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Document 62017CJ0214

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 20 septembre 2018.
    Alexander Mölk contre Valentina Mölk.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof.
    Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires – Article 4, paragraphe 3 – Demande de pension alimentaire introduite par le créancier d’aliments devant l’autorité compétente de l’État de la résidence habituelle du débiteur – Décision ayant acquis force de chose jugée – Demande ultérieure, introduite par le débiteur devant la même autorité, visant à réduire la pension alimentaire fixée – Comparution du créancier – Détermination de la loi applicable.
    Affaire C-214/17.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:744

    ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

    20 septembre 2018 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires – Article 4, paragraphe 3 – Demande de pension alimentaire introduite par le créancier d’aliments devant l’autorité compétente de l’État de la résidence habituelle du débiteur – Décision ayant acquis force de chose jugée – Demande ultérieure, introduite par le débiteur devant la même autorité, visant à réduire la pension alimentaire fixée – Comparution du créancier – Détermination de la loi applicable »

    Dans l’affaire C‑214/17,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 28 mars 2017, parvenue à la Cour le 25 avril 2017, dans la procédure

    Alexander Mölk

    contre

    Valentina Mölk,

    LA COUR (sixième chambre),

    composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. S. Rodin et E. Regan, juges,

    avocat général : M. M. Szpunar,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour M. Mölk, par M. L. Lorenz, Rechtsanwalt,

    pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo ainsi que par Mme M. Cancela Carvalho, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mai 2018,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires, approuvé, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17, ci-après le « protocole de La Haye »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Alexander Mölk à sa fille, Mlle Valentina Mölk, au sujet de créances alimentaires.

    Le cadre juridique

    Le protocole de La Haye

    3

    L’article 3 du protocole de La Haye, intitulé « Règle générale relative à la loi applicable », dispose :

    « 1.   Sauf disposition contraire du Protocole, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires.

    2.   En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi de l’État de la nouvelle résidence habituelle s’applique à partir du moment où le changement est survenu. »

    4

    L’article 4 de ce protocole, intitulé « Règles spéciales en faveur de certains créanciers », prévoit :

    « 1.   Les dispositions suivantes s’appliquent en ce qui concerne les obligations alimentaires :

    a)

    des parents envers leurs enfants ;

    [...]

    2.   La loi du for s’applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d’aliments du débiteur en vertu de la loi mentionnée à l’article 3.

    3.   Nonobstant l’article 3, la loi du for s’applique lorsque le créancier a saisi l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle. Toutefois, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier s’applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d’aliments du débiteur en vertu de la loi du for.

    [...] »

    5

    L’article 7 dudit protocole, intitulé « Désignation de la loi applicable pour les besoins d’une procédure particulière (accord procédural) », énonce :

    « 1.   Nonobstant les articles 3 à 6, le créancier et le débiteur d’aliments peuvent, uniquement pour les besoins d’une procédure particulière se déroulant dans un État donné, désigner expressément la loi de cet État pour régir une obligation alimentaire.

    2.   Une désignation antérieure à l’introduction de l’instance doit faire l’objet d’un accord, signé des deux parties, par écrit ou consigné sur tout support dont le contenu est accessible pour être consulté ultérieurement. »

    6

    L’article 8 du même protocole, intitulé « Désignation de la loi applicable », est libellé comme suit :

    « 1.   Nonobstant les articles 3 à 6, le créancier et le débiteur d’aliments peuvent, à tout moment, désigner l’une des lois suivantes pour régir une obligation alimentaire :

    [...]

    b)

    la loi de l’État de la résidence habituelle de l’une des parties au moment de la désignation ;

    [...]

    3.   Le paragraphe premier ne s’applique pas aux obligations alimentaires concernant une personne âgée de moins de 18 ans ou un adulte qui, en raison d’une altération ou d’une insuffisance de ses facultés personnelles, n’est pas en mesure de pourvoir à ses intérêts.

    4.   Nonobstant la loi désignée par les parties en vertu du paragraphe premier, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier, au moment de la désignation, détermine si le créancier peut renoncer à son droit à des aliments.

    5.   À moins que les parties n’aient été pleinement informées et conscientes des conséquences de leur choix au moment de la désignation, la loi désignée ne s’applique pas lorsque son application entraînerait des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l’une ou l’autre des parties. »

    Le règlement (CE) no 4/2009

    7

    Le règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1), prévoit, à son article 1er, intitulé « Champ d’application » :

    « Le présent règlement s’applique aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance.

    [...] »

    8

    L’article 3 de ce règlement, intitulé « Dispositions générales », dispose :

    « Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :

    a)

    la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

    b)

    la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle [...]

    [...] »

    9

    En vertu de l’article 5 dudit règlement, intitulé « Compétence fondée sur la comparution du défendeur » :

    « Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence. »

    10

    L’article 15 du même règlement, intitulé « Détermination de la loi applicable », est libellé comme suit :

    « La loi applicable en matière d’obligations alimentaires est déterminée conformément au [protocole de La Haye] pour les États membres liés par cet instrument. »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    11

    M. Mölk réside de manière habituelle en Autriche, tandis que sa fille, Mlle Mölk, a sa résidence habituelle en Italie.

    12

    En vertu d’une ordonnance du Bezirksgericht Innsbruck (tribunal de district d’Innsbruck, Autriche) du 10 octobre 2014, M. Mölk est tenu de verser une pension alimentaire mensuelle à Mlle Mölk.

    13

    Cette ordonnance a été rendue, en application de la loi autrichienne, à la suite de la demande de pension alimentaire introduite par la créancière, Mlle Mölk, devant ladite juridiction, conformément à l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye.

    14

    Au cours de l’année 2015, M. Mölk a demandé au Bezirksgericht Innsbruck (tribunal de district d’Innsbruck) de réduire ladite pension alimentaire à compter du 1er février 2015, au motif que son revenu net avait diminué. Mlle Mölk a conclu au rejet de cette demande de réduction.

    15

    Par une ordonnance du 11 décembre 2015, le Bezirksgericht Innsbruck (tribunal de district d’Innsbruck) a rejeté la demande de M. Mölk en application de la loi italienne. Selon cette juridiction, cette demande était régie par ladite loi en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du protocole de La Haye, la résidence habituelle de Mlle Mölk étant située en Italie à la date de cette demande.

    16

    Par une ordonnance du 9 mars 2016, le Landesgericht Innsbruck (tribunal régional d’Innsbruck, Autriche) a confirmé, en appel, la décision du Bezirksgericht Innsbruck (tribunal de district d’Innsbruck), en fondant toutefois son appréciation sur la loi autrichienne.

    17

    Cette juridiction d’appel a estimé que, en l’absence de changement de la résidence habituelle des deux parties, il ne pouvait y avoir de modification de la loi appliquée dans l’ordonnance du Bezirksgericht Innsbruck (tribunal de district d’Innsbruck) du 10 octobre 2014, en raison du seul fait que le débiteur d’aliments avait présenté une demande de réduction de la pension alimentaire concernée quelques mois seulement après le prononcé de ladite ordonnance, qui avait acquis force de chose jugée.

    18

    M. Mölk a formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi en concluant à ce qu’il soit statué sur la créance alimentaire conformément à la loi italienne. Il soutient que, si cette loi avait été appliquée correctement, il aurait dû être fait droit à sa demande.

    19

    La juridiction de renvoi s’interroge sur la loi applicable dans un cas de figure tel que celui en cause au principal, en relevant que deux voies s’opposent dans la doctrine.

    20

    Selon la première voie, la loi applicable, déterminée conformément à l’article 3 du protocole de La Haye, est la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier, même si elle n’est pas la loi de l’État où est située l’autorité qui a pris la décision initiale en matière d’aliments.

    21

    Selon la seconde voie, c’est la loi déjà appliquée en matière d’obligations alimentaires qu’il convient d’appliquer à une demande de réformation d’une décision nationale ou d’une décision étrangère reconnue.

    22

    C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 3 du [protocole de La Haye] doivent-elles être interprétées en ce sens que la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit également la demande d’un débiteur tendant, en raison d’un changement affectant ses revenus, à la réduction d’une pension alimentaire mise à sa charge par une décision ayant force de chose jugée, lorsque le montant de la pension alimentaire à payer avait été fixé par le juge, à la demande du créancier et en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du [protocole de La Haye], conformément à la loi de l’État dans lequel le débiteur a sa résidence habituelle inchangée ?

    2)

    Dans l’hypothèse où il serait répondu par l’affirmative à la première question :

    L’article 4, paragraphe 3, du [protocole de La Haye] doit-il être interprété en ce sens que le créancier “saisit” également l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée par le débiteur devant cette autorité, le créancier comparaît, au sens de l’article 5 du [règlement no 4/2009], en concluant au rejet de la demande au fond ? »

    Sur les questions préjudicielles

    23

    À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour est compétente pour interpréter le protocole de La Haye (arrêt du 7 juin 2018, KP, C‑83/17, EU:C:2018:408, point 25).

    Sur la première question

    24

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye doit être interprété en ce sens qu’il résulte d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la pension alimentaire à payer a été fixée par une décision ayant acquis force de chose jugée, à la demande du créancier et, en vertu de cet article 4, paragraphe 3, selon la loi du for désignée conformément à cette disposition, que cette loi régit une demande ultérieure introduite par le débiteur devant l’autorité compétente de l’État de sa résidence habituelle contre le créancier, en vue de réduire cette pension alimentaire.

    25

    Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye, la loi du for s’applique, nonobstant l’article 3 de ce protocole, à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, à l’instar de Mlle Mölk dans l’affaire au principal, introduit sa demande devant l’autorité compétente de l’État de la résidence habituelle du débiteur d’aliments.

    26

    Se pose la question de savoir si, bien que le libellé de cet article 4, paragraphe 3, ne le prévoie pas expressément, cette disposition continue de produire des effets lorsque le débiteur, à l’instar de M. Mölk dans l’affaire au principal, saisit cette même autorité d’une demande ultérieure, de telle sorte que la loi précédemment désignée est également applicable à la nouvelle procédure.

    27

    Afin de répondre à cette question, il convient d’interpréter l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye en tenant compte non seulement des termes de celui-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie.

    28

    S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye, il convient de relever que cette disposition s’inscrit dans un système de règles de rattachement institué par ce protocole, lequel prévoit l’application à titre principal de la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier, conformément à l’article 3 dudit protocole. Les auteurs du protocole de La Haye ont considéré que cette loi présentait le lien le plus étroit avec la situation du créancier et, partant, apparaissait comme étant la mieux à même de régir les problèmes concrets que le créancier d’aliments est susceptible de rencontrer (arrêt du 7 juin 2018, KP, C‑83/17, EU:C:2018:408, point 42).

    29

    L’article 4 du protocole de La Haye contient des règles spéciales en faveur de certains créanciers, portant notamment sur les obligations des parents envers leurs enfants, qui s’appliquent à titre subsidiaire. Ainsi, le paragraphe 2 de cet article 4 prévoit que la loi du for s’applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d’aliments en vertu de la loi désignée à titre principal conformément à l’article 3 de ce protocole.

    30

    L’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye déroge à la règle posée par ce protocole et rappelée au point 28 du présent arrêt, selon laquelle l’autorité compétente applique, à titre principal, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier. Cet article 4, paragraphe 3, inverse les critères de rattachement prévus à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, dudit protocole en désignant à titre premier la loi du for lorsque le créancier a saisi l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle (arrêt du 7 juin 2018, KP, C‑83/17, EU:C:2018:408, point 44), et à titre secondaire la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier si celui-ci ne peut pas obtenir d’aliments du débiteur en vertu de la loi du for.

    31

    En prévoyant que la loi du for, au lieu de la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier, peut s’appliquer à titre premier, le protocole de La Haye confère à ce dernier la possibilité de choisir indirectement la première de ces lois, ce choix découlant de l’introduction, par le créancier, de sa demande devant l’autorité compétente de l’État de la résidence habituelle du débiteur.

    32

    Cette possibilité poursuit l’objectif de protection du créancier considéré comme étant la partie la plus faible dans ses relations avec le débiteur en lui permettant, de facto, d’effectuer un choix de la loi applicable à sa demande. Dans ces conditions, lorsque la procédure dans laquelle cette demande s’inscrit s’est clôturée par une décision ayant acquis force de chose jugée, il ne découle pas de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye qu’il conviendrait d’étendre les effets de ce choix à une nouvelle procédure introduite non pas par le créancier, mais par le débiteur.

    33

    De plus, s’agissant d’une règle dérogeant à la règle énoncée à l’article 3 du protocole de La Haye, il convient de l’interpréter de manière stricte, sans aller au-delà du cas de figure expressément envisagé.

    34

    Ces considérations sont corroborées par le rapport explicatif sur le Protocole de La Haye, établi par M. Andrea Bonomi (texte adopté par la vingt et unième session de la Conférence de La Haye de droit international privé).

    35

    En effet, ainsi que M. Bonomi l’a relevé, au point 67 de ce rapport, la dérogation prévue au rattachement de principe à la loi de la résidence habituelle du créancier peut se justifier si le créancier décide lui-même d’intenter l’action dans l’État de la résidence du débiteur, alors qu’elle paraît excessive dans le cas où l’action aurait été intentée dans cet État à l’initiative du débiteur, notamment lors d’une demande de révision d’une décision en matière d’obligations alimentaires.

    36

    Une comparaison de cet article 4, paragraphe 3, avec les dispositions du protocole de La Haye permettant aux parties de choisir d’un commun accord la loi applicable à l’obligation alimentaire, à savoir les articles 7 et 8 de ce protocole, conforte également cette analyse.

    37

    L’article 8 du protocole de La Haye permet, à tout moment, au créancier et au débiteur de désigner l’une des différentes lois énumérées au paragraphe 1 de cet article 8 pour régir une obligation alimentaire. La loi ainsi désignée s’applique non pas à une procédure particulière, mais à toutes les procédures relatives à une telle obligation.

    38

    Le choix de loi applicable étant inscrit dans la durée, les auteurs du protocole de La Haye ont soumis l’application de l’article 8 de ce dernier à certaines conditions, afin de minimiser le risque d’effets négatifs, notamment pour le créancier. Parmi celles-ci, il convient de citer, entre autres, celle figurant au paragraphe 3 de cet article 8, selon laquelle seules les parties âgées de 18 ans ou plus peuvent effectuer un tel choix sur la base dudit article. En outre, le paragraphe 5 du même article 8 prévoit que, à moins que les parties n’aient été pleinement informées et conscientes des conséquences de leur choix au moment de la désignation, la loi désignée ne s’applique pas lorsque son application entraînerait des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l’une ou l’autre des parties.

    39

    Ces dispositions protectrices n’existent pas dans le cadre de l’article 7 du protocole de La Haye, qui permet également aux parties de choisir la loi applicable, mais dans le cas d’une procédure particulière uniquement. Le choix de loi effectué ne vaut donc que pour cette procédure et non pas pour les procédures suivantes, relatives à la même obligation alimentaire, ce qui limite le risque d’effets négatifs de ce choix.

    40

    L’absence de telles dispositions protectrices dans le libellé de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye conforte également la thèse selon laquelle cette disposition ne s’applique que dans une seule procédure, à savoir celle introduite par le créancier dans les conditions qu’elle prévoit expressément.

    41

    À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 48 de ses conclusions, si le choix initial de la loi du for effectué par le créancier en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye impliquait que, dans une procédure ultérieure introduite par le débiteur devant l’autorité compétente de sa résidence habituelle, cette même loi s’appliquerait également, cela permettrait de contourner le seuil d’âge minimal prévu à l’article 8, paragraphe 3, du protocole de La Haye ainsi que les autres dispositions protectrices figurant à cet article 8.

    42

    Partant, il y a lieu de considérer que l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye vise uniquement la situation dans laquelle le créancier choisit indirectement la loi du for dans le cadre d’une procédure qu’il a initiée devant l’autorité compétente de l’État de la résidence habituelle du débiteur et ne s’étend pas à une procédure ultérieure, introduite après que la décision dans la procédure initiale a acquis force de chose jugée.

    43

    Cette conclusion ne saurait être infirmée par la circonstance évoquée par le gouvernement portugais, selon laquelle cette procédure ultérieure a pu être introduite peu de temps après la première et qu’il serait paradoxal que des demandes concurrentes, portant sur une courte période pendant laquelle aucun changement de la résidence habituelle des parties n’est intervenu, doivent être examinées au regard d’ordres juridiques différents.

    44

    À cet égard, il convient de souligner que la détermination de la loi applicable ne peut pas dépendre de la date à laquelle une éventuelle deuxième procédure est engagée. En effet, une telle interprétation porterait atteinte à l’objectif de prévisibilité que poursuit le protocole de La Haye (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2018, KP, C‑83/17, EU:C:2018:408, point 41).

    45

    Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 42 et 64 de ses conclusions, l’inconvénient que présente l’application de lois différentes lors de procédures successives entre les mêmes parties paraît inscrit dans le système de règles de conflit fixées par le protocole de La Haye.

    46

    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye doit être interprété en ce sens qu’il ne résulte pas d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la pension alimentaire à payer a été fixée par une décision ayant acquis force de chose jugée, à la demande du créancier et, en vertu de cet article 4, paragraphe 3, selon la loi du for désignée conformément à cette disposition, que cette loi régisse une demande ultérieure introduite par le débiteur devant les juridictions de l’État de sa résidence habituelle contre le créancier, en vue de réduire cette pension alimentaire.

    Sur la seconde question

    47

    Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye doit être interprété en ce sens que le créancier « saisi[t] », au sens de cet article, l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée par ce dernier devant cette autorité, le créancier comparaît, au sens de l’article 5 du règlement no 4/2009, en concluant au rejet de la demande au fond.

    48

    Ainsi qu’il ressort de l’analyse effectuée dans le cadre de la réponse à la première question, l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye constitue une disposition dérogatoire à la règle de rattachement principal rappelée au point 28 du présent arrêt, de telle sorte qu’il n’y a pas lieu d’étendre son application au-delà des situations qu’il prévoit expressément.

    49

    Cette disposition ne s’applique qu’à deux conditions, à savoir que l’autorité saisie soit celle de l’État de la résidence habituelle du débiteur et que ce soit le créancier qui saisisse cette autorité, l’action devant, ainsi, être intentée par ce dernier.

    50

    Dans le cas d’une action intentée par le débiteur devant l’autorité de l’État de sa résidence habituelle, la comparution du créancier peut certes entraîner la compétence de cette autorité, ainsi que l’article 5 du règlement no 4/2009 le prévoit.

    51

    Toutefois, de cette acceptation de compétence, il ne saurait être déduit que le créancier a également « saisi » l’autorité de l’État de résidence habituelle du débiteur, au sens de l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye.

    52

    Cette interprétation aurait pour conséquence, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 72 de ses conclusions, que la loi du for, que cette disposition impose, s’appliquerait dans toutes les procédures formées devant une telle autorité, alors qu’il ressort de la réponse à la première question que la faculté laissée au créancier par l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye de choisir indirectement cette loi ne vaut que pour les procédures engagées à son initiative.

    53

    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye doit être interprété en ce sens que le créancier ne « saisi[t] » pas, au sens de cet article, l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée par ce dernier devant cette autorité, le créancier comparaît, au sens de l’article 5 du règlement no 4/2009, en concluant au rejet de la demande au fond.

    Sur les dépens

    54

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires, approuvé, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009, doit être interprété en ce sens qu’il ne résulte pas d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la pension alimentaire à payer a été fixée par une décision ayant acquis force de chose jugée, à la demande du créancier et, en vertu de cet article 4, paragraphe 3, selon la loi du for désignée conformément à cette disposition, que cette loi régisse une demande ultérieure introduite par le débiteur devant les juridictions de l’État de sa résidence habituelle contre le créancier, en vue de réduire cette pension alimentaire.

     

    2)

    L’article 4, paragraphe 3, du protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, doit être interprété en ce sens que le créancier ne « saisi[t] » pas, au sens de cet article, l’autorité compétente de l’État où le débiteur a sa résidence habituelle lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée par ce dernier devant cette autorité, le créancier comparaît, au sens de l’article 5 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, en concluant au rejet de la demande au fond.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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