EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62017CJ0312

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 19 septembre 2018.
Surjit Singh Bedi contre Bundesrepublik Deutschland et Bundesrepublik Deutschland in Prozessstandschaft für das Vereinigte Königreich von Großbritannien und Nordirland.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesarbeitsgericht Hamm.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Article 2, paragraphe 2 – Interdiction de toute discrimination fondée sur un handicap – Convention collective relative à la sécurité sociale – Allocation complémentaire temporaire versée en faveur des anciens salariés civils des forces alliées en Allemagne – Cessation du paiement de cette allocation lorsque l’intéressé remplit les conditions pour le bénéfice d’une pension de retraite anticipée accordée aux personnes handicapées, au titre du régime légal d’assurance pension.
Affaire C-312/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:734

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 septembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Article 2, paragraphe 2 – Interdiction de toute discrimination fondée sur un handicap – Convention collective relative à la sécurité sociale – Allocation complémentaire temporaire versée en faveur des anciens salariés civils des forces alliées en Allemagne – Cessation du paiement de cette allocation lorsque l’intéressé remplit les conditions pour le bénéfice d’une pension de retraite anticipée accordée aux personnes handicapées, au titre du régime légal d’assurance pension »

Dans l’affaire C‑312/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landesarbeitsgericht Hamm (tribunal supérieur du travail de Hamm, Allemagne), par décision du 28 mars 2017, parvenue à la Cour le 29 mai 2017, dans la procédure

Surjit Singh Bedi

contre

Bundesrepublik Deutschland,

Bundesrepublik Deutschland in Prozessstandschaft für das Vereinigte Königreich von Großbritannien und Nordirland,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur), D. Šváby et M. Vilaras, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

pour la Bundesrepublik Deutschland in Prozessstandschaft für das Vereinigte Königreich von Großbritannien und Nordirland, par Me B. von Buchholz, Rechtsanwältin,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Surjit Singh Bedi à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) et à la Bundesrepublik Deutschland in Prozessstandschaft für das Vereinigte Königreich von Großbritannien und Nordirland (République fédérale d’Allemagne exerçant par représentation les droits du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) au sujet de la cessation du versement d’une allocation complémentaire temporaire, prévue par une convention collective, lorsque l’intéressé a rempli les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée accordée aux personnes handicapées au titre du régime légal d’assurance pension.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 8, 11 à 13 et 15 de la directive 2000/78 :

« (8)

Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l’insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre la discrimination à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées. Elles soulignent également la nécessité d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle.

[...]

(11)

La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

(12)

À cet effet, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines régis par la présente directive doit être interdite dans la Communauté. Cette interdiction de discrimination doit également s’appliquer aux ressortissants de pays tiers, mais elle ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et est sans préjudice des dispositions en matière d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers et à leur accès à l’emploi et au travail.

(13)

La présente directive ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.

[...]

(15)

L’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte appartient à l’instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales, qui peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques. »

4

L’article 1er de cette directive énonce :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l[e] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5

L’article 2, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.   Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que

ii)

dans le cas des personnes d’un handicap donné, l’employeur ou toute personne ou organisation auquel s’applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l’article 5 afin d’éliminer les désavantages qu’entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique. »

6

L’article 3, paragraphes 1 et 3, de la même directive dispose :

« 1.   Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[...]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;

[...]

3.   La présente directive ne s’applique pas aux versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale. »

7

L’article 16 de la directive 2000/78 est libellé comme suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que :

a)

soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement ;

b)

soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs. »

Le droit allemand

8

Le Tarifvertrag zur sozialen Sicherung der Arbeitnehmer bei den Stationierungsstreitkräften im Gebiet der Bundesrepublik Deutschland (convention collective relative à la sécurité sociale des salariés employés auprès des forces stationnées sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne), du 31 août 1971 (ci-après le « TV SozSich »), a été conclu entre la République fédérale d’Allemagne et différents syndicats dans le but de réglementer les conditions de travail des salariés travaillant auprès des forces armées stationnées sur son territoire pour le compte des États d’origine, parmi lesquels figure le Royaume-Uni.

9

L’article 2 du TV SozSich, intitulé « Conditions d’éligibilité », énonce :

« Ont droit à des prestations prévues par la présente convention collective les salariés qui

1.   sont licenciés en raison d’une compression des effectifs

a)

résultant d’une réduction des effectifs militaires,

b)

résultant d’une suppression de sites ou d’unités ou de leur transfert en dehors du périmètre de l’actuel lieu de travail permanent, en conséquence d’une décision prise pour des motifs militaires par l’autorité hiérarchique la plus élevée,

2.   lorsque, au moment du licenciement, ils

a)

travaillent à temps plein depuis au moins un an,

b)

peuvent apporter la preuve d’au moins cinq années de travail, au sens de l’article 8 du [Tarifvertrag für die Arbeitnehmer bei den Stationierungsstreitkräften im Gebiet der Bundesrepublik Deutschland (convention collective relative aux salariés employés auprès des forces stationnées sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne), du 16 décembre 1966 (ci–après le « TV AL II »)], ou du [Tarifvertrag für die bei den Dienststellen, Unternehmen und sonstigen Einrichtungen der alliierten Behörden und der alliierten Streitkräfte im Gebiet von Berlin beschäftigten Arbeitnehmer (convention collective relative aux employés des services, des entreprises, et des autres organes des administrations alliées et des forces armées alliées dans le secteur de Berlin), du 30 janvier 1968 (ci-après le « TV B II »)], et ont atteint l’âge de 40 ans,

c)

avaient leur domicile permanent au cours des cinq dernières années dans le champ d’application territorial du TV AL II ou du TV B II,

d)

ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite ou d’une pension de retraite anticipée dans le cadre du régime légal d’assurance pension, et

3.   lorsqu’aucun autre emploi acceptable dans le domaine d’application du TV AL II ne leur a été proposé [...] »

10

L’article 4 du TV SozSich, intitulé « Allocation complémentaire temporaire », prévoit :

« 1.   Une allocation complémentaire temporaire est versée :

a)

en complément de la rémunération perçue pour un autre emploi en dehors des forces armées stationnées sur le territoire allemand,

b)

en complément des prestations de la Bundesanstalt für Arbeit [(Office fédéral de l’emploi, Allemagne)] octroyées pour cause de chômage ou d’actions de formation professionnelle (allocation de chômage, aide sociale aux chômeurs, allocation d’entretien),

c)

en complément des indemnités de maladie versées par le régime légal d’assurance maladie en conséquence d’une maladie ou des indemnités d’invalidité versées par le régime légal d’assurance accident en cas d’incapacité de travail résultant d’un accident du travail.

[...]

a) (1)

La base de calcul de l’allocation temporaire versée en complément de la rémunération perçue pour un autre emploi [(paragraphe 1, sous a)] est la rémunération de base prévue par la convention collective à l’article 16, point 1, sous a), du TV AL II, qui revenait au salarié à la date du licenciement pour un mois civil entier, sur la base de l’horaire normal de travail prévu dans son contrat (formule de calcul : temps de travail hebdomadaire normal x 13 : 3) [...]

a)

Les salariés, qui, à la date de leur licenciement ont atteint

20 années de service (article 8 du TV AL II ou du TV B II) et l’âge de 55 ans ou

25 années de service (article 8 du TV AL II ou du TV B II) et l’âge de 50 ans

bénéficient d’une allocation complémentaire temporaire conformément aux paragraphes 1 à 4 sans limitation dans le temps.

[...] »

11

L’article 8 du TV SozSich, intitulé « Exclusion du paiement et restitution des allocations complémentaires temporaires et contributions aux cotisations indues », dispose, à son paragraphe 1, sous c) :

« L’allocation temporaire et la contribution aux cotisations ne sont pas versées pour les périodes :

[...]

c)

postérieures au mois au cours duquel le salarié remplit les conditions pour le bénéfice d’une pension de retraite anticipée ou d’une pension d’invalidité au titre du régime légal d’assurance pension. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12

M. Bedi, né en 1954, a été reconnu comme une personne gravement handicapée, avec un taux de handicap de 50 %.

13

Il a commencé à travailler en Allemagne auprès des forces armées du Royaume-Uni au cours de l’année 1978, en tant qu’employé civil et en dernier lieu en qualité de gardien, sur le site de Münster (Allemagne). En vertu des clauses de son contrat de travail, les conventions collectives des salariés des forces armées stationnées sur le territoire allemand, au nombre desquelles figure le TV SozSich, étaient applicables à sa relation de travail.

14

M. Bedi a été licencié avec effet au 31 décembre 2013, en raison de la fermeture du site de Münster. À partir du 1er janvier 2014, il a perçu l’allocation complémentaire temporaire prévue à l’article 4 du TV SozSich (ci-après l’« allocation complémentaire temporaire »). Cette allocation s’élevait en dernier lieu à 1604,20 euros par mois.

15

Le 1er mars 2014, M. Bedi a commencé à travailler en qualité de gardien auprès d’une société privée et, depuis le 1er avril 2016, il est employé par cette société à temps plein.

16

Par une lettre du 23 mars 2015, la République fédérale d’Allemagne a informé M. Bedi du fait qu’il remplissait les conditions pour pouvoir bénéficier d’une pension de retraite anticipée pour les personnes gravement handicapées, au titre du régime légal d’assurance pension, à partir du 1er mai 2015, et que, en conséquence, son droit à percevoir l’allocation complémentaire temporaire prendrait fin le 30 avril 2015, en application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich. Il a été mis fin au versement de ladite allocation à cette dernière date.

17

Dans la situation de M. Bedi, la pension de retraite anticipée pour les personnes gravement handicapées s’élèverait à 909,50 euros par mois, compte tenu d’une réduction de 10,80 % pour les 36 mois calendaires pendant lesquels il bénéficierait de cette pension de manière anticipée. Le plafond des rémunérations additionnelles qu’il pourrait recevoir en cumul avec ladite pension de retraite, sans que le montant de cette dernière soit diminué, s’élèverait à 450 euros par mois pour une pension de retraite complète. Les plafonds pour une rémunération en cumul avec une pension de retraite partielle, également possible dans le cas de M. Bedi, s’élèveraient à 2310 euros, 1750 euros et 1200 euros pour des pensions de retraite partielles représentant, respectivement, un tiers, 50 % et les deux tiers d’une pension complète. En l’occurrence, M. Bedi pourrait bénéficier d’une retraite partielle représentant les deux tiers d’une telle pension.

18

M. Bedi a introduit un recours devant l’Arbeitsgericht Münster (tribunal du travail de Münster, Allemagne) contre la République fédérale d’Allemagne, d’une part, en tant que partie contractante au TV SozSich, et, d’autre part, sur le fondement de l’article 56, paragraphe 8, de l’accord complétant la convention du 19 juin 1951 entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces en ce qui concerne les forces étrangères stationnées en République fédérale d’Allemagne, signé le 3 août 1959 et modifié le 21 octobre 1971, le 18 mai 1981 et le 18 mars 1993, pour faire valoir le droit du Royaume-Uni. Il a demandé à ce que cette juridiction constate l’obligation de poursuivre à son égard le versement de l’allocation complémentaire temporaire après le 1er mai 2015. Par un jugement notifié le 11 février 2016, l’Arbeitsgericht Münster (tribunal du travail de Münster) a rejeté le recours de M. Bedi.

19

M. Bedi a interjeté appel de ce jugement devant le Landesarbeitsgericht Hamm (tribunal supérieur du travail de Hamm, Allemagne). Il a demandé à cette juridiction de constater l’obligation de poursuivre le versement de l’allocation complémentaire temporaire ainsi que le versement de cette allocation du mois d’avril 2016 au mois de décembre 2016.

20

La juridiction de renvoi se demande si l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich viole l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap, visée aux articles 1er et 16 de la directive 2000/78, dans la situation où un travailleur remplit les conditions d’ouverture du droit à une pension de retraite anticipée pour les personnes gravement handicapées au titre du régime légal d’assurance pension.

21

En vertu de la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich n’instaurerait aucune discrimination, directe ou indirecte, pour les travailleurs concernés. En effet, cette disposition, compte tenu des conditions prévues pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée, ne serait pas fondée sur le handicap et, en tout état de cause, serait objectivement justifiée par un but légitime, les moyens pour parvenir à celui-ci étant appropriés et nécessaires.

22

Cependant, selon la juridiction de renvoi, une discrimination ne serait pas exclue à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour, en particulier de l’arrêt du 6 décembre 2012, Odar (C‑152/11, EU:C:2012:772).

23

À cet égard, la juridiction de renvoi souligne, notamment, que le critère prévu à l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich est tiré de l’ouverture du droit à une pension de retraite anticipée. Dans la mesure où ce n’est pas le bénéfice effectif de la pension de retraite qui importe, mais uniquement le droit du travailleur de bénéficier d’une telle pension, le TV SozSich conduirait toujours à une durée de jouissance de l’allocation complémentaire temporaire réduite pour les travailleurs handicapés par rapport aux travailleurs valides. Or, la situation de départ serait la même pour ces deux catégories de travailleurs, en ce qu’ils ont été licenciés par l’employeur et qu’ils doivent, en raison de leur âge avancé et de la longue durée de leur relation de travail, bénéficier d’une aide au maintien du niveau de vie décent que leur offraient leur emploi et les revenus liés à celui-ci, jusqu’à ce qu’ils bénéficient d’une pension de retraite au titre du régime légal d’assurance pension.

24

Le fait de prendre pour critère le droit à une pension de retraite anticipée pour les personnes gravement handicapées, dans le contexte de l’allocation complémentaire temporaire, reviendrait à compromettre l’avantage octroyé par l’attribution d’une telle pension, qui vise à tenir compte des difficultés et des risques particuliers que rencontrent les travailleurs atteints d’un handicap grave. Dès lors qu’il compense les désavantages résultant exclusivement d’un tel handicap, cet avantage ne devrait pas être pris en compte dans le cadre de la comparaison entre les travailleurs gravement handicapés et les travailleurs valides, et de leur situation au regard du bénéfice de l’allocation complémentaire temporaire. La compensation prévue par le législateur pour les difficultés particulières que connaissaient les personnes gravement handicapées produirait sinon des effets à leur détriment.

25

Dans ces conditions, le Landesarbeitsgericht Hamm (tribunal supérieur du travail de Hamm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, paragraphe 2, de la directive [2000/78] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux règles d’une convention collective qui prévoient que le bénéfice d’une allocation complémentaire temporaire octroyée en vue de garantir un revenu décent aux salariés qui ont perdu leur emploi, sur le fondement de la rémunération de base prévue par la convention collective et jusqu’à ce que lesdits salariés accèdent à la protection économique conférée par le droit à une retraite dans le cadre du régime légal d’assurance pension, prend fin avec l’ouverture du droit à une pension de retraite anticipée, et qui prennent pour critère, aux fins de leur application, la possibilité d’obtenir une pension de retraite anticipée en raison d’un handicap ? »

Sur la question préjudicielle

26

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux dispositions d’une convention collective qui prévoient la cessation du versement d’une allocation complémentaire temporaire, octroyée en vue de garantir un revenu décent à un travailleur ayant perdu son emploi et jusqu’à ce que celui-ci dispose du droit à une pension de retraite au titre du régime légal d’assurance pension, lorsque ce travailleur remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée prévue pour les personnes gravement handicapées, au titre de ce régime.

27

En l’occurrence, le TV SozSich est une convention collective conclue entre la République fédérale d’Allemagne et différents syndicats en ce qui concerne la sécurité sociale des salariés employés auprès des forces stationnées sur le territoire allemand.

28

À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il ressort tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de la directive 2000/78 que celle-ci tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement « en matière d’emploi et de travail », en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure le handicap (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2009, Hütter, C‑88/08, EU:C:2009:381, point 33, et du 14 mars 2018, Stollwitzer, C‑482/16, EU:C:2018:180, point 20).

29

Afin de répondre à la question posée par la juridiction nationale, il y a lieu d’examiner, dans un premier temps, le point de savoir si des dispositions telles que celles du TV SozSich relatives à l’allocation complémentaire temporaire, dont le caractère discriminatoire est allégué, relèvent du champ d’application de la directive 2000/78.

30

À cet égard, le champ d’application de cette directive doit s’entendre, à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 3, de ladite directive, lu en combinaison avec le considérant 13 de celle-ci, comme ne couvrant pas les régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération, au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 157, paragraphe 2, TFUE (arrêts du 6 décembre 2012, Dittrich e.a., C‑124/11, C‑125/11 et C‑143/11, EU:C:2012:771, point 31, ainsi que du 2 juin 2016, C, C‑122/15, EU:C:2016:391, point 20).

31

Il importe donc de déterminer si une allocation complémentaire temporaire telle que celle prévue par le TV SozSich peut être assimilée à une rémunération, au sens de l’article 157 TFUE.

32

Conformément à l’article 157, paragraphe 2, TFUE, il faut entendre par « rémunération » le salaire ou le traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

33

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE, doit être interprétée dans un sens large. Elle comprend, notamment, tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d’un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire. En outre, la circonstance que certaines prestations soient versées après la cessation de la relation de travail n’exclut pas qu’elles puissent avoir un caractère de rémunération au sens des dispositions susmentionnées (arrêts du 6 décembre 2012, Dittrich e.a., C‑124/11, C‑125/11 et C‑143/11, EU:C:2012:771, point 35, ainsi que du 2 juin 2016, C, C‑122/15, EU:C:2016:391, point 21).

34

La Cour a également précisé que au nombre des avantages qualifiés de « rémunération » figurent précisément les avantages payés par l’employeur en raison de l’existence de rapports de travail salariés qui ont pour objet d’assurer une source de revenus aux travailleurs, même s’ils n’exercent, dans des cas spécifiques, aucune activité prévue par le contrat de travail. En outre, le caractère de rémunération de telles prestations ne saurait être mis en doute du seul fait qu’elles répondent également à des considérations de politique sociale (arrêts du 9 décembre 2004, Hlozek, C‑19/02, EU:C:2004:779, point 39, et du 2 juin 2016, C, C‑122/15, EU:C:2016:391, point 22).

35

Par ailleurs, s’agissant des indemnités octroyées par l’employeur au travailleur à l’occasion de son licenciement, la Cour a déjà constaté que celles-ci constituent une forme de rémunération différée, à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, mais qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, dans le but de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de celle-ci (arrêts du 17 mai 1990, Barber, C‑262/88, EU:C:1990:209, point 13, et du 9 décembre 2004, Hlozek, C‑19/02, EU:C:2004:779, point 37).

36

En outre, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si une prestation entre dans le champ d’application de l’article 157 TFUE, seul le critère tiré de la constatation que la prestation a été versée au travailleur en raison de la relation de travail qui l’unit à son ancien employeur, c’est-à-dire le critère de l’emploi, tiré des termes mêmes dudit article, peut revêtir un caractère déterminant (voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2012, Dittrich e.a., C‑124/11, C‑125/11 et C‑143/11, EU:C:2012:771, point 37, ainsi que du 24 novembre 2016, Parris, C‑443/15, EU:C:2016:897, point 34).

37

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’allocation complémentaire temporaire vise à permettre aux travailleurs âgés, employés pendant une longue durée, qui ont été licenciés pour une cause économique et de manière valable, de bénéficier d’une prestation de soutien après la fin de la relation de travail. L’objectif de cette allocation est de garantir des moyens de subsistance, de pallier les désavantages découlant d’une plus faible rémunération versée dans le cadre d’une nouvelle relation de travail ou du fait d’une situation de chômage. Ladite allocation a également pour but de créer une incitation à ce que le travailleur reste dans la vie active en entrant dans une nouvelle relation du travail en dehors du secteur des forces armées stationnées en Allemagne. Tel est notamment le cas lorsque, dans ses nouvelles fonctions, le travailleur obtient une rémunération inférieure à celle dont il bénéficiait dans ses fonctions auprès desdites forces armées, voire inférieure à l’allocation de chômage.

38

La juridiction de renvoi relève que l’allocation complémentaire temporaire est une prestation sociale spéciale financée par l’impôt, versée par la République fédérale d’Allemagne sur le fondement de ses obligations découlant du TV SozSich, en dehors de la relation de travail qui existait entre le travailleur et l’État d’emploi de celui-ci. Cependant, cette juridiction précise que la République fédérale d’Allemagne verse cette allocation pour le compte des États d’origine des forces armées stationnées sur le territoire allemand.

39

Dans ces conditions, en l’occurrence, ladite allocation doit être considérée comme étant octroyée à M. Bedi par le Royaume-Uni en sa qualité d’employeur, ainsi que l’indique la République fédérale d’Allemagne exerçant par représentation les droits du Royaume-Uni dans ses observations écrites.

40

Par ailleurs, dès lors que l’allocation complémentaire temporaire est prévue par une convention collective telle que le TV SozSich, qui ne concerne qu’une catégorie particulière de travailleurs, à savoir les salariés employés auprès des forces armées stationnées sur le territoire allemand, cette allocation est déterminée par les termes de la relation de travail convenus entre le travailleur qui bénéficie de ladite allocation et l’employeur.

41

À cet égard, le montant de ladite allocation est calculé sur la base du dernier traitement versé. En effet, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, l’allocation complémentaire temporaire est octroyée sur le fondement de la rémunération de base qui revenait au travailleur à la date de son licenciement, conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous a), 1), du TV SozSich.

42

Il s’ensuit que l’allocation complémentaire temporaire représente un avantage actuel en espèces, payé par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. Elle constitue, par conséquent, une « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE. Partant, cette allocation relève du champ d’application de la directive 2000/78.

43

Il convient, dans un second temps, d’examiner si l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich instaure une discrimination fondée sur le handicap, interdite par la directive 2000/78.

44

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, on entend par « principe de l’égalité de traitement » l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’un des motifs énoncés à l’article 1er de la même directive, au nombre desquels figure, notamment, le handicap.

45

S’agissant de l’existence d’une discrimination directe, selon l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, une telle discrimination se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable que ne l’est une autre personne se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive.

46

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que tant les travailleurs gravement handicapés que d’autres catégories de personnes bénéficient du droit à une pension de retraite anticipée au titre du régime légal d’assurance pension allemand.

47

Par conséquent, la cessation du paiement de l’allocation complémentaire temporaire dans la situation où la personne concernée remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée ou d’une pension d’invalidité au titre du régime légal d’assurance pension, en application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich, ne concerne pas uniquement les travailleurs gravement handicapés.

48

Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que cette disposition instaure une différence de traitement directement fondée sur le handicap, au sens des dispositions combinées de l’article 1er et de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, dès lors qu’elle se fonde sur un critère qui n’est pas indissociablement lié au handicap (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, HK Danmark, C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, points 72 et 74, ainsi que du 18 janvier 2018, Ruiz Conejero, C‑270/16, EU:C:2018:17, point 37).

49

En ce qui concerne l’existence d’une discrimination indirecte, il y a lieu de relever, d’emblée, que l’article 2, paragraphe 2, sous b), ii), de la directive 2000/78 est dépourvu de pertinence au regard des circonstances de l’affaire au principal, dès lors qu’il n’a pas été allégué que la législation allemande obligerait l’employeur de M. Bedi, une personne ou une organisation à laquelle s’applique cette directive, à prendre des mesures appropriées, au sens de cette disposition, pour éliminer les désavantages que pourrait entraîner l’application des dispositions du TV SozSich en cause au principal.

50

Quant à l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, cette disposition prévoit qu’une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes notamment d’un handicap donné par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

51

À cet égard, la juridiction de renvoi relève que les travailleurs gravement handicapés se voient octroyer une pension de retraite anticipée au titre du régime légal d’assurance pension, en fonction de leur année de naissance, et que, en conséquence, ils bénéficient généralement d’une allocation complémentaire temporaire pour une durée inférieure d’un à trois ans à celle de l’allocation octroyée aux travailleurs valides du même âge, avant que ces derniers bénéficient de l’ouverture d’un droit à une pension de retraite anticipée pour affiliés de longue durée. En l’occurrence, l’allocation complémentaire temporaire n’a été octroyée à M. Bedi que jusqu’à l’âge de 60 ans et 8 mois, au lieu de l’être jusqu’à l’âge de 63 ans s’il n’avait pas été gravement handicapé.

52

Or, il ressort de la décision de renvoi que, au regard de la réduction du montant d’une pension de retraite perçue de manière anticipée ainsi que des plafonds des rémunérations additionnelles qu’un travailleur peut recevoir en cumul avec une telle pension, les revenus cumulés d’une personne handicapée se trouvant dans la situation de M. Bedi sont inférieurs aux revenus cumulés, composés du montant de l’allocation complémentaire temporaire à laquelle s’ajouterait la rémunération versée dans le cadre d’une nouvelle relation de travail, qui seraient perçus par une personne valide placée dans la même situation.

53

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, dans une affaire telle que celle au principal, l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich a pour effet que les revenus d’un travailleur gravement handicapé, pour la période pendant laquelle une pension de retraite anticipée lui est octroyée, sont inférieurs à ceux perçus par un travailleur valide. Il apparaît donc que la règle prévue à cette disposition est susceptible de désavantager les travailleurs handicapés et, ainsi, d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78.

54

À cet égard, le gouvernement allemand et la République fédérale d’Allemagne exerçant par représentation les droits du Royaume-Uni font néanmoins valoir que, au regard de la date d’ouverture du droit à la pension de retraite anticipée au titre du régime légal d’assurance pension, les travailleurs gravement handicapés et les travailleurs valides se trouvent dans des situations de départ objectivement différentes en ce qui concerne leur besoin d’une allocation complémentaire temporaire. En effet, les premiers n’en auraient plus besoin, contrairement aux seconds.

55

Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les travailleurs appartenant à des tranches d’âge proches de la retraite se trouvent dans une situation comparable à celle des autres travailleurs concernés par un licenciement puisque leur relation de travail avec leur employeur cesse pour le même motif et dans les mêmes conditions (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, EU:C:2012:772, point 61).

56

En effet, l’avantage accordé aux travailleurs gravement handicapés, qui consiste à pouvoir prétendre à une pension de retraite à partir d’un âge inférieur à celui fixé pour les travailleurs valides, ne saurait les placer dans une situation spécifique par rapport à ces travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, EU:C:2012:772, point 62).

57

Or, en l’occurrence, l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich concerne des travailleurs proches de l’âge de la retraite, qui ont été licenciés. Par conséquent, les travailleurs souffrant d’un handicap grave se trouvent dans une situation comparable à celle des travailleurs valides appartenant à la même tranche d’âge, au regard de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78.

58

Dès lors, conformément à cette disposition, il y a lieu d’examiner si la différence de traitement existant entre ces deux catégories de travailleurs est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, si les moyens mis en œuvre pour réaliser celui-ci sont appropriés et s’ils n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

59

À cet égard, il convient de rappeler que, en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux au niveau national disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C‑411/05, EU:C:2007:604, point 68, et du 26 septembre 2013, Dansk Jurist- og Økonomforbund, C‑546/11, EU:C:2013:603, point 50).

60

En l’occurrence, ainsi qu’il résulte du point 37 du présent arrêt, les dispositions régissant l’allocation complémentaire temporaire, prévues par le TV SozSich, visent à compenser, à tout le moins en partie, la perte de revenus causée par le licenciement et à faciliter la réintégration sur le marché de l’emploi des personnes concernées. Dans ce contexte, l’existence du droit à une pension de retraite anticipée, au titre du régime légal d’assurance pension, assure un revenu à la personne concernée, au regard duquel le maintien du versement d’une allocation complémentaire temporaire peut ne pas paraître indispensable à la protection de cette personne.

61

Dès lors, il convient de considérer que, dans une affaire telle que celle au principal, l’octroi d’une compensation pour l’avenir des travailleurs licenciés et l’aide à leur réinsertion professionnelle, tout en tenant compte de la nécessité d’une juste répartition de moyens financiers limités, peuvent être reconnus comme étant des objectifs légitimes, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, EU:C:2012:772, points 42 et 43).

62

Dans ces conditions, il y a lieu d’admettre que ces objectifs doivent, en principe, être considérés comme étant de nature à justifier « objectivement et raisonnablement » une différence de traitement fondée sur le handicap.

63

Encore faut-il vérifier si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont appropriés et nécessaires et s’ils n’excèdent pas ce qui est requis pour atteindre l’objectif poursuivi.

64

S’agissant du caractère approprié des dispositions en cause du TV SozSich, il importe de relever que la cessation du versement de l’allocation complémentaire temporaire aux travailleurs qui bénéficient d’une pension de retraite anticipée n’apparaît pas déraisonnable au regard de la finalité de cette allocation, consistant à apporter après la fin de la relation de travail un soutien complémentaire et temporaire, offert volontairement par l’employeur en raison de l’ancienne relation de travail, jusqu’à l’obtention par le travailleur d’une protection économique résultant du droit à une pension de retraite au titre du régime légal d’assurance pension.

65

Dès lors, il convient de considérer qu’une disposition telle que l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich n’apparaît pas manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif légitime d’une politique de l’emploi telle que celle poursuivie par les partenaires sociaux allemands.

66

Afin d’examiner si cette disposition excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, il y a lieu de replacer ladite disposition dans le contexte dans lequel elle s’inscrit et de prendre en considération le préjudice qu’elle est susceptible d’occasionner aux personnes visées (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, EU:C:2012:772, point 65).

67

S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich, le gouvernement allemand fait valoir que les partenaires sociaux, s’agissant des conventions collectives, ne sont pas tenus de choisir la solution la plus équitable, la plus raisonnable ou la plus appropriée. Ils bénéficieraient des privilèges tenant à la liberté de négociation collective, conformément à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

68

Selon la jurisprudence de la Cour, la nature des mesures adoptées par voie de convention collective est différente de la nature de celles adoptées unilatéralement par voie législative ou réglementaire par les États membres en ce que les partenaires sociaux, en exerçant leur droit fondamental à la négociation collective reconnu à l’article 28 de la Charte, ont eu soin de définir un équilibre entre leurs intérêts respectifs (arrêt du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai, C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

69

Lorsque le droit à la négociation collective proclamé à l’article 28 de la Charte relève des dispositions du droit de l’Union, il doit, dans le champ d’application dudit droit, être exercé conformément à celui-ci (arrêt du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai, C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

70

Dès lors, lorsqu’ils adoptent des mesures entrant dans le champ d’application de cette directive, les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai, C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 68, ainsi que du 12 décembre 2013, Hay, C‑267/12, EU:C:2013:823, point 27).

71

En outre, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 16 de la directive 2000/78, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent notamment dans les contrats ou les conventions collectives.

72

En ce qui concerne le désavantage que l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich est susceptible d’occasionner aux personnes visées, il y a lieu de relever que, selon la juridiction de renvoi, le critère retenu par cette disposition quant à la cessation du droit au versement de l’allocation complémentaire temporaire est tiré de l’ouverture du droit à une pension de retraite anticipée, peu importe que l’intéressé jouisse effectivement d’une pension de retraite ou ait demandé à en bénéficier. Par conséquent, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 52 de ses conclusions, la cessation du versement de l’allocation complémentaire temporaire est automatique.

73

Certes, un travailleur gravement handicapé est susceptible de se trouver dans la situation où, pour des raisons qui lui sont propres, il estime préférable de bénéficier d’une pension de retraite anticipée, même si, ainsi qu’il résulte du point 52 du présent arrêt, l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich conduit, en principe, à ce que les revenus de ce travailleur, lorsqu’il remplit les conditions pour bénéficier d’une telle pension de retraite, ne soient pas équivalents à ceux d’un travailleur valide qui perçoit l’allocation complémentaire temporaire.

74

Cependant, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 54 de ses conclusions, à la différence d’un travailleur valide, un travailleur gravement handicapé, même s’il le souhaite, ne dispose pas de la possibilité de continuer à travailler et de percevoir en outre l’allocation complémentaire temporaire, jusqu’à l’obtention d’une pension de retraite non anticipée.

75

Il y a lieu d’ajouter que les personnes atteintes d’un handicap grave ont des besoins spécifiques liés tant à la protection que requiert leur état qu’à la nécessité d’envisager une aggravation éventuelle de celui-ci. Ainsi, il convient de tenir compte du risque que les personnes atteintes d’un handicap grave soient exposées à des besoins financiers incompressibles liés à leur handicap et/ou que, en vieillissant, ces personnes voient leurs besoins financiers augmenter (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Odar, C‑152/11, EU:C:2012:772, point 69).

76

Par conséquent, les partenaires sociaux, en poursuivant les objectifs légitimes que constituent l’octroi d’une compensation pour l’avenir des travailleurs licenciés et l’aide à leur réinsertion professionnelle, tout en tenant compte de la nécessité d’une juste répartition de moyens financiers limités, ont omis de tenir compte d’éléments pertinents qui concernent, en particulier, les travailleurs gravement handicapés.

77

Ainsi, l’article 8, paragraphe 1, sous c), du TV SozSich a pour effet de porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs gravement handicapés et excède, ainsi, ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de politique sociale poursuivis par les partenaires sociaux allemands.

78

Dès lors, la différence de traitement résultant de cette disposition du TV SozSich ne saurait être justifiée au titre de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78.

79

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que, dans une affaire telle que celle au principal, il s’oppose aux dispositions d’une convention collective qui prévoient la cessation du versement d’une allocation complémentaire temporaire, octroyée en vue de garantir un revenu décent à un travailleur ayant perdu son emploi et jusqu’à ce que celui-ci dispose du droit à une pension de retraite au titre du régime légal d’assurance pension, lorsque ce travailleur remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée prévue pour les personnes gravement handicapées, au titre de ce régime.

Sur les dépens

80

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que, dans une affaire telle que celle au principal, il s’oppose aux dispositions d’une convention collective qui prévoient la cessation du versement d’une allocation complémentaire temporaire, octroyée en vue de garantir un revenu décent à un travailleur ayant perdu son emploi et jusqu’à ce que celui-ci dispose du droit à une pension de retraite au titre du régime légal d’assurance pension, lorsque ce travailleur remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée prévue pour les personnes gravement handicapées, au titre de ce régime.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

Top