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Document 62017CJ0694

    Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 2 mai 2019.
    Pillar Securitisation Sàrl contre Hildur Arnadottir.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg).
    Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Article 15 – Contrat conclu par un consommateur – Lien avec la directive 2008/48/CE – Contrat de crédit à la consommation – Articles 2 et 3 – Notions de “consommateur” et de “transactions auxquelles s’applique la directive” – Montant maximal du crédit – Absence de pertinence au regard de l’article 15 de la convention de Lugano II.
    Affaire C-694/17.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:345

    ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

    2 mai 2019 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Article 15 – Contrat conclu par un consommateur – Lien avec la directive 2008/48/CE – Contrat de crédit à la consommation – Articles 2 et 3 – Notions de “consommateur” et de “transactions auxquelles s’applique la directive” – Montant maximal du crédit – Absence de pertinence au regard de l’article 15 de la convention de Lugano II »

    Dans l’affaire C‑694/17,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par décision du 7 décembre 2017, parvenue à la Cour le 11 décembre 2017, dans la procédure

    Pillar Securitisation Sàrl

    contre

    Hildur Arnadottir,

    LA COUR (troisième chambre),

    composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

    avocat général : M. M. Szpunar,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour Pillar Securitisation Sàrl, par Me A. Moro, avocat,

    pour Mme Arnadottir, par Me M. Mailliet, avocat,

    pour le gouvernement luxembourgeois, par Mme D. Holderer, en qualité d’agent,

    pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et P. Lacerda, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement suisse, par M. M. Schöll, en qualité d’agent,

    pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 janvier 2019,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, qui a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci-après la « convention de Lugano II »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Pillar Securitisation Sàrl à Mme Hildur Arnadottir au sujet d’une demande de remboursement d’un crédit.

    Le cadre juridique

    La convention de Lugano II

    3

    Le titre II de la convention de Lugano II, intitulé « Compétence », comprend à la section 4, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », l’article 15, aux termes duquel :

    « 1.   En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 :

    a)

    lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

    b)

    lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;

    c)

    lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont cet État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

    [...]

    3.   La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

    4

    L’article 16, paragraphe 2, de cette convention est ainsi libellé :

    « L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. »

    5

    L’article 17 de ladite convention dispose :

    « Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :

    1.

    postérieures à la naissance du différend ; ou

    2.

    qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués dans la présente section ; ou

    3.

    qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État lié par la présente convention, attribuent compétence aux tribunaux de cet État, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »

    6

    La décision 2009/430 énonce, à son considérant 4 :

    « Eu égard au parallélisme qui existe entre les régimes instaurés par [la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), dans sa version consolidée (JO 1998, C 27, p. 1) et la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1988, L 319, p. 9)] pour la compétence judiciaire et pour la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, il convient d’aligner les dispositions de la seconde sur celle du règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)], afin d’atteindre le même degré de circulation des décisions judiciaires entre les États membres de l’Union européenne et les pays de l’AELE concernés. »

    Les règlements no 44/2001 et (UE) no 1215/2012

    7

    La convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale a été remplacée par le règlement no 44/2001 puis par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), qui a abrogé le règlement no 44/2001.

    La directive 2008/48/CE

    8

    La directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66) énonce, à son considérant 10 :

    « Les définitions contenues dans la présente directive déterminent la portée de l’harmonisation. L’obligation qui incombe aux États membres de mettre en œuvre les dispositions de la présente directive devrait, dès lors, être limitée au champ d’application de la présente directive, tel qu’il résulte de ces définitions. Toutefois, la présente directive devrait être sans préjudice de l’application par les États membres, conformément au droit [de l’Union], des dispositions de la présente directive à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application. Dès lors, un État membre pourrait maintenir ou introduire des dispositions nationales correspondant aux dispositions de la présente directive ou à certaines de ses dispositions pour les contrats de crédit n’entrant pas dans le champ d’application de la présente directive, par exemple les contrats de crédit dont le montant est inférieur à 200 [euros] ou supérieur à 75000 [euros]. [...] »

    9

    L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit :

    « 1.   La présente directive s’applique aux contrats de crédit.

    2.   La présente directive ne s’applique pas :

    [...]

    c)

    aux contrats de crédit dont le montant total du crédit est inférieur à 200 EUR ou supérieur à 75000 EUR ;

    [...] »

    10

    L’article 3, sous a), de la directive 2008/48 définit la notion de « consommateur » de la manière suivante :

    « [...] toute personne physique qui, pour les transactions régies par la présente directive, agit dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle ».

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    11

    Mme Arnadottir, résidant en Islande, a, au mois de mars 2005, souscrit un prêt d’un montant de 193621074 ISK (couronnes islandaises), équivalant à plus d’un million d’euros, auprès de Kaupthing Bank Luxembourg (KBL). Ce prêt était remboursable en un seul versement au plus tard le 1er mars 2010.

    12

    Ledit prêt avait pour objet de lui permettre d’acquérir des actions de la société islandaise Bakkavör Group hf au sein de laquelle elle était salariée.

    13

    Le paiement du crédit a été garanti par un cautionnement de Bakkavör Group qui, selon les termes utilisés par la juridiction de renvoi, aurait eu lieu au plus tôt au cours de l’année 2009. Ce cautionnement a été signé par deux dirigeants de cette société, dont Mme Arnadottir elle-même.

    14

    Par la suite, KBL a été scindée en deux entités. Pillar Securitisation, l’une d’entre elles, a réclamé le remboursement du prêt souscrit par Mme Arnadottir.

    15

    Cette dernière restant en défaut de paiement de ce prêt, Pillar Securitisation a, au cours de l’année 2011, introduit une action en justice devant les juridictions luxembourgeoises, en s’appuyant sur la clause du contrat de prêt attribuant juridiction à ces dernières.

    16

    Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg s’est, toutefois, déclaré incompétent pour connaître du litige en cause au motif que Mme Arnadottir devait être considérée comme un « consommateur », au sens de l’article 15 de la convention de Lugano II. Il a considéré que la clause d’attribution juridictionnelle désignant les juridictions du Luxembourg devait être écartée car elle ne répondait pas aux dispositions dérogatoires prévues à l’article 17 de la convention de Lugano II.

    17

    En deuxième instance, la Cour d’appel (Luxembourg) a, par arrêt du 27 avril 2016, confirmé l’incompétence des juridictions luxembourgeoises pour statuer sur la demande de Pillar Securitisation.

    18

    Celle-ci a alors formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que la Cour d’appel avait violé l’article 15 de la convention de Lugano II. Elle soutient en particulier, premièrement, que la Cour d’appel a considéré à tort que Mme Arnadottir avait agi à des fins privées. Deuxièmement, cette juridiction aurait interprété cet article 15 de manière erronée en considérant qu’un contrat de prêt de plus d’1 million d’euros, tel que celui en cause au principal, pouvait être un contrat conclu par un « consommateur », au sens dudit article 15.

    19

    Selon Pillar Securitisation, afin de savoir si un contrat de crédit est un contrat conclu par un consommateur, au sens de l’article 15 de la convention de Lugano II, il convient de vérifier s’il constitue un « contrat de crédit à la consommation », au sens de la directive 2008/48. Cela ressortirait du rapport explicatif portant sur cette convention, préparé par le professeur Fausto Pocar (JO 2009, C 319, p. 1). Ainsi, cette directive s’appliquerait seulement aux contrats de prêt d’un montant supérieur à 200 euros et inférieur à 75000 euros, à moins que le droit national transposant ladite directive ne prévoie un plafond plus élevé. Le droit luxembourgeois ne prévoyant pas un tel plafond, le contrat de prêt au principal ne relèverait pas du champ d’application de cette même directive et, par conséquent, l’article 15 de la convention de Lugano II ne s’appliquerait pas.

    20

    La Cour de cassation (Luxembourg) estime que la question se pose de savoir comment la notion de « consommateur » doit être interprétée au sens de l’article 15 de la convention de Lugano II et de l’article 3 de la directive 2008/48. Elle se demande, plus particulièrement, si la définition du champ d’application de cette directive relative aux contrats de crédit à la consommation a une incidence sur la définition du « consommateur », au sens de cet article 15.

    21

    Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « Dans le cadre d’un contrat de crédit qui, au vu du montant total du crédit, ne tombe pas dans le champ d’application de la directive 2008/48 [...], une personne peut-elle être considérée comme “consommateur”, au sens de l’article 15 de la convention de Lugano II, en l’absence de disposition nationale appliquant les dispositions de ladite directive à des domaines ne relevant pas de son champ d’application, au motif que le contrat a été conclu pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ? »

    Sur la question préjudicielle

    22

    Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un contrat de crédit est un contrat de crédit conclu par un « consommateur », au sens de cet article 15, il y a lieu de vérifier qu’il relève du champ d’application de la directive 2008/48 en ce sens que le montant total du crédit en question ne dépasse pas le plafond fixé à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette directive et s’il est pertinent, à cet égard, que le droit national transposant ladite directive ne prévoit pas un plafond plus élevé.

    23

    Si un contrat de prêt, tel que celui en cause au principal, est un contrat conclu par un « consommateur », au sens de l’article 15 de la convention de Lugano II, il s’ensuit, conformément à l’article 16 de cette convention, que les juridictions de l’État lié par cette dernière sur le territoire duquel est domicilié le consommateur, en l’occurrence les juridictions islandaises, sont compétentes. En revanche, si le contrat en cause n’est pas un contrat à la consommation relevant dudit article 15, les juridictions désignées par la clause attributive de juridiction stipulée dans ce contrat, en l’occurrence les juridictions luxembourgeoises, sont compétentes.

    24

    Il convient de relever, à titre liminaire, que Pillar Securitisation fait valoir que Mme Arnadottir a agi à des fins professionnelles et qu’elle ne satisfait pas à la définition de « consommateur ». Toutefois, la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur la finalité du prêt conclu par une personne telle que Mme Arnadottir. Au contraire, ainsi qu’il ressort du libellé de la question posée, la juridiction de renvoi interroge la Cour en partant de la prémisse selon laquelle le contrat en cause a été conclu pour un usage pouvant être considéré comme étant étranger à l’activité professionnelle de Mme Arnadottir. De plus, et en tout état de cause, la décision de renvoi ne contient pas suffisamment d’informations pour que la Cour puisse, le cas échéant, fournir des indications utiles à ce sujet.

    25

    Par conséquent, il n’y a pas lieu, dans le cadre de la présente affaire, d’analyser la finalité du contrat de prêt conclu par une personne telle que Mme Arnadottir.

    26

    Il convient, en revanche, d’examiner si la circonstance qu’un contrat de crédit dépasse le plafond de 75000 euros fixé à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive 2008/48, lorsque le droit national ne prévoit pas un plafond supérieur à ce montant, fait obstacle à l’application de l’article 15 de la convention de Lugano II.

    27

    S’agissant de l’interprétation de la convention de Lugano II, il importe de rappeler d’abord que celle-ci est rédigée en des termes quasi identiques à ceux des articles correspondants figurant dans les règlements nos 44/2001 et 1215/2012 et qu’il y a lieu de veiller à une interprétation convergente des dispositions équivalentes de ces instruments (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Schlömp, C‑467/16, EU:C:2017:993, points 46 et 47).

    28

    L’article 15 de la convention de Lugano II porte sur les contrats conclus par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à l’activité professionnelle de cette personne. Les contrats visés sont spécifiés à cet article 15, paragraphe 1, sous a) à c). Ainsi que la Cour l’a jugé, s’agissant de la disposition équivalente du règlement no 44/2001 reprise dans le règlement no 1215/2012, à l’exception de certains contrats de transport exclus du champ d’application des règles de compétence en matière de consommation par l’article 15, paragraphe 3, de cette convention, le paragraphe 1, sous c) de cet article vise l’ensemble des contrats, quel que soit leur objet, dès lors que ceux-ci ont été conclus par un consommateur avec un professionnel et entrent dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2009, Ilsinger, C‑180/06, EU:C:2009:303, point 50).

    29

    La directive 2008/48 définit, pour sa part, le « consommateur », à son article 3, comme toute personne physique qui, pour les transactions régies par ladite directive, agit dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle.

    30

    Les transactions en question, sans faire l’objet d’une définition, sont visées à l’article 2 de la directive 2008/48 intitulé « champ d’application », lequel prévoit, à son paragraphe 1, que cette directive s’applique aux contrats de crédit, mais, conformément à son paragraphe 2, sous c), ne s’étend pas à ceux dont le montant total du crédit est inférieur à 200 euros ou supérieur à 75000 euros.

    31

    Ensuite, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé en substance au point 31 de ses conclusions, il ressort de l’article 15 de la convention de Lugano II et de l’article 3 de la directive 2008/48 que la notion de « consommateur » est définie de manière largement identique dans ces deux textes, à savoir comme se référant à une personne concluant un contrat pour un usage ou agissant dans un but « étranger à son activité professionnelle ».

    32

    Toutefois, les transactions visées par la directive 2008/48 portent sur des contrats de crédit conclus par un consommateur, limités à ceux dont le montant total du crédit n’est pas inférieur au seuil de 200 euros ni supérieur au plafond de 75000 euros alors que, s’agissant des contrats de consommation relevant de la convention de Lugano II, un tel seuil et un tel plafond ne sont pas prévus.

    33

    Il y a donc lieu de déterminer si les contrats de crédit à la consommation entrant dans le champ d’application de l’article 15 de la convention de Lugano II sont seulement ceux relevant du champ d’application de la directive 2008/48 et n’incluent donc pas lesdits contrats dont le montant total du crédit est inférieur au seuil de 200 euros ou supérieur au plafond de 75000 euros.

    34

    À cet égard, la Cour a déjà jugé que, afin d’assurer le respect des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union européenne dans le domaine des contrats conclus par les consommateurs ainsi que la cohérence du droit de l’Union, il y a lieu, en particulier, de tenir compte de la notion de « consommateur » contenue dans d’autres réglementations du droit de l’Union (arrêts du 5 décembre 2013, Vapenik, C‑508/12, EU:C:2013:790, point 25, et du 25 janvier 2018, Schrems, C‑498/16, EU:C:2018:37, point 28).

    35

    Toutefois, en aucun cas ce besoin d’assurer une cohérence entre différents actes du droit de l’Union ne saurait conduire à donner aux dispositions d’un règlement relatif aux règles de compétence une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2014, Kainz, C‑45/13, EU:C:2014:7, point 20).

    36

    Il convient, par conséquent, de tenir compte, enfin, de la finalité des textes concernés, en l’occurrence celle de la convention de Lugano II et celle de la directive 2008/48, pour déterminer si les contrats de crédit à la consommation entrant dans le champ d’application de l’article 15 de la convention de Lugano II sont seulement ceux relevant du champ d’application de la directive 2008/48 et n’incluent donc pas des contrats tels que celui en cause au principal dont le montant total du crédit est supérieur au plafond de 75000 euros.

    37

    À cet égard, force est de constater que la convention de Lugano II et la directive 2008/48 poursuivent des objectifs distincts.

    38

    S’agissant de l’objectif de la directive 2008/48, ainsi qu’il ressort des considérants 7 et 9 de celle-ci, il consiste à prévoir, en matière de crédit aux consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés, laquelle est considérée comme nécessaire pour assurer à tous les consommateurs de l’Union un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts et pour faciliter l’émergence d’un marché intérieur performant du crédit à la consommation (arrêt du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais, C‑565/12, EU:C:2014:190, point 42).

    39

    La Cour a d’ailleurs relevé que cet objectif vise à assurer une protection effective des consommateurs contre l’octroi irresponsable de contrats de crédit dépassant leurs capacités financières et pouvant entraîner leur insolvabilité (arrêt du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais, C‑565/12, EU:C:2014:190, point 43).

    40

    À cet effet, la directive 2008/48 vise à harmoniser certains aspects du droit matériel des contrats de crédit à la consommation, notamment les conditions relatives à l’information du consommateur qui est aussi l’emprunteur. Elle impose ainsi au prêteur notamment des obligations d’informations précontractuelles.

    41

    Dans la poursuite du double objectif de cette directive visant tant à la protection des consommateurs qu’à la facilitation de l’émergence d’un marché intérieur performant du crédit à la consommation, le législateur de l’Union a déterminé les contrats de crédit à la consommation visés par les mesures d’harmonisation de cette directive en limitant ceux-ci aux contrats dont le montant total du crédit n’est pas inférieur à un seuil de 200 euros ni supérieur à un plafond de 75000 euros.

    42

    Quant à la finalité de la convention de Lugano II, celle-ci vise non pas à harmoniser le droit matériel relatif aux contrats de consommation, mais à fixer, comme le règlement no 44/2001, puis le règlement no 1215/2012, les règles permettant de déterminer la juridiction compétente pour statuer sur un litige en matière civile et commerciale portant, en particulier, sur un contrat conclu entre un professionnel ou un commerçant et une personne agissant dans un but étranger à son activité professionnelle, de manière à protéger cette dernière dans ce cas de figure. En poursuivant cet objectif, cette convention ne présente pas un champ d’application limité à des montants particuliers et s’étend à tous les types de contrats, excepté celui précisé à l’article 15, paragraphe 3, de ladite convention.

    43

    Compte tenu des finalités distinctes de la directive 2008/48 et de la convention de Lugano II, le fait qu’un contrat de crédit, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application de la directive 2008/48 au motif que le montant total du crédit est supérieur au plafond de 75000 euros fixé à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette directive est sans incidence sur la détermination du champ d’application de l’article 15 de la convention de Lugano II.

    44

    Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé, au point 48 de ses conclusions, si les seuils relatifs au montant total de crédit de la directive 2008/48 délimitaient la portée de l’article 15 de la convention de Lugano II, cela aboutirait à la situation où des personnes ayant conclu un contrat de crédit dont le montant serait inférieur à 200 euros ne pourraient pas se prévaloir de la règle protectrice prévue à cet article 15. Or, une telle situation ne serait pas conforme aux objectifs poursuivis par la convention de Lugano II, dès lors qu’il n’existe pas de différence substantielle quant à la faiblesse présumée d’une personne qui a conclu un contrat de crédit d’un montant de 100 euros au regard de celle qui en a conclu un d’un montant de 200 euros.

    45

    De la même manière, s’agissant du plafond maximal de 75000 euros, un consommateur ayant conclu un contrat de crédit d’un montant supérieur à ce plafond ne mérite pas moins la protection prévue audit article 15.

    46

    Il s’ensuit que la circonstance que le plafond prévu par le droit national n’excède pas celui fixé dans la directive 2008/48 n’est pas non plus pertinent pour déterminer si un contrat de crédit relève du champ d’application de l’article 15 de la convention de Lugano II.

    47

    C’est à la lumière de ces considérations que le rapport explicatif préparé par le professeur Pocar, mentionné au point 19 du présent arrêt, auquel se réfère Pillar Securitisation, doit être lu. Ce rapport indique, à son point 81, que l’article 15 de la convention de Lugano II élargit considérablement l’éventail des contrats conclus par les consommateurs, comparé aux dispositions précédentes qu’il a remplacées. Ledit rapport ajoute que la conception large des contrats conclus par les consommateurs étend la portée de la protection offerte et englobe tous les contrats régis par les directives de l’Union en tant que contrats conclus par les consommateurs, y compris les contrats de crédit à la consommation dans la mesure où ils relèvent de la directive 2008/48. Dans ce contexte, la référence à cette directive doit être entendue à titre d’illustration et ne saurait être comprise comme impliquant que, s’agissant de contrats de crédit conclus par un consommateur, seuls ceux relevant de la directive 2008/48 et ne dépassant pas le plafond maximal qu’elle prévoit, entrent dans le champ d’application de l’article 15 de la convention de Lugano II.

    48

    Il convient, par conséquent, de répondre à la question posée que l’article 15 de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un contrat de crédit est un contrat de crédit conclu par un « consommateur », au sens de cet article 15, il n’y a pas lieu de vérifier qu’il relève du champ d’application de la directive 2008/48 en ce sens que le montant total du crédit en question ne dépasse pas le plafond fixé à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette directive et qu’il est sans pertinence, à cet égard, que le droit national transposant ladite directive ne prévoie pas un plafond plus élevé.

    Sur les dépens

    49

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

     

    L’article 15 de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, qui a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un contrat de crédit est un contrat de crédit conclu par un « consommateur », au sens de cet article 15, il n’y a pas lieu de vérifier qu’il relève du champ d’application de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, en ce sens que le montant total du crédit en question ne dépasse pas le plafond fixé à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette directive et qu’il est sans pertinence, à cet égard, que le droit national transposant ladite directive ne prévoie pas un plafond plus élevé.

     

    Prechal

    Biltgen

    Malenovský

    Fernlund

    Rossi

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 mai 2019.

    Le greffier

    A. Calot Escobar

    La présidente de la IIIème chambre

    A. Prechal


    ( *1 ) Langue de procédure : le français.

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