il n’y a pas d’indication en ce sens dans la demande préjudicielle. Par conséquent, bien qu’il s’agisse d’une question de fait qui relève de la compétence de la juridiction de renvoi, il me semble que Mme Petruchová devrait être qualifiée de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.

39.

Toutefois, d’après la demande préjudicielle, le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava) a considéré que les connaissances et l’expertise particulières requises pour opérer sur le marché FOREX, le montant des sommes investies ainsi que les risques encourus s’opposaient à une qualification de consommateur. La juridiction de renvoi ne partage pas cette opinion ( 12 ). J’examinerai maintenant cette question.

C.   Y a-t-il lieu de tenir compte d’autres critères pour déterminer si une personne doit être qualifiée de consommateur ?

40.

Il est demandé à la Cour si une personne qui effectue des transactions sur le marché FOREX peut se voir refuser le statut de consommateur en raison des connaissances et de l’expertise requises pour effectuer de telles opérations, de la valeur de la transaction, du fait que cette personne place activement ses propres ordres, des risques encourus sur le marché FOREX, ainsi que du nombre et de la fréquence des transactions effectuées.

41.

Mme Petruchová affirme qu’aucune connaissance particulière n’est requise pour la conclusion d’un CFD et qu’il ne devrait pas être tenu compte du montant des fonds investis, ni du volume et de la fréquence des transactions effectuées. FIBO soutient que Mme Petruchová ne devrait pas être considérée comme un consommateur étant donné que la conclusion d’un CFD est une activité commerciale. La République tchèque fait valoir qu’il importe peu, aux fins de déterminer si une personne doit être qualifiée de consommateur, qu’elle dispose de connaissances dans le domaine concerné ou qu’elle place activement des ordres. La République de Pologne fait observer que la conclusion de CFD implique d’importants risques et qu’il ne devrait aucunement être tenu compte, aux fins de la qualification d’une personne en tant que consommateur, de sa connaissance des matières financières ou du fait qu’elle cherche à réaliser un bénéfice et à satisfaire des besoins autres que ses besoins journaliers. Selon la Commission, il importe peu que la personne dispose de connaissances dans le domaine concerné ou place activement des ordres, mais il devrait être tenu compte du nombre et de la fréquence des transactions effectuées.

42.

Selon moi, il devrait être répondu par la négative à la question formulée au point 40 des présentes conclusions. J’exposerai ci-après les raisons pour lesquelles je suis parvenu à cette conclusion.

43.

Premièrement, par souci de clarté, je souligne qu’une personne qui conclut un CFD ne saurait se voir refuser le statut de consommateur au seul motif que la conclusion de CFD requiert des connaissances et une expertise particulières. Cela reviendrait à exclure les CFD du champ d’application des articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis. Or il ne fait aucun doute que les instruments financiers tels que les CFD relèvent de ces dispositions. En effet, en vertu de l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement, les seuls contrats exclus du champ d’application des articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis sont certains types de contrats de transport. Il s’ensuit que, en l’absence de toute disposition expresse en sens contraire, les instruments financiers relèvent du champ d’application de ces dispositions ( 13 ). Par ailleurs, dans l’arrêt Kolassa, la Cour a jugé que l’acquéreur d’une obligation au porteur peut être considéré comme un consommateur au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I ( 14 ).

44.

Deuxièmement, s’agissant du point de savoir si Mme Petruchová doit se voir refuser le statut de consommateur au motif que, ainsi que son représentant l’a déclaré à l’audience, elle a informé FIBO qu’elle avait trois années d’expérience dans le domaine concerné, j’estime que les connaissances et l’expérience sont dénuées de pertinence pour déterminer si une personne est un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.

45.

En effet, pour qu’une personne soit considérée comme un consommateur au sens de cette disposition, il suffit qu’elle conclue un contrat pour un usage étranger à son activité professionnelle. L’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ne prévoit pas de conditions supplémentaires. Il n’exige pas la preuve que, dans un cas particulier, la personne n’a pas de connaissances dans le domaine concerné, de sorte qu’elle a besoin de la protection accordée aux consommateurs par les articles 17, 18 et 19 dudit règlement ( 15 ).

46.

Cela est conforme à la jurisprudence citée au point 37 des présentes conclusions, selon laquelle, aux fins de déterminer si une personne doit être considérée comme un consommateur, il faut se référer à la nature et à la finalité du contrat, et non pas à la situation subjective de la personne concernée. Si l’on tenait compte des connaissances d’une personne dans un domaine particulier, cela reviendrait à se référer à la situation subjective de cette personne au regard du contrat.

47.

Cela est également conforme à l’arrêt rendu dans l’affaire Schrems, dans lequel la Cour a déclaré que la notion de « consommateur » est « indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement» ( 16 ). Par conséquent, l’expertise de M. Schrems dans le domaine des réseaux sociaux numériques ne pouvait pas lui ôter le statut de consommateur au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I (devenu l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis) ( 17 ).

48.

Enfin, cela est conforme à la jurisprudence relative à la notion de « consommateur » au sens de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 18 ). Cette notion est définie en des termes pratiquement identiques à l’article 2, sous b), de ladite directive ( 19 ) et à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Par conséquent, dans l’arrêt Schrems, la Cour a renvoyé à l’arrêt rendu dans l’affaire Costea, qui portait sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 ( 20 ). Dans l’arrêt Costea, la Cour a déclaré que« [l]a notion de “consommateur”, au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, a [...] un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir, ou des informations dont cette personne dispose réellement », de sorte qu’un avocat, qui dispose d’un niveau élevé de compétences techniques, peut néanmoins être considéré comme un consommateur ( 21 ).

49.

Toute autre solution compromettrait, selon moi, l’objectif du système établi par les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis, qui est de garantir une protection adéquate du consommateur. Selon la jurisprudence, le consommateur est protégé, non seulement en tant que partie au contrat « juridiquement moins expérimentée que son cocontractant », mais également comme la partie au contrat « économiquement plus faible» ( 22 ).

50.

Troisièmement, il ne saurait être soutenu que la qualification de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis devrait être refusée au motif que la transaction effectuée au titre du contrat dépasse un certain montant. Si telle avait été l’intention du législateur de l’Union européenne, l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis aurait fixé un seuil pour la valeur du contrat.

51.

En l’absence de la mention expresse d’un seuil, la constatation selon laquelle une personne perd le statut de consommateur en raison de l’importance des sommes investies sur le marché FOREX ou de l’importance des bénéfices réalisés serait incompatible avec le principe de sécurité juridique. À cet égard, je souligne que, conformément au considérant 15 du règlement Bruxelles I bis, les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité. Selon la jurisprudence, ce règlement poursuit un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union européenne, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait ( 23 ). Si les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis n’étaient pas applicables lorsque des fonds importants sont investis, l’investisseur ne serait pas en mesure, en l’absence de la mention expresse d’un seuil, de prévoir s’il bénéficiera de la protection octroyée par ces dispositions. Si les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis n’étaient pas applicables en cas de profits importants, la situation de l’investisseur serait encore plus incertaine, étant donné qu’il ne sait pas, lorsqu’il place un ordre sur le marché FOREX, s’il réalisera un bénéfice et, si tel est le cas, quel en sera le montant ( 24 ).

52.

De plus, je considère qu’une personne ne devrait pas perdre le statut de consommateur si le bénéfice réalisé sur le marché FOREX représente la plus grande part de ses revenus. Cela semble difficilement compatible avec le principe d’égalité de traitement, étant donné que cela aboutirait à la situation dans laquelle, si un millionnaire et un investisseur de la classe moyenne plaçaient un ordre d’un même montant sur le marché FOREX et qu’ils devaient réaliser le même profit, le premier serait qualifié de consommateur alors que le second se verrait refuser ce statut.

53.

Quatrièmement, il importe peu que la personne place activement ses propres ordres sur le marché FOREX. Ainsi que le déclare la juridiction de renvoi, il est vrai que, dans l’arrêt Kolassa ( 25 ), alors que le contrat examiné portait sur l’acquisition d’obligations au porteur, le requérant n’a pas placé des ordres comme l’a fait Mme Petruchová ( 26 ). Cependant, l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis n’exige pas que le consommateur se comporte d’une manière particulière. Il ne requiert pas que le consommateur reste passif, ou que l’autre partie soit responsable de l’exécution du contrat.

54.

Cinquièmement, les risques induits par la conclusion de CFD ne sauraient, selon moi, s’opposer à la qualification de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.

55.

Je répète que cette disposition n’exige pas que le consommateur se comporte d’une manière particulière. Elle n’exige pas de lui diligence et prudence.

56.

De plus, les risques sont inhérents à la conclusion de CFD. Par conséquent, si la qualification de consommateur était refusée en raison des risques pris, les CFD seraient systématiquement écartés du champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, en dépit du fait que seuls certains types de contrats de transport ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition ( 27 ).

57.

Enfin, il me faut souligner que c’est précisément la portée des risques encourus qui, à la lumière de l’objectif des articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis, à savoir la garantie d’une protection adéquate du consommateur, requiert de qualifier de consommateurs les personnes qui concluent des CFD. À cet égard, j’observe que, ainsi que Mme Petruchová le fait valoir, l’Autorité européenne des marchés financiers (ci-après l’« AEMF ») a adopté en mai 2018 une décision par laquelle elle a temporairement restreint la commercialisation, la distribution ou la vente de CFD aux clients de détail ( 28 ). La raison pour laquelle l’AEMF a adopté cette décision était que les autorités nationales compétentes, ainsi que l’AEMF elle-même étaient préoccupées par l’augmentation rapide, au cours des dernières années, de la commercialisation de CFD sur un marché de détail de masse, en dépit du fait que ces produits sont complexes et inappropriés pour la grande majorité des clients de détail. La décision 2018/796 de l’AEMF mentionne en particulier l’existence d’« une crainte importante relative à la protection des investisseurs » et insiste sur le fait que de nombreux clients de détail n’ont pas conscience des risques encourus et que les études effectuées par les autorités nationales compétentes indiquent qu’une majorité de clients de détail investissant dans les CFD perdent de l’argent dans ces transactions ( 29 ).

58.

Sixièmement, si une personne effectue des transactions financières de manière régulière, sur une longue période de temps et pour d’importants montants, se pose la question de savoir si elle doit être considérée comme effectuant ces opérations dans le cadre d’une profession (secondaire) ( 30 ). Ces transactions ne relèveraient alors pas de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis étant donné qu’elles seraient conclues pour un usage relevant de la profession (secondaire) de cette personne.

59.

À cet égard, j’observe, ainsi que l’a soutenu la Commission à l’audience, que la jurisprudence nationale pourrait quelque peu conforter ce raisonnement. Par exemple, dans l’affaire AMT Futures Ltd. v Marzillier, Dr Meier & Dr Guntner Rechtsanwaltsgesellschaft mbH [2015] 2 WLR 187, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale), Royaume-Uni] a déclaré que tous les investisseurs ne peuvent pas être considérés comme des consommateurs au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I et que, afin de déterminer s’ils peuvent être considérés comme des consommateurs, il y a lieu de tenir compte « des circonstances de chaque individu et de la nature et du type d’investissement ».

60.

Je ne saurais toutefois souscrire à ce raisonnement.

61.

Il est vrai que, bien que la finalité en vue de laquelle le contrat est conclu devrait, en principe, être appréciée à la date de la conclusion de ce contrat ( 31 ), il faut tenir compte, dans certaines circonstances, de changements ultérieurs ( 32 ). Toutefois, comme l’avocat général Bobek l’a suggéré dans l’affaire Schrems, cela devrait être réservé à des circonstances exceptionnelles ( 33 ). Il ne saurait y avoir d’appréciation ex post de la finalité du contrat dans chaque cas individuel, ou dans chaque cas où un contrat-cadre (tel que celui conclu par Mme Petruchová) prévoit la conclusion de transactions individuelles (telles que des CFD). Cela serait incompatible avec le principe de sécurité juridique ( 34 ) étant donné que la qualification de consommateur dépendrait du nombre de transactions effectuées au titre du contrat-cadre et que, par conséquent, l’investisseur ne pourrait pas savoir, à la date de conclusion du contrat-cadre, s’il sera ou non considéré comme un consommateur. Cela serait également incompatible avec la jurisprudence citée au point 37 des présentes conclusions, selon laquelle il ne faut tenir aucun compte de la situation subjective de la personne concernée. Enfin, dans la mesure où l’on s’interroge sur la nécessité de tenir compte du montant des sommes investies et du bénéfice réalisé, cela serait incompatible avec l’absence de tout seuil de valeur à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ( 35 ).

62.

Il me faut relever que cette position est quelque peu confortée par la jurisprudence nationale. Dans l’affaire Standard Bank London Ltd. v Dimitrios and Styliani Apostolakis [2000] I.L.PR. 766, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale)] a déclaré qu’un ingénieur civil et un juriste qui avaient investi dans des opérations de devises étrangères devaient être considérés comme des consommateurs. En particulier, il importait peu qu’ils aient conclu 28 contrats pour un montant d’exposition total de 7 millions de USD. L’échelle n’a pas été jugée déterminante, étant donné que des questions difficiles se seraient posées quant au seuil et à l’application rétroactive de celui-ci ( 36 ).

63.

J’en conclus que, aux fins de déterminer si une personne qui effectue des opérations sur le marché FOREX doit être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, il ne faut tenir aucun compte : des connaissances de cette personne ; de la valeur du contrat ; du fait que cette personne place activement ses propres ordres ; des risques encourus ; ou du nombre et de la fréquence des transactions.

64.

J’examinerai à présent les deux autres questions soulevées par la juridiction de renvoi. Celle-ci demande à la Cour si l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété d’une manière compatible avec l’article 6 du règlement Rome I, et s’il y a lieu de tenir compte du fait que la personne est un client de détail au sens de la directive 2004/39.

D.   Y a-t-il lieu de tenir compte du fait que les instruments financiers ne relèvent pas du champ d’application de l’article 6 du règlement Rome I ?

65.

La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété d’une manière compatible avec l’article 6 du règlement Rome I. Si tel est le cas, une personne qui conclut un CFD ne devrait pas être considérée comme un consommateur au sens de ladite disposition, puisque les instruments financiers tels que les CFD sont exclus du champ d’application des règles applicables aux contrats de consommation, prévues à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement Rome I.

66.

D’après la demande préjudicielle, le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava) a considéré que l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en conformité avec l’article 6 du règlement Rome I. La juridiction de renvoi défend la position opposée.

67.

Mme Petruchová soutient que les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis s’appliquent aux instruments financiers. Elle affirme que, si tel ne devait pas être le cas, l’article 17 dudit règlement aurait prévu une exclusion expresse, ainsi que le fait l’article 6, paragraphe 4, sous d), du règlement Rome I. La Commission est du même avis.

68.

La définition de la notion de « consommateur » à l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I est pratiquement identique à celle de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. En effet, la première disposition prévoit que ladite définition s’applique à « un contrat conclu par une personne physique (ci-après “le consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après “le professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle ».

69.

Ce libellé pratiquement identique suggère que, aux fins de l’interprétation de l’article 17 du règlement Bruxelles I bis, il y a lieu de tenir compte de l’article 6 du règlement Rome I ( 37 ). En effet, le considérant 7 du règlement Rome I indique clairement que le champ d’application matériel de ce règlement doit être cohérent avec le règlement Bruxelles I (devenu le règlement Bruxelles I bis). Par conséquent, bien que les dispositions du règlement Bruxelles I bis doivent être interprétées à la lumière des objectifs de ce règlement et du système qu’il établit, il est nécessaire de prendre en considération l’objectif de cohérence lorsqu’on applique le règlement Bruxelles I bis et le règlement Rome I.

70.

S’agissant des règles applicables aux contrats de consommation fixées à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement Rome I, je relève qu’elles ne s’appliquent pas, en vertu du paragraphe 4, sous d), de ladite disposition, « aux droits et obligations qui constituent des instruments financiers» ( 38 ). Conformément au considérant 30 du règlement Rome I, aux fins dudit règlement, les instruments financiers sont les instruments visés à l’article 4 de la directive 2004/39. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, point 17, de la directive 2004/39 [devenu l’article 4, paragraphe 1, point 15, de la directive 2014/65/UE ( 39 )], les instruments financiers sont les instruments visés à la section C de l’annexe I à la directive 2004/39. La section C, point 9, de l’annexe I à la directive 2004/39 mentionne les CFD ( 40 ).

71.

Par conséquent, les règles applicables aux contrats de consommation fixées à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement Rome I ne s’appliquent pas aux CFD ( 41 ).

72.

Cependant, il ne s’ensuit pas que les règles applicables aux contrats de consommation fixées aux articles 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis ne s’appliquent pas aux instruments financiers tels que les CFD.

73.

Ainsi que la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Kainz, l’objectif de cohérence entre les instruments de droit international privé et l’ordre juridique de l’Union européenne ne saurait conduire à donner aux dispositions du règlement Bruxelles I bis une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui‑ci ( 42 ).

74.

À cet égard, il y a lieu de tenir compte des différences de libellé entre l’article 17 du règlement Bruxelles I bis et l’article 6 du règlement Rome I. Certes, comme indiqué au point 68 des présentes conclusions, la définition de la notion de « consommateur » par ces deux dispositions est pratiquement identique. Toutefois, aux termes de l’article 17, paragraphe 3, du règlement Bruxelles I bis, seul un type de contrat est exclu du champ d’application des règles de protection des consommateurs ( 43 ), alors que, aux termes de l’article 6, paragraphe 4, du règlement Rome I, d’autres contrats sont exclus du champ d’application des règles protectrices fixées à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de ce règlement. En particulier, alors que l’article 6, paragraphe 4, sous d), du règlement Rome I fait expressément référence aux instruments financiers au sens de la section C de l’annexe I à la directive 2004/39, l’article 17 du règlement Bruxelles I bis ne le fait pas ( 44 ). Par conséquent, il ne saurait être question d’interpréter cette dernière disposition d’une manière compatible avec l’article 6 du règlement Rome I en ce qui concerne les instruments financiers ( 45 ).

75.

J’en conclus que, aux fins de déterminer si une personne qui effectue des transactions sur le marché FOREX doit être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, le fait que les instruments financiers ne relèvent pas du champ d’application de l’article 6 du règlement Rome I est dénué de pertinence.

E.   Y a-t-il lieu de tenir compte du fait que la personne est un client de détail au sens de la directive 2004/39 ?

76.

La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si une personne qui est qualifiée de « client de détail » au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39 doit être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. La juridiction de renvoi est d’avis que, aux fins de déterminer si une personne est un consommateur, il importe peu qu’elle soit un client de détail.

77.

Mme Petruchová affirme que, bien que la notion de « client de détail » au sens de la directive 2004/39 et celle de « consommateur » au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis soient des notions distinctes, un client de détail doit être présumé être un consommateur. FIBO reconnaît que Mme Petruchová est un client de détail, mais cette dernière affirme qu’il ne s’ensuit pas qu’elle doive être considérée comme un consommateur.

78.

D’emblée, il me faut préciser que la qualification en tant que client professionnel ou client de détail a une incidence sur la protection octroyée. Les clients de détail bénéficient de la pleine protection en ce qui concerne, notamment, les informations fournies par les entreprises d’investissement, alors que les clients professionnels sont considérés comme n’ayant besoin que d’une protection limitée ( 46 ).

79.

Au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39, un client de détail est « un client qui n’est pas professionnel ». Conformément à l’article 4, paragraphe 1, point 11, de cette directive, un client professionnel est « tout client respectant les critères prévus à l’annexe II » de la même directive.

80.

Conformément à la section I de l’annexe II à la directive 2004/39 ( 47 ), les clients suivants sont « considérés comme professionnels » : premièrement, les entités qui sont tenues d’être agréées ou réglementées pour opérer sur les marchés financiers, comme les établissements de crédit, les entreprises d’investissement ou les entreprises d’assurance ; deuxièmement, les grandes entreprises réunissant deux des trois critères, à savoir un total du bilan supérieur à 20 millions d’euros, un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros et des capitaux propres supérieurs à 2 millions d’euros ; troisièmement, des entités ou des institutions publiques telles que les gouvernements nationaux ou la Banque mondiale ; et, quatrièmement, d’autres investisseurs institutionnels dont l’activité principale consiste à investir dans des instruments financiers. Les entités relevant de l’une de ces quatre catégories peuvent toutefois demander à être traitées comme des non-professionnels.

81.

En application de la section II de l’annexe II à la directive 2004/39 ( 48 ), les clients autres que ceux mentionnés à la section I de ladite directive peuvent « être traités comme des professionnels à leur propre demande ». Afin d’être traité comme un professionnel, le client doit respecter au moins deux des trois critères suivants : premièrement, il doit avoir effectué en moyenne dix transactions d’une taille significative par trimestre au cours des quatre trimestres précédents ; deuxièmement, la valeur de son portefeuille d’instruments financiers doit dépasser 500000 euros ; et, troisièmement, il doit avoir occupé une position professionnelle dans le secteur financier pendant au moins un an.

82.

Je considère qu’un client de détail au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39 n’est pas nécessairement un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Il ne saurait pas davantage être présumé qu’un client de détail est un consommateur. J’exposerai ci-après les raisons pour lesquelles je suis parvenu à cette conclusion.

83.

Premièrement, le fait que la directive 2004/39, à la différence d’une autre directive dans le domaine financier, à savoir la directive 2002/65/CE ( 49 ), n’utilise pas le terme « consommateur » suggère que la notion de « client de détail » et celle de « consommateur » sont des notions distinctes.

84.

Deuxièmement, l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39 n’exige pas que soient fournis au client de détail des services d’investissement ou des services auxiliaires pour un usage étranger à son activité professionnelle. Comme le fait observer la juridiction de renvoi, cela signifie que ledit client peut recevoir de tels services pour un usage relevant de son activité professionnelle, auquel cas il ne saurait être considéré comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.

85.

Troisièmement, un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis est une personne physique, et non une personne morale ( 50 ). En revanche, un client de détail peut être une personne morale ( 51 ). En effet, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, point 10, de la directive 2004/39, un client est « toute personne physique ou morale à qui une entreprise d’investissement fournit des services d’investissement et/ou des services auxiliaires» ( 52 ). En particulier, les clients de détail peuvent être des entités juridiques qui n’ont pas rempli deux des trois critères leur octroyant d’être traités comme des professionnels au titre de la section II de l’annexe II à la directive 2004/39. Les clients de détail peuvent également être des clients professionnels (et donc des entités juridiques) ( 53 ) qui ont demandé un traitement en tant que non-professionnels en application de la section I de l’annexe II à la directive 2004/39.

86.

Quatrièmement, la qualification de client de détail au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39 et la qualification de consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis poursuivent des objectifs différents. La qualification de client de détail garantit l’octroi d’une protection pleine et entière, en particulier en ce qui concerne les informations que l’entreprise d’investissement est tenue de fournir au client. La qualification de consommateur entraîne l’application des règles de compétence qui dérogent à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Certes, les deux dispositions visent à protéger la partie la plus faible, qu’il s’agisse d’un client de détail ou d’un consommateur. Toutefois, il me faut faire observer que la directive 2004/39 vise à protéger tous les investisseurs, aussi bien les investisseurs de détail que les professionnels ( 54 ). Aux termes du considérant 86 de la directive 2014/65, qui a abrogé et remplacé la directive 2004/39, « il convient d’énoncer clairement que le principe consistant à agir d’une manière honnête, équitable et professionnelle et l’obligation d’être correct, clair et non trompeur s’appliquent à la relation avec tout client» ( 55 ).

87.

Par conséquent, il importe peu que, ainsi que l’a déclaré le représentant de FIBO à l’audience sans être contredit sur ce point, Mme Petruchová ait informé FIBO qu’elle avait une expérience de trois ans dans le domaine et qu’elle était un client de détail.

88.

J’en conclus que, aux fins de déterminer si une personne qui effectue des opérations sur le marché FOREX peut être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, le point de savoir si cette personne doit être qualifiée de client de détail au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39 est dénué de pertinence.

IV. Conclusion

89.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose que la Cour donne la réponse suivante à la question déférée par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) :

L’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une personne qui conclut un contrat pour différences doit être qualifiée de consommateur si ce contrat est conclu pour un usage extérieur à l’activité professionnelle de cette personne. À cet égard, il importe peu : que la personne place activement ses propres ordres sur le marché international des devises ; que les contrats pour différences ne relèvent pas de l’article 6 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ; ou que cette personne soit un client de détail au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 12, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 3 ) Arrêts du 20 janvier 2005, Gruber (C‑464/01, EU:C:2005:32, point 34) ; du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, EU:C:2010:740, point 53) ; du 6 septembre 2012, Mühlleitner (C‑190/11, EU:C:2012:542, point 26), et du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 26).

( 4 ) Arrêts du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15, point 18) ; du 20 janvier 2005, Gruber (C‑464/01, EU:C:2005:32, point 34), et du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 33).

( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6).

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1).

( 7 ) Mme Petruchová était uniquement tenue de fournir ce que l’on appelle une « marge » afin de garantir sa capacité à couvrir ses pertes.

( 8 ) Voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2012, Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:491, points 62 à 64), et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:309, points 57 à 59). Voir également Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Brussels I bis Regulation – Commentary, Otto Schmidt KG Verlag, Köln, 2016 (p. 522-523).

( 9 ) Arrêts du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 30) ; du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 23), et du 23 décembre 2015, Hobohm (C‑297/14, EU:C:2015:844, point 24). Il est vrai que ces arrêts ne portent pas sur l’interprétation du règlement Bruxelles I bis, mais sur l’interprétation du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après le « règlement Bruxelles I ») (JO 2001, L 12, p. 1). Toutefois, dans la mesure où le règlement Bruxelles I bis a désormais remplacé le règlement Bruxelles I, l’interprétation par la Cour des dispositions de ce dernier règlement s’applique également au règlement Bruxelles I bis, lorsque les dispositions de ces deux instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes [arrêt du 15 novembre 2018, Kuhn (C‑308/17, EU:C:2018:911, point 31)]. Dans la présente affaire, le libellé de l’article 15 du règlement Bruxelles I est identique à celui de la disposition correspondante figurant dans le règlement Bruxelles I bis, à savoir l’article 17. Par conséquent, l’interprétation fournie par la Cour relative à celui-là est valable pour celui-ci.

( 10 ) Arrêt du 14 février 2019, Milivojević (C‑630/17, EU:C:2019:123, point 86).

( 11 ) Arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, points 16 et 17) ; du 20 janvier 2005, Gruber (C‑464/01, EU:C:2005:32, points 36 et 37) ; du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 34) ; du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, points 29 et 30), et du 14 février 2019, Milivojević (C‑630/17, EU:C:2019:123, points 87 et 88).

( 12 ) Voir points 15 et 18 des présentes conclusions.

( 13 ) Voir, à cet égard, points 65 à 75 des présentes conclusions.

( 14 ) Arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 24). Voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Kolassa (C‑375/13, EU:C:2014:2135, point 28).

( 15 ) Voir, à cet égard, Geimer, R., « Forum actoris für Kapitalanlegerklagen », in Festschrift für Dieter Martiny zum 70. Geburtstag, Mohr Siebeck, Heidelberg, 2014, p. 711 (p. 716).

( 16 ) Arrêt du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, point 39).

( 17 ) Arrêt du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, point 39). M. Schrems avait acquis une importante expérience dans le domaine des réseaux sociaux numériques : en lançant des procédures devant les juridictions nationales contre Facebook au titre de la violation des règles en matière de protection des données ; en publiant des livres et en donnant des conférences sur cette question ; ainsi qu’en fondant une association visant à mettre en œuvre la protection des données.

( 18 ) JO 1993, L 95, p. 29.

( 19 ) Aux termes de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, un consommateur est « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».

( 20 ) Arrêt du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, point 39).

( 21 ) Arrêt du 3 septembre 2015, Costea (C‑110/14, EU:C:2015:538, points 21 et 27).

( 22 ) Arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15, point 18).

( 23 ) Arrêt du 14 juillet 2016, Granarolo (C‑196/15, EU:C:2016:559, point 16).

( 24 ) Ainsi que Magnus et Mankowski le relèvent, « il n’y a pas de plafond pour le montant concerné. Les litiges de consommation ne sont pas limités à de faibles montants. […] Le législateur européen a eu de nombreuses occasions d’introduire des limites aux dispositions qui sont aujourd’hui les articles 17 à 19, et il y a, en effet, eu des appels en ce sens. Mais ces limites n’ont jamais fait l’objet d’une mise en œuvre législative, ce qui est révélateur. Le volume en jeu est un montant quantitatif […] qui pourrait être facilement mesuré. Le législateur aurait pu tout aussi facilement fixer des limites supérieures […]. Le fait qu’il n’ait pas procédé de la sorte fournit un solide argument a contrario » [Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Brussels I bis Regulation – Commentary, Otto Schmidt KG Verlag, Köln, 2016, p. 466 et 467]. De même, Geimer estime que « le considérant 11 [du règlement Bruxelles I, désormais considérant 17 du règlement Bruxelles I bis], conformément à la jurisprudence actuelle, exige une sécurité juridique quant aux règles de compétence […]. Cette exigence claire du législateur de l’Union interdit à la Cour de justice de restreindre le champ d’application de l’article 15 du [règlement Bruxelles I] en se fondant sur “le rapport de forces” existant entre les parties dans l’affaire en cause, ou en fixant un seuil de valeurs. […] Ce problème est connu depuis longtemps et a fait l’objet de discussions entre spécialistes. Schlosser a appelé très tôt à une limitation du champ d’application de ces règles de compétence spéciales pour les contrats de consommation. Le législateur de l’Union a déjà eu plusieurs fois l’occasion de résoudre cette question. Il ne l’a toutefois pas fait. Cette omission délibérée d’une modification (restrictive) lie les juridictions et s’oppose à toute interprétation téléologique. Un forum actoris réservé à de “grands investisseurs” serait également incompatible avec le principe d’égalité de traitement » (Geimer, R., « Forum actoris für Kapitalanlegerklagen », in Festschrift für Dieter Martiny zum 70. Geburtstag, Mohr Siebeck, Heidelberg, 2014, p. 722 et 723).

( 25 ) Voir note 14.

( 26 ) Il me faut toutefois relever que Mme Petruchová ne peut pas, en tant que client de détail, exécuter elle-même les transactions sur le marché FOREX. Ses ordres doivent être exécutés par une société de courtage, en l’espèce par FIBO.

( 27 ) Voir point 43 des présentes conclusions.

( 28 ) Décision (UE) 2018/796 de l’Autorité européenne des marchés financiers, du 22 mai 2018, de restriction temporaire des contrats pour différences dans l’Union conformément à l’article 40 du règlement (UE) no 600/2014 du Parlement européen et du Conseil (JO 2018, L 136, p. 50). Cette décision a été renouvelée et modifiée en octobre 2018 [décision (UE) 2018/1636 de l’Autorité européenne des marchés financiers, du 23 octobre 2018, renouvelant et modifiant la restriction temporaire visée dans la décision (UE) 2018/796 concernant la commercialisation, la distribution ou la vente de contrats pour différences aux clients de détail (JO 2018, L 272, p. 62)] et en janvier 2019 [décision (UE) 2019/155 de l’Autorité européenne des marchés financiers, du 23 janvier 2019, renouvelant la restriction temporaire de la commercialisation, la distribution ou la vente de contrats pour différences aux clients de détail (JO 2019, L 27, p. 36)]. Au moment de la rédaction des présentes conclusions, la décision 2019/155 de l’AEMF était toujours en vigueur.

( 29 ) Voir les considérants 11, 12, 20, 27 et 35 de la décision 2018/796 de l’AEMF. Par exemple, une étude réalisée par l’autorité compétente du Royaume-Uni sur un échantillon de clients de détail laisse entendre que 82 % de ces clients ont perdu de l’argent dans les CFD et que le résultat moyen a été une perte de 2200 livres sterling (GBP) par client de détail sur une période d’un an [voir considérant 35, sous ix), de la décision 2018/796 de l’AEMF].

( 30 ) Voir Briggs, A., Private International Law in English Courts, Oxford University Press, Oxford, 2014 (paragraphe 4.156).

( 31 ) Cela ressort de l’arrêt dans l’affaire Benincasa, dans lequel la Cour a déclaré que le requérant, qui avait conclu un contrat de franchise en vue de créer et d’exploiter un magasin, ne pouvait pas être considéré comme un consommateur bien qu’il n’ait jamais ouvert ce magasin [arrêt du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, point 17)].

( 32 ) Dans l’arrêt Schrems, la Cour a jugé que, si l’usage privé des services en question, pour lequel le contrat a été conclu, a par la suite acquis un caractère professionnel, il faut tenir compte de cette évolution dans l’usage des services en question (voir la note de bas de page 17 des présentes conclusions) [arrêt du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, points 37 et 38)]. Toutefois, alors qu’il pouvait être considéré que l’usage fait par M. Schrems des services fournis par Facebook, qui était initialement privé (échange de photos et conversations), avait évolué en usage professionnel, la Cour a conclu que M. Schrems n’avait pas perdu le statut de consommateur.

( 33 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Schrems (C‑498/16, EU:C:2017:863, point 41).

( 34 ) Voir point 51 des présentes conclusions.

( 35 ) Voir point 50 des présentes conclusions.

( 36 ) Aux termes du point 18 de cet arrêt, « l’échelle ne saurait être déterminante. Il serait difficile de déterminer à quel niveau tracer les limites. Ces limites pourraient difficilement être appliquées à ce que j’ai appelé l’accord-cadre au moment de sa conclusion. Elles ne pourraient être appliquées que rétroactivement. L’obligation de tenir compte de l’usage pour lequel les contrats ont été conclus me semble militer à l’encontre d’une prise en compte des conséquences générales de ces contrats ou d’une échelle de valeurs ».

( 37 ) Arrêts du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, EU:C:2010:740, point 43) ; du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, point 33) ; du 5 décembre 2013, Vapenik (C‑508/12, EU:C:2013:790, point 25) ; du 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (C‑359/14 et C‑475/14, EU:C:2016:40, point 43) ; du 28 juillet 2016, Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:612, point 36), et du 15 juin 2017, Kareda (C‑249/16, EU:C:2017:472, point 32).

( 38 ) Aux termes du considérant 28 du règlement Rome I, « [i]l est important de veiller à ce que les droits et obligations qui constituent un instrument financier ne soient pas couverts par la règle générale applicable aux contrats avec les consommateurs étant donné que ceux-ci pourraient conduire à l’applicabilité de différentes lois à chacun des instruments émis, modifiant ainsi leur nature et empêchant leur commercialisation et leur offre fongibles ».

( 39 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349). La directive 2004/39 a été abrogée et remplacée par la directive 2014/65. Les points 9, 10, 11 et 15 de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/65 sont identiques, respectivement, aux points 10, 11, 12 et 17 de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/39.

( 40 ) Comme le fait la section C, point 9, de l’annexe I à la directive 2014/65.

( 41 ) Il me faut préciser que l’article 6, paragraphe 4, sous d), du règlement Rome I exclut du champ d’application des règles de protection des consommateurs uniquement les « droits et obligations qui constituent des instruments financiers », c’est-à-dire uniquement l’instrument financier lui‑même. Il n’exclut pas le contrat aux fins de l’acquisition de cet instrument financier. Par conséquent, seuls les CFD sont exclus du champ d’application de l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement Rome I. Les contrats en vue de l’acquisition de CFD ne le sont pas [voir, à cet égard, Garcimartin Alférez, F. J., « The Rome I Regulation : Exceptions to the Rule on Consumer Contracts and Financial Instruments », Journal of Private International Law, volume 5 (2009), numéro 1, p. 85 (p. 90)]. Toutefois, cela est dénué de pertinence étant donné que, en l’espèce, le litige porte sur l’exécution tardive du CFD en cause, et non pas sur le contrat-cadre.

( 42 ) Arrêt du 16 janvier 2014, Kainz (C‑45/13, EU:C:2014:7, point 20). Bien que le point 20 de cet arrêt concerne l’interprétation cohérente du règlement Bruxelles I et du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40), il en va de même du règlement Bruxelles I bis et du règlement Rome I. J’observe, à cet égard, que le considérant 7 du règlement no 864/2007 en appelle à une interprétation de ce règlement qui soit cohérente avec le règlement Bruxelles I, de la même manière que le considérant 7 du règlement Rome I en appelle à une interprétation cohérente avec le règlement Bruxelles I. Voir également, à cet égard, les conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Pillar Securitisation (C‑694/17, EU:C:2019:44, points 49 et 50).

( 43 ) Voir point 43 des présentes conclusions.

( 44 ) Ainsi que le font observer Magnus et Mankowski, en ce qui concerne l’acquisition d’obligations par des investisseurs, « le considérant 28 et l’article 6, paragraphe 4, sous d), du règlement Rome I pourraient suggérer que les obligations sont exclues du régime de protection des consommateurs. Toutefois, […] il serait audacieux de transposer cette règle au régime du règlement Bruxelles I bis. Il existe des motifs pour lesquels le règlement Bruxelles I bis ne prévoit pas une règle parallèle » [Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Brussels I bis Regulation – Commentary, Otto Schmidt KG Verlag, Köln, 2016, p. 463].

( 45 ) À cet égard, il me faut faire observer que, ainsi que le relève Garcimartin Alférez, lorsqu’un contrat ne relève pas de l’article 6 du règlement Rome I, « la question se pose de savoir s’il y a lieu de reconsidérer les règles figurant dans le règlement Bruxelles I. L’article 15 de cet instrument ne contient pas une exclusion matérielle des contrats portant sur des instruments financiers. Par conséquent, le parallélisme entre les deux instruments a été rompu, et la décision politique sous-tendant cette idée, à savoir que le consommateur qui peut introduire un recours contre le professionnel dans sa propre juridiction peut également invoquer son propre droit (et ne doit pas supporter la charge de la preuve d’un droit étranger), ne tient plus. De la même manière, une clause relative au choix du droit incluse dans un instrument financier serait valable et effective selon le règlement Rome I, alors qu’une clause d’élection de for n’est effective que dans les conditions restrictives fixées à l’article 17 du règlement Bruxelles I » [Garcimartin Alférez, F. J., « The Rome I Regulation : Exceptions to the Rule on Consumer Contracts and Financial Instruments », Journal of Private International Law, volume 5 (2009), numéro 1, p. 89]. Voir également Wautelet, P., « Rome I et le consommateur de produits et services financiers », European Journal of Consumer Law, 2009, numéro 4, p. 776 (p. 796).

( 46 ) Voir, notamment, l’article 19, paragraphe 10, sous c), de la directive 2004/39, ainsi que l’article 24, paragraphe 4, sous b), et l’article 25, paragraphe 8, sous c), de la directive 2014/65. Voir également Bonneau, T., Pailler, P., Rouaud, A.-C., Tehrani, A., et Vabres, R., Droit financier, LGDJ, Paris, 2017, points 312 et suivants.

( 47 ) Et à la section I de l’annexe II à la directive 2014/65.

( 48 ) Et de la section II de l’annexe II à la directive 2014/65.

( 49 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du Conseil, 97/7/CE et 98/27/CE (JO 2002, L 271, p. 16).

( 50 ) Bien que l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis n’indique pas expressément que le consommateur est une personne physique, cela découle de l’exigence que cette disposition ne vise que le consommateur final privé, non engagé dans des activités commerciales ou professionnelles [arrêt du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 32)]. Voir, à cet égard, Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Brussels I bis Regulation – Commentary, Otto Schmidt KG Verlag, Köln, 2016, p. 470 et 471.

( 51 ) Voir Haentjens, M., et de Gioia-Carabellese, P., European Banking and Financial Law, Routledge, Abingdon-on-Thames, 2015, p. 67.

( 52 ) Mise en italique par mes soins.

( 53 ) Voir, à cet égard, Gollier, J.-M., et Standaert, C., « La catégorisation des investisseurs sous MiFID II », dans De Meuleneere, I., Colaert, V., Kupers, W., et Pijcke, A.S. (éd.), MIFID II & MIFIR : Capital Selecta – Scope, Investor Protection, Market Regulation and Enforcement, Intersentia and Anthemis, 2018, p. 59 (p. 75).

( 54 ) Voir le considérant 31 de la directive 2004/39, le considérant 3 de la directive 2014/65, ainsi que les arrêts du 12 novembre 2014, Altmann e.a. (C‑140/13, EU:C:2014:2362, point 26), et du 14 juin 2017, Khorassani (C‑678/15, EU:C:2017:451, point 41). Voir également Gollier, J.‑M., et Standaert, C., « La catégorisation des investisseurs sous MiFID II », in De Meuleneere, I., Colaert, V., Kupers, W., et Pijcke, A.S. (éd.), MIFID II & MIFIR : Capital Selecta – Scope, Investor Protection, Market Regulation and Enforcement, Intersentia and Anthemis, 2018, p. 93.

( 55 ) Mise en italique par mes soins.

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